1.10. LES INTERVENTIONS DES COLLECTIVITÉS LOCALES DANS L'ÉCONOMIE EN FRANCE
PAR MADAME MARIE-JOSÉ TULARD
Directeur du service des Collectivités territoriales au Sénat

Pour ce qui me concerne, je vais avoir le plaisir de vous parler des interventions des collectivités locales dans l'économie en France. Ceci nous permettra de faire des comparaisons entre les deux pays.

Les collectivités locales sont des acteurs importants de l'économie, ne serait-ce que par l'importance des montants qu'elles gèrent, plus de 780 milliards de francs par an, les emplois directs qu'elles procurent, 1,4 millions d'agents territoriaux, et les investissements qu'elles réalisent, 70 % du total des investissements publics civils. Leur impact sur le dynamisme de l'économie est également décisif par l'ampleur des compétences qu'elles assurent, et qui les font intervenir dans pratiquement tous les secteurs de la vie de nos concitoyens, des services de proximité aux équipements d'infrastructure lourds, qu'il est courant de regrouper en France sous le terme de services publics locaux et qui dans d'autres pays sont regardés à juste titre comme partie intégrante de l'action économique des collectivités locales.

Il est cependant habituel, lorsque l'on aborde la question de l'intervention économique des collectivités locales dans notre pays, de faire référence à leur action en direction des entreprises, c'est-à-dire dans la sphère normalement réservée à l'initiative privée. Le principe même de ces interventions a longtemps été débattu au nom du respect de la liberté du commerce et de l'industrie, consacré dès 1791 par le législateur révolutionnaire.

Sur le fondement de cette vision, au départ très restrictive, des possibilités d'intervention des collectivités locales dans l'économie, des assouplissements ont été progressivement apportés, au fur et à mesure que montaient les besoins économiques et sociaux de la population. Cette montée en puissance du rôle des collectivités locales dans l'économie, depuis 150 ans, a d'abord été très lente et s'est accélérée à partir du début du siècle, bien qu'elle soit restée enfermée dans la double obligation de ne pas fausser les règles du droit commercial et de la concurrence et de préserver les finances locales contre les risques financiers.

Le Conseil d'Etat, qui a joué le rôle clé pour la construction juridique du cadre d'intervention des collectivités locales, n'a longtemps admis d'exception qu'au profit des monopoles qui impliquaient une occupation du domaine public des collectivités locales, c'est-à-dire des activités de distribution d'eau, de gaz puis d'électricité, des activités de transport local. Dans le contexte de ce que l'on a appelé le socialisme municipal, à partir du début du siècle, les collectivités locales se sont engagées plus largement dans des activités d'intérêt public à caractère industriel et commercial, mais pour répondre aux seuls besoins de proximité liés à la modernisation de la société française.

A partir des années 30, la jurisprudence, jusque là restrictive, a élargi progressivement les possibilités d'intervention dans les domaines économique, industriel et commercial au profit d'activités de proximité répondant à un but social, tels les bains-douches, les restaurants pour indigents, les stations services et de façon plus large à partir des années 70, les aides directes aux entreprises dans le cadre des opérations de décentralisation industrielle.

Sur le plan réglementaire et législatif, on a assisté à un double mouvement qui reflétait les contradictions de l'attitude nationale à l'égard des collectivités locales en matière économique. D'abord les associer aux interventions économiques de l'Etat, parce que l'Etat ne suffisait plus à faire face à ces obligations nouvelles, mais tout en corsetant ces interventions économiques par des textes, des circulaires administratives notamment, qui réglementaient et limitaient les interventions, pourtant encouragées par d'autres textes.

Une importante réforme est réalisée par la loi de 1972, créant les établissements publics régionaux, qui donne à cet échelon territorial encore collectivité territoriale une mission d'impulsion en faveur du développement économique. Dans ce contexte, en 1977, sont créés des fonds de garantie régionaux au service des entreprises. En 1980, est prévue l'exonération de la part communale et départementale de la taxe professionnelle, de la part des communes et des départements pour cinq ans au profit des opérations de décentralisation industrielle, et il est même envisagé à partir de 1981 de permettre aux collectivités locales de participer directement au capital des PME.

