M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Tout à fait !

M. Olivier Cigolotti. Certes, la défense est vue comme un domaine régalien, mais le lien entre la Nation et son armée est plus important que jamais, alors que la pandémie a mis notre pays dans une situation économique préoccupante.

Pour conclure, je souhaite évoquer la réduction du format de l’opération Barkhane. Autre sujet, même méthode : c’est par la presse et les réseaux sociaux que nous avons appris, le 10 juin dernier, la volonté du Président de la République, après un deuxième coup d’État au Mali, de redimensionner et de revoir les modalités d’engagement de nos forces au sein de Barkhane !

Huit ans se sont écoulés depuis le début de l’opération Serval, lancée en 2013 et relayée par Barkhane. Sur ce théâtre d’opérations, cinquante-cinq soldats français ont perdu la vie. Chacune de ces morts est une plaie ouverte pour nous tous, car, même si nous n’avons eu à nous exprimer qu’une seule fois, par un vote sur l’envoi de nos soldats français au Mali, nous avons bien donné l’autorisation requise par l’article 35 de notre Constitution à cette OPEX.

Là encore, nous comprenons la nécessité de revoir notre engagement, compte tenu du contexte, mais, je le répète, c’est par voie de presse que nous avons appris la volonté du Président de la République, alors que le Sénat avait pris, voilà quelques semaines, l’initiative d’un débat portant sur le bilan et les perspectives de Barkhane. J’aimerais entendre votre analyse sur ce sujet, monsieur le Premier ministre. L’adhésion démocratique aux efforts budgétaires nécessaires à nos armées passe – c’est indispensable – par un travail parlementaire.

Ainsi, vous l’aurez compris, monsieur le Premier ministre, dans leur grande majorité, mes collègues du groupe UC s’abstiendront sur votre déclaration ; un certain nombre d’entre eux voteront néanmoins pour. Le Parlement, notamment le Sénat, ne saurait être considéré comme une variable d’ajustement. Ne nous y trompons pas, nous n’avons qu’un seul objectif : donner à nos forces armées les moyens de faire face à leurs engagements. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – Mme Marie-Arlette Carlotti et M. Daniel Chasseing applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Gilbert Roger, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Gilbert Roger. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre, mes chers collègues, cela a été dit et répété : le Sénat avait adopté la loi de programmation militaire 2019-2025 à une très large majorité des groupes politiques, dont le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, auquel j’ai l’honneur d’appartenir.

Aussi, monsieur le Premier ministre, je me permets de vous poser la question sans détour : pourquoi ne pas procéder à une actualisation législative de la loi de programmation militaire ? Est-ce par crainte de vous confronter au Parlement ou est-ce simplement pour nous signifier votre mépris que vous avez choisi de sacrifier à la pire tradition des pratiques autoritaires et antiparlementaires de la Ve République ? (M. le Premier ministre sesclaffe.) Je vous le dis : cette décision de contourner le Parlement déshonore et discrédite le Gouvernement, et ce pour plusieurs raisons.

Cette décision est tout d’abord une erreur de droit. En effet, l’article 7 de la LPM prévoit explicitement une actualisation en 2021. Je vais me permettre, monsieur le Premier ministre, de vous en donner lecture, au cas où vous ne l’auriez pas bien lu : « La présente programmation fera l’objet d’actualisations, dont l’une sera mise en œuvre avant la fin de l’année 2021. Cette dernière aura notamment pour objet de consolider la trajectoire financière et l’évolution des effectifs jusqu’en 2025. » Cette disposition correspond donc à un devoir du Gouvernement. Une petite déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat et d’un vote, ne saurait se substituer, en droit, à la discussion article par article d’un projet de loi autorisant l’exercice du droit d’amendement. Un débat n’a pas force de loi ; vous faites donc le choix, dans un État de droit, de vous asseoir sur un texte pourtant adopté à une très large majorité par le Parlement.

Si cette décision est une erreur de droit, elle est aussi une faute politique. Notre nation s’est engagée dans un effort contributif très important en faveur des armées d’ici à 2025. Le financement de certains projets, dont le choix de la propulsion nucléaire pour le futur porte-avions, va nous engager sur plusieurs générations.

