Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur spécial

PROGRAMME 203
« INFRASTRUCTURES ET SERVICES DE TRANSPORTS »

I. UN PROGRAMME 203 QUI NE PRÉSENTE QU'UNE PARTIE DES DÉPENSES CONSACRÉES AUX TRANSPORTS EN RAISON DU RÔLE JOUÉ PAR L'AFITF DANS LE FINANCEMENT DES GRANDES INFRASTRUCTURES

A. LA NÉCESSITÉ D'UNE VÉRITABLE MISSION « TRANSPORT » S'IMPOSE AVEC TOUJOURS AUTANT D'ÉVIDENCE

Lors de l'examen des deux précédents projets de loi de finances, votre rapporteur spécial avait plaidé pour qu'une mission à part entière soit consacrée au budget des infrastructures et services de transport, qui représente un enjeu financier et socio-économique considérable pour notre pays.

Force est de constater que cette demande n'a toujours pas été entendue.

Il faut pourtant une nouvelle fois rappeler que, tant d'un point de vue administratif que parlementaire, la politique publique des transports est bien distincte de la politique publique en faveur de l'écologie .

En outre, d'un strict point de vue budgétaire, la grande mission « Écologie, développement et mobilité durables » ne comporte aucune cohérence interne car, contrairement aux autres programmes, le programme 203 « Infrastructures et services de transports » est caractérisé par un apport très significatif de fonds de concours (cf. infra ) et par une budgétisation largement pluriannuelle compte tenu du poids des investissements financés.

Sans revenir sur l'ensemble des arguments déjà développés 2 ( * ) , votre rapporteur spécial réitère donc sa préconisation qui vise à assurer une plus grande lisibilité aux budgets concernés mais aussi à favoriser un vote plus éclairé de la représentation nationale .

B. L'AFITF, UN OUTIL QUI COMPLEXIFIE LE CIRCUIT DE FINANCEMENT DES INFRASTRUCTURES DE TRANSPORT

L'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) est un établissement public administratif de l'État créé en 2004 3 ( * ) dont la tutelle est assurée par la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM).

Elle est administrée par un conseil d'administration composé de douze membres comprenant six représentants de l'État, un député, un sénateur, trois élus locaux et une personnalité qualifiée. Elle est actuellement présidée par le député Philippe Duron, que votre rapporteur spécial a entendu dans le cadre de la préparation du présent rapport.

Comme le rappelle le projet annuel de performances pour 2016, « à partir de 2006, notamment à la suite de l'extension de son domaine d'intervention au financement des contrats de projets État-régions, l'AFITF est devenue l'acteur privilégié du financement de l'ensemble des infrastructures de transport (hors domaine aérien). Son champ d'intervention ne se limite donc pas aux grands projets d'infrastructures d'intérêt national, mais inclut les dépenses de modernisation, de gros entretien et de régénération des réseaux, et, pour les transports collectifs de personnes, les projets portés par les communautés d'agglomération ».

Du point de vue de l'analyse budgétaire, l'Agence est un facteur de complexité .

En effet, pour assurer son financement, l'AFITF bénéficie de taxes qui lui sont affectées par l'État (voir infra ), à qui elle reverse ensuite une partie de son budget sous forme de fonds de concours, en ayant préalablement « fléché » les sommes ainsi reversées vers des projets précis (routes, ferroviaires, fluvial, etc.). Ainsi que le reconnaît l'AFITF, elle est « un opérateur dit ?transparent? » 4 ( * ) , dont les décisions engagent l'État.

Or, les fonds de concours ne sont qu'évaluatifs et, s'agissant de l'AFITF, le Parlement ne dispose pas de son budget initial au moment où il se prononce sur les crédits du présent programme car ledit budget n'est adopté qu'en décembre .

Les fonds de concours

Aux termes de l'article 17 de la loi organique relative aux lois de finances, « les fonds de concours sont constitués [...] par des fonds à caractère non fiscal versés par des personnes morales ou physiques pour concourir à des dépenses d'intérêt public [...]

« Les fonds de concours sont directement portés en recettes au budget général [...] .

« Les recettes des fonds de concours sont prévues et évaluées par la loi de finances. [...]

« L'emploi des fonds doit être conforme à l'intention de la partie versante. À cette fin, un décret en Conseil d'État définit les règles d'utilisation des crédits ouverts par voie de fonds de concours ».

À cet égard, la Cour des comptes rappelle, dans les rapports remis au Parlement en vue de l'examen des projets de loi de règlement, que « la qualité de la programmation n'est toujours pas satisfaisante au regard des principes d'universalité et de sincérité budgétaire . Les documents de programmation budgétaire du programme 203 ne font apparaître ni la totalité des engagements annuels et pluriannuels pris par l'AFITF, ni la répartition des engagements pris par l'AFITF pour le compte de l'État et pour son propre compte » 5 ( * ) .