Mais c'est surtout à partir de 1982 qu'un tournant décisif est pris avec les lois de décentralisation qui fixent pour l'essentiel le cadre actuel des interventions économiques des collectivités locales dans notre pays. Pour éclairer l'esprit dans lequel les collectivités locales peuvent intervenir en la matière, il me paraît utile d'essayer de répondre à trois grandes séries de questions.

Tout d'abord, les interventions économiques des collectivités locales, pour quoi faire ? Ce qui nous amènera à réfléchir sur les objectifs poursuivis et les principes sur lesquels on entend faire reposer l'action des collectivités locales.

En second lieu, les interventions économiques, comment faire ? Et nous verrons quel est le cadre juridique dans lequel s'inscrit cette action, avec une large palette de moyens, mais aussi des marges de manoeuvre restreintes.

Et enfin, les interventions économiques des collectivités locales, question essentielle, est-ce efficace ? Avec une tentative de bilan, tant quantitatif que qualitatif, pour examiner quelle voie de réforme envisager.

1 - Pour quoi faire ? Pourquoi demande-t-on aux collectivités locales d'intervenir dans les mécanismes de l'économie de marché dans notre pays ? Dès 1982, on va voir apparaître une préoccupation qui demeure encore essentielle aujourd'hui. Au fronton de ces lois, on a inscrit comme objectif de la démarche : soutien de l'emploi et développement économique à l'échelon local et de manière égale pour les trois niveaux de collectivités territoriales toutes étant assignées à poursuivre ces deux objectifs essentiels, mais dans trois hypothèses seulement : l'aide à la création d'emploi, l'aide aux entreprises en difficultés et la protection des intérêts sociaux (en 1982, on est en pleine période de montée du chômage) et enfin, le maintien des services à la population, en cas d'absence ou de carence de l'initiative privée, cette dernière hypothèse visant plutôt les collectivités rurales, affrontées à la désertification et à la disparition des activités économiques.

Toutefois ces nouveaux pouvoirs dont on a doté les collectivités territoriales, à chaque niveau, ont dû s'inscrire dans le respect de trois grands principes : la compétence de l'Etat, responsable de la conduite politique et sociale du pays et de la défense de l'emploi, le respect de la liberté du commerce et de l'industrie, qui est un principe très ancien dans notre pays et l'égalité des citoyens, principe qui a à peu près le même âge. A cela s'ajoutent les impératifs de l'aménagement du territoire.

Il apparaît d'emblée, avec l'énoncé de ces différents objectifs, que l'on est en présence d'une contradiction qui va être la cause d'une certaine difficulté à mettre en oeuvre, de façon cohérente, les interventions économiques des collectivités locales. En effet, à l'objectif général non différencié d'intervention en faveur du développement économique des trois niveaux de collectivités locales, conforme à l'esprit de décentralisation, ne répond pas forcément l'objectif de traitement différencié des territoires au nom de l'aménagement du territoire et du rééquilibrage entre régions riches et zones plus défavorisées.

Or, dès la loi de 1983, qui a fixé la répartition des compétences entre l'Etat, les régions et les communes, l'article premier réaffirme que les collectivités locales concourent avec l'Etat à l'aménagement du territoire, au développement économique social et culturel, ainsi qu'à la protection de l'environnement et à l'amélioration du cadre de vie.

Donc, le cadre de départ était large, les objectifs nombreux, la décentralisation avait vocation à encourager l'intervention des collectivités locales, grâce en particulier à l'allégement des contrôles. Rappelons, en effet, qu'on a à cette époque supprimé la tutelle administrative a priori sur les actes des autorités locales au profit d'un contrôle a posteriori pour les seuls actes qui ne se conformeraient pas à la légalité, et cela impliquait pour les collectivités locales qu'elles déterminent comment concilier ces objectifs et qu'elles fassent preuve d'une exigence de cohérence dans l'action.

2 - Quels étaient exactement les moyens, c'est-à-dire comment faire pour mettre en oeuvre les objectifs précédemment définis ?

