compte rendu intégral

Présidence de M. Roger Karoutchi

vice-président

Secrétaires :

M. Jacques Grosperrin,

Mme Victoire Jasmin.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à seize heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

 
Dossier législatif : projet de loi renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique
Discussion générale (suite)

Gestion de la crise sanitaire

Adoption en nouvelle lecture d’un projet de loi dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du Gouvernement, la discussion en nouvelle lecture du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture après engagement de la procédure accélérée, renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique (projet n° 357, texte de la commission n° 360, rapport n° 359, avis n° 358).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique
Article 1er

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de lautonomie. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, avant toute chose, je souhaiterais saluer celles et ceux – ils sont nombreux dans cet hémicycle – qui, depuis le début de l’examen de ce texte, et même depuis de très longs mois, ont été au rendez-vous afin d’adopter les mesures que les circonstances exigeaient pour protéger la santé de nos concitoyens, dans des conditions souvent difficiles.

Par-delà les désaccords, par-delà les divergences, je sais combien le Sénat est engagé dans la lutte contre l’épidémie.

La commission mixte paritaire qui s’est tenue jeudi dernier s’est toutefois soldée par un échec, duquel personne ne sort gagnant. Il nous appartient désormais de poursuivre et d’achever l’examen du texte, en gardant intacte notre exigence de protéger les Français face à un virus qui circule à très grande vitesse et qui a déjà entraîné tant de morts et de sacrifices. Le débat est indispensable, et rares sont les pays du monde qui, face à cette pandémie, ont accordé autant de temps et d’importance au débat démocratique. La première lecture a d’ailleurs prouvé que nous pouvions ensemble enrichir ce texte, l’adapter, le modifier et le faire évoluer, pour qu’il soit à la fois équilibré et efficace.

Il a été question de « raz de marée ». L’expression n’a rien de galvaudé, puisque nous recensions, hier encore, plus de 300 000 nouveaux cas, 24 000 hospitalisations et 3 500 patients en soins critiques. Cette situation sans précédent demande du sang-froid et exige que nous prenions nos responsabilités en vue de poursuivre la gestion d’une épidémie toujours virulente, qui dure depuis bientôt deux ans.

Pour y faire face, le projet de loi renforce plusieurs mesures existantes qui nous ont d’ores et déjà permis de contenir l’épidémie et d’éviter les choix plus radicaux auxquels plusieurs pays européens ont été contraints en raison de décisions différentes dans la gestion de la crise.

Je ne reviendrai pas sur les lignes de force d’un texte qui vous a déjà beaucoup mobilisés ; je rappellerai simplement que celui-ci s’appuie sur ce que nous savons du virus et sur ce dont nous disposons pour le combattre efficacement.

Aujourd’hui, malgré la présence d’un variant extrêmement contagieux, si nous pouvons envisager de vivre le plus normalement possible, sans empêcher ou fermer massivement les activités du quotidien, c’est parce que nous avons un vaccin. Et celui-ci permet d’éviter, dans l’immense majorité des cas, de développer des formes graves de la maladie.

Il nous faut poursuivre nos efforts de persuasion et aller vers celles et ceux qui, tantôt par indifférence, tantôt par éloignement, tantôt par une défiance qui dépasse parfois l’entendement, n’ont pas encore franchi les portes d’un centre de vaccination.

J’en viens au texte que nous remettons sur le métier. Malgré l’échec de la commission mixte paritaire, le projet de loi adopté par l’Assemblée nationale et qui vous a été transmis reprend plusieurs apports importants du Sénat.

Je pense tout d’abord aux améliorations concernant la possibilité d’application du passe sanitaire aux réunions politiques, aux conditions de recours cumulatif au passe vaccinal et à la présentation du résultat d’un test de dépistage.

Je pense aussi à la reprise des travaux du Sénat visant à préciser et à simplifier les modalités d’application du passe aux mineurs, permettant d’aboutir à un équilibre sur ce sujet, qui tenait à cœur à de nombreux parlementaires.

Je me réjouis de nouveau de l’adoption de dispositions en première lecture, permettant d’appliquer aux mineurs de 5 ans à 11 ans les règles applicables à leurs aînés en matière d’autorisation parentale, afin de faciliter le déroulement des opérations de dépistage et de vaccination.

