Actes du colloque : vers de nouvelles normes en droit de la responsabilité publique



Palais du Luxembourg, 11 et 12 mai 2001

La responsabilité des parcs, communes et communautés de communes

par Monsieur René-Pierre SIGNÉ,

Sénateur-maire

et Président du Parc naturel régional du Morvan

Comment dire à la fois la gêne et le plaisir que je ressens à m'exprimer devant vous aujourd'hui. La gêne provient du fait que mes connaissances juridiques sont peu de choses comparées à l'encyclopédisme des autres invités. Le plaisir vient pour sa part du fait que cette gêne est loin de constituer une contrainte désagréable, bien au contraire. C'est un honneur pour moi d'être présent. Sachez seulement que mon intervention sera celle d'un non-juriste, statut qui représente sans doute pour les organisateurs de ce colloque une curiosité en soi et qui justifie ma présence ici.

Qu'est-ce qu'un politique peut en effet dire à propos de la « responsabilité » à des juristes ? Le Président FAUCHON vient à l'instant de dépeindre les rapports parfois délicats entre le politique et la responsabilité surtout lorsque celle-ci devient pénale. Permettez-moi d'y ajouter quelques mots pour remarquer que les affaires mettant en cause la responsabilité pénale d'un élu pour un délit non intentionnel se déroulent la plupart du temps dans les communes rurales. Ce n'est pas très surprenant sachant qu'elles sont très vulnérables disposant de très peu de moyens matériels et humains.

Je n'aborderai que la responsabilité politique, qui, faut-il le souligner est la première qui nous occupe, nous politiques, celle qui s'appuie sur le premier juge de France : le peuple ; et sa sanction : le vote. Mettons-la de côté, pour aujourd'hui en tout cas, pour nous concentrer sur les normes de la responsabilité publique, mettons aussi de côté la responsabilité morale qui oblige à répondre devant sa conscience. Comme notre responsabilité repose souvent sur la notion de faute, le préjudice est souvent difficile à réparer et à effacer de notre souvenir.

On ne peut que se féliciter de la constante extension de la responsabilité publique. Cet élargissement a comporté plusieurs étapes et la responsabilité des agents publics a fini par engager la responsabilité de l'administration qui les emploie. En outre, cette administration n'est plus seulement l'État mais aussi, le cas échéant, une collectivité locale ou un établissement public. Il en résulte que le juriste doit se résigner à la diversité des sens et des contextes du mot « responsabilité ». S'y résigner mais la connaître et donc l'ordonner en catégories logiques.

Pour ce qui concerne la responsabilité des communes, je ne veux rendre compte que des éléments renvoyant à la responsabilité des communes et de leur groupement. L'intercommunalité, considérée comme une tendance de fond de la réforme de l'organisation territoriale de notre pays, est en effet lourde de potentialité de changement pour le régime de la responsabilité publique. Force est de constater que le modèle jacobin centralisé avec son architecture hiérarchique est plus clair du point de vue de l'attribution de la responsabilité qu'un modèle décentralisé et qui, de plus, est innovateur. L'administration locale en France comporte trois niveaux de collectivités territoriales : la commune, le département et la région, ce qui est assez simple. Mais le regroupement des communes en syndicats, districts ou communautés vient quelque peu compliquer la donne.

Commençons par le commencement, par la commune en somme, maillon de base et unité spatiale de référence, où l'on apprend beaucoup. L'article L. 2123-31 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) dit que les communes sont « responsables des dommages résultant des accidents subis par les maires, les adjoints et les présidents de délégation spéciale dans l'exercice de leurs fonctions ». La responsabilité de la commune connaît une limite en cas de faute de la victime. L'article L. 2253-5 du CGCT considérant la participation au capital de sociétés anonymes indique que « la responsabilité civile résultant de l'exercice du mandat des représentants de la commune incombe à la commune et non à ces représentants ». L'article L. 2216-3 du même code souligne pour sa part qu'en cas de dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis par attroupements l'État peut exercer une « action récursoire contre la commune lorsque la responsabilité de celle-ci se trouve engagée ». On le voit, la responsabilité de la commune est variable.

Mais la responsabilité, le plus souvent requise, tient aux incidents ou accidents survenus sur les lieux, dans les locaux, en utilisant les structures de la commune. En cas de poursuite, la collectivité est représentée par son maire qui la représente ès qualité et engage sa responsabilité en son nom. Dans quelques cas rares, le maire peut être incriminé lui-même, sa responsabilité personnelle étant engagée. Dans tous les cas, qu'il représente ou non la commune, sa responsabilité peut devenir culpabilité.

