Rencontres Sénatoriales de l'Entreprise 2001



Palais du Luxembourg, 7 février 2001

Deuxième table ronde : 35 HEURES ET RECRUTEMENT

Table ronde présidée par M. Jean-Pierre FOURCADE, sénateur, président du comité des finances locales animée par M. Gilles BRIDIER, directeur délégué à la rédaction de La Tribune

Sénateurs inscrits participant à la table ronde :

M. Philippe ADNOT

(NI)

sénateur de l'Aube

M. Louis ALTHAPÉ

(RPR)

sénateur des Pyrénées-Atlantiques

M. Pierre ANDRÉ

(RPR)

sénateur de l'Aisne

M. Jean-Pierre BEL

(Soc)

sénateur de l'Ariège

M. Jacques BELLANGER

(Soc)

sénateur des Yvelines

M. Jean BIZET

(RPR)

sénateur de la Manche

M. Jean BOYER

(RI)

sénateur de l'Isère

Mme Yolande BOYER

(Soc)

sénatrice du Finistère

M. Gérard CÉSAR

(RPR)

sénateur de la Gironde

M. Yvon COLLIN

(RDSE)

sénateur du Tarn-et-Garonne

M. Ambroise DUPONT

(RI)

sénateur du Calvados

M. Pierre HÉRISSON

(UC)

sénateur de Haute-Savoie

M. Pierre JARLIER

(UC)

sénateur du Cantal

M. Guy LEMAIRE

(RPR)

sénateur de Loire-Atlantique

M. François MARC

(Soc)

sénateur du Finistère

M. Ladislas PONIATOWSKI

(RI)

sénateur de l'Eure

Chefs d'entreprise inscrits participant à la table ronde :

M. Olivier BARBEROT,

directeur des ressources humaines de THOMSON MULTIMÉDIA

M. Dominique POULIQUEN,

PDG de REALVIZ

M. Jean-Marie LADURÉE,

directeur des ressources humaines de L'ORÉAL

M. Jean-Claude MONTAGNON,

président de CHAMATEX

M. Amaury ELOY,

PDG de NEWWORKS

M. Jean ELIAS,

directeur des ressources humaines de GENSET

M. Raymond RECEVEUR,

président de la Chambre des Métiers de Meurthe-et-Moselle

M. Hervé L'HOMME,

directeur des ressources humaines de SODEXHO

M. Michel RIVIERE,

PDG de RIVIERE

M. Gérard DAVID,

directeur de la communication de DASSAULT AVIATION

Mme Sylvie REFORZO,

PDG de CYBERWORKERS

M. Michel POUILLOUX,

directeur de l'établissement de La Hague de la COGEMA

M. Stéphane VAIS,

directeur administratif et financier d'AOL

M. Laurent LEGUIDE,

PDG de CYBERSEARCH

M. Frédéric SERVELLE,

juriste à AUCLAND

M. Claude SPESER,

directeur du site de Compiègne d'AVENTIS PHARMA

Synthèse du débat :

1. Redéfinir la notion de temps de travail

2. Rouvrir le débat sur l'application des 35 heures dans les PME

3. Rouvrir le dossier des heures supplémentaires

4. Dans les mécanismes d'aides ou de réduction des charges, préférer l'incitation à l'obligation

M. LE PRÉSIDENT Jean-Pierre FOURCADE (sénateur, président du comité des finances locales - Rassemblement Démocratique et Social Européen)

Les 35 heures sont un sujet essentiel pour les entreprises aujourd'hui mais aussi pour les collectivités territoriales et les administrations publiques. Je tiens tout d'abord à souligner que personne ne songe à remettre en cause la réduction tranquille sur le long terme de la durée du travail dans les entreprises, phénomène sociologique bien connu. On a tout de même, à la lumière de l'expérience du début des années quatre-vingt, lorsque l'on est passé de 40 à 39 heures de manière obligatoire, vu surgir des craintes. Nous les avons exposées lorsque nous avons examiné les projets de loi de Mme Aubry, qui ont suscité de grands débats au Parlement ainsi qu'avec les organisations professionnelles et syndicales et les chefs d'entreprises.