Par ailleurs, le désengagement de Barkhane, annoncé par le Président de la République sans davantage de consultation du Parlement, alors que ce dernier doit approuver tout engagement extérieur de plus de quatre mois, justifie à lui seul la nécessité d’un débat sur la LPM. C’est une faute politique que de refuser de consulter le Parlement sur une politique publique aussi majeure et stratégique que la défense de la Nation.

Cette décision est d’autant plus étonnante que le Parlement, en particulier le Sénat et sa commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, n’a jamais fait défaut à la ministre des armées. Nous avons adopté très largement la LPM et nous avons voté, dans les projets de loi de finances successifs, les crédits correspondant aux trois premières années d’exécution de la LPM.

Peut-être le Gouvernement pense-t-il que le Parlement n’est pas en mesure d’entendre les besoins d’ajustement et de redéploiement ? Cela est fâcheux, alors que cette LPM était le fruit d’une coconstruction intelligente – le président Cambon l’a rappelé – entre le Parlement et la ministre des armées. En matière de défense, il faut chercher le consensus, qui fait partie des acquis de la Ve République.

Quelles sont les conséquences de cette volonté de contourner le Parlement ?

L’article 3 de la LPM ne détaille les ressources en crédits de paiement de la mission « Défense » que jusqu’à l’année 2023 incluse, pour un montant total de 197,8 milliards d’euros pour la période 2019-2023. Le même article prévoit en outre que les « crédits budgétaires pour 2024 et 2025 seront précisés à la suite d’arbitrages complémentaires dans le cadre des actualisations prévues à l’article 7, prenant en compte la situation macroéconomique à la date de l’actualisation ainsi que l’objectif de porter l’effort national de défense à 2 % du produit intérieur brut en 2025. » Autrement dit, les exercices 2024 et 2025 ne sont pas couverts par cette LPM. Ainsi, en programmation, ce sont environ 97 milliards d’euros qui passent à la trappe, puisque les prévisions de la LPM s’élevaient à 295 milliards d’euros sur la période 2019-2025.

Le même tour de passe-passe est effectué sur les effectifs. Alors que l’article 6 de la LPM reporte l’essentiel de l’effort à la fin de la période, l’annulation de l’actualisation rend très hypothétiques les quelque 4 500 créations d’emplois prévues entre 2023 et 2025.

Je souhaite enfin apporter quelques précisions sur vos renoncements par rapport aux objectifs fixés, dans la mesure où le Gouvernement raisonne à enveloppe budgétaire constante. Les travaux menés nos rapporteurs, en particulier par le président Cambon, sur l’actualisation de la loi de programmation ont mis en évidence deux risques majeurs pesant sur la trajectoire financière : les OPEX et l’export d’armement.

Le désengagement de Barkhane est un processus qui ne peut être que progressif, tant sur le plan opérationnel que sur le plan budgétaire. On peut donc escompter une diminution en sifflet jusqu’au terme de l’exécution de l’actuelle LPM, mais – Mme la ministre l’a rappelé à juste titre – la fin de Barkhane ne signifie pas notre désengagement du Sahel.

Pour ce qui concerne le soutien aux exportations, deux difficultés se font jour : d’une part, la cession de matériels d’occasion, prélevés sur le parc existant ; d’autre part, l’accélération de certaines commandes de matériel neuf visant à soutenir le plan de charge des entreprises de notre base industrielle et technologique de défense.

Si cet effort contribue à la pérennité et à l’autonomie stratégique de notre industrie de défense, ce modèle affaiblit les capacités opérationnelles des forces. On a abordé la question de l’estimation du coût de cession des Rafale d’occasion à la Grèce et à la Croatie ; l’opération est bienvenue, mais comment allons-nous négocier cette délicate transition entre le prélèvement des appareils vendus et l’arrivée du nouveau matériel ? Nous estimons à 960 millions d’euros le coût de l’ajustement lié à ces exports.

Par ailleurs, la commande d’une troisième frégate de défense et d’intervention, passée en mars 2021 pour une livraison en 2025, n’était pas prévue dans la LPM.