Si aux yeux de nos concitoyens, le maire est l'élu le plus apprécié, il est aussi le plus proche, celui qui ne peut se dérober. Il est le responsable de proximité, corvéable à merci, il n'aspire pas à être justiciable à merci, bien qu'il soit un justiciable comme les autres et ne prétende pas bénéficier de traitement de faveur.

Le maire est collaborateur de la justice, il connaît beaucoup de choses qui se passent dans sa commune, ses écoles ou ses locaux. Quelle est l'obligation exacte à laquelle il est tenu ? Quelle en est la portée ? Quelles conséquences peut-on en tirer ?

Sans évoquer le délit de favoritisme dans la passation des marchés, conclusion qui s'impose vite avec ce terrible corollaire que « le résultat présuppose l'intention » et la gestion de fait, construction purement jurisprudentielle constatée pour des fautes qui paraissaient bien visuelles aux élus.

La loi Fauchon intervient là puisqu'elle traite de la responsabilité des élus. Je l'évoque d'abord pour dire qu'elle a apporté un peu de sérénité aux élus, effrayés par leurs responsabilités depuis qu'on a eu la fâcheuse tendance de glisser du civil au pénal. Les progrès apportés par ce texte sont importants et méritent d'être soulignés. En premier lieu, les responsables indirects d'un dommage ne le seront pénalement que lorsque sera apportée la preuve qu'ils ont commis une faute qualifiée. Ensuite, le juge peut prononcer une relaxe sur le plan pénal mais une condamnation sur le terrain de la responsabilité civile.

La spécificité des PNR par rapport aux autres espaces protégés réside non seulement dans la complémentarité entre les objectifs de préservation du patrimoine et ceux de développement de territoires habités, mais aussi dans le caractère négocié de ses objectifs et des moyens que se sont donnés les partenaires (communes, région, département et État) à travers le contrat qu'est la Charte du Parc. À signaler tout de même que les Parcs n'ont pas de pouvoirs contraignants simplement des pouvoirs d'éducation, de pédagogie, de conseils, de suivi, et même la loi paysagère n'a pas pourvu les Parcs régionaux de pouvoirs de contrainte qui auraient été d'ailleurs mal acceptés. J'ajoute aussi qu'il faut bien entendre responsabilité comme l'obligation générale de répondre des conséquences de ses actes, ce qui n'a rien à voir avec les compétences. Je dois dire que la confusion se fait souvent au regard de nos concitoyens pour porter des accusations d'incurie. Compétence n'est pas responsabilité même si en exerçant la compétence on acquiert la responsabilité.

Les actions du PNR sont arrêtées et mises en oeuvre par son organisme de gestion qui est en général un établissement public de collectivités territoriales. Si chaque signataire de la Charte reste maître de ses décisions sur le territoire du parc, il est toutefois engagé par la Charte qu'il a négociée. La responsabilité de l'organisme de gestion du PNR est de veiller au respect de la Charte pour chacun de ses signataires. En effet, si une décision d'un signataire de la Charte ou d'un service de l'État impliqué n'est pas conforme à la Charte, son organisme de gestion est appelé à intervenir. Tous les partenaires, y compris l'État, sont tenus de respecter les orientations et d'appliquer les mesures définies par la Charte dans l'exercice de leurs compétences respectives.

Il existe un certain nombre de réglementations particulières : mesures spécifiques de gestion sur certaines zones du parc, maîtrise de la publicité) interdiction de la circulation des véhicules motorisés de loisirs dans les espaces naturels qui peuvent être de la compétence de l'État (classement des sites, réserves naturelles) ou des communes (par exemple : arrêtés municipaux, dispositions en matière de construction... ).