Je pourrais citer aussi la sécurisation du pouvoir d’adaptation des nouvelles règles par les préfets, notamment outre-mer, lorsque les circonstances locales l’exigent.

J’aimerais également mentionner les précisions apportées quant aux modalités de contrôle du passe, qui avaient été adoptées en commission sur l’initiative de votre rapporteur, avant qu’elles ne soient supprimées en séance. L’Assemblée nationale a toutefois repris ces améliorations, afin de lever les inquiétudes qu’avait pu susciter le dispositif relatif à l’identité des personnes lors de la présentation du passe.

La suppression de toute disposition à ce sujet et celle du dispositif de sanctions administratives des entreprises ne respectant pas leurs obligations de prévention, malgré les ajustements adoptés en nouvelle lecture sur le niveau des sanctions pour assurer leur proportionnalité, constituent deux points de divergence, qui sont résiduels, mais importants pour le Gouvernement, car il s’agit de renforcer l’efficacité de règles sanitaires essentielles destinées à maîtriser l’évolution de la situation sanitaire.

Malgré les discussions menées sur ces deux points jusqu’à la commission mixte paritaire, je constate en l’état que les désaccords persistent.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le voyez, ce texte a été discuté largement et enrichi par les travaux de chaque assemblée. Le projet de loi qui vous a été transmis est un texte équilibré, adapté à la gravité des circonstances autant qu’à l’exigence démocratique qui ne nous a jamais quittés, ainsi qu’à la protection des libertés individuelles dans un contexte de menace sanitaire sans précédent.

La situation requiert donc que nous dépassions nos divergences pour nous hisser collectivement à la hauteur de ce défi sanitaire. Je ne doute pas que, au-delà des désaccords de fond, nous poursuivrons avec cet esprit de responsabilité.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Philippe Bas, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, vous dire que je suis heureux de revenir à la tribune pour discuter de ce texte serait sans doute excessif ! Je forme en tout cas le vœu que je le fasse pour la dernière fois.

M. Jean-Pierre Sueur. C’est déjà un record !

M. Philippe Bas, rapporteur. Le 27 décembre dernier, le conseil des ministres adoptait un texte qu’il avait soumis la semaine précédente au Conseil d’État.

Depuis cette date, que d’évolutions ! Le 27 décembre, que savions-nous du variant omicron ? Peu de choses en vérité. Que savions-nous de son impact sur l’hôpital ? Assez peu, là encore… Était-il possible de prédire qu’il y aurait, quinze jours plus tard, quelque 360 000 contaminations, lesquelles auraient pourtant un effet limité sur les admissions en services de soins critiques et sur les hospitalisations.

Certes, la courbe continue à progresser dans le mauvais sens, mais force est de constater que la flambée sans précédent des contaminations par le virus du covid a un impact tout à fait contenu.

À quoi est-ce dû ? À deux éléments : la vaccination, qui a permis de réduire le nombre de cas graves, et la nature même du variant omicron, qui fait espérer une évolution fondamentale de l’épidémie causée par ce coronavirus.

Il existe une possibilité, qui n’est pas encore une certitude, pour que, après avoir évincé le variant delta, fortement pathogène, un virus moins dangereux prenne sa place. Ainsi, lorsque 360 000 personnes ont un résultat positif à leur test de dépistage, cela peut signifier que 500 000, voire 1 million de personnes par jour sont contaminées, sans que cela produise des effets sanitaires gravissimes.

Plus de quinze jours après son adoption en conseil des ministres, ce texte est-il encore, aujourd’hui, adapté à la situation ? Nous en jugerons les uns et les autres dans les jours et les semaines qui viennent.

Pour apprécier la portée du vote que je vais vous proposer de confirmer, je souhaite que le Sénat mobilise toutes les ressources de ses moyens d’évaluation des politiques publiques, de ses moyens de contrôle fondés sur l’article V de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et sur plusieurs dispositions de notre Constitution.

Ainsi pourrons-nous vérifier que le passe vaccinal aura bien eu, comme nous le souhaitons, une utilité réelle pour juguler l’épidémie. Pour autant, nous savons que ce dispositif ne produira ses premiers effets que lorsque les personnes qui feront la démarche de se vacciner auront reçu deux doses de vaccin, c’est-à-dire dans un mois.

