Actes du colloque : vers de nouvelles normes en droit de la responsabilité publique



Palais du Luxembourg, 11 et 12 mai 2001

-II- L'HÉTÉROGÉNÉITÉ DES NORMES EN DROIT INTERNE DE LA RESPONSABILITÉ DE LA PUISSANCE PUBLIQUE

La responsabilité pénale des décideurs publics locaux

par Monsieur Pierre FAUCHON,

vice président de la commission des Lois constitutionnelles,

de législation, du suffrage universel,

du règlement et d'administration générale du Sénat

Président de séance : Monsieur le Doyen Georges VEDEL, de l'Académie française.

Je ne sais pas par quelle invocation je dois commencer. Je dois dire, messieurs les présidents, qu'en énonçant des titres aussi prestigieux, je suis étonné d'être moi-même un président en ce moment. Permettez-moi, par conséquent, très simplement, de saluer tous ceux qui sont là et qui vont travailler pour nous et avec nous.

Je voudrais présenter mes excuses de ne pas avoir été présent à la séance de ce matin, mais les dernières années de la vie sont les plus encombrées parce qu'il faut en finir, tout arrive à temps, et par conséquent, c'est bien connu, comme j'avais souvent l'occasion de le dire, la retraite c'est le moment où on a le plus de vacances, alors excusez de la visite d'un surmené qui n'a pas pu venir ce matin.

C'est dommage, c'est dommage parce que le thème arrêté par nos collègues universitaires en liaison avec les instances parlementaires est extrêmement intéressant et extrêmement actuel. Parce qu'il est assez mouvant. Ce ne sont pas des peintures que l'on peut faire ni même des instantanés, c'est un film qu'il faut arriver à enregistrer. Et j'ose dire que quelqu'un de ma génération et de ma situation accueille avec beaucoup d'appétit ce genre de réunion. Pourquoi ? Réfléchissez à ce qu'est la vie d'un professeur en activité. Il passe son temps à se tenir au courant. Pourquoi ? Parce qu'il a dans ses auditoires des étudiants ou des étudiantes qui sont rejetons de parlementaires, de membres du Conseil d'État, de très hautes notabilités, et qui reviennent en disant : "papa, tu n'es pas au courant de...". D'un autre côté il ne peut pas oublier, parce qu'il interroge aux examens, il doit bien se souvenir si telle bêtise qu'il entend proférer, il ne l'a pas lui-même proférée dans son cours. Donc une vigilance de tous les instants. Mais à partir du moment où l'universitaire est à la retraite, il est en roue libre. Oh ! Il ne fait pas d'efforts pour oublier, ça vient tout seul. Et il ne fait pas d'effort pour acquérir, même s'il a gardé présent à l'esprit le recueil des décisions du Conseil constitutionnel ou du Conseil d'État ou de telle revue juridique savante. Il n'y apporte pas l'ire, l'acharnement qu'il y mettait autrefois pour être au courant au moment où le cours commence. Tiens ! Une nouveauté, il en passe tellement. Il attendra que la nouveauté soit, elle, effacée par une autre nouveauté. Ceci créé une ambiance de scepticisme à la fois, comment dirai-je, anti-universitaire d'abord et antirépublicaine d'autre part. Parce que l'on a l'air d'être porté par un temps, l'on a l'air d'être inscrit dans une facilité d'être, peut être tout simplement transporté par la providence, et l'on s'aperçoit qu'il n'était pas besoin de tant de précaution. D'autant plus que le bilan que l'on fait s'aperçoit que l'on obtient toujours quelque chose de bon, comme souvent, que l'on n'a pas cherché, et qu'on a jamais réussi à atteindre ce que l'on voulait.

Je m'excuse de ses propos d'un scepticisme total qui n'ont aucun rapport avec l'objet de cette réunion, mais qui me donne le plaisir de prendre contact avec vous et, si vous le permettez, pour que vous n'ayez pas perdu votre après-midi, je vais passer à l'ordre du jour.