Nous sommes confrontés aujourd'hui à plusieurs phénomènes.

Premièrement, il est vrai que les grandes entreprises ont pu mettre en oeuvre des réorganisations pour faire fonctionner les 35 heures avec une prise en charge partielle des coûts par l'Etat, qui entraîne d'ailleurs des conséquences budgétaires, regrettables de notre point de vue.

Deuxièmement, les 35 heures, qui sont une mesure de partage du temps de travail, créent, dans une conjoncture économique en forte croissance -et nous savons combien il est difficile de prévoir la conjoncture-, des difficultés de recrutement, notamment des jeunes diplômés de l'enseignement supérieur, ainsi que des tensions sociales. Les 35 heures étant considérées comme un acquis, dans une économie en croissance rapide, quels problèmes de recrutement en résultent pour les entreprises ?

Troisièmement, des problèmes spécifiques sont posés pour toutes les entreprises et les petites organisations -je pense notamment à toutes les associations médico-sociales qui jouent un rôle extrêmement important-qui ne sont pas encore passées aux 35 heures. Si je mentionne ce secteur associatif, c'est que ses difficultés se répercutent ipso facto sur les budgets des collectivités.

Enfin, quelles sont les conséquences des 35 heures sur notre compétitivité internationale, dans le cadre de l'Union européenne, en particulier sur la fuite des jeunes qualifiés ?

M. le Rapporteur Gilles BRIDIER ( directeur délégué de la rédaction de La Tribune)

Vous venez de poser, monsieur le président, les questions essentielles. Les 35 heures appellent-elles une révision stratégique en raison de la croissance ? Quelles sont leurs conséquences sur les investissements de développement des entreprises ? Les entreprises de moins de vingt salariés, qui devront embaucher, rencontreront-elles des difficultés susceptible de brider leur croissance ?

M. Olivier BARBEROT (directeur des ressources humaines Société Thomson Multimédia)

Notre entreprise s'est beaucoup développée, au coeur de la compétition internationale. Nous sommes très bien passés aux 35 heures. Les négociations, dans toutes les filiales, se sont déroulées dans des conditions tout à fait satisfaisantes. C'est le premier sous-produit de la loi : elle a provoqué un grand rendez-vous social, qui a permis de mettre sur la table bien d'autres questions que les seuls horaires de travail. Je précise toutefois que moins de 10% des effectifs de Thomson Multimédia sont situés sur le territoire français.

Un an après, nous ne constatons dans notre usine aucun problème, car on y a réalisé assez facilement des gains de productivité. L'application de la loi a permis de toiletter l'organisation du travail, tout en apportant certaines contraintes. Mais nous n'avons pas créé d'emplois de production. En revanche, nous avons créé des emplois d'ingénieurs dans les centres de recherche, ce qui pose d'ailleurs une équation simple. Nous avons cinq centres de recherche dans le monde, les deux plus importants sont situés à Rennes, où les chercheurs sont aux 35 heures, et à Indianapolis, où l'on travaille 40 heures. Donc, un chercheur français doit produire plus et plus vite qu'un chercheur américain. Il y arrive souvent. C'est dire l'exigence posée par les 35 heures. Il en va de même dans nos usines, l'une étant située en Pologne et l'autre à Angers.

M. LE RAPPORTEUR Gilles BRIDIER (directeur délégué de la rédaction de La Tribune)

Venons-en à une autre entreprise en forte croissance, qui a fait tout récemment beaucoup parler d'elle.

M. Jean ELIAS (directeur des ressources humaines Société Genset)

L'internationalisation est un problème-clé. Notre plus gros centre de recherche est situé à San Diego, l'autre en région parisienne. Aujourd'hui, nous investissons davantage aux États-Unis où la flexibilité est beaucoup plus grande (notamment en matière fiscale), particulièrement dans les métiers à très haute valeur ajoutée de la génomique qui mobilisent des chercheurs de haut niveau.

Nous avons évidemment passé un accord d'entreprise sur les 35 heures. Ce n'est pas ce que nous avons fait de plus facile mais nous vivons avec. Il est vrai que nous avons pu jouer sur la flexibilité. Nous n'avons pas rencontré trop de difficultés de recrutement. Je signale tout de même que nos chercheurs ont toujours été très intéressés par les États-Unis.