La loi de 1982 a apporté une réponse qui autorise la mise en oeuvre des moyens les plus diversifiés. Tout d'abord, elle a établi une distinction, sur laquelle on s'interroge aujourd'hui, entre les aides directes et les aides indirectes. Mais elle n'a donné de définition ni des unes ni des autres. Elle s'est contentée d'une énumération des aides directes, avec l'esquisse d'un traitement différencié entre niveaux de collectivités territoriales au profit de la région, qui a un rôle prédominant pour les aides directes, puisqu'elles sont seules à pouvoir prendre la décision d'accorder des aides directes, les communes et les départements pouvant eux aussi le faire, mais seulement à l'appui de l'action régionale en la matière.

Quelles sont les aides directes qu'énumère la loi ?

Ce sont les primes d'aide à la création d'entreprises, les primes d'aide à la création d'emplois, les prêts, les avances remboursables et les bonifications d'intérêt. Les primes à la création d'entreprises sont plafonnées à 150 000 francs par entreprises. Ces aides peuvent être accordées au profit d'entreprises ayant été créées depuis moins d'un an. Elles sont cumulables avec la prime à la création d'emplois. Les créations d'emplois peuvent bénéficier de ces primes à hauteur de 20 000 francs par emploi créé dans la limite de 30 emplois par entreprise et au profit d'entreprises qui ne dépasseraient pas 300 millions de francs de chiffre d'affaires.

Ces deux primes régionales ne sont pas cumulables avec la prime d'aménagement du territoire qui relève de l'Etat, ce qui montre assez que le lien avec l'aménagement du territoire n'était pas certain dès le départ.

Les prêts, les avances remboursables, les bonifications d'intérêt tendent à assurer des fonds aux entreprises, notamment aux PME, qui n'ont pas dans notre pays toujours de facilité à obtenir les soutiens bancaires de la part des banques privées et plus généralement du marché financier.

D'autres formes d'aides directes ont été prévues par le législateur en 1982, au profit des entreprises en difficulté. Ces aides directes pouvaient au départ être allouées par les communes, départements et régions. Mais face aux pressions locales qui s'exerçaient plus particulièrement au niveau communal, à l'égard des maires en particulier, des maires qui ont souvent dû céder à la pression, et qui ont accordé leurs aides directes à des entreprises en difficulté, sans vérifier la fiabilité future de l'entreprise, le législateur en 1988, a mis un coup d'arrêt et a interdit aux communes d'apporter des aides directes aux entreprises en difficulté, pour les protéger contre elles-mêmes en quelque sorte. Ils n'ont laissé cette possibilité qu'aux départements et aux régions en encadrant cette possibilité, avec l'obligation d'une convention et d'un tableau d'amortissement des aides.

A côté des aides directes, dont on voit qu'elles étaient théoriquement réglementées et limitées, nous évoquerons la réalité pratique et nous verrons que le cadre n'a pas toujours été respecté.

Quant à elles, les aides indirectes étaient libres. La loi ne les a pas spécialement définies et a laissé un large champ à l'imagination et à l'initiative des collectivités locales, toutes placées sur un pied d'égalité pour octroyer ces aides indirectes. L'imagination a malheureusement parfois eu tendance à se répéter d'endroit en endroit. L'essentiel des aides indirectes a porté sur des aides à la commercialisation de produits, les conseils de gestion, les équipements et les aménagements de zones industrielles, les bâtiments, les bâtiments relais, les ateliers relais, les pépinières d'entreprises, et une autre forme qui n'était pas spécialement prévue mais qui a remporté une grande faveur : le crédit-bail immobilier, qui est aujourd'hui encore très utilisé, notamment dans les secteurs du commerce et de l'artisanat.

Toutefois, je n'ai pas mentionné à dessein deux grandes catégories d'aides indirectes qui ont été énormément pratiquées : les garanties d'emprunts et les rabais. Ce sont des catégories pour lesquelles, malgré tout, le législateur a prévu des limites légales, des garde-fous pour éviter que les collectivités s'engagent trop avant dans les opérations économiques risquées.

Les collectivités ne peuvent donc accorder des garanties d'emprunt qu'en se soumettant à des règles prudentielles strictes de division et de partage du risque entre collectivités ; on ne peut pas garantir plus de 10 % d'annuité pour un même emprunt. Plusieurs collectivités doivent se réunir pour accorder au maximum 50 % de garantie d'emprunt. Etant entendu que ce garde fou ne joue pas trop, puisqu'une exception majeure a été apportée à cette exception, à la liberté des aides directes, c'est-à-dire qu'on revient à la liberté de l'aide indirecte : car les garanties d'emprunt peuvent être accordées librement et sans limite, pour le logement social ainsi qu'au profit des associations d'intérêt général.

