MM. Jacques Chiron et Bernard Lalande, rapporteurs spéciaux

EXAMEN DE L'ARTICLE RATTACHÉ

ARTICLE 51
(Art. 106 de la loi n° 81-1160 du 30 décembre 1981 de finances pour 1982)

Suppression de l'indemnité de départ instituée en 1982 en faveur de certains artisans et commerçants

Commentaire : le présent article vise à supprimer l'indemnité de départ (IDD) instituée en 1982 et financée par le budget de l'État, au bénéfice de certains artisans et commerçants qui font valoir leurs droits à la retraite.

I. LE DROIT EXISTANT

A. LA CRÉATION D'UNE INDEMNITÉ DE DÉPART DESTINÉE À CERTAINS COMMERÇANTS ET ARTISANS

1. La mise en place d'une indemnité de départ

L'article 10 de la loi n° 72-657 du 13 juillet 1972 instituant des mesures en faveur de certaines catégories de commerçants et artisans âgés a créé l'aide spéciale compensatrice à destination des artisans et des commerçants en fin de carrière .

L'objet de cette aide était de compenser la perte de valeur subie par les artisans et les petits commerçants du fait de la concurrence des grandes surfaces et de la désertification rurale. L'aide spéciale compensatrice était destinée aux artisans et aux commerçants âgés qui, arrivant à l'âge de la retraite, n'arrivaient pas à valoriser leurs fonds de commerce et éprouvaient des difficultés à trouver un repreneur .

L'article 106 de la loi de finances pour 1982 22 ( * ) a remplacé cette aide spéciale compensatrice par une indemnité de départ (IDD) pour les commerçants et les artisans, dont le décret n° 82-307 du 2 avril 1982 23 ( * ) a fixé de nouvelles conditions d'attribution.

2. Une aide soumise à certaines conditions

En vertu du décret du 2 avril 1982 précité, les chefs d'entreprises individuelles artisanales et commerciales peuvent bénéficier de cette IDD sous condition de ressources, d'âge et de durée d'affiliation à leur régime de retraite .

Cette IDD est ainsi destinée aux artisans ou aux commerçants, propriétaires de leur fonds de commerce, affiliés à l'un des régimes d'assurance vieillesse des commerçants et des artisans pendant au moins quinze ans et n'exerçant plus d'activité professionnelle. La condition d'âge prévue par la loi est de 60 ans , mais elle n'est pas requise en cas d'invalidité reconnue. Les conditions de ressources 24 ( * ) ont été réévaluées régulièrement depuis 1982 pour s'établir, depuis 2007, à 11 940 euros en moyenne par an sur les cinq dernières années pour une personne seule et 21 210 euros en moyenne sur les cinq ans précédant la demande d'aide pour un couple 25 ( * ) .

Par ailleurs, l'arrêté du 13 août 1996 26 ( * ) a fixé les montants minimum et maximum à respecter pour l'attribution de l'IDD à un couple et à une personne seule. Ces fourchettes ont été réévaluées par l'arrêté du 30 décembre 2004 27 ( * ) et l'IDD est désormais comprise entre 2 020 euros et 12 100 euros pour une personne seule , et entre 3 140 euros et 18 820 euros pour un ménage. Par ailleurs, ce montant ne doit pas dépasser, par année civile, pour l'ensemble des demandeurs, un crédit moyen de 12 550 euros par ménage et de 8 070 euros par personne seule.

Depuis 2003, l'IDD est attribuée par une commission 28 ( * ) placée auprès de chaque caisse régionale du RSI sous la présidence du tribunal de commerce qui détermine son montant dans la limite du plafond et du crédit moyen fixés par l'arrêté de 2004 précité.

B. LA BUDGÉTISATION ET L'EXTENSION DE L'IDD

La loi du 13 juillet 1972 précitée a prévu que l'IDD des commerçants et des artisans serait financée par la taxe d'aide au commerce et à l'artisanat (TACA) , assise sur la superficie des grandes surfaces 29 ( * ) .

L'article 35 de la loi de finances pour 2003 30 ( * ) a affecté la TACA au budget de l'État et a ainsi transformé l'IDD en une aide financée par l'État au sein du programme 134 « Développement des entreprises et du tourisme », rattaché à la mission « Économie ». La gestion de cette aide a alors été confiée aux caisses régionales du régime social des indépendants (RSI) .