La Cour des comptes fait également valoir que « l'AFITF étant transparente, l'ampleur du recours à la technique des fonds de concours en provenance de cet établissement permet au ministère de disposer d'une masse de ressources reportables de droit et sans limite, et qui échappe, au moins directement, aux mesures de pilotage de la dépense publique en gestion ».

Si la Cour des comptes plaide pour la suppression de cet opérateur , votre rapporteur spécial estime pour sa part que le conseil d'administration de l'AFITF présente l'avantage de réunir des personnes d'horizons divers (plusieurs administrations centrales, élus locaux, parlementaires, personnalité qualifiée), permettant une décision plus éclairée sur les choix et les priorités des infrastructures à financer.

Néanmoins, elle ne peut manquer de souligner que le circuit budgétaire du financement des infrastructures, mais aussi la multiplicité des organismes (SNCF Réseau, Voies navigables de France, grands ports, collectivités territoriales, etc.), rendent très difficile - voire impossible - de savoir quel est le montant effectivement consacré aux infrastructures de transport en France .

C. LA SITUATION FINANCIÈRE DE L'AFITF DEMEURE PRÉOCCUPANTE

Les recettes de l'AFITF sont constituées par différentes taxes affectées . Depuis 2015, elle ne reçoit plus de subvention d'équilibre de la part de l'État (jusqu'en 2014, ladite subvention était portée par le présent programme 203).

Les ressources de l'AFITF

Les taxes affectées à l'AFITF proviennent exclusivement du secteur routier :

- La redevance domaniale versée par les sociétés concessionnaires d'autoroutes (315 millions d'euros prévus en 2016) ;

- La taxe d'aménagement du territoire (TAT) prélevée par les concessionnaires d'autoroute (566 millions d'euros prévus en 2016) ;

- Une partie du produit des amendes des radars automatiques du réseau routier national (230 millions d'euros prévus en 2016) ;

- Une fraction du produit de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE - 715 millions d'euros prévus en 2016), en remplacement de l'écotaxe poids lourds.

Suite au protocole d'accord conclu le 9 avril dernier, l'AFITF perçoit également depuis 2015 une contribution volontaire exceptionnelle des sociétés concessionnaires d'autoroutes pour un montant total de 1,2 milliard d'euros courants sur la durée des concessions autoroutières répartis en fonction du trafic de chaque concession. Ainsi, 100 millions d'euros seront versés chaque année à l'AFITF de 2015 à 2017 puis le reliquat sera versé progressivement jusqu'en 2030.

Source : AFITF

À l'heure où votre rapporteur spécial rédigeait le présent rapport, le budget de l'AFITF n'était pas encore arrêté (il ne le sera qu'au mois de décembre).

Cependant, selon les premiers éléments qui lui ont été transmis, l'AFITF disposerait, en crédits de paiement, de 1 855 millions d'euros pour ses dépenses d'intervention en 2016, de 47,1 millions d'euros au titre de la créance Dailly cédée aux banques par Ecomouv' et reprise en charge par l'État (voir infra ), de 24 millions d'euros pour le remboursement d'une avance consentie par l'Agence France Trésor (AFT) en 2009 et d'un budget de fonctionnement inchangé à 760 000 euros, soit un budget total de 1 926,9 millions d'euros .

Le financement des infrastructures de transport se caractérise par sa pluri-annualité . Qu'il s'agisse de l'État ou de l'AFITF, les projets engagés une année font l'objet de décaissements réguliers les années suivantes tout au long de leur réalisation.

D'après les documents transmis à votre rapporteur spécial, l'AFITF a engagé 33 milliards d'euros depuis sa création.

L'équilibre financier de l'AFITF apparaît pour le moins instable car elle doit faire face à ses engagements passés pour des montants très substantiels. Fin 2015, une somme d'environ 11,85 milliards d'euros concernant à 63 % le mode de transport ferroviaire restait ainsi à mandater , soit un montant correspondant à plus de six exercices au regard du budget actuel de l'AFITF.

Montants des restes à payer par l'AFITF en fin d'exercice

Restes à payer par mode (en millions d'euros)

2012

2013

2014

2015

Routier

2 027

2 709

2 252

2 239

Ferroviaire

8 539

8 574

8 025

7 595

Fluvial et maritime

201

205

177

201

Transports collectifs d'agglomération

1 372

1 420

1 151

1 218

Divers

3 546

3 555

3 547

591

Total

15 685

16 463

15 152

11 844

Source : AFITF

Plus inquiétant, l'Agence ne parvient plus à faire face au rythme des paiements .

