Premiers États généraux de la démocratie locale et de la parité



Palais du Luxembourg, 7 mars 2005

Mme Hélène Luc, sénatrice du Val-de-Marne :

Madame la Présidente, tout d'abord, je ne me sens pas très à l'aise à cette place parce que, évidemment, c'est la place des ministres. Mme Demessine qui a été ministre, en a l'habitude, moi je suis assise d'ordinaire à la place de Victor Hugo. C'est un grand honneur. Victor Hugo a d'ailleurs mené, vous le savez, un combat féministe à sa façon et en son temps. Madame la Présidente, je voudrais vous dire toute la joie que j'ai de vous voir assise à cette tribune. Je vous assure que ça fait chaud au coeur, de voir toutes ces femmes avec leur écharpe. C'est la première fois que cela arrive. Et je voudrais vous dire que plus que jamais aujourd'hui je suis fière d'être une femme. Et d'être une femme sénatrice qui a mené un combat depuis 20 ans, puisque j'étais présidente d'un groupe, pourquoi ne pas le dire, du groupe communiste républicain et citoyen. Je peux vous dire que c'est un combat difficile, mais combien valorisant, combien passionnant, et toutes les difficultés que nous rencontrons nous rendent chaque jour plus fortes. Ce qui me frappe, c'est l'énergie des femmes. Cette énergie, je la constate dans ma vie de tous les jours, à Choisy-le-Roi, où j'ai été conseillère générale jusqu'à il y a trois ans. Je me rends compte que dans les associations de femmes, dans les associations de locataires, les associations de parents d'élèves qui sont les plus nombreuses, ce sont les femmes, et souvent - il faut le dire - maintenant des femmes seules qui, quand même, viennent dans ces assemblées. Alors, je voudrais quand même vous dire un brin d'histoire, car dans cette assemblée, qui n'est pas réputée pour son combat féministe, on a eu du mal. Vous avez devant vous Michelle Demessine qui est allée au congrès de Pékin, congrès international et quand elle en est revenue, j'ai dit au président Monory : « Monsieur le Président, nous ne pouvons pas en rester là, il faut que nous ayons une délégation de femmes » et c'est de là qu'est partie notre délégation des femmes. Il faut dire qu'avant l'Assemblée nationale, nous avons créé une délégation qui a auditionné de très nombreuses personnes. Nous avons fait ce livre avant, même, et c'est une fierté pour nous et pour le Président Poncelet que je veux remercier aujourd'hui, même si je suis contente de vous voir comme présidente aujourd'hui. Voilà la dernière chose que je veux dire - on pourrait dire beaucoup de chose encore - : lorsque nous avons voté la réforme de la parité à Versailles, j'ai eu l'honneur de parler au nom de mon groupe. C'était un grand jour, on sait, nous savons, que nous n'avons pas réglé tous les problèmes, qu'il en reste beaucoup. Mais je suis persuadée qu'avec cette loi nous avons franchi un pas important. Malheureusement, il y avait une loi électorale qui avait permis qu'il y ait plus de femmes dans cette assemblée et maintenant on est revenu dessus, et c'est bien dommage, parce qu'on avait commencé à avoir un peu plus de femmes. Mon grand souci, et c'est l'appel que je veux vous lancer : il faut que vous nous demandiez à nous tous, les parlementaires, de voter un statut pour les femmes. Un statut pour qu'elles puissent avoir du temps et qu'elles n'aient pas à quémander une heure par-ci une, heure par-là, et deuxièmement y compris, quand il le faut, qu'elles puissent recevoir une aide du point de vue financier. Oui, il faut aider les femmes parce que, je le vois dans mon département du Val-de-Marne, il y a de très nombreuses conseillères municipales, mais très peu d'adjointes et une seule maire pour tout le département du Val-de-Marne. Merci Madame la Présidente.

Franck Guérin : Madame Létard, vous avez la parole.

