Mardi 25 février 2014

- Présidence de M. Philippe Marini, président -

La réunion est ouverte à 15 heures 04.

État d'avancement et perspectives d'évolution de l'union bancaire - Audition conjointe de MM. Corso Bavagnoli, sous-directeur des banques et du financement d'intérêt général à la direction générale du Trésor, Frédéric Visnovsky, secrétaire général adjoint de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), Karel Lannoo, directeur général du Centre for European Policy Studies (CEPS), Pierre de Lauzun, directeur général délégué de la Fédération bancaire française, et Mme Laurence Scialom, professeure d'économie à l'Université Paris-X

Au cours d'une première réunion, la commission procède à l'audition conjointe de MM. Corso Bavagnoli, sous-directeur des banques et du financement d'intérêt général à la direction générale du Trésor, Frédéric Visnovsky, secrétaire général adjoint de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), Karel Lannoo, directeur général du Centre for European Policy Studies (CEPS), Pierre de Lauzun, directeur général délégué de la Fédération bancaire française, et Mme Laurence Scialom, professeure d'économie à l'Université Paris-X, sur l'état d'avancement et les perspectives d'évolution de l'union bancaire.

M. Philippe Marini, président. - Je vous prie d'excuser l'absence de notre rapporteur général François Marc, retenu dans son département du Finistère par les obsèques d'un parlementaire exemplaire, Alphonse Arzel. Je poserai ses questions en son nom.

Les auditions de ce matin portent sur l'état d'avancement et les perspectives d'évolution de l'union bancaire. Depuis le Conseil européen de juin 2012, plusieurs étapes importantes ont été franchies : le mécanisme de surveillance unique (MSU) a été adopté à l'automne 2013 et entrera en vigueur progressivement courant 2014. La Banque centrale européenne (BCE) sera, à la fin de l'année, responsable de la supervision de l'ensemble des établissements de crédit de la zone euro, et assurera cette supervision directement pour les plus importants d'entre eux, soit, en France, leur quasi-totalité.

Le lancement d'un superviseur unique s'accompagne d'une sorte d'opération vérité sur le secteur bancaire européen. La BCE procède en effet à une revue de la qualité des actifs bancaires - ou asset quality review - qui mesurera la solidité des établissements et leur résistance aux crises. L'objectif est de « faire sortir les cadavres des placards » où les superviseurs nationaux les avaient peut-être opportunément laissés depuis le début de la crise. Où en est cet exercice ? Que doivent en attendre les banques européennes en général, et françaises en particulier ? Quelles en seront les conséquences pour les établissements jugés trop fragiles ?

Le second volet de l'union bancaire consiste en un mécanisme de résolution unique (MRU), censé encadrer le démantèlement ou la restructuration ordonnée des banques en crise. Les négociations entre le Conseil, le Parlement européen et la Commission portent d'abord sur les procédures de décision. La Commission souhaite jouer un rôle principal. Les États membres entendent conserver certaines prérogatives. Comment garantir la rapidité et l'efficacité du mécanisme ? Quel financement des recapitalisations faut-il prévoir ? Selon quelles modalités les banques alimenteront-elles le fonds de résolution européen, dont la capacité devrait atteindre 55 milliards d'euros ? À quelle vitesse les contributions des différents secteurs bancaires nationaux seront-elles mutualisées ? Si les ressources privées sont insuffisantes, y aura-t-il une garantie publique ?

Ces questions, d'apparence technique, sont politiques et institutionnelles. Les États membres estiment qu'un nouvel accord intergouvernemental est nécessaire. Pour la Commission, un acte de droit communautaire dérivé suffit. L'enjeu reste, pour nous, dans la perspective de l'examen, dès demain, du rapport de François Marc sur la proposition de résolution européenne déposée par Richard Yung, de comprendre dans quelle mesure les évolutions en cours seront de nature à couper tout lien entre risque bancaire et risque souverain, donc à protéger le budget des États membres et la monnaie unique ? En d'autres termes, sommes-nous complètement tirés d'affaire de la crise des dettes souveraines ?

Pour répondre à toutes ces questions, nous entendons Corso Bavagnoli, sous-directeur des banques et du financement d'intérêt général à la direction générale du Trésor ; Karel Lannoo, directeur général du Centre for European Policy Studies (CEPS), qui avait été le premier à proposer de donner une licence bancaire au Fonds européen de stabilité financière, proposition formulée par nos soins dans le projet de loi de finances rectificative de septembre 2011 et devenue position du gouvernement français ; Frédéric Visnovsky, secrétaire général adjoint de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) ; Pierre de Lauzun, directeur général délégué de la Fédération bancaire française ; et Laurence Scialom, professeure d'économie à l'Université Paris-X.

M. Bavagnoli, quels sont les enjeux de ces évolutions ? Quelle est la position française, ainsi que celle des autres États membres sur ces questions ? L'Allemagne et la France ont-elles les mêmes intérêts, les mêmes positions ? La France doit-elle craindre le lourd tribut que ses banques risquent de verser  dont les petites banques allemandes les plus fragiles pourraient être les premières bénéficiaires - une position à fronts renversés, pour ainsi dire ?

M. Corso Bavagnoli, sous-directeur des banques et du financement d'intérêt général, direction générale du Trésor. - Ma première intervention sera brève et laissera certaines questions en suspens en attendant la fin du tour de table. Depuis juin 2012, la mise en place de l'union bancaire est une priorité de l'agenda européen. En mettant fin au cercle vicieux entre risque souverain et risque bancaire, surtout dans les États périphériques de la zone euro, elle est indispensable à la reprise de l'activité économique.

L'union bancaire était déjà en filigrane dans le traité de Maastricht, qui envisageait de doter la BCE, le moment venu, de compétences de supervision. Début 2011, sur les préconisations du rapport de Jacques de Larosière, une autorité bancaire européenne, une autorité européenne des marchés financiers et une autorité européenne des assurances ont été mises en place, et le paquet CRD4/CRR a instauré un corpus unique de règles en matière de surveillance bancaire. Une étape décisive a été franchie en juin 2012, lorsque le Conseil européen a pris une position de principe en faveur de la création de mécanismes de supervision et de résolution uniques, ainsi que de la mise en place d'un système unifié de garantie des dépôts.

Les marchés européens sont, en effet, de plus en plus intégrés, mais la responsabilité de la supervision et de la résolution est demeurée essentiellement nationale. Il était urgent d'agir sur le canal par lequel l'érosion de la confiance des marchés aboutissait à exporter les difficultés de financement aux États souverains, comme ce fut le cas en Espagne avant le Conseil européen de juin 2012. Ce cercle vicieux a conduit à renationaliser les marchés financiers et compliqué, en dernière instance, les conditions de financement de l'économie réelle en périphérie de la zone euro. En juin 2012, les chefs d'États et de gouvernements ont décidé d'autoriser le mécanisme européen de stabilité (MES) à recapitaliser directement les banques de la zone euro lorsqu'un mécanisme de supervision unique (MSU) aura été établi car, dès lors que les ressources des contribuables européens étaient sollicitées, il fallait simultanément créer une responsabilité commune de prévention des risques bancaires.

Sur le fondement du règlement adopté à l'automne 2013, le MSU est en cours de mise en oeuvre, et devrait être opérationnel en novembre 2014. Les responsables de son conseil de supervision ont été nommés. Les chantiers prioritaires seront la revue des actifs conduite par le MSU et les tests de résistance, menés par l'Autorité bancaire européenne. À terme, la BCE sera responsable de la supervision de toutes les banques européennes. Cette supervision sera directe pour les 128 plus grands établissements, qui ne sont pas tous systémiques, représentant 85 % des actifs de la zone euro, et indirecte pour les autres. Le secteur bancaire français, plus concentré que dans les autres pays, sera contrôlé directement à 95 %.

Le deuxième étage du système est constitué du mécanisme de résolution unique (MRU), encore en discussion. Un règlement européen et un accord intergouvernemental sur le transfert et la mutualisation des contributions au fonds unique de résolution formeront sa base juridique. Le Conseil européen a trouvé un accord, le 18 décembre dernier, sur un projet de règlement, et les discussions avec le Parlement européen ont commencé. Son périmètre sera plus large que celui du MSU, car la responsabilité directe de l'autorité européenne de résolution concernera toutes les banques de la zone euro, dès lors qu'elles ont une activité transfrontalière. Le MRU sera administré par un conseil de résolution restreint, afin d'assurer la rapidité de ses décisions, qui associera étroitement les autorités nationales concernées. Les décisions prises seront soumises sur proposition de la Commission européenne à l'approbation du Conseil européen, qui disposera de vingt-quatre heures pour rendre sa décision.

Le fonds unique de résolution européen de 55 milliards d'euros, soit 1 % des dépôts garantis de la zone euro, sera créé au sein du MRU, et financé par les établissements de crédit sur une période transitoire de dix ans. Des compartiments nationaux seront utilisés en résolution, mais de manière dégressive, à mesure que progressera la mutualisation. Au bout de dix ans, le fonds unique, totalement mutualisé, bénéficiera d'un filet de sécurité public européen commun. Le système sera alors totalement fédéralisé.

Ces instruments résultent de compromis, mais il ne faut pas sous-estimer leur ambition. Le champ du MRU est large, ce qui incitera la BCE à étendre celui de sa supervision. Le fonds unique sera opérationnel dès 2015, sa mutualisation progressive et sa capacité, importante, permettra de faire payer au secteur bancaire ses propres crises.

Le mécanisme européen de garantie des dépôts sera le dernier pilier de l'union bancaire. Des progrès importants ont déjà été accomplis, puisqu'une nouvelle directive d'harmonisation sera adoptée en trilogue au printemps, après accord du Conseil Ecofin. Elle unifiera le mode de financement des garanties des dépôts en Europe, et accélèrera le remboursement des particuliers et des entreprises bénéficiaires. À terme, il faudra aller plus loin, et mettre en place une mutualisation de la garantie des dépôts pour tous les États membres participant à l'union bancaire. Cela permettra d'obtenir un même niveau de protection pour tous les déposants au sein de l'union bancaire.

L'union bancaire, qui est un défi considérable a, pour l'heure, fait l'objet de progrès extraordinairement rapides. Il reste à conclure, d'ici au printemps, les négociations sur l'accord intergouvernemental et, avec le Parlement européen, sur le règlement où ce dernier a un pouvoir de codécision, afin que le mécanisme soit opérationnel dès 2015.

M. Philippe Marini, président. - M. Lannoo, l'union bancaire coupera-t-elle tout lien entre risque bancaire et risque souverain ? Vu de Bruxelles, quels en sont les enjeux ? Comment voyez-vous la stratégie des différents acteurs, dont la France et l'Allemagne ?

M. Karel Lannoo, directeur général du CEPS. - C'est un plaisir de m'exprimer devant vous. J'étudie ces questions depuis vingt ans. L'union bancaire est une étape critique pour l'intégration européenne, aussi critique, pour certains, que l'était l'union économique et monétaire. Ce n'est pas faux. L'ampleur de la crise qui a frappé le secteur bancaire imposait de créer urgemment un système plus intégré. La décision n'a été prise qu'en octobre 2013. Donnons à la BCE le temps de réaliser ce travail titanesque. Humainement d'abord : elle a déjà prévu d'embaucher près de 800 personnes. Méthodologiquement ensuite : l'harmonisation des données bancaires, dont les définitions sont encore nationales, sera un chantier majeur. La création de la BCE elle-même a pris cinq années. Si cela ne tenait qu'à moi, je lui donnerais davantage qu'un an pour mettre en place l'union bancaire.

En effet, beaucoup reste à faire. Le marché intérieur fonctionne depuis vingt ans, mais certaines questions n'ont toujours pas été tranchées. L'harmonisation des règles prudentielles n'est pas totale - certaines règles issues de la directive CRD4 unifiant les définitions du capital des banques ne sont connues que depuis août dernier. De même pour les règles de reporting par les banques, ou celles relatives aux prêts non performants ou douteux, dont la définition repose sur la durée d'impayé - trois, six ou neuf mois selon les pays. La BCE ne pourrait harmoniser ces règles unilatéralement, car l'impact sur le cycle du crédit serait trop brutal et pénaliserait les entreprises.

Autre source de difficultés pour la BCE : de nombreuses compétences sont restées dans les mains des États membres, les ratios de capital par exemple. La BCE a affirmé il y a deux semaines que les autorités de régulation nationales participant au MSU devaient la solliciter sur toute mesure prise dans ce domaine : nous verrons comment cela s'applique. Les normes comptables sont également de la compétence des États membres, comme la fiscalité ou la réglementation des prix de transfert. La BCE devra relever le défi d'imposer son système de supervision. Cela durera sans doute un certain temps.

À long terme, l'ambition est de créer une culture européenne de supervision bancaire. Pour ce faire, la BCE constituera des équipes multinationales, afin d'écarter tout risque de biais dans ses contrôles. A raison de quarante ou cinquante personnes par équipe, la supervision de 130 banques sollicitera des effectifs énormes. Là encore, cela demandera du temps.

Avons-nous découplé le risque bancaire et le risque souverain ? Nous avons d'abord renforcé la réglementation sur les fonds propres des banques. Si ces fonds propres ne suffisent pas, le mécanisme de résolution prévoit ensuite une procédure de renflouement - ou bail-in - obligatoire jusqu'à 8 % du passif des banques, ce qui est énorme et n'existe pour l'heure qu'en Suisse. En outre, chaque État membre doit constituer un fonds de résolution national, doté à hauteur de 0,8 % de ses dépôts bancaires. Enfin, le mécanisme de garantie des dépôts disposera également d'un montant égal à 0,8 % des dépôts. Les États membres disposaient déjà d'un mécanisme de garantie, mais il n'était financé, pour certains, qu'a posteriori.

À Bruxelles, les critiques portent essentiellement sur la complexité de la procédure de décision, sur l'insuffisance du fonds et sur le fait qu'il ne sera opérationnel qu'en 2026. Je ne suis toutefois pas inquiet. Le MES fait office de prêteur en dernier ressort. En attendant le MRU, la contagion du risque bancaire au risque souverain n'est pas exclue, mais dans dix ou douze ans, le système sera beaucoup plus intégré et le risque amoindri.

M. Philippe Marini, président. - En somme, et pour paraphraser Lord Keynes, à long terme nous serons tous guéris... M. Visnovsky, à quoi servira, à terme, l'ACPR ? Ne faudrait-il pas réduire ses moyens ? La procédure nationale de résolution créée par la loi de séparation bancaire de juillet 2013 est-elle déjà désuète ?

M. Frédéric Visnovsky, secrétaire général adjoint de l'ACPR. - La compétence de supervision est partagée entre la BCE, qui contrôle directement les grands établissements, et les autorités nationales pour les autres. C'est en effet un grand chantier, mais les travaux préparatoires durent depuis de nombreux mois. Nous pouvons envisager la mise en place de ces mécanismes avec optimisme.

Six chantiers ont été lancés. La gouvernance du dispositif d'abord. Depuis la nomination de sa présidente, Danièle Nouy, le conseil de supervision, qui se réunit tous les quinze jours, a tenu deux réunions et prépare la troisième, prévue ce jeudi. Il est en train d'adopter, comme toute nouvelle structure, son règlement intérieur et le code de conduite de ses membres. Bref, l'organisation fonctionne.

Deuxième chantier : le cadre juridique dans lequel la BCE conduira ses missions. Publié le 7 février, il est en consultation jusqu'au 7 mars. Il définit les pouvoirs de l'institution et ses relations avec les autres acteurs.

Ses compétences étant pour partie partagées, des équipes de surveillance conjointes devront être mises en place. Les moyens de chaque autorité nationale pour le contrôle de ceux des 128 groupes dont elle a la responsabilité ont été évalués. Incidemment, ceux de l'ACPR sont nettement inférieurs à ceux de ses homologues allemand, italien ou espagnol, parfois du simple au double. Ces équipes commenceront à travailler dès le mois d'avril, en fonction d'une méthodologie commune à tous les établissements.

Quatrième chantier, la mise en place des services au sein de la BCE, qui comprendront quatre directions générales : deux chargées de la supervision des 128 établissements directement contrôlés, une chargée de la surveillance indirecte, et une des contrôles horizontaux et transversaux. Près de 770 personnes seront recrutées.

M. Philippe Marini, président. - Sous statut de fonctionnaire international ?

M. Frédéric Visnovsky. - J'ignore quel sera leur statut.

M. Philippe Marini, président. - Il sera sans doute généreux...

M. Frédéric Visnovsky. - Sans doute davantage que celui des personnels de l'ACPR !

Cinquième chantier : l'élaboration des outils nécessaires à ces nouvelles missions, au-delà des exigences méthodologiques. La BCE appliquera les standards de reporting définis par l'autorité bancaire européenne. Les prêts non performants, par exemple, font l'objet d'une définition unique qui s'imposera dans l'ensemble de l'Union européenne, non à la seule BCE. Quant au financement de celle-ci, un projet de règlement sera finalisé d'ici l'été, qui précisera le mode de financement des dépenses occasionnées par l'activité de supervision.