M. LE PRÉSIDENT Jean-Pierre FOURCADE (sénateur, Président du comité des finances locales - Rassemblement Démocratique et Social Européen)

Dans le cadre de vos accords d'entreprise, combien avez-vous reçu de l'État ?

M. Jean ELIAS (directeur des ressources humaines Société Genset) Zéro.

M. Olivier BARBEROT (directeur des ressources humaines Société Thomson Multimédia)

Pratiquement zéro.

M. LE PRÉSIDENT Jean-Pierre FOURCADE (sénateur, président du comité des finances locales - Rassemblement Démocratique et Social Européen)

A quoi servent les 85 milliards que l'on nous annonce ? Etes-vous passés à côté ?

M. Olivier BARBEROT (directeur des ressources humaines Société Thomson Multimédia)

A Rennes, un accord nous donne droit à des remises de charges sociales mais de façon très marginale.

M. Jean ELIAS (directeur des ressources humaines Société Genset)

Nous aussi, mais ces remises ne sont pas adaptées aux emplois hautement qualifiés qui sont les nôtres.

M. LE RAPPORTEUR Gilles BRIDIER (directeur délégué de la rédaction de La Tribune)

Quelles propositions concrètes suggérez-vous ?

M. Jean ELIAS (directeur des ressources humaines Société Genset)

Il faudrait assouplir la législation. L'aide de l'État ne nous paraît guère adaptée à nos métiers, qui sont les mêmes que ceux de Thomson Multimédia.

M. Olivier BARBEROT (directeur des ressources humaines Société Thomson Multimédia)

En effet.

M. LE PRÉSIDENT Jean-Pierre FOURCADE (sénateur, président du comité des finances locales - Rassemblement Démocratique et Social Européen)

Vous souhaitez moins d'interventionnisme de l'État dans la libre entreprise ?

M. LE RAPPORTEUR Gilles BRIDIER (directeur délégué de la rédaction de La Tribune)

Vous trouvez la loi trop contraignante ?

M. Jean ELIAS (directeur des ressources humaines Société Genset) Oui.

M. LE PRÉSIDENT Jean-Pierre FOURCADE (sénateur, président du comité des finances locales - Rassemblement Démocratique et Social Européen)

Les heures supplémentaires sont-elles limitées aux États-Unis ?

M. Olivier BARBEROT (directeur des ressources humaines Société Thomson Multimédia)

Évitons les clichés. Il existe des contraintes très fortes aux États-Unis. La plupart des conflits que nous rencontrons avec les salariés surgissent aux États-Unis et non pas en France. Certes, l'État est plus interventionniste en France mais quand le dialogue social existe, il existe vraiment. Alors qu'aux États-Unis, lorsque l'on déroge d'un iota à l'accord triennal signé avec les organisations syndicales, cela pose tout de suite des problèmes considérables.

Nous pourrions réfléchir davantage à la notion de temps de travail. Mesurer la durée du travail d'un chercheur en nombre d'heures n'a strictement aucun sens.

M. Michel POUILLOUX (directeur de l'établissement de La Hague Société Cogema

Notre expérience est assez différente. Les négociations se sont assez bien déroulées. Tout d'abord, la concertation avec les organisations syndicales a porté sur les principes généraux applicables à l'ensemble du groupe Cogema. Ensuite, nous avons arrêté les principes d'un accord global à la société. Puis, nous avons négocié un accord dans chaque établissement. Les aides de l'État nous ont permis de procéder à des recrutements supplémentaires à l'établissement de La Hague que je dirige.

M. LE PRÉSIDENT Jean-Pierre FOURCADE (sénateur, président du comité des finances locales - Rassemblement Démocratique et Social Européen)

C'est la loi.

M. Michel POUILLOUX (directeur de l'établissement de La Hague Société Cogema

Notre accord prévoit le recrutement de 500 personnes.

