M. Serge Dassault, rapporteur spécial

III. UN EFFORT NÉCESSAIRE DE RATIONALISATION DES POLITIQUES PUBLIQUES EN RAISON DE LA RARÉFACTION DES MOYENS BUDGÉTAIRES

A. LA CONTRIBUTION À LA MAÎTRISE DES DÉPENSES DÈS 2011 DE LA MISSION « TRAVAIL ET EMPLOI »

1. Une exigence de rationalisation des ouvertures de crédits budgétaires

Deux postes de dépenses budgétaires illustrent la contrainte qui s'exerce sur l'exercice 2011 :

- la dotation de Pôle emploi est figée. Avec 1,36 milliard d'euros, soit une diminution en euros courant correspondant à l'inflation, et la suppression de 1 800 ETP, le service public de l'emploi devra fournir un effort de rationalisation de ses moyens humains et matériels 10 ( * ) . Si la suppression de postes doit être rapprochée du transfert aux URSSAF de la fonction de recouvrement des cotisations chômage des entreprises, l'accueil de 900 psychologues de l'AFPA ne sera accompagné d'aucune dotation supplémentaire ;

- les subventions accordées aux maisons de l'emploi sont très significativement revues à la baisse : au lieu de 95 millions d'euros cette année, seuls 53 millions d'euros de crédits de paiement (dont 43 millions d'euros pour le fonctionnement et 10 millions d'euros pour l'investissement) sont inscrits pour l'année prochaine. Compte tenu du bilan d'ensemble peu favorable dressé par l'inspection générale des affaires sociales sur l'action des maisons de l'emploi 11 ( * ) , votre rapporteur spécial avait dès l'année dernière recommandé de réduire les dotations qui leur sont allouées. En effet, leur rôle doit maintenant être coordonné avec celui de Pôle emploi. Néanmoins, il est permis de s'interroger sur les effets collatéraux en matière d'insertion locale dans l'emploi d'une réduction de 45 % des crédits. De ce point de vue, il conviendra de s'assurer qu'une telle mesure ne s'applique pas selon un « rabot » indifférencié . L'Assemblée nationale a toutefois atténué la rigueur du budget 2011 des maisons de l'emploi en abondant leurs crédits de 10 millions d'euros supplémentaires.

La raréfaction des moyens budgétaires a également conduit le Gouvernement à proposer deux mesures de débudgétisation de la politique de l'emploi :

- un prélèvement de 300 millions d'euros sur le fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP), créé par la loi du 24 novembre 2009 relative à l'orientation et à la formation professionnelle, est prévu afin d'abonder les actions de formation professionnelle de l'AFPA, de l'ASP et de Pôle emploi. Or, à l'initiative de notre collègue Jean-Claude Carle, alors rapporteur de ce projet de loi, la loi précitée a instauré le principe selon lequel « les sommes dont dispose le fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels au 31 décembre de chaque année constituent, l'année suivante, des ressources de ce fonds » (article L. 6332-22-1 du code du travail). L'article 96 du présent projet de loi de finances contrevient donc directement non seulement à ce principe, mais aussi aux prescriptions de la LOLF qui proscrivent ces procédés de débudgétisation de dépenses publiques ;

- un transfert de compétences de l'Etat vers l'association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapée (AGEFIPH) est proposé afin de lui confier la gestion de diverses mesures en faveurs des travailleurs handicapés (article 97).

2. Un effort de réduction des exonérations ciblées de charges sociales

En outre, le projet de loi de finances pour 2011 prévoit la suppression d'un certain nombre de dispositifs d'exonérations, allant ainsi dans le sens des recommandations formulées par votre rapporteur spécial, dont le rendement est estimé à 623 millions d'euros :

- la suppression de l'exonération de charge bénéficiant aux organismes d'intérêt général dans les zones de revitalisation rurales (ZRR) pour les bénéficiaires actuels, à l'exception des entreprises de moins de dix salariés, (article 88). Le gain est évalué à 130 millions d'euros ;

- la suppression de l'exonération fiscale applicable aux indemnités de départ volontaire versées aux salariés dans le cadre d'un accord de GPEC (article 89) pour une économie budgétaire de 10 millions d'euros ;

- la suppression de l'exonération de charges patronales de 15 points pour les particuliers employeurs dans le domaine des services à la personne et de l'allègement de charge pour les structures agréées (article 90) dont le rendement serait de 353 millions d'euros 12 ( * ) ;

- la suppression de l'exonération de charge pour les plateaux-repas dont bénéficient les entreprises du secteur des hôtels, cafés et restaurants (article 91), soit une économie de 110 millions d'euros.

