Mme Teura Iriti et M. Georges Patient, rapporteurs spéciaux

IV. DES CRÉDITS NE REPRÉSENTANT QU'UNE PARTIE DE L'EFFORT EN FAVEUR DES OUTRE-MER

A. LA DÉFISCALISATION, PRINCIPAL OUTIL DE LA POLITIQUE ULTRAMARINE DE L'ÉTAT

1. Une dépense fiscale s'élevant à près de 4 milliards d'euros en 2015

Il convient tout d'abord de rappeler que le périmètre de la mission « Outre-mer » ne couvre qu'une partie du total de la dépense en faveur des territoires ultramarins.

Les dispositifs de défiscalisation représentent ainsi plus de 3,8 milliards d'euros (cf. tableau ci-après) et constituent, à ce titre, le principal outil de la politique de l'État en faveur des outre-mer.

Cependant, ainsi que le précisaient nos collègues Eric Doligé et Serge Larcher dans un rapport de 2013 2 ( * ) , cette dépense fiscale est essentiellement mobilisée dans les départements d'outre-mer et cet écart semble se creuser. Ils relevaient ainsi qu'en 2012, six fois plus d'agréments ont été accordés dans les DOM que dans les COM, ainsi que le montre le tableau ci-dessous.

Évolution du nombre d'agréments et du montant d'investissements agréés
par territoire (2009-2012)

Source : bureau des agréments et rescrits

L'effort fiscal en faveur de l'outre-mer connaît une hausse en 2015 par rapport à la loi de finances pour 2014 d'environ 45 millions d'euros.

Vos rapporteurs spéciaux regrettent toutefois que, pour la troisième année consécutive, le Gouvernement n'ait pas été en mesure de présenter un chiffrage du montant prévisionnel de la dépense en faveur du logement social. Cette absence est regrettable dans la mesure où le coût de ce dispositif représentait près de 300 millions d'euros en 2013.

Le coût des principales dépenses fiscales rattachées à la mission « Outre-mer »

(en millions d'euros)

Dispositif

Base légale

Impôt concerné

Chiffrage

pour 2013

Chiffrage pour 2014

Chiffrage pour 2015

Taux de TVA minoré

Art. 296 du code général des impôts (CGI)

TVA

1 160

1 270

1 290

Défiscalisation des investissements productifs

Art. 199 undecies B du CGI

IR

377

310

nc

Défiscalisation des investissements en matière de logement

Art. 199 undecies A et 199 undecies D du CGI

IR

277

220

157

Défiscalisation dans le logement social

Art. 199 undecies C

IR

299

280

nc

Réduction du barème de l'impôt sur le revenu

Art. 197-I-3 du CGI

IR

325

320

330

Défiscalisation des investissements productifs

Art. 217 undecies et 217 duodecies du CGI

IS

180

175

nc

Exonération de certains produits et matières premières ainsi que des produits pétroliers

Art. 295 du CGI

TVA

185

180

180

TVA dite « non perçue récupérable »

Art. 295 A du CGI

TVA

100

100

100

Exclusion du champ d'application de la TIPP

Art. 267 du code des douanes

TICPE

740

750

828

Crédit d'impôt pour les investissements productifs

Art. 244 quater W du CGI

IR et IS

-

-

nc

Crédit d'impôt pour les investissements dans le logement social

Art. 244 quater X du CGI

IS

-

-

nc

Autres dépenses fiscales rattachées à la mission

215

217

217

Total (en estimant constants, en 2015, le coût des dispositifs non chiffrés)

3 858

3 822

3 867

Source : projet annuel de performances annexé au projet de loi de finances pour 2015

2. Les dispositifs de défiscalisation ont fait l'objet de réformes nombreuses et importantes

Les principales modifications apportées aux dispositifs fiscaux spécifiques
à l'outre-mer depuis 2009

Loi

Articles du CGI visés

Modification apportée

2009-594

du

27 mai 2009

Article 295 A du CGI

Limitation du dispositif de la TVA non perçue récupérable aux seuls biens d'investissement neufs

2010-1657 du 29 décembre 2010

Articles 199 undecies B et 217 undecies du CGI

Exclusion des installations de production d'électricité utilisant l'énergie radiative du soleil du champ d'application du dispositif d'aide à l'investissement productif

2010-1657 du 29 décembre 2010

Article 199 undecies B du CGI

Diminution du taux de réduction d'impôt accordé au contribuable dans le cadre de l'aide à l'investissement productif (augmentation du taux de rétrocession et diminution du montant plafond d'avantage fiscal à l'impôt sur le revenu)

2010-1657 du 29 décembre 2010

Article 199 undecies A du CGI

Diminution du taux d'avantage pour le dispositif d'aide à l'investissement dans le secteur du logement (hors social)

