M. Maurice Vincent, rapporteur spécial

DEUXIÈME PARTIE
L'AVENIR DU COMPTE D'AFFECTATION SPÉCIALE

I. UNE RENTABILITÉ DU PORTEFEUILLE DURABLEMENT ORIENTÉE À LA BAISSE

Schématiquement, la rentabilité d'un investissement boursier peut être évaluée en faisant la somme, rapportée au prix d'achat de l'action :

- de la plus ou moins-value en capital , qui correspond à la différence entre le prix d'achat du titre et son cours actuel ;

- des revenus de détention , c'est-à-dire des revenus perçus par l'investisseur en tant qu'actionnaire, le plus souvent sous la forme de dividendes.

En 2016, la rentabilité totale du portefeuille de l'État actionnaire, qui intègre les plus-values latentes ou réalisées ainsi que les dividendes distribués, devrait de nouveau être négative .

Évolution de la rentabilité totale
du portefeuille de l'État actionnaire

(en %)

2014

2015

2016

(prévision LFI 2016)

2016

(prévision actualisée)

Rentabilité totale

2,78 %

- 9,82 %

6 %

- 5 %

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Pour comprendre les causes de cette évolution défavorable de la performance globale du portefeuille de l'État actionnaire et déterminer si elle a vocation à perdurer, il est donc nécessaire d'examiner successivement l'évolution tendancielle de sa valeur et de son rendement, même si les dividendes versés en numéraire par les entreprises à participations publiques ne transitent pas par le compte spécial mais sont directement imputés sur le budget général.

A. L'ÉVOLUTION DE LA VALEUR DU PORTEFEUILLE DE L'ÉTAT ACTIONNAIRE DÉPENDRA FORTEMENT DU REDRESSEMENT DU SECTEUR ÉNERGÉTIQUE FRANÇAIS

1. La valeur du portefeuille de l'État actionnaire est pénalisée par son biais sectoriel

Entre le 30 juin 2015 et le 30 juin 2016, la valeur du portefeuille de l'État actionnaire a reculé de 23,8 % 41 ( * ) .

Comme l'an passé, cette évolution est sensiblement inférieure à celle des marchés actions , l'indice CAC 40 ayant connu une baisse deux fois moins importante sur la même période (- 11,54 %) 42 ( * ) .

Le Gouvernement souligne néanmoins dans le rapport relatif à l'État actionnaire que cette contre-performance s'explique notamment par « la détérioration générale des indices sur les valeurs énergétiques, auxquelles le portefeuille de l'Agence reste fortement exposé » 43 ( * ) .

Il est vrai que les valeurs énergétiques représentent 51 % du portefeuille de l'État actionnaire. Hors énergie, la valeur du portefeuille affiche ainsi un recul de 7,4 % sur un an , soit une performance supérieure à celle du CAC 40.

Composition sectorielle du portefeuille coté de l'État actionnaire

(en %)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

2. Cette évolution défavorable traduit principalement les difficultés propres à la filière énergétique française

Toutefois, une analyse plus fine suggère que l'évolution défavorable de la valeur du portefeuille de l'État actionnaire s'explique principalement par les difficultés propres au secteur énergétique français .

En effet, les principales valeurs énergétiques du portefeuille affichent une performance moyenne trois fois inférieure à celle de leur benchmark européen 44 ( * ) .

Comparaison de l'évolution de la valeur des entreprises énergétiques françaises par rapport à leur benchmark européen

(en %)

Valeur
au 30 juin 2015

Valeur
au 30 juin 2016

Évolution
sur un an

E.ON

10,83

8,18

- 24 %

Enel

4,06

3,98

- 2 %

Gas Natural

20,34

17,67

- 13 %

Iberdrola

6,04

6,09

1 %

RWE

19,29

14,19

- 26 %

Moyenne du benchmark

-

-

- 13 %

EDF

20

10,97

- 45 %

Engie

17,04

14,55

- 15 %

Areva

7,56

3,25

- 57 %

Moyenne des valeurs françaises

-

-

- 39 %

Source : commission des finances du Sénat (d'après Yahoo ! Finance)

Au total, les valeurs énergétiques européennes se sont globalement comportées comme le CAC 40, suggérant ainsi que l'essentiel de la sous-performance du portefeuille de l'État actionnaire s'explique par les difficultés spécifiques que traversent actuellement les entreprises du secteur français de l'énergie.

Comparaison de l'évolution de la valeur de différents portefeuilles
entre le 30 juin 2015 et le 30 juin 2016

(en %)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires et Yahoo ! Finance)

À l'avenir, il serait souhaitable de disposer de ce type de comparaison pour chacun des cinq principaux secteurs du portefeuille de l'État actionnaire dans le dispositif de performance afin d'apprécier de façon plus fine si l'évolution de la valeur de ce dernier traduit un simple biais sectoriel ou une moindre performance intrinsèque des entreprises françaises.