L'ordre du jour appelle, si je comprends bien d'abord, des témoignages, dont le premier est celui de Monsieur le président, de la vice-présidence de la commission des Lois constitutionnelles du Sénat, Monsieur Pierre Fauchon, sur le thème : "La responsabilité pénale des décideurs publics locaux".

Monsieur Pierre FAUCHON

Monsieur le doyen, cher doyen, merci de me donner la parole et permettez-moi de ne pas commencer ce témoignage - ce n'est pas une communication, c'est un simple témoignage - sans vous rendre hommage, sans vous rendre l'hommage que nous vous devons tous. Pour tout ce que vous apportez, avez apporté et continuez d'apporter à notre vie publique ; cela fait beaucoup de choses que je n'énumérerai pas. Cela en ferait trop, mais je dirai tout de même que - et c'est encore plus vrai quand on est parlementaire - vous êtes l'un des, sinon le grand clarificateur de notre problématique politique, vous apportez dans tous vos commentaires, vos articles et vos réflexions, une clarté qui manque le plus souvent dans cette matière. Et c'est donc à cette capacité de clarification que je tenais à rendre hommage, me souvenant du mot de La Bruyère selon lequel avec les diamants et les perles, l'esprit de discernement est ce qui est de plus rare et de plus précieux dans le monde. Merci de ce que vous nous avez apporté de clarification.

Mon témoignage doit porter, selon l'intitulé auquel je vais essayer de me conformer, sur la loi à laquelle on donne communément mon nom, parce qu'il est difficile de l'appeler de son vrai nom, qui est la loi de la réforme des délits non intentionnels - loi du 10 juillet de l'année dernière - que l'on appelle improprement loi sur les responsabilités des décideurs publics, que l'on appelle ici des décideurs publics locaux.

Disons immédiatement que cette loi ne concerne pas que les décideurs publics locaux, elle concerne toutes les personnes qui sont susceptibles de poursuite pénale pour des délits d'imprudence ou de négligence. Alors, on en a parlé beaucoup - et naturellement comme élu local je suis peut-être plus informé que d'autres et plus sensible que d'autres à la situation particulière des élus locaux mis en poursuite pour des faits d'imprudence ou de négligence - il ne s'agit naturellement pas de la délinquance volontaire mais de délits d'imprudence ou de négligence. Mais ce dont je vais vous parler concerne aussi bien les décideurs locaux que les préfets, les directeurs d'hôpitaux dans leur responsabilité, les directeurs de colonies de vacances, les responsables de centre d'activités de plein air, où les risques par définition sont un peu plus nombreux qu'ailleurs, et même d'un simple particulier parce qu'il n'y pas de différence de nature profonde entre un enfant qui hélas se brise une vertèbre en plongeant dans une piscine publique parce qu'il n'y a pas assez d'eau dans la piscine et qu'on n'a pas mis la pancarte pour signaler que le plongeon était interdit, et le même enfant qui plongera dans une piscine privée chez un particulier et qui n'aura pas été averti des mêmes dangers et qui hélas recevra les mêmes blessures. C'est le même problème, c'est un problème de délit d'imprudence ou de négligence ayant causé le décès ou l'incapacité à cet enfant.

C'est un problème, vous le savez, qui a défrayé la chronique avec un certain nombre d'affaires spectaculaires - j'ai trop peu de temps pour les évoquer -mais nous avons été en quelque sorte provoqués à nous interroger sur la multiplication de poursuites et éventuellement de condamnations, qui donnaient l'impression d'être des poursuites et des condamnations tout à fait artificielles. Elles étaient pratiquement fondées sur le raisonnement assez sommaire qui est le suivant : un accident s'est produit, si telle autorité ou telle personne n'avait pas pris telle ou telle disposition qu'elle devait prendre parce qu'elle doit prendre toutes les dispositions de nature à éviter cet accident, cet accident ne se serait probablement pas produit et dans ces conditions il y a un lien de causalité suffisant entre le fait qu'on n'ait pas pris telle ou telle disposition ou qu'on a pris des dispositions qui ne suffisaient pas. Ce lien de causalité suffit à considérer que le délit d'imprudence, ou d'homicide ou de blessure par imprudence ou négligence, se trouve constitué. Et c'est ainsi que, selon la formule du juriste, des poussières de fautes ont pu conduire à des condamnations, qui apparaissent comme tout à fait artificielles et tout de même quelque peu excessives. Et naturellement, elles sont alimentées par cette recherche du bouc émissaire qui caractérise notre vie publique.

