Mercredi 20 février 2013

- Présidence de M. Philippe Marini, président -

Audition de M. Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d'administration fiscales de l'OCDE

Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission procède tout d'abord à l'audition de M. Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d'administration fiscales de l'Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE).

M. Philippe Marini, président. - Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui M. Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d'administration fiscales de l'OCDE. Ce centre joue un rôle à l'heure actuelle essentiel dans la préparation des sommets du G 20, au niveau ministériel et au niveau plénier. A ce titre, l'OCDE avait ainsi apporté sa contribution dans la lutte contre les « paradis » bancaires, juridiques et fiscaux.

Nous aurons aujourd'hui deux centres d'intérêt principaux. Tout d'abord, il y a l'actualité « chaude » avec le projet « BEPS » (Base Erosion and Profit Shifting), à savoir la lutte contre l'érosion des bases d'imposition et les transferts des bénéfices vers les Etats à fiscalité basse ou nulle. En deux mots, il s'agit de savoir si les impôts sur les bénéfices des entreprises garderont leur place dans les systèmes fiscaux nationaux. On observe en effet une réalité de plus en plus inégalitaire, d'une part entre les entreprises mono-sites ou implantées dans un seul pays, et de petite dimension, qui sont taxées au taux de droit commun de l'impôt sur les sociétés, et d'autre part les firmes multinationales qui profitent des différences des systèmes fiscaux et se voient appliquer un taux d'imposition effectif très bas. Vos travaux consistent à s'interroger sur le caractère supportable ou non de cette inégalité, si l'on souhaite maintenir une fiscalité directe des entreprises dans nos pays.

La semaine dernière, vous avez présenté une communication sur cette question à la réunion des ministres des finances du G 20 de Moscou. Vous nous direz comment vous envisagez la suite des discussions internationales. Comme vous le savez, notre commission des finances s'est déjà intéressée à ces questions, en particulier à l'un des révélateurs de ce phénomène d'érosion : la fiscalité du secteur de l'économie numérique.

Puis, un peu plus « à froid », une seconde série de considérations sera abordée, concernant la montée en puissance d'une fiscalité environnementale. Le rapporteur général poursuit actuellement des travaux dans ce domaine. Vous nous exposerez votre approche méthodologique sur ce sujet. La fiscalité environnementale est-elle faite pour détruire son assiette ou permettra-t-elle de dégager des ressources permanentes, pour faire face à des charges récurrentes ?

La vision transversale de l'OCDE nous est particulièrement précieuse, puisque vous êtes le lieu où l'on peut tout observer, et notamment réaliser des « benchmark », des comparaisons entre les politiques fiscales des différents pays membres. Nous avons la chance que l'OCDE siège à Paris, mais je crois que nous ne faisons pas assez appel à elle, d'autant plus que vous êtes particulièrement désireux de nourrir nos débats, en leur apportant des éléments concrets et utiles. M. Pascal Saint-Amans, sans plus attendre, je vous invite donc à vous exprimer sur les deux sujets indiqués. Puis le rapporteur général vous interrogera, ainsi que les autres membres de la commission.

M. Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d'administration fiscales de l'Organisation de Coopération et de Développement Economiques. - Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre invitation. Je suis ravi d'être avec vous ce matin et que les travaux de l'OCDE puissent être utilisés pour nourrir le débat sur la fiscalité en France. Vous m'avez demandé de parler de deux sujets. Le premier fait l'objet d'une large couverture médiatique ; il s'agit du rapport « BEPS » sur l'érosion des bases d'imposition et les transferts de bénéfices. Le second sujet, la fiscalité environnementale, est bien moins couvert par les médias mais je crois que l'OCDE fournit des informations de base utiles pour élaborer les politiques publiques les plus adéquates.

Pourquoi travaille-t-on sur le sujet de l'érosion des bases fiscales et de quoi s'agit-il ? La plupart des trente-quatre pays membres de l'OCDE est confrontée, depuis de nombreuses années, au phénomène de réduction de la charge fiscale pesant sur les grands groupes multinationaux. Nous avons lancé en 2009 des travaux très productifs sur la lutte contre le secret bancaire. On peut considérer désormais qu'il n'existe plus de secret bancaire dans le monde. Un Forum mondial sur la transparence et l'échange d'informations à des fins fiscales, composé de cent vingt pays membres, s'assure de l'application des engagements pris par les Etats.

Néanmoins, un autre volet des « paradis fiscaux » restait en suspens, à savoir l'utilisation d'entités, plus ou moins « vides », localisées dans des juridictions à faible fiscalité. Ce thème a donné lieu à des campagnes de presse révélant que les taux effectifs d'imposition de certaines firmes multinationales présentaient un écart de dix, vingt voire trente points avec les taux nominaux d'imposition. Ces campagnes de presse ont trouvé un écho particulier au moment de la crise financière, qui a conduit la plupart des Etats membres de l'OCDE à vouloir collecter davantage d'impôts. Ceci s'est traduit par un mouvement général de hausse des impôts sur les personnes physiques et sur les petites et moyennes entreprises. Un exemple très frappant est le fait que la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), qui existe dans trente-trois des trente-quatre pays membres de l'OCDE, ait augmenté dans vingt-cinq des Etats membres de l'OCDE. Cet écart entre la taxation effective de certains grands groupes et celle des petites et moyennes entreprises pose un problème politique, budgétaire mais aussi économique puisque les entreprises opérant dans un cadre strictement national sont pénalisées par rapport aux entreprises qui peuvent faire diminuer leur taux effectif d'imposition grâce à des transactions financières internationales. Il s'agit d'une distorsion de concurrence qui n'est pas bonne économiquement.

Il y a peu, ce problème a surgi sur le devant de la scène politique. Cela faisait plusieurs années que l'OCDE travaillait sur les règles de prix de transfert, avec la mise en place d'un groupe de travail d'une vingtaine de pays membres, se réunissant deux fois par an, au niveau des directeurs des impôts, afin d'échanger leurs connaissances relatives aux schémas fiscaux agressifs. Le projet « BEPS » sur l'érosion des bases fiscales a été lancé en avril 2012, lors du sommet du G 20 de Los Cabos, mais le sujet est vraiment devenu politique avec la médiatisation, au Royaume-Uni, des affaires concernant le taux d'imposition effectif de Google ou de Starbucks.

Comme l'a dit le président dans son propos liminaire, à plus long terme, c'est l'existence même de l'impôt sur les sociétés (IS) qui est en jeu. Le rapport explique qu'il existe tout d'abord un problème de mesure du phénomène d'érosion des bases d'imposition. Il y a, de plus, des données contradictoires : la part de l'impôt sur les sociétés dans les recettes fiscales globales n'a pas baissé au cours des vingt dernières années alors que les taux d'imposition ont baissé, ce qui fait dire à certains qu'il n'y a pas de problème avec l'IS. En réalité, le fait que la contribution de l'impôt sur les sociétés n'a pas beaucoup varié peut s'expliquer par la baisse des taux, l'augmentation des bases et le fait qu'une partie des entreprises individuelles se sont constituées en société, afin de profiter d'un taux plus favorable que celui de l'impôt sur le revenu.

En revanche, il y a un faisceau d'indicateurs montrant qu'il existe bel et bien un problème. En premier lieu, le taux effectif d'imposition de certaines sociétés est extrêmement bas, aux alentours de 3 %. En second lieu, les flux d'investissements directs à l'étranger (IDE) ont fortement augmenté. Il ne paraît pas tout-à-fait normal que les îles Vierges britanniques soient parmi les dix premiers investisseurs en Russie, ni que les Pays-Bas accueillent trois fois le volume de leur produit intérieur brut (PIB) en flux entrants et en flux sortants d'IDE.

La seconde partie du rapport sur l'érosion des bases fiscales (BEPS) s'interroge sur la nature du problème. Une donnée importante est la souveraineté fiscale des Etats, intimement liée à leur souveraineté territoriale. Depuis le premier modèle de convention fiscale, dans le cadre de la Société des Nations en 1927, les Etats ont cherché à se mettre d'accord pour éliminer les doubles impositions, en se partageant les droits d'imposer : l'Etat de la source prélève une retenue, tandis que l'Etat de résidence du bénéficiaire de ce dividende va taxer ce dividende et créditer le montant de la retenue à la source. Ces règles de fiscalité internationale, notamment les règles de prix de transfert fixant comment les groupes se facturent en interne les prestations de service ou les ventes de biens, ont été adaptées par l'OCDE et l'Organisation des Nations Unies (ONU) au cours des trente dernières années. La difficulté vient du fait que ces règles sont aujourd'hui utilisées pour organiser des doubles « non-impositions » des sociétés. Elles fonctionnaient lorsque les négociations avaient lieu entre deux Etats ayant un niveau d'imposition équivalent, mais la mondialisation a permis l'interposition de structures situées dans des Etats tiers. Un exemple bien connu est la pratique de la localisation d'une marque dans une société aux Bermudes, qui va « refacturer » l'ensemble des entreprises du groupe utilisant cette marque. En vertu des règles de prix de transfert et grâce à l'utilisation de produits hybrides, tels que les obligations convertibles en actions, il est possible de faire disparaître les profits dans le premier Etat, sans augmenter les profits dans l'autre. Les effets de cette combinaison de produits hybrides et de conventions fiscales sont aujourd'hui amplifiés par le fait que les Etats ont eu tendance à réduire leurs dispositifs anti-abus, dans un souci de préservation de la compétitivité. L'article 209 B du code général des impôts a, par exemple, été considérablement allégé.

Avec les difficultés budgétaires actuelles, les Etats souhaitent sortir de cette logique et c'est pour cela qu'ils se tournent vers l'OCDE. Plutôt que de changer quelques éléments dans les modèles de convention existants, peut-être faut-il revoir fondamentalement ces instruments, réviser le principe de pleine concurrence, mettre en place des dispositifs pour lutter contre les produits hybrides, qui facilitent l'arbitrage au sein des groupes multinationaux et peut-être modifier quelques définitions, telles que celle de l'établissement stable, en particulier dans le cadre de l'économie numérique.