Valérie Létard : Le deuxième thème de notre discussion porte sur les obstacles matériels et culturels à la participation des femmes à la vie publique. Quel que soit le jugement que l'on porte sur la législation relative à la parité, on ne peut compter que sur elle pour améliorer la participation des femmes à la vie publique. J'ai trouvé dans les réponses au questionnaire qui vous a été adressé cette formule de la plume de l'une d'entre vous : « La parité ne change rien, il faut avant tout des femmes motivées. » Alors comment motiver les femmes ? Une majorité d'entre vous considère, toujours d'après le questionnaire qu'une participation plus nombreuse des femmes à la vie publique passe par une amélioration des conditions matérielles d'exercice des mandats électifs. Ça vient d'être dit. L'articulation vie publique/vie privée, et notamment le problème de la garde des enfants, vient largement en tête de vos préoccupations, elle revient comme un leitmotiv dans l'enquête que j'ai moi-même menée auprès des femmes élues de mon département, à laquelle 520 femmes conseillères municipales, adjointes et maires ont répondu. Il faut reconnaître que cet aspect des choses est pour nous, les femmes, extrêmement important. Nous avons là une des seules vraies différences entre sexes en politique. Nous, les femmes, pour nous engager, nous devons anticiper la difficulté qu'il y a à mener de front un mandat, des charges familiales et souvent une activité professionnelle. Nous sommes très attentives, plus que les hommes à ce que notre mandat rencontre le soutien de notre famille. Et pourquoi ne pas l'avouer, nous avons besoin d'être matériellement aidées pour nous défaire du sentiment de culpabilité que nous éprouvons parfois du temps donné à la vie publique. L'articulation heureuse réussie entre temps privé et public dépend de notre engagement, et en tout cas sa pérennité. La loi de février 2002 sur la démocratie de proximité a apporté des progrès. Mais qu'il s'agisse de la garde des enfants ou du régime des absences pour exercer un mandat, l'accompagnement n'est visiblement pas encore suffisant pour rendre l'engagement simple. Tous les témoignages que j'ai recueillis dans mon département concordent. Or, si l'engagement n'est pas simple, la participation des femmes à la vie publique n'évoluera que sporadiquement via la parité. C'est un mouvement d'adhésion profond de la part des femmes qui doit être recherché. Vous invoquez aussi dans vos réponses comme cause de la faible participation des femmes à la vie publique leur manque de confiance. On n'imagine guère cette explication chez les hommes. Cette réponse me permet d'aborder ce que par abus de langage, je vais appeler les obstacles culturels à la participation plus massive des femmes à la vie politique. Il y une manière féminine de faire de la politique qui tient notamment à la nécessité de faire ça simultanément aux responsabilités familiales et politiques, voire professionnelles. Mais il faut se méfier du discours sur la spécificité féminine en politique, car il peut aussi conduire à enfermer les femmes. Deux exemples : on dit que les femmes sont attirées par le social : leur qualité d'écoute, leurs sens du dévouement, l'attention qu'elles portent aux questions quotidiennes et concrètes de la vie qui les y prédisposent. Attention, si on s'en tient à la valorisation des qualités associées à la féminité, certains pourraient en profiter. Elle n'accorde aux femmes la possibilité d'exister en politique que par leur différence. Mais pas comme équivalentes ou comme concurrentes. Quand les femmes s'occupent des dossiers sociaux par goût, c'est bien. Quand elles le font par défaut, non. Les hommes ont tendance à monopoliser les secteurs qu'ils jugent plus gratifiants en termes de pouvoir, comme les finances ou l'urbanisme. Dans l'enquête que j'ai menée dans mon département sur 517 réponses, je n'ai trouvé que 13 femmes en charge des finances et 16 de l'urbanisme. Les femmes doutent, pensant que ces domaines nécessitent une expérience et des compétences particulières. Les femmes doivent, au contraire, prendre confiance en elles et croire en leurs capacités. Pourquoi seraient-elles moins performantes que les hommes sur les secteurs réputés plus techniques ? Donnons la possibilité à celles qui le souhaitent d'approfondir leurs connaissances. La demande de formation est importante chez les femmes élues. Dans mon département, elle vient dans leurs préoccupations juste après les problèmes de disponibilité. Elle ne peut toujours être satisfaite, en dépit des progrès réalisés en la matière par la loi sur la démocratie de proximité, notamment à l'initiative du Sénat. On bute encore sur la question du temps, des horaires et des déplacements. L'offre de formation devrait tenir compte de ces contraintes et proposer des solutions plus adaptées dans lesquelles le recours aux nouvelles technologies, en particulier à l'Internet a, à mon sens, un rôle à jouer. Deuxième exemple : le discours sur les ambitions limitées des femmes en politique. Beaucoup d'élus locaux souhaitent s'en tenir à leur mandat municipal. Ce constat ne doit pas empêcher les autres de faire carrière en politique si elles le désirent. Les femmes peuvent être tentées de faire de l'échelon municipal comme beaucoup d'hommes un tremplin pour une carrière départementale, voire régionale, voire nationale. Or, il y a un discours qui cherche à cantonner les femmes à l'échelon municipal en valorisant leur talent pour les relations de proximité. Il faut regarder ce qui se cache parfois derrière. On peut se demander, d'ailleurs, si l'augmentation du nombre de femmes maires dans les petites communes ne tient pas dans une certaine mesure au fait que les hommes se désintéressent des mandats qu'ils jugent insuffisamment gratifiants en termes de pouvoir et de rémunération. Il faut faire évoluer les discours, les visions sexuées sur les mandats, les mentalités aussi. Le machisme ambiant reste une réalité que les élues qui m'ont répondu sont très nombreuses à dénoncer. Certaines d'entre vous suggèrent, pour faire progresser la participation des femmes à la vie publique, de travailler au changement des mentalités dès le stade de l'éducation. Au travers de l'éducation civique et en incitant les filles à prendre des responsabilités dès le système scolaire. Pour susciter des vocations féminines, j'ai trouvé cette suggestion dans vos réponses : réunir un conseil municipal le 8 mars, jour des femmes, et inviter des femmes à y participer largement. Pourquoi pas ? Il est encore temps que les femmes fréquentent les assemblées d'élus, car elles disposent moins que les hommes de modèles en politique. Ce constat d'ailleurs, nous oblige, nous les élues, car nous devons non seulement montrer aux hommes que nous comptons, mais aussi susciter par nos résultats et notre action, bref par notre réussit des vocations chez les femmes. À vous la parole.

