Actes du colloque : vers de nouvelles normes en droit de la responsabilité publique



Palais du Luxembourg, 11 et 12 mai 2001

L'encadrement de la responsabilité en droit communautaire

par Monsieur Vlad CONSTANTINESCO,

professeur à l'Université Strasbourg 3

"ubijus, ibi remedium"

"Equity will not suffer a wrong to be without a remedy "

"If the Plaintiff has a Right, he must, of necessity,

have a means to vindicate and maintain it, and a

Remedy if he is injured in the exercise or enjoyment of

it, and it is a vain thing to imagine a Right without a

Remedy : for want of Right and want of Remedies are

reciprocal." Holt C.J. in Ashby v. White (1703)

Une thèse récemment publiée 1 ( * ) souligne dans son titre les influences réciproques du droit communautaire et du droit national en matière de responsabilité publique extra contractuelle. Tel est bien sans doute le bilan que l'on doit retirer, avec l'auteur, de l'examen de ces deux droits : leur interaction, sous l'impulsion de la Cour de justice, a contribué à poser, tant au plan communautaire qu'au plan national, un principe général et à forger un régime largement commun de responsabilité, puisqu'il vise aussi bien la Communauté européennes que ses États membres agissant dans le cadre des obligations communautaires qui pèsent sur eux.

Ainsi, par une sorte de phénomène de "capillarité" juridique et judiciaire, après avoir d'abord enserré ce " pouvoir public commun " , qu'est, pour la Cour, la Communauté européenne, ces règles et principes, posés par le juge communautaire, ont aussi fini par devenir communs en déployant leurs effets à l'égard des États membres, agissant dans le champ d'application du droit communautaire. Ne pourra-t-on pas en déduire que les puissances publiques européennes, qu'elles soient communautaire ou nationales, se trouvent maintenant assujetties, en matière de responsabilité extra contractuelle, à une sorte de jus commune ? 2 ( * )

Le sujet de cette communication ne porte que sur un moment (ou sur le résultat) de ce jeu d'influences réciproques : l'encadrement de la responsabilité en droit communautaire. Mais la formulation de ce thème est loin d'être univoque, et on peut hésiter sur ce qu'il recouvre : de quelle responsabilité s'agira-t-il ici ? de celle de la Communauté ? ou de celle des États membres ? Celle de la Communauté étant à l'évidence "encadrée" par le droit communautaire 1 ( * ) , on privilégiera le cas où c'est la responsabilité de l'État membre qui est susceptible d'être engagée, et ce devant les tribunaux nationaux, lorsque le dommage dont il est demandé réparation est causé par la violation d'une obligation communautaire dont il est redevable.

En second lieu, il faut observer que le sens du terme encadrement est incertain, sinon trompeur : son premier usage, en tout cas, ne semble pas juridique 2 ( * ) . En général, le terme d' encadrement désigne le fait de fixer des limites, l'action d'entourer d'un cadre. Transposé dans le langage juridique, le terme pourrait désigner les limites à l'exercice d'une compétence et renverrait alors à une situation de compétence liée, sous tendue par l'existence d'un rapport hiérarchique.

Dans l'acception reconnue en droit communautaire, la notion d' encadrement répond à une situation dans laquelle, s'agissant de la responsabilité de la puissance publique pour violation du droit communautaire, la compétence de principe pour en juger et pour réparer les dommages causés reviendrait aux autorités nationales, mais selon des préceptes, des lignes directrices, arrêtés au niveau communautaire. La notion d' encadrement désignera donc une certaine relation entre le droit communautaire et les droits des États membres, dans un domaine spécifique, ici celui de la responsabilité de l'État pour violation d'une obligation communautaire. La question sera de savoir comment s'opère ce partage des tâches entre les deux niveaux afin de déterminer ce qui revient exactement à chacun d'entre eux. On pressent, à ce stade, le lien privilégié que la notion d' encadrement aura avec celle de primauté du droit communautaire. On pressent aussi qu'elle pourra conduire à substituer une forme d'unité de régime à la diversité des régimes nationaux de responsabilité de la puissance publique... Le droit communautaire pourrait être alors l'instrument de l'avènement d'un jus commune européen en matière de responsabilité publique, si l'on veut bien accepter cette notion contestée 1 ( * ) .

Si la notion d'encadrement pourrait ainsi conduire à l'unité du droit applicable, que subsistera-t-il du principe de l' autonomie institutionnelle et procédurale 2 ( * ) dont l'existence témoigne justement de la réalité et de la diversité des droits nationaux au sein de la Communauté ? De prime abord, ces deux notions paraissent antinomiques. Selon le principe d'autonomie institutionnelle , 3 ( * ) il appartiendrait, par principe, aux instances nationales de poser les règles de fond et de procédure relatives à la réparation des dommages causés par l'inobservation du droit communautaire, sous réserve du respect de quelques principes établis au niveau communautaire, ces principes étant posés dans le but premier d'aboutir à l'effectivité des recours nationaux et à l'absence de discrimination entre les différentes voies de droit nationales, qu'elles soient ou non consacrées à permettre de faire valoir des droits conférés par le droit communautaire. Ainsi que la Cour l'a dit pour droit, dans son arrêt fondateur en la matière :

"(...) en l'absence d'une réglementation communautaire, c'est dans le cadre du droit national de la responsabilité qu'il incombe à l'État de réparer les conséquences du préjudice causé par la violation d'une obligation communautaire" 4 ( * )

Il s'établirait dès lors une répartition des rôles, la compétence essentielle et substantielle relevant en ce domaine des États membres, les instances communautaires ne possédant qu'une compétence limitée à la fixation de quelques règles générales, "encadrant" les compétences des États membres.

Cette répartition des tâches entre le droit communautaire et le droit national ne procède pas d'une disposition du traité, mais de l'interprétation donnée par la Cour de justice et de l'évolution de sa jurisprudence. Cette évolution, on le sait, a été lente et progressive 1 ( * ) , mais a fini par conduire à des transformations profondes des régimes nationaux de responsabilité de la puissance publique. Elle fait partie du mouvement qui place sous influence communautaire des pans entiers des droits nationaux : la communautarisation des branches du droit national entraîne non seulement un remodelage des régimes juridiques nationaux mais bouleverse aussi les concepts et notions opératoires nationales dont la signification originale se transforme, jusqu'à aboutir parfois à une véritable "perte d'identité" 2 ( * ) .

En effet le droit communautaire de la responsabilité des États membres au regard du droit communautaire -- tel que formulé par la jurisprudence de la Cour -- a renouvelé en profondeur les règles nationales relatives à la mise en oeuvre de la responsabilité de la puissance publique. La Cour a prescrit en effet aux États membres de donner plein effet à la constatation de l'existence d'un dommage causé par la violation d'une obligation communautaire, sous la forme d'une voie de droit appropriée et effective ouverte devant leurs propres juridictions nationales aux victimes en vue d'assurer la réparation du dommage subi.

Ainsi, si on retient la notion d' encadrement pour décrire la relation qu'entretiennent droit communautaire et droits nationaux s'agissant de définir le principe, les conditions et le régime de la responsabilité de l'État pour violation du droit communautaire, il convient, dans un premier temps, de se demander quels peuvent en être, en droit communautaire, les fondements, ce qui conduit à en rechercher les sources. (I)

Dans un second temps, il sera nécessaire d'envisager la portée de cet encadrement : le droit national de la responsabilité publique subit, de son fait, des aménagements et des évolutions, voire sans doute des mutations indiscutables, qui l'affectent en profondeur, et dont il conviendra de prendre la mesure, tout au moins en France 3 ( * ) . (II)

I.- LES SOURCES DE L'ENCADREMENT DE LA RESPONSABILITÉ EN DROIT COMMUNAUTAIRE

Le principe d'une responsabilité des États membres pour violation d'une obligation communautaire n'est pas formulé - directement ou indirectement -dans les traités, pas plus que dans le droit communautaire dérivé. (A)

Peut-on alors parler d'une "lacune" du droit communautaire qui autoriserait la Cour, au titre de sa compétence d'interprétation, à dégager un tel principe ? (B)

A L'ABSENCE DE DÉTERMINATION `CONSTITUTIONNELLE' OU `LEGISLATIVE' DE LA RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT AU REGARD DU DROIT COMMUNAUTAIRE

La sphère de validité du droit communautaire doit normalement se calquer sur l'étendue des compétences de la Communauté 1 ( * ) . Or la matière du régime juridique de la responsabilité de l'État semble, prima facie, relever du champ des compétences étatiques. C'est du moins ce que le principe d'attribution des compétences, rappelé par le traité de Maastricht sur l'Union européenne 2 ( * ) , semble pouvoir suggérer, à contrario.