Les rabais sur vente ou location d'immobilier destiné aux entreprises doivent être limités également de sorte que les collectivités locales ne puissent pas les vendre aux entreprises à un prix inférieur au coût de revient que ces locaux ont représenté pour les collectivités locales.

Deuxième série de limites aux marges de manoeuvre des collectivités locales : les règles communautaires auxquelles la France a souscrit par son adhésion aux traités européens. L'article 92 du traité de Rome dispose que, sauf dérogation prévue par le traité, les aides accordées par les Etats ou au moyen des ressources d'Etats sous quelque forme que ce soit, qui fausse ou menace de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions sont incompatibles avec le Marché commun dans la mesure où elles affectent les échanges avec les Etats membres.

Ainsi, les règles communautaires posent une interdiction de principe aux aides publiques à l'économie, au nom du respect de la concurrence, tout en même temps qu'elles incitent les Etats et les collectivités locales, les concours publics des Etats incluant du point de vue communautaire, les concours publics des collectivités locales, à aider directement les entreprises à condition que cela soit compatible avec le Marché commun.

La contradiction apparente entre cette incompatibilité et cet appel aux aides publiques des Etats se résout par le zonage du territoire européen qui tend, lui, véritablement à un rééquilibrage du développement économique, spontanément inégal, comme on le sait, entre les territoires.

C'est ainsi que sont éligibles aux fonds européens, nationaux et locaux, certaines catégories de zones : les régions en retard de développement, les zones rurales fragiles, les zones de reconversion industrielle. Dans la nouvelle génération des fonds structurels qui a prévu d'autres définitions du zonage, les zones urbaines sensibles bénéficient également de ces possibilités d'aides additionnelles de l'Europe et des Etats, ainsi que de leurs collectivités locales.

L'article 93 du traité de Rome confie à la Commission européenne le pouvoir d'examiner si les régimes d'aides des Etats membres, notamment les régimes d'aides des collectivités locales françaises, sont compatibles avec l'article 92, avec le Marché commun. Les Etats membres sont tenus de notifier toutes les nouvelles aides et modifications d'aides existantes à la Commission, qui a donc un pouvoir de contrôle et d'autorisation des aides.

Toutefois, à partir de 1990, une atténuation à cette rigueur du contrôle a été apportée avec la règle « de minimis » permettant aux petites aides d'être accordées sans notification de l'Etat membre à la Commission européenne. Cette règle de minimis s'applique à des aides qui ne sont pas si négligeables que cela, puisque jusqu'en 1977, il s'agissait de toutes les aides aux petites et moyennes entreprises et que depuis 1977, il s'agit de toutes les aides dont le montant est inférieur à 100 000 euros sur trois ans.

Peu d'aides locales dépassent ce montant. Ce qui fait que les collectivités locales peuvent évoluer dans le cadre de la réglementation communautaire en apportant la plupart des aides autorisées par les lois françaises en la matière. D'ailleurs, dans un rapport récent remis au Premier ministre en février 1997, le député Marc Laffineur remarquait que l'intervention communautaire et l'appel qu'elle comporte à des compléments locaux, invitent les collectivités locales, de façon forte, à sortir du cadre législatif national en ce qu'il limite leur possibilité d'action davantage que le cadre communautaire, pour accompagner l'Union européenne dans des zones jusque-là non prioritaires au regard des critères nationaux.

Au delà de ce cadre strict des interventions économiques des activités locales, je voudrais quand même revenir quelque peu sur les autres marges d'action des collectivités locales dans l'économie française, au-delà des interventions en faveur immédiate des entreprises. Les collectivités locales sont, je l'ai déjà dit, des acteurs majeurs de l'économie française, par la gamme très large des services publics locaux qu'elles assurent, et aussi par les infrastructures de communication, matérielles et immatérielles, qu'elles construisent ou qu'elles contribuent à construire, par les opérations d'aménagement qui sont propices aux implantations d'entreprises, à l'installation de réseaux divers et aux voiries d'accès aux bâtiments industriels, ceci faisant partie des aides indirectes mais aussi des compétences proprement dites des collectivités locales.