Je l’ai déjà dit, ce passe vaccinal est de nature, non pas à porter un coup d’arrêt à la diffusion massive du variant omicron, mais à protéger ceux qui ne sont pas encore vaccinés. En effet, nous le savons, si la plupart de ces personnes ne développent pas une forme grave de la maladie, ce risque est plus important pour elles que pour les personnes vaccinées.

Le Sénat a bien sûr exprimé des interrogations et des doutes. Ce qui lui importe, c’est que, en contrepartie de son acceptation du passe vaccinal, le contrôle parlementaire ait lieu. Je suis bien certain que Mme la présidente de la commission des affaires sociales y réfléchit déjà, aux côtés de M. le président de la commission des lois.

Il faudra que l’ensemble des groupes politiques de cette assemblée puissent s’exprimer sur la mise en place des modalités les plus efficaces possible de ce contrôle, lequel doit s’exercer sous le regard des Français, afin que, dès la semaine prochaine, le Sénat de la République puisse apporter à nos concitoyens cette garantie essentielle.

Les travaux en commission mixte paritaire ont été… ce qu’ils ont été. (Sourires.)

M. Jean-Pierre Sueur. Voilà une bonne parole !

M. René-Paul Savary. C’est bien résumé !

M. Philippe Bas, rapporteur. Je dois dire, mes chers collègues, que de part et d’autre des efforts considérables…

M. Philippe Bas, rapporteur. … ont été consentis pour atteindre des points d’accord. Et je n’ai pas compris qu’un événement extérieur à la délibération parlementaire ait pu justifier un constat d’échec que rien ne laissait augurer. En effet, nous en étions parvenus à l’examen des rédactions traduisant l’accord politique qui avait été conclu…

L’Assemblée nationale a souhaité reprendre sa liberté.

M. Pierre Ouzoulias. Sa servitude, plutôt !

M. Philippe Bas, rapporteur. Elle a toutefois accompli, madame la ministre, un certain nombre de pas dans notre direction, en acceptant plusieurs de nos propositions, dont certaines s’étaient traduites par des points d’accord – mais pas toutes. À cet égard, nous aurions pu espérer que, à défaut d’un accord formel constaté, un accord de fait puisse s’exprimer.

Puisque l’Assemblée nationale a retrouvé sa liberté, nous avons, nous aussi, dans une certaine mesure, retrouvé la nôtre. Et nous avons une exigence fondamentale : que l’acceptation du principe du passe vaccinale l’emporte toujours sur les désaccords touchant à certaines modalités de sa mise en œuvre.

Le moment est venu où nous devons établir une distinction entre plusieurs dispositions auxquelles nous étions attachés et l’exigence de manifester l’unité de la représentation nationale sur le principe du passe sanitaire.

Cette disposition d’esprit, qui est celle de la commission des lois, connaît seulement deux limites, mais qui sont essentielles.

Premièrement, nous ne pouvons décidément pas accepter une disposition en faux-semblant, qui relève d’ailleurs de l’effet d’annonce et n’est pas destinée à être réellement opérationnelle : l’article prévoyant la possibilité de demander à une personne présentant son passe sanitaire de produire un document avec photographie attestant qu’elle est bien la détentrice de ce passe. Cette disposition ne constitue certes pas une bien grande catastrophe, mais elle est complètement dénuée de portée pratique !

Un patron de restaurant qui est obligé de demander la présentation du passe sanitaire se soumet, bien évidemment, à cette obligation. Mais prévoir à son égard simplement une faculté, une possibilité, une éventualité d’ennuyer – mais ce n’est plus le terme que l’on emploie maintenant ; je devrais dire « enquiquiner » ! (Sourires.) –…

M. Gérard Longuet. Empoisonner ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Alain Houpert. Il y a des droits d’auteur…

M. Philippe Bas, rapporteur. … ses clients en leur demandant un document d’identité, c’est se bercer d’illusions !

Cette disposition est tout à fait vide de sens, et il n’est donc aucunement nécessaire de la faire figurer dans ce texte.

Deuxièmement, nous ne voulons décidément pas qu’un inspecteur du travail s’immisce dans l’appréciation par l’employeur des conditions d’organisation de son entreprise, et pas davantage qu’il détermine la liste des emplois « télétravaillables » et de ceux qui ne le sont pas. Des sanctions pénales sont d’ores et déjà prévues ; pourquoi y ajouter des sanctions administratives ?