Enfin, d'ici le 4 novembre, seront conduits : l'évaluation prudentielle de l'ensemble des risques des 128 établissements, au printemps ; la revue de la qualité des actifs, afin de « sortir d'éventuels cadavres des placards », mais surtout d'assurer la transparence de l'information disponible au marché pour redonner confiance dans le système bancaire européen ; enfin, les tests de résistance, conduits par l'autorité bancaire européenne. Nous tenons demain une réunion à ce propos, afin d'en définir les modalités. Ces opérations seront menées avec une extrême rigueur et dans le respect des échéances fixées.

Le Gouvernement, en élaborant le projet de loi de séparation bancaire, n'ignorait rien des chantiers en préparation au niveau européen. Si l'ACPR appliquera bien sûr le droit en vigueur, des adaptations seront nécessaires. Le collège de résolution a tenu une première séance ; une seconde, opérationnelle, est prévue début mars. Une direction de la résolution a été créée au sein du secrétariat général. Les plans de rétablissement exigés des grands groupes bancaires français illustrent cette activité de résolution, préventive et curative.

M. Philippe Marini, président. - M. de Lauzun, par quoi se traduiront ces évolutions pour les banques ? Devront-elles accorder plus de temps au contrôle et aux contrôleurs, et donc moins au financement de l'économie ?

M. Pierre de Lauzun, directeur général délégué de la Fédération bancaire française. - La Fédération bancaire française a été d'emblée très favorable à l'union bancaire. La supervision commune est un changement majeur pour les établissements, dont les interlocuteurs seront ceux de la BCE, et non plus de l'ACPR. Au lieu d'être contrôlées par des équipes françaises dans un cadre français, les banques le seront par des équipes de dix-huit pays, et un conseil composé de représentants de ces dix-huit pays.

M. Philippe Marini, président. - Voulez-vous dire que les contrôles étaient plus complaisants dans un cadre franco-français ?

M. Pierre de Lauzun. - Les décisions prises par des équipes moins intégrées au sein d'une structure culturellement homogène seront nécessairement plus formalisées. Notre régulateur n'était à l'évidence pas laxiste, les résultats le prouvent. Le changement principal réside dans la vision paneuropéenne du secteur qui sera ainsi fournie, nécessaire dès lors que nos groupes sont eux aussi paneuropéens.

La revue de qualité des actifs n'est pas une grosse opération, c'est une opération colossale. La définition de méthodes communes, préalable à ce travail gigantesque, sera capitale. Les marchés européens ont chacun leurs caractéristiques. En matière de crédits immobilier par exemple, le taux de sinistralité est négligeable en France car la distribution du crédit est relativement sévère, mais ce n'est pas le cas partout. La méthode harmonisée devra tenir compte de ces réalités variables, sans faire de favoritisme. En toute hypothèse, adopter des planchers ou des plafonds communs risque de fausser l'analyse des situations. Nous ne pouvons, sur ce point, qu'exprimer notre confiance a priori. Cette démarche pourrait avoir le mérite de faire ressortir les problèmes de certains pays, les banques françaises sont confiantes en la matière. Or les mécanismes de résolution ne seront pas nécessairement en place : il est vital que le système européen soit en état d'aider les banques concernées.

En matière de résolution, distinguons deux choses : la directive « renflouement interne des banques » sur le redressement et la résolution n'a rien à voir avec l'union bancaire, elle s'applique aux vingt-huit États membres de l'Union européenne. Elle prévoit une procédure de renflouement interne, ou bail-in, permettant de faire porter les pertes non sur les contribuables, mais sur la banque elle-même, ses actionnaires ou ses partenaires créanciers. C'est une réforme extrêmement positive. Il n'est pas normal que les contribuables interviennent dans le sauvetage d'établissements privés responsables de leur faillite. Nous sommes plus réservés sur le seuil de 8 %. Nous pensons qu'il fallait aller au bout de la logique de renflouement interne en faisant porter sa responsabilité sur les créanciers de la banque en faillite, qui devaient apprécier le risque au moment d'entrer en relation avec elle, plutôt que sur d'autres banques.

Faire intervenir le fonds de résolution précocement imposait de lui conférer une certaine crédibilité. Rapportés aux chiffres évoqués pendant la crise, celui de 55 milliards d'euros peut sembler une somme modeste, mais elle est énorme. Le fonds sera abondé par toutes les banques de la zone. Les nôtres sont sans doute les moins risquées, et ce seront sans doute celles qui paieront le plus.

M. Philippe Marini, président. - Combien ?

M. Pierre de Lauzun. - Je rappelle que nous payons déjà 900 millions d'euros au titre de la taxe systémique, cette taxe fondée sur l'idée que les banques devaient contribuer à leur propre sauvetage par la puissance publique. Si l'on ajoute les contributions au fonds de résolution et au fonds de garantie des dépôts, nous arrivons à une participation située entre 2,7 et 2,8 milliards d'euros par an.

La somme de 17 ou 18 milliards d'euros, qui serait atteinte après dix ans, représente 170 à 180 milliards d'euros de crédits en moins, soit quatre fois le volume que la banque publique d'investissement (BPI) apportera.

M. Philippe Marini, président. - Voilà qui mérite d'être dit ! Une BPI de créée, quatre de supprimées... Cela fait trois BPI en moins !

M. Pierre de Lauzun. - Chacun veut faire payer les banques sans toujours en mesurer les conséquences. Nous aurions préféré un fonds plus modeste, et l'utilisation systématique du renflouement interne, qui épargne le contribuable.

Les modalités de calcul de la répartition à dix-huit pénalisent les banques françaises par rapport aux règles nationales, pour un montant d'environ 3 milliards d'euros, soit 30 milliards d'euros de crédits. Il faut mieux tenir compte des risques et se fonder sur les encours pondérés, comme le recommande, à juste titre, la proposition de résolution de Richard Yung.

Pardonnez-moi d'aligner ainsi les chiffres, mais le secteur bancaire français s'étant révélé le plus stable d'Europe, il serait anormal qu'il soit le principal contributeur au fonds de résolution, en lieu et place de son homologue allemand.

M. Philippe Marini, président. - Mme Scialom, ce dispositif est-il malthusien ? Restreint-il la distribution du crédit ? L'uniformisation européenne des critères de prêt fera-t-elle des gagnants et des perdants ? En France, le crédit immobilier se fait en fonction de la solvabilité de l'emprunteur. Dans les pays anglo-saxons, seule la valeur hypothécaire du bien entre en ligne de compte. Comment unifier ces pratiques ? Tout ceci vise-t-il à rassurer nos concitoyens en édifiant une sorte de ligne Maginot bancaire contre le retour de la crise, ou ces évolutions aboutiront-elles à une réelle consolidation du système ?

M. Jean-Claude Frécon. - Surprenante comparaison !

Mme Laurence Scialom, professeure d'économie à l'Université Paris X. - L'importance du projet d'union bancaire ne vient pas seulement des raisons couramment évoquées : lutte contre la fragmentation de l'espace financier, rupture du lien entre dette souveraine et fragilité bancaire, prévention et gestion des crises bancaires. Il s'agit, avant tout, de compléter l'euro en réparant les graves déficiences qui l'affectent depuis sa création. Ses fondateurs avaient en effet oublié, semble-t-il, que 80 % de la monnaie était émise par les banques, dont ils ont organisé la supervision en appliquant le principe de subsidiarité. Du coup, en période de crise institutionnelle, un euro émis par une banque allemande risque de ne plus être considéré comme de même valeur qu'un euro émis par une banque portugaise, ou grecque. L'union bancaire est susceptible de pallier ces inconvénients, pourvu que les États ne la tronquent pas et acceptent de faire le saut fédéral qu'elle implique.

Elle se met en place par séquences, malheureusement disjointes alors qu'elles devraient être imbriquées, et comporte trois piliers indissociables. La mise en place du MSU, d'abord, ouvre une phase très délicate pour la BCE, qui joue sa crédibilité sur le succès de la revue de qualité des actifs et celui des tests de résistance : elle a été préférée à l'autorité bancaire européenne en raison de l'échec des tests de résistance conduits par celle-ci, qui n'avaient pas empêché l'effondrement du système bancaire irlandais et, chez nous, de Dexia. Il s'agit d'unifier la surveillance des risques en Europe et de réduire les distorsions en mettant le superviseur à l'abri des pressions nationales. Le MSU est donc un puissant instrument de lutte contre la fragmentation de l'espace financier, à condition toutefois que le MRU soit instauré afin d'organiser, en cas de défaillance d'une banque, l'allocation des pertes, et de structurer son renflouement. La rapidité de son intervention sera déterminante pour limiter le risque de contagion. Cela dit, l'accord de décembre 2013 ne donne une idée précise de ce dispositif qu'à l'horizon 2025 : bail-in, fonds de résolution et, uniquement en dernier ressort, argent public. C'est séduisant, mais les risques n'attendront pas 2025 ! Les gouvernements ont souhaité garder la main sur le processus de résolution, ce qui est une erreur majeure car l'objectif du MRU est la réduction des délais, qui réduira fortement les coûts des résolutions. Tous les grands sauvetages de banques se sont effectués en l'espace de vingt-quatre ou quarante-huit heures, entre vendredi soir et lundi matin...

M. Philippe Marini, président. - Sinon, des files d'attentes se forment devant les guichets.

Mme Laurence Scialom. - Et créent surtout un risque de contagion massif ! La prééminence de l'intergouvernemental dans l'accord actuel diminuera la réactivité du MRU, ce qui est fâcheux pour un mécanisme prévu pour faire face à une crise. Il faut maîtriser ses effets redistributifs en l'isolant de toute pression. Le Conseil ne doit donc pas avoir le dernier mot. Le Parlement européen et la Commission ont d'ailleurs protesté contre le dispositif retenu.

Pour l'heure, aucune garantie publique n'a été prévue pour la période qui s'ouvrira avec la fin des tests menés par la BCE, et le bail-in ne sera opérationnel qu'en janvier 2016. Le lien entre les banques et la dette souveraine n'est donc pas rompu... Terra Nova va publier une note proposant qu'une règle de partage des pertes entre tous les États impliqués soit prévue dans les testaments bancaires. Comme l'a écrit Mervyn King, les banques internationales redeviennent nationales quand elles meurent, alors que leur sauvetage bénéficie à tous les pays où elles sont implantées.

L'opacité des groupes bancaires européens est une source importante de conflits juridictionnels, ce qui entrave la résolution des faillites les concernant. Une réforme est indispensable : les groupes bancaires doivent pouvoir être démantelés de manière ordonnée. À cet égard, tout est dit dans le rapport Liikanen remis le 30 janvier 2013 à Michel Barnier. Les filiales implantées à l'étranger doivent pouvoir être séparées en quarante-huit heures au maximum pour réduire les risques de contagion au sein d'un groupe. Une telle règle existe en Nouvelle-Zélande, par exemple. Les filiales doivent donc être en mesure d'assurer, indépendamment de la maison-mère, le fonctionnement des systèmes d'information, l'accès aux moyens de paiement et aux dépôts. Un système d'assurance des dépôts fédéral est également nécessaire.

M. Philippe Marini, président. - Plus il y a de fonds propres cantonnés, moins la banque peut accorder de crédits.

Mme Laurence Scialom. - C'est très discuté. De nombreuses études montrent le contraire. Ainsi, selon Martin Hellwig, une meilleure capitalisation des banques accroît le volume de crédit. Une part du rationnement du crédit vient du fait qu'une banque est universelle : les travaux de Boot et Ratnovski, ceux de Posner, montrent que le fait de coupler activités de marché et activités de crédit aboutit à une allocation sous-optimale pour la société. Les activités de marché évincent les activités de crédits, notamment dès lors que prévaut une règle de pondération des actifs par les risques. Une véritable filialisation pourrait comporter des règles de capitalisation séparées qui ne pénaliseraient pas le financement des PME.

M. Philippe Marini, président. - Je donne la parole à Richard Yung, qui a été rapporteur de la loi de régulation bancaire et financière, et est à l'origine de plusieurs résolutions européennes sur ce sujet.

M. Richard Yung. - Saluons d'abord le progrès formidable accompli. C'est la réponse à la crise de 2008. Le Parlement européen a raison de dire que la dimension intergouvernementale est malvenue dans le dispositif. Mais il faut être réaliste : l'accord a été signé, nous ne pouvons guère que l'aménager. Il répond à une demande de l'Allemagne, qui souhaitait que le Bundestag soit saisi. Du coup, le Sénat le sera aussi !

M. Philippe Marini, président. - Merci au Bundestag !

M. Richard Yung. - Laurence Scialom a critiqué le rôle du Conseil dans le dispositif. Remarquons toutefois que les États sont, jusqu'en 2026, garants du système. Il est donc normal que les ministres des finances aient leur mot à dire. Éventuellement, leur poids pourrait être diminué à mesure que le fonds se constituera...

Un délai de dix ans semble, pour beaucoup, une manière de botter en touche. Pourquoi ne pas accélérer la mutualisation, sans toucher au rythme de contribution ? Est-ce possible ? Il est paradoxal que la France doive payer davantage que l'Allemagne : 15 ou 16 milliards d'euros contre 11 milliards d'euros. Cela résulte du choix d'une clé de répartition reposant sur le nombre de capitaux de renflouement. Or, plus une banque en a, plus elle peut participer au renflouement ! Un meilleur critère serait celui des risques pondérés. Y a-t-il une chance pour qu'on y revienne ?

Il n'y a pas, pour l'heure, de garantie publique ultime de recapitalisation des banques, car l'Allemagne refuse que le MES soit utilisé. Que faire ? Faut-il donner une capacité d'emprunt, garantie par les États, au MRU ?

M. Francis Delattre. - Michel Barnier déclare fréquemment que la Commission a des problèmes avec certains États, dont la France. En particulier, la France s'oppose à son projet de renforcement des séparations entre banques d'affaires et banques de dépôt. Pourtant, il s'agissait d'un des engagements forts du Président de la République. Que pensez-vous de ce projet ? A-t-il une chance d'aboutir ? La loi rapportée par Richard Yung a renforcé le conseil de résolution, au détriment - quoi qu'on en dise - de la Banque de France, qui se trouve ainsi remplacée par quatre ou cinq hauts fonctionnaires, auxquels reviennent de très importants pouvoirs : recapitalisation, restructuration, et surtout utilisation du fonds de garantie des dépôts. Un système européen de ce type est-il à l'étude ? Le fonds de garantie doit monter en puissance. Quelle est la destination finale des sommes qu'il rassemble ?

M. Philippe Marini, président. - Je vous pose à présent les questions préparées par François Marc, rapporteur général

La recapitalisation directe des banques en difficulté par le MES a été au coeur de l'actualité lors de la crise espagnole. Une modification du traité est-elle nécessaire ? Quelles sont les positions respectives de la France et de l'Allemagne à cet égard ? Le fonds de résolution, au sein du fonds de garantie des dépôts, a été alimenté, selon la loi de séparation et de régulation des activités bancaires de juillet 2013, à hauteur de 500 millions d'euros en 2013. L'Allemagne, elle, dispose d'un fonds spécifique de résolution créé en 2011 et dont le montant atteint 1,8 milliard d'euros. Comment s'articuleront le fonds français et le fonds européen ? La France va-t-elle mutualiser une partie du fonds de garantie des dépôts et de résolution ? La mission du fonds français est-elle déjà dépassée ? Par ailleurs, les montants de contribution des banques au fonds de résolution évoqués par Pierre de Lauzun correspondront-ils à une perte fiscale pour l'État, qui contribuerait ainsi, en quelque sorte, à ces versements ? Faut-il faire contribuer davantage les banques présentant les risques les plus importants ?

J'ajoute, pour ma part, une question sur les procédures en cours : comment les dossiers de Dexia et du Crédit immobilier de France vont-ils être traités ? Seront-ils soumis à la procédure de résolution unique ? Quid des dossiers analogues dans d'autres pays ?

M. Corso Bavagnoli. - Le Parlement européen s'interroge aussi sur l'opportunité d'accélérer la montée en puissance de la mutualisation au sein du fonds unique de résolution. La France n'y est pas opposée, d'autant que cela n'irait pas forcément de pair avec une augmentation du rythme des contributions.

Deux paramètres existent pour déterminer la contribution des banques : leur taille, et le risque qu'elles présentent. La France estime que le second, exprimé par la pondération par les risques au sens des Risk Weighted Assets (RWA) des banques, est le plus important.