Le G 20 a donné mandat à l'OCDE pour fournir, d'ici juin 2013, un plan d'action définissant la direction dans laquelle nous souhaitons aller et présentant de nouveaux instruments. Par exemple, la négociation d'une convention fiscale multilatérale, qui viendrait remplacer certaines dispositions des conventions bilatérales, serait pertinente. Cette option serait plus rapide que l'élaboration d'un nouveau modèle de convention et la renégociation de l'ensemble des conventions bilatérales existantes.

L'objectif est de mettre en oeuvre les mesures du plan d'action dans les deux ans à venir. Pourquoi cette rapidité ? Si l'on veut bouger, il faut parfois court-circuiter les mécanismes existants et savoir tirer parti de la pression politique. Les risques de ne pas aboutir sont nombreux, en raison de la souveraineté des Etats, des conséquences éventuelles en matière de déséquilibre entre la résidence et la source et une certaine forme de conservatisme au niveau international. Cette situation très complexe ne peut être résolue que grâce à un soutien politique fort et une approche « de haut en bas », car ce n'est pas au niveau des administrations que les règles vont pouvoir changer. C'est le message principal que je souhaitais vous faire passer sur cette question.

Le second volet de la discussion de ce jour concerne la fiscalité environnementale, sujet sur lequel l'OCDE travaille beaucoup.

L'Organisation a ainsi publié en 2011 un rapport intitulé « Fiscalité, innovation et environnement », qui évalue les différents instruments fiscaux. De plus, nous avons réactualisé en janvier 2013 l'inventaire des mécanismes de soutien en faveur de la consommation des combustibles fossiles dans les pays de l'OCDE. Car avant d'envisager une fiscalité « verte », peut-être faudrait-il commencer par démanteler la fiscalité « noire » ou les mesures qui incitent à la consommation et à la production d'énergies fossiles. Nous avons recensé 550 mesures en faveur de la consommation d'énergies fossiles dans les pays de l'OCDE. Certains de ces soutiens sont justifiés, notamment pour compenser l'augmentation du prix de l'énergie pour les ménages les plus pauvres. Mais le coût total de l'ensemble de ces mesures était compris entre 55 et 90 milliards de dollars américains entre 2005 et 2011. On est donc en présence de subventions aux énergies fossiles massives, mais qui sont désormais répertoriées.

Nous avons également publié en janvier dernier un rapport qui, pour la première fois, mesure le taux effectif d'imposition des différentes sources d'énergie, en fonction de la valeur énergétique consommée ou des émissions. Les différents schémas montrent aussi le coût des subventions selon les secteurs et les sources d'énergie. C'est un travail très factuel et il vous appartient d'en tirer les conclusions que vous voudrez. Les données collectées montrent que la fiscalité de l'énergie concerne aujourd'hui principalement le secteur des transports, tandis que les installations de chauffage sont très peu taxées et que la production d'électricité fait l'objet d'une imposition très variable selon les pays. Le rapport révèle aussi quelques paradoxes, par exemple le fait que le charbon a un taux d'imposition effectif bien plus faible que le pétrole ou le gaz naturel. De même, les industries de pêche sont systématiquement exonérées dans presque tous les pays de l'OCDE, en contradiction avec les objectifs environnementaux.

Ces données ont le mérite de venir alimenter le débat, il appartiendra au Parlement d'en tirer éventuellement des conclusions.

M. François Marc, rapporteur général. - Ces sujets de la fiscalité des entreprises et de la fiscalité écologique nous tiennent à coeur et vont être l'objet d'évolutions importantes. Nous sommes au début d'un processus qui pourrait conduire à une harmonisation au niveau européen ou du moins à une plus grande intégration fiscale.

Mes questions porteront principalement sur la fiscalité écologique mais je vais auparavant « passer mon BEPS », comme on disait dans l'éducation nationale.

Le rapport que vous nous avez présenté évoque 400 schémas fiscalement agressifs, dont la plupart sont légaux. En d'autres termes, les entreprises ont un temps d'avance sur les législateurs, d'où la nécessité d'un plan global au niveau du lp. Mais au-delà des bonnes intentions avancées, estimez-vous que tous les Etats convergent sur la nécessité de lutter contre l'érosion des bases fiscales ? Et n'y a-t-il pas dans certains pays une tendance au renforcement de l'arsenal anti-abus, au risque d'une complexification du droit fiscal ?

En termes de calendrier, la date de juin 2013 que vous avez citée est-elle réaliste ? Il s'agit de mettre en extinction 3 000 conventions bilatérales et les Etats voudront s'assurer que le dispositif mis en place sera efficace, avant d'abandonner le système actuel, malgré ses imperfections.

D'autre part, votre rapport indique que les pratiques fiscales les plus agressives se situaient dans le domaine de l'industrie. Pouvez-vous illustrer ce point ?

Enfin, pouvez-vous nous expliquer en quoi le projet « BEPS » permettra de mieux encadrer les prix de transfert ?

S'agissant de la fiscalité écologique, avez-vous identifié les « bonnes pratiques » ou les meilleurs instruments fiscaux capables de modifier les comportements ? Et avez-vous étudié la question de l'impact des taxes environnementales sur la compétitivité ? Car il ne faudrait pas qu'une baisse des émissions de carbone se paye au prix d'une dégradation de la balance commerciale et d'une exportation de la pollution.

Concernant le projet de révision de la directive européenne, considérez-vous qu'il va dans le bon sens et quel jugement portez-vous sur le système français de taxation sur le diesel ?

Par ailleurs, vous soulignez que de nombreux pays ont mis en place des subventions aux énergies fossiles. Avez-vous étudié les conséquences économiques et sociales de l'éventuelle suppression de ces dispositifs, considérés comme nuisibles à l'environnement ?

Concernant la mise en place d'un « mécanisme d'inclusion carbone » appliqué aux frontières de l'Union européenne, cette voie a-t-elle été empruntée par certains pays et vous semble-t-elle praticable ?

Enfin, les difficultés du système communautaire d'échanges de quotas d'émission de CO2 plaident-elles, à vos yeux, en faveur d'un recours accru aux instruments strictement fiscaux ? Les mécanismes de marché sont-ils encore pertinents et transposables à d'autres sources de nuisances ?

M. Pascal Saint-Amans. - En ce qui concerne la fiscalité internationale, il y a assurément une volonté commune au sein du G 20 d'aboutir à un plan d'action, y compris de la part des Etats qui pourraient se sentir menacés. Je pense aux Pays-Bas, à l'Irlande...

M. Philippe Marini, président. - ... au Luxembourg ?

M. Pascal Saint-Amans. - Oui, le Luxembourg ou encore la Suisse sont des pays par lesquels passent des montages. Mais ces Etats ont adopté le rapport et le Gouvernement néerlandais, par exemple, n'hésite pas à aborder ce sujet devant son Parlement. Ces Etats ont conscience des problèmes que pose l'érosion des bases fiscales, en mettant en danger la capacité des territoires à attirer des activités économiques.

George Osborne, chancelier de l'Echiquier, expliquait ainsi à Moscou, lors d'une conférence de presse, que le Royaume-Uni souhaitait avoir le système le plus compétitif possible, en réduisant le taux de l'impôt sur les sociétés, mais qu'il désirait que les entreprises acquittent effectivement l'impôt.

Il y a donc bien une volonté d'agir. L'accord sur le diagnostic permettra-t-il d'aboutir à un accord sur le plan d'action ? Je ne peux pas me prononcer, ce sont les Etats qui décideront jusqu'où ils sont prêts à aller.

M. Philippe Marini, président. - Pouvez-vous nous préciser le processus décisionnel ?

M. Pascal Saint-Amans. - Le G 20 a demandé à l'OCDE de présenter un plan d'action sur ce sujet. Concrètement, trois groupes de travail ont été mis en place pour traiter des différentes questions, au niveau des fonctionnaires. Par exemple, c'est la directrice de la législation fiscale qui y participe pour la France. Ces groupes ont adopté un fonctionnement plus souple que la pratique habituelle : les échanges se font par voie électronique ou conférences téléphoniques, pour des raisons de coût comme de rapidité. Ces échanges n'engagent pas les Etats, afin de laisser libre cours aux idées. Ils aboutiront à des notes qui seront fusionnées dans un plan d'action global et cohérent, au niveau du bureau du comité des affaires fiscales, auquel s'agrègeront les présidents des différents groupes de travail.

C'est ce plan qui sera soumis au comité des affaires fiscales, où siègent les représentants des Etats et où il faudra atteindre un consensus. Je rappelle à cet égard que l'OCDE fonctionne non pas sur l'unanimité - système dans lequel tout le monde doit dire « oui » - mais sur le consensus - où, plus simplement, personne ne doit dire « non ». Si le consensus est atteint, tout les Etats seront engagés, sinon seuls le seront les Etats ayant accepté le plan. Celui-ci sera ensuite présenté au G 20 par le secrétaire général de l'OCDE.

M. Philippe Marini, président. - Si, au stade de la fusion des notes, le représentant d'un Etat exprime son désaccord, le processus est-il bloqué ?

M. Pascal Saint-Amans. - Non, au stade des groupes de travail, les Etats ne peuvent pas bloquer le processus. Ce serait le cas échéant au niveau du comité des affaires fiscales. Mais c'est le travail de l'OCDE de trouver les solutions diplomatiques et techniques pour que cela ne se produise pas. Et les Etats qui ne seraient pas satisfaits par le plan d'action conservent la possibilité de s'abstenir. Enfin, le comité peut faire remonter la question au niveau du Conseil de l'OCDE, qui est l'instance de gouvernance ultime de l'Organisation.

Pour illustrer le processus, on peut reprendre la question des conventions multilatérales, dont l'objet d'ailleurs ne sera pas « d'écraser » les conventions bilatérales existantes, souvent élaborées sur des modèles de l'OCDE, dont le coeur de métier reste d'empêcher les doubles impositions. Disons qu'elles pourraient simplement « écraser » certaines de leurs dispositions - comme la définition des établissements stables par exemple. La définition de ce modèle pourrait prendre entre douze et dix-huit mois, mais il appartiendra ensuite aux Etats de décider si les signer ou non. Il s'agit plus d'une obligation morale que juridique - un « droit mou ». Mais je ne pense pas qu'il faille sous-estimer l'efficacité des obligations morales.