Tous les efforts que nous avions accomplis sur ces points en commission mixte paritaire ont été balayés d’un revers de manche par l’Assemblée nationale, ce que je déplore.

Je vous propose donc, mes chers collègues, tout d’abord, de réitérer votre accord sur le principe du passe vaccinal, à condition que le Sénat fasse la « preuve par neuf » de l’utilité ou de l’inutilité de celui-ci au regard de l’évolution de la situation sanitaire.

M. le président. Il faut conclure, monsieur le rapporteur.

M. Philippe Bas, rapporteur. Je vous propose, ensuite, que nous revotions sur les deux dispositions que j’ai citées. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.

Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales, en remplacement de Mme Chantal Deseyne, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à la lecture du projet de loi adopté par l’Assemblée nationale, force est de constater que sur ce texte important, qui vise l’objectif de consolider l’arsenal de la lutte contre l’épidémie, et ainsi de protéger la santé des Français, nos positions n’étaient pas si éloignées.

Ce texte porte la marque des efforts déployés par Chantal Deseyne et Philippe Bas pour tenter de parvenir à un accord en commission mixte paritaire.

Sur les articles pour lesquels notre commission a reçu une délégation au fond – différents articles additionnels relatifs à l’organisation des soins ou au droit du travail, ainsi que l’article 3 prévoyant une saisine systématique du juge dans le cadre du renouvellement des mesures d’isolement et de contention en services de soins psychiatriques sans consentement –, je regrette que, en nouvelle lecture, l’Assemblée nationale n’ait, pour l’essentiel, pas retenu les différentes améliorations proposées par notre commission concernant l’encadrement de la prise en charge des téléconsultations, l’aménagement des reports des visites médicales en santé au travail ou encore visant à une rédaction plus protectrice de l’article 3.

Cependant, la commission des affaires sociales a considéré que, dans le contexte d’urgence dans lequel nous nous trouvions, il était de notre responsabilité de favoriser une entrée en application rapide du passe vaccinal et que cette nouvelle lecture ne devait pas rouvrir l’ensemble des discussions que nous avions pu avoir cette semaine.

Notre attention s’est ainsi focalisée sur l’un des principaux points de divergence entre l’Assemblée nationale et le Sénat, qui est, en matière de droit du travail, le régime de sanction administrative applicable aux employeurs qui ne respecteraient pas les principes de prévention des risques d’exposition de leurs salariés à la covid-19.

Notre commission avait supprimé cette disposition en première lecture et, lors de l’examen du projet de loi en séance publique, le Sénat a aussi très largement repoussé la proposition du Gouvernement de rétablir l’article 1er bis A.

L’Assemblée nationale a rétabli cet article, avec pour seule modification la réduction du montant maximum de l’amende due par les entreprises en cas de manquement constaté à la protection de leurs salariés face à la covid-19, de 1 000 à 500 euros par travailleur.

Ce n’est pas satisfaisant. Cette concession symbolique de l’Assemblée nationale, si elle atténue quelque peu la nocivité du dispositif, est loin de répondre aux réserves de principe du Sénat. Nous l’avions dit, ce nouveau régime de sanctions n’est ni souhaitable ni utile. Cette logique coercitive ne correspond pas à la mobilisation des entreprises depuis le début de la crise sanitaire pour assurer la santé et la sécurité de leurs salariés dans le contexte épidémique.

Force est de constater, comme l’a montré l’intervention de la ministre du travail mercredi soir, que cet article se borne à servir la communication du Gouvernement sur le recours au télétravail, sans renforcer la protection de la santé des travailleurs.

Comment expliquer, sinon, qu’après avoir communiqué sur une sanction de 1 000 euros pour les entreprises qui ne se conformeraient pas aux recommandations de trois jours de télétravail, la ministre nous indique au banc du Gouvernement qu’il n’est nullement question de télétravail dans cet article ? La commission a donc réaffirmé son opposition au dispositif de sanctions et a, une nouvelle fois, supprimé l’article 1er bis A.