Entendu par votre rapporteur spécial, Philippe Duron, président de l'AFITF, a indiqué que fin 2014 l'Agence devait encore 677 millions d'euros à RFF , dont 511,7 millions d'euros au titre de la ligne à grande vitesse (LGV) Sud Europe Atlantique et 159 millions d'euros au titre de deuxième phase de la LGV Est. Le paiement de cette dette devrait s'étaler sur trois ans.

Selon Philippe Duron, « le plafonnement envisagé [par l'État pour le budget 2016 de l'AFITF] pour les crédits de paiements à hauteur de 1 855 millions d'euros des dépenses d'intervention, s'il devait être confirmé, ne serait pas compatible avec les besoins de paiements qui, pour les seuls engagements déjà pris se montent à ce niveau pour 2016- ceci sans compter les besoins de paiement générés par les contrats de plan État Région 2015-2020 (270 millions d'euros en 2016), ceux découlant du troisième appel à projets désormais lancé, (au minimum 15 millions d'euros en 2016), ni les besoins de paiement de l'ordre de 60 millions euros en plus à prévoir en 2016 découlant des engagements récurrents de l'AFITF qui sont à prévoir en 2016 comme les années précédentes (régénération des routes, sécurisation des tunnels et du réseau routier hors tunnels, sécurité ferroviaire, régénération du réseau fluvial...).

« Soit en tout un total de besoin de paiements en 2016 de 2 200 millions d'euros , toujours sans compter les grands projets annoncés, en particulier le canal Seine Nord-Europe et le projet de nouvelle liaison ferroviaire Lyon Turin.

« La capacité pour l'AFITF de prendre en 2016 de nouveaux engagements sera étroitement subordonnée au desserrement de la contrainte évoquée ci-dessus pour les crédits de paiement, et donc à l'attribution de ressources supplémentaires pour l'Agence. »

SI l'Agence devra limiter ses engagements sur les projets de nouveaux pour retrouver quelques marges de manoeuvre financières , votre rapporteur spécial estime que le niveau de ses recettes devrait être relevé en 2016 et maintenu au même niveau qu'en 2015 (voir infra ) .

Ceci apparaît d'autant plus urgent que deux projets colossaux, à savoir le canal Seine-Nord Europe et le tunnel ferroviaire Lyon-Turin, devront bientôt être financés.

D. LA FIN DU FEUILLETON DE L'ÉCOTAXE : UNE CHARGE DE 969,2 MILLIONS D'EUROS POUR L'AFITF

L'écotaxe devait être une ressource pérenne affectée à l'Agence de financements des infrastructures de transport de France (AFITF) pour un montant net d'un peu moins de 800 millions d'euros par an . L'article 16 de la loi n° 2014-891 du 8 août 2014 de finances rectificative pour 2014 l'avait par la suite largement vidée de sa substance en la transformant en un péage de transit poids lourds qui n'aurait rapporté à l'AFITF que 200 à 300 millions d'euros par an.

Pour assurer le prélèvement de l'écotaxe, le Gouvernement de l'époque avait conclu un contrat d'une durée de 13 ans et 3 mois avec le consortium Ecomouv' 6 ( * ) le 20 octobre 2011 à l'issue d'un appel d'offres dont le résultat avait été contesté devant le Conseil d'État le 7 septembre 2011.

Ce contrat prévoyait que le prestataire bénéficierait d'une rémunération de 230 millions d'euros hors taxes par an pendant 12 ans et engageait l'AFITF à verser à l'État des fonds de concours s'élevant à un total de 3,4 milliards d'euros courants en versements trimestriels à compter de la mise en place du dispositif.

Les missions confiées par l'État à Ecoumouv' en vertu
du contrat du 20 octobre 2011

- Le financement, la conception, la réalisation, l'exploitation, l'entretien et la maintenance du dispositif nécessaire à la perception et au contrôle de l'écotaxe poids lourds nationale et de la taxe expérimentale alsacienne, y compris le dispositif de traitement automatisé et la mise à disposition des redevables d'équipements électroniques embarqués ;

- La collecte de l'ensemble des informations nécessaires à l'établissement de l'écotaxe poids lourds nationale, la facturation aux redevables et aux sociétés habilités de télépéage, le recouvrement des sommes facturées et le reversement à l'État ;

- Le financement, la conception, la réalisation, l'exploitation, l'entretien et la maintenance des appareils de contrôle permettant de détecter les véhicules en situation irrégulière au regard de l'écotaxe poids lourds nationale et à la taxe expérimentale alsacienne ;

- La constatation des manquements détectés au moyen des appareils homologués de contrôle automatique et la notification aux redevables concernés, ou le cas échéant à leur société habilité de télépéage, de la taxation forfaitaire, des éventuels frais de dossier ainsi que le recouvrement des sommes dues, à l'exception du recouvrement forcé ;

- L'information et l'assistance aux redevables (abonnés et non-abonnés) et aux agents de l'État.