Il nous a semblé qu'il fallait donc agir, et agir à la racine du mal. Agir à la racine du mal, c'était découvrir ou redécouvrir que depuis prés d'un siècle, depuis un arrêt du Tribunal des conflits de 1912, on a pris l'habitude de confondre et d'assimiler la faute civile et la faute pénale, sans s'apercevoir qu'il y avait une grande différence entre la faute civile et pénale, l'imprudence faute civile et l'imprudence faute pénale. L'imprudence faute civile est retenue parce qu'elle fonde l'obligation de réparer le résultat, le dommage causé par cette imprudence, vieux principe que l'on trouve déjà dans le droit romain : c'est donc une atteinte portée aux intérêts d'un ou de plusieurs particuliers qui sont les victimes. La faute pénale, au contraire, toute différente, est en réalité une atteinte portée aux valeurs de la société. Et c'est ce qui justifie la poursuite pénale, la mise en oeuvre des procédures pénales et les condamnations pénales, qui sont tout autre que les condamnations civiles. Puisque à l'égard des premières elles ne sont pas infamantes, d'abord, et deuxièmement, elles peuvent être couvertes par des systèmes d'assurances, alors que les condamnations pénales - évidemment quand c'est une peine de prison mais même si c'est une amende - ne sont pas couvertes par les assurances. Il y a un coté infamant naturellement pour les gens qui sont poursuivis et, le seul fait de comparaître sur les bancs de la correctionnelle, comme on dit côte à côte avec des délinquants de droit commun, est évidemment quelque chose de très préjudiciable.

Il fallait donc essayer de faire quelque chose et d'atteindre à la base cette confusion des deux fautes. Il fallait aussi rappeler, en ce qui concerne la faute pénale, qu'il y a tout de même un principe fondamental dans notre code pénal, qui a été rappelé d'ailleurs dans le nouveau code pénal, c'est qu'il n'y a pas de délit sans intention de le commettre. Et que donc dans les délits où il n'y a pas d'intention délictueuse - et c'est le cas des délits d'imprudence ou de négligence - il n'y a évidemment pas eu la volonté de provoquer l'accident. Ces délits là théoriquement ne devraient pas exister, mais il faut pour des raisons de sécurité publique instituer les délits d'imprudence ou de négligence, de manière à nous obliger tous à un comportement plus prudent et plus diligent, naturellement en matière de circulation mais aussi dans tous les autres domaines qui peuvent être l'occasion d'accident.

Et c'est une seconde préoccupation qui nous a guidés dans cette démarche. Cette démarche nous a conduit tout simplement à mettre fin à la confusion de la faute civile et de la faute pénale, en donnant de la faute pénale une définition spécifique, une définition particulière soulignant son caractère pénal et permettant définitivement de la distinguer de la faute civile et de faire en sorte qu'il ne suffirait plus de n'importe quelle imprudence ou négligence, même tout à fait théorique, pour qu'il y ait une condamnation pénale. Cela suffit pour une condamnation civile. Mais pour qu'il y ait une condamnation pénale, il faut que cette faute ait un certain degré - dont on a discuté, sur la rédaction, on peut naturellement varier - un certain degré de gravité qui implique la conscience du danger que l'on fait courir ou contre lequel on n'a pas pris les mesures adaptées. Quelque chose qui rapproche et qui soit un peu intermédiaire entre le délit totalement in-intentionnel et le délit intentionnel, dans la mesure où l'élément intentionnel réside dans le fait qu'on n'ignore pas qu'on fait courir un danger, qu'on n'ignore pas qu'il y a un certain danger, qu'on le fait et qu'il y a un certain risque.