Le traité instituant la Communauté européenne ne comporte pas, en effet, de disposition conférant explicitement compétence aux institutions de la Communauté pour adopter des règles relatives au régime juridique de la responsabilité de l'État, lorsqu'est en cause un dommage causé par une violation d'une obligation communautaire. 3 ( * ) Un élément de confirmation peut être trouvé dans le fait que les art. 235 ( ex 178) et 288, alinéa 2 ( ex 215) du traité instituant la CE établissent le principe de la responsabilité de la Communauté, la Cour étant compétente pour en définir le régime et les modalités. 4 ( * ) En créant une entité nouvelle, il était logique que ce soit sa responsabilité éventuelle que les États membres aient au premier chef et exclusivement prévue 1 ( * ) . Ces dispositions confirment à contrario que la matière de la responsabilité de l'État, en connexion avec le droit communautaire, se trouve bien dans le champ des compétences nationales, ce qui devrait exclure, à première vue, sauf révision des traités ou intervention de normes de droit dérivé 2 ( * ) , la compétence communautaire.

Le Gouvernement allemand, dans ses observations présentées à la Cour dans les affaires Brasserie du Pêcheur et Factortame 3 ( * ) avait d'ailleurs expressément soulevé ce point. Le Gouvernement allemand soutenait qu'une obligation générale de réparation à la charge des États membres pour violation du droit communautaire, dont la Cour avait auparavant constaté l'existence dans l'arrêt Francovitch / Bonifaci, ne pouvait résulter, compte tenu de la répartition des compétences entre la Communauté et ses États membres, que d'une initiative législative des institutions de la Communauté ou d'une révision formelle des traités. Cet argument pouvait d'autant plus espérer prospérer que, depuis ces arrêts, le principe de l'attribution des compétences avait été expressément introduit dans le traité. Mais la Cour y répondra de la manière suivante :

"(...) En l'absence, dans le traité, de dispositions réglant de façon expresse et précise les conséquences des violations du droit communautaire par les États membres, il appartient à la Cour, dans l'exercice de la mission que lui confère l'article 164 du traité d' assurer le respect du droit dans l'interprétation et l'application du traité, de statuer sur une telle question selon les méthodes d' interprétation généralement admises, notamment en ayant recours aux principes fondamentaux du système juridique communautaire et, le cas échéant, à des principes généraux communs aux systèmes juridiques des États membres." (point 27)

Car on ne doit pas oublier que le principe d'attribution des compétences lui-même, (comme du reste l'ensemble du droit communautaire originaire ou dérivé) est interprété et mis en oeuvre par la Cour de justice, à laquelle le traité a conféré une compétence exclusive d'interprétation, les États membres ayant renoncé au profit de cette institution à leur compétence authentique d'interprétation. C'est donc vers la jurisprudence de la Cour qu'il faut se tourner pour observer comment elle a pu dégager les fondements de cet encadrement de la responsabilité des États membres.

B - LA COMPÉTENCE D'INTERPRÉTATION DE LA CJCE

Il ne s'agit pas ici de relater dans le détail, le mouvement jurisprudentiel qui a conduit la Cour à affirmer le principe de la responsabilité de l'État, mais simplement de synthétiser le déroulement des prises de position de la Cour : on remarquera alors que celles-ci ont été dues, à titre principal, à la conjonction de deux procédures juridictionnelles originales, propres au droit communautaire : le recours en constatation de manquement et le renvoi préjudiciel, et de plusieurs principes fondamentaux propres à l'ordre juridique communautaire, dont, au premier chef, le principe de primauté.

C'est cette combinaison de facteurs qui a permis à la Cour d'établir le principe de la responsabilité de l'État membre pour violation du droit communautaire,(l) avant de définir ultérieurement les modalités d'ouverture du droit à réparation.(2)

Ce faisant, la Cour est-elle entrée sur le terrain du comblement d'une lacune, en exerçant une compétence `constituante' ou est-elle demeurée dans les limites de sa compétence d'interprétation ? (3)

1. les prises de position de la Cour

- le recours en constatation de manquement autorise la Cour à constater l'existence d'un manquement de l'État à une obligation communautaire : le fait que l'arrêt constatant le manquement présente un caractère déclaratoire (en ce sens que le juge communautaire ne peut de sa propre autorité, annuler ou priver d'effet une disposition nationale constitutive de manquement) a pu faire penser qu'il incombait exclusivement à l'État de prendre les mesures (positives ou négatives) impliquées par cet arrêt de la Cour. Un examen attentif de la jurisprudence de la Cour 1 ( * ) montre que lé juge communautaire n'a pas hésité à préciser, dans une jurisprudence parfois qualifiée de "pédagogique", quelles conséquences devaient être tirées, par les ordres juridiques nationaux, d'une constatation de manquement. L'"élimination effective des manquements et de leurs conséquences passées et futures" 2 ( * ) constitue ainsi la base à partir de laquelle a pu se construire aussi bien l'imposition à l'État la répétition de sommes indûment perçues au regard du droit communautaire, que le principe de la responsabilité de l'État pour violation du droit communautaire, deux situations liées à l'inobservation du droit communautaire, judiciairement constatées. Sans doute, la constatation d'un manquement n'est-elle pas une condition préalable à l'engagement de la responsabilité de l'État membre devant ses tribunaux nationaux 3 ( * ) , mais un tel arrêt : "(...) fournit au requérant un titre en ce qu'il établit avec autorité de chose jugée cette violation. " 1 ( * ) Le renvoi préjudiciel est la procédure grâce à laquelle un dialogue continu a pu s'établir entre les juridictions nationales et la Cour, dont l'importance n'est plus à souligner dans la définition et la mise au point de concepts clés du droit communautaire, comme la primauté et l'effet direct. En l'espèce, l'arrêt Francovitch / Bonifaci est issu d'une telle procédure : le raisonnement qui y est à l'oeuvre s'inscrit dans la continuité et la logique de la jurisprudence préjudicielle. On se permettra d'en reproduire les passages essentiels, suffisamment clairs :

"(...) 32/ Il y a lieu de rappeler également que, ainsi qu'il découle d' une jurisprudence constante, il incombe aux juridictions nationales chargées d'appliquer, dans le cadre de leurs compétences, les dispositions du droit communautaire, d'assurer le plein effet de ces normes et de protéger les droits qu'elles confèrent aux particuliers (voir, notamment, les arrêts du 9 mars 1978, Simmenthal, point 16, 106/77, Rec. p. 629, et du 19 juin 1990, Factortame, point 19, C-213/89, Rec. p. 1-2433)

33/ Il y a lieu de constater que la pleine efficacité des normes communautaires serait mise en cause et la protection des droits qu'elles reconnaissent serait affaiblie si les particuliers n'avaient pas la possibilité d'obtenir réparation lorsque leurs droits sont lésés par une violation du droit communautaire imputable à un État membre.

34 / La possibilité de réparation à charge de l'État membre est particulièrement indispensable lorsque, comme en l'espèce, le plein effet des normes communautaires est subordonné à la condition d'une action de la part de l'État et que, par conséquent, les particuliers ne peuvent pas, à défaut d'une telle action, faire valoir devant les juridictions nationales les droits qui leur sont reconnus par le droit communautaire.

35/ Il en résulte que le principe de la responsabilité de l'État pour des dommages causés aux particuliers par des violations du droit communautaire qui lui sont imputables est inhérent au système du traité.

36 / L'obligation, pour les États membres, de réparer ces dommages trouve également son fondement dans l'article 5 du traité, en vertu duquel les États membres sont tenus de prendre toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l'exécution des obligations qui leur incombent en vertu du droit communautaire. Or, parmi ces obligations se trouve celle d'effacer les conséquences illicites d'une violation du droit communautaire (voir, en ce qui concerne la disposition analogue de l'article 86 du traité CECA, l'arrêt du 16 décembre 1960, Humblet, 6/60, Rec. p. 1125).

37 / Il résulte de tout ce qui précède que le droit communautaire impose le principe selon lequel les États membres sont obligés de réparer les dommages causés aux particuliers par les violations du droit communautaire qui leur sont imputables. (...)"