Elles sont également compétentes en matière de formation : ce sont les communes, les départements et les régions qui assurent les équipements scolaires, les régions ayant de surcroît la compétence d'assurer la formation professionnelle initiale et continue, ainsi que l'apprentissage. Ce sont donc des compétences qui ne sont pas négligeables pour l'impulsion et le développement économique.

Les collectivités locales ont par ailleurs mis en oeuvre de longue date, des formes originales de partenariat entre le public et le privé, par le biais de ce qu'on appelle la gestion déléguée. Cette gestion déléguée a longtemps été utilisée pour les services d'eau et d'assainissement ainsi que les déchets, mais elle est de plus en plus utilisée en faveur des activités de loisirs, d'informatique, pour les réseaux câblés, pour les équipements sportifs et pour les services culturels.

A côté de cette gestion déléguée, les collectivités locales bénéficient également d'une panoplie législative qu'elles utilisent fortement en matière d'aménagement et de logement, au travers des sociétés d'économie mixte et locales, créés par la loi de 1983. Ce sont elles qui associent les capitaux privés et publics mais qui ont le statut d'entreprises commerciales pour l'essentiel. Leur particularité est que l'apport au capital des collectivités locales doit dépasser 50 % et être inférieur à 80 %. Ce verrou crée une rigidité pour les entreprises publiques locales, qui n'existe pas ailleurs en Europe, et amène certaines sociétés d'économie mixte à se dissoudre comme on vient de le voir récemment cette semaine pour le Futuroscope parce qu'on ne peut pas modifier le capital en dehors de ces deux verrous.

Autre instrument dans la panoplie des collectivités locales : les sociétés de développement régional et les sociétés de capital risque. Les sociétés de développement régional qui réunissent des fonds publics, permettent à tout le territoire national d'être couvert. Il y a 20 sociétés de développement régional, et les sociétés de capital-risque dans lesquelles les collectivités locales interviennent peu, en montant de capital, mais qui permettent néanmoins à ces collectivités de donner un infléchissement à la politique menée en particulier en faveur des jeunes entreprises, les start-up, des entreprises de pointe, pour se lancer à partir de capitaux extrêmement modestes.

Autres formes d'aide des collectivités locales : les exonérations de taxe professionnelle, qui ne font pas expressément partie des aides indirectes, mais qui jouent un rôle important, notamment dans les zones d'aménagement bénéficiant de la prime à l'aménagement du territoire, qui est une subvention nationale. Des exonérations totales ou partielles de taxe professionnelle peuvent y être accordées pour une durée de cinq ans, ainsi que dans un certain nombre de territoires jugés prioritaires, comme les territoires ruraux ou les territoires urbains fragiles. Enfin, pour les entreprises nouvelles, créées ou reprises dans les secteurs du commerce de l'artisanat et de l'industrie, et dans les zones que je viens d'évoquer, des exonérations totales ou partielles peuvent être accordées pour une durée maximum de trois ans. Quand il ne s'agit pas de grandes entreprises, ces exonérations sont donc d'une durée plus brève.

3 - Vous voyez que la panoplie est large. Maintenant il importe de se demander si l'action des collectivités locales est efficace et de tenter un bilan de l'action qui s'est déployée depuis 1982.

Il apparaît qu'un bilan quantitatif est extrêmement difficile à établir, d'abord parce que, comme vous l'auriez compris, beaucoup d'aides indirectes sont difficiles à évaluer, et aussi parce que les autorités chargées d'établir des statistiques, le ministère des Finances ou le ministère de l'Intérieur en particulier, n'appréhendent la réalité locale qu'avec un certain retard, et n'embrassent pas toutes les formes d'aides. Il en ressort néanmoins que sur une période de 10 ans entre 1984 et 1994 (on ne dispose pas de chiffres beaucoup plus récents) l'implication des collectivités locales a triplé passant de 4,4 milliards de francs à 14,3 milliards de francs, mais que rapportée aux budgets locaux, l'implication des collectivités locales demeure néanmoins très raisonnable ; si l'on rapporte pour les communes les interventions économiques aux dépenses d'équipements, cette aide aux interventions économiques ne dépasse pas 4,7 % du budget d'équipement des communes, 5,2 % de celui des départements, et 10,3 % de celui des régions. Il convient néanmoins d'y ajouter les garanties d'emprunts dont l'encours s'élevait en 1994 à 253 milliards de francs, soit un flux de l'ordre de 20 milliards par an. Les communes prennent en charge 55 % de ce montant et à l'intérieur de la prise en charge des communes, le logement représente 93 %, ce qui explique la masse importante des montants engagés sous forme de garanties d'emprunt.

