Mme Teura Iriti et M. Georges Patient, rapporteurs spéciaux

DEUXIÈME PARTIE
LES PRINCIPAUX ENJEUX DE LA MISSION « OUTRE-MER »

I. LE SOUTIEN AUX ÉCONOMIES ULTRAMARINES

A. LES EXONÉRATIONS DE CHARGES : PRINCIPAL INSTRUMENT DE LA POLITIQUE DE SOUTIEN À L'EMPLOI OUTRE-MER

1. Un dispositif recentré en 2014

Le dispositif d'exonérations de charges sociales spécifique à l'outre-mer a été créé par la loi n° 94-638 du 25 juillet 1994 tendant à favoriser l'emploi, l'insertion et les activités économiques dans les départements d'outre-mer, à Saint-Pierre-et-Miquelon et à Mayotte. Il vise à réduire le coût du travail afin de favoriser le développement de l'emploi dans ces territoires.

En 2005, les crédits alloués à la compensation des exonérations de cotisations sociales outre-mer ont fait l'objet d'un transfert du ministère chargé de l'emploi au ministère des outre-mer.

Ce dispositif constitue un outil essentiel de la politique de l'État en faveur des outre-mer. Il représente, à lui seul, plus de la moitié des crédits de paiement de la mission « Outre-mer » (1,13 milliard d'euros).

L'article 130 de la loi de finances pour 2014 a procédé à une diminution des exonérations de charges pour les entreprises ultramarines , prévues à l'article L. 752-3-2 du code de la sécurité sociale, dans un objectif de recentrage de cette dépense sur les bas salaires.

L'économie attendue s'élève à 90 millions d'euros en 2014 et à 108 millions d'euros en régime de croisière , par rapport à l'évolution de la dépense en l'absence de réforme.

2. La question récurrente de la dette vis-à-vis des organismes de sécurité sociale

L'action 01 « Soutien aux entreprises » du programme 138 « Emploi outre-mer » est constituée pour l'essentiel des crédits destinés à compenser le coût des exonérations de charges sociales spécifiques aux territoires ultramarins aux organismes de sécurité sociale (régime social des indépendants, Caisse centrale de mutualité sociale agricole, Agence centrale des organismes de sécurité sociale, Établissement national des invalides de la marine et Caisse de protection sociale de Saint-Pierre-et-Miquelon).

Le montant cumulé des impayés de l'État aux organismes de sécurité sociale au titre des exonérations spécifiques à l'outre-mer s'élevait, fin 2013, à 75,5 millions d'euros.

Vos rapporteurs spéciaux partagent le constat de la Cour des comptes qui rappelait, dans son analyse de l'exécution du budget de la mission « Outre-mer » pour l'exercice 2013, que si « au sens strict de la comptabilité publique, il n'existe pas de charges à payer envers les organismes de sécurité sociale [...]. La présence d'un écart témoigne cependant bel et bien d'un service fait par les organismes de sécurité sociale qu'il conviendrait d'honorer ».

Si l'évaluation des crédits nécessaires n'est pas aisée compte tenu de la difficulté rencontrée par les organismes de sécurité sociale pour estimer leurs besoins, il serait toutefois souhaitable que le montant des crédits inscrits en loi de finances soit réellement en mesure, d'une part, d'assurer la compensation des exonérations de charges sociales et, d'autre part, de permettre l'apurement des dettes antérieures.

Or, d'après les informations recueillies par vos rapporteurs spéciaux auprès du ministère du budget, si les crédits proposés en loi de finances prennent généralement en compte les besoins exprimés par les organismes de sécurité sociale, éventuellement majorés ou minorés en fonction des évolutions liées aux modifications apportées au dispositif des exonérations de charges sociales ou à l'évolution de paramètres macroéconomiques intervenant après l'estimation des besoins, depuis 2011, aucune mesure n'a été prise pour permettre l'apurement de la dette antérieure.

Écarts entre les besoins exprimés par les organismes de sécurité sociale
et les versements réalisés

(en millions d'euros)

Année

Besoins exprimés

Versements effectués par le ministère des Outre-mer

Écarts annuels

2010

1 048

1 045

3

2011

1 061

1 054

7

2012

1 143

1 118

25

2013

1 218

1 208

10

Source : Cour des comptes à partir de données de la Direction générale des Outre-mer

Le ministère des outre-mer a néanmoins indiqué à vos rapporteurs spéciaux que des dispositions devraient être prises dans le cadre de la programmation triennale en vue d'apurer la dette de l'État envers les organismes de sécurité sociale.

Vos rapporteurs spéciaux seront par conséquent attentifs, à l'occasion de l'examen du projet de loi de règlement, au suivi de cette question. Ils s'attacheront notamment à vérifier que la réforme du dispositif d'exonérations de charges associée à une réduction des cotisations prévue dans le cadre du pacte de responsabilité, qui devrait se traduire par une diminution des exonérations et donc une baisse de la compensation à verser aux organismes de sécurité sociale ainsi que les mesures spécifiques mises en oeuvre auront permis de stabiliser, voire de réduire, la dette à l'égard des organismes de sécurité sociale dans un contexte de diminution des crédits de l'action 01 « Soutien aux entreprises ».