- la primauté du droit communautaire est, enfin, l'ultime élément majeur qui permet de saisir comment s'ordonnent les fondements du principe de responsabilité de l'État. La situation des espèces Francovitch / Bonifaci montre que l'obligation contenue dans la directive du Conseil 1 ( * ) , dont la non exécution par l'Italie était en cause, ne se prêtait pas à produire un effet direct. Dès lors, les requérants au principal ne pouvaient s'en prévaloir, après l'expiration du délai imparti, devant leurs juridictions nationales. Le principe de la responsabilité de l'État se déduit alors de la primauté du droit communautaire. Ce principe offre alors un substitut à l'impossibilité pour les particuliers de : "(...) faire valoir devant les juridictions nationales les droits qui leur sont reconnus par le droit communautaire." (point 34, in fine). Comme on l'a souligné, l'obligation pour les États membres de réparer les préjudices nés de la violation du droit communautaire" (...) est une conséquence directe du principe de primauté du droit communautaire sur le droit national " 2 ( * )

On s'accordera aussi pour constater qu'en dehors de ces trois éléments, le raisonnement de la Cour mentionne aussi d'autres traits pertinents du droit communautaire, qui résultent notamment de sa jurisprudence : ainsi doit-on signaler, parmi la ratio decidendi de ces arrêts, les principes de l' unité, de l'uniformité et d' effectivité du droit communautaire, ainsi que les principes du droit au juge et de loyauté communautaire. Tous ces principes, additionnés et amalgamés, certainement convergents, qui configurent au fond ce que l'on nomme la spécificité du droit communautaire, concourent à justifier que le droit communautaire "impose le principe" de la responsabilité de l'État.

2. les modalités d'ouverture du droit à réparation

En posant le principe de la responsabilité de l'État pour violation du droit communautaire devant ses propres tribunaux, la Cour, saisie par les juridictions nationales, s'est trouvée devant la tache délicate d'avoir à construire les éléments essentiels du régime communautaire de la responsabilité de l'État pour violation du droit communautaire. Pour réaliser cette tache, la Cour ne partait pas sans modèles : en premier lieu, sa propre jurisprudence, notamment celle rendue dans le cadre des art. 235 ( ex 178) et 288, alinéa 2 ( ex 215) T CE, mais aussi celle relative au remboursement de sommes illégalement perçues au regard du droit communautaire. En second lieu, les régimes de responsabilité de l'État législateur, que certains États membres connaissent, ont pu exercer une influence déterminante sur les conditions de la responsabilité de l'État. Ainsi, l'encadrement communautaire tel qu'il est dicté par les conditions imposées par la Cour aux État membres se trouve être en réalité le résultat d'un jeu d'influences croisées, parmi lesquelles celles des droits nationaux ne sont pas les moindres.

Comme l'observe la Cour, 1 ( * ) les conditions de mise en oeuvre de cette responsabilité sont liées à la nature de la violation qui est à l'origine du préjudice dont il est demandé réparation. L'arrêt Francovitch / Bonifaci, puis l'arrêt Brasserie du Pêcheur / Factortame, de l'autre, qui vont préciser, à quelques années d'intervalle, ces conditions, ne sont en effet pas exactement relatives aux mêmes types de violation du droit communautaire. Or celles-ci peuvent résulter soit de l' abstention de l'État ( Francovitch / Bonifaci, Brasserie du Pêcheur ) , soit de son action délibérée ( Factortame ) 2 ( * ) : en l'occurrence, les actions et les omissions qui sont à l'origine des dommages procèdent du législateur. Cette circonstance permettra à la Cour de dégager les principes communautaires encadrant cette forme particulière de responsabilité qu'est celle de l'État-législateur. On abordera successivement ces deux étapes de cette jurisprudence communautaire.


· L'abstention peut consister d'abord en l'absence de mesures législatives nationales de transposition d'une directive ( Francovitch / Bonifaci ) 3 ( * ) . Dans le cas de la non exécution de la directive, le juge communautaire a entendu réagir en offrant une protection effective aux victimes d'un préjudice causé par une telle violation du droit communautaire, dans une configuration juridique où les conditions de la reconnaissance de l'effet direct étaient exclues du fait de la nature des obligations prescrites par cet acte 4 ( * ) .

À cet effet, la Cour a déterminé, dans l'arrêt Francovitch / Bonifaci que la responsabilité de l'État était subordonnée à trois conditions de fond :

"(...) 39/ Lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, un État membre méconnaît l'obligation qui lui incombe en vertu de l'article 189, troisième alinéa, du traité, de prendre toutes les mesures nécessaires pour atteindre le résultat prescrit par une directive, la pleine efficacité de cette norme de droit communautaire impose un droit à réparation dès lors que trois conditions sont réunies ;

40/ La première de ces conditions est que le résultat prescrit par la directive comporte l'attribution de droits au profit de particuliers. La deuxième condition est que le contenu de ces droits puisse être identifié sur la base des dispositions de la directive. Enfin, la troisième condition est l'existence d'un lien de causalité entre la violation de l'obligation qui incombe à l'État et le dommage subi par les personnes lésées 1 ( * ) .

41/ Ces conditions sont suffisantes pour engendrer au profit des particuliers un droit à obtenir réparation, qui trouve directement son fondement dans le droit communautaire. (...)"

Ces trois conditions de fond s'inspirent-elles, comme on l'a dit 2 ( * ) , de la Schutznormtheorie qui avait, en son temps fourni le fondement de l'action en réparation d'un dommage causé par une institution de la Communauté ? Elles indiquent bien, en tout cas, que le droit des particuliers à obtenir réparation du préjudice causé par la violation d'une obligation communautaire procède de l'atteinte à un droit issu de l'obligation en cause elle-même.

La première condition doit-elle être comprise comme exigeant que la norme communautaire attributive de droits aux particuliers soit d'effet direct ? Ce n'est pas ainsi que l'on doit interpréter la jurisprudence Francovitch / Bonifaci : il suffit que la disposition en cause ait eu pour but de garantir un droit à un cercle déterminé de personnes. Mais à contrario, toute violation d'une disposition d'effet direct entraînera bien entendu aussi la responsabilité de l'État : l'arrêt Brasserie du Pêcheur / Factortame le montrera :

"(...) 20/ Il est, en effet, de jurisprudence constante que la faculté offerte aux justiciables d'invoquer devant les juridictions nationales les dispositions directement applicables du traité ne constitue qu'une garantie minimale et ne suffit pas à assurer à elle seule l'application pleine et complète du traité (voir, notamment, arrêts du 15 octobre 1986, Commission/Italie, 168/85, Rec. p. 2945, point 11; du 26 février 1991, Commission/Italie, C-120/88, Rec. p. I-621, point 10, et du 26 février 1991, Commission/Espagne, C-119/89, Rec. p. I-641, point 9). Destinée à faire prévaloir l'application de dispositions de droit communautaire à l'encontre de dispositions nationales, cette faculté n'est pas de nature, dans tous les cas, à assurer au particulier le bénéfice des droits que lui confère le droit communautaire et notamment à éviter qu'il ne subisse un préjudice du fait d'une violation de ce droit imputable à un État membre. Or, ainsi qu'il découle de l'arrêt Francovich e.a., précité, point 33, la pleine efficacité du droit communautaire serait mise en cause si les particuliers n'avaient pas la possibilité d'obtenir réparation lorsque leurs droits ont été lésés par une violation du droit communautaire."

Si les conditions de fond de l'engagement de la responsabilité de l'État relèvent ainsi d'une détermination communautaire, les modalités concrètes (juridictionnelles et procédurales) de la réparation relèveront, elles, du droit des État membres : c'est ce partage des fonctions que l'on peut désigner comme le premier élément de l'encadrement de la responsabilité de l'État par le droit communautaire

"(...) 42/ en l'absence d'une réglementation communautaire, c'est à l'ordre juridique interne de chaque État membre qu' il appartient de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales des recours en justice destinés à assurer la pleine sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit communautaire (voir les arrêts suivants : du 22 janvier 1976, Russo, 60/75, Rec. p. 45; du 16 février 1976, Rewe, 33/76, Rec. p. 1989 ; du 7 juillet 1981, Rewe, 158/80, Rec. p. 1805)"

Ce partage, toutefois, ne renvoie pas à une compétence nationale discrétionnaire : la Cour, fidèle à sa jurisprudence sur la répétition de l'indu, fixe en effet des limites à l'exercice de cette compétence nationale : c'est le second élément de l'encadrement :

"43/ (...) les conditions, de fond et de forme, fixées par les diverses législations nationales en matière de réparation des dommages ne sauraient être moins favorables que celles qui concernent des réclamations semblables de nature interne et ne sauraient être aménagées de manière à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l'obtention de la réparation (voir, en ce qui concerne la matière analogue du remboursement de taxes perçues en violation du droit communautaire, notamment l'arrêt du 9 novembre 1983, San Giorgio, 199/82, Rec. p. 3595)."

Ainsi, le régime national de la réparation, en cas de violation du droit communautaire, ne doit pas être moins favorable que celui applicable à des actions analogues fondées sur la violation du droit interne et les modalités de l'action nationale ne doivent pas être aménagées de façon à rendre impossible ou trop difficile l'obtention de la réparation. Les voies de droit issues du droit communautaire devront donc offrir les mêmes garanties d'accès et d'effectivité que les voies de droit nationales équivalentes : c'est ce qu'on nomme parfois le principe d'équivalence (qui n'est au fond que le principe de non discrimination, mais pris à rebours, en partant des conditions offertes par le droit national pour les instances nationales).