2010-1657 du 29 décembre 2010

Article 199 undecies D du CGI

Diminution du plafond annuel d'imputation des réductions d'impôt dans le cadre d'investissements relevant du logement (hors social), du secteur productif et du logement locatif social

2011-1977 du 28 décembre 2011

Article 217 bis du CGI

Suppression du dispositif d'abattement

2011-1977 du 28 décembre 2011

Article 199 undecies B du CGI

Diminution du taux de réduction d'impôt accordé au contribuable dans le cadre de l'aide à l'investissement productif et du montant plafond de l'avantage fiscal à l'impôt sur le revenu, sans modification du taux de rétrocession

2011-1977 du 28 décembre 2011

Article 199 undecies A du CGI

Diminution du taux d'avantage pour le dispositif d'aide à l'investissement dans le secteur du logement (hors social)

2011-1977 du 28 décembre 2011

Article 199 undecies D du CGI

Diminution du plafond annuel d'imputation des réductions d'impôt dans le cadre d'investissements relevant du logement (hors social) et du secteur productif

2012-1509

du

29 décembre 2012

article 200-0 A du CGI

Diminution du plafond global des avantages fiscaux

2013-1278 du 29 décembre 2013

(article 21)

Articles 199 undecies B, 199 undecies C, 217 undecies , 217 duodecies , 244 quater W et 244 quater X du CGI

-Suppression de la défiscalisation en matière productif pour les entreprises dont le chiffre d'affaires dépasse 20 millions d'euros et création d'un crédit d'impôt

-Création d'un crédit d'impôt optionnel pour le logement social

-Augmentation des taux de rétrocession (investissement productif et logement social)

-Obligation de financement des logements sociaux par une subvention publique à hauteur d'une fraction minimale de 5%

-Programmation pluriannuelle par territoire de la construction de logements sociaux

-Restriction de l'aide fiscale dans le secteur des concessions de services publics aux seuls biens immobilisés plus de 5 ans

-Encadrement des investissements de renouvellement (déduction de la base éligible de la valeur du bien remplacé)

-Exclusion des véhicules soumis à la taxe sur les véhicules de sociétés non strictement indispensables à l'exploitation

Source : réponse au questionnaire budgétaire

Le ministère des outre-mer a indiqué à vos rapporteurs spéciaux que les réformes intervenues sur ces différents dispositifs se sont déjà traduites par des économies significatives.

Ainsi, la suppression de la défiscalisation pour les investissements photovoltaïques ainsi que le « coup de rabot » de 10 % sur le taux de l'avantage fiscal prévus dans le loi de finances pour 2013 ont permis une économie de près de 230 millions d'euros.

De même, le bénéfice issu de la suppression de l'abattement d'un tiers sur les résultats provenant d'exploitations situées dans les départements d'outre-mer a été chiffré à 185 millions d'euros.

Enfin, la limitation du dispositif de la TVA non perçue récupérable aux seuls biens d'investissements neufs s'est traduite par une économie estimée à 60 millions d'euros.

Il convient de souligner que les dispositions de l'article 21 de la loi de finances pour 2014, qui prévoyaient notamment la création de deux nouveaux crédits d'impôt en faveur de la réalisation d'investissements dans les départements d'outre-mer dans le secteur productif (article 244 quater W du code général des impôts) et en faveur du logement social (article 244 quater X du code général des impôts) à compter du 1 er juillet 2014, ne sont pas encore entrées en vigueur, la Commission européenne ne s'étant pas encore prononcée sur leur conformité avec le droit communautaire. Elles n'ont, par conséquent, pas encore pu avoir d'impact budgétaire.

Vos rapporteurs spéciaux se félicitent qu'il ne soit pas prévu, en 2015, de réforme des dispositifs fiscaux en faveur de l'outre-mer ainsi que les rapporteurs spéciaux de votre commission des finances en avait émis le souhait dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2014.

En effet, pour être efficaces, ces dispositifs doivent assurer aux investisseurs une visibilité à moyen, long terme, incompatible avec la modification régulière des dispositions qui les règlementent, qu'il s'agisse de leurs critères d'exigibilité, des taux applicables ou de leur maintien même.

B. UN EFFORT BUDGÉTAIRE ET FINANCIER GLOBAL DE L'ÉTAT EN LÉGÈRE PROGRESSION

La politique transversale de l'État outre-mer est portée par 85 programmes relevant de 26 missions, auxquels s'ajoutent les prélèvements sur recettes.

Elle se décline en six axes :

- développer l'emploi, la production et l'investissement outre-mer ;

- offrir une véritable égalité des chances à la jeunesse outre-mer ;

- garantir la sécurité des citoyens outre-mer ;

- améliorer les conditions de vie des citoyens outre-mer ;

- favoriser le développement durable des territoires en partenariat avec les collectivités ;

- valoriser les atouts des outre-mer.

