DEUXIÈME PARTIE :
NOUVELLES TECHNOLOGIES ET
DÉMOCRATIE LOCALE

2.11. PRÉSENTATION DE LA DEUXIÈME TABLE RONDE :
POUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA DÉMOCRATIE LOCALE

M. Bellanger , sénateur des Yvelines

Je vous propose que tout le monde regagne ses places pour que nous puissions commencer.

Mesdames, messieurs, je vous remercie de votre présence. Je m'excuse de n'avoir pu hélas participer à nos discussions ce matin. Je sais qu'elles ont été riches, et je crois comprendre que pour le moment tout le monde en est content et je vous en remercie. Donc notre ordre du jour appelle maintenant pour la deuxième séance, une discussion, une table ronde intitulée « Pour le développement de la démocratie locale », et nous aurons deux exposés introductifs. Pour le Japon, M. Ohyama, et pour la France M. Philippe Jourdan. Je donne la parole à M. Ohyama.

2.12. INTERVENTION DE M. NAGAAKI OHYAMA
Professeur à l'université de technologie de Tokyo

Avant d'entrer dans le coeur de mon propos, je voudrais d'abord remercier très vivement les organisateurs français et japonais de m'avoir accueilli. Je voudrais aussi remercier les interprètes, personnes très importantes, qui me permettront d'être compris par mon auditoire francophone. J'ai environ 20 minutes à ma disposition, ce qui est très peu pour ce que j'ai à vous dire.

Je voudrais vous parler de la démocratie électronique. Je voudrais faire un constat de l'état des choses au Japon à l'heure actuelle, avec un certain nombre d'objectifs à atteindre.

Je voudrais également vous présenter le plan de politique prioritaire e-Japan. Dans le cadre de ce plan, la carte à puce doit être l'interface entre les pouvoirs publics et les citoyens bénéficiaires des services électronique. C'est pour cela qu'il nous faut mettre au point une nouvelle carte à puce. La nouvelle carte à puce s'inspire du dernier système de la carte à puce. Je dois vous préciser que ces diapositives sont en anglais, ce qui m'obligera à les traduire en japonais, donc à parler parfois de manière un petit peu hésitante.

Il y a un certain nombre de choses qu'il faut bien comprendre. Tout d'abord, les nouvelles technologies ne peuvent pas être l'objectif en soi. Ce n'est qu'un moyen pour parvenir à l'objectif. Quand on équipe en ordinateurs, on a souvent l'impression qu'on est arrivé au bout des choses, mais ce n'est pas le cas. Le Japon connaît une dépression économique très profonde, et la question est de savoir comment on peut mettre en oeuvre les nouvelles technologies pour sortir le Japon de l'ornière. Les nouvelles technologies ont un potentiel très riche. C'est pourquoi au Japon, on attend beaucoup de ce qu'on appelle "une révolution des nouvelles technologies" qui permettrait de réduire les coûts.

Le gouvernement japonais a rendu public en mars 2001 la stratégie e-Japan. Cette stratégie comporte trois grands éléments. Tout d'abord l'initiative est laissée au secteur privé, c'est-à-dire que ce sont les entreprises privées qui prendront l'initiative du développement des nouvelles technologies. Deuxièmement, il appartient aux pouvoirs publics de mettre en place les conditions nécessaires. Il s'agit de la déréglementation, de la réforme de lois, de la révision du système actuel, et éventuellement de l'institution de nouvelles lois. Troisièmement, le plan de politique prioritaire e-Japan sera mis en oeuvre en s'appuyant sur le principe de l'harmonisation internationale. En effet, il faudrait considérer les nouvelles technologies comme un corps vivant. Un être vivant qui n'a plus d'environnement disparaît. Il appartient donc aux pouvoirs publics de mettre en place les éléments d'environnement nécessaires au développement des nouvelles technologies. Il faut dire que l'économie est en bien mauvaise posture. Et pour y remédier, on a recours au budget rectificatif qui est forcément injecté dans le secteur public. Si on a accordé ces dernières années une très grande priorité à la démocratie électronique, c'est parce que beaucoup de fonds publics y sont affectés.

