M. Serge DASSAULT, rapporteur spécial

CHAPITRE II
LES PRIORITÉS DE VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL : L'ÉVALUATION ET LA RÉDUCTION DES DÉPENSES PUBLIQUES

I. L'ÉVALUATION DES POLITIQUES DU TRAVAIL ET DE L'EMPLOI

A. LA QUESTION DE L'EFFICIENCE DES DÉPENSES FISCALES EST ENTRÉE DANS LE DÉBAT PUBLIC

1. Qui évalue et pilote les dépenses fiscales ?

Trente dispositifs fiscaux dérogatoires (dépenses fiscales ou niches fiscales) sont rattachées à la mission « Travail et emploi » pour un montant total de 10,8 milliards d'euros , soit un montant supérieur aux dépenses budgétaires (10,18 milliards d'euros). Le plus grand nombre, soit vingt-trois d'entre-elles, est rattaché aux programmes 102 et 103 de la politique de l'emploi, pour un coût de 9,16 milliards d'euros. Cette question peut donc paraître dépasser, de prime abord, le périmètre du présent rapport. Toutefois, l'intitulé du programme 155 « Conception, gestion et évaluation des politiques de l'emploi et du travail » comporte formellement l'indication de sa compétence en matière d'évaluation.

Or, selon les réponses communiquées à votre rapporteur spécial, il semble qu'en matière de suivi des dépenses fiscales, aucune démarche d'évaluation et de mise en place d'indicateurs ne soit développée à ce stade, cette évaluation étant directement assurée par les services du ministère du budget .

Il apparaît, dans les documents budgétaires, que les responsables de programmes ne disposent pas de leviers suffisants d'action ou d'évaluation des dépenses fiscales . Aussi, on peut trouver surprenant de rattacher des instruments de politique publique à une mission dont ni les gestionnaires, ni le ministre de tutelle ne semblent avoir prise sur ces outils. Interrogé sur son appréciation de l'efficacité de la prime pour l'emploi, Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé, s'est borné à indiquer que « l'évaluation de la dépense fiscale en tant que telle [...] relève de la ministre de l'économie, des finances et de l'industrie » 5 ( * ) .

Pourtant, ne serait-il pas du ressort de la DAGEMO, au titre du programme 155, d'exercer cette mission d'évaluation des politiques du travail et de l'emploi ? Si cette direction n'a pas vocation à comporter en son sein les experts en fiscalité et en économie, ne pourrait-elle pas assurer la coordination nécessaire entre les responsables de programme de la mission et la direction de la législation fiscale, la direction du Trésor et toute administration dont l'expertise serait requise.

La préoccupation majeure de votre rapporteur spécial porte sur l'absence d'évaluation de l'efficacité des crédits ou réductions d'impôts au regard de l'emploi . Seuls trois dispositifs sont, en effet, associés à des indicateurs de performances :

- la prime pour l'emploi au moyen de la mesure de la part des bénéficiaires de la prime pour l'emploi précédemment au chômage ou inactifs, dont l'indicateur n'est cependant pas renseigné ;

- le crédit d'impôt en faveur de l'apprentissage et l'exonération en faveur des salaires des apprentis par la mesure du taux d'insertion dans l'emploi à l'issu du contrat d'apprentissage ;

- les dispositifs fiscaux dérogatoires en faveur des services à la personne, qui sont mis en relation avec la mesure du taux de croissance annuel du nombre d'heures travaillées dans le secteur des services à la personne.

Or, au même titre que la justification des crédits au premier euro pour les dépenses budgétaires, il serait souhaitable que les douze mesures qui dépassent les 100 millions d'euros de perte de recettes fiscales soient associées à un indicateur de performance.

Les dépenses fiscales de plus de 100 millions d'euros de la mission « Travail et emploi »

(en millions d'euros)

Dépenses fiscales

Programme

Chiffrage
2010

Chiffrage
2011

Chiffrage
2012

Variation
2011/2012

Nombre de bénéficiaires

Prime pour l'emploi

102

3 610

3 200

2 800

-13%

8,9 millions

Crédit d'impôt pour l'emploi d'un salarié à domicile

103

1 785

1 890

1 890

0%

1,2 million

Exonération d'impôt sur le revenu au titre des heures supplémentaires

103

1 390

1 400

1 400

0%

4,4 millions

Réduction d'impôt pour l'emploi d'un salarié à domicile

103

1 250

1 290

1 290

0%

2 millions

TVA à 5,5 % pour les cantines et restaurants d'entreprise

111

980

1 015

1 055

4%

non déterminé

Exonération de TVA des prestations de services rendus aux personnes physiques par les associations agréées