Franck Guérin : Merci Madame le Maire.

Isabelle Cassar : Bonjour, chères collègues, Madame la Présidente. Je suis maire d'une commune de 1 300 habitants (Chaulgnes, département de la Nièvre) et vice-présidente d'une communauté de communes, mais vice-présidente uniquement par l'importance de la commune et non pas par rapport à la parité. En ce qui me concerne, je voudrais rebondir sur ce qu'a dit ma collègue tout à l'heure. Si, c'est très difficile de mener un mandat d'élue quand on est femme, par rapport aux hommes, c'est que souvent on est obligées de cumuler trois métiers, dont son activité professionnelle à temps plein, l'activité d'élue et l'activité, non négligeable d'être mère et épouse. Souvent, on ne peut pas lâcher son métier pour des raisons financières, comme vous l'évoquiez tout à l'heure, mais on ne peut pas non plus, je dirais, se consacrer totalement à son mandat d'élue, alors que c'est passionnant. C'est passionnant, mais ce qui est dommageable, c'est peut-être d'attendre, pour la plupart d'entre nous, l'âge de la retraite pour se consacrer complètement à son mandat d'élue. Je le regrette, et c'est vrai, je suis venue pour cela, pour entendre ce que l'on pourrait proposer pour justement mettre des moyens à la disposition des communes, à la disposition des élus pour que les femmes puissent avoir plus de formation, avoir plus de temps. Parce qu'elles ont des idées, d'ailleurs ça je l'ai constaté également, une idée commune rassemble les femmes en tant que femmes, en mettant de côté les clivages politiques. Ce qui est, je crois, la différence fondamentale avec les hommes. Je vous remercie.

Franck Guérin : Merci Madame. Madame le Maire.

Marie-France Le Bozec : Maire de La Ferrière-aux-Étangs, 1 700 habitants, dans l'Orne. Je pense que les textes et tous les règlements ne changeront rien au machisme ambiant, et tant qu'on n'aura pas des prescriptions très claires dans l'exercice de la vie professionnelle pour pouvoir, quand on est obligée de travailler - et beaucoup de femmes travaillent -, mener de front à la fois la vie publique, la vie professionnelle, et la vie d'élue, on n'avancera pas. Pour en avoir été victime moi-même, les règlements sont détournés plus ou moins, ou les crédits d'heures, on vous le fait remarquer, alors qu'on ne le fait pas remarquer à un homme. Il y a sûrement, sans prendre de texte législatif, une pression sociale à exercer, une pression des femmes pour qu'on nous accorde et qu'on ne nous culpabilise pas quand on est cadre de la fonction publique, sur les crédits d'heures que nous prenons.

