2.13. INTERVENTION DE M. PHILIPPE JOURDAN
Président-directeur général de Panel on the Web S. A.

Permettez-moi donc d'introduire ici dans cette assemblée un acteur finalement omniprésent dans nos réflexions mais dont on a peut-être peu prononcé jusqu'à présent le nom : l'État.

Quelles sont les attentes des internautes vis-à-vis de l'État, lorsqu'il s'agit d'une part de réglementer Internet et d'autre part d'en favoriser le développement ? C'est la question que nous nous sommes posée dans les travaux menés par le Club Sénat au cours de l'année 2001 et cette question nous avons souhaité la poser à des internautes.

Nous avons administré deux sondages en ligne auprès d'échantillons représentatifs de la population des internautes français. Je passerai sur les aspects méthodologiques. Rappelons simplement que la population interrogée ici est une population d'internautes, donc une population qui sur-représente les hommes par rapport aux femmes, 58 pour cent des internautes en France sont des hommes, contre 42 pour cent des femmes, qui sur-représente aussi les tranches d'âge les plus jeunes et les catégories socioprofessionnelles les plus élevées. Les résultats qui vont vous êtres présentés ici n'engagent, somme toute, que cette population, j'allais dire toute cette population qui représente tout de même 20 % des foyers français, puisque 20 % d'entre eux environ sont connectés.

La question posée était simple, l'État n'intervient-il pas déjà trop ? En fait, ce n'est pas aujourd'hui l'opinion des internautes dont on dit pourtant qu'ils sont farouchement attachés à la liberté de ce média. Sur ce support libertaire, 45 % des internautes estiment finalement que l'État intervient aujourd'hui de façon satisfaisante et à la place qui lui revient, ni trop ni pas assez. Mais si l'on va un petit peu plus loin, ils sont aussi 45 % à estimer qu'il n'intervient pas suffisamment et seulement 10 % à estimer qu'il intervient de façon excessive. En résumé donc, près de la moitié des internautes estiment que l'État doit développer une vigilance et un contrôle plus étroits sur le développement de certaines pratiques de l'Internet. Le thème de cet après-midi, c'est la démocratie, je crois que la démocratie suppose aussi certaines règles, certaines limites, et la question posée aux internautes à cet égard, sur le type de régulations attendues de la part de l'État a apporté des réponses intéressantes.

À la question : « L'État doit-il réguler Internet ? », la réponse est oui. Dans quels domaines ? S'agissant de moralité, l'intervention de l'État est jugée nécessaire pour une écrasante majorité, neuf internautes sur dix. En particulier naturellement dans le cas de diffusion de matériel pédophile ou d'incitation à la haine raciale. À noter, une distinction opérée entre pédophilie, sexualité déviante, et sites érotiques ; naturellement il est évident que la régulation et l'intervention de l'État est jugée prioritaire dans le cas d'activités déviantes. Concernant les autres formes de protection du citoyen, les opinions sont somme toute plus nuancées. Si l'intervention de l'État est jugée prioritairement nécessaire lorsque le citoyen-internaute doit être protégé contre la diffamation - c'est l'opinion de six internautes sur dix -, dans le cas de la régulation de diffusion des données privées - dont on sait qu'elle donne lieu aujourd'hui à un vaste débat - ce n'est plus là que l'opinion de trois citoyens sur dix.

En matière d'échanges, 83 % des internautes jugent nécessaire une intervention de l'État dans le contrôle des trafics illicites : les armes, la drogue mais aussi tout matériel prohibé. On se souvient des débats de jurisprudence avec les sites comme Yahoo par exemple. 47 % des internautes estiment que l'État doit faire respecter des règles de libre concurrence entre sociétés marchandes. Et là aussi à l'heure du développement du e-commerce se posent naturellement un certain nombre de difficultés dans les échanges entre pays qui ont un petit peu changé la donne du commerce classique. Ils ne sont toutefois que 26 % à penser que l'État doit renforcer son contrôle sur la perception des taxes liées aux échanges sur le Net, dont on sait que là aussi elles posent un redoutable problème d'harmonie au niveau des États. Et enfin seulement quatorze pour cent à solliciter l'appui de l'État pour le respect de la propriété intellectuelle. Donc il semblerait, et en résumé, que le citoyen internaute fasse une grande différence entre ce qui relève de tâches ou de devoirs qu'il attribue à l'État et puis de tâches ou de devoirs qu'il attribue à une autorégulation ou à un travail des acteurs de l'Internet entre eux.