Les chiffres avancés par la Fédération bancaire française cumulent garantie des dépôts et fonds de résolution, et il est trop tôt pour prévoir le résultat des discussions sur le règlement, mais nous veillerons à ce que les contributions soient proportionnées à la taille de notre secteur bancaire et aux risques qui pèsent sur lui.

Le ministre avait annoncé, lors des débats sur la loi bancaire, que la France se doterait d'un fonds de résolution doté de 10 milliards d'euros d'ici 2020. Le sujet des contributions bancaires était donc déjà sur le table et accepté. La question est aujourd'hui de savoir s'il faut aller plus loin dans le montant et si l'équilibre entre les différents États européens est respecté.

J'insiste sur le fait que, contrairement à ce qui a été dit, un mécanisme est prévu avant 2025. La France plaide depuis longtemps pour que le MES puisse procéder à des recapitalisations directes. Un projet en ce sens sera finalisé début mars, qui devra être ratifié par les États. En Allemagne, un vote du Parlement sera nécessaire. Il s'agit d'un élément essentiel de séparation entre risque souverain et risque bancaire.

La France a choisi de fusionner garantie des dépôts et fonds de résolution. Ce n'est pas le choix européen, car les Allemands se sont opposés à la mutualisation de la garantie des dépôts. Il nous faudra donc dissocier les deux. Le fonds de garantie des dépôts restera donc national, tandis que le fonds de résolution sera le compartiment français du fonds de résolution unique, avec lequel il sera progressivement fusionné. Il y aura donc bien deux fonds.

La France estime qu'une modification du traité n'est pas nécessaire : l'article 19 du traité sur le MES permet déjà la création de nouveaux instruments.

M. Philippe Marini, président. - Les Allemands ne sont pas de cet avis !

M. Corso Bavagnoli. - Il y a en effet une discussion sur ce point, mais nos arguments sont solides. S'agissant des banques actuellement en restructuration que vous avez évoquées, les procédures de résolution ont été lancées avant que les règles nouvelles, notamment de bail-in, n'entrent en vigueur ; elles continueront donc de se poursuivre selon les règles en vigueur au moment de leur mise en place.

M. Karel Lannoo. - Dans sa communication de juillet, la Direction générale de la concurrence a indiqué que toutes les règles, notamment le bail-in, seraient appliquées, même si elles ne sont pas complètement entrées en vigueur.

La séparation des banques les fragilise. D'après nos études, les banques universelles et diversifiées, financées par des dépôts, comme BNP Paribas ou Santander, sont celles qui résistent le mieux aux crises. Les banques les plus fragiles sont celles qui, comme Northern Rock ou certaines caisses d'épargnes espagnoles, sont spécialisées sur certains types d'actifs, ou les banques d'investissement uniquement financées sur les marchés. De plus, en séparant les fonds propres, la séparation rend plus difficile l'intervention du superviseur en vue d'un renforcement de ces derniers.

La garantie des dépôts restera nationale, je crois. Le cas des grandes banques transfrontalières, notamment, n'est pas réglé.

Le ratio de levier n'est pas encore disponible. Aujourd'hui, on mesure donc l'actif selon le risque qu'il présente. L'inconvénient de ce système est que, lorsque les grandes banques utilisent leur propre modèle de calcul des risques, elles peuvent réduire le capital nécessaire par rapport à un modèle de calcul standard : les banques européennes ont ainsi un capital qui représente 33 % de ce qu'il devrait selon un modèle standard, contre 58 % pour les banques américaines. Il est donc urgent d'introduire un ratio de levier.

M. Frédéric Visnovsky. - La loi bancaire a fixé un bon équilibre dans la séparation des activités spéculatives de celles de tenue de marché. L'ACPR contrôlera la mise en oeuvre de ses textes d'application. Michel Barnier propose d'aller jusqu'à séparer des banques les activités de tenue de marché. Cela aurait un impact sur le financement de l'économie.

M. Francis Delattre. - Je suis bien d'accord !

M. Frédéric Visnovsky. - Aussi n'approuvons-nous pas cette proposition. Les cadres nationaux actuels suffisent. La réglementation prudentielle, d'inspiration anglo-saxonne, pousse au financement de marché. Si les banques ne peuvent pas accompagner les entreprises dans la recherche de ces financements, cela posera un problème de cohérence.

Mme Laurence Scialom. - Le critère du RWA n'est pas bon : la plupart des banques qui ont fait faillite respectaient parfaitement leurs ratios de capitalisation au sens des RW, à tel point que la FSA britannique a autorisé la Northern Rock à utiliser un modèle avancé ! Toutes, en revanche, avaient un ratio de levier simple excessivement élevé. Il faut donc se fonder sur ce critère, couplé avec un critère de taille, pour calculer les contributions des banques au fonds. De nombreuses études montrent que le critère de RWA est manipulable. Ce critère pose aussi le problème de la valorisation des portefeuilles de dérivés.

J'espère que dans la revue de qualité des actifs, la BCE testera aussi la qualité et la soutenabilité du passif. Les crises de solvabilité sont venues de crises de liquidité.

Réformer la structure des banques est la seule manière de rendre crédible le MRU. Des banques universelles, dont le bilan dépasse parfois le PIB du pays où elles sont implantées, ne peuvent faire l'objet d'une résolution rapide si elles ne sont pas filialisées.

La séparation entraînerait des coûts supplémentaires, certes. Mais il ne faut pas vouloir, à tout crin, baisser le coût du crédit. La crise est venue d'un excès d'endettement. L'enjeu est de s'assurer que les risques sont bien discernés. Or, dans nos cycles financiers, lorsque les bulles se créent, les prix baissent pour tous, et pendant les crises, ils s'élèvent aussi pour tous, sans discrimination. Le risque a un coût. Si celui-ci est trop bas, cela signifie que des subventions implicites font baisser son prix. Qui les paie ? Vous et moi.

M. Philippe Marini, président. - Le système financier français, avec ses grandes banques universelles, a bien résisté à la crise, grâce aux leçons tirées des épisodes des années quatre-vingt-dix et à une législation protectrice. Or, il semble que les banques françaises doivent être les principales contributrices au système fédéral que vous nous décrivez avec enthousiasme.

M. Pierre de Lauzun. - Mes chiffres sont ceux de la Commission européenne. Certes, la négociation n'est pas achevée, mais nous savons déjà que nous serons les plus gros contributeurs, et souhaitons donc que ce surcoût soit minimisé. La taxe systémique de 900 millions d'euros n'a plus de sens, dès lors qu'un fonds de résolution existe. Bien sûr, le surcoût annuel de 1,7 milliard d'euros qui nous est imposé coûtera environ 600 millions d'euros par an de recettes fiscales à l'État. Le contribuable, qui croyait échapper par la porte, est rattrapé par la fenêtre !

M. Philippe Marini, président. - Il paie toujours !

M. Pierre de Lauzun. - Le critère des RWA pondère les risques, quand le critère des ratios leviers, qui était en usage avant 2007, place au même niveau ce qui est risqué et ce qui ne l'est pas, ce qui incite les banques à mettre leur capital sur des produits risqués, qui sont les plus rentables. Abandonner l'idée de pondérer les actifs serait criminel. Il faut veiller à ce que les méthodes d'évaluation soient homogènes. Aux États-Unis, l'économie est financée aux trois quarts par le marché. Les bilans bancaires y concentrent les produits risqués et illiquides. Il est donc normal que les pondérations y soient plus lourdes. En France, cinquante ans d'expérience justifient que les encours immobiliers soient beaucoup plus faiblement pondérés qu'aux États-Unis.

Les projets de séparation de Michel Barnier livreraient le marché financier européen aux banques américaines, sans véritablement atteindre son objectif, qui réclamerait une action plus radicale. Il importe, au contraire, de développer une activité de marché significative, car les nouveaux ratios donnent aux marchés financiers un rôle accru dans le financement de l'économie.

Les grandes crises, c'est vrai, ne sont pas causées par les marchés financiers, mais par l'endettement. Attention, pour autant, à ne pas diminuer brutalement l'activité des banques. Il faut pondérer correctement les encours pour que la pression du capital s'exerce de manière adaptée : lourdement sur les activités à risque, faiblement sur l'immobilier ou le financement des PME, qui n'ont pas à pâtir de mesures décidées pour d'autres secteurs.

M. Philippe Marini, président. - Merci de vos contributions.

La réunion est levée à 17 h 08.

- Présidence de M. Philippe Marini, président -

La réunion est ouverte à 18 heures 05.

Engagement du groupe La Poste suite à l'entrée en gestion extinctive du Crédit immobilier de France et action du groupe dans le financement des collectivités territoriales - Audition conjointe de MM. Philippe Wahl, président-directeur général de La Poste, président du conseil de surveillance de la Banque Postale, et Rémy Weber, président du directoire de la Banque Postale

Au cours d'une seconde réunion, la commission procède à l'audition conjointe de MM. Philippe Wahl, président-directeur général de La Poste, président du conseil de surveillance de la Banque Postale, et Rémy Weber, président du directoire de la Banque Postale, sur l'engagement du groupe La Poste suite à l'entrée en gestion extinctive du Crédit immobilier de France et sur l'action du groupe dans le financement des collectivités territoriales.

M. Philippe Marini, président. - Compte tenu du débat qui se déroule en ce moment même dans l'hémicycle sur l'engagement de nos forces armées en République centrafricaine, cette audition ne bénéficie que d'un auditoire restreint mais attentif.

Par ailleurs, je vous prie d'excuser notre rapporteur général, François Marc, retenu dans son département par les obsèques de notre ancien collègue Alphonse Arzel, qui a été une figure bretonne de premier ordre.

Nous avons souhaité auditionner les représentants du groupe La Poste et de sa filiale la Banque Postale pour les entendre sur deux sujets en particulier.

Sur le premier d'entre eux, l'entrée en gestion extinctive du Crédit immobilier de France (CIF), notre commission s'était efforcée, l'an dernier, de l'étudier autant que faire se peut. Il s'agit, par conséquent, de faire le point sur la mise en oeuvre des engagements du groupe La Poste en matière, par exemple, de reclassement des équipes du CIF, mais aussi en ce qui concerne une offre de prêts en faveur de l'accession sociale, voire très sociale, à la propriété.

Le second sujet d'intérêt de notre commission est l'action de votre groupe en matière de financement des collectivités territoriales. Nous nous souvenons d'une époque très proche de quasi-rupture des financements de nombreuses collectivités locales et de la montée en puissance de la Banque Postale, notamment sur les prêts de trésorerie, qui a ainsi accédé à un nouveau métier. Vous nous direz si vos objectifs ont été tenus et quelle est votre situation actuelle ?

Au-delà de ces deux sujets, nous pourrons aborder, si vous le souhaitez, le contexte stratégique plus global dans lequel vous évoluez. Nous connaissons bien les contraintes liées à la baisse tendancielle de l'activité courrier et nous savons que le groupe La Poste, à partir de ce constat, s'efforce de tracer des perspectives de redéploiement et de développement.

M. Philippe Wahl, président directeur général de La Poste et président du conseil de surveillance de La Banque Postale. - Fin janvier, nous avons lancé notre nouveau plan stratégique, intitulé « La Poste 2020 : conquérir l'avenir ». Après avoir travaillé pendant plusieurs mois, après avoir rencontré clients, postiers, élus, les six organisations syndicales, nous avons élaboré un plan stratégique pour nous projeter à l'horizon 2020 en choisissant un modèle multi-métiers, avec une banque, un réseau de bureaux de poste, un opérateur de courrier et un autre dédié aux colis.

En Europe, il y a deux autres modèles stratégiques : en Italie, Poste Italiane ne réalise que 20 % de son chiffre d'affaires dans ses métiers historiques, le courrier et les colis, et s'est spécialisée dans les métiers de l'assurance et de la banque. L'autre modèle est purement logistique : en Allemagne, en Autriche, aux Pays-Bas, les activités bancaire et réseau postal ont disparu et ne demeurent que des opérateurs de logistique. C'est le cas de Deutsche Post. Nous voulons conserver le modèle multi-métiers qui réalise la synthèse entre les attentes des élus, des clients, des territoires, ainsi que des postiers qui aspirent à l'unité postale. Notre plan de développement parie sur les nouveaux métiers.

Entre l'automne 2011 et la fin 2012, nous avons été appelés à répondre aux graves difficultés de Dexia et du CIF. Avec la Caisse des dépôts, qui est à la fois notre second actionnaire et un grand partenaire stratégique, nous avons participé à la remise en ordre du système bancaire français. Ces deux établissements de crédit avaient des tailles et des métiers différents. Le bilan de Dexia atteignait plus de 600 milliards d'euros (un peu plus de 200 milliards d'euros pour La Banque Postale) tandis que celui du CIF ne représentait qu'une trentaine de milliards d'euros. Dexia était une banque multi-métiers, leader du financement des collectivités locales, alors que le CIF était un petit établissement spécialisé. Dexia était le leader de son marché, très connu de tous les élus, tandis que le CIF était un acteur relativement secondaire. L'origine de leurs problèmes était également différente : Dexia affrontait une crise de risque et de solvabilité. Malgré un risque contenu, le CIF n'avait plus ni trésorerie ni financement. En dépit de ces différences, la conclusion économique et stratégique était la même : le modèle économique de ces deux banques était condamné, ce qui a conduit leurs actionnaires, l'État et l'Union européenne à constater leur mise en résolution ordonnée - une formulation moderne qui s'est substituée à des expressions plus balzaciennes. Nous, postiers, avons été appelés lorsque deux modèles économiques étaient en crise, démontrant qu'ils étaient dépassés.

L'appel à un grand groupe public et à sa banque était logique et légitime puisqu'il s'agissait de sauvegarder l'intérêt public. Aussi avons-nous volontiers répondu à l'appel des pouvoirs publics pour traiter du financement des collectivités territoriales comme de l'accession sociale à la propriété. Les discussions ont parfois été difficiles. Nous avons défendu nos intérêts tout en ayant toujours à l'esprit l'intérêt public.

L'année dernière, devant votre commission, Jean-Paul Bailly et moi-même, avions eu l'occasion de vous expliquer la philosophie qui a sous-tendu notre action durant cette période. Nous étions d'accord pour répondre aux besoins des clients comme à l'intérêt public, non pour rependre les bilans, car nous aurions été alors en grande difficulté. Durant l'automne et l'hiver 2011, vous étiez extrêmement inquiets et nous sommes intervenus pour répondre aux besoins de financements des investissements des collectivités. Nous avons tenu le même raisonnement pour le CIF : l'accession sociale à la propriété répondant à un besoin profond et renforçant la cohésion sociale, nous avons donc décidé d'investir ce segment de marché, sans pour autant reprendre les risques du passé.

À l'époque, nous avons reçu le soutien du Gouvernement et des élus et nous avons pris deux engagements : s'agissant du financement des collectivités, nous nous sommes engagés à devenir l'un des acteurs majeurs et à mettre en place, en moins d'un an, une banque des collectivités locales. Le 11 février 2012, François Fillon a arrêté le dispositif et nous avons décidé de proposer des financements à moyen et long terme avant la fin de l'année et des emplois à certains personnels de Dexia. Nous nous sommes également engagés à associer les collectivités locales, ainsi qu'à défendre un nouveau modèle de financement avec des produits simples, des longueurs de prêts adossées en liquidités et de bonnes marges.

En ce qui concerne l'accession sociale à la propriété, nous nous étions engagés à créer un service et une offre adéquate à La Banque Postale, à financer plusieurs milliards d'acquisition, notamment pour la clientèle la plus modeste, à créer un comité d'orientation associant toutes les parties du logement social et à offrir 300 emplois au personnel du CIF.

M. Rémy Weber, président du directoire de La Banque Postale. - Nous avons mis en place un service dédié à l'accession sociale à la propriété. Nous avons créé, en avril 2013, une plateforme à Clermont-Ferrand qui emploie vingt personnes. En outre, une trentaine de correspondants commerciaux sont répartis sur le territoire national. Nous avons recensé quatre-vingt-sept partenaires (bailleurs sociaux, promoteurs, constructeurs de maisons individuelles) qui ont accès à ce guichet à distance.

Si les prêts d'accession sociale à la propriété ont augmenté de 22 % en 2013, nous n'y sommes pas étrangers. Dès la première année, dans un marché de plus de 7,2 milliards d'euros, notre part s'est élevée à 13,25 % et à plus de 15 % sur les derniers mois de l'année. Nous avons octroyé 1,2 milliard d'euros et décaissé 1 milliard d'euros de crédits, dont 500 à 600 millions d'euros pour des personnes qui gagnent moins de deux fois le SMIC. Dans le domaine de la prescription, nous avons proposé un dispositif de plus d'un milliard d'euros, dont 400 millions décaissés et 500 millions octroyés pour les personnes les plus modestes. Au total, nous avons décaissé plus de 1,5 milliard d'euros pour 1,8 milliard d'euros octroyé, dont 850 millions d'euros pour les personnes qui gagnent moins de deux fois le SMIC.