Animateur : Merci Madame, Madame le Maire.

Francesca Ferre : Merci Madame la Présidente, merci, chères collègues, d'abord je voulais témoigner, puisqu'il me semble que je dois être, peut-être pas la plus jeune, mais l'une des plus jeunes aujourd'hui ici. C'est vrai que c'est très difficile d'avoir une activité professionnelle et d'avoir une activité élective. Pour moi, c'est plus simple, je n'ai pas d'enfant. Et je crains que ce soit pour certaines d'entre nous une sorte de choix à faire. C'est d'autant plus inacceptable qu'on ne demande pas à un homme de choisir entre sa profession, entre le fait qu'il est père de famille et qu'il mène des responsabilités dans la vie publique. Alors la question que je veux poser est assez simple : pourquoi nous, les femmes, devons-nous choisir ? Pourquoi sommes-nous dans cette situation ? Il me semble que la loi est nécessaire, je ne dirais pas un mal nécessaire. Mais je dirais nécessaire comme outil pour faire progresser les choses. Puisque les choses naturellement n'avancent pas. Mais il me semble que le point matériel amènera à ce que le culturel évolue lui aussi. Matériel, c'est la question de la garde des enfants pour celles qui en ont. Alors que faire ? J'ai une proposition à vous soumettre. Elle n'est peut-être pas bonne, je demande que les parlementaires y réfléchissent. Ne serait-il pas possible qu'il y ait une ligne budgétaire, une indemnité de prise en charge des heures de garde à chaque fois qu'une femme ou un homme, parce qu'il peut aussi y avoir, peut-être pour certains pères, des difficultés. Mais qu'il y ait, en tout cas, une indemnité qui rembourse tous les frais engagés pour la garde des enfants lorsqu'ils sont petits ? Et peut-être que si nous faisons du point de vue matériel, c'est-à-dire financier, cette proposition, davantage de femmes qui mènent une vie professionnelle et familiale pourront aussi s'investir et être davantage motivées dans la vie publique. Merci.

Franck Guérin : Merci Madame le Maire.

Anne Delhoume : Je suis le maire d'une ville de 2 127 habitants dans les Vosges (Sauley-sur-Meurthe). Je crois être la seule femme des Vosges ici, département du Président. Je dois dire que les Vosges c'est 0 femme Sénateur, 0 femme députée, et une seule conseillère générale. Alors, il y a encore du travail, même chez le Président. Je voudrais rebondir tout de suite, parce que je crois effectivement être aussi une jeune femme maire. J'ai été élue à 34 ans, j'ai trois enfants de moins de 10 ans et je ne pense pas que ce soit incompatible, loin de là, ça me donne de la force. Je suis également vice-présidente de la communauté de communes et je m'engage énormément dans l'association des maires et tout ce que je peux faire pour faire avancer la condition de la femme en tant qu'élue. Je n'ai jamais raté une sortie d'école, je ne rate pas les devoirs de mes enfants. Simplement, quand on veut faire quelque chose, on l'obtient. Quand on dit que c'est difficile, c'est vrai. Simplement, si on a besoin de changer les horaires, on se prend en charge et on change les horaires. Toutes les réunions dans mon village se font à 20 h 30, parce que c'est comme cela que les femmes peuvent être disponibles, et si les hommes ne sont pas contents parce que c'est l'heure du match de foot, eh bien tant pis ! Je pense qu'effectivement c'est important qu'un statut de l'élu soit fait. La loi sur la parité a été une formidable opportunité pour nous, on nous a entrouvert une porte, c'est à nous maintenant de mettre un coup de pied pour que la porte s'ouvre en grand. En tout cas, si le statut de l'élu doit être fait, pour moi c'est un statut de l'élu homme et femme et surtout pas femme. Une dernière chose : on n'arrivera jamais à obtenir l'égalité et non pas la parité, mais l'égalité de l'homme et de la femme, si on continue à vouloir nous différencier. On nous a donné la possibilité, à nous de nous prendre en main.

Franck Guérin : Merci Madame.