M. Laurent LEGUIDE (PDG Société Cybersearch)

Nous sommes le leader du recrutement par Internet en France. Nous sommes introduits en Bourse depuis le mois de juillet. Nous employions moins de vingt personnes au 1 er janvier 2000. Nous serons donc concernés à partir du 1 er janvier 2002. Près de 100 collaborateurs ont été recrutés en deux ans, qui travaillent tous en moyenne 60 heures par semaine. Comment, dans ces conditions, passer à 35 heures ? La quantité de travail dans notre activité de haute technologie est liée à la croissance exceptionnelle de notre société : 300 % depuis sa création. Il sera extrêmement difficile de réduire la durée du travail.

La première mesure à proposer pour les entreprises de moins de cinq ans serait de reporter l'application des 35 heures.

M. Pierre HÉRISSON (sénateur de Haute-Savoie - Union Centriste)

J'ai effectué mon stage à la Cogema. J'ai apprécié que cette société crée des emplois, ce qui est, ne l'oublions pas, l'objet premier affiché par la loi. Or, on se demande aujourd'hui si les 35 heures sont destinées à apporter un confort de vie ou à créer des emplois. Le passage aux 35 heures des entreprises de moins de vingt salariés au 1 er janvier 2002 mérite non seulement un débat mais un véritable assouplissement en raison des risques qu'il fait courir à ces entreprises.

J'ajoute que si nous devons sans nul doute faciliter la création d'entreprises nouvelles, notre devoir est aussi de veiller à respecter les règles élémentaires de la concurrence. Il n'y a aucune raison d'accorder aux nouvelles entreprises des exonérations, fiscales par exemple, qui seraient interdites aux anciennes, lesquelles n'ont pas démérité. Le législateur doit favoriser l'accès à la création d'entreprises mais pas au détriment de celles qui existent déjà.

La loi de 1997 était destinée à réduire le chômage. La reprise économique nous a pris de court. Tout le monde souhaite qu'elle soit durable. Or, l'application des 35 heures pose nettement problème à cet égard aux entreprises de moins de vingt salariés.

M. Gérard CÉSAR (sénateur de la Gironde - Rassemblement pour la République)

Il est beaucoup plus facile aux grands groupes qu'aux petites entreprises de mettre en place les 35 heures. J'ai effectué mon stage chez Rivière, une PME de Castelnaudary. Par ailleurs, je suis administrateur d'une caisse de Crédit agricole où j'ai pu constater les problèmes posés par l'application des 35 heures dans les bureaux décentralisés où ne travaillent que cinq ou six personnes pour développer la clientèle et répondre aux objectifs commerciaux et d'accueil des clients. Nous avons recruté au niveau de la caisse régionale mais au niveau local, nous éprouvons de réelles difficultés. Quant aux heures supplémentaires, il est difficile d'expliquer au personnel qui regarde son bulletin de salaire qu'il ne peut plus en bénéficier comme avant.

M. Michel RIVIÈRE (PDG Société Rivière)

Dans l'entreprise de plats cuisinés que j'ai créée il y a une douzaine d'années et qui emploie aujourd'hui 200 salariés, l'application des 35 heures, en vigueur depuis octobre 1999, nous pose de réels problèmes pour recruter la main d'oeuvre de base dont nous avons besoin. Nous devons en effet subir un turn over considérable ; autant certains salariés nous sont fidèles, autant nous devons faire appel à des jeunes en saison, notre activité battant son plein entre l'automne et la fin du printemps, qui nous quittent au bout de deux ou trois jours. Nous sommes obligés de recourir à des agences d'intérim. Comment faire, dans ces conditions, pour croître ?

M. LE RAPPORTEUR Gilles BRIDIER (directeur délégué de la rédaction de La Tribune)

Que proposez-vous ?

M. Michel RIVIÈRE (PDG Société Rivière)

Il faudrait que les salariés stables puissent effectuer les heures supplémentaires qu'on leur interdit.

M. Dominique POULIQUEN (PDG Société Realviz)

Nous avons créé notre société il y a trois ans. Elle comptait moins de vingt salariés à la fin de l'année 1999. Nous avons aujourd'hui 90 collaborateurs. Pour nous, cette loi est totalement néfaste. Je compte sur le législateur pour modifier les dispositions relatives aux PME. Je rejoins, à cet égard, les propositions de M. Leguide. Notre activité est fondée sur la matière grise. Tous nos collaborateurs bénéficient de stock-options. Je me félicite de la mise en place des bons de souscription pour les créateurs d'entreprises. Mais il faut absolument trouver une solution alternative pour l'application des 35 heures.

