M. Serge Dassault, rapporteur spécial

II. LES MOYENS DE LA POLITIQUE DE L'EMPLOI QUI ÉCHAPPENT À LA MAÎTRISE DIRECTE DES GESTIONNAIRES DE PROGRAMME

A. LES DÉPENSES FISCALES

Ainsi que cela a été indiqué plus haut, le montant des dépenses fiscales s'établit à 10,51 milliards d'euros pour 2011, soit un niveau équivalent à celui des crédits budgétaires de la mission. Treize mesures dépassent les 100 millions d'euros de perte de recettes fiscales et représentent, à elles seules, 10,35 milliards d'euros, soit 98,5 % des dépenses fiscales rattachées à la mission.

Les principaux postes sont les suivants :

- les crédits et réductions d'impôts pour l'emploi de salariés à domicile (3,05 milliards d'euros) ;

- la prime pour l'emploi (PPE) pour un montant de 2,98 milliards d'euros ;

- l'exonération des heures supplémentaires (1,36 milliard d'euros) ;

- le taux réduit de 5,5 % de TVA pour les cantines (900 millions d'euros).

Or la préoccupation majeure de votre rapporteur spécial porte sur l'absence d'évaluation de l'efficacité des crédits ou réductions d'impôts au regard de l'emploi .

Au demeurant, celle-ci ne peut être que complexe car si le coût brut d'une dépense fiscale peut être aisément mesuré, il en va tout autrement du coût net, qui prendrait également en compte les rentrées engendrées par la dépense fiscale. C'est particulièrement le cas en matière d'emploi, puisque les personnes retrouvant un travail sont également susceptibles de payer l'impôt sur le revenu ou, en accroissant leur dépenses, de majorer, pour l'Etat, les recettes tirées de la taxe sur la valeur ajoutée. Au-delà des seules rentrées fiscales, la reprise d'emploi, en augmentant les cotisations sociales des personnes bénéficiaires des dispositifs, contribue également à l'équilibre des organismes de sécurité sociale. De fait, cette analyse fait défaut .

Sur un total de 33 dépenses fiscales, seuls trois indicateurs de performances sont associées à la mesure de l'efficience de trois dispositifs :

- la prime pour l'emploi au moyen de la mesure de la part des bénéficiaires de la prime pour l'emploi précédemment au chômage ou inactifs ;

- le crédit d'impôt en faveur de l'apprentissage et l'exonération en faveur des salaires des apprentis par la mesure du taux d'insertion dans l'emploi à l'issu du contrat d'apprentissage ;

- les dispositifs fiscaux dérogatoires en faveur des services à la personne, qui sont mis en relation avec la mesure du taux de croissance annuel du nombre d'heures travaillées dans le secteur des services à la personne.

La recommandation, formulée l'année dernière, visant à étendre , de manière systématique et suivie, à l'ensemble des dispositifs fiscaux dérogatoires le principe d'une évaluation détaillée et associée à un indicateur de performance , dûment renseigné, est donc réitérée.

Cette exigence s'avère d'autant plus légitime que, dans le contexte de rationalisation des dispositifs dérogatoire, il convient de pouvoir analyser précisément le bilan coût/avantage de chaque perte de recettes pour l'Etat.

Les dépenses fiscales de plus de 100 millions d'euros de la mission « Travail et emploi »

(en millions d'euros)

Dépenses fiscales

Programme

Chiffrage
2008

Chiffrage
2009

Chiffrage
2010

Chiffrage
2011

Variation
2010/2011

Nombre de bénéficiaires

Prime pour l'emploi

102

4 230

3 936

3 560

2 980

-16%

8,9 millions

Crédit d'impôt pour l'emploi d'un salarié à domicile

103

1 260

1 682

1 750

1 750

0%

1,2 million

Exonération d'impôt sur le revenu au titre des heures supplémentaires

103

400

1 290

1 360

1 360

0%

4,4 millions

Réduction d'impôt pour l'emploi d'un salarié à domicile

103

1 040

1 248

1 300

1 300

0%

2 millions

TVA à 5,5 % pour les cantines et restaurants d'entreprise

111

790

860

870

900

3%

non déterminé

Exonération de TVA des prestations de services rendus aux personnes physiques par les associations agréées