Nous avons bien rempli nos engagements, même si nous avons atteint l'objectif initial (2 milliards d'euros, dont un milliard pour l'accession très sociale) avec un léger décalage, le 15 février, alors même que la période était difficile et que la capacité de projection des ménages les plus modestes n'était pas évidente. Nous ne voulons pas les mettre en danger et c'est pourquoi nous ne faisons pas du chiffre pour le chiffre.

Le comité d'orientation de l'accession sociale à la propriété que nous avons constitué en 2013 se réunit trois à quatre fois par an. Il comprend des experts venus du monde du logement, des organismes HLM comme de la promotion privée, ce qui nous met mieux en prise avec le métier.

Fin décembre 2013, nous avons proposé 304 emplois aux salariés du CIF et nous allons poursuivre cette année. Ces propositions se sont traduites par 80 offres d'embauche, dont 55 ont déjà été enregistrées, 11 ont été refusées et 14 sont en cours. Sur la période récente, nous enregistrons moins de réponses, sans savoir s'il y a un lien entre ce ralentissement et le plan social qualifié de « généreux » qui démarrera en juillet 2014. Dans un premier temps, nous n'avions prévu de recruter que des commerciaux mais, depuis, nous avons élargi nos offres.

S'agissant du service public local, nous avons accompli de très gros efforts en mettant en place une plateforme dédiée aux demandes de financement et une ligne commerciale d'expertise. Six directions territoriales ont embauché plus de 80 collaborateurs, dont la plupart viennent de Dexia, avec un patron par zone afin que notre métier de développement des territoires soit incarné par des banquiers - nous avons en outre diffusé une plaquette. Ce dispositif régional est renforcé par une équipe centralisée pour les petits dossiers d'investissement : 12 personnes à Issy-les-Moulineaux répondent aux demandes des plus petites collectivités. Enfin, un service d'études, issu de celui de Dexia, suit l'économie des collectivités locales et des hôpitaux et publie des analyses de référence. Au total, nous avons recruté, dans un temps record, près de 150 personnes (200 sur les deux métiers).

Le développement de la production est significatif : nous avons octroyé plus de 6 milliards d'euros de crédits aux collectivités et hôpitaux en 2013 : le gros de notre production a été réalisé durant le deuxième semestre 2013 et, encore plus tardivement, pour les hôpitaux. La moitié concerne des crédits de trésorerie, l'autre moitié des crédits à moyen et long terme, dont plus de 2,5 milliards d'euros sont décaissés. Pour les hôpitaux, nous en sommes à 300 millions d'euros. Cette performance mérite d'être saluée : le marché des collectivités et hôpitaux s'élève à 22 milliards d'euros et, entre 2012 et 2013, il n'a pas fondamentalement évolué. Or, la Caisse des dépôts et consignations a injecté 2 milliards d'euros, la Banque européenne d'investissement a également apporté 2 milliards d'euros, tandis que les émissions obligataires des grandes collectivités se sont montées à 2,5 milliards d'euros. La partie strictement bancaire s'élevant à 15,5 milliards d'euros, notre part de marché s'élève donc à 19 %, soit un taux très proche des 20 % à 25 % prévus, de façon judicieuse, par mon prédécesseur.

Sur les 3 milliards d'euros de crédits à moyen et long terme, plus de la moitié ont été octroyés à des communes de moins de 5 000 habitants. Pour répondre aux besoins, alors que nous avions initialement prévu de n'accorder que des prêts à moyen et long terme à partir de 200 000 euros, nous avons abaissé le seuil à 100 000 puis à 50 000 euros. Ces crédits représentent 51 % des dossiers mais 17 % des volumes. Ce faisant, nous avons répondu aux besoins des petites collectivités. Grâce à nous, la concurrence est repartie. Aujourd'hui, les taux de crédit sont passés de 5 à 3,5 %, ce qui favorise les clients mais réduit nos marges.

Nous avons complété notre gamme en faisant des offres de prêts à taux variable avec des options de passage à taux fixe au moment des échéances et en proposant des prêts à double phase, avec une partie fixe puis une autre à taux variable. Depuis septembre 2013, nous avons ouvert nos prêts aux entreprises publiques locales. Ainsi avons-nous financé l'extension d'une ligne de tramway à Strasbourg.

Nous voulons poursuivre notre montée en puissance mais le début de l'année est logiquement très modeste. Nous devrons réaliser la production de l'année sur la deuxième partie de 2014, afin que la mécanique d'ensemble fonctionne correctement - c'est aussi nécessaire pour que la Société de financement local (SFIL) accomplisse sa mission.

M. Philippe Marini, président. - Vous avez dit que la plateforme d'accession sociale à la propriété se trouvait à Clermont-Ferrand.

Mme Michèle André. - J'y suis très sensible !

M. Philippe Dallier. - C'est sans doute parce que c'est au centre de la France !

M. Philippe Marini, président. - Je salue la réactivité de votre établissement. Vous avez eu recours à des méthodes innovantes. Si la dématérialisation a tout d'abord surpris, les personnels des services financiers s'y sont bien adaptés. En outre, l'abaissement du seuil d'accès au crédit a été une bonne nouvelle pour les communes rurales.

M. Jean Germain, rapporteur spécial de la mission « Relations avec les collectivités territoriales ». - Le dossier du CIF a bien avancé. Le retard tenait à la demande par la France d'un délai supplémentaire pour le traiter. La réponse de l'Union européenne est arrivée en novembre 2013, alors qu'on l'attendait six mois plus tôt. Quant à l'intervention de la Banque Postale, les maires ruraux que j'ai rencontrés considèrent que ses engagements ont été tenus.

M. Philippe Dallier. - Même si la comparaison est difficile dans un marché aussi déprimé, comment La Banque Postale se situe-t-elle par rapport au CIF ? Est-ce suffisant ou avez-vous un plan de développement ? Quelle serait votre part de marché optimum à moyen terme ?

M. Jean-Claude Frécon. - Je salue l'engagement de La Poste par rapport au CIF et à Dexia. Elle a eu raison de reprendre les services de ces deux établissements, mais pas les bilans qui l'auraient mis dans une situation intenable.

Les maires ruraux s'inquiétaient, début 2012, parce que le minimum pour les emprunts était de 200 000 euros. Vous les avez entendus en passant à 100 000 puis à 50 000 euros, et je m'en félicite. Je ne doute pas que l'attractivité de La Poste se renforcera.

L'année de renouvellement des conseils municipaux est traditionnellement creuse. Si des équipes sortantes veulent mener des réalisations avant la fin de leur mandat, les nouvelles équipes n'engagent les travaux qu'en fin d'année, le temps de monter leurs dossiers.

M. Philippe Dallier. - Le temps qu'elles estiment la chute des dotations !

M. Jean-Claude Frécon. - Ne vous étonnez pas que 2014 soit une mauvaise année : vous tiendrez vos engagements en proportion des crédits.

M. Charles Guené. - Je vous remercie de cette présentation exhaustive. La Poste a respecté ses engagements. Lorsque nous nous étions rencontrés début 2013, nous nous étions interrogés sur les seuils, sur les prêts relais « Fonds de compensation de la TVA » (FCTVA), ainsi que sur les prêts à long terme. Comment les répartissez-vous avec la Caisse des dépôts et consignations ?

M. Philippe Marini, président. - Le rapporteur général et moi-même souhaitions vous interroger sur le contexte stratégique. L'ouverture du marché postal européen vous incite-t-elle à faire quelques emplettes à l'extérieur de nos frontières ? Par ailleurs, l'augmentation de capital souscrite par l'État et la Caisse des dépôts est-elle entièrement libérée ?

M. Rémy Weber. - En 2011, le CIF avait accordé 660 millions d'euros de prêts à l'accession sociale (PAS) et un milliard d'euros hors PAS. La Banque Postale a octroyé, mi-février, deux milliards d'euros, dont un pour le PAS. Dès la première année, nous avons dépassé le CIF. Banque citoyenne, nous nous efforcerons d'être les plus présents possible sur ce marché, sans donner d'objectifs extrêmes à nos commerciaux. Nous voulons offrir des prêts aux ménages qui le peuvent sans aller chercher ceux qui ne le peuvent pas. Nous ne souhaitons donc pas « forcer » nos commerciaux.

Quant aux crédits à long terme, nous allons jusqu'à vingt ans et la Caisse des dépôts et consignations va au-delà. Nous souhaitons monter des dossiers plus importants dans l'objectif de nourrir les apports de crédits à la SFIL.

M. Philippe Wahl. - Avec l'ouverture du marché postal européen, tous les métiers de La Poste sont en concurrence, ce que certains observateurs oublient quand ils nous reprochent de percevoir le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE). La meilleure preuve en est la baisse de 6 % du volume du courrier. Grace à GeoPost, dirigé par Paul-Marie Chavanne, nous sommes le numéro deux du transport routier de colis en Europe, avec un chiffre d'affaires de plus de 5 milliards d'euros, très proche du leader européen Deutsche Post et de sa division Paket (5,5 milliards d'euros).

Nous voulons nous développer dans trois domaines. Tout d'abord, nous essayons de devenir majoritaires dans nos partenariats. Ainsi, en Espagne, nous avions acheté 30 % de l'entreprise SEUR. Nous sommes devenus majoritaires il y a deux ans et nous nous efforçons d'avoir 100 % du réseau espagnol du leader du colis dans ce pays.

Là où nous sommes présents, nous voulons devenir l'un des deux leaders, car lorsqu'on atteint ce niveau, il est possible de fixer les prix, ce qui améliore les marges. Tel est le cas des pays de l'Est, où nous sommes déjà implantés. Nous cherchons à accroître nos acquisitions.

Enfin, nous essayons de nous implanter dans d'autres pays, notamment en Europe de l'Est et en Italie, qui n'est pas couverte par GeoPost, soit en Asie et en Afrique, puisque des flux de marchandises circulent par la route depuis ces pays.

Sur les 267 000 personnes qu'emploie La Poste, plus de 22 000 travaillent à l'international. Nous continuerons à faire des acquisitions rentables. La stratégie internationale de La Poste passe par le colis et l'express.

En 2013, l'augmentation de capital souscrite a été achevée avec la libération d'une dernière tranche de 600 millions d'euros. La Poste aura perçu, sur trois ans, 2,7 milliards d'euros de la part de l'État et de la Caisse des dépôts et consignations, que je tiens à remercier pour leur soutien au développement du groupe. Nous en avons profité pour conforter la base de capital de La Banque Postale. Nous avons apporté, en 2011, 860 millions d'euros de fonds propres durs (Common Equity Tier 1), plus un milliard d'euros de fonds propres l'an dernier, dont 228 millions d'euros de fonds propres durs.

M. Philippe Marini, président. - Nous allons entendre demain David Azéma, qui est à la tête de l'Agence des participations de l'État (APE). Quels sont vos rapports avec l'État actionnaire et passent-ils par l'APE ?

M. Philippe Wahl. - L'APE est représentée par un administrateur au conseil d'administration de La Poste, Antoine Saintoyant. En outre, tous nos choix stratégiques, toutes les grandes décisions interviennent après des réunions de travail avec l'APE et, très souvent, avec la Caisse des dépôts, parce qu'il est plus efficace de travailler à trois. L'Agence apporte son soutien à notre développement stratégique.

M. Philippe Marini, président. - Quels sont vos rapports avec CNP Assurances ?

M. Rémy Weber. - Nous avons d'excellentes relations avec ce partenaire dont nos clients apprécient les produits. Comme actionnaire, nous sommes extrêmement vigilants sur la préservation et l'accroissement de notre patrimoine. Enfin, nous n'avons pas de commentaires à formuler sur les discussions avec l'autre grand distributeur puisque les discussions doivent se conclure.

M. Jean-Claude Frécon. - Lors d'une rencontre, il y a six mois, avec la Caisse des dépôts et consignations, nous avons eu l'impression que les communes qui voulaient emprunter sur plus de vingt ans ne trouvaient pas, auprès de la Caisse des dépôts, une oreille très attentive. Où cela en est-il ?

M. Philippe Wahl. - Les choses doivent progresser, nous n'en sommes qu'au début.

M. Philippe Marini, président. - Je vous remercie de nous avoir éclairés.

La réunion est levée à 19 heures.

Mercredi 26 février 2014

- Présidence de M. Philippe Marini, président -

La réunion est ouverte à 9h40.

Désignation d'un rapporteur

Au cours d'une première réunion, la commission nomme tout d'abord M. François Marc rapporteur sur la proposition de loi n° 385 (2013-2014) de M. Christian Eckert, relative aux comptes bancaires inactifs et aux contrats d'assurance-vie en déshérence.

M. Philippe Marini, président. - En raison de la proximité de cette proposition de loi et de celle de notre collègue Hervé Maurey visant à renforcer la protection des épargnants, titulaires ou bénéficiaires de contrats d'assurance-vie et d'avoirs bancaires, dont François Marc est également le rapporteur, je vous propose que l'examen du texte d'Hervé Maurey puisse être joint à celui du texte de Christian Eckert, déjà inscrit à l'ordre du jour du Sénat. Le 9 avril, notre rapporteur présenterait un rapport unique et nous élaborerions le texte à soumettre à l'examen en séance, prévu le 16 avril.

Il en est ainsi décidé.

Mise en oeuvre de la nouvelle doctrine de l'État actionnaire - Audition de M. David Azéma, commissaire aux participations de l'État, directeur général de l'Agence des participations de l'État

Puis la commission procède à l'audition de M. David Azema, commissaire aux participations de l'État, directeur général de l'Agence des participations de l'État, sur la mise en oeuvre de la nouvelle doctrine de l'État actionnaire.

M. Philippe Marini, président. - Certains ici se souviennent de la naissance, à la direction générale du Trésor, de l'Agence des participations de l'État (APE), qui visait à professionnaliser la fonction d'actionnaire au sein de l'État. Je me souviens avoir signé, avec Jean Arthuis et Claude Belot, un rapport sur les ambigüités de l'État actionnaire, thème de toujours qui rebondit à travers les vicissitudes politiques.

Nous entendons ce matin David Azéma, qui nous expliquera la nouvelle doctrine de l'État actionnaire. Comment l'État actionnaire s'incarne-t-il, comment prépare-t-il son travail, comment donne-t-il une impulsion stratégique aux entreprises françaises concernées ? Sur ces questions de la doctrine, il y a eu, en moins d'un an, deux communications en conseil des ministres, la dernière en date du 15 janvier, émanant de Pierre Moscovici et Arnaud Montebourg.

L'Agence des participations de l'État (APE) est en charge de la gestion des participations de l'État, qui peuvent être majoritaires ou minoritaires, mais la Caisse des dépôts et consignations (CDC) ne fait pas partie de son périmètre, en vertu d'une tradition qui n'est sans doute pas très rationnelle mais demeure constante dans la technostructure étatique.

Si j'évoque une nouvelle doctrine, c'est au regard de l'alternance politique. Sans doute le dossier Peugeot peut-il être l'occasion d'une illustration, puisque ce sera la première prise de participation industrielle significative de l'État depuis plusieurs années. Cette démarche est-elle comparable à celle qui avait guidé la puissance publique dans le dossier Alstom, en 2004, lorsque l'État était intervenu pour crédibiliser l'entreprise, et en était, quelque temps après, sorti avec une plus-value ? Ou s'agit-il d'une toute autre démarche ?

Le Parlement a voté, à la fin de l'année dernière, une habilitation à procéder par ordonnance à une rationalisation du droit applicable à l'État actionnaire. Vous savez combien nous sommes traditionnellement méfiants à l'encontre de cette procédure, par laquelle nous nous voyons dépossédés de nos prérogatives de législateur. Quels éléments sont-ils susceptibles d'être touchés par ce projet d'ordonnance ?

Afin de lever toute ambiguïté, j'ajoute une question sur les commentaires récents que l'on a pu lire dans la presse au sujet de vos projets personnels. Pouvez-vous nous rappeler la teneur de la clarification à laquelle vous avez procédé ?