M. Jean-Pierre BEL (sénateur de l'Ariège - Socialiste)

J'appartiens à la minorité sénatoriale. Pour situer la manière dont cette table ronde envisage la question des 35 heures, je précise que la lettre d'invitation que nous avons reçue indique que notre réunion portera sur les « goulets d'étranglement » ! M. le Président Fourcade a attiré notre attention sur trois questions qui se posent aujourd'hui : les tensions sociales, les difficultés de recrutement rencontrées par certains chefs d'entreprise et les problèmes de fonctionnement liés à l'application de la loi. Mais souvenons-nous que lorsque nous avons voté cette loi, la question que nous nous posions était la suivante : comment réussir enfin à faire baisser le chômage dans notre pays ? C'est tout l'enjeu de la réduction du temps de travail. Je rappelle que la loi Robien allait dans ce sens, même si elle ne concernait qu'un nombre relativement faible de salariés. Pour être efficace en terme d'emplois, il fallait que la RTT soit massive.

Lorsque je suis allé à la rencontre de l'entreprise textile Chamatex, j'ai beaucoup apprécié de prendre connaissance de problèmes concrets que le législateur ne peut ignorer. Je retiens de nos échanges trois questions essentielles. Tout d'abord, comme l'a souligné M. Barberot, il faut revenir sur la notion de temps de travail. Ensuite, il y a lieu d'envisager le problème des heures supplémentaires. Enfin, la représentativité des salariés, pour la signature des accords, doit être examinée lucidement. Il est en effet inacceptable que 5 % des salariés seulement possèdent un pouvoir de blocage dans l'entreprise. Des assouplissements sont indéniablement nécessaires. Il est certain que la plupart des entreprises de moins de vingt salariés connaîtront des difficultés. Cela dit, j'ai rencontré des petites entreprises qui m'ont fait part de leurs expériences positives. Aujourd'hui, nous débattons au Sénat dans un esprit constructif.

M. Philippe ADNOT (sénateur de l'Aube - non inscrit)

Mon stage chez Thomson Multimédia en France et en Pologne m'a beaucoup apporté.

Comme tous les textes, celui-ci présente des avantages et des inconvénients. L'avantage essentiel est lié aux améliorations qu'il peut permettre dans l'organisation des entreprises. Cela concerne aussi les collectivités locales. Dans mon conseil général, je mettrais en place la RTT sans recrutement supplémentaire et sans augmenter les coûts, c'est-à-dire sans augmenter les impôts. Cela suppose naturellement des gains de productivité.

L'inconvénient majeur tient à ce que l'on a laissé croire que l'application de cette loi n'entraînerait aucune conséquence financière. C'est évidemment faux. Des impôts nouveaux sont nécessaires pour financer les allégements qui sont censés compenser l'augmentation des charges pour les entreprises. D'où ces 85 milliards de prélèvements supplémentaires. D'où l'instauration de la TGAP.

Autres inconvénients : les rigidités qui seront imposées aux petites entreprises, la relative démotivation des cadres et la baisse de revenus pour les salariés qui font des heures supplémentaires.

Il est certain que la conjoncture a changé depuis le vote de la loi. Personne ne reviendra sur les 35 heures. Mais je fais deux propositions. Tout d'abord, il faut libérer les heures supplémentaires pour redonner de la souplesse aux entreprises. C'est ainsi qu'elles pourront réagir à la pénurie de main d'oeuvre et améliorer le revenu de leurs salariés. Ensuite, il faut, selon moi, supprimer toutes les aides accordées au titre des 35 heures. Beaucoup d'entreprises qui auraient, de toute façon, créé des emplois ont tout simplement profité de l'effet d'aubaine de ces aides. Les 85 milliards devraient être utilisés à réduire les charges pour toutes les entreprises et non pas seulement pour celles qui répondent aux critères d'attribution des aides. (Applaudissements)

M. Jacques BELLANGER (sénateur du Val d'Oise - Socialiste)

On a justement rappelé que le premier objectif de la loi était de créer des emplois. Je m'inscris en faux contre l'évocation par M. le Président Fourcade d'une évolution tranquille à la baisse des horaires de travail. C'est en 1936 qu'on a fait les 40 heures. Il est vrai que la baisse d'une heure du temps de travail en 1981 n'a guère produit de résultats.

