MM. Thierry FOUCAUD et Claude HAUT, rapporteurs spéciaux

CHAPITRE I

QUEL AVENIR POUR NOTRE ÉCOLE ?

Avant d'étudier les dépenses de personnel puis les crédits de la mission « Enseignement scolaire », vos rapporteurs spéciaux ont souhaité replacer l'examen des moyens budgétaires dans le contexte de la politique conduite par le Gouvernement .

Face à l'ambition d'offrir un meilleur avenir pour nos enfants, les dotations allouées à l'enseignement scolaire, toujours moins importantes, ne sont pas à la hauteur d'un enjeu de société et de civilisation .

Vos rapporteurs spéciaux ont souhaité discuter des trois priorités définies par Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative, et Bruno Le Maire, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire, dans leur présentation de la programmation annuelle de la mission « Enseignement scolaire », telle qu'elle figure dans le projet annuel de performances (PAP) annexé au projet de loi de finances pour 2012 :

- « Améliorer les résultats de tous les élèves et élever le niveau général de formation » ;

- « Poursuivre la rénovation de la politique de gestion des ressources humaines » ;

- « Rénover le pilotage pour une utilisation plus efficiente des moyens ».

Le dernier thème porte principalement sur la gestion des crédits par le ministère de l'éducation nationale et sera donc discuté dans l'analyse budgétaire.

Les deux premiers sujets soulèvent en revanche des problématiques qui dépassent le cadre budgétaire stricto sensu : d'une part, la réussite scolaire et la lutte contre les inégalités ; d'autre part, la valorisation du métier d'enseignant, indépendamment des suppressions de postes examinées en détail dans le deuxième chapitre du présent rapport.

Ces deux questions posent la question des choix à opérer sur l'avenir de l'école . Elles seront abordées successivement dans le présent chapitre.

I. AMÉLIORER LES RÉSULTATS DES ÉLÈVES : UNE LOGIQUE D'AFFICHAGE QUI NE PERMET PAS DE LUTTER EFFICACEMENT CONTRE L'ÉCHEC SCOLAIRE

A. LA LOI D'ORIENTATION SUR L'ÉCOLE À L'ÉPREUVE DES FAITS

1. La déclination en actes de la loi d'orientation de 2005

Selon le Gouvernement, la loi d'orientation du 23 avril 2005 sur l'avenir de l'école a vocation à être le nouveau texte fondateur de la politique éducative, depuis la précédente loi d'orientation sur l'école de juillet 1989 : l'amélioration de la réussite scolaire passerait par la définition de socles communs de compétences et de connaissances, aux différentes étapes du parcours scolaire.

Sur cette base, plusieurs dispositifs ont été mis en place :

- le programme personnalisé de réussite éducative (PPRE) , obligatoire en cas de redoublement, et qui vise à améliorer l'apprentissage de connaissances de base ciblées à partir d'un diagnostic des difficultés de l'élève ; pour la rentrée scolaire 2009-2010, le taux d'élèves ayant suivi un PPRE a atteint 7,04 % à l'école primaire et 6,25 % au collège ;

- le programme Ecoles, collèges et lycées pour l'ambition, l'innovation et la réussite ( Eclair ), qui intègre les 105 établissements du programme des collèges et lycées pour l'innovation, l'ambition et la réussite (Clair) auquel il succède, ainsi que la plupart des écoles et des collèges des réseaux « ambition réussite » (RAR) ; selon le Gouvernement, le programme Eclair est censé permettre des innovations en matière de pédagogie, de vie scolaire et de ressources humaines pour favoriser, en théorie, l'égalité des chances ;

- le développement des unités locales d'intégration scolaire ( ULIS ), visant à assurer le brassage des élèves handicapés et valides dans les collèges et les lycées ; selon le Gouvernement, les ULIS correspondaient à 1 717 postes d'enseignants spécialisés à la rentrée scolaire 2010, tandis que le nombre d'élèves handicapés scolarisés - dans des classes ordinaires ou des unités spécialisées - aurait progressé de 60 % depuis 2004.

2. Une mise en oeuvre sans concertation et porteuse de nouvelles inégalités

En pratique, l'objectif du « socle commun » s'est heurté à une progression des inégalités sociales et territoriales.