M. David Azéma, commissaire aux participations de l'État, directeur général de l'Agence des participations de l'État. - Je suis un agent public, mais pas un haut fonctionnaire, puisque j'ai quitté la fonction publique il y a plusieurs années. Je me destinais à exercer mes fonctions exclusivement dans l'entreprise, que celle-ci soit privée ou publique. J'ai été, à ma grande surprise, sollicité pour exercer les fonctions que j'occupe aujourd'hui. Quittant l'entreprise Kéolis que j'avais rejointe huit semaines seulement auparavant, je les ai acceptées, en signant un contrat de droit public à durée déterminée. Ma vocation future est de retourner, si possible, dans le monde de l'entreprise. La presse ayant écrit que je serais candidat à des fonctions au sein d'une entreprise privée, j'ai fait une déclaration très courte et très pesée à l'agence Reuters, dans laquelle j'indique qu'il n'y a pas eu de sollicitation ferme de la part de cette entreprise à mon égard. En l'absence de poste, je ne suis pas candidat et n'ai donc pas déposé de dossier devant la commission de déontologie. Le reste relève de spéculations.

Cette clarification posée, je vous exposerai brièvement ce que sont les éléments de doctrine sur lesquels vous m'avez interrogé, et les mettrai en perspective, pour montrer qu'ils sont en continuité avec l'ambition qui a présidé à la création de l'APE, il y a dix ans.

Lorsque je suis entré en fonction, le 1er septembre 2012, un rapport de l'Inspection générale des finances venait d'être publié en juillet, qui dressait un bilan du fonctionnement de l'Agence qui, sans mettre en cause ni ses finalités ni son fonctionnement, soulignait certaines faiblesses. Nous nous sommes alors livrés à une tâche de réflexion pour améliorer le fonctionnement de l'État actionnaire, et avons cherché à y répondre en trois étapes.

Il s'agissait, tout d'abord, de clarifier le pourquoi de notre mission. Nous nous sommes rendu compte que la doctrine de l'État actionnaire était plus implicite qu'explicite. Nous gérions « en bon père de famille », un portefeuille hérité du passé, sans être très au clair sur nos orientations. D'où la réflexion à laquelle nous nous sommes attelés, et qui a donné lieu aux deux communications en conseil des ministres que vous avez évoquées.

Nous nous sommes demandé, ensuite, si les textes encadrant notre action étaient adaptés. Il est apparu que ces textes résultent d'une longue et lente stratification de dispositions difficiles à utiliser en pratique et qui consomment beaucoup de temps pour des résultats minimes. Nous avons donc entrepris de procéder à un toilettage.

Nous nous sommes, enfin, attelés à revoir notre mode d'organisation, nos principes de fonctionnement, nos règles de management, pour plus d'efficacité dans le suivi et le dialogue stratégique avec les entreprises.

En quoi consiste notre doctrine ? Nous assumons clairement, tout d'abord, qu'il est légitime pour l'État d'intervenir en fonds propres dans les entreprises, selon un niveau de participation et un horizon temporel qui peuvent être variables. Une telle démarche est parfaitement légitime et ne relève pas, pour nous, d'une erreur historique qu'il s'agirait de corriger en vendant tout le plus vite possible.

Quels motifs peuvent justifier que l'on mobilise une part du patrimoine public pour l'investir dans des entreprises ? Nous avons retenu quatre grands principes.

Le premier veut que l'État s'ancre au sein des entreprises structurellement stratégiques. Deux domaines répondent, pour nous, à cette définition, étant entendu que ces choix pourront toujours être revisités par le futur comité stratégique de l'État actionnaire : l'industrie nucléaire, d'une part, autour de ses deux acteurs principaux que sont EDF, l'opérateur, qui exploite 58 tranches nucléaires en France et doit en lancer deux nouvelles en Grande Bretagne, et Areva, industriel majeur de la filière ; les industries de défense, d'autre part, dans lesquelles la part du capital détenu par l'État est variable : il est présent dans Airbus Group, Thalès, Safran, DCNS, Nexter, toutes les grandes entreprises de défense à l'exception de Dassault Aviation - dont je rappelle cependant que 46 % du capital est détenu par Airbus Group avec lequel l'État est entré dans un pacte d'actionnaires à ce sujet, suite à l'achat, par l'Etat, d'une action de Dassault Aviation.

Le deuxième principe, produit de l'évolution historique de l'actionnariat public, veut que l'État soit présent dans les entreprises qui fournissent au pays des services essentiels - c'est volontairement que je n'use pas du terme de services publics, juridiquement plus restrictif. Il peut arriver que ces entreprises soient issues du secteur public, voire de l'État lui-même, comme Orange et La Poste. Il est légitime que l'État y soit actionnaire, et d'autant plus qu'il s'agit de secteurs peu ouverts à la concurrence, donc où existent peu d'offres alternatives. Le niveau de participation est ainsi variable, allant de 100 % d'actionnariat public pour La Poste à moins de 30 % pour Orange et 36 % pour GDF Suez, le niveau de participation s'appréciant au cas par cas.

Le troisième principe, le plus novateur, vise à accompagner le développement et la consolidation d'entreprises dans les secteurs et filières déterminants pour la croissance. La participation de l'État peut s'y décliner au niveau de l'APE, mais aussi via Bpifrance participations, qui entre au capital des entreprises, avec un horizon de détention limité, pour accompagner une phase de croissance internationale ou une phase de consolidation avec d'autres acteurs du secteur. Je pense, par exemple, aux entreprises de biotechnologie. Cette logique, qui était au coeur de la création du Fonds stratégique d'investissement, peut aussi exister au niveau de l'État. C'est elle qui a guidé l'opération PSA. L'entreprise était en phase de reconfiguration de son actionnariat qui, jusqu'à présent familial, va devenir ouvert, avec l'entrée d'un partenaire étranger. L'État s'associe à l'opération pour assurer l'ancrage de l'entreprise en France. Vous avez évoqué le précédent d'Alstom, mais pour PSA, l'horizon de sortie ne peut être aujourd'hui déterminé : l'État reverra sa présence quand il sera absolument convaincu que le futur stratégique de l'entreprise est assuré, que son développement est garanti, que son succès est sur les rails. J'ajoute que d'un point de vue strictement patrimonial - mais vous avez compris que ce n'est pas le seul angle d'examen de l'APE - c'est une diversification de portefeuille intéressante, dans un secteur où nous sommes peu présents. Ce n'est donc pas un mauvais calcul.

Le quatrième principe, enfin, le plus spectaculaire, bien que le moins important en termes d'occurences, tend à assurer le sauvetage d'entreprises après approbation de la Commission européenne, comme ce fut le cas pour Dexia, dès lors qu'une défaillance comporterait un risque systémique. C'est, certes, un moyen d'action hors norme, mais dont l'État ne saurait se priver dès lors qu'il est conforme aux traités communautaires.

J'ai évoqué l'entrée au capital de PSA, qui répond au troisième principe, mais l'État est également présent dans Renault, à hauteur de 15 %. Vous me direz que l'entreprise se porte de mieux en mieux ; mais elle n'est pas au bout, stratégiquement, de ses différentes étapes de développement. Les formes de l'alliance avec Nissan ne sont pas totalement abouties. Nous demeurons donc au capital, tant que cette hypothèque n'est pas levée. Même chose pour Air France, que la présence de l'État stabilise, lui évitant d'être prise pour cible d'une OPA et lui permettant de traverser sereinement cette période difficile. On se donne beaucoup de mal pour constituer des noyaux durs : l'État joue aussi ce rôle de stabilisation du capital.

Cela étant, la prise de participations n'épuise pas l'ensemble des relations que peut avoir l'État avec les entreprises : l'État actionnaire ne porte pas l'ensemble des politiques publiques. L'État est présent en fonds propres mais les administrateurs, même s'ils sont nommés par lui, sont administrateurs de l'entreprise. C'est le commissaire du Gouvernement qui vient porter les autres éléments de la parole publique. Cette distinction est importante, elle évite toute accusation de schizophrénie de la part de nos interlocuteurs au sein des conseils d'administration. L'État actionnaire apporte les fonds et noue le dialogue stratégique, mais la fonction de régulation doit être portée par d'autres. Car le régulateur peut prendre des décisions qui ne favorisent pas nécessairement les actionnaires, dont l'État. Dura lex, sed lex. L'État actionnaire invite évidemment l'entreprise à ne pas se soustraire à ses obligations, mais la régulation est autre chose.

M. Philippe Marini, président. - Merci d'avoir souligné combien il est indispensable d'incarner l'État actionnaire, qui doit s'organiser comme un actionnaire. C'est sur le fondement de ce principe qu'a été créée, du temps que Francis Mer était ministre des finances, l'Agence des participations de l'État, qui s'est peu à peu dotée de procédures, notamment pour désigner ses administrateurs, qui sont vos yeux et vos oreilles au sein des organes stratégiques des entreprises où l'État possède une participation.

M. François Marc, rapporteur général. - Merci de cette clarification sur des dossiers qui ont occupé, ces derniers mois, le devant de la scène. Pour PSA, nous avons bien compris l'esprit et la logique de l'intervention. Reste que le fait que DongFeng soit le seul investisseur privé n'est pas sans risques. Des conditions ont-elles été posées par cet investisseur ? La participation de l'État doit-elle être validée par la Commission européenne au titre des aides d'État ? Le recours de l'ADAM, l'Association des actionnaires minoritaires, pourrait-il créer une menace sur l'opération ? Vous nous dites que l'État a vocation à rester au capital tant que le succès n'est pas assuré, et que cela vaut aussi pour Renault. Comment gérer cette participation dans deux constructeurs automobile nécessairement en concurrence ? Les administrateurs seront-ils clairement distincts ?

Nicolas Dufourcq, directeur général de la BPI, nous disait, la semaine dernière, que l'opération Peugeot aurait très bien pu être réalisée par cette entité, mais que ce n'était pas la volonté de l'État chinois. Comment tracez-vous la frontière entre les doctrines d'intervention de l'APE et de la BPI ? L'opération aurait-elle dû être menée, à votre sens, par la BPI ?

Autre sujet de préoccupation, qui ne date pas d'hier, la rémunération des dirigeants d'entreprise. Comment expliquer que l'État actionnaire ait accepté dans un premier temps l'augmentation de celle des membres du comité de direction de Dexia ? Quel bilan faites-vous des règles relatives à la limitation à 450 000 euros par an de la rémunération des dirigeants, en vigueur depuis 2012 ? Avez-vous obtenu des progrès en la matière dans les entreprises où l'État n'est pas majoritaire ?

Arnaud Montebourg a évoqué la création d'une compagnie nationale des mines de France, dotée de 400 millions d'euros d'ici cinq à sept ans. Quel serait le modèle économique de cette compagnie ? Le montant de l'investissement annoncé n'est-il pas faible compte tenu de l'intensité capitalistique de cette activité ? Pourquoi Areva et Eramet n'ont-ils pas souhaité rejoindre le projet ?

M. Jean-Claude Frécon, rapporteur spécial de la mission « Participations financières de l'Etat » - L'État a cédé, en début d'année, 1,1 % d'Airbus. Cette cession était-elle déjà prévue l'an dernier dans le cadre de la reconfiguration de l'actionnariat et si tel est le cas, pourquoi intervient-elle maintenant ?

Vous avez indiqué les quatre grands principes présidant à la prise de participation de l'État. Mais quid des cessions ? Comment la nouvelle doctrine se traduit-elle en pratique ? Quel bilan pour 2013 et quelles perspectives pour 2014 pour le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État », tant en recettes qu'en dépenses ? Le comité stratégique de l'État actionnaire est-il en place et si tel est le cas, qu'en attendez-vous concrètement ?

M. Philippe Marini, président. - Notre commission a demandé à la Cour des comptes de conduire une enquête sur le recours aux consultants extérieurs - banques d'affaires, avocats, experts - par l'État. Cela peut concerner l'APE. C'est une information que je voulais vous délivrer.

Comment pratiquerez-vous le « say on pay », soit la pratique consistant à demander un vote en assemblée générale sur les rémunérations des cadres dirigeants ?

La SNCM (Société Nationale Corse Méditerranée) est une petite société mais très coûteuse. N'est-ce pas de l'acharnement thérapeutique ?

Il s'agit d'une participation croisée entre l'État et la Caisse des dépôts et consignations, l'État détenant 25 %, et Transdev, filiale de Véolia et de la Caisse des dépôts, 66 %, cette dernière indiquant qu'elle va investir davantage dans Transdev. Du point de vue de l'Etat actionnaire, comment peut-on faire la part entre ce qui est porté par l'Etat et par la Caisse des dépôts ? Cette dualité n'est pas nouvelle, mais comment rétablir la cohérence dans le partage ?

M. David Azéma. - Jean-Claude Frécon m'a interrogé, à juste titre, sur les cessions. L'État n'est pas assez riche pour imaginer investir sans désinvestir. Cela suppose des arbitrages entre ses positions, notre portefeuille ne devant pas croître en valeur. N'oublions pas non plus que la LOLF, la loi organique relative aux lois de finances, prévoit l'affectation d'une partie des cessions au désendettement. Le Gouvernement ne va pas nous abonder en fonds budgétaire pour que nous investissions en fonds propres. L'entrée au capital d'une entreprise suppose donc bien d'avoir dégagé des ressources par cession de participations dans d'autres entreprises.

Ceci rejoint la question du niveau de participation au regard des objectifs stratégiques. Nous devons viser un rendement stratégique optimal de chaque euro public investi. Par exemple, notre objectif stratégique chez Airbus Group est que nul ne puisse mener une opération de prise de contrôle hostile du groupe, ce qui est assuré par une clause statutaire qui interdit une participation au capital supérieure à 15 %. Or, les statuts peuvent être modifiés par une assemblée générale, ce qui nous oblige donc à veiller à ce que la majorité qualifiée permettant cette modification ne puisse pas être atteinte. Il faut pour cela constituer un bloc défensif et concertant avec les Allemands, à 11 %, et les Espagnols, à 4 %, qui, ajoutés aux 11 % détenus par la France, permettent de tenir la ligne. Dès lors, pourquoi conserver 1 % de plus du capital, qui représente pas loin de 500 millions d'euros ? L'année dernière, nous n'avions pas nécessairement identifié que nous pourrions descendre notre participation à 11 % et nous nous étions fixés une cible à 12,12 %. Il se trouve de surcroît que le fait d'avoir cédé par étapes nous a permis de bénéficier du relèvement du cours lié à la restructuration de la gouvernance et, bien sûr, les résultats industriels d'Airbus Group. Nous avons arbitré une exposition « excessive » dans l'entreprise, pour récupérer des ressources qui pourront être réutilisées soit pour le désendettement de l'Etat, par exemple pour refinancer des programmes d'investissement d'avenir portés par le Commissariat général à l'investissement, soit pour réinvestir dans le capital d'autres entreprises, telle que PSA.

M. Jean-Claude Frécon, rapporteur spécial. - C'est donc l'APE qui a constaté cette possibilité de réduire de 1 % ?

M. David Azéma. - Nous observons les entreprises, nous nous forgeons une opinion sur le bon niveau de participation et nous adressons des recommandations, mais c'est le Gouvernement qui décide.

Dans l'opérations PSA, nous ne sommes pas les seuls, avec DongFeng, à accompagner l'augmentation du capital. Il fut il est vrai un temps envisagé, courant 2013, une augmentation de capital intégralement souscrite par DongFeng et l'État français. Les résultats de l'entreprise, l'arrivée de Carlos Tavares, l'existence d'un projet industriel commun entre DongFeng et Peugeot, la situation globale du marché ont permis, fin 2013, de rouvrir une hypothèse d'opération de marché, avec émission de droits préférentiels de souscription (DPS) pour les actionnaires. C'est le dispositif que nous avons retenu in fine. L'augmentation de capital réservée est de 1 milliard d'euros, partagée entre DongFeng et l'APE, à l'issue de quoi, des DPS seront distribués aux actionnaires, qui pourront soit souscrire de nouvelles actions, soit les céder à d'autres qui pourront souscrire à leur place. Les banquiers conseils des différents acteurs sont confiants dans la réussite de cette opération.

Les deux actionnaires entrants auront souscrit pour 500 millions d'euros dans l'opération réservée et se sont engagés à exercer leur DPS, ce qui porte l'engagement de chacun à 800 millions d'euros. La famille s'est engagée à exercer un nombre de DPS suffisant pour se recaler à 14 % du capital, au même niveau que les deux autres actionnaires stratégiques. Les engagements - les montants que je cite sont approximatifs - sécurisent ainsi 1,8 milliard d'euros sur les 3 milliards d'euros à lever ; le restant, 1,2 milliard d'euros, sera souscrit par une pluralité d'investisseurs. C'est un élément qui nous a permis de considérer que nous n'agissions pas sous le régime des aides d'Etat : c'est une opération normale d'un investisseur avisé. Nous avons porté notre analyse à la Commission européenne, qui considère que l'opération ne justifie pas une notification au titre des aides d'État.