J’en arrive aux renoncements qu’implique cette actualisation. L’absence d’une véritable transparence sur les arbitrages défavorables nous oblige à procéder par déduction pour identifier les reports ou les retards de livraison, qui concerneront le Slamf, le programme Capacité hydrographique et océanographique future (CHOF), le système de drones tactiques ou encore le remplacement des poids lourds de 4 à 6 tonnes.

D’autres renoncements par rapport à la cible sont à déplorer en matière de parc matériel : réduction de la capacité des Rafale, retards de livraison sur les véhicules terrestres, déficit préoccupant de médecins au service de santé.

Il est regrettable que l’exigence de transparence envers le Parlement sur l’ensemble de ces points ne soit pas respectée. Le contrôle parlementaire est indispensable au succès de l’action militaire du Gouvernement. Nous regrettons sincèrement que votre gouvernement ait fait le choix de le contourner, monsieur le Premier ministre.

M. Jean Castex, Premier ministre. Pff…

M. Gilbert Roger. Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a pris la décision, récemment – nous étions prêts à agir autrement –, de voter contre votre déclaration.

Je souhaite que mes derniers mots soient pour nos soldats. Puissent-ils entendre l’hommage que le Sénat leur rend, et qu’ils soient assurés du soutien et de l’engagement sans faille des sénateurs socialistes à leurs côtés. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Cédric Perrin, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Olivier Cigolotti applaudit également.)

M. Cédric Perrin. Nous vous avons bien écouté, monsieur le Premier ministre, mais nous n’avons été ni convaincus ni rassurés. Nous attendions le dépôt, en 2021, d’un véritable projet de loi, assorti d’une étude d’impact et tirant les enseignements de l’actualisation de la revue stratégique.

Au lieu de cela, que nous proposez-vous ? Pour préparer ce débat, vous avez transmis aux groupes politiques un document intitulé Note daccompagnement amont au débat 50-1, qui s’apparente davantage à une plaquette de communication qu’à une présentation chiffrée et exhaustive des choix et ajustements opérés par la ministre des armées. Cette méthode est pire que tout… Vous nous demandez de nous prononcer sur le bilan de votre action depuis 2019 et de soutenir – je cite la note d’accompagnement – « la poursuite de la remontée en puissance de nos forces armées ». Mais sur le fondement de quels chiffres ? De quels arbitrages ?

Soit le Gouvernement se trompe de méthode – demander un vote d’approbation avant d’avoir discuté du fond, c’est, comme on dit chez moi, placer la charrue avant les bœufs –, soit il se trompe de question, car réduire le débat sur l’actualisation à un soutien ou non au Gouvernement n’est pas à la hauteur des enjeux.

Le président Cambon l’a rappelé : le Sénat a massivement approuvé les objectifs de la loi de programmation militaire à l’horizon de 2025 et, au-delà, vers l’Ambition opérationnelle 2030. Ayant fait ce choix, nous sommes – le Parlement et le Gouvernement – solidairement comptables de la programmation militaire devant nos concitoyens et devant les militaires, à qui nous confions notre sécurité et notre défense.

Dès lors, pourquoi manquer l’occasion qui nous était offerte de faire de l’actualisation de la LPM un véritable sujet de débat collectif, afin d’aboutir à un consensus et donc à une appropriation et à une approbation par le plus grand nombre ? C’est la définition même de la démocratie représentative… À laisser le débat se tenir dans un cercle fermé,…

M. Jean Castex, Premier ministre. N’importe quoi…

M. Cédric Perrin. … les sujets de défense deviennent suspects. À étouffer le débat et à le réduire à un exercice de communication sans pédagogie ni contradiction, la défense pourrait se résumer, dans l’esprit des non-initiés, à un boulet budgétaire pour la Nation. Cette absence de dialogue conduit la société civile à remettre en cause les choix et les orientations de notre pays.

