Premiers États généraux de la démocratie locale et de la parité



Palais du Luxembourg, 7 mars 2005

COMMISSION N°4 : COMMENT FAVORISER UNE PARTICIPATION
PLUS IMPORTANTE DES FEMMES A LA VIE PUBLIQUE ?

Présidente : Mme Michèle ANDRÉ, sénatrice du Puy-de-Dôme
Rapporteure : Mme Valérie LETARD, sénatrice du Nord
Animateur : Franck Guérin, journaliste au Bulletin Quotidien

Mme Michèle André, sénatrice du Puy-de-Dôme, vice-présidente du Sénat, présidente de la commission n° 4

Mesdames les Maires venues de toutes les communes de France. Madame le Maire d'Heidelberg, en Allemagne, assise au premier rang. Mes chers collègues sénatrices, Sénateurs, mon premier mot sera pour vous souhaiter, au nom du président du Sénat, la plus cordiale bienvenue dans l'enceinte du Sénat, et plus spécialement dans cette prestigieuse salle des séances. Dans l'immédiat, je vais donner la parole à M. Franck Guérin, journaliste au Bulletin quotidien, qui va vous fournir quelques indications sur le déroulement de nos travaux. Vous avez la parole, Monsieur Guérin.

Franck Guérin : Merci Madame. Bonjour Mesdames les Maires. Il m'a été demandé d'animer les travaux de cette matinée. C'est, je crois, je suis même certain, assez impressionnant d'être ici, pour vous toutes comme pour moi. Dans cette salle des séances du Sénat où se façonne, se pétrit la loi, où s'édictent les normes qui s'imposent à nous tous ensuite. Vous êtes ici pour plancher, si je peux me permettre, au sein de la commission intitulée « Comment favoriser une participation plus importante des femmes à la vie publique ». Si votre présidente, Mme Michèle André, m'y autorise, j'aimerais vous la présenter ainsi que la rapporteure, Mme Valérie Létard. Mme André est Sénateur socialiste, pardonnez-moi, sénatrice socialiste du Puy-de-Dôme, et ce depuis 2001. Elle est également vice-présidente du Sénat depuis le dernier renouvellement partiel de la Haute Assemblée ; c'était à l'automne dernier en 2004. Elle est membre de la commission des lois, dans cette maison. Mme André est, par ailleurs, vice-présidente du conseil général du Puy-de-Dôme et conseillère municipale de la ville de Clermont-Ferrand. Cet ancrage local est l'illustration du lien très fort, très fort car constitutionnel, qui existe entre le Sénat et le territoire, autrement dit l'ensemble des collectivités territoriales, communes, départements et régions. Je rappellerai également que Mme André a occupé des fonctions ministérielles : elle a ainsi été secrétaire d'État chargée des Droits de la femme, c'était dans le gouvernement de Michel Rocard, je crois, de 1988 à 1991 et ce souci de la défense du droit de la femme constitue d'ailleurs un axe majeur de son engagement politique, puisqu'elle vient, avec d'autres élus socialistes et la totalité du groupe socialiste de la Haute assemblée, de déposer une proposition de loi visant à renforcer la lutte contre les violences commises à l'égard des femmes et au sein des couples. Ce texte, d'ailleurs, je crois, vient en commission des lois demain et fera l'objet d'une discussion en séance plénière ici, dans cette salle, à la fin de ce mois-ci avec l'aval, l'accord de l'ensemble des membres de cette Haute assemblée.

J'en viens maintenant à Mme Valérie Létard ici présente, votre rapporteure. Elle est sénatrice -cette fois je n'ai pas dit Sénateur- du Nord, et ce aussi depuis 2001. Elle est membre du groupe de l'UC-UDF du Sénat. Elle est également conseillère régionale de Nord-Pas-de-Calais. Et sans rien dévoiler du contenu de ce que vous allez nous dire, dans quelques instants, Madame, permettez-moi de noter que vos engagements territoriaux sont l'illustration de ce que les femmes peuvent fort bien sortir du champ social : handicapés, personnes âgées, crèches, secteur que les hommes sont assez tentés de leur réserver, quand ils se voient contraints de partager avec elles le pouvoir, afin de mieux les y enfermer. Ne surtout pas s'occuper de budget, de choses sérieuses, autrement dit. Mme Létard, certes, a été assistante sociale, à Saint-Amand-les-Eaux. Elle est ici au Sénat, vice-présidente de la commission des affaires sociales, mais elle est, dans sa région, présidente de la commission de l'aménagement du territoire et de la politique de la ville, donc de la région Nord-Pas-de-Calais. Je rappelle que nous avons la chance d'avoir avec nous Beate Weber qui est maire de Heidelberg. J'espère avoir été bref, Madame, et je vous rends bien volontiers la parole.