Le deuxième sondage. Je précise qu'il ne s'agit ici que d'une synthèse. Naturellement les résultats détaillés sont disponibles sur le site du Club Sénat.fr, si vous souhaitez avoir l'ensemble des chiffres relatifs à ce sondage, relativement complet. Le deuxième sondage portait sur l'État et la fracture numérique. Fracture numérique, un mot qui à mon sens redeviendra populaire dans les semaines qui viennent dans le cadre de la préparation des élections présidentielles. Que signifie finalement la fracture numérique aujourd'hui pour l'internaute, et l'État a-t-il un rôle à jouer ?

On s'aperçoit qu'à nouveau, en consultant la population des internautes sur la base d'un échantillon représentatif, la France ne dément pas sa réputation de colbertisme. Interrogés sur le rôle de l'État dans la réduction de la fracture numérique, sur laquelle on nous a apporté ce matin des chiffres éloquents, les internautes sont à 80 % d'accord ou plutôt d'accord sur le fait que l'État français doit intervenir pour permettre aux Français d'avoir plus largement accès à l'Internet. De façon cohérente, les internautes français sont 73 % à estimer que l'État n'intervient aujourd'hui pas suffisamment pour réduire la fracture numérique. Si 25 % d'entre eux estiment que l'État n'intervient ni trop ni pas assez, seulement 2 % de la communauté des internautes estiment que l'État intervient déjà trop. Bref, l'Internet, espace de liberté souvent jugé à l'écart de toute intervention des pouvoirs publics, souhait peut-être de ses fondateurs d'origine, semble aujourd'hui de l'avis même des internautes, un mythe un peu dépassé.

Ceci dit, il faut savoir être raisonnable, et quand on les interroge sur les trois priorités en matière de développement de l'Internet, et bien ces trois priorités sont relativement claires dans l'esprit des internautes.

Première priorité l'éducation. Près de sept internautes sur dix estiment que l'équipement informatique des écoles, des lycées et des universités, est l'une des trois missions prioritaires échues à l'État français.

L'infrastructure : 43 % des répondants estiment prioritaire l'implication des pouvoirs publics dans la mise en place d'un réseau haut débit, et ce sur l'ensemble du territoire français, confirmant l'acuité de ce sujet, aujourd'hui largement débattu.

Enfin la protection du citoyen, la notion de sécurisation des accès - on a vu une application fort intéressante avec des cartes à puce électroniques - on sait qu'on a aujourd'hui des débats tout aussi intéressants sur la signature électronique, sur la sécurisation des paiements mais aussi sur l'utilisation faite des données nominatives qui soit sont laissées sur le Net, soit sont parfois captées à l'insu même des internautes. Bref, sécurisation des accès au réseau, lutte contre la cyber-criminalité sont jugées comme une de trois priorités pour l'État, et ce pour 41 % des répondants, confirmant que l'insécurité est ressentie encore aujourd'hui comme un frein au développement de l'Internet ou à certaines de ses applications, en particulier le développement du e-commerce. Je vous remercie pour votre attention, j'ai essayé d'être bref.

M. Bellanger

Je remercie M. Jourdan qui vient de nous exposer un peu les attentes des internautes. Avant de vous présenter différentes expériences, et après avoir entendu M. Ohyama, je souhaite simplement vous dire un petit mot des voies dans lesquelles il me semble que notre gouvernement, et vraisemblablement l'ensemble des gouvernements, va s'orienter.

Je rejoins M. Ohyama quand il met très en avant la carte à puce. Et c'est vrai que dans tout ce que nous avons comme projet pour l'avenir, ce type de sécurisation est évident. Mais je ne crois pas en tout cas que dans notre pays nous soyons aujourd'hui capable de mettre place un projet global. Et notre dernier intervenant nous a bien appris pourquoi. C'est que nous sommes un peuple très contradictoire. Nous souhaiterions bien que toutes ces choses se mettent en place. Mais, dès que nous en parlons, la réticence par rapport à la sécurité, par exemple, des informations personnelles va se poser et va entraîner de longs débats. En France, le croisement des fichiers informatiques est strictement interdit. Ce qui peut poser un problème.

Nous avançons dans la sécurité puisqu'il y a eu un projet de loi adopté sur la signature électronique, et je crois que nous avançons dans la sécurisation des moyens de paiement. Mais je pense que nous sommes très loin d'un projet global, tout en ayant déjà des réalisations très concrètes par secteur même si elles provoquent dans les professions quelques refus. Je songe tout particulièrement à la Carte Vitale au niveau de la Sécurité sociale où tout assuré social français est maintenant capable d'avoir sur lui les informations nécessaires avec quelques petits dysfonctionnements dont nous sommes bien placés pour parler dans cette maison, puisque la Sécurité sociale du Sénat a la carte Vitale mais elle n'est lisible par aucun des lecteurs de la sécurité sociale. Vous voyez ? C'est un peu nos caractéristiques. Voilà deux petits mots que je voulais dire avant de voir les expériences.

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