Alors, dans cette démarche, nous avons abouti à un texte que je vous lirai tout à l'heure, brièvement, et j'essaye - ce n'est qu'un témoignage - de ne pas entrer dans le détail, vous ne m'en voudrez pas. Par cette démarche nous avons vu qu'il fallait apporter un certain nombre de distinctions qui étaient inévitables.

La première, c'est que cette démarche nous l'avons faite uniquement pour les personnes physiques et non pas pour la responsabilité pénale des personnes morales. Car il y a maintenant, depuis le nouveau code, une responsabilité pénale des personnes morales, qui est une notion tout à fait nouvelle. Évidemment un peu théorique et un peu surprenante, et encore d'ailleurs assez souvent critiquée, mais enfin elle s'établit dans la jurisprudence, elle fait son chemin et elle ne provoque pas les mêmes inconvénients, parce qu'une personne morale n'est pas assise sur les bancs de la correctionnelle et ne fait pas de prison ; et donc le problème en termes humains, en termes concrets, ne se posait pas du tout de la même façon. Et c'était un autre problème -j'en dirai deux mots tout à l'heure - parce qu'il est peut être, au fond, ce problème, plus proche du thème général du colloque que celui ce dont je vous parle, qui est donc celui de la responsabilité pénale des personnes physiques.

Seconde réflexion, il nous a semblé qu'on ne pouvait pas ignorer ou faire un texte qui aurait ignoré la fréquence des accidents de la circulation dans notre pays - puisque vous savez que c'est un des vices typiquement français - et que dans ce domaine il m'a semblé spécialement, puisque je suis à l'origine de la proposition de loi, qu'il ne fallait pas courir le risque, je dirais, d'abaisser la protection dans le domaine des accidents de la circulation. Et qu'il était donc raisonnable d'admettre qu'en matière d'accidents de la circulation, il ne fallait pas toucher au droit actuel qui fait que la moindre des fautes peut justifier une condamnation, parce qu'il n'y a pas de doutes que pour le pilote d'une automobile la crainte du gendarme reste tout de même le meilleur des avertissements. D'où la difficulté, car il était difficile de faire une loi dont on aurait dit : elle ne s'appliquera pas aux accidents de la circulation. Parce que, alors là, c'était vraiment procéder d'une manière catégorielle qui aurait certainement choqué les juristes que vous êtes. Il nous a semblé qu'il y a une distinction qu'on pouvait introduire entre les hypothèses où l'intervention de l'agent dont la responsabilité est recherchée et le dommage, prend la forme d'un lien de causalité direct ou indirect. Je prends un exemple concret d'un accident, malheureusement, très fréquent : la chute du poteau de basket. Le poteau de basket tombe alors qu'il y a un match et provoque souvent de très graves blessures et mêmes des décès d'enfants. S'il s'agit d'un poteau de basket qui a été poussé par le camion, disons peut être, de la friteuse le jour de la fête, le camion a poussé le poteau de basket donc le conducteur du camion a une relation directe avec le dommage. Mais s'il s'agit simplement de dire que le poteau de basket était vermoulu, que la commune ne s'en était pas aperçue, ou que les responsables de l'activité sportive auraient du quelquefois, éventuellement des années auparavant, prévenir ce risque ou qu'ils auraient du inspecter tous les poteaux de basket avant chaque match etc., on est dans une hypothèse de relation indirecte. Et les accidents de la circulation sont presque toujours des hypothèses de causalité directe et c'est pourquoi en disant que notre loi ne s'appliquerait qu'au lien de causalité indirecte nous touchions presque tous les cas de responsabilité dont j'ai parlé tout à l'heure, mais nous ne touchions pas la plupart des accidents de la circulation. Et c'est la raison pour laquelle j'ai cru devoir introduire cette distinction qui, j'en ai d'ailleurs été un peu surpris, naturellement, est un élément de complication dans l'application de la loi et on s'en aperçoit dés maintenant tous les jours. Mais finalement, elle a été adoptée successivement par le Sénat, l'Assemblée, le gouvernement, de sorte qu'elle est restée dans le texte. Il s'agit donc des personnes physiques lorsqu'il y a une relation de causalité [in]directe avec le dommage.