Y a-t-il eu demande de contreparties ? Ce n'est pas le propre de l'opération en capital. Les ministères concernés sont, évidemment, aux premières loges des opérations industrielles et de restructuration au sein du groupe, et veillent à la préservation des intérêts nationaux. Cela s'est fait, se fait, se fera, comme je m'en suis expliqué tout à l'heure, indépendamment de la présence au capital. En tant qu'Etat investisseur, nous ne faisons qu'apporter du capital et nos co-investisseurs ne l'auraient pas compris autrement. Nos demandes étaient d'ailleurs les mêmes que leurs : une représentation au conseil, l'établissement d'un certain nombre de principes dans la gouvernance et puis c'est tout.

Il n'y aura pas un concert de contrôle, mais trois actionnaires de poids qui s'équilibrent. Ils peuvent d'ailleurs n'être pas toujours d'accord, et je pressens, au demeurant, une divergence de vues possible sur la rémunération des dirigeants, car les positions et doctrines de l'État français peuvent entrer en conflit avec celles d'autres investisseurs... Nous ne nous sommes pas engagés à rechercher un consensus entre les trois actionnaires stratégiques.

Je n'ai pas connaissance d'un recours et d'ailleurs, il n'existe pas d'acte, aujourd'hui, qui pourrait donner lieu à l'engagement d'un contentieux.

Notre présence concomitante dans PSA et Renault ? Mais c'est le cas de bien des investisseurs que d'être présents dans des entreprises concurrentes. Nous avons aussi, concomitamment, 84 % d'EDF et 36 % de GDF Suez, qui se vivent comme deux grands concurrents. La RATP et la SNCF, de même, sont deux établissements publics détenus à 100 % par la puissance publique. Nous nous sommes bien sûr donné des règles pour nous garder de tout mélange des genres : jamais un même administrateur dans deux entités concurrentes, jamais d'informations communiquées de l'un à l'autre. En revanche, outre que c'est une bonne chose pour l'État que d'avoir une compréhension de l'intérieur de certains secteurs, nous devons tirer bénéfice de notre présence dans plusieurs entreprises d'un même secteur pour faire remonter certaines préoccupations - je pense notamment à la politique de l'énergie.

Vous m'interrogez sur le partage des tâches entre l'APE et Bpifrance. Il y a un continuum dans notre action : nous ne sommes pas en rivalité ou en concurrence mais bien complémentaires. Nous possédons 50 % de Bpifrance, au conseil d'administration de laquelle je siège. Nous nous partageons les rôles au service de la politique actionnariale de l'État. Pour PSA - dossier complexe dans sa dynamique de négociation -, nos interlocuteurs chinois n'étaient pas entrés dans le détail de l'actionnariat public français, mais il nous a semblé qu'il serait préférable de négocier au niveau de l'APE, compte tenu de la conception chinoise des affaires, qui a coutume de remonter au niveau gouvernemental...

Si nous faisions entrer la Caisse des dépôts dans le périmètre de l'APE, Bpifrance serait à 100 % à l'État. La Caisse des dépôts est certes une entité publique, avec les mêmes considérations d'intérêt général que nous, mais nous restons bien distincts, y compris en termes de tutelle puisque seule la direction générale du Trésor est représentée à la commission de surveillance de la Caisse des dépôts. Pour nous, la Caisse des dépôts est un organisme tiers, avec sa propre gouvernance. Reste que, du point de vue des autorités boursières étrangères, la Caisse des dépôts, c'est l'État. On l'a constaté sur le dossier EADS. D'où notre préoccupation de toujours veiller à consolider nos participations, pour ne pas franchir, dans des entreprises étrangères, les seuils d'offre publique obligatoires. C'est un impératif car notre lecture, héritée du XIXe siècle, n'est pas forcément celle de nos interlocuteurs étrangers.

J'en viens à la question de la rémunération - celle des dirigeants mandataires sociaux, sachant que les non mandataires ont un contrat de travail qui ne peut être défait par injonction gouvernementale. Dans les entreprises dont nous contrôlons le capital, le décret qui plafonne la rémunération, tous éléments confondus, à 450 000 euros, a été appliqué par anticipation au 1er octobre 2012 à tous les dirigeants mandataires sociaux. Dans les entreprises où notre participation est minoritaire, nous ne sommes souvent pas en mesure, ni dans les conseils d'administration, ni en assemblée générale, d'imposer nos vues. Nous avons néanmoins essayé de formaliser des principes à l'occasion du vote sur le « say on pay », cette disposition du code AFEP-MEDEF de gouvernement d'entreprise, dont les dispositions ont été reprises par 99 % des entreprises présentes dans le portefeuille de l'État, qui présenteront les rémunérations 2013 de leurs mandataires à leur assemblée générale, laquelle émettra un vote indicatif. Ce vote reste certes sans conséquences juridiques, mais la bonne pratique veut que, si les actionnaires manifestent leur désapprobation, le conseil d'administration doit se réunir pour en tirer les conséquences.

L'État a communiqué, en amont, sa position aux entreprises. Les niveaux de rémunération atteints par le passé méritent d'être reconsidérés et un effort de réduction de l'ordre de 30 %, par rapport à 2012 serait bienvenu. Il devrait, de même, être mis fin aux actions de performance et aux stock-options, ainsi qu'aux retraites chapeau, et les indemnités de rupture nouvellement décidées ne devraient pas être supérieures à douze mois de rémunération. Cette position déterminera notre vote sur le « say on pay » 2013.

Je ne suis pas en mesure, à ce jour, de fournir un bilan complet du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État ». En tout état de cause, nous sommes convenus de produire notre rapport sur l'État actionnaire non plus en octobre mais dès juillet, pour éviter un décalage excessif dans le temps.

Le comité stratégique de l'État actionnaire est en cours de constitution - les ministres étudient diverses propositions. Il sera composé d'agents publics, de fonctionnaires et de représentants de la société civile. Ce sera, pour l'APE, l'équivalent d'un conseil d'administration, dans sa fonction non d'administration mais de réflexion et de débat. Il est bon d'échanger de bonne foi avec un aréopage de personnes compétentes pour orienter la décision.

M. François Trucy. - Je vous remercie pour la clarté et la précision de vos propos. Comme Dominique de Legge et Jean-Claude Frécon, j'ai bien conscience que l'État doit être présent dans nos industries de défense. Sur les ventes d'armes, nous avons trois grands concurrents, les États-Unis, la Grande Bretagne et la Russie. Qu'elle est leur attitude à l'égard de leurs entreprises de défense ?

M. Éric Doligé. - Vous avez cité l'adage Dura lex, sed lex, mais puisqu'il est question de l'accompagnement de l'État, je saisis l'occasion pour observer qu'il n'est guère notable pour l'entreprise Duralex, à Orléans, à qui l'on met plutôt des bâtons dans les roues...

Je m'interroge sur le projet de compagnie nationale des mines : la réflexion semble laisser de côté le nickel de Nouvelle-Calédonie. Il y a de quoi être surpris.

M. Philippe Marini, président. - Une compagnie minière sans Eramet ni Areva a de quoi surprendre...

M. Jean-Paul Emorine. - Vous arbitrez au sein d'une enveloppe globale, avez-vous indiqué. Pouvez-vous nous rappeler à quel montant elle est évaluée - à comparer avec celui de notre endettement ?

Je m'interroge sur ce qu'il faut entendre par État stratège, étant de tempérament libéral. Dans le dossier Alstom, l'État a sans nul doute été stratège. Sous le mandat de Nicolas Sarkozy, il a injecté 800 millions d'euros dans une entreprise menacée par des prises de position étrangères, investissement valorisé à plus de 2 milliards d'euros l'année suivante.

L'État doit être actionnaire dans nos entreprises de défense, soit. Mais il l'est encore pour 99 % dans Giat Industries, quand sa participation dans Safran ou Thalès ne dépasse pas 30 %. On a du mal à comprendre ces différences.

Comme pourrait le faire Charles Revet, je m'étonne que l'État soit encore actionnaire à 100 % de nos grands ports. Ne serait-il pas logique de les concéder aux chambres de commerce locales ?

M. Philippe Marini, président. - Dans le bilan consolidé de l'État actionnaire, document dont le Parlement gagnerait à mieux tirer profit, les 14 % de PSA seront-ils inclus ?

M. Roger Karoutchi. - La France s'écroule, l'État n'a plus les moyens d'assurer la sécurité, la justice, l'éducation, la solidarité, et l'on continue pourtant de raisonner comme il y a un siècle. L'État ne peut être actionnaire dans tout ! Pour la défense et le nucléaire, il y a un véritable enjeu stratégique ; mais doit-il être présent dans Renault, doit-il rester présent à 100 % de la RATP et de la SNCF ? J'ai l'impression que l'on raisonne comme au lendemain de la Seconde guerre mondiale. Je ne suis pas de l'école libérale, mais j'estime qu'il faut faire des choix. Au reste, les qualités de gestionnaires de l'État sont loin d'être au niveau de celles des actionnaires privés, parce que ses contraintes ne sont pas les mêmes.

J'ai connu, en Ile-de-France, une RATP et SNCF sous l'autorité absolue de l'État. On gère différemment aujourd'hui, dans un vrai dialogue. L'État ferait mieux de se concentrer sur ce qui touche à notre indépendance nationale. C'est un débat qui n'est d'ailleurs pas nouveau et existait déjà du temps du général de Gaulle. L'État ne peut se mêler de tout. On ne peut pas raisonner comme au temps des nationalisations de 1945. Se désengager de certains secteurs non prioritaires nous rendrait des marges de manoeuvre dans des domaines clé.

M. Aymeri de Montesquiou. - Comme Roger Karoutchi, je m'interroge. Vos préoccupations de bonne gestion ne sont pas celles des holdings anglosaxonnes, ni des konzern allemandes, dont la stratégie est à la fois financière et industrielle. Elle ne se rapproche pas non plus de la stratégie japonaise des années 1950-1960, qui consistait à prendre en main la totalité d'un secteur, comme l'électricité ou la photographie, pour le porter.

Nous savons que notre industrie souffre de faiblesses considérables et d'un manque de stratégie vieux de quarante ans. Le bicéphalisme entre APE et Caisse des dépôts et consignations n'arrange pas les choses. L'État est un actionnaire puissant d'EADS, qui possède 40 % de Dassault Aviation, mais le Rafale est en compétition avec l'Eurofighter. Où est la stratégie ? Il faut choisir de grands axes. Or, on a l'impression d'une extraordinaire dispersion.

M. Jean Germain. - Je ne partage pas le sentiment de Roger Karoutchi. Je n'oublie pas le discours de Nicolas Sarkozy, qui à Annecy, en 2008, insistait sur la nécessité de protéger les entreprises françaises, y compris au sein de l'Europe, et annonçait un plan anti OPA ainsi que la création d'un fonds public d'intervention de 175 milliards d'euros. Ce fut l'objet de discussions en Europe, les Allemands y étant opposés, d'autres favorables. François Baroin n'a-t-il pas dévoilé récemment qu'il avait été envisagé, du temps où il était ministre de l'économie, une nationalisation partielle du site de Florange ? Le sujet est actuel, il est loin d'être dépassé. Il y a eu, en France, des nationalisations punitives et des nationalisations colbertistes. Les prises de participations peuvent donner des réussites, on l'a vu avec Alstom.

La question est celle de la souveraineté industrielle, financière et politique d'un pays à l'intérieur de l'Union européenne. On est au-delà du débat sur l'État colbertiste ou prédateur. Le sujet est actuel, le résultat des élections européennes le montrera. Entre la nationalisation totale et le marché juste et parfait, on se rendra compte qu'un certain nombre de citoyens, libéraux ou pas, ont du mal à se retrouver.

Sur les grandes orientations, sur la défense ou le nucléaire, on a le plus grand mal, en Europe, à distinguer une ligne. Comment l'APE parvient-elle à s'orienter ? Voir le débat sur le nucléaire. Tout le monde est contre à la veille des élections, et une fois que c'est fini, on considère que l'on ne peut plus s'en passer.

M. Philippe Marini, président. - Le nucléaire est plus populaire qu'on ne croit.

M. Christian Bourquin. - Absolument !

M. Philippe Marini, président. - J'ai souvenir d'un excellent ouvrage intitulé Adieu Colbert, où l'auteur, qui n'est autre que Yann Gaillard, posait cette question des stratégies souveraines.

M. Philippe Dominati. - L'État actionnaire est-il exemplaire ? Le législateur a voulu une féminisation des conseils d'administration des sociétés privées. L'APE respecte-t-elle ce principe lorsqu'elle désigne des administrateurs ? Ces derniers veillent-ils, dans leurs fonctions, à la question des écarts de rémunération entre personnels masculins et féminins ?

Sur la question des transports en Ile-de-France, il faudrait parler aussi de Réseau ferré de France (RFF) et de la société du Grand Paris (SGP) - dont la capitalisation à hauteur 4 milliards n'a pas eu lieu... Je voudrais comprendre les processus de décision. Vos préconisations sont-elles entendues ou les choix restent-ils purement ministériels ? Où est le plan stratégique en Île-de-France, quand quatre sociétés d'État y sont en concurrence ? Nous sommes une véritable exception en Europe ; nous restons le seul État européen où demeure - en Île-de-France - un monopole des transports publics.

Comment a été prise la décision de vendre une part significative d'Aéroports de Paris (ADP) ? Les collectivités territoriales concernées ont-elles été consultées ? Quid de la liaison Roissy-Charles de Gaulle-Paris ? Avez-vous émis des préconisations ? Approuvez-vous les décisions du gestionnaire ?

Quelles sont vos satisfactions et vos insatisfactions de gestionnaire d'État ? Comment jugez-vous vos participations dans les entreprises ? J'ai le sentiment que le processus de décision vous échappe.

M. David Azéma. - Notre doctrine n'est pas colbertiste, consistant à créer des entreprises à 100 % publiques pour satisfaire les besoins du pays. Il ne s'agit pas non plus de nationaliser l'économie nationale. Nos positions sont proches de celles qu'on retenues la plupart des pays, à l'exception notable des États-Unis, du Japon et, sans doute, de la Grande Bretagne. L'État a intérêt à utiliser les interventions en fonds propres pour protéger les fleurons de son industrie contre les interventions hostiles mais aussi pour favoriser l'émergence de filières jugées stratégiques. Nous nous interdisons, cependant, à la différence de beaucoup de fonds souverains étrangers, d'investir en direct à l'étranger ; si les entreprises auxquelles nous participons le font, leur tête n'en reste pas moins en France - j'excepte Airbus Group, société plurinationale dont il a fallu choisir le siège dans un pays « neutre ».

Nous avons fait le travail de benchmarking. Partout, de l'Arabie saoudite à la Chine, se mènent des politiques d'intervention très stratégiques, partiellement par l'État, partiellement en bourse, et l'on met même en concurrence des entreprises publiques - la Chine a quatre entreprises de transport aérien sous capital public, six pour l'automobile. On y allie l'intervention publique en capital à un mode de gestion normal. C'est assez différent de ce que furent longtemps nos pratiques, dont on trouve la traduction institutionnelle dans les EPIC, directement sous tutelle de l'État. Par un abus de langage, et parce que ces EPIC cherchent de plus en plus à se gérer comme des entreprises, on assimile, dans notre portefeuille, des choux et des carottes - car il y a une vraie différence de nature entre un EPIC et une société anonyme à laquelle l'État participe aux côtés d'autres investisseurs. En 1967, déjà, le rapport Nora invitait à distinguer entre sociétés commerciales et EPIC.

Certes, notre portefeuille est hérité du passé, mais notre doctrine est héritière de la création de l'APE, en 2004. Cette doctrine peut être efficace, sachant qu'il faut la mettre en oeuvre en « investisseur avisé », pour reprendre les termes de la Commission européenne, et être capable d'arbitrer, pour se remettre à jour, car les priorités stratégiques d'hier ne sont pas forcément celles d'aujourd'hui. N'oublions pas, non plus, que nous ne sommes pas un centre de coûts mais de revenus : l'« usine APE » produit 4 milliards d'euros de dividendes par an, ce n'est pas rien. Est-il toujours urgent d'opérer des cessions sur des produits qui rapportent 4 % par an pour éviter de la dette qui coûte nettement moins ? S'il peut être utile de céder de beaux actifs pour faire face aux exigences du moment, il serait dommage de vendre l'intégralité des « bijoux de famille », alors que le vrai sujet, pour parler en entrepreneur, ce sont les dépenses d'exploitation et le solde d'exploitation.