L'arrêté du 17 avril 2007 31 ( * ) a par ailleurs étendu ce dispositif, jusque-là réservé à un fonds de commerce ou artisanal au chef d'entreprise individuelle, à l'associé en nom collectif, à l'associé de fait et au gérant de la SARL 32 ( * ) ou d'EURL 33 ( * ) dont la qualité d'artisan est attestée par la chambre des métiers et de l'artisanat.

En 2013, l'IDD a bénéficié à 1 330 indépendants, soit 2 % des artisans et des commerçants liquidant leur retraite . Le montant moyen de l'aide a été de 8 070 euros pour une personne isolée et de 12 550 euros pour un ménage. En 2013, ce dispositif a représenté une dépense effective de 12,66 millions d'euros pour l'État 34 ( * ) .

C. UNE INDEMNITÉ DE DÉPART (IDD) QUI NE RÉPOND PLUS À SES OBJECTIFS ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX ET PRODUIT DES EFFETS PERVERS

Comme précisé dans l'évaluation préalable, le dispositif d'indemnité de départ des artisans et commerçants âgés ne remplit plus son objectif social d'origine et produit des effets économiques non vertueux .

Ainsi, du fait des conditions d'attribution, le dispositif inciterait les travailleurs indépendants à réduire le volume de leur activité au cours des années précédant leur départ à la retraite afin de pouvoir entrer dans les conditions d'attribution de l'aide, ce qui déprécie encore davantage la valeur de leur fonds. L'attribution de l'IDD contribuerait également à décourager l'activité des artisans en fin de carrière car son versement est conditionné par une cessation définitive d'activité, incompatible avec le cumul emploi-retraite.

Par ailleurs, l'évaluation préalable estime que l'IDD bénéficie à des personnes dont la situation est confortable alors que certains artisans et commerçants en difficulté en sont privés du fait du manque d'adaptation du RSI à la situation individuelle de ses cotisants . En effet, si les ressources non professionnelles sont prises en compte, par exemple des revenus locatifs, il n'en va pas de même pour la valeur du patrimoine : ainsi, les ressources issues de cessions d'actifs ou de la vente d'une licence ne font pas partie des critères d'attribution de l'IDD.

De plus, du fait de l'application de la condition de ressources prévue par le décret du 29 mars 2007, le nombre d'aides accordées diminue régulièrement depuis plusieurs années, passant de 1789 en 2009 à 1330 en 2013, soit 2 % des artisans partant à la retraite . Ainsi, d'après le rapport de notre collègue député Jean-Louis Gagnaire 35 ( * ) , 80 % des demandes d'aides ont été rejetées en 2013 du fait de la rigidité des effets de seuil de revenus .

II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ

Le présent article vise à supprimer l'indemnité de départ (IDD) en faveur de certains commerçants et artisans . À cette fin, l'article 106 de la loi de finances pour 1982, et par voie conséquence le décret du 2 avril 1982 et l'arrêté du 20 décembre 2004, seraient abrogés.

L'évaluation préalable précise que le fonds d'action sociale du RSI, destiné à aider les cotisants en difficulté tout au long de leur parcours et doté de 119,5 millions d'euros de budget en 2013 36 ( * ) , semble plus à même d'aider les commerçants et les artisans en difficulté en prenant en compte la situation globale des intéressés.

La suppression de l'IDD implique une diminution progressive de la dotation pour solder l'ensemble des engagements en attente de paiement. Cette mesure correspond à une économie pérenne de 8,92 millions d'euros à partir de 2017 pour l'État.

Incidence budgétaire pour l'État de la suppression
de l'indemnité de départ des artisans (IDD)

(en millions d'euros)

2015

2016

2017

Économie pérenne

- 3,92

- 5,92

- 8,92

- 8,92

Source : évaluation préalable.

*

L'Assemblée nationale a adopté cet article sans modification.

III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

A. L'IDD : UN DISPOSITIF PARVENU AU BOUT DE SA LOGIQUE

La suppression de l'IDD proposée par le présent article intervient dans un contexte économique difficile pour les artisans et les commerçants. L'étude de la société Altares « Défaillances et sauvegardes d'entreprises en France » estime ainsi que les défaillances de sociétés de un ou deux salariés ont progressé de 30 % au troisième trimestre 2014 , avec 4 861 entreprises de un ou deux salariés placées en redressement ou en liquidation judiciaire, sans compter les auto-entrepreneurs. La totalité de ces défaillances mettrait en danger 53 700 emplois. Le nombre de dépôts de bilan a particulièrement augmenté dans le secteur de la restauration (+ 29 %) et des commerces alimentaires, et dans l'artisanat, avec par exemple une hausse de + 50 % chez les artisans de bouche (boulangeries et pâtisseries).