Chantal Cor : Je suis maire de Rouziers dans le Cantal, 130 habitants. Je suis aussi vice-présidente de ma communauté de communes. Je pense que l'engagement - si on est là c'est que, quelque part, on est engagée. Il commence, je dirais dans nos familles, il commence chez nos jeunes, et l'avenir des femmes dans la politique va aussi commencer à l'école. Donc je pense que c'est très très important, parce qu'aujourd'hui il y a quand même bien trop de jeunes qui ne savent pas comment sont élus les conseillers municipaux, qui ne savent pas comment sont élus les maires, qui ne savent pas comment sont élus les conseillers généraux, les députés, les Sénateurs. On devrait commencer par là, commencer à former nos jeunes. Et commencer aussi nous à être des modèles, parce que quand je vois aujourd'hui autant de jeunes qui s'abstiennent d'aller voter, alors que tant de gens se sont battus pour que nous, femmes, nous ayons le droit de vote, ça me révolte. Et je dis aujourd'hui quand j'entends parler d'indemnité pour les gardes, qu'on a besoin d'une indemnité qui nous permette de nous engager, on n'a pas besoin de savoir si c'est pour une nounou ou si c'est pour autre chose. On doit être assez grandes pour savoir comment on gère nos budgets. Je suis agricultrice, je suis veuve, je suis engagée syndicale professionnelle, je suis maire et je pense qu'on doit pouvoir tout mener de front, si tant est qu'on en ait envie.

Franck Guérin : Merci Madame.

Marie-Françoise Navelot-Gaudnik : Maire d'un village de 115 habitants (Nantois) dans la Meuse. Maire depuis 22 ans, j'ai été élue à 36 ans, je vais bientôt raccrocher, mais pas pour des raisons de retraite. Je voudrais simplement effectivement dire que moi, je ne suis pas venue faire une révolution, ici, féministe. Maire, jeune, femme, travaillant, j'ai même travaillé pour un homme qui siège aujourd'hui ici. J'ai eu une vie hyper speedée, j'ai divorcé, mais pas à cause de mon mandat, à cause de mon mari. Je dirais tout simplement qu'il faut que l'on sache se faire respecter. Je ne vais pas vous raconter 22 ans de mandat, mais je vais vous raconter ma vie tout simplement de maire, j'ai été élue, et trois semaines après une inondation emportait un pont. Le président m'a dit : « Eh ben, ma poule, maintenant va falloir que tu fasses savoir ce que tu vaux. » Je lui ai dit « Monsieur, je suis Madame le Maire, vous êtes Monsieur le Maire, vous ne m'appellerez plus ma poule. » Cela fait 22 ans que ça dure, et effectivement il faut simplement se faire respecter. La parité, moi, j'étais contre, mais je trouve que ce n'est pas mal. Nous sommes, je pense, des pionnières. Ce que je souhaite, et on est là. Quels sont les obstacles matériels et culturels à la participation des femmes ? Je voudrais simplement dire, au bout de 22 ans, que je suis fière de ce que j'ai fait. Je n'ai pas réussi à être conseillère générale, mais je n'ai pas dit mon dernier mot. Mais en tout état de cause ce que je voudrais dire, c'est ne soyons pas nous-mêmes notre propre obstacle culturel en nous plaignant d'une condition pour laquelle, en fait, mesdames nous sommes faites et sommes largement résistantes.

Franck Guérin : Merci Madame.

Marie-France Cayeux : Je suis maire de Troissereux dans l'Oise depuis 25 ans, donc j'ai été maire aussi à 37 ans, seule femme au conseil municipal à l'époque, c'est vrai que la fin de mon premier mandat n'a pas été facile. Au fur et à mesure des mandats, nous sommes maintenant 6 femmes au conseil municipal, donc ça progresse. Par contre, ce qui est inquiétant en ce qui concerne la parité, c'est que c'est une parité forcée. Et c'est vrai que quelquefois, on s'est rendu compte de la place des femmes sur les listes présentées : sur les photos, les femmes étaient toujours au premier rang, mais finalement, dans la liste ensuite, elles se trouvaient dans les responsabilités en arrière-garde. Ça c'est pour la petite histoire. Par contre, ce que je voudrais dire : si je n'avais pas eu mon mari pour m'épauler tous les jours dans la vie quotidienne, familiale et autre, je n'aurais certainement pas pu faire 25 ans de mandat, et je voudrais aussi que, quelque part, on puisse lui rendre hommage.