Michèle André : Je vous remercie. Permettez-moi, Monsieur Guérin, de corriger un tout petit peu mon curriculum vitæ, je ne suis plus vice-présidente du conseil général du Puy-de-Dôme, j'ai choisi de ne pas garder ce poste quand je suis arrivée ici, à la vice-présidence du Sénat, soupçonnant que j'y aurais une activité intense et souhaitant le faire le mieux possible. Donc je ne suis plus vice-présidente du conseil général. Je suis conseillère générale dans le canton de Clermont, et je ne suis plus non plus conseillère municipale, parce que je n'avais pas le temps de me consacrer à toutes les activités.

Franck Guérin : Alors, trop informé ou mal informé, je bats ma coulpe

Michèle André : Merci beaucoup. Mesdames les Maires, mes chères collègues, c'est pour moi un honneur, un privilège et pour tout vous dire, un grand bonheur, de présider un hémicycle composé de femmes à la quasi-unanimité. Une assemblée de femmes. Je suis habituée à observer d'ici, lorsque je préside les séances du Sénat, en effet, une assistance assez uniforme, mais beaucoup plus masculine. C'est la seconde fois que la salle des séances du Sénat se met ainsi à l'heure des femmes. La première fois, c'était pour la Journée du livre d'histoire, en juin dernier. Une journée entièrement consacrée à l'histoire des femmes. Le moment est exceptionnel. Nous sommes à la veille de la Journée de la femme, et tout près d'une date anniversaire importante : voilà soixante ans aux municipales du printemps 1945, les femmes votaient pour la première fois. Il a fallu un siècle et demi de lutte pour qu'elles en acquièrent le droit. À la Révolution, Olympe de Gouges avait en vain revendiqué que l'on donne à la femme qui a le droit de monter sur l'échafaud aussi celui de monter à la tribune. Pendant longtemps, les hommes ont considéré les femmes non comme des citoyennes, mais uniquement comme des épouses et comme des mères. Lorsque le suffrage prétendument universel fut institué, en mars 1848, les femmes en furent exclues comme les hommes privés de leurs droits par la justice, les faillis ou les déments internés. Lueur d'espoir au début du XX e siècle, les propositions de loi se succèdent pour reconnaître le droit de vote aux femmes. Mais les parlementaires ne sont guère enthousiastes, particulièrement ici au Sénat. Que les femmes nous gardent la paix, le refuge du foyer de la famille, voilà leurs rôles et leurs missions, c'est là qu'elles ont du génie, et non pour d'autres activités. Voilà ce que l'on pouvait entendre alors. Cette époque de misogynie triomphante, nous pouvons sans honte la rappeler dans cette enceinte, car le Sénat d'aujourd'hui ne ressemble guère à celui d'hier. Il a depuis longtemps fait sa révolution et nos états généraux sont une illustration de son attachement à la parité. On n'avait pas fait grand pas à la veille de la Seconde Guerre mondiale, en faveur de la participation des femmes à la vie politique, avec ce paradoxe cependant : la femme fut admise comme ministre avant d'être reconnue citoyenne. Trois femmes, en effet, participèrent au gouvernement du Front populaire. Je veux saluer ici les trois femmes sous-secrétaires d'État de Léon Blum : Irène Joliot-Curie à la Recherche scientifique, la Périgourdine Suzanne Lacore à la Protection de l'enfance, et Cécile Brunschvicg à l'Éducation. Les Françaises ne pouvaient toujours pas voter, alors qu'à l'étranger le droit de vote avait été accordé aux femmes dans la plupart des pays de développement comparable à la France, souvent à l'issue du conflit de 1914-1918. C'est dans la Résistance que les Françaises ont gagné le droit de voter, et de se présenter aux élections. À la suite de l'engagement pris par le général de Gaulle au printemps de 1942, l'article 17 de l'ordonnance du 21 avril 1944, relative à l'organisation des pouvoirs publics à la Libération, a posé ce principe : les femmes sont électrices et éligibles, dans les mêmes conditions que les hommes. Mais l'obtention tardive du droit de vote s'accompagne jusqu'à la fin du XX e siècle d'une sous-représentation des femmes dans la vie politique française. Dans l'Union européenne, la France était à l'avant-dernier rang pour le pourcentage des femmes dans les assemblées parlementaires. Au niveau mondial, nous étions au 59 e rang. Le Sénat de l'an 2000 comptait moins de femmes que le Conseil de la République de 1946. Il y eut trois vice-présidentes : Gilberte Brossolette, entre 46 et 54, Marcelle Devaud entre 48 et 