Tout en prenant la pleine mesure des difficultés auxquelles sont confrontés les artisans, vos rapporteurs spéciaux estiment que l'indemnité de départ ne constitue plus, aujourd'hui, une réponse adaptée . Comme exposé supra , l'IDD, dispositif dérogatoire au droit commun, ne bénéficie qu'à 2 % des artisans faisant valoir leurs droits à la retraite. De plus, elle est attribuée selon des critères rigides, qui tiennent insuffisamment compte de la situation individuelle, notamment en ce qui concerne le patrimoine, et son âge de déclenchement (60 ans) est décalé par rapport à l'âge légal de départ en retraite (62 ans). Surtout, la pertinence de l'IDD est remise en cause par ses effets pervers sur l'activité des artisans les plus âgés et sur la valorisation de leur fonds .

B. UNE PRISE EN CHARGE PAR LE FONDS D'ACTION SOCIALE DU RÉGIME DES INDÉPENDANTS

Compte tenu des problèmes posés par l'IDD, vos rapporteurs spéciaux estiment que l'aide aux artisans rencontrant des difficultés au moment de leur départ à la retraite pourrait être prise en charge par le fonds d'action sociale du régime social des indépendants (RSI) , comme suggéré par le Gouvernement.

L'action sanitaire et sociale (ASS) du RSI prévoit en effet des aides adaptées à la situation personnelle des travailleurs indépendants actifs et retraités , du fait de la prise en compte de nombreux paramètres, évalués au cas par cas, dans la détermination de l'attribution des aides : ressources, situations familiales, nature du besoin ponctuel, critère d'urgence etc.

Le budget de l'action sociale et sanitaire du RSI est de 120,7 millions d'euros pour 2014, et de 119,6 millions d'euros pour 2013 37 ( * ) .

Le fonds d'action sociale du RSI

Prévu par l'article L. 635-3 du code de la sécurité sociale (CSS), le fonds d'action sociale porte l'action sanitaire et sociale du RSI en intervenant tout au long de la vie des travailleurs indépendants.

Les quatre principales missions de l'action sanitaire et sociale sont :

- l'aide à l'acquisition d'une complémentaire santé en complément du dispositif de base ;

- la prévention de la désinsertion professionnelle et le maintien dans l'activité des travailleurs indépendants fragilisés ;

- l'aide aux cotisants en difficulté à travers l'action du Fonds national d'action sociale (FNAS), notamment par l'octroi de délais de paiement et la prise en charge des cotisations ;

- les actions en faveur de la vie à domicile, de la prévention de l'isolement et de la perte d'autonomie.

Le budget annuel de l'action sanitaire et sociale est soumis au vote du conseil d'administration du RSI, après avis de la Commission nationale d'action sanitaire et sociale.

Source : commission des finances du Sénat

Toutefois, on observe que sur les 118,4 millions d'euros prévus dans le budget 2012, seuls 104 millions d'euros ont été effectivement dépensés 38 ( * ) - dont plus de la moitié a d'ailleurs été allouée aux aides individuelles aux retraités du RSI et près de 15 % aux futurs retraités. Ce sont donc près de 14 millions d'euros de fonds qui sont restés inutilisés en 2012 . Comme l'a rappelé Carole Delga, secrétaire d'État chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire, à l'occasion des débats à l'Assemblée nationale 39 ( * ) , « au cours des cinq dernières années, ce sont au minimum 9 millions d'euros qui restaient inutilisés ». Les crédits du fonds d'action sociale du RSI semblent donc suffisants pour une prise en charge des situations de départ en retraite pour un montant au moins équivalent à celui de l'IDD , qui est évalué à 8,92 millions d'euros.

À cet égard, vos rapporteurs spéciaux prennent acte des engagements pris par la secrétaire d'État lors des débats à l'Assemblée nationale 40 ( * ) : « j'ai rencontré le président et le directeur général du RSI, et je leur ai effectivement indiqué qu'il serait préférable qu'une indemnité de départ à la retraite soit reconfigurée dans le cadre de l'action sociale du RSI. Ils me l'ont confirmé oralement lors de cette réunion. Aussi leur ai-je écrit une lettre pour leur demander de me faire des propositions d'ici la fin de l'année . Ils y ont donné suite en commençant à travailler avec mon cabinet ».