Vous l’aurez compris, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la commission des affaires sociales a suivi une position claire et responsable : oui au passe vaccinal, selon des contours améliorés grâce au travail de notre commission des lois ; non à une mesure inutile d’immixtion de l’inspection du travail dans la gestion du télétravail par les entreprises. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus. (Mme Raymonde Poncet Monge applaudit.)

M. Thomas Dossus. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comment en sommes-nous arrivés là ? Comment sommes-nous passés d’un texte d’urgence, qui devait quasiment être voté entre Noël et le jour de l’an, à un combat politicien entre le Gouvernement et la droite sénatoriale ? Pour cela, il a fallu que chacun y mette du sien !

De l’arrogance gouvernementale, il y en a eu, beaucoup, allant même jusqu’à l’insulte et la vulgarité, ce gouvernement mettant dans le même sac les désinformateurs et les désinformés. Le même gouvernement qui justifiait, il y a quelques semaines, l’urgence d’un nouveau texte par l’objectif de sauver des vies a décidé cette fois de prolonger les débats, trouvant un prétexte grotesque pour faire échouer la commission mixte paritaire !

Tout au long des débats, les oppositions étaient – je cite le Gouvernement – « irresponsables » de déposer des amendements, de questionner ses choix ou de s’opposer au principe même du passe vaccinal. Pendant ce temps, deux ans après le début de cette pandémie, l’hôpital est toujours sous pression extrême et ne tient que par le dévouement de son personnel au bord de l’épuisement.

Pendant ce temps, l’éducation nationale subit toujours le mépris et le dilettantisme de son ministre.

Pendant ce temps, la circulation massive du virus ne faiblit pas.

Pendant ce temps, les Françaises et les Français sont fatigués par le niveau de leurs représentants.

Néanmoins, pour se vautrer dans la politique politicienne, le Gouvernement n’était pas seul. Il a trouvé ici des partenaires de choix.

Le tweet du président Retailleau va pouvoir rejoindre les annales de l’histoire parlementaire. Pour la première fois, une commission mixte paritaire, partie pour trouver un difficile accord, a échoué à cause d’une expression malheureuse sur Twitter. La droite sénatoriale s’est montrée plus intéressée par sa campagne présidentielle que par la crise sanitaire ! (Mme Sophie Primas proteste.)

La gestion de la pandémie ne devrait pas se résumer à une bataille puérile entre l’Assemblée nationale et le Sénat, ou entre La République En Marche et Les Républicains. Cet épisode peu glorieux a mis à nu l’objectif politicien qui sous-tend ce texte. Il ne fera qu’alimenter l’antiparlementarisme dans notre pays. C’est désolant ! La situation nécessite davantage de maîtrise de soi, de recul et de hauteur de vue, mais telle n’est décidément pas la tonalité politique du moment.

Nous appelons à l’humilité face à la difficulté de la tâche qui est la nôtre. Si nous avons contesté certains des choix opérés, nous avons toujours proposé d’autres voies pour faire face à la situation.

Oui, la vaccination massive de la population est indispensable. Saluons d’ailleurs l’adhésion d’une très grande majorité de Françaises et de Français au vaccin et aux rappels. Oui, la vaccination protège. Oui, il faut continuer de convaincre et d’aller vers les publics non vaccinés, y compris les plus réfractaires, pour les amener à se vacciner.

Non, nous n’y arriverons pas en les insultant ! Non, tous les non-vaccinés ne sont pas des militants antivax : 40 % d’entre eux sont dans cette situation du fait d’une difficulté d’accès au vaccin, selon l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm).

Oui, il existe toujours un public non vacciné, éloigné du soin en général, éloigné de la parole publique et que nos débats, surtout au vu des termes dans lesquels ils se tiennent, ne touchent pas. Le tout-numérique comme mode d’organisation, par exemple, remet en cause l’égalité de l’accès aux soins.

Un autre phénomène se maintient dans le temps : celui de la forte corrélation entre le niveau de pauvreté des habitants d’une commune et le taux de non-vaccination. De même, dans certains territoires, la carte de l’abstention recoupe celle de la non-vaccination. Tout cela devrait nous conduire à mener une politique de vaccination plus fine, plus à l’écoute et plus ciblée.

Il faut continuer de convaincre et de populariser la vaccination dans toute la société. Le passe vaccinal permettra-t-il d’y parvenir ? Nous ne le pensons pas. Instaurer le contrôle de tous par tous permettra-t-il de renforcer la confiance ? Nous n’y croyons pas davantage.