103

550

600

650

700

8%

6 800 entreprises

Crédit d'impôt en faveur de l'apprentissage

103

300

440

440

440

175 000 entreprises

Exonération du salaire des apprentis

103

250

255

265

275

4%

424 000

Exonération de la participation employeur aux tickets restaurant

111

220

200

200

200

0%

2,7 millions

Réduction d'impôt sur les cotisations syndicales

111

125

123

130

130

0%

1,5 million

TVA à 5,5 % pour les services d'aide à la personne par les entreprises agréées

103

90

110

110

120

9%

6 400 entreprises

Exonération partielle de la prise en charge par l'employeur des frais de transport entre le domicile et le lieu de travail

111

60

60

100

100

0%

non déterminé

Crédit d'impôt en faveur de l'intéressement

111

-

-

50

100

100%

non déterminé

TOTAL

9 315

10 804

10 785

10 355

-4%

Source : projet annuel de performances « Travail et emploi » annexé au projet de loi de finances pour 2011

Ainsi que l'illustre le tableau ci-dessus, des économies importantes ont déjà été enregistrées du fait de la décision, en 2009, de ne pas procéder à la revalorisation annuelle de la prime pour l'emploi. L'augmentation de cette dépense fiscale a pu être enrayée (3,2 milliards d'euros en 2005, 4,3 milliards en 2006, 4,2 milliards en 2007 et 2008, 3,9 milliards d'euros en 2009 et 3,5 milliards attendus en 2010) et son montant serait réduit de 16 % pour 2011 (2,98 milliards d'euros).

Votre rapporteur spécial vous proposera plus loin d'accentuer encore l'effort de contraction de ce dispositif.

B. LES EXONÉRATIONS DE COTISATIONS SOCIALES

A côté des dépenses fiscales qui pèsent directement sur les recettes de l'Etat, les allègements de cotisations sociales ont un impact direct sur les finances publiques, soit du fait de l'affectation d'un panier de recettes fiscales pour compenser les charges non collectées par la sécurité sociale, soit en raison de la compensation budgétaire effectuée par la mission « Travail et emploi ».

1. Les exonérations de charges sociales compensées par la mission « Travail et emploi » : 1,56 milliard d'euros

Le coût des exonérations se décompose ainsi qu'il suit :

- 21,2 milliards d'euros d'allègement généraux de cotisations patronales « Fillon » ;

- 3,23 milliards d'euros au titre des heures supplémentaires et complémentaires ;

- 5,04 milliards d'euros d'allègements ciblés de cotisations non compensés par la mission « Travail et emploi » ;

- et 1,56 milliard d'euros de mesures compensées par la mission .

La charge de cette compensation repose particulièrement sur le programme 103 « Accompagnement des mutations économiques et développement de l'emploi » qui recouvre les actions de développement de la formation professionnelle et de baisse du coût du travail pour faciliter le développement de territoires et de secteurs à fort potentiel d'emplois.

Montant des exonérations ciblées compensées
par les crédits de la mission « Travail et emploi » 2011

Source : projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2011 - annexe 5 « Présentation des mesures d'exonérations de cotisations et contributions et de leur compensation »

2. « L'héritage des 35 heures » : un coût de 125 milliards d'euros depuis 1998

Plus largement, c'est « l'héritage des 35 heures » que votre rapporteur spécial souhaite remettre en cause .

La politique de réduction du temps de travail s'est traduite par l'extension à partir de 1998 des dispositifs d'allègements généraux de cotisation sociales sur les bas salaires pour compenser l'impact du passage au 35 heures sur le coût du travail. A cette fin, les allègements Aubry I (1998) et Aubry II (2000), ont été mis en place. A compter du 1 er juillet 2003, l'allègement dit « Fillon » s'est substitué aux déductions dégressives sur les bas salaires et aux allègements associés aux 35 heures, afin de prendre en compte la « convergence vers le haut » des différents minima sociaux induits par la mise en place de la réduction du temps de travail.