Vos rapporteurs spéciaux notent toutefois qu' il ne s'agit, à ce stade, que d'une position de principe . Or le président du RSI, Gérard Quevillon, avait précédemment exprimé son attachement au maintien de l'IDD, considérée comme « un soutien individuel important au moment de son départ à la retraite, alors que c'est un effort modeste de la solidarité nationale à l'égard de personnes qui ont joué un rôle économique et social majeur, dans les centres villes et les villages 41 ( * ) ». Par ailleurs, vos rapporteurs spéciaux rappellent que les caisses régionales du RSI ont connu , depuis le passage à un interlocuteur social unique en 2008 42 ( * ) , de graves dysfonctionnements qui ont compliqué les relations avec leurs affiliés , comme l'ont montré nos collègues sénateurs Jean-Noël Cardoux et Jean-Pierre Godefroy dans leur rapport du 11 juin 2014 intitulé « Régime social des indépendants : 8 ans après la réforme, restaurer la confiance ».

Compte tenu de ces éléments, vos rapporteurs spéciaux seront très attentifs à ce que les fonds disponibles de l'action sociale du RSI soient effectivement utilisés conformément aux engagements pris par le Gouvernement .

Vos rapporteurs spéciaux vous proposent d'adopter cet article sans modification.


* 22 Loi n° 81-1160 du 30 décembre 1981 de finances pour 1982.

* 23 Décret n° 82-307 du 2 avril 1982 fixant les conditions d'attribution de l'aide prévue en faveur de certaines catégories de commerçants et artisans par l'article 106 de la loi de finances pour 1982.

* 24 Les conditions de ressources s'appuient sur la moyenne des ressources annuelles professionnelles et non professionnelles des demandeurs sur les cinq années d'activité précédant la demande d'aide.

* 25 Décret n° 2007-477 du 29 mars 2007 modifiant le décret n° 82-307 du 2 avril 1982 fixant les conditions d'attribution de l'aide prévue en faveur de certaines catégories de commerçants et artisans par l'article 106 de la loi de finances pour 1982.

* 26 Arrêté du 13 août 1996 relatif aux règles générales d'attribution de l'aide instituée en faveur des commerçants et artisans par l'article 106 de la loi de finances pour 1982.

* 27 Arrêté du 30 décembre 2004 relatif aux règles générales d'attribution de l'aide instituée en faveur des commerçants et artisans par l'article 106 de la loi de finances pour 1982.

* 28 La composition des commissions d'attribution locales est fixée par arrêté préfectoral.

* 29 La taxe d'aide au commerce et à l'artisanat (TACA) était assise sur la superficie des grandes surfaces de plus de 400 mètres carrés, construites depuis la 1 er janvier 1960 et dont le chiffre d'affaires était supérieur à 460 000 euros. Aux termes du décret n° 95-85 du 26 janvier 1995, cette taxe était perçue par la Caisse nationale de l'Organisation autonome d'assurance vieillesse des professions industrielles et commerciales (ORGANIC). La TACA a été remplacée par la taxe sur les surfaces commerciales (TASCOM) par la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie (LME).

* 30 Loi n° 2002-1575 du 30 décembre 2002 de finances pour 2003.

* 31 Arrêté du 17 avril 2007 modifiant l'arrêté du 30 décembre 2004 relatif aux règles générales d'attribution de l'aide instituée en faveur des commerçants et artisans par l'article 106 de la loi de finances pour 1982.

* 32 Société à responsabilité limitée.

* 33 Entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée.

* 34 Le montant des aides accordées au titre de l'année 2013 s'est élevé à 14,27 millions d'euros.

* 35 Cf. rapport spécial de Jean-Louis Gagnaire, annexe n° 20 au rapport n° 2234 fait par Valérie Rabault, rapporteure générale, sur le projet de loi de finances pour 2015, 9 octobre 2014.

* 36 Convention d'objectifs et de gestion (COG) du RSI signée avec l'État pour la période 2012-2015.

* 37 Source : convention d'objectifs et de gestion (COG) 2012-2015 entre l'État et le RSI.

* 38 Cf. rapport spécial de Jean-Louis Gagnaire, annexe n° 20 au rapport n° 2234 fait par Valérie Rabault, rapporteure générale, sur le projet de loi de finances pour 2015, 9 octobre 2014.

* 39 Source : Assemblée nationale, compte-rendu des débats du 5 novembre 2014.

* 40 Source : Assemblée nationale, compte-rendu des débats du 5 novembre 2014.

* 41 Source : communiqué de presse du RSI du 1 er octobre 2014.

* 42 Ordonnance n o 2005-1529 du 8 décembre 2005 instituant un interlocuteur social unique pour les indépendants.