51, et Marie-Hélène Cardot entre 59 et 71 pour la composition à ce moment-là du Sénat. La scène politique était immobile, verrouillée par des partis aux instances très majoritairement masculines, c'est de là qu'est née la revendication de la parité. On s'est enfin posé une question élémentaire. Combien d'hommes, combien de femmes, là où sont votées les lois, là où sont prises, à tous les échelons de la vie publique, les décisions collectives qui s'appliquent à tous, aux femmes comme aux hommes ? Est alors apparu que seule une politique volontariste, une intervention du législateur, serait de nature à vaincre les blocages partisans et à aider les femmes à combattre les obstacles historiques et sociologiques qui les empêchaient véritablement de participer à la vie politique. La loi dite de parité du 6 juin 2000, intervenue malgré certains propos d'arrière-garde tenus ici même, dont j'ai relu les débats, après une modification de la Constitution, a obligé les partis politiques à présenter un nombre égal d'hommes et de femmes pour les élections au scrutin de liste : régionales, municipales (dans les communes de 3 500 habitants et plus), Sénatoriales (à la proportionnelle dans les départements avec un nombre de sièges qui était de trois, et qui est hélas remonté à quatre) et européennes. Elle a prévu aussi de pénaliser financièrement les partis qui ne respectent pas le principe de parité, lors de la désignation des candidats pour les élections législatives. Le bilan de cette législation est contrasté. Quand la loi est contraignante, c'est-à-dire quand elle impose des investitures paritaires, le taux de participation des femmes à la vie publique s'en trouve incontestablement amélioré. On l'a vu aux municipales de mars 2001, aux Sénatoriales de septembre 2001 et septembre 2004, aux régionales et européennes de 2004. La présence des femmes est aujourd'hui importante dans les conseils municipaux 33 %, régionaux 47,6 %, au Parlement européen 43,6 %, au Sénat, nous sommes 17 % de femmes. Là où la loi se borne à inciter les partis politiques, la parité, en revanche, ne progresse guère. Aux législatives de 2002, la part des femmes a progressé de manière dérisoire. Aux élections de 2002, les grands partis ont préféré les sanctions financières à la promotion des candidates. Et puis, il y a là où la loi est muette, les cas qu'elle n'a pas abordés, notamment celui des élections aux conseils généraux. La proportion globale des femmes dans les conseils généraux est de 10,9 %. Dans 18 départements français, il y a sans doute parmi vous des femmes de ces départements, dans 18 départements français on ne trouve, encore aujourd'hui, aucune femme élue. Enfin la législation sur la parité n'aborde pas certaines questions pourtant essentielles en termes de pouvoir politique, notamment la question des exécutifs. Les femmes sont entrées massivement dans les conseils municipaux, peu nombreuses sont celles que vous représentez aujourd'hui qui ont pu s'asseoir dans le fauteuil de maire, 10,9 % de femmes maires, un peu plus de 4 000 pour nos 36 000 communes. Et les conseils régionaux, qui sont les assemblées les plus féminisées, n'ont qu'une seule femme actuellement présidente de région. Autre point noir, l'intercommunalité, vers laquelle de nombreuses compétences sont transférées. 5 % seulement des structures intercommunales à fiscalité propre ont à leur tête une femme, et cette proportion diminue dès qu'il s'agit de structures démographiquement importantes. Pour conclure, je veux insister sur l'essentiel : l'enjeu démocratique des partages des pouvoirs. Les décisions reflètent les valeurs, les points de vue et les expériences de ceux qui les prennent. La politique c'est l'affaire de tous, des femmes comme des hommes, et les femmes ne peuvent peser sur les décisions qu'à condition d'être suffisamment nombreuses. Les sociologues fixent ce seuil à 30 % , nous sommes encore loin de l'être aux postes de responsabilité. Pour cela, il faut lever un certain nombre d'obstacles, créer un environnement propice. Nous avons là matière à réflexion. Je vais donc laisser la parole à notre rapporteure, qui va nous proposer de mener cette réflexion autour de deux thèmes successifs : « La législation sur la parité en débat, caution ou tremplin ? », « Les obstacles matériels et culturels à la participation des femmes à la vie publique ». Madame la rapporteure, vous avez la parole.

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