103

700

720

730

1%

6 800 entreprises

Crédit d'impôt en faveur de l'apprentissage

103

430

470

470

0%

175 000 entreprises

Exonération du salaire des apprentis

103

265

275

285

4%

424 000

Exonération de la participation employeur aux tickets restaurant

111

220

220

220

0%

2,7 millions

Réduction d'impôt sur les cotisations syndicales

111

125

125

125

0%

1,5 million

TVA à 5,5 % pour les services d'aide à la personne par les entreprises agréées

103

100

110

130

18%

6 400 entreprises

Exonération partielle de la prise en charge par l'employeur des frais de transport entre le domicile et le lieu de travail

111

100

100

100

0%

non déterminé

Source : projet annuel de performances « Travail et emploi » annexé au projet de loi de finances pour 2012

2. Les travaux du comité d'évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales : une première étape vers une réforme d'ensemble

En application de la loi de programmation des finances publiques du 9 février 2009, le comité d'évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales a publié un rapport (dit « rapport Guillaume ») sur les dispositifs fiscaux et sociaux afin de noter leur efficacité sur une échelle allant d'un score de 0 à 3.

Ces travaux sont riches d'enseignement en ce qui concerne la mission « Travail et emploi ». Sur vingt-deux dépenses fiscales évaluées :

- seize ont obtenu un score de zéro ;

- neuf un score de 1 ;

- six un score de 2 ;

- et une seule un score de 3.

L'essentiel de la dépense fiscale évaluée (10 milliards d'euros) a recueilli un score de 1 à 2.

Les dépenses fiscales de plus d'un milliard d'euros de la mission « Travail et emploi » évaluées par le « rapport Guillaume »

Libellé de la mesure

N° de Programme

Programme principal

Score

Principaux inconvénients, selon le « rapport Guillaume »*

Prime pour l'emploi en faveur des contribuables modestes déclarant des revenus d'activité

102

Accès et retour à l'emploi

1

Faible incitation à l'emploi et caractère peu redistributif (25 % des ménages en bénéficient)

Exonération d'impôt sur le revenu des heures (et jours) supplémentaires et des heures complémentaires de travail

103

Accompagnement des mutations économiques et développement de l'emploi

1

Faible impact économique, effet antiredistributif

Crédit d'impôt au titre de l'emploi d'un salarié à domicile pour les contribuables exerçant une activité professionnelle ou demandeurs d'emploi depuis au moins trois mois

103

Accompagnement des mutations économiques et développement de l'emploi

2

L'effet sur emploi est positif mais le dispositif fiscal est dégressif car la mesure profite davantage aux ménages les plus aisés.

Réduction d'impôt au titre de l'emploi, par les particuliers, d'un salarié à domicile pour les contribuables n'exerçant pas une activité professionnelle ou demandeurs d'emploi depuis moins de trois mois

103

Accompagnement des mutations économiques et développement de l'emploi

2

L'effet sur emploi est positif.

Source : rapport du comité d'évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales

Le rapport « Guillaume » remet ainsi en cause deux niches fiscales particulièrement coûteuses : la prime pour l'emploi et l'exonération d'impôt sur le revenu des heures supplémentaires .

B. ÉVALUER LA PERFORMANCE DE TOUS LES OPÉRATEURS DE LA MISSION, NOTAMMENT PÔLE EMPLOI

1. Les neuf opérateurs de la mission

En outre, huit opérateurs de l'Etat bénéficient de transferts et de subventions pour charges de service public, les trois principaux au titre du programme 102 : l'agence de services et de paiement (ASP), le fonds de solidarité et Pôle emploi. Au total, 48 982 emplois , rémunérés par les opérateurs au moyen des dépenses d'intervention de l'Etat, concourent donc également à la mise en oeuvre de la politique de l'emploi.

Avec 45 422 ETP, les effectifs de Pôle emploi représentent 93 % de l'ensemble des emplois des opérateurs.