Odile Dywicki : Je viens du Val-d'Oise, je suis maire de Nucourt, commune de 780 habitants et je suis présidente de la communauté de communes du Plateau du Vexin, qui est la plus petite du Val-d'Oise qui a, de fait, 2 780 habitants. Je rejoins tout ce qui a été dit jusqu'à maintenant, et je vous remercie, Madame la Présidente, de me laisser la parole. Je travaille aussi à temps plein, et s'il y a une complaisance à m'accorder des journées pour remplir mon mandat, c'est vrai que je reçois à chaque fois une petite remarque, « ça fait une demande supplémentaire ». Parce que souvent, dans le monde du travail, ce sont aussi des hommes qui nous gouvernent, j'allais dire. Donc, même si c'est toujours d'accord, j'ai quelquefois du mal à aller demander une disponibilité. La loi sur les 35 heures m'a beaucoup aidée parce que ça pouvait me permettre de rencontrer les services de l'État, les jours où je suis en RTT. Si on remet en cause les 35 heures, il faudrait soit nous donner du temps, pour notre fonction, soit nous laisser un peu le temps des 35 heures.

Franck Guérin : Merci Madame.

Valérie Létard : Alors, très brièvement puisqu'on a pris un peu de retard, je vais essayer de synthétiser en 5 points ce qui ressort de ce débat, même si effectivement vous recevrez des éléments plus précis par la suite. D'abord, un accord pour dire que la parité était nécessaire pour installer la mixité en politique. Ensuite, nous sommes d'accord aussi pour dire que la politique reste largement un monde d'homme. Nous sommes d'accord pour dire que la parité est battue en brèche là où se font les décisions, intercommunalité et exécutif. Pour dire qu'il est plus difficile pour les femmes d'exercer un mandat, compte tenu notamment des responsabilités familiales et de la charge des enfants qui sont un élément supplémentaire. Et enfin, que nous souhaitons voir évoluer ce statut de l'élu pour faciliter l'exercice des mandats et sans réserver les améliorations aux femmes. C'est-à-dire qu'effectivement un statut, il vaut pour les femmes et pour les hommes même s'il y a des spécificités certainement à la fonction, enfin au fait d'être une femme dans son engagement. Il faut effectivement que ce statut soit accessible à tous. Voilà, je vais en rester là. Je laisse la parole à Madame la Présidente, et bravo et merci à tous.

Michèle André : Merci à Valérie Létard, merci à toutes mes collègues et à tous mes collègues Sénateurs, sénatrices, merci mesdames de votre indulgence à l'égard du temps de parole, que je n'ai pu donner à toutes. Mais si cette journée vous a plu, peut-être pourrions-nous recommencer plus longuement. Nous allons donc établir un compte rendu de ces travaux qui vous sera distribué cet après-midi en séance plénière. Je vous remercie de votre attention et de votre diligence, et je sais combien parmi vous ont dû trouver des conditions de transport difficiles, compte tenu de la météo. Je suis d'autant plus sensible à leur présence, que ce soit celles du Massif Central ou des autres territoires qui aujourd'hui sont bien enneigés.

Merci infiniment. C'était un grand plaisir de vous voir, et je voudrais dire en vous voyant toutes que j'ai eu une pensée ce matin, pour une femme maire du département du Puy-de-Dôme, Mme Simone Palpacuer. Alors seule femme maire, elle avait l'habitude de tricoter pendant les réunions. À un collègue qui l'interpellait, elle avait répondu : « Je suis capable de tricoter et d'écouter en même temps. Ce n'est pas plus mal élevé que de lire le journal quand quelqu'un parle ! Je suis certaine de plus que mes enfants auront des pull-overs... ». Elle s'était fait respecter dans ce monde d'hommes...

Je veux remercier M. Franck Guérin pour sa médiation. Je nous souhaite une belle fin de travaux et une grande Fête des femmes, qu'il faudra transformer définitivement en égalité et peut-être un jour, certains hommes nous remercieront d'avoir voté la loi pour la parité, parce qu'elle les protégera. La séance est levée.

Synthèse de la Commission n° 4
« Comment favoriser une participation plus importante
des femmes à la vie publique ? »

La Présidente a introduit les travaux de la commission par une mise en perspective historique de la participation des femmes à la vie publique française et un bilan de la législation sur la parité.