Pour conclure sur cette question, je ne peux pas vous dire qu'un accord sera atteint, mais je répète que le diagnostic est partagé et qu'il existe une volonté d'aller dans cette direction. En abordant les aspects concrets, des oppositions apparaîtront peut-être, et c'est alors la volonté politique qui fera la différence.

S'agissant des 400 schémas fiscaux agressifs, dont je souligne que beaucoup sont illégaux, ils n'ont évidemment pas vocation à être publiés, mais sont utiles aux services fiscaux des Etats, qui peuvent modifier leur législation en conséquence.

On ne peut pas dire qu'il y ait un secteur particulièrement exposé ; ils le sont tous, l'industrie comme les services, dès lors qu'ils ont accès aux outils internationaux. L'économie numérique est un peu à part, du fait de son mode opérationnel...

Concernant les prix de transfert, c'est un des points fondamentaux du futur plan d'action. Depuis vingt ou trente ans, le profit ne se situe plus dans la chaîne de valeur au niveau des usines, mais désormais dans ce qu'on appelle « les incorporels ». C'est ce changement qui permet des pratiques fiscales agressives en se servant des prix de transferts.

Sur la fiscalité écologique, on observe qu'elle parvient à des résultats importants en termes environnementaux. La Suède par exemple a mis en place une fiscalité environnementale exemplaire ; le Danemark également, avec une fiscalité assez forte. Ce qui n'empêche pas ces deux pays d'être parmi les plus compétitifs de l'OCDE.

Concrètement, le rapport montre bien que pour être efficace, il faut rapprocher la fiscalité du polluant. Ainsi, par exemple, la fiscalité sur les carburants est plus efficace que la fiscalité sur les véhicules énergivores. Certes, dans ce cas le nombre de véhicules vendus peut diminuer, mais cette baisse peut être compensée par une utilisation plus intensive. Et une fois le véhicule acheté, on ne peut plus influer sur le comportement de son propriétaire. A l'inverse, en intervenant sur le carburant, le contribuable est incité à adapter son comportement en empruntant par exemple les transports en commun ou la bicyclette.

M. François Marc, rapporteur général. - Le propriétaire d'un 4x4 est souvent insensible au prix du carburant...

M. Pascal Saint-Amans. - Notre analyse économique repose sur l'idée que le signal prix est efficace. Il est en tout cas plus efficace s'il se situe au niveau du polluant et non à l'étage au-dessus, au niveau du véhicule. Il faut également que son montant soit bien calibré, afin de refléter correctement l'externalité négative.

Vous m'avez demandé si la fiscalité écologique avait comme objet de détruire sa base. Il y a certes un risque, mais je dirais plutôt que non : elle peut faire diminuer sa base, mais pas la faire disparaître. Ainsi, on aura toujours besoin de carburant. Ce qui permet d'envisager un niveau de fiscalité élevé.

À ce titre, pour reprendre des éléments du rapport précité sur les niveaux effectifs d'imposition, les recettes fiscales environnementales ne représentent en France que 1,9 % du PIB, contre 4 % par exemple pour le Danemark.

M. Francis Delattre. - Et en Norvège ?

M. Pascal Saint-Amans. - En Norvège c'est un peu moins, autour de 2,5 % du PIB. Au Mexique c'est l'inverse, le taux est négatif : l'utilisation d'énergie fossile est subventionnée, avec des conséquences désastreuses sur l'économie et l'environnement.

Concernant l'impact de la fiscalité écologique sur la compétitivité, je rappelle que sa mise en place peut s'accompagner d'une diminution de la fiscalité sur le travail par exemple, ce qui pourrait, au final, améliorer la compétitivité.

Globalement, il ne faut pas surestimer cet impact, contrairement à ce que disent les industriels. Il est très localisé sur le secteur de la production d'électricité notamment. Mais la France n'est que peu exposée à ce risque, du fait de la part du nucléaire et de l'hydraulique dans son « mix électrique ». De plus, cette production énergétique reste fondamentalement locale car l'électricité se transporte mal et à un coût élevé. Une éventuelle hausse de la fiscalité ne se traduirait donc pas par des délocalisations mais par des hausses de prix, ce qui serait l'effet recherché. Les plus exposés seraient cependant les industries électro-intensives, comme la production d'aluminium, ou celles particulièrement exposées à la concurrence internationale.

S'agissant de la proposition de révision de la directive énergie, nous pensons qu'elle va dans le bon sens en introduisant une composante « émissions de CO2 ». Le signal prix envoyé serait plus pertinent.

Au sujet de la fiscalité française sur le diesel, je relève que celle-ci est inférieure de 40 % à celle sur l'essence, par unité d'énergie consommée ou par carbone émis. C'est une distorsion préoccupante au regard des externalités négatives du diesel, et qui se traduit en tout cas par l'importance du parc de véhicules diesel français.

Enfin, s'agissant du choix entre instruments fiscaux et mécanismes de marché, il faut préciser les différences de ces deux outils : dans le premier cas, les pouvoirs publics fixent le prix et le marché fixe le volume ; dans le second, ils fixent le volume quand le marché fixe le prix. Dans le cas du système communautaire d'échange de quotas, le volume a été fixé avant la crise de 2008, et donc à un niveau trop élevé, ce qui se traduit par un prix trop faible d'à peine 5 euros la tonne. J'ai personnellement une préférence pour l'outil fiscal, mais demeure la difficulté à déterminer son montant, et donc le coût de l'externalité.

M. Philippe Marini, président. - Merci pour ces réponses, Monsieur le directeur. Vous avez évoqué le Mexique, cas unique au sein de l'OCDE pour ce qui concerne l'ampleur de ses subventions à la consommation d'énergie fossile. Cela dit, en dehors du « club des riches » qu'est l'organisation, de tels comportements sont plus fréquents. Ainsi, en Egypte, pays où s'est rendue une délégation de la commission l'année dernière, pas moins d'un tiers du budget national est consacré à de tels usages. Cela se retrouve d'ailleurs dans le niveau de pollution de l'air d'une ville comme Le Caire, qui se répand ensuite hors des frontières égyptiennes...

M. Jean-Paul Emorine. - Ayant suivi, à la commission de l'économie, les travaux du « Grenelle de l'environnement », je pense que nous devons taxer les activités polluantes tout en restant attentifs à la question cruciale de la compétitivité.

Sur ce dernier sujet, je note qu'en France les prélèvements obligatoires représentent environ 45 % du PIB. Et, par rapport à ce que l'on observe dans des pays comparables au nôtre, les dépenses administratives sont plus élevées chez nous d'environ 12 % du PIB. Le rapport de Louis Gallois et celui de la Cour des comptes ont pointé cette difficulté. Vous-même, n'y voyez-vous pas un handicap majeur pour la compétitivité française ?

M. Richard Yung. - J'aurai deux questions, chacune en lien avec l'un des thèmes développés par Monsieur Saint-Amans.

Tout d'abord, je m'interroge sur la notion de « paradis fiscal » et son évolution au fil du temps. L'OCDE a établi des listes de pays selon leur degré de transparence, Etats et territoires pouvant ainsi être « noirs », « gris » ou « blancs ». Or il me semble que désormais seuls huit Etats sont encore ainsi « montrés du doigt ». Faut-il en conclure que tous les autres ont été convertis à la transparence ? Et comment définissez-vous un paradis fiscal ?

Ensuite, sur l'environnement, je crois que l'exploitation des gaz de schiste fait l'objet d'importantes subventions aux Etats-Unis, ce qui allège de beaucoup la facture des groupes pétroliers. Pourriez-vous nous préciser si la rentabilité des gisements de gaz de schiste outre-Atlantique dépend de l'octroi de telles aides ?

M. Jean Germain. - Devant le brillant exposé de Monsieur Saint-Amans, je me trouve à la fois admiratif d'un point de vue intellectuel mais gêné politiquement.

En effet, lutter contre l'érosion des bases de l'impôt sur les sociétés est sans doute très bien mais, a minima, il faudra du temps pour parvenir à des résultats et il est même probable qu'au bout du compte, nous n'y arrivions pas - ce qui nourrit le désabusement de nombreux Français au regard de ce que deviennent l'Europe et le monde.

A côté de cela, la fiscalité environnementale frappera sans difficulté sa cible, c'est-à-dire, pour forcer le trait, le pêcheur breton qui travaille dur pour gagner peu et qui verra, à côté de lui, l'armateur néerlandais vendre son excédent de quotas carbone sur le marché européen. Quelque part, on en revient à la taille et à la gabelle !

Je me permets d'insister ; alors que l'industrie allemande utilise à plein le charbon - énergie polluante s'il en est - afin de faire tourner ses usines à prix réduit, songeons à l'amertume et à la colère de ce pêcheur breton que l'on voudra taxer après l'avoir traité de « profiteur ». Si nous ne voyons pas monter cette colère, nous irons dans le mur !

M. Philippe Marini, président. - Or nous le savons bien, la taille et la gabelle peuvent conduire à la révolution...

M. Éric Bocquet. - Monsieur Saint-Amans, lorsque, l'année dernière, la commission d'enquête du Sénat sur l'évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, dont j'étais le rapporteur, vous a reçu, vous nous aviez parlé de 350 schémas d'optimisation fiscale utilisés par les entreprises. Vous en êtes à présent à 400. Faut-il en conclure que de nouvelles pratiques sont mises au jour ? D'autre part, un pays comme la France utilise-t-il votre inventaire ? Et, même si l'on comprend bien que vous ne souhaitiez pas énumérer publiquement ces pratiques, les parlementaires pourraient-ils en avoir connaissance afin, si nécessaire, de pouvoir améliorer la loi ?

Par ailleurs, vous aviez exprimé devant la commission d'enquête votre scepticisme quant à l'obligation, pour les groupes multinationaux, de transmettre une comptabilité détaillée pays par pays. Votre position a-t-elle évolué depuis lors ?

Enfin, la France, l'OCDE ou encore le Groupe d'action financière (GAFI) disposent chacun de leur liste de paradis fiscaux. Ne serait-il pas possible d'en harmoniser la définition ?