Tel a été le sens de la mobilisation à travers toute la France pour refuser la disparition de 3 000 postes d'enseignants du Réseau d'aide spécialisée aux élèves en difficulté (RASED) . Si ces manifestations ont permis de sauver une partie des postes, dans des proportions qui restent à préciser par le Gouvernement, de trop nombreux postes d'enseignants du RASED ont été supprimés. L'argument du socle commun a aussi été utilisé pour accréditer l'idée que les PPRE seraient obligatoires dès lors qu'un élève rencontrerait des difficultés à accéder au niveau de connaissances requis, ce qui est faux.

En ce qui concerne le nouveau dispositif Eclair, celui-ci s'est mis en place sans le minimum de concertation requis, entraînant le dépôt de préavis de grève. Sous couvert d'expérimentation, Eclair ouvre la voie à un démantèlement des statuts, des programmes et des horaires nationaux, accroissant encore les inégalités entre territoires. Il apparaît indispensable de stopper la mise en place d'Eclair en faisant préalablement un bilan, avec l'ensemble des personnels impliqués, des besoins éducatifs qui se font jour sur notre territoire.

La mise en place des ULIS à la rentrée 2011 ne s'est pas effectuée dans de meilleures conditions, avec des classes surchargées et des personnels insuffisamment formés et rémunérés. Par ailleurs, face à des besoins croissants d'insertion sociale et professionnelle, il n'est pas acceptable que des centaines de jeunes aient dû figurer sur des listes d'attente en juin, à quelques mois seulement de la rentrée scolaire.

Les belles paroles de la loi d'orientation sur l'école ont échoué sur la réalité d'un service public de l'éducation doté de moyens humains réduits d'année en année . Dans ce contexte, les nouveaux dispositifs mis en place, sans concertation avec les personnels de l'éducation nationale, ont encore accru la désorganisation administrative des services et révélé des carences au plus haut niveau dans la gestion du ministère.

B. COMBATTRE L'ABSENTÉISME ET LE DÉCROCHAGE SCOLAIRE : POUR LE GOUVERNEMENT, IL FAUT SURVEILLER ET PUNIR

1. La suspension des allocations familiales : une réponse à l'absentéisme brutale et inappropriée

Aux fins prétendument de lutter contre l'absentéisme , le décret n° 2011-89 du 21 janvier 2011 a choisi une méthode de surveillance étroite des absences avant de s'engager sur la voie punitive : la suspension des allocations familiales. Conscient de la brutalité sociale qu'il emploie, le ministère de l'éducation nationale a jugé utile d'observer, dans la réponse au questionnaire budgétaire de vos rapporteurs spéciaux :

« Il convient de rappeler que la suspension des allocations familiales ne peut intervenir qu'après qu'a été constatée, au cours de deux mois différents dans une même année scolaire, l'absence d'un élève au moins quatre demi journées dans le mois, sans motif légitime, ni excuses valables ».

Or la procédure est bel et bien appliquée : toujours selon le ministère de l'éducation nationale, au 30 mai 2011, quelques mois seulement après l'entrée en vigueur du dispositif qui prévoit de surcroît une procédure par étapes :

- 36 243 signalements avaient été adressés par les établissements aux inspecteurs d'académie et 27 917 premiers avertissements adressés aux familles des enfants absentéistes ;

- 4 919 situations avaient donné lieu à une information des maires ;

- 6 280 seconds signalements avaient été adressés par les établissements aux inspecteurs d'académie, 147 demandes de suspension avaient été envoyées aux caisses d'allocations familiales (CAF) et 51 suspensions effectives étaient intervenues dans dix départements , le Gouvernement précisant que « dans plusieurs départements, des demandes de suspension sont en cours ».

Dans l'attente du rapport du Gouvernement évaluant les dispositifs de lutte contre l'absentéisme scolaire et d'accompagnement parental, dont l'article 7 de la loi du 28 septembre 2010 1 ( * ) prévoit la remise au Parlement avant le 31 décembre 2011, ce premier bilan montre une concentration des suspensions d'allocations familiales dans un petit nombre de départements. A l'injustice intrinsèque d'une telle mesure , qui pénalise les plus pauvres , s'ajoute une seconde inégalité dans sa mise en oeuvre , différenciée selon les départements .

2. Les établissements de réinsertion sociale : un outil contre le décrochage scolaire ou un instrument de police ?

Alors que l'absentéisme est souvent la première étape avant le décrochage scolaire, les établissements de réinsertion sociale (ERS) n'ont pas les moyens de leurs ambitions .

Cinq nouveaux ERS ont été ouverts à la rentrée 2011 et quatre autres doivent l'être au cours de l'année scolaire 2011-2012, ce qui porterait ainsi à vingt le nombre total de ces établissements.