Votre rapporteur spécial rappelle, qu'à son initiative, cette dernière mesure de suppression avait été adoptée par votre commission des finances dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2010 . Sur un avis défavorable du Gouvernement, le Sénat n'avait pas adopté cette mesure qui se justifie pleinement puisque toutes les exonérations spécifiques au secteur HCR avaient été supprimées à l'occasion de l'instauration du taux réduit de TVA dans la restauration.

Dans l'ensemble, ces propositions d'économie sont les bienvenues , sous réserve des commentaires que formulera votre rapporteur spécial sur chacun des articles rattachés à la présente mission ( cf. infra ).

B. LES PROPOSITIONS D'ALLÈGEMENT DE LA CHARGE DES DISPOSITIFS DONT L'EFFICACITÉ N'EST PAS DÉMONTRÉE

Votre rapporteur spécial a proposé d' intervenir sur deux dispositifs, très coûteux, dont l'efficacité en matière d'emploi n'est pas démontrée : la prime pour l'emploi et l' exonération d'impôt sur le revenu des heures supplémentaires et complémentaires. Ce débat, qui s'inscrit légitimement dans la discussion des crédits budgétaires de la mission « Travail et emploi », a pour vocation de préfigurer certaines des orientations qui pourront être prises à l'occasion de la future réforme fiscale du printemps 2011. Votre commission des finances a adopté la première proposition : une diminution du taux de la prime pour l'emploi.

1. Diminuer de 10 % le taux de la prime pour l'emploi : une économie de 300 millions d'euros à partir de 2012 proposée par votre commission des finances

Votre rapporteur spécial considère depuis longtemps que la prime pour l'emploi (PPE) a peu d'effet en matière de retour à l'emploi et qu'elle est également insuffisamment ciblée, puisqu'elle est versée à neuf millions de foyers dont la moitié n'est pas imposable. De plus, il a été établi que la PPE ne remplissait pas non plus son rôle en matière de redistribution, la moitié des travailleurs pauvres n'en bénéficiant pas ( cf. encadré ci-après).

Enfin, l'indicateur de performance rattaché à cette dépense fiscale montre que moins de 12 % des bénéficiaires de la PPE en 2008 étaient précédemment au chômage ou en inactivité. La cible pour 2011 est fixée à 15 %, ce qui démontre l' inadéquation du dispositif avec son objectif de politique publique .

La prime pour l'emploi a un effet sur l'emploi incertain
et son rapport coût-efficacité paraît faible

Dans son rapport annuel de 2005 la Cour des comptes notait que peu d'études sur son volet incitatif avaient été réalisées : « les seuls éléments chiffrés disponibles sont issus de simulations économétriques ex ante, non de données observées sur le marché du travail ex post. Ces simulations sont néanmoins instructives : elles montrent que l'impact de la PPE sur l'offre de travail est positif mais faible (+ 0,2 à + 0,4 % selon les études). Ces résultats présentent certes des faiblesses. Mais les enquêtes réalisées auprès des ménages corroborent leurs conclusions : ainsi, en juin 2003, dans leurs réponses à l'enquête de l'INSEE, 3 % seulement des ménages interrogés ont indiqué être incités par la PPE à « reprendre une activité » , 4 % seulement à « travailler davantage » et 31 % à « continuer à travailler ». L'effet sur l'emploi (de ces modèles économétriques ex ante) est encore plus incertain ... et compte tenu de son coût budgétaire son rapport coût/efficacité paraît faible . »

La PPE joue un rôle redistributif limité : beaucoup de bénéficiaires pour des montants parfois faibles

La prime pour l'emploi (PPE) est un crédit d'impôt accordé aux personnes en emploi (salariées ou non) disposant de faibles revenus d'activité professionnelle. L'objectif de ce dispositif est à la fois de rendre le travail plus attractif (objectif incitatif) et de réduire les inégalités de niveaux de vie (objectif redistributif).

En France métropolitaine, 9 millions de personnes ont bénéficié de cette prime au titre de leurs revenus de 2006, soit un tiers des personnes ayant exercé une activité professionnelle rémunérée (salariée ou indépendante). Elles ont perçu en moyenne (sous forme de réduction d'impôt ou montant versé) 480 euros, soit un peu moins de 4 % de leur revenu d'activité déclaré dans l'année. Parmi elles, 7,9 millions, le «coeur de cible», l'ont perçue uniquement au titre de leur revenu d'activité et 1,1 million après prise en compte de leur situation familiale (personnes appartenant à des familles monoparentales ou à des couples mono-actifs). Pour ces 1,1 million de personnes, le supplément de revenu versé s'avère particulièrement faible (0,6 % de leur revenu d'activité), alors qu'il est loin d'être négligeable pour celles dont les revenus d'activité sont proches du SMIC. Une personne travaillant toute l'année à temps plein au SMIC perçoit 948 euros, soit 8 % de son revenu d'activité.