M. Yvon Collin. - Merci pour votre éclairage précieux sur le BEPS. Vous le savez peut-être, le Sénat s'est récemment penché sur un type particulier d'érosion d'assiette fiscale à l'occasion de l'examen de la proposition de loi du président Marini pour une fiscalité numérique neutre et équitable. Il s'agit sans doute d'une fiscalité d'avenir mais il n'est pas simple d'en définir les contours ni les modalités d'application. Pourriez-vous nous livrer l'état des réflexions de l'OCDE sur ce sujet ?

M. Jean Arthuis. - Je pense que votre exposé, clair et intéressant, montre bien que nous atteignons les limites de notre architecture fiscale dans un monde fondamentalement non coopératif. On le voit bien au niveau de l'Europe : à partir de l'ambition d'harmoniser la définition des bases d'impôt sur les sociétés, l'Union européenne a finalement créé un vingt-huitième modèle, à côté des modèles existants dans les Etats membres, qui ont tous été maintenus.

Pour l'OCDE, la lutte contre l'érosion des bases d'impôt sur les sociétés n'est-elle pas un combat perdu d'avance ? Les multinationales se jouant des pays et des frontières nationales, n'est-il pas préférable de renoncer à taxer la production et de se dire que la fiscalité est une affaire entre l'Etat et ses résidents fiscaux ? Après tout, la fiscalité dite des entreprises est bien, in fine, acquittée par les individus.

M. Joël Bourdin. - Sur le « vieux sujet » des prix de transfert, l'OCDE a-t-elle une idée du manque à gagner lié à cette pratique d'optimisation fiscale pour les Etats membres ainsi que sur la répartition de ce manque à gagner ? Envisagez-vous de créer un observatoire sur cette question précise ?

M. François Fortassin. - L'exposé lumineux de M. Saint-Amans me met un peu mal à l'aise. Il faudra de la pédagogie pour expliquer à nos concitoyens que le secret fiscal a disparu de notre monde.

Quant à la fiscalité environnementale, je comprends, d'un point de vue théorique, qu'il vaut mieux taxer le carburant plutôt que la puissance du moteur. Néanmoins, dans un cas, on taxe les riches qui ont les moyens d'acquérir un véhicule de grosse cylindrée et, de l'autre, on taxe les pauvres, contraints de conserver de vieux véhicules plus gourmands en carburant que les voitures actuelles. Pour ma part, je préfère imposer les riches.

M. Pascal Saint-Amans. - Je remercie les sénateurs pour leur intérêt à mes propos et pour ces questions qui embrassent l'ensemble des deux problématiques.

Je souhaite tout d'abord réagir à la gêne de Monsieur Germain. Vous avez raison, Monsieur le Sénateur, mais ce constat doit nous conduire à l'action et non à l'inaction ! En effet, les technocrates comme moi ne peuvent agir que s'ils sont portés par une volonté politique. Je l'ai dit, pourquoi est-ce difficile de bouger les choses en matière d'érosion des assiettes d'impôt sur les sociétés ? Parce que nous sommes contraints par la souveraineté fiscale, qui existe bel et bien. Dès lors, le réalisme m'amène à constater qu'une chance d'avancer existe à partir de l'OCDE, au sein de laquelle peut émerger un consensus né de l'intérêt de tous à ne pas laisser perdurer la double « non-imposition » que je vous ai décrite, puis du G 20, en raison du poids politique des Etats qui y siègent et de la contrainte qu'ils peuvent exercer sur les autres. La clef, c'est la volonté politique. Donc agissez à votre niveau, c'est votre rôle.

A propos de l'impact social de la fiscalité écologique, j'ai répondu tout à l'heure à la question qui m'était posée, c'est-à-dire « qu'est-ce qui est bon pour l'environnement ? ». A côté de cela, bien entendu, ces impôts auraient également un effet d'un point de vue social et il revient aux autorités politiques d'arbitrer en tenant compte de l'ensemble des paramètres. Néanmoins, laissez-moi revenir sur l'exemple du Mexique, dont les nouvelles autorités souhaitent faire évoluer le modèle. Ce pays compte de nombreuses exonérations de TVA à visée essentiellement sociale. Or on constate que, dans un tel système, il faut donner dix aux riches, qui profitent aussi de ces exonérations, afin de donner un aux pauvres. A partir de là, ce que dit l'OCDE, c'est que les exonérations de TVA ou d'impôts de consommation comparables sont régressives - tout comme la TVA elle-même d'ailleurs. Il vaut donc mieux procéder par des transferts de ressources afin de compenser l'effet de telles réformes pour les plus démunis. Encore une fois, tout cela dépend de vos arbitrages.

Monsieur Bocquet, je vous confirme que le répertoire des schémas d'optimisation fiscale se développe car nous continuons à découvrir de nouvelles pratiques. Je sais que les administrations de pays comme la France ou l'Italie utilisent nos travaux.

S'agissant des paradis fiscaux, je ne saurai en livrer une définition qui ferait autorité. Le rapport de l'OCDE de 1998 se fondait sur quatre critères - absence de fiscalité, de transparence, de coopération fiscale et d'activité économique réelle - ce qui a alors abouti à l'inscription de quarante-et-un pays. Depuis, nous avons vraiment progressé : le Forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements à des fins fiscales, qui compte 120 membres, pratique des « revues par les pairs » qui passent au crible les pratiques concrètes des différents Etats ou territoires. Le nombre d'accord d'échanges de renseignements entre pays est passé, en moins de quatre ans, de quarante à huit cents. La France en a d'ailleurs conclu beaucoup. L'échange à la demande, préconisé par l'OCDE, est devenu une norme ; c'est un vrai progrès, que nous devons souligner. Est-ce pour autant suffisant alors que les Etats-Unis souhaitent généraliser l'échange automatique de renseignements pour ce qui les concerne avec la loi dite FATCA (Foreign account tax compliance Act) ? Nous verrons cela à l'avenir mais, en tout cas, nous progressons.

Pour ce qui concerne les « coquilles vides », certains Etats ou territoires ont contourné nos critères en instaurant une fiscalité très faible, mais qui existe. La démarche dite « BEPS » de l'OCDE ne vise pas à éliminer ce modèle, ce qui ne serait pas compatible avec le concept de souveraineté fiscale, mais à le rendre inopérant en éliminant l'intérêt pour une multinationale de loger ses actifs incorporels sous de tels cieux. Comme je vous l'ai indiqué, nous espérons obtenir un consensus là-dessus.

J'en arrive à l'économie numérique. J'ai pris connaissance avec intérêt du rapport rédigé par Pierre Collin et Nicolas Colin - d'autant qu'il renvoie à des négociations au sein de l'OCDE le soin de donner une définition de l'établissement stable propre à l'économie numérique. Pour ma part, je considère qu'il revient aux Etats de définir une base taxable pertinente et n'ai donc guère de commentaire à formuler. Je me demande s'il ne s'agit pas simplement d'un problème de perception de TVA...

Sur les prix de transfert, je ne dispose d'aucun élément pour répondre à la question de Joël Bourdin. Nous souhaitons, dans un premier temps, collecter des données qui nous permettraient d'en savoir davantage.

Ce dernier point fait écho à la question de l'obligation pour les multinationales de tenir une comptabilité pays par pays. Pour ma part, je constate qu'il n'y a pas de consensus actuellement pour imposer cela aux entreprises même si, sur le principe, un surcroît de transparence est toujours préférable à l'opacité.

Enfin, à propos de la pertinence de conserver un impôt sur les sociétés, j'observe que cette question est débattue dans l'univers académique mais pas au sein des Etats, parmi lesquels émerge un consensus clair en faveur de ce type de taxation.

M. Philippe Marini, président. - Pour ma part, je considère qu'on ne saurait récuser l'impôt sur les sociétés sans nier la valeur ajoutée apportée par l'entreprise du fait de son travail et de son organisation. Or cette valeur ajoutée existe réellement. Dès lors, il est à la fois juste et efficace de la taxer sur une base territoriale.

De manière générale, au terme de cette audition très intéressante, je souhaite saluer le volontarisme de Pascal Saint-Amans. Après tout, si les grands Etats parvenaient à un consensus afin de mettre fin à l'érosion des bases d'impôt sur les sociétés, ce serait un fait politique majeur dont chacun devrait bien tenir compte. Nul ne saurait vivre en marge de toute évolution.

Organisme extraparlementaire - Désignation de candidats

Puis la commission décide de proposer au Président du Sénat la désignation de Mme Michèle André et de M. Albéric de Montgolfier pour siéger au sein du Comité national d'orientation de la société anonyme BPI-Groupe.

Groupe de travail sur les outils fonciers à la disposition des élus locaux - Désignation de membres

Enfin la commission désigne MM. Yvon Collin et Philippe Dallier en qualité de membres du groupe de travail (commun avec la commission des lois et la commission des affaires économiques) sur les outils fonciers à disposition des élus locaux.

Gestion des faillites bancaires - Table ronde

Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission procède à l'audition conjointe de Mme Jézabel Couppey-Soubeyran, conseillère scientifique au Conseil d'analyse économique, MM. Ramon Fernandez, directeur général du Trésor, Mark Venus, responsable des plans de redressement et de résolution à BNP Paribas, et Frédéric Visnovsky, secrétaire général adjoint de l'Autorité de contrôle prudentiel.

M. Philippe Marini, président. - Avec cette table ronde, nous poursuivons la préparation de l'examen du projet de loi sur la séparation et la régulation du secteur bancaire, adopté hier à l'Assemblée nationale et qui sera discuté au Sénat à partir du 20 mars. Richard Yung en est le rapporteur. Après une audition sur la séparation, ou plutôt le cantonnement, il y a trois semaines, nous abordons le titre II du projet de loi consacré au régime de résolution.

Je cède la parole à Ramon Fernandez, que je remercie pour sa grande disponibilité malgré l'étendue de ses occupations...