Cette évolution apparaît d'autant plus nécessaire que la diminution de la valeur du portefeuille s'accompagne d'une baisse de son rendement.

B. LA DIMINUTION DU RENDEMENT DU PORTEFEUILLE DEVRAIT SE POURSUIVRE, AVEC UNE INCIDENCE LIMITÉE SUR LE DÉFICIT MAASTRICHTIEN

1. La dynamique baissière des dividendes perçus par l'État en numéraire observée en 2015 devrait s'accélérer

Compte tenu de la structure du portefeuille actuel de l'État actionnaire, le niveau des dividendes tirés des participations et affectés au budget général dépend principalement de la situation financière de trois entreprises : EDF, Engie et Orange.

Au titre de l'exercice 2010, ces entreprises ont ainsi versé 80 % des dividendes perçus pour l'ensemble du portefeuille.

Décomposition par entreprise des dividendes perçus au titre de l'exercice 2010 par l'État actionnaire pour l'ensemble du portefeuille

(en %)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les réponses au questionnaire budgétaire)

Or, le niveau du dividende versé en numéraire par chacune de ces trois entreprises tend à diminuer.

Avec l'arrivée de Free sur le marché de la téléphonie mobile et la dégradation de la situation macroéconomique, la politique de distribution d'Orange a été revue à la baisse à plusieurs reprises , passant de 1,4 euro par action au titre de l'exercice 2011 à 0,6 euro par action depuis l'exercice 2014, soit une perte de recettes de 285 millions d'euros par an pour le budget général 45 ( * ) .

S'agissant d'EDF, l'entreprise a laissé aux actionnaires l'option de percevoir le dividende 2015 en actions afin de préserver sa trésorerie et de consolider ses fonds propres. L'État a consenti à cette option. Le 22 avril dernier, la reconduction de cette mesure pour les exercices 2016 et 2017 a été décidée dans le cadre d'un plan d'action plus vaste comprenant notamment une réduction des charges opérationnelles et un projet d'augmentation de capital. L'État actionnaire a annoncé qu'il percevra son dividende en actions au titre des exercices 2016 et 2017, comme il avait déjà accepté de le faire au titre de 2015. Pour le budget général, la perte de recettes en année pleine s'élève à 2 milliards d'euros .

S'agissant d'Engie, l'État actionnaire a consenti une première baisse d'un tiers du dividende (de 1,5 euro à 1 euro par action) à compter de l'exercice 2014, soit une perte de recettes d'environ 420 millions d'euros par an pour le budget général à niveau de participation constant 46 ( * ) .

Compte tenu du niveau de distribution élevé du groupe par rapport à ses concurrents et des interrogations concernant la soutenabilité de sa trajectoire financière, dans un contexte marqué par l'évolution défavorable des marchés de l'énergie, Engie a annoncé en février 2016, avec l'accord de l'État actionnaire, une nouvelle baisse de son dividende (de 1 euro à 0,7 euro par action) à compter de l'exercice 2017, en marge d'un plan stratégique à trois ans destiné à recentrer l'entreprise sur les marchés les plus porteurs et les moins volatils. Pour l'État, la perte budgétaire sera de 240 millions d'euros en année pleine.

Au total, si l'on compare le dividende versé par ces trois entreprises au titre de l'exercice 2010 avec celui qui devrait être versé au titre de l'exercice 2017, la baisse s'élève à 2,8 milliards d'euros.

Estimation de l'évolution des dividendes perçus en numéraire
au titre des exercices 2010 et 2017 pour EDF, Engie et Orange

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat

Dans ce contexte, il n'est pas surprenant que le montant global des dividendes tirés des participations de l'État actionnaire et affectés au budget général soit en baisse de 1,1 milliard d'euros en 2015 .

Évolution des dividendes versés au budget général depuis 2010

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Toutefois, l'impact de l'évolution de la politique de distribution des trois entreprises précitées sur les recettes non fiscales du budget général ne se matérialisera complètement qu'en 2018, compte tenu du calendrier de versement des dividendes .

En effet, un acompte au titre de l'exercice en cours est généralement payé aux actionnaires en octobre. Le solde n'est versé que l'année suivante (le plus souvent en juin), une fois le résultat de l'exercice connu. Ainsi, au cours de l'année 2017, l'État percevra le solde du dividende d'Engie au titre de l'exercice 2016 et l'acompte du dividende d'Engie au titre de l'exercice 2017. La baisse du dividende décidée par Engie à compter de l'exercice 2017 ne se matérialisera donc complètement qu'en 2018 dans le budget de l'État.