Et à partir de là, la définition à laquelle nous avons abouti - je vais vous la lire simplement sans la commenter outre mesure, ça serait trop long - est la suivante : les personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris tes mesures permettant de l'éviter - c'est toujours l'action et l'abstention - sont responsables pénalement s'il est établi qu'elles ont soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité (manifestement délibéré ce qui implique une certaine conscience de ce que l'on fait) prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée (c'est là le mot essentiel, ça n'est plus n'importe quelle faute, ça n'est plus la moindre imprudence ou la moindre négligence, c'est une faute caractérisée) et en outre qui expose autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elle ne pouvait ignorer. Il y a donc soit la violation manifestement délibérée d'un texte, soit le fait d'avoir commis une faute caractérisée et qui expose autrui à un risque d'une particulière gravité qu'on ne pouvait ignorer.

Je vous passe le détail de la mise au point de ce texte, car il y a eu un premier texte dans ma proposition, ensuite un second texte voté par le Sénat, ensuite un troisième texte voté par l'Assemblée, des rencontres naturellement entre les rapporteurs des deux assemblées, l'intervention du Gouvernement et de ses conseillers pour aboutir à ce texte final. Je n'entre pas - ça serait trop long -dans le détail de ces discussions, le texte est ce qu'il est, il est maintenant livré à la jurisprudence et d'ores et déjà, on voit bien qu'il a été bien reçu finalement. Contrairement à ce que beaucoup de sceptiques avaient cru pouvoir prédire, la jurisprudence, qui probablement était un peu gênée de prononcer des condamnations tout à fait automatiques et artificielles dont j'ai parlé tout à l'heure, a immédiatement appliqué ce texte. Et nous avons maintenant une série de décisions dans lesquelles on distingue bien et on dit en ce qui concerne l'élu : relation indirecte, il n'y a pas de faute caractérisée, donc il n'est pas responsable (encore que la commune, elle, qui n'est pas visée - personne morale - reste responsable sur le plan civil et éventuellement sur le plan pénal, je vous en dirai un mot dans un instant). Je prends un exemple concret qui est celui du Drac - sans citer d'autres jurisprudences - la terrible affaire du Drac, qui avait été jugée par la Cour d'appel, soumise à la Cour de cassation. Compte tenu de l'intervention de la loi nouvelle, la Cour de cassation n'a pas cassé l'arrêt précédent qui avait été rendu sous l'empire de l'ancienne législation, mais l'a annulé, l'a renvoyé devant la même juridiction pour revoir les circonstances de l'affaire à la lumière de la loi nouvelle. Et vous avez appris peut être comme moi-même à la radio, ce matin, hier soir, que l'affaire est en cours actuellement et que le parquet a considéré que dans cette affaire, il y avait vraiment une responsabilité de la personne qui avait conduit les enfants dans le lit du Drac, probablement parce qu'il a considéré qu'il y avait une relation directe entre le fait de conduire les enfants et de les exposer à l'inondation qui a lieu. Il a donc demandé sa condamnation (on en est là, simplement, il n'y a pas de décisions). Mais en ce qui concerne le directeur de l'école, qui n'a évidemment qu'une relation indirecte avec ce qui c'est passé, le parquet n'a pas requis de condamnation, faisant ainsi application-je ne rentre pas dans les circonstances de fait, je ne les connais pas suffisamment - manifestement application du schéma juridique que je viens de vous exposer. Voilà, pour l'essentiel, quelle est cette loi sur les délits non-intentionnels qui devrait amener encore une fois un meilleur discernement, je crois, dans les condamnations.