Dans le cadre de cette stratégie, la démocratie électronique devrait être mise en place en 2003, c'est-à-dire l'année prochaine. C'est donc un impératif d'une grande urgence. Et puis à l'horizon 2005, le Japon devrait être l'un des pays en pointe en matière de nouvelles technologies. Pour mettre en place la démocratie électronique, le Japon, tant dans le secteur public que dans le secteur privé, est en train d'introduire des dispositifs de signature numérique. Tout d'abord dans le secteur public, il existe ce qu'on appelle le GPKI. Le GPKI n'est pas la signature d'un particulier, mais la signature d'une fonction. Il s'agit par exemple de la signature du Premier ministre ou d'un ministre dans le cadre de leur fonction officielle. Il existe également le LGPKI pour les collectivités locales, par exemple la signature de fonction d'un gouverneur. L'aménagement des infrastructures pour la signature numérique est en cours. Dans le secteur privé, le ministère de la Gestion publique a commencé le service d'authentification des entreprises. Au Japon, historiquement, on a l'habitude d'utiliser des sceaux, plutôt que des signatures. Il s'agit donc de remplacer ces sceaux traditionnels par un dispositif électronique d'identification personnelle.

Les administrations font actuellement l'objet de la mise en place de systèmes de réseaux d'information. Par exemple, il y a le WAN (Wide Area Network) le réseau pour l'administration centrale, qui s'intègrera dans le LGWAN. La mise en place de tous ces réseaux doit être terminée pour l'an 2003. Il reste donc très peu de temps et on continue de s'atteler à cette tâche.

Par ailleurs, pour devenir un pays de pointe en matière de nouvelles technologies, le Japon doit se doter d'un réseau haut débit, IPv6, c'est-à-dire d'une version récente. La mise en place de ce réseau est actuellement en cours sous la houlette du ministère de la Gestion publique.

Mais il existe un certain nombre de problèmes qui se posent quand on cherche à mettre en place la démocratie électronique. Je pense que d'autres pays ont aussi les mêmes problèmes. Il y a d'abord le problème des systèmes informatiques qui ne sont malheureusement pas normalisés, ce qui aboutit à des coûts parfaitement superflus. Il y a des tentatives de normalisation, mais les entreprises qui fournissent des matériels veulent se démarquer par rapport à la concurrence et ne sont pas forcément d'accord avec la normalisation. Elles sont même réticentes. Par rapport à cela, il faudrait que l'on prenne des mesures de façon à ce que la normalisation des systèmes selon la norme japonaise JIS ou la norme internationale ISO soit prise en compte dans les cahiers des charge lors de l'équipement.

Ce qui est vraiment très important, ce sont les marchés publics pour l'équipement. À l'heure actuelle, on organise un appel d'offres ouvert lorsqu'on achète un système informatique. Toutefois, une fois que le système est en place, l'entretien qui fait l'objet d'un contrat en option doit être confié à l'entreprise qui a mis en place le système en question, parce qu'elle est la seule à pouvoir le faire. Les autres entreprises ne peuvent pas assurer l'entretien en raisons de la différence du système. Cela veut dire qu'une entreprise peut mettre en place un système à coût très bas et se rattraper sur les coûts de fonctionnement. C'est un grand problème dans le système actuel des marchés publics du domaine informatique au Japon. À l'heure actuelle, nous sommes en train d'élaborer un dispositif stratégique de marchés publics, qui devrait faire l'objet d'une expérience l'année prochaine. On ne sait pas encore si ce système fonctionnera.

Pour prendre quelques exemples, d'abord, pour développer un système de haut niveau ou d'envergure, il faut que la gestion soit impeccable, ce qui est assez évident. Il faut donc que la responsabilité ultime soit bien établie au sein de l'équipe en charge. Et puis, il faut améliorer le processus de développement et de fabrication de logiciels. Cela conduit à une amélioration de la productivité. Par ailleurs, il y a des consultants dotés de savoir-faire précis qui doivent être impliqués dans ces situations, mais les rémunérations étant faibles au Japon, ces consultants ne s'y retrouvent pas. Et on se trouve devant un problème, parce qu'on a besoin de ce savoir-faire spécialisé.

Le gouvernement a rendu public en janvier les grandes lignes de ce dispositif. Alors évidemment le pilotage des marchés publics a beaucoup de répercussions sur les résultats.

Pour passer à un autre sujet, je voudrais vous dire que la mise en place de la démocratie numérique dépend naturellement de l'initiative des collectivités locales. En effet, une démocratie numérique uniforme est impossible. Qui dit démocratie dit forcément valorisation des spécificités locales. Je crois que c'est ça d'abord la démocratie. Et par rapport à cela, il faut que l'on puisse tirer parti des énergies là où elles se trouvent. Les collectivités locales devraient proposer leurs services en ligne avec un objectif : améliorer la qualité des services publics, réduire les coûts, s'adapter à différents styles de vie des citoyens, etc.