La moitié des travailleurs pauvres ne bénéficient pas de la PPE

L'impact de la PPE sur la réduction des inégalités et sur la diminution du taux de pauvreté est limité. En effet, elle exclut les 2,8 millions de salariés et de non-salariés disposant de revenus d'activité inférieurs à 0,3 SMIC. De plus, sa diffusion dans la population est large et les montants engagés, sans commune mesure avec ceux des autres outils de redistribution (impôt sur le revenu et prestations familiales notamment), demeurent relativement faibles.

La PPE a un impact limité sur l'emploi

La PPE ne semble pas être un facteur déterminant pour le retour à l'emploi . Parmi les personnes qui n'ont pas d'activité professionnelle, moins de 50 % d'entre elles se déclarent « chômeur », les autres sont « inactif pour raisons de santé » (15 %), « femme ou homme au foyer » (26 %) ou « autre inactif » (13 %). Dans la très grande majorité des cas les personnes qui ne souhaitent pas travailler à l'avenir évoquent des raisons de santé ou dans une moindre mesure des raisons familiales. Celles qui se déclarent «chômeur » cherchent quasiment toutes un emploi et mentionnent dans plus de 80 % des cas comme freins à leur retour à l'emploi l'insuffisance des offres d'emplois ou l'inadéquation de leur formation ou de leur expérience aux profils recherchés: 46 % et 65 % évoquent respectivement ces deux types de difficultés. Les coûts de la recherche d'un emploi (transports, correspondance...) n'apparaissent pas essentiels, seules 13 % des personnes les citent comme un frein à leur recherche d'emploi.

Source : « Prime pour l'emploi, redistribution et incitation à l'emploi », Dossiers solidarité et santé n° 5 - 2008 (direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques)

Aussi, dans le droit fil des constats partagés 13 ( * ) par notre collègue Philippe Marini, rapporteur général, votre commission des finances a-t-elle examiné deux propositions de reparamétrage de la prime pour l'emploi :

- un meilleur ciblage des conditions d'éligibilité à la PPE en abaissant le point de sortie du barème de 1,4 à 1,2 SMIC . Selon les chiffrages transmis par le Gouvernement, le gain de cette mesure serait de 1,1 milliard d'euros ;

- une diminution de 10 % des taux de la PPE dans les mêmes conditions que la réduction homothétique des « niches fiscales » prévue à l'article 58 du projet de loi de finances pour 2011. Cette seconde formule de réduction du coût de la prime a été retenue , l'objectif étant dans un premier temps de ne pas faire supporter aux bénéficiaires de ce régime un effort plus important que celui imposé à l'ensemble des détenteurs d'avantages fiscaux. Applicable sur les revenus de 2011, l'économie réalisée en 2012 serait de 300 millions .

Les estimations de reparamétrages de la PPE fournies par le Gouvernement

a. Reparamétrage n°1 : abaissement du point de sortie du barème de 1,4 à 1,2 SMIC

Ce reparamétrage revient à baisser le seuil de 17 451 euros à 15 581 euros et à accroître la pente descendante en fin de barème en conséquence (de -19,3 % à -30,9 %). Le reste du barème (majoration pour personne à charge ou pour monoactivité notamment) est laissé inchangé.

Le coût de la PPE diminuerait de 1,1 milliard d'euros, avant prise en compte de l'impact RSA. Ces gains proviendraient d'abord de la sortie du dispositif des individus compris entre 1,2 et 1,4 SMIC, au nombre de 2 millions. Les bénéficiaires situés sur la pente descendante du barème (entre 1 et 1,2 SMIC) verraient également leur montant de PPE diminuer. Au total, le montant moyen distribué par foyer bénéficiaire passerait de 462 à 430 euros. Hors prise en compte du RSA, cette réforme toucherait 70 % des foyers bénéficiaires de la PPE, soit plus de 5 millions de personnes. Ne sont pas affectées les personnes situées sur la pente ascendante du barème ou les foyers ne bénéficiant que de majorations. Comme le point de sortie du RSA pour une personne seule est inférieur à 1,2 SMIC et la majorité des personnes bénéficiaires de la PPE sont des personnes seules, on peut estimer que le RSA n'a pas d'impact sur l'évaluation faite ci-avant. Ainsi, l'économie globale serait de 1,1 milliard d'euros.

b. Reparamètrage n°2 : diminution de 10 % des taux de la PPE

Cela revient à faire passer le maximum de PPE de 960 à 864 euros. Dans ce cas de figure, la PPE avant impact du RSA diminuerait de 300 milliards d'euros. Plus de 6,7 millions de foyers (soit 86 % de foyers bénéficiaires de la PPE) verraient leur PPE diminuer, les foyers ne bénéficiant que de majorations n'étant pas affectés par la réforme, sauf à minorer également le montant des majorations de 10 %.