L'arrêt Brasserie du Pêcheur / Factortame intéresse également une hypothèse de responsabilité du fait de la loi. Dans ces espèces, la violation du droit communautaire résulte aussi du législateur national, qu'il ait omis d'abroger ou de modifier une loi contraire au droit communautaire (Brasserie), soit qu'il ait adopté une loi qui lui est contraire (Factortame).

En droit interne, la responsabilité du fait des lois présente généralement un caractère exceptionnel : là où elle existe, est entourée de conditions strictes, qui ne sont que le reflet de la majesté de la loi, que celle-ci se fonde sur la souveraineté du Parlement (comme au Royaume-Uni), ou sur la conception de la loi comme expression de la volonté générale (comme le veut la tradition française).

La fonction éminemment politique de l'institution parlementaire dans les systèmes de Gouvernement des États membres conduit à ce que le législateur dispose, par principe, d'un large pouvoir d'appréciation que les conditions d'engagement de sa responsabilité, lorsqu'elle existe, doivent respecter et ménager 1 ( * ) . L'existence d'une telle responsabilité présente cependant, selon les termes du professeur CHAPUS : " (...) une valeur exemplaire en faisant apparaître que même l'exercice de la souveraineté peut être pour l'État une source d'obligations, " 2 ( * ) Ceci explique que ses fondements soient le plus souvent recherchés dans une responsabilité sans faute, basée sur la rupture de l'égalité devant les charges publiques et attestée par l'exigence d'un préjudice anormal et spécial.

Prenant appui sur le droit communautaire 3 ( * ) , le droit comparé, et le droit international 4 ( * ) , la Cour de justice reconnaît :

"(...) le principe selon lequel les États membres sont obligés de réparer les dommages causés aux particuliers par les violations du droit communautaire qui leur sont imputables est applicable lorsque le manquement reproché est attribué au législateur national."

Cette vision unitaire de l'obligation de réparer à la charge de l'État qui commet un préjudice en manquant à ses obligations est d'ailleurs le motif déterminant de l'arrêt, puisque la Cour va transposer à la responsabilité de l'État les conditions qu'elle a elle-même dégagées s'agissant de la responsabilité non contractuelle de la Communauté, dont seul le principe était prévu par le traité. Ces conditions sont fixées depuis l'arrêt du 2 décembre 1971, Aktien-Zuckerfabrik Schöppenstedt . 5 ( * ) La Cour y avait indiqué que :

"(...) s'agissant d'un acte normatif qui implique des choix de politique économique, cette responsabilité de la Communauté pour le préjudice que des particuliers auraient subi par l'effet de cet acte ne saurait être engagée, compte tenu des dispositions de l'article 215, alinéa 2, du traité, qu'en présence d'une violation suffisamment caractérisée d'une règle supérieure de droit protégeant les particuliers ;(...)"

La prise en considération de la nécessité de protéger le législateur communautaire a conduit la Cour à préciser, dans un arrêt du 25 mai 1978, HNL e.a / Conseil et Commission 1 ( * ) de manière restrictive, ce qu'il fallait entendre par une violation suffisamment caractérisée :

"(...) dans un contexte normatif caractérisé par l'existence d'un large pouvoir d'appréciation, indispensable à la mise en oeuvre d'une politique communautaire, la responsabilité de la Communauté ne peut être engagée que si l'institution concernée a méconnu de manière manifeste et grave les limites qui s'imposent à l'exercice de ses pouvoirs (...)"

Sans doute incombera-t-il aux juridictions nationales d'apprécier cette condition, s'agissant d'actions ou d'omissions des autorités nationales, selon les différents paramètres à sa disposition : clarté, précision de la norme violée, marge d'appréciation qu'elle contient, élément conscient voire intentionnel de la violation, erreur de droit etc.... 2 ( * ) Mais l'encadrement de la juridiction communautaire est ici sensible : on peut déduire de la jurisprudence que constitue une violation suffisamment caractérisée une violation commise en pleine connaissance de cause, notamment parce que le juge communautaire l'aurait au préalable constatée, par la voie préjudicielle soit dans le cadre d'un recours en manquement. De même, la non transposition d'une directive est, en elle-même, une violation qui donnera lieu à l'engagement de la responsabilité de l'État. 3 ( * )

L'analogie entre une telle situation et celle du législateur national justifie que la Cour étende ces conditions à la situation de droit interne née d'un dommage causé par le législateur national en violation du droit communautaire, unifiant ainsi la matière de la responsabilité de la puissance publique, quelque soit le niveau auquel agit un pouvoir public légiférant doté d'un pouvoir d'appréciation :

"(...) 50/ Il apparaît donc que, dans les deux cas d'espèce, les législateurs allemand et du Royaume-Uni étaient confrontés à des situations comportant des choix comparables à ceux opérés par les institutions communautaires lors de l'adoption d'actes normatifs relevant d'une politique communautaire.

51/ Dans de telles circonstances, un droit à réparation est reconnu par le droit communautaire dès lors que trois conditions sont réunies, à savoir que la règle de droit violée ait pour objet de conférer des droits aux particuliers, que la violation soit suffisamment caractérisée, enfin, qu'il existe un lien de causalité direct entre la violation de l'obligation qui incombe à l'État et le dommage subi par les personnes lésées. (...)"

L'examen des deux espèces faisait apparaître que les conditions de la responsabilité de l'État pour violation du droit communautaire par le biais d'une législation nationale comportaient, dans le droit allemand comme dans le droit anglais, des limites qui risquaient de compromettre l'efficacité de la protection juridictionnelle des particuliers. La condition imposée par le droit allemand en cas de violation par une loi de dispositions nationales d'un rang supérieur, entendait subordonner la réparation au fait que l'acte ou l'omission du législateur visait une situation individuelle, tandis que le droit anglais imposait, pour que soit mise en cause la responsabilité de la puissance publique, d'apporter la preuve d'un abus de pouvoir dans l'exercice d'une fonction publique ( misfeasance in public office ), lequel abus n'est pas concevable dans le chef du législateur. La Cour a écarté le recours à ces limites 1 ( * ) et rappelé les termes de sa jurisprudence Francovitch / Bonifaci selon lesquels les conditions imposées par le droit national :

"(...) ne sauraient être moins favorables que celles qui concernent des réclamations semblables de nature interne ni aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l'obtention de la réparation. (...)"

3. Peut-on, enfin, considérer que la Cour est allée au-delà de sa compétence d'interprétation pour exercer une compétence de caractère constituant ?

Ce n'est pas le lieu, ici, de reprendre et de traiter la question du pouvoir normatif de la jurisprudence et de son interférence avec celui du pouvoir constituant, particulièrement en droit communautaire. On voudrait plus simplement tenter d'éclairer comment la Cour a pu surmonter le caveat formulé par le Gouvernement allemand et qui semblait prima facie pertinent : la reconnaissance d'un tel droit à réparation par voie prétorienne pouvait en effet paraître incompatible avec la répartition des compétences entre la Communauté et les États membres, comme avec l'équilibre institutionnel instauré par le traité.

L'explication que l'on peut proposer tiendrait dans la convergence des principes structurels du droit communautaire, dominés par celui de primauté, opérée par la Cour. 2 ( * ) On a déjà rencontré ces principes à l'oeuvre, spécialement dans l'arrêt Francovitch / Bonifaci : le travail du juge consiste à établir entre eux une convergence, à les focaliser et à déduire d'eux un principe impliqué, celui d'un droit à la réparation, directement issu du droit communautaire, en cas de préjudice causé par une violation par l'État d'une obligation communautaire, principe sans lesquels les autres ne seraient pas effectifs.

Par ailleurs, le juge a remarqué, dans l'arrêt Brasserie du Pêcheur / Factortame que les régimes nationaux de la responsabilité de l'État législateur, comme le régime de la responsabilité de la Communauté, avaient eux aussi été conçus et promus par les juges, en l'absence de détermination constitutionnelle ou législative : la convergence des méthodes complète alors celle des principes...

Si cette double convergence a pu être affirmée c'est sans doute parce que, comme l'a justement relevé le professeur VANDERSANDEN, "la responsabilité de l'État est une idée générale du droit " 1 ( * ) , inscrite peu à peu en tant que telle, dans les patrimoines juridiques nationaux avant de devenir un élément du patrimoine juridique commun européen, avec la Convention européenne des droits de l'homme d'abord, dont le droit communautaire ne fait que développer le présupposé : l'instauration d'un contrôle juridictionnel international de toutes les activités de l'État, complémentaire et incitateur du perfectionnement des contrôles juridictionnels internes.