M. LE PRÉSIDENT Jean-Pierre FOURCADE (sénateur, président du comité des finances locales - Rassemblement Démocratique et Social Européen)

Dont acte.

M. Jacques BELLANGER (sénateur du Val d'Oise - Socialiste)

Les relations entre les salariés et les chefs d'entreprises ont profondément changé. Ainsi les cadres, après les crises des années quatre-vingt, se sont beaucoup détachés de l'entreprise. Ils changent beaucoup plus facilement d'employeur qu'auparavant. Quant aux petites entreprises, n'oublions pas que leur passage aux 35 heures devrait se solder par une création d'emploi pour dix salariés. Je sais que ce n'est pas si facile. J'ai moi-même été propriétaire-exploitant d'une petite entreprise pendant vingt ans. Mais je sais aussi que les petites entreprises ont autant d'imagination que les DRH des grandes entreprises. Certes, les salariés des petites entreprises ne sont pas très motivés et celles-ci éprouvent des difficultés à trouver le personnel dont elles ont besoin. Mais n'allons pas trop loin : le chômage de masse demeure important en France, ce qui pose deux problèmes généraux : d'une part, l'adéquation entre l'emploi et la formation ; d'autre part, le bien-être du salarié au sein des entreprises, y compris les plus petites.

M. Raymond RECEVEUR (président de la chambre des métiers de Meurthe-et-Moselle)

Je remercie le sénateur Jean Boyer de nous avoir rendu visite. Notre chambre est la première à avoir obtenu la certification ISO 9001. Nous sommes également l'une des rares chambres des métiers à diligenter une enquête tous les trois ans -depuis vingt ans- auprès de nos ressortissants. Nous leur posons une soixantaine de questions, dont quelques-unes concernent l'objet de notre débat. Le taux de réponse est de 74%. Nos entreprises emploient 16.000 personnes, ce qui les place au premier rang de notre département. Elles forment 1.731 apprentis. 5,5 % seulement d'entre elles sont aux 35 heures. Je rappelle qu'elles n'y sont nullement obligées mais que la branche du bâtiment a signé un accord national. A la question « passerez-vous aux 35 heures avant le 1 er janvier 2002 ? », 17,5 % seulement répondent oui.

Pour nous, c'est une véritable course d'obstacles : après avoir passé le bogue de l'an 2000, après la tempête, après les inondations, il nous reste deux obstacles de taille à franchir, l'euro -ce qui n'est pas rien- et les 35 heures ! Je suis chef d'entreprise depuis 36 ans. La loi est ce qu'elle est. Nous ne sommes pas défaitistes, nous souhaitons simplement que l'on y apporte quelques nuances. Je suis électricien. Mon client, c'est vous. Si je viens chez vous et que j'arrête un chantier à 16 heures 30 pour cause de 35 heures, l'accepterez-vous ? Pour nos 350 métiers, des aménagements sont indispensables.

M. Jean BOYER (sénateur de l'Isère - Républicains et Indépendants)

J'ai été très heureux de m'immerger dans cette chambre des métiers cinq étoiles. Je note que M. Bel s'est montré très ouvert. Pourtant, lorsqu'il y a quelques jours, je posais, en séance publique au Sénat, une question d'actualité à Mme Guigou sur les difficultés que poseront inéluctablement les 35 heures aux petites entreprises, Mme Royal, qui était déléguée par son ministre de tutelle, ne m'a pas répondu.

En une douzaine d'années, les grandes entreprises ont créé dans notre pays au maximum 800.000 emplois. Dans la même période, on dénombre 1,2 million de créations d'entreprises.