Or, à l’heure où la menace est protéiforme et où l’affrontement se produit dans de multiples domaines, nous voilà bloqués dans une impasse, la faute à un État gestionnaire et technocrate plus que visionnaire et stratège. (M. le Premier ministre ironise.) Ce constat est d’autant plus surprenant et décevant que l’évolution du contexte sécuritaire justifie un effort plus grand de la Nation. Pourtant, le champ des possibles et les marges de manœuvre de nos armées sont très réduits.

Vous l’aurez compris, je m’associe pleinement aux conclusions exposées par le président Cambon quant à l’absence de transparence du Gouvernement et à l’ampleur des ajustements mis en œuvre par la ministre des armées. Ce que nous avons fait sous la forme d’un rapport d’information, avec les moyens du bord – tous les intervenants avant moi l’ont rappelé – et en procédant par déduction à partir des réponses parcellaires et parfois volontairement lacunaires de nos interlocuteurs, aurait mérité de prendre la forme d’un rapport législatif.

Si cette LPM devait être « à hauteur d’homme », elle devait surtout être à la hauteur de la menace qui sourd et de l’histoire qui s’écrit dans la bande sahélo-saharienne, en Méditerranée orientale, dans le Haut-Karabagh, en Libye ou sur les frontières plus immatérielles de l’innovation et des technologies duales telles que les drones – autant de sujets que nous avons défrichés, autant de rapports souvent restés lettre morte.

Concernant le programme 146, « Équipement des forces », ma collègue Hélène Conway-Mouret et moi-même avons d’emblée identifié des reports, voire des renoncements, sur certains objectifs fixés pour 2025. Je fais référence aux bâtiments de guerre contre les mines, aux systèmes de drones tactiques, aux douze Rafale qui seront cédés à la Croatie et qui ne seront pas remplacés, au retard de livraison des véhicules blindés légers (VBL) régénérés – j’y reviendrai – et des véhicules des forces spéciales, ou encore à l’étalement très préjudiciable du programme Scorpion.

Le tableau du parc matériel prévu pour 2025 est, je le rappelle, annexé à la loi de programmation. Toute modification de la cible de 2025 doit donc être actée dans la loi ; ce que la loi fait, seule la loi peut le défaire, sauf à nier ce qui fait le cœur de notre démocratie parlementaire !

Ensuite, c’est par un travail de déduction, qui n’est pas digne de la relation de confiance qui doit s’établir entre le Parlement et l’exécutif sur des sujets d’une telle gravité, que nous nous sommes rendu compte que le périmètre des ajustements budgétaires dépassait très largement le milliard d’euros annoncé par le Gouvernement. En réalité, les ajustements annuels opérés de 2019 à 2021 représentent déjà 3,1 milliards d’euros, qui sont fléchés vers des programmes à effet majeur jugés – à juste titre – prioritaires : le renseignement, la détection et les services spatiaux, le numérique et la cyberdéfense, la rénovation et la prolongation de la durée de vie des chars Leclerc et le lancement des études de propulsion nucléaire du futur porte-avions de nouvelle génération, qui doit entrer en service en 2038.

Je n’oublie pas non plus l’effort budgétaire supplémentaire réalisé en faveur du volet hébergement du plan Famille. Là encore, nous sommes loin du compte, puisqu’il faut ajouter à ces ajustements le surcoût des OPEX – 600 millions d’euros rien que pour 2019 et 2020 –, le reste à charge de la cession des Rafale à la Grèce et à la Croatie, sur lequel aucune donnée ne nous a été communiquée, l’achat d’une frégate de défense et d’intervention (FDI) supplémentaire et des dépenses de soutien et d’imprévus telle la réparation du SNA Perle, qui, soit dit en passant, est une prouesse à saluer.

Au total, sur le fondement d’estimations prudentes, nous constatons que ces ajustements représentent près de 7,4 milliards d’euros. Si l’on y ajoute le coût prévisionnel de l’entretien programmé des matériels, le respect de la trajectoire de remontée de la préparation opérationnelle à l’horizon de 2025 et les moyens qui devront être déployés pour atteindre la haute intensité en 2030, c’est sur un périmètre minimal de 8,6 milliards d’euros qu’aurait dû porter l’actualisation.