Comme le montre le tableau ci-après, l'effort global en faveur des outre-mer atteindra, en 2015, 14,25 milliards d'euros, soit une augmentation de 0,3 %, après une baisse de 1,2 % en 2014. L'effort budgétaire et financier de l'État, toutes missions confondues, est cependant inégalement réparti selon les collectivités.

Par ailleurs, si les crédits en faveur des outre-mer augmentent globalement, ceux consacrés à six collectivités connaissent une diminution tandis qu'ils augmentent pour six autres.

Évolution des autorisations d'engagement de la politique transversale « Outre-mer » (tous titres)

(en millions d'euros)

Autorisations d'engagement

Évolution

2013

2014

2015

2014/2013

2015/2014

Guadeloupe

2 378

2 310

2 344

- 2,9 %

1,4 %

Guyane

1 603

1 585

1 563

- 1,1 %

- 1,4 %

Martinique

2 184

2 128

2 141

- 2,5 %

0,6 %

Saint-Martin

55

53

53

- 2,8 %

- 0,6 %

Saint-Barthélemy

3

3

2

- 10,0 %

- 0,1 %

La Réunion

4 553

4 445

4 418

- 2,4 %

- 0,6 %

Mayotte

789

770

798

- 2,4 %

3,6 %

Nouvelle-Calédonie

1 187

1 240

1 214

4,4 %

- 2,1 %

Polynésie française

1 230

1 270

1 326

3,3 %

4,3 %

Wallis-et-Futuna

88

84

84

- 4,7 %

0,4 %

Saint-Pierre-et-Miquelon

79

75

78

- 4,6 %

3,7 %

TAAF

23

24

22

2,6 %

- 7,0 %

Crédits non répartis

194

212

205

9,1 %

- 3,1 %

Total

14 366

14 199

14 248

- 1,2 %

0,3 %

Source : document de politique transversale « Outre-mer » annexé au présent projet de loi de finances

Les missions « Enseignement scolaire » (33,2 %), « Outre-mer » (14,7 %), « Relations avec les collectivités territoriales (13,3 %) et « Sécurités (7,3 %) représentent plus des deux tiers de l'effort budgétaire de l'État en outre-mer (cf. graphique ci-après).

Répartition par mission de l'effort budgétaire et financier de l'État
en faveur des outre-mer

Source : document de politique transversale « Outre-mer » annexé au présent projet de loi de finances

Il convient cependant de noter que, hors dépenses de personnel, le montant des AE consacrées à l'outre-mer diminue de 0,6 % en 2015, après une diminution de 2,8 % en loi de finances pour 2014 (cf. tableau ci-après). La hausse des crédits globaux en faveur des territoires ultramarins est, par conséquent, essentiellement imputable à une hausse des dépenses de personnel qui atteindront, en 2015, 7,26 milliards d'euros (soit une augmentation de 1,2 % par rapport à la loi de finances pour 2014). Au total, les dépenses de personnel représentent près de 51 % de la dépense de l'État en faveur des outre-mer en 2015. Comme le montre le tableau ci-après, l'essentiel des effectifs est porté par la mission « Enseignement scolaire » (528 521 ETP sur 100 359 ETP, soit 58,3 %).

Les crédits de titre 6 (intervention) représentent quant à eux près de 5,7 milliards d'euros, soit environ 40 % du total des crédits en faveur des territoires ultramarins.

Évolution des autorisations d'engagement de la politique transversale « Outre-mer » inscrites en loi de finances initiale (hors titre 2)

(en millions d'euros)

Autorisations d'engagement

Évolution

2013

2014

2015

2014/2013

2015/2014

Guadeloupe

1 314

1 248

1 266

- 5,0 %

1,5 %

Guyane

710

680

654

- 4,3 %

- 3,8 %

Martinique

1 170

1 128

1 129

- 3,6 %

0,1 %

Saint-Martin

36

34

34

- 4,6 %

- 0,9 %

Saint-Barthélemy

0,6

0,3

0,3

- 46,1 %

- 0,1 %

La Réunion

2 581

2 474

2 420

- 4,1 %

- 2,2 %

Mayotte

333

290

311

- 12,8 %

7,1 %

Nouvelle-Calédonie

433

478

448

10,2 %

- 6,2 %

Polynésie française

418

446

481

6,7 %

7,9 %

Wallis-et-Futuna

29

27

26

- 9,3 %

- 1,4 %

Saint-Pierre-et-Miquelon

35

32

35

- 7,3 %

7,3 %

TAAF

15

16

14

5,0 %

- 9,6 %

Crédits non répartis

156

178

172

14,4 %

- 3,7 %

Total

7 231

7 031

6 990

- 2,8 %

- 0,6 %

Source : document de politique transversale « Outre-mer » annexé au présent projet de loi de finances


* 2 « L'aide fiscale à l'investissement outre-mer, levier incontournable du développement », rapport d'information n° 628 (2012-2013) fait au nom de la commission des affaires économiques et de la délégation sénatoriale à l'outre-mer.