M. Ramon Fernandez, directeur général du Trésor. - Ce projet de loi entend tirer les leçons de cinq années de crise financières en corrigeant les carences des dispositifs de régulation et de supervision. Il comporte un large éventail de mesures pour préserver le système financier et faciliter le financement de l'économie. Il inclut la création d'une autorité macroprudentielle et d'une autorité de résolution ; il comporte aussi un volet sur la structure des banques, dont vous avez déjà débattu. L'objectif du volet résolution est de renforcer la stabilité financière et protéger les ressources publiques en réduisant la probabilité pour l'État de devoir se porter au secours d'une banque défaillante. Ce régime de résolution est une innovation importante, destinée à éliminer le risque issu du principe too big to fail,  « trop gros pour disparaître », qui oblige les pouvoirs publics à secourir des établissements dont le défaut créerait un risque systémique. Et ce, quels que soient leurs errements. Depuis 2009, la réflexion a été intense, au niveau international, sur ce sujet.

Ce texte met en place un nouveau cadre de gestion et de prévention des crises et crée une autorité de résolution française. L'Autorité de contrôle prudentiel (ACP) devient l'Autorité de contrôle prudentielle et de résolution (ACPR) avec un nouveau collège, doté de pouvoirs étendus en amont comme pendant les crises, et dont la composition est resserrée pour lui permettre d'agir rapidement et de manière confidentielle pour sauver un établissement bancaire.

Son pouvoir de résolution se décompose en une capacité d'action « à froid » et des pouvoirs « à chaud ». A froid, l'ACPR suivra la préparation des plans de rétablissement et des plans de résolution de crise, désormais obligatoires. Ces living wills, ces testaments bancaires consistent à demander aux banques, de manière permanente, de préparer à l'avance les actions à mener en cas de crise, pour ne plus avoir à agir dans la précipitation. Cette innovation importante s'articule avec le volet structure : les obstacles à la résolution d'une crise seront identifiés et levés, et l'ACPR pourra exiger des modifications telles que la filialisation de certaines activités. Elle pourra également demander des modifications de structure financière, faculté qui, dans le cas du Crédit Immobilier de France (CIF), par exemple, aurait évité à l'établissement de s'enfoncer dans la crise...

A chaud, face à une défaillance, l'ACPR disposera du pouvoir de réorganiser l'établissement, de procéder à des cessions d'actifs, ou à l'imputation des pertes sur les actionnaires ou certains créanciers... Sera en l'occurrence concernée la dette junior, ou subordonnée, constituée de titres intermédiaires entre des titres de capital et des titres de dettes, qui sont remboursés seulement après le désintéressement des principaux créanciers. Ainsi les créanciers privés seront mis à contribution, et non la puissance publique. Ce régime est dérogatoire au droit commun de la faillite, inadapté au cas des établissements de crédit.

L'ACPR sera dotée de moyens renforcés : 90 recrutements sont prévus. En outre, le texte met en place un fonds de résolution. Concrètement, le Fonds de garantie des dépôts deviendra le Fonds de garantie des dépôts et de résolution (FGDR) alimenté par des cotisations prélevées sur le secteur financier. L'ACPR pourra mettre également à contribution le secteur financier en cas de défaillance d'une banque. Dans certaines limites bien sûr, pour éviter la contagion aux autres établissements.

Grâce à ce régime complet de résolution, les pouvoirs publics seront mieux en mesure de prévenir et résoudre les crises, sans pour autant intervenir financièrement en première ligne, car il n'appartient pas au contribuable de payer en premier ressort les conséquences d'un défaut bancaire.

Pourquoi dès maintenant des dispositions nationales, alors que l'on attend une directive européenne ? Cette initiative française s'appuie sur les « principes généraux pour la résolution des établissements bancaires » adoptés par le G20 en 2011. Signe de l'actualité de ces thématiques, le ministre des finances et le gouverneur de la Banque de France se sont rendus vendredi à Moscou pour évoquer ces questions lors de la réunion des ministres des finances et gouverneurs de banques centrales. Nous nous inscrivons dans ce cadre international, certes en avance, sans pour autant anticiper sur les points encore pendants de la directive européenne en cours de discussion. Ainsi le projet de loi ne prévoit pas l'imputation des pertes sur l'ensemble des créanciers, mais seulement sur les créanciers juniors, faute de consensus sur ce dossier sensible - ces mesures ne devant d'ailleurs pas s'appliquer avant 2018 dans la rédaction actuelle du texte européen.

De telles dispositions auraient été utiles dans certains dossiers nationaux - j'ai mentionné le CIF - pour intervenir plus en amont. D'autres mesures réglementaires ou législatives devront être prises lors de la transposition de la directive en cours de discussion, mais l'architecture générale du dispositif, inspirée par le droit international, ne devrait pas être remise en cause.

Par la suite il faudra renforcer les ressources du FGDR, actuellement doté de 2 milliards d'euros, pour les porter en 2020 à 10 milliards d'euros, de manière progressive, grâce à des contributions du secteur bancaire.

Enfin ce texte s'inscrit dans le cadre de l'Union bancaire, puisque l'Union européenne entend se doter d'une autorité européenne de résolution et d'un mécanisme européen de financement. La Commission européenne présentera ses propositions à l'été. La France soutient un dispositif ambitieux de prévention et de gestion des crises au niveau européen, une meilleure coordination, et un mécanisme de financement assurant un minimum de mutualisation des ressources. Cela viendra compléter la supervision unique décidée au Conseil Ecofin de décembre dernier, qui est une vraie révolution ! Comme dans le texte français, le renforcement de la résolution et va de pair avec le renforcement de la supervision. Le Gouvernement a le souci d'anticiper sur des réformes en cours en Europe, qui peuvent prendre du temps. Mais il n'y a pas de contradiction, puisque ce qui est fait en France l'est en cohérence avec les projets européens.

M. Philippe Marini, président. - Monsieur Frédéric Visnovsky, comment coexisteront les fonctions de supervision et de résolution au sein de la future ACPR ? N'y a-t-il pas un risque de conflit d'intérêts ?

M. Frédéric Visnovsky, secrétaire général adjoint de l'Autorité de contrôle prudentiel. - Le gouverneur de la Banque de France se félicite de ce texte qui complète la panoplie des moyens à disposition de l'ACP, laquelle deviendra l'ACPR. Dimension préventive et curative pourront tout à fait coexister avec la supervision.

Le projet s'inscrit dans la ligne des travaux du G20 et des instances européennes. L'Autorité bancaire européenne (ABE) a publié en début d'année une recommandation sur l'élaboration des plans de rétablissement. Au sein de l'ABE, nous examinerons prochainement des propositions de standard technique. Des mécanismes de résolution qui font appel au secteur privé existent déjà dans certains pays : aux Etats-Unis, en Allemagne, aux Pays-Bas avec l'exemple récent de SNS Reaal, ou en Espagne, on l'a vu avec le sauvetage de Banco de Valencia. L'industrie financière française est une industrie internationale : les crédits à des contreparties non françaises représentent entre 30 à 70 % selon les groupes. Au passif, caractéristique des établissements français, on note un déficit de dépôts par rapport aux crédits, d'où la nécessité de recourir à des financements de marché : 15 à 30 % des financements à court terme sont en dollars. On ne peut légiférer en occultant cette dimension internationale, certains groupes ayant des filiales importantes sur un ou deux autres marchés nationaux en plus du marché français.

Autre point important : la dimension préventive. Depuis deux ans déjà nous travaillons avec les établissements français, sur la base des orientations internationales et des recommandations de l'Autorité bancaire européenne, à la préparation des plans de rétablissement. Ceux-ci donnent aux groupes bancaires et aux autorités, françaises et étrangères, de connaître la structure du groupe, ses différentes activité et, surtout, les interdépendances. Ils décrivent les options que l'établissement pourrait choisir pour résoudre les difficultés, en fonction de différents scénarios. Des indicateurs sont aussi fixés, qui déclencheront le mécanisme de rétablissement. Le menu d'options, que les groupes doivent définir, est très varié : recherche de capital supplémentaire, cessions d'activités, restructuration de dette, etc.

En outre, l'autorité de résolution et les banques devront établir des plans de résolution, destinés à gérer la crise si le plan de rétablissement s'avère insuffisant. Il s'agit d'identifier les fonctions essentielles garantes de la continuité et du service au client, les interdépendances financières et opérationnelles, les obstacles éventuels à la mise en oeuvre des mécanismes de résolution. Disposer d'un cadre légal est un outil puissant pour l'autorité de résolution.

Enfin l'ACPR disposera de nouveaux pouvoirs de résolution adaptés à des circonstances exceptionnelles, l'objectif étant de minimiser le coût d'une crise pour les finances publiques par l'appel aux créanciers subordonnés. Faut-il appliquer les mêmes mécanismes sur l'ensemble de la dette ? Il y a débat. L'industrie bancaire est internationale ; une évolution de ce type se conçoit dans un cadre coordonné.

Quant à la coexistence de la supervision et de la résolution au sein d'une même autorité, je n'y vois aucun obstacle. La dimension préventive confiée à l'ACPR s'inscrit dans le prolongement de l'action de l'ACP. Le cadre juridique est renforcé et précisé, ce qui est bienvenu. Au-delà d'un certain seuil de bilan, les plans sont obligatoires, mais l'ACPR aura la faculté d'en exiger d'autres établissements. Les outils actuels de l'ACP sont plus limités, même si nous disposons déjà d'un pouvoir d'injonction ou de la capacité de nommer un administrateur provisoire, dans le respect du contradictoire. Désormais un collège spécifique est créé avec une composition resserrée, capable d'intervenir en urgence pour gérer une crise.

Dans l'ensemble le texte nous convient, même si nous pouvons suggérer quelques ajustements techniques.

M. Philippe Marini, président. - Il n'existerait ainsi aucun risque de conflit d'intérêts entre les deux fonctions de la future ACPR ?

M. Frédéric Visnovsky. - Aujourd'hui, le collège de supervision dispose d'un certain nombre de moyens d'action, moins importants. En disposant demain d'un collège spécifique, avec des équipes dédiées, dans le prolongement des équipes actuelles, je ne vois pas où il pourrait y avoir conflit d'intérêts. Il s'agit simplement de renforcer la dimension préventive, qui existe aujourd'hui, et la capacité de l'ACP de gérer les crises. Comme l'a rappelé le directeur général du Trésor, dans plusieurs dossiers ces outils auraient été fort utiles.