II- LES CONSÉQUENCES DE L'ENCADREMENT : LES MUTATIONS DES RÉGIMES NATIONAUX DE RESPONSABILITÉ PUBLIQUE

Ni les droits des États membres, ni les juges nationaux ne vivent désormais en vase clos : la libre circulation organisée par les traités communautaires s'étend aussi aux notions et concepts juridiques. Ceux-ci font l'objet d'un véritable processus de fertilisation croisée, ainsi qu'en témoigne l'édification de principes et règles par lesquelles le droit communautaire, formulé par la Cour de justice, forgé à partir des droits nationaux, détermine en retour le régime national de la responsabilité de l'État pour violation du droit communautaire, que les juges nationaux auront à mettre en oeuvre.

La jurisprudence de la Cour est un message adressé aux droits nationaux, et tout particulièrement à leurs juges : comme pour l'effet direct ou la primauté, c'est à eux qu'il appartiendra de le relayer et de lui donner une suite opérationnelle, à l'occasion des litiges dont ils seront saisis en cas de dommage causé par une violation du droit communautaire. Le dialogue entre juges est certainement plus efficace pour assurer l'effet utile du droit communautaire que ne pourraient l'être des réformes législatives, voire constitutionnelles. En tous cas, sans l'acceptation des juges nationaux, les exhortations du juge communautaire ne pourraient s'enraciner durablement. L'étude de la portée de l'encadrement communautaire devra évidemment être attentive aux réactions des juridictions nationales. 2 ( * )

L'examen de la portée de cet encadrement communautaire met précisément en évidence la nécessité de dépasser cette notion : sous l'influence du droit communautaire, s'opère en réalité une mutation du droit interne qui affecte aussi bien la fonction du juge national (A) que le statut de la loi en droit interne (B)

A- LA MUTATION DE L'OFFICE DU JUGE NATIONAL

En dépit de l'autonomie institutionnelle dont elles disposent en principe, les juridictions nationales voient progressivement leurs conditions d'organisation et de fonctionnement placées sous les réquisitions du juge communautaire : issues de la nécessité de protéger la pleine efficacité des normes communautaires et de garantir l'entière effectivité des droits que le droit communautaire reconnaît aux particuliers, deux exigences d'une " Communauté de droit " 1 ( * ) ,celles-ci retentissent inévitablement sur l'organisation et la gestion des recours offerts par les droits internes, transformant le cadre dans lequel le juge national exerce ses fonctions. L'encadrement communautaire affecte le cadre institutionnel et procédural national dans lequel s'exercent les fonctions juridictionnelles.

Ces exigences se matérialisent sous la forme de ce que l'on nomme 2 ( * ) le principe d'équivalence (les conditions établies par les droits nationaux concernant la réparation des dommages ne peuvent être moins favorables que celles qui concernent les réclamations semblables de droit interne 3 ( * ) ) et le principe d'effectivité (les conditions nationales ne doivent pas rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile la réparation 4 ( * ) )

Mais la réduction du champ de l'autonomie institutionnelle nationale procède également de l'aménagement, voire de la création de voies de droit répondant à aux exigences posées par le droit communautaire. À vrai dire, cette conséquence n'est pas spécifique à la responsabilité de l'État pour violation du droit communautaire : la Cour a déjà, par le passé, indiqué au juge national l'obligation de laisser inappliquée la norme interne contraire au droit communautaire 5 ( * ) , prescrit le droit à un juge compétent 6 ( * ) , accordé au juge national des référés le droit d'ordonner des mesures provisoires, même si celles-ci, s'agissant de suspendre l'exécution d'une loi, ne sont pas autorisées par le droit national, 7 ( * ) ou d'injonctions adressées à l'administration, 8 ( * ) ou encore reconnu à un juge national la compétence de surseoir à l'exécution d'un acte administratif fondé sur un règlement communautaire dont la validité est contestée devant la Cour elle-même. 9 ( * ) La panoplie des instruments juridictionnels nationaux s'est ainsi enrichie sous l'influence du droit communautaire. 1 ( * )

Ceci confirme que le juge national est juge communautaire de droit commun : en cette qualité, le droit communautaire lui octroie un titre à juger, distinct de celui que lui confère le droit national et qui le complète. Le doyen BOULOUIS le constatait déjà : " Il est impossible de dissocier la source du droit et le titre du juge, dès lors que l'on affirme se trouver dans un système intégré se traduisant par l'existence d'un véritable ordre juridique. " 2 ( * )

La reconnaissance du principe de la responsabilité de l'État pour violation du droit communautaire, qui trouve directement son fondement dans le droit communautaire, assorti de ses corollaires et l'obligation de réparer le préjudice qui en découle font subir une mutation de taille aux droits nationaux, spécialement lorsque la source du dommage et de la violation réside dans l'action ou l'omission du législateur national : c'est sur cet aspect que se concentreront les développements ultérieurs, car c'est sans doute dans ce domaine que l'impact du droit communautaire est le plus important et le plus discuté.

B- LA MUTATION DU STATUT DE LA LOI EN DROIT INTERNE

On a pu pendant longtemps enseigner en droit français que les dommages imputables aux lois avaient pour fondement indiscuté, s'agissant de la responsabilité de la puissance publique, le principe de l'égalité devant les charges publiques, car la loi ne peut jamais constituer par elle-même une faute 3 ( * ) . C'est cette présomption irréfragable (ou cette fiction juridique), que le droit communautaire contribue à reconstruire, sinon à déconstruire, en la transformant peu à peu et non sans réticences, en une présomption simple, devant supporter désormais la preuve contraire.

La solution traditionnelle avait certes le double mérite 4 ( * ) de ne pas exclure le principe de la responsabilité de l'État législateur, élément de l'État de droit, et de rendre, en même temps, assez difficiles, donc plutôt rares, les hypothèses concrètes d'engagement de la responsabilité de l'État législateur, la preuve d'un dommage anormal et spécial n'étant pas facile à établir. Mais les développements. de la jurisprudence communautaire ont obligé à renouveler l'approche des solutions traditionnellement apportés à la question de la responsabilité de l'État du fait des lois, même si le débat ouvert demeure spéculatif par rapport à des positions jurisprudentielles nationales qui attestent d'une certaine difficulté à enregistrer les conséquences attendues de la jurisprudence communautaire, au point que l'interrogation que formulait D. SIMON en 1992 1 ( * ) conserve toute sa pertinence et son actualité, à savoir : "(...) si le régime de la responsabilité du fait des lois est de nature à satisfaire aux exigences résultant de la primauté du droit communautaire "

Les espèces dans lesquelles le juge administratif a eu à connaître de situations qui pouvaient donner naissance à la responsabilité de l'État du fait de lois méconnaissant une obligation communautaire se marquent par une volonté de ne pas répondre directement à la question de fond : quel fondement donner et quel régime accorder à la responsabilité du fait d'une loi contraire au droit communautaire ? L'embarras qui parcourt la jurisprudence 2 ( * ) , depuis l'arrêt Alivar 3 ( * ) , en passant par l'arrêt Arizona Tobacco 4 ( * ) et jusqu'aux arrêts Dangeville 5 ( * ) s'explique peut-être par la difficulté d'abandonner, dans ce cadre, une responsabilité sans faute pour une responsabilité d'où la faute du législateur peut difficilement être bannie.

L'analyse détaillée de ces arrêts et d'autres encore a été abondamment faite par la doctrine, à laquelle on renverra. Ce qui frappe, c'est que le juge y manifeste la volonté de raisonner exclusivement dans un cadre national, dans des situations où est pourtant en cause la violation du droit communautaire par le législateur, au prix, parfois, de constructions et de raisonnements souvent qualifiés d' habiles, voire d'"acrobatiques". 6 ( * )

Par ailleurs il a souvent été relevé que la responsabilité sans faute n'était guère adaptée aux situations où le droit communautaire était mis en cause. 7 ( * ) Exclu en principe en matière de droit économique, ce fondement de la responsabilité publique ne s'accorde pas avec le caractère largement économique du droit communautaire et n'est peut être pas entièrement compatible avec les principes d'équivalence et d'effectivité posés par la Cour, l'indemnisation du préjudice étant subordonné à des conditions la rendant difficile, voire impossible. Il ne semble pas non plus adapté à des situations où sont en cause non pas le vote d'une nouvelle loi (ou l'amendement d'une loi antérieure) mais l'absence de loi (encore que l'absence de loi de transposition laisse intact le droit antérieur, pas nécessairement conforme à la directive à transposer).

En revanche, reconnaître une responsabilité pour faute en cas de violation législative du droit communautaire, aboutirait à autoriser le juge administratif à censurer la loi, ce que son statut comme sa mission lui interdisent. 1 ( * )

Ni la responsabilité sans faute, ni la responsabilité fondée sur la faute ne semblent donc, pour des motifs croisés (inadaptation de la responsabilité sans faute au droit communautaire / inadaptation de la responsabilité pour faute à la conception française de la loi) convenir pour sanctionner les manquements du législateur à une obligation communautaire. Cette situation de "conflit négatif" ne pourrait cependant perdurer sans affecter à terme et l'autorité du droit communautaire et la crédibilité du juge administratif.