Et puis, il est important de garder à l'esprit l'idée de développer l'économie locale lorsqu'on met en place la démocratie locale. J'ai dit que l'équipement informatique n'est pas l'objectif et qu'il n'est qu'un moyen. Je crois que l'on ne saurait trop le dire. Il ne faut pas que le secteur public soit le seul à prendre l'initiative. Il faut qu'il y ait des partenariats entre les secteurs public et privé et la mise en place des collectivités locales électroniques est un moyen qui permet au secteur public et au secteur privé de travailler dans le cadre d'un partenariat. Je le répète, la mise en place des collectivités locales numériques n'est qu'un moyen pour atteindre nos objectifs.

Essayons à présent de voir dans quelle optique on envisage la société de l'information au Japon. Vous avez sans doute un ordinateur. Il y en a peut-être quelques-uns qui n'en ont pas, mais vous avez un téléphone mobile, des cartes de crédit ou des cartes bancaires. Je crois qu'en France, toutes ces cartes sont dotées d'une puce. En effet, notre vie quotidienne est assistée par l'ordinateur, et je crois que cette situation va perdurer. Mais est-ce qu'on peut vraiment dire que cette situation correspond à une révolution des technologies de l'information ? C'est une question fondamentale que je voudrais soulever. Et pour y répondre, considérons notre vie sociale. Par exemple nous sommes réunis ici, et ce matin, nous avons organisé une visioconférence avec le Japon. Bien sûr, il y a toujours des problèmes de coûts et de la qualité d'image, mais la technologie de nos jours nous permet de nous entretenir avec les autres à distance. En fait, la société de l'information brise les contraintes spatio-temporelles où nous étions enfermés jusqu'à présent. Et nos activités entrent dans un espace électronique, appelé "cyberespace". C'est la naissance de ce nouvel espace que nous appelons la révolution des technologies de l'information. J'y reviendrai.

Quel que soit l'espace où l'on se trouve, il appartient à chacun de déterminer ce qu'il veut faire. Ce schéma présente différentes activités dans notre société. Dans cet espace réel, nous nous déplaçons à pied, en bicyclette, en train ou par un autre moyen pour faire des courses, pour consulter un médecin ou pour aller à la mairie pour une démarche administrative. Par contre, nous ne pouvons pas entrer dans le cyberespace. Nos courses dans le cyberespace se font au moyen du e-commerce. Dans le cyberespace, nous nous faisons examiner par un médecin en restant à la maison. Nous pouvons également suivre des procédures administratives par le biais d'Internet. C'est ce qu'on appelle le e-gouvernement.

La grande différence entre l'espace réel et le cyberespace, c'est que dans ce dernier, l'action est quasiment instantanée. Et comme il s'agit d'un univers ouvert, il faut sécuriser les données. Il faut utiliser le cryptage ou d'autres moyens pour sécuriser cet univers. Si nous partons de l'hypothèse de nos activités dans le cyberespace, nous nous rendons compte tout de suite que ce qui se trouve dans notre poche ou dans notre portefeuille doit être électronisé. En effet, vous avez sans doute votre carte d'identité et votre carte de crédit dans votre portefeuille, et sans elles vous ne seriez pas en mesure de mener à bien vos activités quotidiennes. Comme le cyberespace n'est pas un pays des fées, nous avons besoin de l'équivalent de l'argent. Cet argent, objet matériel, est transformé en argent électronique. C'est quelque chose qui vous intéressera sûrement. La signature, elle aussi, peut être électronisée.

Par ailleurs, il y a également des entités incorporelles, comme par exemple la citoyenneté : le droit de vote, le droit à des soins médicaux, le droit à l'éducation qui est à la fois une obligation et un droit, etc. Il faudrait considérer ces droits comme la base de la citoyenneté, et ces droits doivent être eux aussi numérisé et introduits dans le cyberespace. Penchons-nous maintenant sur la sécurité. Tous les services dont on a parlé peuvent être fournis sous la forme d'une centaine de chiffres, c'est-à-dire une forme très encombrante. Alors comment peut-on apprendre par coeur autant de chiffres ou les gérer de manière sécurisée dans le cyberespace ? Bien entendu, tout cela dépend de la volonté de chacun. Si quelqu'un décide de ne rien faire dans le cyberespace car il n'a pas besoin de services, c'est son choix. Par contre s'il veut avoir accès à des services dans le cyberespace, il aura besoin d'apprendre par coeur des codes composés d'une centaine de chiffres. Dans ce cas, il vaut mieux utiliser la carte à puce, la méthode la plus sûre et la plus simple à l'heure actuelle.

Pour entrer dans le cyberespace, on a besoin de points d'entrée, non seulement des ordinateurs, mais aussi des terminaux appelés kiosques, des cabines téléphoniques, des téléphones mobiles ou des appareils électroniques. Nous avons besoin de cartes à puce polyvalentes, qui sont en quelque sorte notre passeport pour le cyberespace. Nous travaillons avec des entreprises françaises et européennes pour la recherche et le développement.