Mais encore faudrait-il donner aux ERS qui existent déjà les moyens d'exercer leurs missions . Par exemple, fin novembre 2010, les syndicats alertaient le ministre de l'éducation nationale sur la situation de l'ERS de Nanterre, qui depuis un mois fonctionnait sans surveillant ni éducateur, en ne comptant qu'un seul enseignant éducateur. Les conditions de sécurité minimales n'étaient plus assurées, tant pour le personnel que pour les élèves.

Face aux incidents survenus dans plusieurs ERS en fin d'année 2010, la réponse de Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative, a consisté une fois encore à surveiller et punir, en prônant notamment le recours aux travaux d'intérêt général et une utilisation accrue des équipes mobiles de sécurité.

3. Des réponses pragmatiques devant associer les acteurs de terrain

Face aux défis multiples que posent l'absentéisme et le décrochage scolaire, vos rapporteurs spéciaux prônent de lutter contre les inégalités sociales à l'école par la mise en place d'observatoires , formés à 50 % de représentants des personnels.

De même, une nouvelle sectorisation scolaire sera nécessaire pour concentrer les moyens dans les territoires où la fracture sociale et scolaire continue de grandir. Cette réponse doit s'imposer de préférence aux internats d'excellence qui poursuivent, sous une forme nouvelle, la ghettoïsation de l'école.

C. LES ÉCHECS DU COMBAT CONTRE LA VIOLENCE SCOLAIRE

1. Un suivi statistique sujet à caution

Depuis 2003, les Gouvernements successifs ont fait de la lutte contre la violence à l'école l'une de leurs priorités. A cette fin, ils ont mis en place des outils statistiques relevant, depuis 2007, de l'enquête SIVIS (Système d'Information et de Vigilance sur la Sécurité scolaire).

Les résultats de cette enquête se veulent rassurants, s'agissant des données aujourd'hui disponibles sur la seule période 2007-2010 : stabilité du nombre moyen d'incidents graves (à raison de 11 pour 1 000 élèves), diminution relative de la part de la violence physique (qui représente encore 30 % des incidents), faible proportion des personnels parmi les victimes de violence (0,5 %).

Tout en prenant bonne note de ces résultats, vos rapporteurs spéciaux accueillent avec prudence l'analyse du ministère de l'éducation nationale : d'une part, la rupture statistique introduite par la mise en place de l'enquête SIVIS empêche toute étude comparative à moyen ou long terme ; d'autre part, les biais inhérents à un tel système déclaratif, exclusif à la France, pourraient être levées en utilisant des méthodes éprouvées, à l'échelle européenne ou internationale, afin de disposer de données standards harmonisées.

Sous ces réserves, les statistiques actuelles dressent un tableau dont nul ne peut se satisfaire : l'école devrait être un lieu préservé de toute violence .

2. Des réponses gouvernementales qui ignorent les ressorts sociaux de la violence

Les réponses gouvernementales visent à développer un effort spécifique de formation et, selon les réponses apportées au questionnaire budgétaire de vos rapporteurs spéciaux, à :

- « renforcer les plans de sécurisation des établissements scolaires », en déployant notamment l'activité d'équipes mobiles de sécurité, à l'origine de 16 000 interventions en milieu scolaire sur la période septembre 2010 - février 2011 ;

- « responsabiliser les acteurs en redonnant du sens aux sanctions », par le renforcement notamment des procédures disciplinaires.

Par ailleurs, les ERS, qu'on pouvait croire destinés à lutter contre le décrochage scolaire, deviennent le réceptacle d'accueil des élèves perturbateurs, tendant encore à accroître les difficultés sociales en organisant une segmentation de la politique scolaire.

La concertation engagée dans le cadre des Etats généraux de la sécurité à l'école, les 7 et 8 avril 2010 , a constitué un aveu d'échec et aurait dû signer la volonté de sortir des discours démagogiques fondés sur le tout-sécuritaire. Tel n'a pas été le cas, malgré l'accent porté sur le développement de la formation.

Face au défi de la sécurité à l'école, l'urgence impose un changement de cap : la violence scolaire est d'abord la cause et la conséquence d'une violence sociale plus large, que les inégalités territoriales confortent et nourrissent. Il ne faut pas seulement des personnels mieux formés, mais aussi des personnels plus nombreux, en réaffirmant le principe d'un encadrement éducatif renforcé dans les territoires les moins favorisés de la République.


* 1 Loi n° 2010-1127 du 28 septembre 2010 visant à lutter contre l'absentéisme scolaire.