Pour ces raisons, certains ont estimé devoir se tourner vers une interprétation des exigences du droit communautaire, qui n'imposerait pas de choisir l'une des branches de l'alternative, mais qui autoriserait à parler, pour qualifier la condition essentielle imposée par le droit communautaire à la réparation des dommages causés par le législateur, (à savoir : " la violation suffisamment caractérisé ", selon la formule de la Cour) d'une " faute objective " ou à définir cette faute là comme : " la violation d'une obligation préexistante" . Comme on l'a dit : " (...) c'est bien la violation du droit communautaire qui, par elle-même, détermine l'obligation de réparer, et non l'intention de l'auteur de la mesure interne illicite " 2 ( * )

Cependant, une telle volonté d'objectiviser la violation du droit communautaire, qui a le mérite de ne pas déboucher sur la mise en cause de l'intention du législateur, ne pourrait guère s'appliquer aux situations où la méconnaissance d'une obligation communautaire par le législateur serait consciente et délibérée, et particulièrement dans le cas où un manquement aurait été constaté par la Cour... 3 ( * )

La condition de violation suffisamment caractérisée s'entend des hypothèses où les autorités législatives nationales (ou communautaires) disposent d'un large pouvoir d'appréciation : on doit alors se demander si, par exemple, la transposition d'une directive suppose vraiment une large marge d'appréciation ou si elle ne répond pas plutôt à l'exercice d'une compétence liée ? en d'autres termes, comment la non-transposition de directive pourrait-elle être alors qualifiée de violation suffisamment caractérisée si elle ne résulte pas d'un large pouvoir d'appréciation, mais de l'exercice d'une compétence liée ? ( Francovich / Bonifaci ) De même, lorsque le législateur légifère dans un domaine (composition des denrées alimentaires) couvert par les prohibitions de l'art. 28 (ex. 30) T CE, dispose-t-il véritablement d'un large pouvoir d'appréciation ? ( Brasserie / Factortame ) . Comme pour la transposition d'une directive, on peut en douter...

On veut dire par là que la Cour fait entrer sous le couvert d'une notion qu'elle veut objective des situations qui ne révèlent pas tant l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire que celui d'une compétence liée : dans ce cas-là, n'est-on pas contraint, logiquement, de quitter le terrain de la faute `objective' du législateur pour se replier sur celui de la faute `subjective' commise lors de l'édiction de la loi ? Au fond, la faute ne demeure-elle pas le seul fondement qui soit cohérent avec les hypothèses, finalement fréquentes, de compétence liée du législateur national au regard du droit communautaire ?

L'encadrement communautaire de la responsabilité traduirait alors la mutation d'une compétence discrétionnaire du législateur national, en une compétence devenue " communautairement " liée dans le champ d'application du droit communautaire.

L'encadrement communautaire n'est évidemment pas le seul facteur qui affecte la conception traditionnelle de la loi en France : le contrôle de constitutionnalité ainsi que le contrôle de conventionalité, au titre de la Convention européenne des droits de l'homme, font que la loi n'est plus l'acte incontestable du souverain : son avènement à l'ordre juridique dépendra de sa conformité à la constitution, tandis que, durant toute son existence, sa conformité aux exigences de la Convention européenne des droits de l'homme et du droit communautaire tel qu'interprété par la Cour de justice, pourra être mesurée par des juridictions auxquelles l'ordre juridique français a accepté de se subordonner. L'encadrement communautaire ne serait ainsi qu'une forme particulière de ce phénomène général qu'est l'internationalisation des droits nationaux, (texte arrêté au 11 juin 2001, sous réserve de quelques compléments de bibliographie plus récents)

[Éléments de bibliographie : W. Berg : Haftung der Gemeinschaft und ihrer Bediensten, (commentaire de l'art. 288, ex 215), in J. Schwarze : EU-Kommentar, Baden Baden Nomos Verlag 2001, p. 2277 (ample bibliographie, principalement allemande et anglaise) ; N. Dantonel-Cor : La violation de la norme communautaire et la responsabilité extra contractuelle de l'État, RTDE 1998, 75 (du même auteur : La mise en jeu de la responsabilité de l'État français pour violation du droit communautaire, RTDE 1995 p. 471 ; L. Dubouis : La responsabilité de l'État pour les dommages causés aux particuliers par la violation du droit communautaire, RFDA 1992 p. 425 ; L. Goffin : À propos des principes régissant la responsabilité extra contractuelle des États membres en cas de violation du droit communautaire, CDE 1997, 531 ; J-M. Favret : Les influences réciproques du droit communautaire et du droit national de le responsabilité publique extra contractuelle, Paris Pedone 2000 (ample bibliographie). J-F. Flauss : Frankreich, in J. Schwarze (Hrsg.) : Das Verwaltungsrecht unter europäischem Einfluâ Zur Konvergenz der Mitgliedstaatlichen Verwaltungsrechtsordnungen in der europäischen Union, Baden Baden Nomos Verlag 1995, p. 31. O. Léonard de Juvigny : V° Responsabilité (des États membres), Encyclopédie Dalioz de Droit communautaire, III, 1997 (ample bibliographie) ; A. Rigaux : L'arrêt Brasserie du Pêcheur / Factortame : le roi peut mal faire en droit communautaire, Europe, mai 1996 Chron. 5 ; D. Simon : Droit communautaire et responsabilité de la puissance publique : glissements progressifs ou révolution tranquille ?, AJDA 1993 p. 237; D. Simon : La responsabilité de l'État saisie par le droit communautaire - La jurisprudence Brasserie du Pêcheur, Factortame, British Telecom, Hedley Lomas...., AJDA 1996 p. 489 ; D. Simon : Le système juridique communautaire, Paris PUF 1998, p. 300 (ample bibliographie sur le thème) ; G Vandersanden et M. Dony : La responsabilité des États membres en cas de violation du droit communautaire. Études de droit comparé, Bruxelles 1997, Bruylant.; W. Van Gerven : La jurisprudence récente de la CJCE dans le domaine de la responsabilité extracontractuelle. Vers un jus commune européen ? in Université Panthéon-Assas (Paris II) Institut des Hautes Études Internationales. Cours et Travaux, Paris Pedone 1998 p. 61. Cl. Weisse-Marchal : Le droit communautaire et la responsabilité extra contractuelle des États membres : principe et mise en oeuvre, thèse Metz, 1996; Fl. Zampini : La responsabilité de l'État du fait du droit communautaire, thèse Lyon III, 1992]

Monsieur Pierre FAUCHON

Merci Monsieur le Professeur pour cette communication tout à fait substantielle et très bien structurée. Je ne ferai pas de commentaires - très brefs - si ce n'est pour dire qu'une fois de plus nous voyons, comme je le disais tout à l'heure après votre exposé Monsieur Costa, que les juristes construisent l'Europe et lui donnent une force qui va peut-être très au loin de ce que pensent les politiques. Surtout lorsque - comme vous nous l'avez rappelé - nous sommes dans un domaine où ils n'y avaient pas tellement pensé et où il a fallu que les éminents magistrats, d'ailleurs, de la Cour européenne de justice prennent conscience pleinement de leur responsabilité, de leur autorité, pour rendre effectives des dispositions qui sans eux seraient peut-être restées un peu lettre morte. Nous allons maintenant alors focaliser encore plus et descendre du niveau européen - si j'ose dire - descendre ou monter, je ne sais pas, selon la philosophie de chacun, à l'hexagone et entendre Monsieur Robert ETIEN, maître de conférences à l'université de Paris 13, nous parler de l'encadrement, toujours l'encadrement, de la responsabilité en droit constitutionnel. Je suppose qu'il s'agit du droit constitutionnel français, c'est pourquoi j'ai parlé de focalisation.

* 1 Il s'agit de celle de M. J-M. FAVRET : Les influences réciproques du droit communautaire et du droit national de la responsabilité publique extra contractuelle, Paris Pedone 2000.

* 2 La notion de jus commune doit être maniée avec précaution. Certains auteurs s'en sont fait les thuriféraires, qu'il s'agisse de considérer le jus commune européenne, de lege lata ou de lege ferenda. Beaucoup, en tous cas, observent une tendance vers l'émergence de principes communs s'imposant aux droits nationaux, ce qui serait particulièrement le cas en matière de responsabilité extra contractuelle. Voir par exemple, W. VAN GERVEN et al. : Torts, Oxford, Hart, 1998. Pour une attitude plus sceptique à l'égard du jus commune européen, dans ce domaine là, voir le compte-rendu critique de ce livre, et des présupposés méthodologiques sur lesquels il s'appuie, par P. LEGRAND, The Cambridge Law Journal, Volume 58 [1999], p. 439.