Tous régimes confondus, le montant des exonérations Aubry I s'est élevé à 10,3 milliards d'euros et celui des exonérations Aubry II à 22,5 milliards d'euros . En ajoutant le montant des exonérations « Fillon » (près de 168 milliards d'euros depuis 2003), le coût total des exonérations sur la période s'élève à plus de 200 milliards d'euros , ainsi que l'illustre le tableau ci-dessous.

Coût des allègements généraux

(en millions d'euros)

RTT Aubry 1
(juin 1998)

RTT Aubry 2
(janvier 2000)

Allègement général de charges « Fillon »
(janvier 2003)

Coût total des allègements de charges depuis la mise en oeuvre des 35 heures

1998

27

1999

291

2000

2 073

3 674

2001

2 423

6 371

2002

2 362

8 191

2003

1 949

4 260

7 230

2004

846

15 033

2005

258

16 918

2006

30

19 453

2007

1

21 460

2008

22 608

2009

22 229

2010

21 845

2011

21 180

Total

10 260

22 496

167 956

200 712

Source : d'après les réponses au questionnaire budgétaire

En prenant pour hypothèse que le coût des 35 heures représente 55 % de la part des allègements généraux de charges sociales 7 ( * ) , soit 92,3 milliards d'euros (55 % de 168 milliards), on peut estimer que la réduction du temps de travail aura induit une charge sur les finances publiques de près de 125 milliards d'euros .

S'ajoute à cette charge le coût des d'exonérations relatives aux heures supplémentaires de la loi du 21 août 2007 en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat (TEPA) qui représentera 3,23 milliards d'euros l'année prochaine, soit une augmentation constante depuis 2008, sans prendre en compte l'exonération d'impôts sur le revenu dont le coût est de 1,36 milliard d'euros.

Le tableau ci-dessous retrace les prévisions de coût et le financement des exonérations des heures supplémentaires et complémentaires.

Coût des exonérations des heures supplémentaires et complémentaires

(en millions d'euros)

2008

2009

2010

2011

Exonérations de charges sociales des heures supplémentaires et complémentaires

2 954

3 065

3 127

3 228

Exonérations d'impôts sur le revenu des heures supplémentaires et complémentaires

400

1 290

1 360

1 360

Source : projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011 (annexe 5) et le fascicule « évaluation des voies et moyens » annexé au projet de loi de finances pour 2011

Or, votre rapporteur spécial considère que si ce dispositif a été mis en oeuvre pour favoriser le recours aux heures supplémentaires au-delà de la durée légale de travail de 35 heures, il n'en a pas remis en cause le fondement. Aussi, il considère que le meilleur soutien aux entreprises serait une suppression de la réduction du temps de travail et un retour à une durée légale de 39 heures car, au total, le coût des heures supplémentaires s'établit à 4,59 milliards d'euros (3,23 milliards au titre des exonérations de charges et 1,36 milliard au titre de l'impôt sur le revenu).

Cet objectif suppose que l'exonération des heures supplémentaires, mesure de contournement des 35 heures, soit progressivement supprimée. A cette fin, votre rapporteur spécial présentera plus loin une mesure de suppression de l'exonération de l'impôt sur le revenu des heures supplémentaires et complémentaires, dont le coût est estimé pour 2011 à 1,36 milliard d'euros .

C. LES OPÉRATEURS PERCEVANT UN FINANCEMENT DE L'ETAT AU TITRE DES CHARGES DE SERVICE PUBLIC ET DES TRANSFERTS

Alors que les opérateurs rattachés à la mission « Travail et emploi » employaient, en 2010, 50 999 « équivalents temps plein » (ETP), le budget pour 2011 prévoit une réduction de 3,6 % des effectifs (- 1 855 ETP), soit 49 144 ETP . La plus grande partie, 46 150 d'entre eux, sont rémunérés par une subvention pour charges de service public versée par l'Etat. Les 2 994 ETP restant sont rétribués par les ressources propres des opérateurs.

