Mercredi 1er juin 2016

-- Présidence de Mme Michèle André, présidente -

Conséquences économiques et budgétaires d'une éventuelle sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne (« Brexit ») - Communication

La réunion est ouverte à 9 h 32.

La commission entend tout d'abord une communication de M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général, sur les conséquences économiques et budgétaires d'une éventuelle sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne (« Brexit »).

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Ce 23 juin aura lieu le référendum britannique sur l'éventuelle sortie de ce pays de l'Union européenne. Il nous a semblé indispensable d'avoir une réflexion sur les conséquences économiques et budgétaires qu'aurait cette sortie. Il ne nous appartient pas, bien évidemment, de nous prononcer sur le « Brexit » même ; c'est du ressort des Britanniques. Il nous a paru utile en revanche d'en examiner les conséquences à la fois pour la France, le Royaume-Uni et l'Union européenne tout entière. Nous avons pour ce faire synthétisé un grand nombre d'études économiques.

En 1944, Winston Churchill déclarait à Charles de Gaulle : « Sachez-le : chaque fois qu'il nous faudra choisir entre l'Europe et le grand large, nous serons toujours pour le grand large ». En ira-t-il ainsi à la fin de ce mois ou bien le référendum du 23 juin connaîtra-t-il la même issue que celui qui avait eu lieu le 5 juin 1975, quand une large majorité des Britanniques avaient fait le choix de rester au sein de la Communauté économique européenne (CEE) ?

La moyenne établie par l'institut What UK Thinks des six sondages les plus récents, publiés durant la seconde quinzaine du mois de mai, fait apparaître que 53 % des personnes interrogées avaient l'intention de voter en faveur du maintien du Royaume-Uni dans l'Union européenne. Toutefois, l'issue du référendum demeure encore incertaine ; en effet, l'euroscepticisme semble s'être renforcé au cours des dernières années, aussi bien dans le débat politique que dans les médias et l'opinion publique - en particulier dans le contexte actuel de crise migratoire.

Un « Brexit » aurait d'importantes conséquences économiques et budgétaires, tant pour le Royaume-Uni lui-même que pour les autres États européens et l'Union elle-même. Ce sont spécifiquement ces conséquences que je me suis attaché à appréhender dans le rapport d'information que je vous présente aujourd'hui. En cela, j'ai voulu poursuivre et compléter les travaux récemment menés par Fabienne Keller au nom de la commission des affaires européenne sur la place du Royaume-Uni dans l'Union européenne ou encore sur les demandes de réforme formulées par ce dernier à la fin de l'année 2015.

Les conséquences économiques d'un éventuel « Brexit » sont pour le moins difficiles à anticiper, tant les incertitudes quant aux modalités d'une sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne sont grandes.

Dans l'éventualité où les Britanniques feraient le choix de se retirer de l'Union européenne, le cadre juridique susceptible de s'appliquer pourrait être celui posé par l'article 50 du traité sur l'Union européenne (TUE) qui a été introduit par le traité de Lisbonne, entré en vigueur en 2009. Toutefois, les conditions concrètes de cette nouvelle procédure restent encore inconnues.

En application de cet article, le Royaume-Uni pourrait engager la négociation d'un accord fixant les modalités de son retrait de l'Union européenne. En principe, la décision du Royaume-Uni de quitter l'Union enclencherait un compte à rebours de deux années à l'issue duquel, à défaut de la conclusion d'un accord de retrait, le pays se trouverait dans la situation d'un simple « tiers » à l'égard des autres États membres. Pour autant, ce délai pourrait être prolongé à la suite d'une décision unanime du Conseil européen.

Quoi qu'il en soit, durant toute la période consacrée aux négociations, le Royaume-Uni demeurerait un membre à part entière de l'Union européenne.

Les modalités juridiques d'un retrait du Royaume-Uni de l'Union restent donc peu définies. En outre, une grande incertitude persiste quant à la nature des relations qui prévaudraient entre l'Union et le Royaume-Uni en cas de « Brexit ».