* 1 On n'examinera donc pas ici, du moins à titre principal, les hypothèses de responsabilité de la Communauté pour acte normatif impliquant des choix de politique économique, ni les cas où la responsabilité extra contractuelle de la Communauté pourrait être engagée à l'occasion d'un dommage commis par un fonctionnaire ou un agent de la Communauté. Notons que les solutions dégagées par la Cour dans le premier cas seront reprises par elle lors de l'élaboration de la solution apportée à l'hypothèse de la responsabilité de l'État au regard d'une violation du droit communautaire. Voir pour ces hypothèses les analyses précises de J. RIDEAU et F. PICOD : Code des procédures juridictionnelles de l'Union européenne, Paris Litec 2002, p. 343 s.

* 2 Le dictionnaire de la langue française par E. Littré (Paris, Hachette, 1881, tome 2, p. 1366) note des significations architecturale, artistique et militaire de ce terme, mais pas de sens juridique ou judiciaire.

* 1 Cf. W VAN GERVEN : La jurisprudence récente de la CJCE dans le domaine de la responsabilité extracontractuelle. Vers un jus commune européen ? in Université Panthéon- Assas (Paris II) Institut des Hautes Études Internationales. Cours et Travaux, Paris Pedone 1998, passim.

* 2 Le professeur J. RIDEAU observait : "La mise en oeuvre du droit communautaire est conditionnée par l'attitude des pouvoirs publics nationaux. Elle dépend, en premier lieu, de la volonté des Législatifs et des exécutifs étatiques, et, d'une manière plus générale, de l'ensemble des autorités nationales, de respecter les obligations communautaires souscrites par l'État en mettant en oeuvre les règles européennes ou en s'abstenant de porter atteinte à leur application. C'est à travers les règles d'organisation de chaque système juridictionnel national, que l'effet direct et la primauté du droit communautaire pourront trouver leur consécration à l'intérieur des différentes voies de droit et selon les hypothèses procédurales dans lesquelles le droit communautaire est appelé à s'appliquer, selon le principe de l'autonomie institutionnelle, souvent qualifié d'autonomie judiciaire ou procédurale en ce qui concerne les juridictions, qui anime la jurisprudence de la Cour." in J. RIDEAU et F. PICOD : Code de Procédures communautaires, Paris Litec 1995 p. 134

* 3 On peut considérer que le principe d'autonomie est une forme ou une application du principe de subsidiarité.

* 4 19 novembre 1991, Francovitch et Bonifaci c. Italie, aff. C-6/90 et C-9/90, Rec. p. 1-5357 (alinéa 43). JCP 1992 II 21783, note A. BARAV, JCP éd. E 1992 I 123, obs. D. SIMON, L. DUBOUIS : La responsabilité de l'État pour les dommages causés aux particuliers par la violation du droit communautaire, RFDA 1992 p. 1, F. SCHOCKWEILER : La responsabilité de l'autorité nationale, en cas de violation du droit communautaire, RTDE 1992 p. 27.

* 1 La doctrine considère que le mouvement jurisprudentiel conduisant à la définition communautaire des conditions d'engagement de la responsabilité de l'État pour violation du droit communautaire débute avec l'arrêt de la Cour du 16 décembre 1960, Humblet, aff. 6/60, Rec, p. 1146 ou la Cour avait indiqué - de manière incidente, il est vrai - que si elle : "(...) constate dans un arrêt qu'un acte législatif ou administratif émanant des autorités d'un État membre est contraire au droit communautaire, cet État est obligé aussi bien de rapporter l'acte dont il s'agit, que de réparer les effets illicites qu'il a pu produire." (c'est nous qui soulignons). Le principe de cette responsabilité est donc posé depuis plus de 40 ans ! il était à l'époque fondé sur l'art. 86 T CECA, disposition équivalente à celle de l'art. 10 T CE (anc. art 5 T CE)

* 2 Expression de J-F. FLAUSS : Frankreich, in J. SCHWARZE (Hrsg.) : Das Verwaltungsrecht unter europäischem Einflup. Zur Konvergenz der Mitgliedstaatlichen Verwaltungsrechtsordnungen in der enropatschen Union, Baden Baden, Nomos Verlag 1995, p. 31.

* 3 Le cadre de cette contribution ne permet de se livrer à un examen des différents droits des États membres. On trouvera, dans les références bibliographiques, des indications permettant d'accéder à une information comparative.

* 1 Voir notre thèse : Compétences et pouvoirs dans les Communautés européennes. Contribution à l'étude de la nature juridique des Communautés, Paris LGDJ, 1974. On complètera par la lecture de la thèse de V. MICHEL : Recherches sur les compétences communautaires, Paris - 1,2000.

* 2 art. 5 T CE (ex art. 3 B) "La Communauté agit dans les limites des compétences qui lui sont conférées et des objectifs qui lui sont assignés par le présent traité.", disposition introduite par le traité sur l'Union (1992), donc postérieurement à l'arrêt Francovitch / Bonifaci (1991).

* 3 Pas plus que leurs prédécesseurs, les négociateurs du traité sur l'Union n'ont cru nécessaire d'inscrire une telle disposition dans le traité de Maastricht, alors que la question leur avait été soumise. Cf. les conclusions de l'Avocat général Ph. LEGER sous l'arrêt de la Cour de justice du 23 mai 1996, Hedley Lomas, Aff. C-5/94, Rec. I- 2553 point 52, cité par O. LEONARD DE JUV1GNY, V° Responsabilité (des États membres), Encyclopédie Dalloz de Droit communautaire, III, 1997 n° I.

* 4 L'art. 288 T CE renvoie aux " principes généraux communs aux droits des États membres " : les principes développés par la Cour concernant les conditions d'engagement de la responsabilité extra contractuelle de la Communauté s'appuient donc sur un examen et une comparaison entre les droits nationaux : ce régime communautaire, on le verra, influencera les conditions dégagées par la Cour pour ce qui est de la responsabilité des États membres au regard du droit communautaire. Il y a ici un véritable jeu d'influences croisées entre le droit national et le droit communautaire, qui relativise (ou nuance) la notion d ' encadrement dans ce qu'elle pourrait avoir d'unilatéral.

* 1 Comme le remarquait le juge P. PESCATORE, la seule préoccupation des auteurs des traités a été "(...) de soumettre à un régime de responsabilité juridique l'entité nouvelle qu'ils s'apprêtaient à créer, c'est à dire la Communauté." in La responsabilité des États membres en cas de manquement aux règles communautaires, II Foro Padano, oct. 1972, n° 10.

* 2 S'agissant de la base juridique pertinente pour une telle intervention " législative", on peut songer aux dispositions concernant le rapprochement des législations (art. 94 et 95 T CE = ex art. 100 et 100 A) ou à l'art. 308 T CE (ex art. 235).

* 3 Arrêt de la Cour du 5 mars 1996, Brasserie du Pêcheur SA contre Bundesrepublik Deutschland et The Queen contre Secretary of State for Transport, ex parte : Factortame Ltd et autres. Affaires jointes C-46/93 et C-48/93. Recueil 1996 p. 1-1029. Voir le point 24 de l'arrêt :" (...) Le Gouvernement allemand soutient en outre qu'un droit général à réparation pour les particuliers ne pourrait être consacré que par voie législative et que la reconnaissance d' un tel droit par voie prétorienne serait incompatible avec la répartition des compétences entre les institutions de la Communauté et les États membres, et avec l'équilibre institutionnel instauré par le traité ; "

* 1 Cf. D. SIMON : v° Recours en constatation de manquement, in C. GAVALDA et R. KOVAR, Répertoire Dalloz de droit communautaire, II, 1992 n° 120, 128, 134.

* 2 Arrêt du 12 juillet 1976, Commission c. /Allemagne, aff. 70/72, point 13, Rec. p. 813.

* 3 Ainsi que la Cour le constatera expressément dans l'arrêt Brasserie du Pêcheur / Factortame (point 95) : "(...) subordonner la réparation du dommage à l'exigence d' une constatation préalable par la Cour d' un manquement au droit communautaire imputable à un État membre serait contraire au principe d' effectivité du droit communautaire, dès lors qu'elle exclurait tout droit à réparation tant que le manquement présumé n' a pas fait l'objet d' un recours introduit par la Commission en vertu de l'article 169 du traité et d'une condamnation par la Cour. Or, les droits au profit de particuliers, découlant des dispositions communautaires ayant un effet direct dans l'ordre interne des États membres, ne sauraient dépendre de l'appréciation par la Commission de l'opportunité d' agir au titre de l'article 169 du traité à l'encontre d'un État membre ni du prononcé par la Cour d' un éventuel arrêt de manquement (en ce sens, arrêt du 14 décembre 1982, Waterkeyn e.a., 314/81, 315/81, 316/81 et 83/82, Rec. p. 4337, point 16)"

* 1 D. SIMON, op. cit. n° 135. Adde J. RIDEAU, Droit institutionnel de l'Union européenne, Paris LGDJ, 1999 p. 742 : " (...) l'existence d'un arrêt de manquement ne fait que souligner l'obligation pour le juge national d'accorder la réparation du dommage causé, alors qu'en l'absence d'un arrêt en manquement, il appartiendra à la juridiction nationale d'établir préalablement cette violation, en utilisant éventuellement la voie préjudicielle. "

* 1 directive 80/987/CEE du Conseil, du 20 octobre 1980, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur ( JO CE n° L 283, p. 23).