En ce qui concerne plus largement les interventions économiques, la part des régions prédomine avec 40,9 % des interventions. Les communes et leurs groupements viennent ensuite avec 35,6 %, la part des départements représentant à peine 1/4, c'est donc la participation la plus faible à l'intérieur des actions économiques locales. Si l'on s'intéresse maintenant aux secteurs dans lesquels les aides sont accordées, deux grands secteurs consomment plus de la moitié des aides. Il faut dire que ce sont des secteurs très larges : l'industrie, le commerce et l'artisanat : 29 %, et le logement : 26 %.

Les différents niveaux de collectivités territoriales concentrent leurs efforts sur des secteurs différenciés. Les régions aident plus particulièrement l'agriculture, curieusement. Ce sont plutôt les communes qui aident le logement, l'industrie, le commerce et l'artisanat, et si on fait la part relative de ces différents secteurs, il apparaît que le logement bénéficie de 23 % des interventions locales, l'industrie, le commerce et l'artisanat de 20 %, l'agriculture de 13 % et le bâtiment et les travaux publics de 9,5 %.

Passons maintenant au bilan qualitatif qui est beaucoup plus difficile à évaluer. Ce bilan est aidé par les observations qu'a pu faire la Cour des comptes sur les interventions économiques locales. Ces observations font apparaître un quasi dépérissement de la procédure des principales aides directes voulues par le législateur en 1982 : les primes régionales à la création d'emplois et à la création d'entreprises, avec un essor corrélatif des prêts à taux bonifiés et des avances, mais l'ensemble ne représentant que 10 % et les subventions accordées sans référence au cadre législatif de 1982 occupent la plus large place. Le nouvel outil donné aux collectivités locales en 1988, à savoir des fonds de garantie, sociétés de droit privé regroupant les garanties des collectivités locales qui ne pouvaient pas directement gérer ces sociétés, a été un quasi échec. En revanche, les sociétés de capital-risque ont rencontré et rencontrent encore aujourd'hui des faveurs de plus en plus grandes.

Le bilan juridique résulte de ce que je viens de dire, c'est-à-dire que le décalage est de plus en plus grand, entre la réalité vécue des collectivités locales et le cadre juridique initial prévu en 1982, ce qui amène évidemment à envisager depuis de nombreuses années, une réforme du cadre des interventions économiques locales.

Les régions ne respectent pas les plafonds et les taux des primes. Les exonérations de taxes professionnelles sont accordées à 100 % quand il est prévu au départ qu'elles soient accordées de façon partielle, l'interdiction de verser des rabais au-delà d'un certain seuil qui est plafonné en principe à 25 %, n'est pas respectée, et les sociétés d'économie mixte locales qui ont, en principe, les opérations d'aménagement, l'exploitation des ouvrages publics à caractère industriel et commercial, débordent ce cadre pour se livrer à des missions de prospection économique ou autres activités normalement confiées aux comités d'expansion économique ou aux chambres de commerce.

Tout le monde procède à des initiatives en matière d'intervention économique en s'affranchissant volontiers du cadre légal. Le contrôle de légalité que doit exercer l'Etat, et qui devrait s'appliquer en pareil cas, puisqu'on ne respecte plus la loi, est en fait fragilisé par la diversité des droits applicables, le droit administratif pour les collectivités locales, le droit des sociétés pour les entreprises et plus largement le droit commercial et le droit civil.

Sur le plan communautaire, les sanctions n'ont aucune raison de s'appliquer puisqu'on est généralement en dessous du seuil prescrit par la règle de minimis , et en vertu de la règle d'additionnalité entre les fonds structurels européens, nationaux et locaux, il y a plutôt une incitation de l'Europe à faire entrer les collectivités locales dans des opérations aidées en faveur des entreprises.