Soyons clairs, il s’agit d’un simple constat. Ce que nous dénonçons, ce ne sont pas ces ajustements, qui peuvent tout à fait être justifiés ; c’est le manque de transparence sur les concessions qui devront être faites par ailleurs pour financer ces efforts.

À l’heure du « quoi qu’il en coûte », devenu un mantra plus dangereux qu’utile pour notre pays lourdement endetté, comment comprendre que, dans un domaine de l’action publique où l’effort est indispensable car imposé par la réalité du monde, votre gouvernement rogne les dépenses militaires, qui plus est en catimini ?

Notre méthode de travail, celle qui consiste à analyser le fond avant de prendre position, démontre bien que le Gouvernement doit travailler avec le Parlement, de manière sincère et transparente.

Si les objectifs fixés pour 2025 ne peuvent pas être atteints, comme vous l’avez sous-entendu dans votre propos liminaire,…

M. Jean Castex, Premier ministre. Pas du tout !

M. Cédric Perrin. … mieux vaut en parler dès maintenant afin de corriger le tir, plutôt que d’escamoter le sujet et de faire des promesses électorales pour mieux revenir dessus après la présidentielle.

Le président Cambon a énuméré la liste des renoncements ; je souhaite revenir plus précisément sur deux d’entre eux.

M. Jean Castex, Premier ministre. Les renoncements, c’était avant !

M. Cédric Perrin. Tout d’abord, pour ce qui concerne le Rafale, le risque que fait peser la cession de matériels d’occasion sur notre programmation militaire est nouveau, sur le plan tant financier que capacitaire. Ainsi, la cible fixée à l’horizon de 2025 pour le parc des Rafale de l’armée de l’air et de l’espace ne sera pas atteinte. Le président de la commission a précédemment indiqué qu’elle s’élevait à 129 unités, en raison du non-remplacement des douze Rafale d’occasion cédés à la Croatie ; peut-être nous donnerez-vous de bonnes nouvelles à ce sujet, monsieur le Premier ministre, mais j’en doute…

Se posera en outre l’équation complexe de la disponibilité opérationnelle d’un parc réduit – il faut le souligner – de 9 %. La question de la réduction capacitaire ne trouve pas de réponse à ce stade, comme le chef d’état-major des armées – je veux moi aussi lui rendre hommage – nous l’a confirmé en commission, sauf à améliorer l’activité du parc existant et à prolonger, le cas échant, la durée de vie des Mirage 2000-5, au prix d’un surcoût en EPM et en maintien en condition opérationnelle (MCO).

Quant à la dimension financière de l’opération, il s’agit de céder des appareils opérationnels qu’il faudra remplacer au prix du neuf ; le modèle économique de ces partenariats stratégiques atteint donc déjà ses limites… Par ailleurs, bien qu’il faille se féliciter du nouveau succès à l’export du Rafale en Indonésie, en version neuve cette fois, ce n’est pas un problème de coût qui se posera à l’armée de l’air, mais bien celui du calendrier de livraison des futurs avions par Dassault, qui ne dispose que d’une seule chaîne de montage de Rafale – je rappelle qu’il faut trois ans entre une commande et une livraison.

Je regrette en outre que l’ambition d’une LPM « à hauteur d’homme » soit remise en cause par les retards de livraison sur les véhicules blindés légers et les véhicules des forces spéciales. Ces programmes s’avèrent déterminants pour la sécurité et la protection de nos soldats en OPEX, comme vous l’avez fort justement rappelé, monsieur le Premier ministre. Les véhicules blindés légers, du fait des missions de reconnaissance et de liaison qu’ils remplissent, sont particulièrement exposés aux risques balistiques, aux mines et autres engins explosifs improvisés (EEI). Or le retard pris dans la régénération des VBL semble acté dans l’actualisation de 2021.

J’ai maintes fois alerté Mme la ministre des armées ou le délégué général pour l’armement (DGA) sur cette question, sans qu’aucune solution tangible n’ait été présentée en vue d’une résolution du problème avant la fin de la LPM, pour accélérer par exemple l’arrivée des véhicules blindés d’aide à l’engagement, ou VBAE. La même question peut se poser pour le véhicule qui remplacera l’engin blindé du génie en matière de lutte contre les risques de mines et autres EEI.