M. Philippe Marini, président. - Nous avons la chance d'abriter à Paris le siège du premier groupe bancaire européen, BNP Paribas. Monsieur Mark Venus, comment prenez-vous en compte la dimension internationale dans l'élaboration de votre plan de redressement et de résolution (PRR), votre groupe comportant deux grandes filiales bancaires, BNL en Italie, Fortis en Belgique ?

M. Mark Venus, responsable des plans de redressement et de résolution à BNP Paribas. - Nous comprenons la nécessité de créer des outils de résolution et nous y souscrivons. Le PRR est l'obligation la plus immédiate que le titre II fait peser sur les établissements bancaires. Nous travaillons depuis plus de dix-huit mois à l'élaboration d'un plan, à la demande de l'ACP. Nous en avons soumis deux versions successives à l'ACP et au crisis management group (CMG), qui inclut les autorités des trois pays où nous avons d'importantes filiales. Dès ce stade la dimension internationale a été intégrée.

A la différence de Frédéric Visnovsky, nous pensons que le PRR n'est pas un outil de prévention des crises, qui repose principalement sur les choix de management, le respect des règles prudentielles et le contrôle interne. Le plan de rétablissement constitue plutôt un outil de limitation des dommages une fois la crise enclenchée. L'objectif est de revenir à la normale en six à douze mois. La résolution prend le relais si le rétablissement a échoué, si la banque n'est plus viable, dans le but de limiter les dommages collatéraux infligés au système financier ou à l'économie - disparition de sources de financements, appel à des financements publics... Le premier rempart, néanmoins, est bien la qualité du management et la supervision.

Notre PRR comprend trois volets. Le premier dresse une cartographie des métiers et des entités du groupe, en les croisant. Nous identifions ainsi les entités juridiques clefs pour un métier donné, et les métiers exercés au sein de chaque entité. C'est essentiel, car en cas de résolution, on travaille par entités juridiques.

Le deuxième volet ressemble à un menu à la carte, et non au menu d'une table d'hôtes, car il propose davantage de plats qu'on ne peut en consommer. L'établissement, en coordination avec l'autorité de supervision ou de régulation, choisira les options les plus adaptées aux circonstances.

Dernier volet, la résolution. Des chapitres, plutôt qu'un plan stricto sensu, identifient les fonctions économiques critiques dont l'arrêt brutal provoquerait une contagion à l'économie et aux autres banques. Ce sont des fonctions non substituables : aucun acteur ne pouvant fournir les mêmes services, il faut les maintenir. Puis nous identifions les interdépendances dans le fonctionnement quotidien de l'entreprise, les rouages essentiels à l'accomplissement des fonctions critiques. On n'arrête pas un réacteur nucléaire en coupant le courant, mais en intervenant sélectivement sur certains circuits et en suivant une procédure particulière. Il en va de même ici. L'analyse du fonctionnement de la banque et la distinction entre les circuits qui peuvent être interrompus facilement et ceux qui ne le peuvent pas constitue l'essentiel de ces chapitres.

M. Philippe Marini, président. - En espérant ne pas avoir à construire un sarcophage au-dessus !

M. Mark Venus. - En effet ! L'objectif est de pouvoir se passer du sarcophage de l'argent public.

Les pouvoirs conférés par le titre II sont doubles. Les pouvoirs « à froid » sont nécessaires : il faut éliminer les obstacles à une résolution potentielle. Les living wills ne constituent pas pour autant une fin en soi. Si l'on se sent plus serein après avoir rédigé son testament, on ne déménage cependant pas pour se rapprocher du cimetière et faciliter les futures obsèques ! La gestion de la banque doit plutôt s'adapter à l'économie. Les pouvoirs « à chaud », ensuite, sont des pouvoirs extraordinaires, dérogatoires au droit commun, qui donnent la possibilité, en situation d'urgence, d'exproprier les actionnaires ou de dévaloriser des actifs, au nom de l'intérêt général. Toutefois ces pouvoirs doivent, selon nous, être utilisés uniquement pour les établissements qui présentent un risque systémique, non pour les autres, et ils ne sauraient se substituer aux procédures collectives classiques sans impérieuse nécessité.

Le bail in (renflouement interne) est le pouvoir le plus innovant donné à l'ACPR par le titre II. Il fait la distinction, avec pertinence, entre les actionnaires et les créanciers juniors d'une part, et les autres créanciers d'autre part. Les titres de dette junior contiennent des clauses contractuelles qui précisent qu'ils ne sont remboursés, en cas de liquidation, qu'après les titres senior. En contrepartie de cette prise de risque, le rendement est supérieur. Il est sain d'établir une distinction. Les créanciers juniors et les actionnaires doivent être les premiers à assumer les pertes. La question débattue au niveau européen est de déterminer qui sera ensuite sollicité : les créanciers seniors, un sous-ensemble parmi eux ? Ne nous écartons pas des standards internationaux, attendons sur ce point la directive.

Depuis 2008 la capacité d'absorption des pertes par les banques a progressé fortement : les fonds propres ont doublé, sous l'effet des nouvelles règles du comité de Bâle, ou des nouvelles propositions sur les exigences de fonds propres figurant dans le projet de directive européenne « CRD IV ». Tel est le deuxième rempart, après le management et la supervision. Les outils du titre II constituent le troisième rempart : ils sont importants, mais leur utilisation doit rester limitée aux banques que les deux premiers remparts n'auraient pas protégées.

M. Philippe Marini, président. - Intégrez-vous dans votre plan vos filiales étrangères ?

M. Mark Venus. - Oui, ce plan concerne le groupe dans son ensemble, même si sa mise en oeuvre dépendra de la bonne coordination entre les autorités de résolution des quatre pays du groupe de gestion de crise créé par l'ACP pour BNP Paribas.

M. Philippe Marini, président. - Madame Jézabel Couppey-Soubeyran, pourriez-vous nous éclairer sur les liens entre la sphère financière et la sphère réelle ?

Mme Jézabel Couppey-Soubeyran, conseillère scientifique au Conseil d'analyse économique. - La mise en place d'un régime de résolution, la surveillance macroprudentielle et le renforcement des pouvoirs des autorités de surveillance constituent les points forts du projet de loi, davantage que le titre Ier relatif à la séparation qui, se tenant au milieu du gué, ne peut satisfaire ni les partisans de la séparation ni ses détracteurs.

M. Philippe Marini, président. - Il semble pour le moment satisfaire le Parlement, ce qui est déjà quelque chose !

Mme Jézabel Couppey-Soubeyran. - A mon sens, il est vain de chercher à renforcer la séparation car elle n'est pas un remède à l'instabilité financière. En revanche, ce titre Ier pourrait servir à identifier les activités, les opérations, les combinaisons d'opérations, ou encore les techniques financières qui, dès lors qu'elles ne font pas la preuve de leur utilité pour le financement de l'économie ou qu'elles lui font courir un danger excessif, justifient une exigence prudentielle accrue, une taxe, voire une interdiction. Même si elle difficile, l'analyse de l'utilité sociale des activités est une nécessité.

Cette mission pourrait être confiée au Conseil de stabilité financière en charge de la politique macroprudentielle qui figure au titre III. Dès lors que l'on admet qu'une partie des activités bancaires et financières ne profite plus à l'économie réelle, il est dangereux de se contenter de les isoler dans des entités qui seront moins surveillées au motif qu'elles ne gèreront pas de dépôts. Au contraire, réduisons leur part en élevant leur coût en fonds propres, en liquidités mobilisées ou en impôt. Le renforcement des normes prudentielles et la révision de la fiscalité bancaire importent bien plus que la séparation.

Concernant plus directement le titre II, quatre points me semblent problématiques.

Tout d'abord, les modalités de financement du FGDR ne sont pas précisées. Or, les dispositions actuelles sont insuffisantes : les réserves du fonds représentent environ 1,7 milliard d'euros pour quelque 1 200 milliards d'euros de dépôts, soit 0,14 % de leur montant. La cotisation annuelle des banques est très faible : elle s'élève à 0,07 % des dépôts et rapporte 80 millions d'euros. Il faudrait que le texte précise comment le FGDR se financera. Une disposition fiscale nouvelle, appropriée et pérenne, permettrait seule de constituer une dotation suffisante.

En outre, il n'est pas certain que le Fonds de garantie des dépôts gagne à être refondu dans ce FGDR. Certes, il est utile qu'il puisse y avoir des transferts en cas de besoin. Mais, pour la crédibilité, aux yeux des déposants par exemple, deux fonds valent mieux qu'une fusion ou une confusion.

Troisième point, le plus important : il est temps d'associer l'autorité de la concurrence à la régulation financière afin de contrer les forces de la concentration, hautement préjudiciables à la stabilité du système. Lorsque la résolution passe par un rapprochement entre établissements, elle renforce la concentration et donc les risques systémiques. Le titre II gagnerait même à préciser le rôle de l'Autorité de la concurrence au moment de la résolution et les modalités de sa coopération avec l'ACPR et son collège de résolution. Il y a là matière à amendements.

Quatrième et dernier point : le collège de résolution ne pouvant s'autosaisir, il n'est pas à l'abri des pressions politiques.

Parmi les points positifs du titre II, je retiendrai le plan préventif de rétablissement, disposition prometteuse pour remédier à la complexité des structures capitalistiques des établissements. Le testament est un moyen plus simple que la séparation d'inciter les établissements financiers à filialiser leurs activités.

Je salue aussi la possibilité de recourir à un établissement relais - une bridge bank - qui a fait ses preuves. Il permettra de limiter les ventes en détresse, qui amplifient les difficultés et augmentent le risque de crise systémique.

Dernier point fort du texte : le bail in qui oblige la banque à se sauver elle-même en faisant accepter à ses investisseurs des dépréciations, des annulations ou des conversions de dettes. Ces mesures doivent être étendues à la dette senior, le bail in devenant ainsi la norme ; et le sauvetage par les pouvoirs publics, le bail out, une exception. C'est peut-être un voeu pieux mais il faut sonner la fin d'une partie dans laquelle, pile, la banque gagne, mais face, tout le monde perd.