Pour lutter contre la propagation de l’épidémie, une politique de prévention sanitaire et de dialogue avec les élus locaux et la société civile est plus efficace que la multiplication de mesures globales coercitives. Aussi, notre groupe propose que l’État assume son rôle et contribue sincèrement à la protection des personnes, en mettant à disposition des publics exposés des masques FFP2, plus protecteurs contre la propagation du covid, et en fixant leur prix par décret.

J’ajouterai un dernier mot sur le variant omicron. Celui-ci ne sort pas de nulle part. Il n’est pas une catastrophe naturelle ! Il est la conséquence d’une circulation accrue du virus dans des parties du monde où la vaccination n’atteint pas les taux que nous connaissons dans notre pays.

Tant que nous ne ferons pas des vaccins un bien public mondial qui puisse être produit massivement à moindre coût sur tous les continents, nous serons susceptibles de connaître des vagues futures de contaminations et d’autres d’échappements immunitaires. La France doit être au rendez-vous et appuyer toutes les démarches qui vont dans le sens d’une levée des brevets.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous nous opposons à la philosophie générale de ce texte, à l’instauration d’une société de contrôle, punitive et infantilisante, à l’instrumentalisation politique de cette crise par le pouvoir exécutif et aux restrictions de nos libertés qui n’ont que peu d’effets sur la propagation de l’épidémie.

Notre groupe demande une autre politique de gestion sanitaire pour endiguer l’épidémie : une vaccination qui n’oublie personne, un moratoire sur les fermetures de lits dans les hôpitaux, la généralisation des capteurs d’air, la gratuité des tests et des masques les plus protecteurs, enfin, le combat pour la vaccination mondiale. (Mme Raymonde Poncet Monge et M. Loïc Hervé applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comment ne pas avoir cette après-midi une sensation de déjà-vu ?

Après des jours et des jours de « vous allez voir ce que vous allez voir ! », évoquant un Sénat gardien des libertés publiques, raisonnant à l’écart de la pression de l’urgence, vous nous expliquez aujourd’hui, monsieur le rapporteur, que la raison, en définitive, c’est justement de voter le texte du Gouvernement et de l’Assemblée nationale, laquelle a retoqué pour l’essentiel l’apport sénatorial.

Pourtant, monsieur le rapporteur, vous nous avez répété à maintes reprises, depuis plusieurs semaines, que ce texte ne répondait pas à une urgence sanitaire et qu’il n’aurait aucun impact sur la vague actuelle. Et qui, à part le Gouvernement, pourrait prétendre le contraire ?

Ce que vous nous demandez d’adopter, avec le Gouvernement, c’est un texte anachronique. La stratégie de la restriction des libertés publiques n’a pas marché contre la propagation du virus, ni pour le variant delta ni pour le variant omicron. Bien entendu, la simple annonce du passe sanitaire a provoqué une forte progression de la vaccination, ce dont nous nous félicitons.

Toutefois, faut-il se vanter d’avoir recours à la coercition parce que notre système de santé, de l’hôpital à l’assurance maladie en passant par la médecine de ville, est exsangue et n’a pas pu mener par la persuasion une campagne de vaccination, comme ce fut le cas dans de très nombreux pays ?

Le passe vaccinal, malgré les tentatives de déviation du débat pointant les non-vaccinés, n’aura qu’un impact très limité pour atteindre les 10 % de nos compatriotes encore aujourd’hui récalcitrants, qu’ils soient mal informés ou dépourvus de contact avec des personnes vulnérables ou âgées.

Madame la ministre, nous voterons contre ce projet de loi, car il n’a pas lieu d’être sur le plan sanitaire. Mais nous voterons aussi contre ce texte, car, comme ceux sur le passe sanitaire et sur la prorogation de l’état d’urgence sanitaire, il participe à la transformation de notre société, à sa fracturation, à sa mise sous coupe.

Mes chers collègues, nous n’acceptons pas que l’Assemblée nationale, avec l’assentiment d’une majorité de circonstance, s’assoie sur le vote des 303 sénateurs ayant supprimé mardi soir l’ersatz de contrôle d’identité corollaire du passe vaccinal prévu par le projet de loi ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)