* 2 D. SIMON : Droit communautaire et responsabilité de la puissance publique : glissements progressifs ou révolution tranquille ? , AJDA 1993 p. 237.

* 1 arrêt Francovitch / Bonifaci, précités, point 38 : "Si la responsabilité de l'État est ainsi imposée par le droit communautaire, les conditions dans lesquelles celle-ci ouvre un droit à réparation dépendent de la nature de la violation du droit communautaire qui est à l'origine du dommage causé."

* 2 Les espèces Brasserie du Pêcheur / Factortame ayant été jointes au fond, et ayant fait l'objet d'un même arrêt, on les examinera ensemble. Une autre raison de les examiner ensemble est qu'elles ont trait à la responsabilité de l'État du fait de lois.

* 3 ou bien dans le maintien d'une législation nationale déclarée contraire au droit communautaire par la Cour de justice elle-même ( Brasserie du Pêcheur ) .

* 4 L'admission dans ce cas du principe de la responsabilité permet de pallier l'inertie que l'État pourrait opposer en se fondant sur l'absence d'effet direct de la directive à transposer.

* 1 C'est nous qui soulignons.

* 2 D. SIMON, art. cit. JCP, éd. E 1992.I. 123, n° 13.

* 1 La lecture des conclusions de l'avocat-général LEGER, sous l'arrêt de la Cour du 23 mai 1996, Hedley Lomas, aff. C-5/94, Rec. p. I-2553, (point 95) permet de parcourir et de confronter la manière dont les États membres organisent la responsabilité du fait des lois

* 2 Droit administratif général, I, Paris Montchrestien, 1998, n° 1306.

* 3 Il s'agit de l' ex art. 215 (art. 228) T CE qui reconnaît, selon la Cour : "29. (...) le principe général connu dans les ordres juridiques des États membres, selon lequel une action ou omission illégale entraîne l'obligation de réparer le préjudice causé. Cette disposition fait apparaître également l'obligation, pour les pouvoirs publics, de réparer les dommages causés dans l'exercice de leurs fonctions.", mais aussi de la jurisprudence en matière de manquement qui considère traditionnellement qu'un manquement est imputable à l'État quelque soit la nature de l'organe qui en est l'auteur, même s'il s'agit d'une institution constitutionnellement indépendante.

* 4 On sait que la responsabilité internationale de l'État est par principe engagée quel que soit l'organe de l'État qui a causé le dommage.

* 5 Rec. p. 975.

* 1 Aff. jointes 83/76, 94/76, 4/77, 15/77 et 40/77, Rec. p. 1209, points 5 et 6.

* 2 Cf. D. SIMON : Le système juridique communautaire, op. cit. p. 304.

* 3 8 octobre 1996, Dillenkoffer, aff. C-178/94, C-179/91, C-188/94 à C-190/94 Rec. p. 1-1029.

* 1 Comme elle a également écarté l'argument selon lequel il conviendrait de subordonner la réparation du préjudice à l'existence d'une faute intentionnelle ou de négligence dans le chef de l'organe étatique auquel le manquement est imputable, (point 75) Certains ont pu comprendre ceci comme une préférence pour les régimes de responsabilité sans faute, particulièrement dans le cadre de la responsabilité du fait des lois.

* 2 Nous avons déjà esquissé cette explication, d'une manière plus générale. Voir notre article : The ECJ as Law -Maker : Praeter aut Contra Legem ? in D. O'KEEFE and A. BAVASSO : Liber Amicorum in Honour of Lord SLYNN of HADLEY, Judicial Review in European Union Law, Kluwer Law International, The Hague, 2000, vol. I p. 73.

* 1 Op. cit. p. 5.

* 2 Il ne peut être question, sauf exception, de rendre compte ici des réactions des juridictions de chaque État membre. Pour un examen comparatif, limité à l'Allemagne, au Royaume-Uni, à la Belgique, à la France, à l'Espagne et à l'Italie, voir G. VANDERSANDEN et M. DONY, op. cit. passim.

* 1 relevé par D. SIMON : Droit communautaire et responsabilité de la puissance publique...art. cit. AJDA 1993, p. 238.

* 2 Voir J-M. FAVRET, op. cit. p. 260.

* 3 arrêt Francovitch / Bonifaci, point 43.

* 4 ibid. point 43.

* 5 9 mars 1978, Simmenthal, aff. 106/77, Rec. p. 629.

* 6 5 mai 1986, Johnston, aff. 222/84, Rec. p. 1651.

* 7 9 juin 1990, Factortame (I), aff. C-213/89, Rec. I-2433.

* 8 9 novembre 1995, Atlanta, aff. C-465/93, Rec.I-3761.

* 9 21 février 1991, Zuckerfabrik Soest, aff. jointes C-143/88 et C-92/89, Rec. I-415.

* 1 On peut soutenir qu'une loi comme celle du 9 février 1995 relative à l'organisation des juridictions et de la procédure civile, pénale et administrative (J.O. du 9 février 1995, p. 2175) qui reconnaît au juge administratif des pouvoirs d'injonction à rencontre de l'administration, doit quelque chose à la jurisprudence communautaire. Cf J-M. FAVRET, op. cit. p. 268.

* 2 dans son commentaire de l'arrêt Simmenthal, AJDA 1978 p. 326.

* 3 Voir par exemple, M. ROUGEVIN-BAVILLE, R. DENOIX de SAINT MARC et D. LABETOULLE : Leçons de droit administratif, Paris, Hachette, 1989 p. 352.

* 4 On peut ajouter que l'engagement d'une telle responsabilité sans faute permettait aussi d'écarter la notion de faute, dont la conception classique de la loi s'accommode mal. La responsabilité pour rupture de l'égalité devant les charges publique présente un caractère objectif, mais il faut rappeler qu'elle est subordonnée à la volonté du législateur de ne pas exclure toute indemnisation : cette condition n'est-elle pourtant pas l'indice d'un élément subjectif ?

* 1 Le Conseil d'État et les directives communautaires... RTDE 1992 p. 281

* 2 Relevé de manière détaillée et convaincante par J.M. FAVRET auquel on renverra : op. cit, p. 290 s.

* 3 CE 23 mars 1984, AJDA 1984 p. 386

* 4 CE 28 février 1992, Rec. p. 80

* 5 CAA de Paris 1 er juillet 1992, JCP éd. E II n° 357 ; CE 30 octobre 1996, AJDA 1996 p. 1044

* 6 Appréciation de G. VANDERSANDEN et M. DONY, op. cit. p. 264 à propos de l'arrêt Arizona Tobacco où l'imputation de la violation du droit communautaire échoit à l'autorité administrative alors qu'elle applique une loi non conforme à la directive que la loi devait transposer, le fait générateur de la responsabilité de l'État ayant été considéré comme détachable de la loi elle-même.

* 7 R. KOVAR : Le Conseil d'État et le droit communautaire : des progrès mais peut mieux faire, D. 1992 Chron. P. 207/212

* 1 On se souvient que le même argument avait été utilisé pour éviter d'avoir à admettre la possibilité pour le juge administratif d'écarter la loi postérieure contraire au droit communautaire, avant l'arrêt Nicolo...

* 2 J-M. FAVRET : op. cit. p. 359

* 3 Dans l'arrêt du 28 octobre 1999 rendu par la House of Lords, ([1999] 4 All E. R. 906 et [1999] 3 C.M.L.R. 597), qui constitue le 5 e épisode de l'affaire Factortame, Lord SLYNN of HADLEY se pose cette question : " Can it be said, even if the Act was deliberatly adopted, it was an unintentionai and `excusable' breach which should prevent what was done being `a sufficiently serions breach' in that it was a manifest and grave disregard of the limits of the United Kingdom's discretion ?" , avant de conclure que le Royaume-Uni a violé ses obligations communautaires de manière suffisamment sérieuse permettant aux requérants d'obtenir des dommages intérêts pour le préjudice directement causé par cette violation. Le droit anglais des Torts s'est ainsi enrichi d'un nouveau cas d'ouverture  : le breach of Community obligations. On doit admirer la plasticité de la Common Law qui a su surmonter l'obstacle de la souveraineté du Parlement.

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