J'ajouterai une réflexion qui correspond mieux peut être aux débats qui font l'objet de ce colloque, si intéressant depuis ce matin, qui continuera de l'être pendant deux jours. Et je félicite au passage ceux qui ont réussi à mettre sur pied un colloque d'une telle tenue et d'une telle importance. Nous nous sommes posés au passage le problème de la responsabilité des personnes morales et spécialement des collectivités locales. Et ça a donné lieu à des débats dont je vais vous parler un peu - si on m'accorde encore deux ou trois minutes - parce qu'encore une fois il cadre mieux avec l'objet de vos réflexions.

Actuellement, nous avons un texte qui est l'article 121-2 du code pénal qui dit ceci : "Les personnes morales, à l'exclusion de l'État, sont responsables pénalement, selon les distinctions des articles 121-4 à 121-7 et dans les cas prévus par la loi ou le règlement, des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants. Toutefois, les collectivités territoriales et leurs groupements ne sont responsables pénalement que des infractions commises dans l'exercice d'activités susceptibles de faire l'objet de convention de délégation de service public." Susceptibles de faire l'objet de convention de délégation de service public, c'est-à-dire que dans le domaine où s'exerce la souveraineté, la puissance publique, le pouvoir de police des maires qui ne peut pas faire l'objet de délégation, là il n'y a pas de responsabilité pénale. Alors que dans le domaine où il peut y avoir délégation : l'organisation d'activités sportives ou autre que l'on peut très bien sous-traiter à un club, à une association ou à un organisme commercial, la délégation est possible et dans ce cas là, la responsabilité pénale de la personne morale est possible et fait l'objet d'ailleurs de décisions en vertus de cet article du code pénal. Nous nous sommes posés la question de savoir ce que signifiait cette distinction au regard, disons, de la conscience actuelle entre les activités délégables et non-délégables. Prenons un exemple d'activité de police : une course de taureau est organisée assez fréquemment dans les villes du sud de la France et donne lieu à des accidents. On reproche au maire de ne pas avoir pris des précautions en vertu de son pouvoir de police et comme le pouvoir de police n'est pas délégable, et bien, il n'y a pas de possibilité de responsabilité pénale de la commune.

Ces distinctions nous avaient paru à nous quelque peu artificielles. Elles avaient surtout paru artificielles à la commission qui avait été créée à la même époque par le Gouvernement et qui porte communément le nom de Monsieur Massot, le conseiller d'État, qu'on appelle la commission Massot. On a dit quelque fois, par erreur, que les travaux de cette commission étaient à l'origine de la proposition de loi que je viens de présenter. Ce n'est pas exact puisque le rapport de la commission est arrivé trois mois après le dépôt de la proposition de loi. Cependant, naturellement, cela a enrichi la réflexion et cela a enrichi la réflexion dans les deux assemblées, réflexion qui, elle, a été postérieure au dépôt de ce rapport. Or cette commission est allée très loin - et ceci va peut être plus spécialement intéresser le doyen Vedel - dans l'appréciation de la responsabilité des collectivités locales, pénale bien entendu, et éventuellement de l'État, puisqu'elle a considéré d'une part qu'en ce qui concerne les collectivités locales, il n'y avait plus lieu de faire de distinction entre les compétences délégables et les compétences non-délégables et que pour toutes activités des collectivités locales, la responsabilité pénale pouvait être engagée. Mais la commission est même allée plus loin et en dépit de l'opposition de son président, a décidé de lever le tabou de la non-responsabilité pénale de l'État.