L'évaluation de toute intervention publique dans une économie de marché se heurte à des difficultés d'ordre méthodologique et pratique, et on peut regretter à cet égard, que les interventions économiques des collectivités locales, dans la sphère concurrentielle, ne soient jamais appuyées par une étude préalable de la situation locale du marché, de celle de l'entreprise et de ses besoins réels assortis d'une énonciation claire de l'objectif poursuivi par la collectivité locale.

Force est aussi de regretter que les différents objectifs assignés aux collectivités locales par le législateur de 1982, ne permettent pas toujours d'arbitrer entre des finalités parfois divergentes, en particulier, en ce qui concerne l'aménagement du territoire comme je l'ai indiqué. Dès lors qu'on a permis à toutes les collectivités d'intervenir, les régions riches interviennent très volontiers en faveur des entreprises et c'est ce qu'on peut appeler « un effet de richesse ». Cela contribue à accroître les disparités régionales entre régions riches et régions pauvres.

De plus, les entreprises, dont certaines n'ont pas forcément besoin de ces aides, pratiquent très bien le jeu du « mieux disant » entre les collectivités. Elles font monter les enchères, et au lieu que les aides économiques des collectivités locales exercent un effet de levier, elles exercent un effet d'aubaine. Les collectivités locales ne maîtrisent pas forcément ensuite les stratégies d'entreprises sur leur territoire. Par conséquent, on peut se demander si le bilan des interventions économiques n'appelle pas une appréciation nuancée de l'intérêt d'une aide tous azimuts et sans véritablement une clarification des objectifs de ces aides, même si elles ont dans certains cas indéniablement aidé au maintien d'entreprises dans des territoires en difficulté économique

Pour conclure, je crois que personne ne peut faire à la France le procès de pécher par excès de libéralisme économique. Mais on l'a compris, pour mener à bien sa politique d'intervention dans le domaine économique, les moyens propres de l'Etat ne suffisant plus, il a fait appel aux collectivités locales, et l'élan qui a été donné par la décentralisation a renforcé encore leur impact sur le secteur concurrentiel.

Mais dans la perspective d'une réforme des interventions économiques locales, on peut se demander s'il ne faudrait pas revenir sur le double inconvénient du système mis en place en 1982, qui est à la fois trop strict et trop laxiste. Trop strict pour les aides directes, puisque ce régime est largement ignoré par difficulté de l'appliquer, et trop laxiste, parce que les possibilités sont tellement imprécises et les objectifs tellement complexes, qu'il n'est pas toujours possible de mener une action cohérente à une échelle, comme on dit aujourd'hui, pertinente.

Si la réforme dont je parle, qui est annoncée depuis de nombreuses années et qui a beaucoup de mal à voir le jour, devait sortir, elle pourrait peut-être s'inspirer des leçons de l'expérience en privilégiant : 1)la clarification des objectifs assignés aux collectivités locales ; 2) la définition d'un cadre simplifié et assoupli ; 3)dans le cadre de la réforme de l'Etat le recentrage de ses activités sur une fonction de régulation et d'édiction de normes.

Ceci permettrait aux acteurs locaux, travaillant de préférence en réseaux et mettant à profit l'intercommunalité qui maintenant permet d'appliquer une taxe professionnelle unifiée sur de larges territoires, d'ordonner leur action économique dans un espace plus cohérent, et conférant plus d'impact psychologique à l'initiative locale.

Sans doute aussi faudrait-il lever certains verrous qui n'existent pas chez la plupart de nos partenaires européens, et permettre aux collectivités locales françaises de créer de véritables entreprises publiques locales, de participer si nécessaire au capital des entreprises privées, mais à condition de participer aussi à la décision et aux orientations stratégiques. Cela supposerait une réflexion préalable sur l'adéquation des moyens aux buts poursuivis. La reconnaissance d'une plus grande autonomie aux collectivités locales ne passe pas forcément par plus de contraintes, et dans ce contexte, plus d'autonomie ne serait pas forcément le plus mauvais gage de l'esprit de responsabilité et de l'efficacité économique.

Je vous remercie.

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