Il y va de la protection individuelle de nos militaires. On ne saurait se satisfaire que de tels retards soient imputés à des problèmes industriels.

D’ici à 2025, il reste quatre ans pour exiger que le retard soit rattrapé ; monsieur le Premier ministre, il s’agit d’une demande que je vous adresse solennellement aujourd’hui, au nom du groupe LR.

En conclusion, permettez-moi de vous livrer le fond de ma pensée. Le Gouvernement a raté la dernière occasion qui lui était offerte avant 2022 de présenter dans de bonnes conditions les efforts d’adaptation de nos armées à l’environnement international plus menaçant et imprévisible qui nous entoure.

Nous ne voudrions pas que cette loi de programmation militaire souffre des mêmes syndromes que les grandes réformes portées par votre gouvernement, à savoir le syndrome de la déconnexion entre les déclarations et les actes et les ravages de la politique du « en même temps ».

M. Jean Castex, Premier ministre. Et les mandatures précédentes ?

M. Cédric Perrin. En début de LPM, le Président de la République annonçait que la dissuasion était sanctuarisée, que le développement des capacités dans le domaine du cyber était une priorité, tout comme le renseignement, et j’en passe. Or, quand tout devient prioritaire, plus rien ne l’est.

Et les priorités politiques ont fini par prendre le pas sur les priorités opérationnelles. Les programmes à effet majeur sont devenus des objets politiques avant d’être des réponses à des besoins opérationnels. Cette mainmise du politique sur les affaires militaires a stérilisé l’échelon interarmées et réduit les états-majors au rôle de sténographes de la pensée complexe.

L’État stratège n’est pas celui qui réactualise en catimini pour pouvoir revenir sur la parole donnée ; l’État stratège n’ambitionne pas de réorienter ce qu’il ne pourra pas respecter. L’État stratège est celui qui voit loin, qui associe, qui croise et qui capitalise. Il milite pour un échelon interarmées maître de son destin, ayant les moyens d’anticiper, de se préparer et de se réformer pour faire face aux ruptures actuelles et futures.

C’est pourquoi, s’il y a des dépenses supplémentaires, il faut discuter de manière lucide et en toute transparence des économies ou des sacrifices à réaliser par ailleurs. Nous le devons aux militaires, femmes et hommes qui, pour notre sécurité, mettent leur vie en danger. Ils méritent notre indéfectible soutien.

En 2018, monsieur le Premier ministre – beaucoup l’ont rappelé avant moi –, la LPM a recueilli dans cet hémicycle 95 % de votes favorables : 326 voix sur 348. Aujourd’hui, je crains que votre entêtement dans la rétention d’information ne transforme finalement tout l’or que vous avez mis dans cette LPM en plomb.

Au vu de ces éléments, le groupe LR a décidé, avec regret, de se prononcer contre votre déclaration. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et SER.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Gérard Longuet. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre, mes chers collègues, j’attaque mon huitième mandat parlementaire, ce qui témoigne d’une certaine passion pour la vie parlementaire et pour le contrôle que nous exerçons.

Pourtant, cette passion n’a absolument rien à voir avec l’importance que j’accorde, monsieur le Premier ministre, aux relations multiséculaires entre la France et son armée. Je ne suis pas un gaulliste historique, cher Roger,…

M. Roger Karoutchi. Regrets éternels !

M. Gérard Longuet. … mais La France et son armée est certainement la démonstration la plus forte de la continuité de la construction de notre pays. C’est la raison pour laquelle, madame la ministre, les liens multiséculaires que je viens d’évoquer sont absolument fondamentaux.

Dans cet hémicycle – je m’y exprime très librement –, nous aurons, cette semaine, consacré plus de temps au vélo-cargo et aux pistes cyclables en milieu périurbain qu’aux 295 milliards d’euros de la loi de programmation militaire. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – MM. Daniel Chasseing, Joël Guerriau et Jean-Claude Requier applaudissent également.)