3. La majoration du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi et du crédit d'impôt recherche outre-mer : une mesure bienvenue mais qui ne doit pas remettre en cause le maintien d'autres dispositifs

Bien que le dispositif du crédit d'impôt pour la compétitivité (CICE) et l'emploi ne soit pas financé, en outre-mer, sur des crédits de la présente mission, il convient de rappeler que les entreprises situées dans les départements d'outre-mer, qui pouvaient déjà prétendre à ce dispositif dans les conditions de droit commun, pourront bénéficier d'un taux majoré porté de 6 % à 7,5 % en 2016 pour les rémunérations versées en 2015 et à 9 % en 2017 pour les rémunérations versées en 2016 . Cette mesure devrait se traduire par un gain global pour les entreprises en bénéficiant estimé à 145 millions d'euros la première année et à 230 millions d'euros ensuite (cf. article 43 du présent projet de loi de finances).

Par ailleurs, le Gouvernement a indiqué à vos rapporteurs spéciaux qu'un CICE « renforcé » devrait être mis en place prochainement. Son taux serait ainsi porté à 12 % dans certains secteurs structurants des économies ultramarines, particulièrement exposés à la concurrence.

Par ailleurs, l'article 44 du présent projet de loi de finances prévoit la majoration du taux du crédit d'impôt recherche (CIR) en outre-mer. Destiné à encourager les dépenses en recherche et développement, le CIR permet aux entreprises de déduire une partie du montant de ces dépenses du montant de l'impôt sur les sociétés dont elles sont redevables. Le taux du CIR dans les départements d'outre-mer sera ainsi porté à 50 % contre 30 % actuellement pour les dépenses exposées à compter du 1 er janvier 2015.

La majoration des taux de ces deux crédits d'impôt devrait contribuer à compenser le déficit de compétitivité dont souffrent les entreprises ultramarines. Vos rapporteurs spéciaux souhaitent toutefois que la mise en oeuvre de ces dispositifs ne se traduise pas par une remise en cause d'autres dispositifs de défiscalisation en faveur de l'emploi outre-mer.

B. LES AUTRES DISPOSITIFS DE SOUTIEN AUX ENTREPRISES

L'article 57 du présent projet de loi de finances supprime l'aide à la rénovation des hôtels situés dans les départements d'outre-mer, à Saint-Martin et à Saint-Pierre-et-Miquelon.

1. L'aide au fret

L'aide au fret a été mise en place en 2009 par l'article 24 de la loi pour le développement économique des outre-mer (LODEOM). Devenue pleinement opérationnelle en 2011, le décret d'application n'ayant été publié qu'en décembre 2010, elle vise à compenser une partie des surcoûts supportés par les économies ultramarines du fait de leur éloignement.

Elle s'applique aux entreprises situées dans les DOM, à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin. Les secteurs de l'industrie automobile, des fibres synthétiques, de la sidérurgie, de l'industrie charbonnière et de la pêche sont en revanche exclus du périmètre de l'aide.

La base éligible de l'aide est égale au coût prévisionnel annuel hors taxes des dépenses de transport maritime ou aérien le plus économique, en incluant les assurances, les frais de manutention et de stockage temporaire avant enlèvement. Son montant est limité à 75 % de la base éligible (en incluant le soutien du Fonds européen de développement régional).

Vos rapporteurs spéciaux regrettent que, contrairement à 2014, les crédits de l'aide au fret ne soient pas clairement identifiés dans le présent projet de loi de finances. Ces derniers sont en effet compris dans une sous action « Mesures de soutien aux entreprises » qui ne permet pas une analyse précise de leur évolution.

Vos rapporteurs spéciaux constatent en outre que les crédits consacrés à cette aide pourraient s'avérer insuffisants (6,5 millions d'euros en AE et 7 millions d'euros en CP) au regard de l'exécution des années précédentes (5,1 millions en AE et 3,6  millions en CP en 2013).

En effet, le montant inscrit pour 2015 rassemble les crédits destinés à l'aide au fret, aux « autres mesures de soutien aux entreprises » et aux restes à payer de l'aide à la rénovation hôtelière alors que l'ensemble de ces aides étaient dotées en loi de finances pour 2014 de 25 millions d'euros en AE et de 19,5 millions d'euros en CP.

2. La suppression de l'aide à la rénovation hôtelière à compter du 1er janvier 2015

Instituée par l'article 26 de la loi n° 2009-594 du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer, l'aide à la rénovation hôtelière était octroyée aux établissements hôteliers de plus de quinze ans situés dans les départements d'outre-mer, à Saint-Martin et à Saint-Pierre-et-Miquelon afin d'améliorer la qualité et de moderniser l'offre d'hébergement et d'accueil. Cette aide budgétaire pouvait atteindre un montant maximum de 7 500 euros par chambre dans la limite de 100 chambres par établissement ou 6 500 euros par chambre lorsque l'opération de rénovation n'avait pas pour objectif d'améliorer le classement de l'établissement.

Le présent projet de loi de finances prévoit la suppression de cette aide jugée peu incitative et « de faible impact » au 1 er janvier 2015 (cf. article 57).

Selon les informations communiquées par le Gouvernement à vos rapporteurs spéciaux, ce dispositif était peu utilisé par les entreprises qui privilégient plutôt le recours aux dispositifs de défiscalisation.