Les ETP des opérateurs et le montant des transferts et subventions d'équilibre à la charge de la mission « Travail et emploi » en 2011 (périmètre constant)

Total des ETP

2010

Total des ETP

2011

ETP hors plafond

2012

ETP sous plafond

2012

Total des ETP

2012

Mission Travail et Emploi

50 999

49 144

2 981

46 001

48 982

Programme 155

199

196

22

167

189

Institut national du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle (INTEFP)

101

100

2

97

99

Centre d'étude de l'emploi (CEE)

98

96

20

70

90

Programme 111

234

234

9

77

86

ANSES (fusion de l'AFSSET
et de l'AFSSA)

147

147

0

0

0

Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (ANACT)

87

87

9

77

86

Programme 102

50 470

48 620

2 950

45 665

48 615

Fonds de solidarité

15

15

0

15

15

Pôle emploi

47 222

45 422

2 680

42 742

45 422

Etablissement public d'insertion de la Défense (EPIDe)

969

964

0

959

959

Agence de services et de paiement (ASP)

2 264

2 219

270

1 949

2 219

Programme 103

96

94

0

92

92

Centre INFFO 6 ( * )

96

94

0

92

92

Source : réponses au questionnaire budgétaire

Les plafonds des opérateurs, définis dans le cadre de la loi de programmation pluriannuelle, doivent être conformes au principe de non remplacement d'un départ en retraite sur deux . Toutefois, il convient de relever que la dotation de Pôle emploi (1,36 milliard d'euros pour 2012), ainsi que ses effectifs demeureront stables, l'opérateur ayant déjà perdu 1 800 postes en 2011 et accueilli quelque 900 psychologues de l'AFPA sans compensation financière de l'Etat.

2. La question de l'efficacité du service public de l'emploi : comment mesurer la performance de Pôle emploi ?

S'agissant du principal opérateur de la mission, votre rapporteur a posé la question de l'efficacité de Pôle emploi en matière de retour à l'emploi dans le cadre des travaux de la mission commune d'information relative à Pôle emploi 7 ( * ) . Les principales conclusions sur ce sujet ont mis en évidence un nombre trop élevé d'indicateurs faisant plutôt apparaître un pilotage par les moyens que par la performance .

Quelle efficacité de Pôle emploi en matière de retour à l'emploi ?
La réponse du ministère du travail, de l'emploi et de la santé

Différentes instances (mission d'information du Sénat, mission IGF-IGAS, conseil économique, social et environnemental) participant aux réflexions sur l'évolution du service public de l'emploi ont rendu leurs conclusions s'agissant de l'évaluation de la mise en oeuvre de la convention et en ont relevé les limites. Sur le plan statistique, les données disponibles pour 2010 montrent que le retour à l'emploi des chômeurs est plus faible en France que dans les principaux pays européens. L'IGF souligne que le taux de sorties mensuelles vers l'emploi équivaut à 4,8% des demandeurs d'emploi en France, contre 9,1% en Allemagne et 8,2% au Royaume-Uni. Ce constat est la résultante de différents facteurs qui ne peuvent être limités aux seules actions de l'opérateur mais analysés au regard de l'ensemble du fonctionnement du Service Public de l'Emploi et plus globalement du fonctionnement du marché du travail français.

Il reste que l'évaluation de l'efficacité d'un opérateur comme Pôle emploi se heurte à des difficultés méthodologiques. Le taux de retour à l'emploi est notamment influencé par des facteurs sur lesquels Pôle emploi n'a pas de prise, tels que l'évolution de la conjoncture économique ou le niveau d'indemnisation du chômage. Il existe en outre des « effets de sélection » : une agence qui accueille, par exemple, une proportion supérieure à la moyenne de demandeurs d'emploi dépourvus de toute qualification, en raison des caractéristiques du bassin d'emploi dans lequel elle est implantée, obtiendra certainement de moins bons résultats qu'une autre. De même, la connaissance insuffisante des motifs de sortie des listes de demandeurs d'emploi rend plus difficile l'évaluation de l'efficacité de Pôle emploi.

Il existe aujourd'hui un consensus sur l'approche de pilotage par la performance. Les modalités de mesure de celle-ci sont abordées dans le cadre des négociations relatives à la prochaine convention tripartite. L'objectif est désormais non pas de multiplier les critères de performance, mais bien de concentrer les efforts sur les objectifs jugés les plus appropriés. Dans ce cadre, la conclusion de la nouvelle convention interviendra avant la fin de l'année 2011.

Source : réponse au questionnaire budgétaire


* 5 Audition du 8 juin 2011 de Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé, organisée par la commission des finances dans le cadre de l'examen du projet de loi de règlement des comptes et le rapport de gestion pour l'année 2010.

* 6 Centre INFFO : centre pour le développement de l'information sur la formation permanente.

* 7 Rapport n° 713 (2010-2011) « Pôle emploi : une réforme nécessaire, une dynamique de progrès à amplifier ».