Source : projet annuel de performances pour 2016

La suspension du contrat par le Gouvernement le 29 octobre 2013 a entraîné la signature d'un protocole d'accord le 20 juin 2014 prévoyant un arrêt temporaire des paiements envers Ecomouv'.

Puis l'annonce le 30 octobre 2014 de la résiliation du contrat a conduit à la signature, le 18 février 2015, d'un avenant n° 1 à la convention du 20 octobre 2011 précitée.

Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2015, votre rapporteur spécial avait estimé à 830 millions d'euros environ la somme totale que devrait débourser l'État suite au « fiasco » de l'écotaxe.

L'ardoise est en réalité beaucoup plus lourde, puisqu'elle s'élèvera à 969,2 millions d'euros entièrement financés par l'État, donc par le contribuable, via l'AFITF.

Ce montant recouvre notamment :

- l'indemnité totale versée à la société Ecomouv', soit 395,1 millions d'euros ;

- les frais de rupture des SWAP pour 11 millions d'euros ;

- le rachat aux sociétés habilitées de télépéage (SHT) des équipements embarqués, soit 142 millions d'euros ;

- le montant des créances Dailly 7 ( * ) détenues par les établissements de crédit sur Ecomouv' pris en charge par l'État en 2015 ( 46,8 millions d'euros ) et de 2016 à 2024 (pour 439,8 millions d'euros ) ;

- le coût des mesures de sauvegarde et d'urgence des dispositifs (serveurs et portiques) pour 10 millions d'euros .

Pour 2015, l'AFITF a décaissé 527,4 millions d'euros le jour même de la conclusion de l'avenant précité auxquels se sont rajoutés les frais de rupture des SWAPS calculés le 26 février (384 782 euros), soit un total de 527,8 millions d'euros .

Le reste à payer au titre de cet avenant est donc de 441,4 millions d'euros . Les paiements s'échelonneront jusqu'en 2024 par tranche d'un peu moins de 50 millions d'euros par an au titre des créances Dailly prises en charge par l'État.

Pour remplacer les recettes que l'AFITF aurait dû percevoir au titre de l'écotaxe et lui permettre de faire face aux décaissements engendrés en 2015 par la résiliation du contrat, la loi n° 2014-1654 du 29 décembre 2014 de finances pour 2015 lui avait affecté la totalité du produit d'une augmentation de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) sur le gazole pour les véhicules légers (2 centimes d'euros par litre) et le déremboursement d'une partie de l'exonération sur le gazole des poids lourds (4 centimes d'euros par litre), soit la somme de 1 139 millions d'euros pour l'année 2015.

Les décaissements liés à la résiliation du contrat liant l'État à Ecomouv' étant nettement moins importants en 2016, l'article 14 du présent projet de loi de finances prévoit que l'État n'affectera l'an prochain à l'AFITF qu'une fraction du rehaussement de la TICPE, soit un montant de 715 millions d'euros .

Étant donné que la situation financière de l'AFITF est très dégradée, et ce, depuis de nombreuses années (voir supra ), votre rapporteur spécial estime pour sa part qu'il sera nécessaire de lui affecter de nouveau en 2016 l'intégralité du rehaussement de la TICPE .

Dans cette perspective, elle déposera un amendement à l'article 14 du projet de loi de finances afin de garantir à l'AFITF un financement à hauteur de ses besoins, évalués par Philippe Duron à 2,2 milliards de crédits d'intervention .


* 2 Rapport au nom de la commission des finances, n° 156, Tome III, annexe 10 b (2013-2014), fait par Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur spécial, p. 9 et s.

* 3 Par le décret n° 2004-1317 du 26 novembre 2004.

* 4 AFITF, Rapport d'activité 2014, octobre 2015.

* 5 Cour des comptes, Analyse de l'exécution du budget de l'État par mission et par programme, exercice 2013, Écologie, développement et aménagement durables, mai 2014.

* 6 Mené par la société Autostrade per l'Italia, il était également composé des sociétés SNCF, SFR, STERIA et Thales.

* 7 La cession de créances Dailly est une convention en vertu de laquelle un créancier (ici, Ecomouv') transmet sa créance qu'il détient sur l'un de ses débiteurs (l'État, dans le cas d'espèce) à des établissements de crédit.