La commission, à laquelle a participé Mme Beate WEBER, maire de Heidelberg, a ensuite débattu de deux thèmes qui ont été successivement présentés à la discussion par un exposé liminaire de la rapporteure.

?Caution alibi ou tremplin ? La législation sur la parité a fait l'objet du premier débat. Les discussions ont porté, comme l'y invitait le propos introductif de la rapporteure, tant sur les candidatures aux élections que sur l'accès aux postes de décision.

La parité des candidatures imposée par la loi a donné lieu à des appréciations concordantes : la législation sur la parité était un « mal nécessaire », ou même une nécessité tout court, elle a « beaucoup aidé les femmes et continuera à les aider », « les hommes ne faisant pas de cadeaux en politique et les femmes devant se battre ». Elles ont « beaucoup de choses à dire en politique », mais ne sont pas toujours en capacité de le faire.

L'introduction de la parité en politique a été jugée comme une discrimination positive fondamentalement différente des autres car les femmes représentent « l'autre moitié de l'humanité », et nous sommes loin des quotas.

Si le bilan de la législation sur la parité a été jugé globalement positif, les difficultés rencontrées par les femmes pour accéder aux fonctions exécutives ont été soulignées. La « distorsion » existant entre la présence désormais importante des femmes dans les assemblées locales et leur très faible représentation aux postes de responsabilité a été dénoncée. De même, les femmes ne sont guère nombreuses à l'échelon intercommunal qui bénéficie d'un transfert de compétences : l'intercommunalité reste un « bastion » masculin. Au total, lorsque les enjeux de pouvoir deviennent plus importants, la politique reste encore très souvent l'affaire des hommes et la parité a du mal à s'installer : « les femmes ne sont alors au premier rang ... que sur les photos. »

La législation sur la parité était nécessaire pour installer la mixité en politique. Son principe est battu en brèche là où se prennent les décisions, dans les exécutifs ou à l'échelon intercommunal qui bénéficie de transferts de compétences de plus en plus larges.

?La rapporteure a introduit le deuxième thème de discussion en invitant la commission à dépasser le débat sur la parité pour examiner les obstacles d'ordre matériel et « culturel » qui freinent la participation des femmes à la vie publique. Elle a notamment insisté sur l'obligation pour les femmes qui s'engagent en politique de mener une double et parfois triple vie entre mandat, charges familiales et activité professionnelle. Elle a démontré que l'intervention des femmes en politique était aujourd'hui bien admise lorsqu'elles sont « complémentaires » (sur les secteurs d'intervention comme sur les mandats), beaucoup moins lorsqu'elles se positionnent en concurrentes.

Un point a fait l'objet d'un large accord : la participation plus nombreuse des femmes à la vie publique passe d'abord par l'amélioration des conditions matérielles d'exercice des mandats électifs. Le fait que le partage des tâches domestiques et familiales reste largement théorique a été rappelé. Comme sa conséquence : l'articulation vie publique/vie privée, et notamment le problème de la garde des enfants, est une préoccupation majeure des femmes qui exercent un mandat, et conditionne souvent l'entrée des femmes en politique. « La vie d'une femme maire est plus difficile que celle d'un homme maire ». « La politique reste largement un monde d'hommes ».

Il a été estimé que l'accompagnement n'était pas encore suffisant pour faciliter l'engagement des femmes en politique. Le financement de la garde des enfants et le régime des absences pour exercer un mandat ont été considérés comme des facteurs clés.

Une évolution du statut de l'élu a été jugée souhaitable pour faciliter l'exercice des mandats, mais il a été insisté sur le fait que les améliorations devraient bénéficier à tous, pas seulement aux femmes.

L'introduction de la parité a été une décision de première importance. Pour améliorer durablement la participation des femmes à la vie publique, un problème majeur demeure : celui de l'articulation du mandat et des charges familiales, et souvent professionnelles. Des réponses apportées, dépendra le degré de leur engagement dans la vie politique. Le statut de l'élu doit évoluer pour faciliter l'exercice des mandats, mais sans que les améliorations soient réservées aux femmes.

Commission n°5 - Salons de Boffrand

La vision des femmes sur l'avenir de la cité

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