Voici un autre graphique qui présente différents services dont on peut bénéficier avec une carte à puce. On va à un centre commercial du cyberespace avec une carte de crédit, appelée cyber-passeport. Le cyber-passeport peut être présenté de la manière suivante : c'est un moyen d'identification électronique qui permet de déterminer l'existence des droits du titulaire. Bien entendu, nous partons de l'hypothèse que ce sont les pouvoirs publics qui émettront ces cyber-passeports pour ceux qui le désirent et qui désirent bénéficier des services publics. Et à cette occasion, on a dû réviser la loi sur l'inscription au registre des habitants. Ce cyber-passeport va enregistrer non seulement les services reçus mais aussi les licences ou autres autorisations comme par exemple le diplôme de médecine. C'est pourquoi nous avons besoin d'un support à applications multiples.

Par ailleurs, on a besoin de signature électronique, et c'est pourquoi il faut une infrastructure qui s'appelle infrastructure à clé publique (PKI). Et le nombre de cartes et le contenu des cartes seront déterminés par le titulaire et non par les pouvoirs publics. Évidemment, cela présente certainement des problèmes d'application, mais c'est en tout cas la manière dont on voit les choses à l'heure actuelle.

Ce que vous voyez en bas à gauche, c'est la collectivité locale, et ce sont les divers services qui sont autorisés. Prenons par exemple l'assurance maladie, les informations sur les services médicaux, ou encore les transports publics. Il s'agit des fournisseurs de services. Un citoyen demande une carte, et dans un premier temps, cette carte fonctionne comme la carte d'identité. S'il choisit le service présenté ici en bleu, un contrat est conclu avec le prestataire de services et une deuxième carte est délivrée. Mais le prestataire s'adresse à la collectivité locale qui délivre les cartes, et avec l'autorisation de la collectivité locale, le service en question est ajouté sur la carte. Ainsi la carte est très pratique car elle ne porte rien d'inutile pour la personne intéressée. Et la carte présente un avantage pour la collectivité locale puisque le citoyen est satisfait. Plus encore, la collectivité locale étant le propriétaire de la carte, le fournisseur de services lui paie une redevance chaque fois que l'on loue de l'espace, ce qui permet à la collectivité locale de partager le coût de la carte avec des fournisseurs de services. Ce système s'appelle plate-forme globale en Europe. Il existe également la charte de la carte à puce. Nos sommes en train de développer ce système.

Pour finir, comme je vous ai parlé de licences, je voudrais ajouter quelques mots d'explications sur les licences. Un habitant se rend à la commune où il habite et demande le service de la signature numérique. La commune met dans la carte un code, la clé publique. Par ailleurs, une autre clé publique est envoyée au département qui délivre le certificat de la clé publique signé par le gouverneur. Nous sommes en train de préparer des projets de loi qui seront présentés prochainement au Parlement pour mettre en place ce service d'ici deux ans. Chacun pourra donner sa signature numérique en utilisant cette carte et ce certificat. Et s'il s'agit d'un médecin, il demande au ministère de la Santé, autorité compétente pour la délivrance de diplôme de médecine au Japon, la délivrance du diplôme électronique. Le ministère vérifiera si le demandeur est bien un médecin, et délivrera le diplôme électronique. Ce dernier étant relié avec le certificat de la clé publique, le ministère pourra vérifier l'identité de la personne. Nous sommes en train de mettre ce système en place d'ici 2003, mais de nombreux enjeux subsistent. En tout cas, je voudrais insister sur l'importance du fait de tenir compte de la spécificité des régions pour mettre en place l'informatisation qui reste un moyen et non pas en but en soi.

Aujourd'hui, fort heureusement, un nombre croissant de personnes nous ont compris, et par exemple la ville de Yokosuka, dont le représentant est ici, a adopté des cartes selon ce système. Au Japon, cinquante-quatre collectivités locales ont délivré un million deux cent mille cartes. L'année prochaine, trois à dix millions de cartes seront délivrées. Ainsi l'amélioration des méthodes d'équipement développera les technologies, et permettra de dynamiser l'économie. Je suis responsable de la mise en place du système de ces cartes, et c'est pourquoi je voulais vous présenter la situation actuelle de la numérisation des collectivités locales et du gouvernement central. Je vous remercie de votre attention.

M. Bellanger

Je veux remercier M. Ohyama pour la qualité de son intervention, mais nous n'en doutions pas, car nous savons le rôle central qu'il joue dans les progrès de ces technologies dans son pays. Je vais maintenant passer la parole à M. Philippe Jourdan, qui est président-directeur général de Panel on the Web SA et qui va introduire également ce débat.

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