M. Guy LEMAIRE (sénateur de Loire-Atlantique - Rassemblement pour la République)

Nous ne reviendrons pas sur les 35 heures que nos compatriotes apprécient. Je regrette que l'on soit passé de l'aménagement du temps de travail à la seule réduction du temps de travail. Pourtant les deux vont de pair. Le 1 er janvier 2002 pose un vrai problème aux petites entreprises. Il faut avoir le courage de régler les problèmes spécifiques créés par la loi pour certaines entreprises comme celle de M. Leguide. Mais je n'approuve pas la proposition de supprimer toutes les aides. Je suis moi-même chef d'une petite entreprise, un laboratoire de 18 personnes. Je l'ai fait bénéficier du dispositif Robien, qui était très incitatif. Je crois beaucoup à l'efficacité de l'incitation, plus qu'à la contrainte, pour créer des emplois.

M. LE PRÉSIDENT Jean-Pierre FOURCADE (sénateur, président du comité des finances locales - Rassemblement Démocratique et Social Européen)

Les 35 heures sont un acquis social ; il n'est pas question d'y revenir. Mais la loi est dangereuse pour les petites entreprises et crée des problèmes de fond au regard de la compétition internationale et de l'utilisation des heures supplémentaires. Enfin, les règles obligatoires ont leurs limites et les dispositifs incitatifs leurs mérites.

M. LE RAPPORTEUR Gilles BRIDIER (directeur délégué de la rédaction de La Tribune)

Je fais la première proposition suivante : il convient de réengager le débat sur la notion même de temps de travail.

M. Ambroise DUPONT (sénateur du Calvados - Républicains et Indépendants)

Je suis tout à fait d'accord. Mon stage dans une start up de huit partenaires m'a convaincu que les TPE ne peuvent grandir si elles souffrent d'une réglementation trop lourde et de charges insupportables.

M. Louis ALTHAPÉ (sénateur des Pyrénées-Atlantiques - Rassemblement pour la République)

J'ai le sentiment d'assister à un bel exercice de pensée unique. On a décidé un beau jour d'appliquer une loi sur les 35 heures. Or, on constate que les pays où l'on travaille le plus sont ceux qui ont le moins de chômage. On nous dit que les grandes entreprises en ont profité pour se réorganiser. Mais Thomson Multimédia, par exemple, n'emploie que 10 % de ses effectifs en France. Combien en Asie du sud-est et dans quelles conditions ? Les PME ne pourront pas appliquer la loi ; il faut avoir le courage politique de le dire. M. Pouliquen l'a montré.

M. LE PRÉSIDENT Jean-Pierre FOURCAPE (sénateur, président du comité des finances locales - Rassemblement Démocratique et Social Européen)

Y a-t-il d'autres explications de vote ?

M. Jean-Pierre BEL (sénateur de l'Ariège - Socialiste)

Oui. Je constate que vous n'êtes pas exactement sur la même longueur d'ondes. S'il s'agit de réfléchir aux contours de la notion de temps de travail aujourd'hui, je suis tout à fait d'accord. Mais M. Althapé vient de nous dire qu'il faut remettre en cause la loi. Je ne prendrai pas part à ce vote.

M. LE PRÉSIDENT Jean-Pierre FOURCADE (sénateur, président du comité des finances locales - Rassemblement Démocratique et Social Européen) -

Je vous confirme qu'il s'agit de débattre de la définition du temps de travail aujourd'hui, notamment dans les start up, et non d'autre chose.

La première proposition est adoptée .

M. LE RAPPORTEUR Gilles BRIDIER (directeur délégué de la rédaction de La Tribune)

Deuxième proposition : rouvrir le débat sur l'application des 35 heures dans les petites entreprises, avant d'y rendre la RTT obligatoire.

M. LE PRÉSIDENT Jean-Pierre FOURCADE (sénateur, président du comité des finances locales - Rassemblement Démocratique et Social Européen)

Je précise qu'il ne s'agit pas de faire un sort particulier aux nouvelles entreprises car ces problèmes concernent toutes les PME.

M. Jacques BELLANGER (sénateur du Val d'Oise - Socialiste) et M. Jean-Pierre BEL (sénateur de l'Ariège - Socialiste)

Nous ne prendrons pas part au vote.

La deuxième proposition est adoptée .