Je ne reviendrai pas sur l’intervention du président Cambon, que je soutiens totalement. Vous avez senti, monsieur le Premier ministre, car vous êtes un homme suffisamment subtil pour évaluer toutes les variations des caractères, combien le président de la commission des affaires étrangères et de la défense nationale, ainsi que tous les membres de cette commission, étaient choqués par une procédure dont ils ne comprennent absolument pas l’utilité. Vous disposez en effet dans cette assemblée, au-delà des divisions partisanes, d’un très large soutien concernant l’action de notre armée et la façon dont elle est conduite.

Je ne reviendrai pas non plus sur l’intervention brillante de mon jeune collègue Cédric Perrin, qui maîtrise absolument ces dossiers. Je voudrais simplement vous saisir, monsieur le Premier ministre, de l’obligation qui vous est faite d’engager le débat en réponse aux appels du Président de la République lui-même.

Voilà en effet une situation extraordinaire : en juin 2018, nous adoptons une loi de programmation militaire ; en décembre 2019, c’est-à-dire dix-huit mois plus tard, le Président de la République, parce qu’il est jeune et parce qu’il aime la provocation – on peut bien évidemment le lui pardonner –, nous explique que l’OTAN est en mort cérébrale. Enfin, tout récemment, le 10 juin dernier, il annonce, quelques semaines après un débat parlementaire sur l’opération Barkhane, la fin de cette dernière. Madame la ministre, vous ne l’aviez sans doute pas pressentie, puisque nous ne l’avions pas évoquée durant ce débat auquel vous avez participé. Vous aviez donc l’occasion, au travers d’un débat parlementaire, de rétablir le lien de confiance et de compréhension entre un Parlement, en tout cas un Sénat, qui soutient pour l’essentiel cette action, et votre action elle-même, qui doit s’adapter à l’environnement.

Permettez-moi de prendre pour exemple la « mort cérébrale » de l’OTAN. Il se trouve que l’OTAN a choisi – j’y vois une victoire diplomatique pour la France – de se réunir à Paris pour annoncer son nouveau programme. Dans un communiqué interminable, tout à fait typique de cette littérature internationale incompréhensible dont la boussole indique rarement le nord, sont égrenés – quand même ! – quelque soixante-dix-neuf points ; mais on n’y trouve aucune des réponses aux questions que le Président de la République posait à juste titre.

Ainsi de la Turquie, membre de l’OTAN, qui compromet notre vision collective européenne en Syrie, en Méditerranée orientale ainsi qu’au Caucase, naturellement, entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie.

Concernant par ailleurs l’ennemi que l’OTAN voudrait nous imposer – je suis président du groupe d’amitié France-Russie –, que la relation bilatérale avec la Russie ne soit pas la plus simple à cogérer, c’est certainement vrai. Mais le Président de la République a-t-il l’intention d’épouser la politique de l’OTAN consistant à faire de la Russie l’ennemi que vous aimerez haïr ? Je pense profondément qu’un débat parlementaire aurait permis d’approfondir ce sujet et que des leçons auraient pu en être tirées.

Derrière la Turquie, en effet, il y a des moyens matériels. Si les avions grecs nous posent des problèmes, si les avions croates nous posent d’autres problèmes – Cédric Perrin, notamment, les a évoqués –, c’est bien qu’il y a un sujet turc en Méditerranée et une absence de réponse et de clarification de la part de l’OTAN.

Nous avions besoin de ce débat, et il n’a pas eu lieu. À ce tableau j’ajouterai la Chine, dont les États-Unis, à juste titre, dénoncent les menées impérialistes en mer de Chine orientale, vis-à-vis du Japon, et dans le détroit de Formose, vis-à-vis de Taïwan. Allons-nous être entraînés dans cette affaire, et de quels moyens disposerons-nous ?

Sur le sujet des moyens militaires et maritimes, les réponses apportées dépendent aussi de ce que font nos alliés. De ce débat, nous avions besoin ; et vous n’auriez d’ailleurs dû avoir aucune crainte à l’ouvrir devant nous car, en général, nous nous parlons et nous nous comprenons. Or vous ne le faites pas ; c’est complètement désarmant ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)