En 2017, le montant des dividendes en numéraire tirés de ces trois participations devrait donc de nouveau baisser significativement par rapport au niveau de 2015 avec :

- dès 2016, l'impact en année pleine de la décision de percevoir le dividende d'EDF en numéraire (l'an passé, le solde du dividende 2014, versé en numéraire, s'ajoutait à l'acompte versé en actions au titre de l'exercice 2015) ;

- en 2017, l'impact partiel de la baisse du dividende d'Engie via la diminution de l'acompte versé au titre de l'exercice 2017.

Le présent projet de loi de finances prévoit ainsi une diminution de 1,1 milliard d'euros des dividendes versés en numéraire en 2016 par rapport à 2015.

Toutefois, l'impact sur les indicateurs maastrichtiens sera limité , dans la mesure où l'essentiel la baisse attendue entre 2015 et 2017 s'explique par le versement du dividende du versement d'EDF en actions.

2. L'essentiel de la baisse attendue s'explique par le versement du dividende d'EDF sous forme de titres, ce qui n'a pas d'impact sur le déficit maastrichtien

En application de l'article 3 de la loi organique relative aux lois de finances, les dividendes en numéraire sont versés au budget général de l'État - et non au compte d'affection spéciale « Participations financières de l'État ». Dans la mesure où leur versement se traduit par un encaissement budgétaire, les dividendes en numéraire ont donc un impact positif tant sur le solde budgétaire que sur le déficit au sens de Maastricht.

Contrairement aux dividendes en numéraire, les dividendes en actions sont affectés au compte spécial. Du fait de la nature mobilière de ces dividendes, leur versement ne permet pas d'améliorer le solde budgétaire de la loi de finances . Toutefois, si « recevoir des dividendes sous formes de titres ne se traduit pas par un encaissement budgétaire », cette opération « constitue pourtant bien une recette au sens du Système européen des comptes » 47 ( * ) . En effet, que le dividende soit versé en numéraire ou en actions ne modifie en rien le besoin de financement des administrations publiques, l'État actionnaire recevant dans les deux cas un actif financier de même valeur. Lorsque l'Insee corrige le résultat d'exécution des lois de finances pour obtenir le déficit de l'État au sens de Maastricht, les dividendes versés en actions font donc l'objet d'un retraitement. Ainsi, d'un point de vue maastrichtien, il est indifférent pour l'État actionnaire de percevoir un dividende en actions ou en numéraire.

Or, la majorité de la baisse des dividendes perçus en numéraire par l'État attendue d'ici 2017 est liée à EDF et sera compensée par une hausse des dividendes versés en actions, comme en 2015.

Évolution des dividendes versés depuis 2010

(en milliards d'euros)

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016 (prévision)

Dividendes en numéraire

4,3

4,4

3,2

4,2

4,1

3

1,9

Dividendes en actions

0,1

-

1,4

0,2

-

0,9

1,5

Total

4,4

4,4

4,6

4,4

4,1

3,9

3,4

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

En effet, si l'État a accepté de percevoir le dividende d'EDF en actions, le niveau du dividende est resté globalement identique.

Évolution du dividende par action versé par EDF

(en euro par action)

Source : commission des finances du Sénat (d'après EDF)

En 2015, la baisse du dividende par action observée (- 0,15 euro) est compensée en quasi-totalité par le versement d'une « prime de fidélité » de 0,11 euro, lié à la mise en oeuvre d'un dispositif prévoyant le versement d'un dividende majoré de 10 % aux actionnaires détenant leurs titres au nominatif depuis au moins deux années civiles en continu.

En 2017, seul l'impact partiel de la baisse du dividende d'Engie via la diminution de l'acompte versé au titre de l'exercice 2017 devrait donc se traduire par une dégradation du déficit maastrichtien. En supposant que le niveau de l'acompte reste constant (50 % du dividende total), l'impact peut être estimé à 120 millions d'euros.


* 41 Rapport relatif à l'État actionnaire annexé au présent projet de loi de finances, p. 32.

* 42 Ibid.

* 43 Rapport relatif à l'État actionnaire annexé au présent projet de loi de finances, p. 30.

* 44 Les entreprises qui composent ce benchmark sont celles sélectionnées par l'APE pour examiner la politique de distribution d'EDF et d'Engie.

* 45 L'évaluation ne tient pas compte de l'impact de cette évolution sur BpiFrance, dont la participation au capital d'Orange s'élève à 9,6 %.

* 46 Depuis, l'État a mené deux opérations de cessions de titres Engie en 2014 (3,1 % du capital) et en 2015 (0,9 % du capital).

* 47 INSEE, « 3.107 - Passage du résultat d'exécution des lois de finances au déficit de l'État (S13111) au sens de Maastricht », p. 3.