M. Philippe Marini, président. - Merci pour votre intervention tonique, qui comporte plusieurs questionnements importants et qui nous évite le consensus.

M. François Marc, rapporteur général. - En entendant que BNP Paribas, première banque de la zone euro, avait élaboré un plan de résolution, je me demandais si le législateur avait besoin d'intervenir. Mais, à l'inverse, l'une des banques majeures de notre pays a annoncé ce matin plus de 6 milliards d'euros de perte annuelle. Cela montre la nécessité qu'il y a à anticiper dans le domaine de la supervision bancaire. Oui, la France avance à sa propre allure, même si le Commissaire européen se demande pourquoi nous n'attendons pas la directive.

L'autorité de contrôle et de résolution pourra-t-elle imposer à une banque de transférer à la nouvelle filiale pour compte propre des activités ou des départements afin de faciliter une résolution ? Pourra-t-elle imposer une séparation additionnelle ? Concrètement, comment ces nouvelles règles se seraient appliquées au CIF et avec quel résultat ?

M. Richard Yung, rapporteur. - Je salue un projet de loi qui, c'est une première, instaure un système destiné à faire face aux crises bancaires... sinon nucléaires !

A partir de quel seuil de bilan les plans de redressement et de résolution seront-ils demandés ? Ce seuil sera-t-il le même que pour la filialisation du titre Ier ?

Monsieur Venus, dans la préparation de ces plans, quel est votre degré d'indépendance vis-à-vis de l'équipe de direction de votre banque, qui pourrait être tentée par le refrain bien connu du «  tout va bien » ?

Comment le bail in sera-t-il organisé ? La France ne se singularise-t-elle pas au sein de l'Europe, où l'on est plutôt favorable à l'inclusion de la dette senior dans l'appel aux créanciers ? Dans ces conditions, comment transposerons-nous la directive ?

On évoque le fait que les instruments de bail in pourraient être détenus par des investisseurs institutionnels. Quels seront ces anges merveilleux qui continueront à prendre un tel risque ?

De quels outils disposera le Conseil de stabilité financière du titre III, pour identifier les risques économiques, financiers, et détecter d'éventuelles « bulles » ? Disposera-t-il de ses propres outils ou dépendra-t-il des analyses de la direction du Trésor ou de la Banque de France ?

L'intervention du fonds de garantie pour compenser les errements d'établissements qui partent à la dérive ne constitue-t-elle pas une mauvaise utilisation des 2 milliards d'euros destinés pour l'instant à garantir les dépôts, à hauteur de 100 000 euros par déposant ? Les Allemands ont fait le choix inverse. Cette intégration ne se révélera-t-elle pas gênante lorsque nous devrons fixer des règles au niveau européen ?

Enfin, quelle sera l'articulation avec les projets de directive ? S'il est possible de créer une autorité de résolution européenne, un fonds de résolution européen me paraît plus hypothétique : il exigerait que chacun s'engage, par exemple, à soutenir les banques chypriotes ! Qui sera d'accord ?

M. Philippe Marini, président. - Quid des modalités d'alimentation du FGDR ? La question d'une taxe est posée...

M. François Marc, rapporteur général. - Encore un impôt !

M. Philippe Marini, président. - Que choisir entre la distinction et la fusion des fonds de garantie et de résolution ? Comment l'Autorité de la concurrence peut-elle être associée à la mise en oeuvre d'un plan de rétablissement ? Quid de l'auto-saisine du collège ?

M. Ramon Fernandez. - Nous n'agissons pas dans un cadre isolé, national. Les travaux engagés par BNP Paribas font écho aux démarches du G20 et du Conseil de stabilité financière, qui ont adopté des principes que chaque membre du G20 s'était engagé à transposer avant fin 2012. Les Européens ont un peu de retard. La directive devrait être adoptée au cours du premier semestre 2013, suivie par des dispositions sur la résolution et un texte promis par le Commissaire européen Michel Barnier pour cet été.

Sans attendre le législateur ni les instances européennes, du reste, les régulateurs avaient demandé aux établissements de rédiger des testaments bancaires : car l'effondrement de Lehman Brothers ou celui de Northern Rock ont mis en évidence la nécessité de mieux organiser d'éventuels démantèlements, avant la catastrophe.

Pourquoi ce retard de la directive européenne ? Parce qu'un débat très vif existe au sein de la Commission sur le point de savoir si les créanciers senior doivent ou non apporter leur contribution. Les Pays-Bas, très favorables à cette solution, ne l'ont pas mise en oeuvre lors de la nationalisation récente d'une banque. Cela montre à quel point le sujet est délicat, en particulier en période de crise. La position du gouvernement français est qu'une telle solution ne peut être décidée de façon isolée, car elle entraînerait une stigmatisation préjudiciable au refinancement sur les marchés. En revanche, lorsque dans l'ensemble de la zone euro, au 1er janvier dernier, ont été intégrées des clauses d'action collective pour tous les titres de dette souveraine, il ne s'est rien passé, car tout le monde l'a fait en même temps.

Je ne partage pas totalement l'opinion de Jézabel Couppey-Soubeyran sur le titre Ier mais je n'y reviens pas ici.

Fallait-il prévoir deux fonds au lieu de les fusionner ? La réponse n'est pas évidente. Le projet de directive admet les deux modèles. Un fonds unique est plus efficace ; il est préférable d'avoir une vision globale de ce qui se passe dans les établissements. Il n'est bien entendu pas question que la garantie des dépôts soit affectée par les opérations de résolution. Les ressources du fonds sont actuellement de 2,1 milliards d'euros, l'objectif étant de les porter à 10 milliards à l'horizon 2020, soit 1 % du total des dépôts conformément à la directive. Les ressources devraient continuer à provenir des banques, même si d'autres contributions sont envisageables, je songe à la taxe systémique.

M. Richard Yung, rapporteur. - Pourquoi les Allemands envisagent-il des montants beaucoup plus élevés ? Leur taxe rapportant quelque 600 millions d'euros par an, leur fonds devrait être rapidement porté à plusieurs dizaines de milliards d'euros.

M. Ramon Fernandez. - Nos dispositifs sont très proches et le gouvernement allemand vient d'adopter un texte qui s'inspire beaucoup de nos travaux. Ce n'est pas un hasard : nous nous parlons souvent et cela n'est pas inutile, avant le vote de la directive !

Pourquoi le collège de résolution ne pourrait-il s'autosaisir ? Je ne serais pas contre, mais est-ce utile, dans la mesure où les membres du collège sont aussi ceux qui auront connaissance des éventuelles difficultés ?

Rien n'exclut qu'il y ait des contacts avec l'Autorité de la concurrence. En tout cas, la dimension concurrentielle devra être prise en compte dans la structuration du secteur. En 2009, la France avait demandé que l'on engage une réflexion sur cette question, qui renvoie à celle du too big to fail. Mais nous traitons aujourd'hui de la résolution, qui est un autre sujet. Le Conseil de stabilité financière est l'hériter du Conseil de régulation financière et du risque systémique (Coréfris) que vous aviez instauré dans une loi votée il y a deux ans. La création d'une autorité macroprudentielle est en effet une obligation prévue par la directive CRD IV, qui sera adoptée dans le mois à venir.

Ce conseil s'appuiera sur les travaux de la direction générale du Trésor, de la Banque de France, de l'Autorité des marchés financiers (AMF) et de l'Agence des normes comptables, ainsi que sur des contributions académiques, celles du Conseil d'analyse économique, etc. Il sera présidé par le ministre de l'économie et des finances et j'en assurerai le secrétariat.

M. Philippe Marini, président. - Quelles auraient été les conséquences de ce texte s'il avait été appliqué au CIF ?

M. Francis Delattre. - Et à Dexia ?

M. Ramon Fernandez. - L'ACPR pourrait en cas de risques imposer la filialisation de certaines activités. Le texte a été renforcé sur ce point lors des débats à l'Assemblée nationale. Dans le cas du CIF, l'ACPR aurait pu demander à froid des modifications dans la structure financière de l'établissement. C'est précisément la complexité de celle-ci - reposant à la fois sur un fonds commun de titrisation et une société de crédit foncier - qui a rendu difficile la gestion du dossier. Vous avez cité un autre exemple. Je précise que le texte donnera à l'ACPR le pouvoir de changer les dirigeants qui n'assument pas leurs responsabilités.

M. Frédéric Visnovsky. - Contrairement à Mark Venus, je pense que le dispositif de résolution ne doit pas être limité aux établissements systémiques. Il est essentiel qu'il s'applique à tous !

Je rappelle à Jézabel Couppey-Soubeyran que le gouverneur de la Banque de France a déjà fait montre d'une certaine indépendance politique dans la gestion des crises.

Le bail in renforce la garantie des dépôts puisque la contribution des actionnaires et des créanciers évite de faire appel au Fonds.

Les cinq grands groupes bancaires français représentent environ 1 000 milliards d'euros de financements longs, dont 250 milliards d'euros d'actions, 50 milliards de dettes subordonnées susceptibles d'être sollicitées lors d'un renflouement interne, et 700 milliards de dettes à moyen et long termes dont une partie correspond à des dettes sécurisées. Donc, 50 milliards d'euros de dettes subordonnées pour 250 milliards d'euros d'actions. La capacité d'absorption est loin d'être négligeable.

Le seuil de bilan à partir duquel les plans de redressement et de résolution sont obligatoires sera fixé par décret, l'important pour nous étant la faculté de demander également des plans à des établissements plus petits. La banque est un véhicule qui livre des services à ses clients en roulant sur une route goudronnée. Mais que se passe-t-il en cas d'énorme averse ou de fortes chutes de neige ? En élaborant son plan de rétablissement, chaque groupe se prépare à affronter des conditions difficiles. Les plans des grandes banques sont beaucoup plus complexes ; pour nos cinq plus grands groupes, ils ont été discutés dans des instances incluant d'autres autorités nationales ; et chacune d'entre elle a pu approfondir la situation des filiales qu'elle supervise. Le PRR de BNP Paribas compte plusieurs milliers de pages ; des établissements plus petits élaboreront un plan plus succinct, mais tous pourront être priés de démontrer leur capacité à fonctionner dans des circonstances particulières.