Si le débat persiste quant à l'application in concreto de ces principes, nous estimons que la doctrine est durable, au-delà des alternances. A la différence des Américains, qui ne conçoivent pas que le nucléaire puisse être contrôlé par l'État, ou des Britanniques qui estiment qu'une action chez BAE suffit au Gouvernement pour atteindre ses objectifs stratégiques, les Français considèrent que la participation de l'État au nucléaire est légitime. Nous pouvons nous retrouver sur cette façon dont nos concitoyens appréhendent le sujet. Reste la question du niveau de participation. Pour Aéroports de Paris, nous avons agi conformément à notre doctrine : détenir 60 % plutôt que 51 % ne change rien quant à la maîtrise de la gouvernance ; les 9 % supplémentaires ne sont que patrimoniaux. Une part de la participation était détenue par Bpifrance ; nous sommes convenus de joindre nos pas, après avis de la Commission des participations et des transferts.

Sur les mines, l'annonce du ministre est d'intention politique. Le ministère du redressement productif, qui a la tutelle des mines, a jugé que la France ne disposait pas d'un acteur minier susceptible de valoriser nos compétences d'exploration. En matière minière, c'est l'exploitation et non l'exploration qui est gourmande en capitaux. Il s'agit bien de créer un véhicule minier français sur l'exploration en faisant levier sur les compétences, la réputation et la capacité du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). La position d'Areva-Mines et d'Eramet n'est pas tranchée, nous en sommes encore à un stade préliminaire. Le montant annoncé est-il suffisant ? Avec 400 millions d'euros, nous pouvons entretenir des équipes d'exploration de manière tout à fait raisonnable pendant plusieurs années jusqu'à ce que, après plusieurs essais infructueux, vous puissiez régénérer les capacités de financement de votre entreprise.

La valeur de notre enveloppe ? Une partie de notre portefeuille, côté en bourse, est facile à estimer, le reste l'est moins. L'an dernier, nous étions autour de 100 milliards d'euros, dont 60 côtés en bourse, qui valent aujourd'hui autour de 80 milliards d'euros, bien que nous ayons cédé 3,3 milliards d'euros d'actifs. C'est une enveloppe qui n'est pas négligeable.

M. Aymeri de Montesquiou. - Et au regard de l'endettement des entreprises ?

M. David Azéma. - L'endettement consolidé est significativement supérieur - EDF et GDF Suez, où les investissements sont lourds, le sont particulièrement - mais la valeur des entreprises est très au-dessus. Nous ne pouvons produire de comptes consolidés, car nous n'en avons pas : c'est qu'il n'existe pas un groupe « État ». C'est heureux, car les conséquences seraient difficiles à gérer en droit de la concurrence...

M. Philippe Marini, président. - C'est l'hypocrisie européenne... En réalité, ce groupe existe bel et bien, mais on ne veut pas le révéler, pour des raisons formelles.

M. David Azéma. - Nous sommes un conglomérat financier. Un bilan consolidé entre des entreprises aussi différentes que la RATP et Airbus Group n'a pas de sens. Et, pour tout dire, les comptes consolidés que l'on produit soigneusement tous les ans ne signifient rien !

Dans notre portefeuille, vingt entreprises pèsent pour plus de 80 % de la valeur. Il faut regarder entreprise par entreprise pour juger de la qualité du portefeuille. Mélanger EDF, entreprise très intensive en capital, et La Poste, intensive en main d'oeuvre qui, au surplus, en sont à des stades très différents de développement et de maturité, donne une moyenne qui ne signifie rien. Il faut donc lire nos état financiers - qui sont exacts - avec prudence. En la matière, la consolidation du portefeuille de l'Etat ne dit pas grand-chose.

La politique des transports en Île-de-France n'est pas de la responsabilité de l'APE... En tant qu'actionnaires, nous la subissons.

M. Roger Karoutchi. - Nous aussi !

M. David Azéma. - De même, Kéolis ou la RATP subiront les conséquences de la politique du Grand Londres, avec le retour en régie publique de ce qui était parti chez Crossrail. C'est une politique définie en partie par le STIF (Syndicats des transports d'Île-de-France) et en partie par l'État.

Quant à la société du Grand Paris, elle ne fait pas partie de notre périmètre d'intervention.

M. Philippe Marini, président. - Ce n'est, du reste pas une société, mais un établissement public à caractère industriel et commercial.

M. David Azéma. - Sur la féminisation, vous trouverez des chiffres dans notre rapport. La dynamique est conforme aux orientations définies par le Gouvernement. Le comité de la responsabilité sociale fait le point chaque année. Nous nous sommes dotés, pour la nomination d'administrateurs, d'un vivier sélectionné par un cabinet retenu sur appel d'offres, grâce auquel nous venons d'identifier une excellente administratrice pour Thalès.

L'ordonnance vise à éviter les scories d'un régime de tutelle venu se superposer au droit des sociétés. Un exemple : une fois que le comité des rémunération et le conseil d'administration se sont prononcés, à quoi bon demander une approbation ministérielle sur les rémunérations approuvées ? Nous devons éviter les redondances.

Nous souhaitons ainsi élargir notre capacité de nomination dans les conseils d'administration, en reconnaissant, comme la plupart des États étrangers, qu'il est important d'avoir des administrateurs qui pèsent au sein des conseils par leur expérience et leur capacité intellectuelle. Un choix intuitu personae plutôt que purement ès qualités, de fonctionnaires appelés à la mobilité, peut parfois se révéler utile. La Caisse des dépôts et consignations en a déjà la faculté. Il s'agit de passer d'une approche excessivement juridique à une approche pragmatique et de comprendre que l'on existe en considération des gens que l'on a nommés et que ce sont eux qui font véritablement la décision.

Sur les opérations de cession, enfin, le mille-feuilles des textes est tel qu'il est difficile de s'y retrouver, et nous devons avoir recours à des cabinets d'avocats pour savoir, par exemple, quelle doit être la bonne procédure pour céder 3 % des thermes d'Aix-les-Bains... Il faut y remettre de l'ordre.

Si notre participation est à une telle hauteur chez Giat, c'est que c'est une structure qui ne fait que porter des passifs environnementaux. On ne voit pas qui pourrait s'y substituer. La société qui compte est Nexter, que Giat possède à 100 %. Compte tenu de la doctrine, il est tout à fait possible que la participation de l'État diminue un jour dès lors, par exemple, qu'il existerait un projet stratégique pour constituer un acteur plus puissant. Il n'y a pas de tabou quant au niveau de détention dans les industries d'armement. L'enjeu est de s'assurer un noyau compris entre 15 % et 30 %, voire moins si on est « pacté » avec d'autres qui nous permettent de tenir ce noyau, afin d'éviter les agressions et les prises de contrôle non souhaitées. En matière d'armement, l'actionnariat est une chose, la commande publique en est une autre. L'État dispose de plusieurs moyens pour s'assurer du devenir stratégique des entreprises de ce secteur.

M. Philippe Marini, président. - Tant qu'il y a un peu d'argent dans le budget...

M. David Azéma. - Certes. Et il arrive parfois que nous contribuions à ce que des recettes exceptionnelles l'alimentent...

Au moment de la cession de la SNCM, l'État, c'est le fruit de l'Histoire, gardait une participation minoritaire. L'entreprise est dans une situation financière difficile, que pourraient aggraver encore les procédures communautaires en cours. Il existe un plan de redressement, qui doit encore être soumis aux parties. Sur ce sujet d'importance, qui engage la desserte de la Corse et l'emploi dans la région de Marseille, le Gouvernement est vigilant et suit au jour le jour le développement de l'entreprise.

M. Philippe Marini, président. - Réponse prudente, mais inévitable dans une période préélectorale...

Il me reste à vous remercier pour votre contribution, dont je salue la vivacité et la précision.

Mécanisme de résolution unique : nouvelle étape de l'Union bancaire - Examen du rapport et du texte de la commission

Puis, la commission procède à l'examen du rapport de M. François Marc et l'élaboration du texte de la commission sur la proposition de résolution européenne n° 389 (2013-2014) de M. Richard Yung, présentée au nom de la commission des affaires européennes, en application de l'article 73 quater du Règlement, sur le Mécanisme de résolution unique : nouvelle étape de l'union bancaire.

M. François Marc, rapporteur général. - Je serai bref, car je souscris à cette proposition de résolution européenne. À la suite de l'audition conjointe d'hier, à laquelle je n'ai malheureusement pas pu assister, nous en examinons le texte tel qu'adopté jeudi dernier à l'unanimité par la commission des affaires européennes, à l'initiative de notre excellent collègue Richard Yung.

Cette proposition permet au Sénat de prendre position dans un débat dont les enjeux politiques, économiques et budgétaires sont majeurs.

Quelques éléments de contexte relatifs à l'union bancaire, tout d'abord. L'année 2014 est marquée par la mise en place du superviseur unique européen, en parallèle de la négociation sur le mécanisme de résolution unique. A l'automne 2013, le Parlement européen et le Conseil ont adopté deux textes qui ont transféré à la Banque centrale européenne (BCE) la responsabilité de la supervision de l'ensemble des établissements de crédit de la zone euro : c'est le mécanisme de surveillance unique (MSU), premier pilier de l'union bancaire.

La BCE sera directement en charge de la supervision des 128 établissements les plus importants, soit ceux qui présentent un bilan supérieur à 30 milliards d'euros, ou qui représentent plus de 20 % du PIB de leur pays d'origine, ou encore qui ont requis une aide financière du Fonds européen de stabilité financière (FESF) ou du Mécanisme européen de stabilité (MES). Ainsi, la supervision de la plupart des banques françaises ne sera plus, à l'avenir, assurée par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), qui conservera néanmoins la charge de la surveillance quotidienne des établissements.

Pour lancer sa nouvelle mission sur des bases saines et connaître - mais aussi faire connaître - la réalité de la situation des banques de la zone euro, une revue générale de la qualité des actifs bancaires pour ces 128 établissements a été engagée ; cet exercice se conclura par des tests de résistance.

La présidente du conseil de supervision de la BCE, Danièle Nouy, a d'ores et déjà annoncé, le 7 février, que certains établissements devraient ne pas sortir indemnes de cet exercice : « Nous devons accepter le fait que certaines banques n'ont pas d'avenir. Nous devons en laisser quelques unes disparaître de manière ordonnée, et ne pas forcément essayer de les fusionner avec d'autres institutions. »

M. Jean-Claude Frécon. - On ne peut être plus clair !

M. François Marc, rapporteur général. - La proposition de résolution européenne de notre collègue Richard Yung appelle l'attention sur cet exercice et souligne, à juste titre, qu'il ne sera gage de crédibilité pour la zone euro que si une réponse forte et coordonnée est apportée à la publication des résultats et aux difficultés qui se feraient jour. En ce sens, il est important que la résolution demande, aux alinéas 16 et 17, que soit finalisé l'instrument de recapitalisation directe par le MES des établissements en difficulté. Le principe de cet outil a été maintes fois affirmé par les conseils européens et les conseils Ecofin successifs, et il est nécessaire, pour amortir le résultat de cet exercice, en attendant la mise en place complète du mécanisme de résolution unique. Le sous-directeur du Trésor, Corso Bavagnoli, a, me semble-t-il, indiqué que l'objectif était de parvenir à un accord sur cet instrument d'ici au mois de mars.

Le mécanisme de résolution unique (MRU), deuxième volet de l'union bancaire, doit comprendre une procédure décisionnelle efficace et garantir une responsabilité politique des décisions prises.

La mise en place d'un MRU est le corollaire nécessaire de celle du superviseur unique, afin d'assurer l'articulation entre l'identification des difficultés d'un établissement par le superviseur d'une part, et le lancement d'une procédure de restructuration, d'autre part.

La Commission a présenté une proposition de règlement pour le MRU en juillet 2013, avant même que le MSU ait été formellement adopté. Le Conseil est parvenu à un accord sur cette proposition le 19 décembre dernier. Les négociations sont actuellement en cours entre le Conseil, la Commission et le Parlement européen.

Le MRU transpose, pour la zone euro, le mécanisme de résolution qui a été harmonisé pour tous les États membres de l'Union par la directive sur le redressement et la résolution des banques dite « BRRD ». Il n'innove donc pas dans la palette des outils de résolution dont disposera l'autorité de résolution : plans de redressement des établissements a priori, établissements-relais, transferts d'actifs, cession ou fermeture d'activités, conversion de certaines créances en capital, etc. L'outil le plus décisif sera, à coup sûr, le renflouement interne, c'est-à-dire la recapitalisation par les créanciers, dont les conséquences sur le refinancement des banques devront être précisément évaluées, sachant que ces créances, plus risquées, seront pour elles plus onéreuses.

La procédure de prise de décision reste un point très débattu : qui aura la faculté d'« appuyer sur le bouton » de la résolution et d'engager le démantèlement d'une banque, avec les conséquences économiques et sociales que cela implique ? La Commission souhaiterait être cette autorité, mais on peut craindre qu'elle ne fasse primer des considérations techniques ou juridiques, alors que le Conseil pourrait trouver un équilibre entre l'appréciation de la viabilité d'un établissement et les considérations politiques, européennes et nationales. Comme l'a dit, je crois, Richard Yung hier : il n'est pas anormal que, tant que les États font fonction de filet de sécurité, ils conservent un pouvoir de décision sur la résolution.

Le système de décision proposé par le compromis du Conseil du 19 décembre 2013, faisant appel à quatre instances, toutes collégiales de surcroît - conseil de résolution unique en session plénière, conseil de résolution unique en session exécutive, Commission, Conseil - est complexe et propice aux blocages institutionnels : lorsque des difficultés sont déclarées, les marchés n'attendent pas pour mettre à mort un établissement. Il est donc nécessaire de prévoir une simplification du processus de décision, voire une procédure d'urgence. C'est l'objet des alinéas 30 et 31 de la proposition de résolution.

Le financement de la résolution doit passer par un fonds de résolution solide et rapidement mutualisé et par un filet de sécurité financier efficace.

C'est l'un des principaux objectifs d'une procédure de résolution que de trouver un financement pour absorber les pertes, afin d'éviter que les difficultés de l'établissement ne se transmettent à ses contreparties non remboursées, créant une crise potentiellement systémique.

Ce financement devra, à l'avenir, être essentiellement privé : d'abord les actionnaires, puis les créanciers, enfin un fonds de résolution alimenté par les banques.

Le premier enjeu réside dans les modalités de constitution de ce fonds, qui doit atteindre, en dix ans, 55 milliards d'euros. Il ne s'agit pas, à travers les règles de calcul, de protéger nos banques nationales par rapport aux banques des autres États membres, mais de faire en sorte que les contributions soient adaptées aux caractéristiques du bilan des établissements et tiennent notamment compte du risque de leurs activités. C'est pourquoi la proposition de résolution demande, à juste titre, l'application du critère des actifs pondérés par les risques, à côté de celui de la taille des établissements. Il s'agit de trouver un bon compromis entre logique de solidarité, inhérente à l'Union bancaire, et dimension assurantielle, responsabilisant les parties prenantes.

Le second enjeu réside dans la vitesse à laquelle les compartiments nationaux, alimentés par les secteurs bancaires nationaux, seront mutualisés dans un fonds unique européen. Si un délai semble justifié pour éviter que la totalité des contributions au fonds dans les premières années soit absorbée par le financement d'une ou plusieurs procédures de résolution dans quelques États membres au secteur bancaire fragile, il n'en demeure pas moins que le rythme de mutualisation de 10 % par an que projette le Conseil réduit considérablement le principe de solidarité : ne pourraient au départ être utilisées que des ressources très limitées - seulement 550 millions d'euros pour toute la zone euro la première année.

C'est pourquoi nous pouvons, je crois, être favorable à la solution de compromis consistant à réduire à cinq ans le délai de mutualisation des compartiments nationaux. C'est le sens de l'alinéa 41 de la proposition de résolution. Au terme de ces cinq ans, le montant-cible du fonds - 55 milliards d'euros - n'aura pas encore été atteint, mais les contributions annuelles des banques seront versées directement au fonds unique, sans transiter par des compartiments nationaux.

Enfin, pour assurer la crédibilité du mécanisme, il est nécessaire de mettre en place une forme de garantie publique en dernier ressort. Le Conseil souhaite que ce filet de sécurité permette de faciliter le recours du fonds de résolution à l'emprunt : ce pourrait être une garantie du MES, ou une garantie conjointe des États participants sur les émissions du fonds de résolution.

En attendant et pour la durée de la période de mutualisation, un filet de sécurité doit être en place : il ne peut s'agir que du MES, doté d'une capacité de recapitalisation directe des établissements.

Ainsi, le risque bancaire ne pourrait plus créer de risque souverain puisqu'à aucun moment la défaillance d'un établissement ne pourrait peser directement sur le budget d'un État membre. Cela ne signifie pas que le soutien public national soit complètement exclu : des garanties publiques, notamment lorsque la banque en difficulté peut être redressée, pourraient continuer d'être accordées. Mais les recapitalisations publiques de banques vouées sans cela à disparaître, telles nous les avons connues, ne devraient plus être possibles.