La diminution de la PPE étant homothétique, l'imputation du RSA sur la PPE diminue, ce qui réduit le coût total de la mesure. En pratique, après simulations, l'impact du RSA serait globalement inchangé. Aussi, l'économie finale serait d'environ 300 millions d'euros.

Source : d'après les informations transmises par le ministère de l'économie, de l'industrie et de l'emploi

2. Sortir du « piège des 35 heures » : supprimer l'exonération d'impôt sur le revenu des heures supplémentaires et complémentaires demeure un objectif de votre rapporteur spécial

Enfin, votre rapporteur spécial souhaite, à titre personnel, sortir du « piège des 35 heures » et amorcer le débat sur la suppression des exonérations sociales et fiscales sur les heures supplémentaires dans le but, à terme, de remettre en cause la réduction du temps de travail dont le coût global, social et fiscal, pour 2011 est estimé à 4,6 milliards d'euros.

Dans un premier temps, il s'agirait de supprimer, à compter de l'imposition des revenus de 2011, l'exonération d'impôt sur le revenu instituée par l'article 1 er de la loi TEPA . Le gain en recettes fiscales à compter de 2012 peut être estimé à 1,4 milliard d'euros .

Cette proposition s'appuie sur les observations du conseil des prélèvements obligatoires 14 ( * ) qui a considéré que l'effet global sur l'emploi de l'exonération des heures supplémentaires est « ambigu » car cette mesure produit des effets contradictoires :

- l'accroissement de la durée du travail incite les entreprises à substituer des heures de travail supplémentaires aux embauches, ce qui a un effet négatif sur l'emploi ;

- mais la réduction du coût du travail consécutive à l'exonération est en revanche favorable à l'emploi.

De plus, le CPO a souligné que le Gouvernement a évalué à 0,15 % de croissance du PIB la contribution des heures supplémentaires. Or, cet effet de 3 milliards d'euros sur la croissance est inférieur au coût global des exonérations sociales et fiscales. L'efficience du dispositif semble donc très limitée .

Aussi, l'intérêt de supprimer, dans un premier temps, l'exonération d'impôt sur le revenu (IR) n'a pas d'impact direct sur le coût du travail du fait du décalage d'un an de l'imposition au barème de l'IR.

Bien que cette mesure n'ait pas été adoptée par votre commission des finances, votre rapporteur spécial estime urgent d'ouvrir ce débat sur la remise en cause des 35 heures et l'imposition des revenus des heures supplémentaires dans la perspective d'une prochaine réforme de la fiscalité.


* 10 Déjà, la loi de finances rectificative pour 2009 a procédé à une annulation de 135 millions d'euros en CP au titre de la réduction de la subvention pour charge de service public de Pôle emploi. L'exécution budgétaire montre que la dotation de l'Etat a été inférieure de 187 millions d'euros à la prévision votée en loi de finances initiale, soit 1 173 millions d'euros au lieu de 1 360 millions d'euros.

* 11 A la suite du rapport réalisé par Michel Thierry (IGAS), une réforme du dispositif a été mise en oeuvre par le décret n° 2009-1593 du 18 décembre 2009 et l'arrêté du 21 décembre 2009 portant cahier des charges des maisons de l'emploi. Elle est entrée en vigueur le 1 er janvier 2010 pour vingt-six maisons de l'emploi dont la convention arrivait à échéance à la fin de l'année 2009. Au 1 er janvier 2011, toutes les maisons de l'emploi inscriront leurs actions dans le cadre du nouveau cahier des charges. Sauf fermeture non encore annoncée, les 177 maisons de l'emploi concernées devront négocier avec les DIRECCTE pour l'obtention d'une aide financière de l'Etat sur la base du nouveau cahier des charges.

* 12 Les chiffrages de l'économie réalisée par la suppression de cette exonération divergent : les réponses au questionnaire budgétaire font état d'une économie de 353 millions d'euros alors que l'objet de l'article 90 du projet de loi de finances pour 2011 mentionne un gain de 460 millions d'euros. Notre collègue député Christian Eckert, rapporteur spécial, a posé l'hypothèse d'un rendement de 335 millions d'euros la première année, puis 250 millions d'euros les années suivantes.

* 13 Rapport n° 616 (2009-2010) « Débat d'orientation des finances publiques pour 2011 : en finir avec le double langage ».

* 14 Entreprises et « niches » fiscales et sociales : des dispositifs dérogatoires nombreux (octobre 2010).