M. Mark Venus. - Avons-nous réellement besoin du législateur, s'interroge le rapporteur général. Oui car il nous faut un cadre homogène et partagé, au minimum au niveau européen, de préférence plus largement. Si tout le monde ne joue pas avec les mêmes règles, cela ne marchera pas. Ce point est essentiel.

Je n'ai pas d'indépendance vis-à-vis de mon management : c'est lui qui m'a confié la tâche de coordonner un travail réalisé dans l'ensemble du groupe. On ne rédige pas un tel document seul dans sa tour d'ivoire ! Nous avons posé à l'ensemble des responsables des diverses entités deux questions : si le groupe le doit, peut-il vendre rapidement votre structure et à quel prix ? Quelles activités vous paraissent devoir être préservées ? Notre travail est réalisé pour le compte du groupe, approuvé par le comité exécutif et le conseil d'administration.

M. Francis Delattre. - Les Allemands ont Volkswagen, les Anglais ont la City et nous avons la bancassurance. Faisons très attention avant de toucher au secteur financier. Ces nouvelles règles venant s'ajouter aux contraintes de Bâle III ne vont-elles pas obérer vos capacités de financement des entreprises ?

La composition de la nouvelle autorité de régulation prudentielle garantit-elle toujours que le contrôle des banques est assuré par la Banque de France, comme c'était le cas avec la Commission bancaire ?

Je vois mal comment, en droit interne comme en droit international, les difficultés d'une filiale ne conduiraient pas à la mise en cause de la maison mère.

M. Éric Bocquet. - N'y a t-il pas un déséquilibre inquiétant entre les 2 milliards d'euros du fonds de garantie - ou même les 10 milliards attendus pour 2020 - et les 750 milliards d'euros de produits dérivés inscrits au bilan de la première banque française, ou encore les 1 000 milliards d'euros injectés par la Banque centrale européenne l'an dernier pour sauver le système bancaire ? Une articulation est-elle prévue avec le Mécanisme européen de stabilité ?

M. Philippe Dallier. - Qui sera chargé des stress tests permettant d'évaluer les plans de résolution ? Les 90 personnes dont le recrutement est annoncé seront-elles suffisantes ? Au final, qui validera les plans proposés ?

M. Jean Germain. - On annonce des dépréciations, chez Crédit agricole S.A, pour 6,5 milliards d'euros, venant s'ajouter aux 2,5 milliards déjà passés en 2012. Or dans le même temps les résultats du groupe s'améliorent grâce aux 3 milliards d'euros de bénéfices des filiales coopératives. Si la loi s'appliquait déjà, la répartition, entre les caisses régionales et CASA, aurait-elle été différente ?

Mme Jézabel Coupey-Soubeyran. - La filialisation permet-elle d'améliorer la stabilité financière ? Non, mais elle réduit la complexité des structures capitalistiques, ce qui facilite la résolution. Imposer des testaments aux banques est un moyen de les inciter à cette filialisation.

Plus les établissements sont grands, plus ils sont systémiques et plus les résolutions sont difficiles à organiser. On se pose même la question, dans les milieux académiques, de savoir si les plans de résolution prévus sont réellement applicables dans un secteur financier français et européen très concentré. Le système américain, lui, porte encore la marque du Glass Steagall Act abrogé en 1999, ce qui certes ne le rend pas plus stable, mais peut-être plus apte à la résolution... Il n'est pas certain que les mesures de séparation souples inscrites dans ce projet de loi réduisent efficacement la taille des établissements. Aussi faudra-t-il sans doute renforcer les obligations prudentielles - car tout n'a pas encore été fait - et surtout jouer sur la fiscalité, dossier que l'on évite hélas soigneusement d'ouvrir.

M. Philippe Marini, président. - C'est un peu paradoxal. Depuis trente ans, on nous explique que le secteur financier français doit se concentrer et vous nous dites qu'il doit aujourd'hui faire l'inverse. Vous semblez regretter la disparition du Comptoir national d'escompte de Paris, de la Banque nationale du commerce et de l'industrie ou de la Banque de Paris et des Pays-Bas.

Mme Jézabel Coupey-Soubeyran. - La concentration excessive de notre secteur bancaire est un vrai problème, pointé par le rapport Liikanen - dont je ne partage pas forcément les conclusions par ailleurs.

M. Mark Venus. - Je peux comprendre cet argument mais j'y répondrai par celui de la diversification. Une banque universelle, présente dans un grand nombre d'activités et de zones géographiques, résiste mieux à une crise survenant dans une de ces activités ou une de ces zones.

Pour répondre à Francis Delattre, BNP Paribas reconnaît qu'il faut un nouveau cadre aux activités bancaires. Bâle III est une contrainte pour toutes les banques européennes, mais qui pèse surtout s'il n'y a pas un level playing field. Nous voulons que tous les compétiteurs jouent selon les mêmes règles !

Pour répondre à Éric Bocquet, il n'est pas nécessaire d'empiler les mesures de protection. Avec le bail in, on peut même se demander quelle sera l'utilité du fonds. Ne cherchons pas non plus à le dimensionner au niveau du sous-jacent. Même dans les pires cauchemars du directeur général du Trésor, les actifs des banques auront toujours une valeur ! Je rappelle que la réglementation européenne, à la différence de l'américaine, nous oblige à comptabiliser les produits dérivés en valeur brute, alors que c'est la valeur nette qui importe - et elle est de loin inférieure aux 750 milliards d'euros.

M. Francis Delattre. - Le financement des entreprises sera-t-il affecté ?

M. Mark Venus. - Bien que le financement de l'économie soit la fonction première des banques, nous sommes obligés de nous conformer à des règles prudentielles de plus en plus contraignantes, qui pèsent sur la taille de nos bilans.

M. Frédéric Visnovsky. - Que Francis Delattre soit rassuré, tout comme l'ACP, l'ACPR sera adossée à la Banque de France.

M. Philippe Marini, président. - C'est une filiale...

M. Frédéric Visnovsky. - L'augmentation des fonds propres des banques n'a pas en elle-même entraîné une diminution de la distribution de crédits. La période a été marquée par une crise économique, mais c'est un autre problème.

Depuis 2004, nous organisons des stress tests semestriels ; c'est donc une activité courante, complétée en 2008 par les stress tests publics organisés sous l'égide de l'Autorité bancaire européenne. Les tests organisés dans le cadre des plans de rétablissement vont au-delà, ils mesurent la réaction à un choc considérablement plus important, même si la nature des réponses est la même.

Comment se fait-il que le Crédit agricole affiche des pertes, alors que sa situation financière s'est améliorée ? Cela tient tout d'abord à des raisons comptables : lorsque la situation financière d'une banque se détériore, celle-ci paye plus cher ses ressources, la valeur de sa dette diminue, ce qui dégage un profit, certes fictif. A l'inverse, l'amélioration de la situation du Crédit agricole se traduit par une hausse de la valeur de sa dette sur les marchés, et donc par une perte - fictive ! - de 800 millions d'euros... Autre phénomène : celui des survaleurs (ou goodwill), qui sont fonction des perspectives - actuellement revues à la baisse - et qui influent elles aussi sur le résultat comptable mais non sur la situation financière. A ceci s'ajoute, pour le Crédit agricole, l'impact de la cession de sa filiale grecque. A la différence du résultat comptable, le résultat normatif du groupe est donc supérieur à 3 milliards d'euros.

M. Jean Germain. - A vous écouter, il n'y a donc pas de résultat négatif...

M. Philippe Marini, président. - Je suis surpris car, si l'on amortit une survaleur, c'est bien qu'il y a eu appauvrissement du patrimoine de l'entreprise ?

M. Jean Germain. - Le cours de l'action Crédit agricole augmente, la banque distribue des dividendes, ce qu'elle n'a pas fait en 2012, mais on a tout de même annoncé 2 500 suppressions d'emplois dont 850 en France ! Pour moi, tout cela est difficile à comprendre.

M. Frédéric Visnovsky. - Je comprends mais en dépit des pertes comptables réelles, la situation s'est améliorée...

M. Ramon Fernandez. - Merci d'avoir organisé cette table ronde qui a rappelé à quel point la résolution est un élément clé du futur dispositif de stabilité financière. La taille des établissements étant un paramètre important, les banques systémiques globales se verront imposer une exigence de capital supplémentaire pouvant aller jusqu'à 2,5 points - or, toutes nos grandes banques sont considérées comme systémiques globales. Cette exigence de capital supplémentaire sera graduelle en fonction de la taille, afin d'inciter les banques à ne plus grandir. Mais qui eût dit que Northern Rock pût déclencher une crise systémique en Grande-Bretagne ? Il faut appliquer les règles à toutes les banques car la frontière entre les établissements systémiques et les autres est évolutive, incertaine.

Les 2 milliards d'euros du fonds de garantie sont-ils suffisants ? Un lien peut-il exister avec le MES ? Notons d'abord que le dispositif monte en puissance et qu'il est aligné sur la cible européenne fixée à 1 % des dépôts. De plus, le texte donne la capacité au ministre d'appeler ex post auprès des banques des ressources supplémentaires, tout en plafonnant cette possibilité, afin de ne pas provoquer un problème ici pour en résoudre un autre là.

Enfin un dispositif plus général a été prévu, l'adossement ou le back stop (ou encore, pour filer la métaphore automobile de Frédéric Visnovsky, la dépanneuse !) a été prévu : c'est l'intervention du prêteur en dernier ressort, ce fonds européen public qui prête aux Etats pour les aider à recapitaliser les banques, comme en Grèce, en Irlande, au Portugal, ou en Espagne, et qui, peut-être, demain, interviendra directement en recapitalisation des banques ou en soutien d'un mécanisme européen de résolution.

Oui, la France anticipe, tout en s'inscrivant dans un cadre cohérent avec celui qui s'élabore au plan européen et international, et en pesant pour obtenir la mise en place d'une réglementation européenne plus robuste.

M. Philippe Marini, président. - Merci à nos quatre invités.