Un mot sur le cas de chevauchement d'un Pays et d'un PNR. Il convient peut être d'abord de définir ce qu'est un pays : projet de développement durable porté par des communes ou des groupements de communes sur un territoire cohérent. Il est matérialisé lui aussi par une charte et exprime un projet de territoire répondant aux objectifs de développement durable. C'est dire que nous retrouvons souvent les mêmes préoccupations et les mêmes objectifs entre Pays et Parcs. Pourtant la possibilité de chevauchement est bien autorisée mais soumise à plusieurs conditions. D'abord, c'est le cas le plus général, est reconnue l'antériorité du Parc régional, ensuite « la convention de partage des rôles » doit être approuvée et signée par le Parc et les communes qui appartiennent simultanément au Parc et au Pays. Elle est annexée à la charte du Pays, soumise à délibération des communes ; elle est aussi annexée à la charte du Parc. La convention doit définir, pour les parties communes, les missions respectivement confiées aux organismes de gestion du Parc et du Pays et notamment les domaines d'action pour lesquelles le Parc aura vocation exclusive à assurer la cohérence des actions programmées de l'État et des. collectivités territoriales sur ces parties communes. Un EPCI à fiscalité propre ayant approuvé une charte de pays est totalement inclus dans son périmètre mais il peut n'être inclus que partiellement dans un Parc et ne pas être membre de son syndicat mixte. On voit que les choses ne sont pas très simples.

***

Venons-en pour finir à ce qui représente à mes yeux le plus intéressant au regard de ce qui nous occupe, je veux parler de l'intercommunalité et de ses conséquences sur la responsabilité publique. La loi du 12 juillet 1999 dédiée au renforcement et la simplification de la coopération intercommunale n'évacue pas pour autant, et malgré son intitulé, la complexité croissante du maillage institutionnel de notre territoire.

Il existe en fait un certain flou statutaire. Contrairement aux communes dotées d'une compétence générale pour traiter les affaires revêtant un intérêt communal, les communautés de communes sont des groupements à compétence spécialisée limitée par leurs statuts dont la rédaction nécessite une grande vigilance. Il se trouve que les communautés de communes, EPCI à fiscalité propre, exercent de plein droit les compétences concernant l'aménagement de l'espace et les actions de développement économique, plus, au minimum, une compétence facultative. Les 2 compétences obligatoires sont assez vastes pour qu'y soient englobés beaucoup d'actions et beaucoup de projets, ce qui n'est pas pour simplifier les choses et le principe de spécialité statutaire est souvent appliqué de manière incertaine. Les débordements de compétences sont sources d'incertitudes juridiques. En somme quand le partage des compétences est de moins en moins précis, celui des responsabilités entre communes et entre groupements de communes perd aussi en précision. Chacun est normalement responsable de ce pour quoi il est compétent ou de ce qu'il croît être inclus dans ses compétences. En conséquence, le flou des compétences entraîne le flou des responsabilités.

Je vous l'ai dit en ouverture, mais vous avez pu sans mal le vérifier à maintes reprises depuis, je ne suis pas juriste, néanmoins il y a un principe de droit qui me paraît clair c'est que le transfert de compétence entraîne transfert de responsabilité. Les blocs de compétences, peut être se dissolvent-ils au fil des approfondissements de la décentralisation ? Le centralisme, manifestement excessif, qui a eu cours si longtemps et qui enserrant les communes et toutes les collectivités dans un carcan devenu insupportable, avait l'avantage, comme toute mauvaise chose à quelquefois un bon côté, de délimiter nettement avec simplicité et clarté, les frontières des compétences. Et plus, il y avait un contrôle à priori de l'État qui n'était pas non plus sans conséquences.

Je ne dis pas pour autant que je regrette la centralisation et je pense même que la décentralisation est à revoir, à ajuster, à élargir mais dans le même temps que soient mieux définies les compétences en évitant les transferts souvent imposés et mal compensés. Mais ceci est une autre histoire totalement hors sujet.

Monsieur le Doyen Georges VEDEL

Merci Monsieur le président. C'est véritablement très instructif, non seulement pour des professeurs mais pour de simples citoyens, que de voir démonter devant eux les problèmes, les soucis, les tâtonnements et les réussites des élus qui sont attelés à leurs tâches pour nous, et on a un sentiment de gratitude que je vous exprime bien volontiers, Monsieur le président. Si vous le voulez bien nous allons maintenant passer à un autre genre de rapport, puisqu'il ne s'agit plus de témoignages mais d'une étude juridique, certainement d'une autre caractéristique, qui incontestablement va se présenter à nous comme une énigme. C'est le rapport de Monsieur PAILLET sur le sujet : "Existe-t-il une responsabilité de droit commun ?". Chacun de ces mots, sauf peut-être "existe", pose un problème de définition, mais nous l'écoutons avec beaucoup de curiosité.

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