M. LE RAPPORTEUR Gilles BRIDIER (directeur délégué de la rédaction de La Tribune)

Troisième proposition : rouvrir le dossier des heures supplémentaires pour réintroduire de la souplesse dans la réorganisation du travail.

M. Alain VASSELLE (sénateur de l'Oise - Rassemblement pour la République)

Il sera difficile de concilier à la fois les intérêts des entreprises et ceux des salariés. Il n'est certainement pas possible d'appliquer de manière stricte et brutale la loi.

M. LE PRÉSIDENT Jean-Pierre FOURCADE (sénateur, président du comité des finances locales - Rassemblement Démocratique et Social Européen)

J'ai proposé, dans ma commune, d'annualiser le volume des heures supplémentaires du personnel municipal, afin notamment de maintenir les horaires d'ouverture des guichets. L'application d'un forfait mensuel d'heures supplémentaires me paraît une absurdité. L'application de la loi doit introduire de la souplesse et permettre un fonctionnement normal de l'organisation.

La troisième proposition est adoptée .

M. LE PRÉSIDENT Jean-Pierre FOURCADE (sénateur, président du comité des finances locales - Rassemblement Démocratique et Social Européen)

J'ajoute une quatrième proposition : en matière de réduction des charges, d'avantages financiers, etc., l'incitation est toujours préférable à l'obligation. Ainsi, les mesures que nous serons amenés à proposer sur les trois premiers points devront présenter un caractère essentiellement incitatif.

M. Philippe ADNOT (sénateur de l'Aube - non inscrit)

Je ne suis pas tout à fait d'accord. Plutôt que de distribuer de l'argent prélevé par l'impôt, de créer des effets d'aubaine et d'empiler les mesures, je propose que l'on distribue les 85 milliards à tout le monde sous la forme de baisses de charges. (Applaudissements)

M. LE PRÉSIDENT Jean-Pierre FOURCADE (sénateur, président du comité des finances locales - Rassemblement Démocratique et Social Européen)

S'il faut baisser les charges de tout le monde, cela coûtera beaucoup d'argent ! Laissons certaines entreprises -je pense notamment aux plus petites- expérimenter des formules novatrices et bénéficier d'incitations.

M. Raymond RECEVEUR (président de la chambre des métiers de Meurthe-et-Moselle)

Nous ne demandons ni aides ni primes, qui risqueraient de causer des distorsions de concurrence. Nous demandons simplement des aménagements.

M. François MARC (sénateur du Finistère - Socialiste)

J'ai eu la chance de passer deux jours dans une société créée en 1999 et qui compte aujourd'hui 300 salariés, Aucland, qui a choisi la France plutôt que la Silicon Valley. Je m'interroge sur le sens de nos votes dans une telle table ronde. Le procédé me paraît curieux. Je n'y participerai pas.

M. LE PRÉSIDENT Jean-Pierre FOURCADE (sénateur, président du comité des finances locales - Rassemblement Démocratique et Social Européen)

Quelque 200 colloques par an se tiennent au Sénat. Il ne me paraît pas mauvais, comme nous l'a suggéré le Président du Sénat, que nous votions afin que nos délibérations débouchent sur des propositions concrètes, ce qui ne vous engage pas en tant que législateur. Formulons ainsi notre proposition : dans les mécanismes d'aides ou de réduction des charges sociales, nous préférons l'incitation à l'obligation.

M. Jacques BELLANGER (sénateur du Val d'Oise - Socialiste)

Je constate que la majorité sénatoriale n'est pas si unie puisqu'il y a des divergences entre M. Althapé et vous-même. Le premier souhaite remettre en cause les 35 heures, pas vous. Je crois, pour ma part, à la nécessité des aides aux 35 heures mais je reconnais qu'il faut revoir les modalités d'application pour les petites entreprises afin de leur épargner des complications inutiles.

M. LE PRÉSIDENT Jean-Pierre FOURCADE (sénateur, président du comité des finances locales - Rassemblement Démocratique et Social Européen)

Nous demandons un étalement et un aménagement des dispositions, rien de plus.

La quatrième proposition est adoptée .

La séance est suspendue à 13 heures 10.

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