Avec 45 422 ETP, les effectifs de Pôle emploi représentent 92 % de l'ensemble des emplois des opérateurs. Il subit également, avec la suppression de 1 800 ETP , dont 300 contrats à durée indéterminée (CDI) et 1 500 contrats à durée déterminée (CDD), l'essentiel de l'effort de réduction des coûts de gestion demandé aux opérateurs.

Les ETP des opérateurs et le montant des transferts et subventions d'équilibre à la charge de la mission « Travail et emploi » en 2011 (périmètre constant)

Total des ETP

2010

ETP hors plafond

2011

ETP sous plafond

2011

Total des ETP

2011

Montant du financement de l'Etat 8 ( * )

(en millions d'euros)

2010

2011

Mission Travail et Emploi

50 999

2 994

46 150

49 144

5 365,22

5 763,97

Programme 155

199

27

169

196

21,79

19,40

INTEFP

101

2

98

100

16,10

15,20

CEE

98

25

71

96

5,69

4,20

Programme 111

234

17

217

234

22,21

21,00

ANSES (fusion de l'AFSSET
et de l'AFSSA)

147

8

139

147

9,72

9,19

ANACT

87

9

78

87

12,49

11,81

Programme 102

50 470

2 950

45 670

48 620

5 315,40

5 718,36

Fonds de solidarité

15

0

15

15

1 518,95

1 604,47

Pôle emploi

47 222

2 680

42 742

45 422

1 360,00

1 360,00

EPIDe

969

0

964

964

50,00

48,33

ASP

2 264

270

1 949

2 219

2 386,45

2 705,56

Programme 103

96

0

94

94

5,82

5,21

Centre INFFO 9 ( * )

96

0

94

94

5,82

5,21

Source : projet annuel de performances « Travail et emploi » pour 2011

Les plafonds des opérateurs, définis dans le cadre de la loi de programmation pluriannuelle, doivent être conformes au principe de non remplacement d'un départ en retraite sur deux . Après l'augmentation de 6,7 % des effectifs des opérateurs entre 2009 et 2010, le contexte d'après-crise semble justifier un retour à une application plus stricte des préceptes de la révision générale des politiques publiques. A cet égard, il faut noter que, même si la dotation de fonctionnement de Pôle emploi demeure stable, l'opérateur perdra 1 800 postes et ne se verra pas compenser l'accueil de quelque 900 psychologues de l'AFPA.

En revanche, la progression annoncée des financements du fonds de solidarité et de l'agence de services et de paiement est liée, non pas à l'augmentation des subventions pour charges de service public, mais aux dépenses d'interventions devant servir au versement des allocations destinées aux demandeurs d'emploi (fonds de solidarité) et au paiement des dispositifs de formation et de contrats aidés (ASP).


* 7 L'intégralité de ces exonérations n'est pas imputable à la réduction du temps de travail puisque les entreprises passant aux 35 heures n'avaient plus droit aux exonérations générales sur les bas salaires. En faisant l'hypothèse que :

- le Smic, sans la mise en place de la RTT, aurait cru de 1998 à 2007 à la même vitesse que le salaire moyen,

- que les allègements, sans changement de barème, auraient donc augmenté au même rythme que la masse salariale,

- et que cette dernière aurait elle-même progressé comme la valeur ajoutée.

Jean Boissinot, Julien Deroyon, Benoît Heitz et Véronique Rémy (« Les allègements de cotisations sociales patronales sur les bas salaires en France de 1993 à 2007 » 2008) déduisent le montant des allègements en 2007 si la RTT n'avait pas été mise en place et concluent que les modifications de barème des allègements de charge liées à la RTT puis à la convergence des Smic représentent 55 % des allègements généraux de charge en 2007. Ce bilan prend uniquement en compte le coût des allègements généraux de cotisations sociales liées aux 35 heures. En particulier, il n'inclut pas l'accroissement des recettes sociales et fiscales qu'auraient pu induire les 35 heures, par exemple via les effets sur l'emploi de la réduction du temps de travail (source : réponses au questionnaire budgétaire).

* 8 Ce montant comprend les subventions versées pour charge de service public et les transferts

* 9 Centre INFFO : centre pour le développement de l'information sur la formation permanente.