Je ne propose pas d'amendement à cette proposition de résolution européenne qui traite, de façon précise, l'ensemble des enjeux-clés du mécanisme et va même au-delà en rappelant certains aspects souvent occultés, comme l'exigence d'une régulation des infrastructures de marché et les conséquences du renflouement interne. Sur l'ensemble des questions, elle apporte des réponses qui vont dans le sens d'un dispositif crédible, ambitieux et équilibré.

M. Philippe Marini, président. - Je suis tenté de vous suivre dans cette analyse. Une question, cependant, sur l'alinéa 27 de la résolution, qui juge que les modalités de calcul des contributions ainsi que les principes d'administration et d'investissement du Fonds de résolution ne doivent pas relever d'actes délégués. Cela signifie-t-il que ces dispositions doivent figurer dans l'accord intergouvernemental ?

M. Richard Yung. - Prévoir que ces fonds, qui atteindront pour le moins 55 milliards d'euros, soient gérés selon des règles fixées par des actes délégués, c'est aller loin dans les pouvoirs accordés à la Commission. Il nous semblerait normal que ce soit le comité exécutif du fonds de résolution, où sont présents les États membres, qui assure cette gestion.

M. Philippe Marini, président. - Souhaitez-vous faire d'autres observations ?

M. Richard Yung. - Les parlements nationaux ont bien du mal à suivre et contrôler ces politiques ; nous l'avons touché du doigt à Bruxelles. Nous devons inventer des moyens plus précis de contrôle. Le ministre pourrait venir devant notre commission pour expliquer où en sont les négociations.

M. Philippe Marini, président. - Le 17 avril, nous entendrons Pierre Moscovici sur le programme de stabilité. Nous pourrions en effet en profiter pour l'interroger sur ce sujet.

La proposition de résolution européenne a alors été adoptée sans modification.

Audition de M. Charles Coppolani, président de l'Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL)

Erratum au bulletin du 26 février 2014

Au cours d'une seconde réunion, la commission procède à l'audition de M. Charles Coppolani, président de l'Autorité de régulation des jeux en ligne.

M. Philippe Marini, président. - Nous sommes heureux d'accueillir Charles Coppolani, président de l'Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel). Notre commission a participé à tous les débats sur la régulation des jeux, celle des jeux en ligne en particulier. Elle est très active sur le sujet. François Trucy en est le spécialiste, qui a multiplié les rapports sur la question.

M. François Trucy. - Quatre !

M. Philippe Marini, président. - L'Arjel est issue de la loi de 2010. Vous venez d'être nommé président - le 24 février - par décret du Président de la République. Ce poste ne fait pas partie de ceux pour lesquels, en application des dispositions du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, un avis public de la commission permanente compétente de chaque assemblée est prévu, mais Michèle André et François Marc ont déposé une proposition de loi organique en ce sens, adoptée par le Sénat. Hélas, l'Assemblée nationale ne semble pas faire de ce texte une priorité. Elle a pourtant, dans le projet de loi sur la consommation, validé un dispositif miroir de niveau législatif simple. Néanmoins, même si elle ne se prononcera pas sur votre nomination, notre commission est très dériseuse de vous entendre, dès aujourd'hui, afin de savoir dans quel esprit vous allez exercer vos fonctions.

M. Charles Coppolani, président de l'Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel). - Merci de me recevoir. Les autorités administratives indépendantes (AAI) n'ont de sens, je crois, que dans la mesure où elles sont en relation directe avec le Parlement. J'ai été affecté à ma sortie de l'Ecole nationale d'administration (ENA), en 1978, à l'agence judiciaire du Trésor, devenue la direction des affaires juridiques du ministère. J'y ai été responsable des grands procès de l'État, et notamment du dossier de l'Amoco Cadiz, que j'ai suivi pendant treize ans devant les juridictions américaines. Chef de bureau, j'avais rencontré le président Marini à propos du lourd contentieux CEA-Eurodif.

M. Philippe Marini, président. - Je m'en souviens ! Eurodif, l'Iran...

M. Charles Coppolani. - Affecté ensuite au Contrôle d'État, je me suis spécialisé dans le contrôle et l'optimisation de l'usage de l'argent public, autour de dossiers tels que celui du Fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles, ou en tant que responsable de la mission de contrôle de France Télécom, puis d'EDF. En 2006, j'ai été nommé chef d'un nouveau service, le contrôle général économique et financier (CGEFI), issu de la fusion de divers corps de contrôle. Il m'a fallu gérer le changement et préparer le service aux nouvelles obligations de la gestion publique. Désormais, le CGEFI est le deuxième corps de contrôle de l'État à avoir reçu une certification, rendant ses audits directement utilisables par la Cour des comptes. J'ai présidé aussi le comité exécutif, l'assemblée générale et le comité d'audit du Fonds international d'indemnisation des pollutions marines (FIPOL). C'est avec beaucoup d'intérêt que j'ai accepté, en 2011, la présidence de l'Observatoire des jeux qui venait d'être créé par la loi de 2010. François Trucy m'a beaucoup aidé alors, je l'en remercie.

Il s'agit, en effet, d'un univers rempli de contradictions. Le jeu est un plaisir, mais peut être un gouffre sans fond qui entraîne des désastres familiaux. Pour l'État, c'est à la fois une ressource financière et un risque de santé publique à surveiller. Les opérateurs souhaitent maximiser leur profit, tout en développant une politique de jeu responsable... À l'Arjel de gérer ces contradictions pour assurer une gestion équilibrée de ce secteur. Mes objectifs sont fixés par la loi de 2010, mais j'aurai aussi à adapter l'institution aux nouvelles missions que la loi prochainement en vigueur lui confie.

Notre premier objectif est la protection des joueurs. Le taux de retour aux joueurs (TRJ) n'est pas toujours dissuasif. Le rapport entre le niveau du retour et l'abondance de l'offre n'est pas établi. Le taux de prévalence des addictions est plus fort dans les jeux en ligne, qui fonctionnent sur un modèle plus intensif que celui du réseau physique. Ce phénomène préoccupant s'observe aussi à l'étranger. Il conviendra ensuite d'offrir aux opérateurs agréés des conditions économiques optimales, garantie contre l'offre illégale. Pour cela, sans lever les garde-fous instaurés par la loi, il conviendra de suivre l'évolution macroéconomique des marchés et de simplifier certaines procédures. Je veillerai aussi à l'éthique du sport, comme l'a fait mon prédécesseur, en développant la coopération internationale. Les matchs truqués sont souvent organisés en dehors de notre territoire. Nous en avons été largement protégés jusqu'à présent. C'est un sujet qui ne peut être abordé qu'au niveau international. Il importe enfin de lutter contre l'offre illégale, dangereuse pour les joueurs et nuisible aux opérateurs agréés.

Pour atteindre ces objectifs, nos outils techniques devront être maintenus au meilleur niveau. Déjà, l'offre en ligne ne se limite plus aux ordinateurs fixes et migre vers les portables, les tablettes, voire la télévision. Nous devrons aussi nous appuyer sur la recherche universitaire, malheureusement peu développée en France dans ce domaine. Par exemple, nous ne disposons pas de méthodologie pour apprécier l'ampleur de l'offre illégale. La coopération internationale devra être renforcée. Ma méthode reposera toujours sur l'écoute de tous les acteurs et sur la concertation, avec le souci constant d'optimiser l'usage de l'argent public.

Je souhaite enfin rendre hommage à l'action de mon prédécesseur, Jean-François Vilotte, qui a conçu et installé l'Arjel.

M. Philippe Marini, président. - C'est élégant !

M. François Marc, rapporteur général. - Nous avons eu des relations suivies avec Jean-François Vilotte, notamment François Trucy, qui a été rapporteur des textes sur le sujet. A présent, nous sommes heureux de faire votre connaissance, M. Coppolani. Les jeux en ligne représentent aujourd'hui un enjeu considérable, c'est pourquoi Michèle André et moi-même avons déposé une proposition de loi organique prévoyant, lors de la nomination du président de l'Arjel, l'application des dispositions du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution. Les jeux rapportent 5 milliards d'euros par an à l'État. Leur régulation se fait dans un environnement en évolution rapide, notamment sur le plan technique. Elle est indispensable, tant les addictions peuvent avoir de conséquences dommageables. Le Parlement doit être vigilant.

Vous avez énoncé vos priorités : protection des joueurs, des opérateurs, surveillance de l'éthique du sport et lutte contre l'offre illégale. Vous avez bien fait de dénoncer la carence de notre recherche universitaire en ce domaine. Quant à la coopération internationale, elle est en effet indispensable. Prévoyez-vous de faire évoluer la gouvernance de l'Arjel ? L'assiette fiscale des jeux en ligne est-elle selon vous adéquate ? Certains réclament qu'elle ne soit plus fondée sur les mises mais sur le produit brut des jeux (PBJ). Les paris sportifs devraient être mieux encadrés. N'est-il pas étonnant que l'on puisse parier sur des phases de jeu qui sont sans incidence sur le résultat du match ? Cela augmente le risque de corruption des joueurs... Enfin, des avancées sont-elles nécessaires sur les outils de détection des paris frauduleux ?

M. François Trucy. - Je connais bien Charles Coppolani. Si je regrette le départ de Jean-François Vilotte, qui a mené tambour battant l'installation de l'Arjel, et tenait scrupuleusement compte des préoccupations des parlementaires, je me réjouis que son successeur soit une personnalité aussi compétente, qui a de toutes pièces créé l'Observatoire des jeux, dans un environnement marqué par la carence extrême des recherches théoriques, que dénonçaient depuis longtemps psychologues, sociologues et universitaires. Les premiers résultats ont été remarquables, et Charles Coppolani a même trouvé un budget pour cet Observatoire, ce qui prouve qu'il n'est pas simplement un homme de dossiers. Il apporte à l'Arjel sa connaissance de tout le secteur. Je souhaite d'ailleurs que l'Arjel se voit rapidement confier la régulation de tous les jeux, afin que les distorsions de régulation se réduisent. En particulier, les outils de l'Arjel pour protéger les mineurs et lutter contre l'addiction sont bien meilleurs que ceux dont disposent la Française des Jeux ou le PMU. Les jeux sont une ressource pour l'État, mais il faut protéger les joueurs. Ce sont des malades qui ne veulent pas être guéris, ce qui les rend difficiles à traiter ! Au fait, qui remplacera Charles Coppolani à l'Observatoire ?

M. Philippe Marini, président. - L'Autorité de la concurrence vient, s'agissant du PMU, de séparer les paris sur Internet de ceux effectués dans le réseau.

Mme Michèle André. - J'ai été chargée, pour le projet de loi sur la consommation, du rapport pour avis au nom de la commission des finances, et j'ai ainsi été conduite à m'intéresser aux jeux en ligne - sans être familière du sujet comme François Trucy. L'ouverture à l'international des tables de poker en ligne n'a pas été intégrée au texte en raison des risques de blanchiment. Estimez-vous que cette évolution soit souhaitable ? Dans quelles conditions pourrions-nous l'organiser ? Les jeux d'adresse en ligne ou skill games comportent-ils des risques particuliers, en termes de fraudes ou d'addiction ? La concurrence est-elle satisfaisante sur le marché des jeux en ligne, en particulier pour les jeux hippiques, avec la position très forte du PMU ?

M. Charles Coppolani. - Ayant pris mes fonctions hier après-midi, je ne saurais répondre à tout ! La gouvernance de l'Arjel est, par la loi, confiée à un collège, que je n'ai pas encore rencontré. Le président est l'exécutif. Mon prédécesseur a réformé l'organigramme en octobre dernier. La Cour des comptes a confié à Mme Malgorn une étude sur l'Arjel, mais son rapport n'est pas encore disponible. Bien sûr, je tiendrai compte de ses conclusions.

Comme vous le savez bien, ce n'est pas l'Arjel qui décide de l'assiette fiscale applicable aux secteurs des jeux en ligne. Je pense, cela dit, que la délicate question de la fiscalité ne peut pas être traitée indépendamment de celle du TRJ, les opérateurs liant, en réalité, l'instauration du PBJ comme assiette fiscale au déplafonnement du taux de retour aux joueurs. Rappelons d'ailleurs que la France est le seul État européen qui plafonne le TRJ. Or, comme nous l'avons écrit dans le Livre blanc, en nous fondant sur la littérature internationale et sur de nombreuses auditions, un TRJ élevé favorise les addictions par deux canaux : d'une part, les gains étant souvent remis en jeu, la durée de jeu est plus longue et, d'autre part, en gagnant souvent de petites sommes, le joueur est incité à penser qu'il maîtrise le hasard. Au total, c'est donc avec une grande prudence que j'aborde ces sujets qui relèvent de la compétence du législateur.

L'encadrement des paris sportifs est fondamental. L'Arjel a interdit les paris sur les matchs sans enjeu de compétition, car les risques de corruption y sont plus élevés. Je ne connais pas encore le détail des paris sur les phases de jeux. Mon prédécesseur s'en était déjà soucié et avait indiqué au comité consultatif des jeux, comme François Trucy s'en souvient certainement, qu'il convenait de prohiber les paris sur les éléments du match sans impact sur le résultat final.

Les chiffres d'affaires des réseaux physiques sont sans commune mesure avec ceux des jeux en ligne : 12 milliards d'euros pour la Française des Jeux, 10 milliards d'euros pour le PMU, quand les mises totales pour l'ensemble des jeux agréés en ligne s'élèvent à 8 milliards d'euros, et que leur produit brut, en 2012, fut de 686 millions d'euros. Nos poids économiques respectifs sont très différents. Faut-il aller vers une autorité de régulation unique ? Toute institution tend à se développer et ce pourrait être une tentation... Une autorité de régulation apparaît lorsqu'un monopole est supprimé. Elle est liée à un marché ouvert. J'ai siégé au comité consultatif des jeux, il supervise les programmes de jeux responsables et de lutte contre le blanchiment de la Française des Jeux et du PMU. Ceux-ci sont surveillés de très près et font l'objet d'un rapport annuel au ministre. Bien sûr, les jeux en ligne présentent un certain nombre d'avantages, notamment pour empêcher le jeu des mineurs. Pour autant, la Française des jeux et le PMU sont désormais très sensibilisés à cette question et, en particulier, rappellent au réseau des détaillants la nécessité de demander une pièce d'identité chaque fois que l'on pense avoir affaire à un mineur. Plus qu'une fusion, la priorité serait le partage des données et la coordination des actions.

L'ouverture des tables de poker à l'international a été écartée du projet de loi. Bien sûr, cela donnerait davantage d'intérêt au jeu, mais il y a, dans plusieurs pays, une criminalité organisée qui pourrait utiliser ce moyen pour blanchir de l'argent. La jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne est assez nuancée et considère que la gestion des jeux relève des États, laissés libres d'opter pour le monopole s'ils le souhaitent. Le principe de non-reconnaissance mutuelle des opérateurs constitue une exception au droit commun européen. La Cour a estimé toutefois, à propos du cas italien dans les années quatre-vingt-dix, qu'une gestion des jeux axée sur des objectifs commerciaux interdisait d'en limiter l'accès à d'autres opérateurs aussi strictement que lorsque prévalent les impératifs de sécurité publique de protection des consommateurs. Il faudrait donc soigneusement peser les éventuelles conséquences pour la France, de ce point de vue, d'une éventuelle ouverture à l'international du poker en ligne.

L'Arjel a déjà présenté un rapport sur les jeux d'adresse en ligne, qui soulignait les risques de fraudes - comment savoir qui joue en face, homme ou machine ? - et exprimait toutes ses réticences.

Certains opérateurs historiques qui interviennent sur le réseau physique proposent aussi des jeux en ligne. Vous l'avez rappelé, l'Autorité de la concurrence a distingué, concernant le PMU, entre les mises provenant du réseau physique et les mises en ligne, ce qui rétablira les conditions de concurrence avec les autres opérateurs. La Française des jeux n'est pas concernée, elle n'intervient pas dans les paris hippiques. C'est une décision importante !

Le nombre d'agréments a diminué au fil du temps, et nous sommes passés d'une trentaine d'opérateurs, lors de l'ouverture des jeux en ligne, à seulement dix-huit aujourd'hui. Ce mouvement de consolidation n'est pas sans rappeler ce que j'ai observé dans les télécoms, et il est bienvenu s'il donne aux opérateurs qui demeurent une assise suffisante pour envisager, sur le poker par exemple, une diversification des partenaires, qui n'est pas en soi une mauvaise chose...

M. Philippe Marini, président. - Merci. Votre expérience juridique vous permettra sans nul doute de maîtriser ces problématiques. Tous nos voeux de succès !

La réunion est levée à 12 h 45.