Parce qu'actuellement, on ne voit pas très bien l'État français condamné pour un délit, n'est ce pas... ? Ce n'est pas très facile, je dirai même, à concevoir. Et donc, la commission Massot passant outre cette difficulté, des hommes aussi importants que l'ancien maire de Lille, Monsieur Maurois, et dans nos débats, Monsieur Badinter, qui est un juriste réputé, avaient dit : effectivement, au regard de la conscience moderne de l'État de droit, pourquoi l'État ne serait pas condamné, si il a, lui aussi, par imprudence ou négligence, commis le délit ayant provoqué la mort ou les blessures de quelqu'un. Et c'était les conclusions de la commission Massot, désavoué par le président à titre personnel, mais exposé tout de même par lui dans son rapport. Alors fort de ce soutien moral, nous n'étions pas allés jusqu'à proposer de proclamer la culpabilité éventuelle ou la possibilité de poursuivre pénalement l'État. Toutefois, nous étions allés tout de même jusqu'à proposer, jusqu'à voter au Sénat la suppression pour les collectivités locales de la distinction entre les activités délégables et les activités non-délégables, distinction encore une fois qui donne lieu à des difficultés de jurisprudence épouvantables. Dans l'affaire du Drac par exemple, il s'agit d'une activité qui est en un sens délégable, puisqu'elle était déléguée à une association par la commune, mais on a dit qu'elle était par nature non délégable : parce qu'elle se rattachait à l'enseignement - cette promenade était une activité para-scolaire qui se rattachait à l'enseignement - et que l'enseignement est, paraît-il, une activité non-délégable de l'État. Et bien, il n'y avait pas de responsabilité possible de la ville (c'était la ville en l'occurrence qui était concernée). Et on voit bien que la distinction est en pratique extrêmement difficile à justifier concrètement sur le terrain et à l'égard des gens qui sont victimes de tels événements. Donc, nous avions voté ici la suppression de cette distinction.

Je dois dire que nous avions voté contre l'avis du Gouvernement et que l'offensive gouvernementale s'est faite mieux entendre à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, ce qui d'ailleurs évidemment n'a rien de surprenant. Et à l'Assemblée Nationale, on a supprimé cette extension aux activités délégables que nous avions voté et on a rétabli le texte du Code pénal tel que je vous l'ai lu tout à l'heure. Quand la question est revenue devant nous au Sénat, il nous a semblé que ceci ouvrait un débat qui dépassait l'objet de la proposition. C'était un autre débat, qui touchait d'ailleurs par contiguïté le problème de la compétence - car dans ces affaires de responsabilité de la puissance publique, on tombe tout de suite sur les problèmes de partage des compétences entre les deux ordres de juridictions, on y échappe pas - problème de compétence qui touchait l'éventuelle responsabilité de l'État. On entrait donc en réalité dans une problématique qui était tout à fait distincte de celle dans laquelle se situait la proposition de loi dont je vous ai parlé et donc nous nous sommes ralliés à la position de l'Assemblée, et nous avons renoncé à modifier le système de responsabilité pénale des personnes morales.

Voilà quel est le témoignage que je pouvais vous apporter sur cette affaire. Il me semble qu'il pourra résulter de notre réforme le statu quo pour la responsabilité pénale des personnes morales et peut être une appréciation de la responsabilité des autres personnes, des personnes physiques, plus conforme à l'idée qu'on peut se faire - me semble t-il - d'un état de droit. Je vous remercie.

Monsieur le Doyen Georges VEDEL

Monsieur le président merci de cet exposé à la fois lumineux et subtil qui a nous a placés un peu dans les coulisses de la préparation de la loi plus minutieuse qu'on ne l'imagine quelquefois d'après les compte-rendus des débats parlementaires. Avec évidemment tout un tas de réflexion pour les juristes, dont une qui est évidente, c'est qu'à un certain moment, quoi qu'on en fasse, l'on en revient au juge. Entre la culpa levissima - la très légère faute - la faute inexcusable, la faute lourde, la faute caractérisée, il n'y a que des nuances sémantiques. Des nuances logiques il n'y en a pas, et c'est finalement le juge dans, à la fois sa science et son sens des comparaisons, et également son désir de justice, qui sera l'arbitre et tout est bien comme cela : de bonnes lois, de bons juges, de bons justiciables, c'est la grâce que nous nous souhaitons tous. Si vous le voulez bien, je vais donner tout de suite la parole à Monsieur le président SIGNE, qui doit nous parler de la responsabilité des parcs, communes et communautés de communes. Le temps est clément, je vous donne la parole Monsieur le président.

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