À ce jour, de nombreuses options peuvent être envisagées. Les trois options principales sont les suivantes : le rattachement du Royaume-Uni à l'Espace économique européen (EEE), à l'instar de la Norvège, de l'Islande ou du Liechtenstein ; la négociation d'un accord bilatéral entre le Royaume-Uni et l'Union européenne, sur le modèle des accords liant la Suisse, la Turquie, ou encore le Canada à cette dernière ; enfin, en l'absence d'accord spécifique entre le Royaume-Uni et l'Union européenne, les relations commerciales seraient encadrées par les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

Le rapport d'information comporte une analyse approfondie de ces différents scénarii ; en particulier, sont considérés pour chacun d'eux le degré d'accès au marché unique, donc aux avantages économiques qui s'y rattachent, les obligations qui y sont associées, notamment en termes de contribution au budget de l'Union et d'application de la législation européenne, ainsi que le niveau d'influence sur l'élaboration de cette dernière. Sans qu'il soit nécessaire d'entrer dans les détails, je rappellerai toutefois quelques éléments.

Tout d'abord, si l'Espace économique européen et, dans une moindre mesure, la relation bilatérale entre l'Union européenne et la Suisse, accordent un large accès au marché unique, les pays concernés contribuent au budget européen et doivent se conformer à une grande partie de la législation européenne sans avoir aucune influence sur son élaboration.

Par ailleurs, l'union douanière avec la Turquie ou encore l'accord économique et commercial de libre-échange (AECG) conclu avec le Canada, qui devrait être ratifié en 2017, permettent à de nombreux biens de transiter en franchise de douane ou avec des coûts administratifs douaniers limités. Pour autant, l'union turco-européenne ne porte pas sur les services et l'accord avec le Canada exclut les produits agricoles et ne prévoit une levée des barrières à l'entrée sur certains biens industriels, comme les automobiles, que progressivement. En outre, aucun de ces deux pays ne contribue au budget de l'Union européenne.

Enfin, à défaut de la conclusion d'un accord, les relations commerciales entre le Royaume-Uni et l'Union européenne seraient régies par les seules règles de l'OMC. Dans ce cadre, les exportations britanniques vers les États membres feraient l'objet de droits de douane. Par ailleurs, les échanges seraient soumis aux coûts administratifs douaniers inhérents au franchissement des frontières.

Il paraît peu probable qu'une des relations qui viennent d'être mentionnées convienne véritablement au Royaume-Uni, en raison de l'insuffisance de l'accès au marché unique ou de l'influence exercée sur le cadre juridico-commercial, en particulier lorsque celle-ci est mise en regard des obligations associées à chaque option, en termes de contribution au budget de l'Union ou d'application de la législation européenne. Dans ces conditions, tout porte à croire que le Royaume-Uni, en cas de sortie de l'Union européenne, chercherait à négocier un accord bilatéral plus avantageux.

S'il est impossible de prévoir les termes d'un tel accord, il n'est pas sans intérêt de s'interroger, notamment, sur le périmètre possible de celui-ci. À cet égard, le groupe de réflexion Open Europe a proposé une analyse reposant sur la logique du « déficit commercial », selon laquelle les secteurs dans lesquels le Royaume-Uni affiche un déficit commercial feront plus probablement l'objet d'un accord permettant un accès au marché unique dans des conditions similaires à celles qui sont applicables actuellement.

En particulier, il apparaît que la probabilité d'un accord préservant les conditions d'accès du secteur financier à l'Union semble faible, compte tenu de l'excédent affiché par le Royaume-Uni. Cela est à mettre en perspective avec le fait qu'aucun accord conclu par l'Union européenne, en dehors de celui relatif à l'Espace économique européen, ne donne accès au « passeport européen » au titre des services financiers.

S'agissant d'une éventuelle contribution au budget de l'Union européenne, il paraît difficilement envisageable que le maintien d'une intégration élevée du Royaume-Uni au marché unique puisse se faire sans qu'une participation financière ne lui soit demandée, à l'exemple de la Suisse et de la Norvège. Par ailleurs, la cohérence d'un espace économique formé par l'Union européenne et le Royaume-Uni semble impliquer une certaine uniformité des règles applicables, donc la transposition par les autorités britanniques d'une part importante des règles relatives au marché unique.

Quoi qu'il en soit, il convient de relever que la durée de négociation d'un accord bilatéral entre le Royaume-Uni et l'Union européenne serait nécessairement longue. En effet, si l'on s'en réfère à la durée de négociation des accords de libre-échange auxquels l'Union est partie, la durée minimale est de trois années, comme pour l'accord entre l'Union et l'Australie.

Il convient également de se demander quelle serait la place du Royaume-Uni dans l'Union européenne si les Britanniques décidaient le maintien de leur pays au sein de cette dernière. En effet, l'appartenance du Royaume-Uni est caractérisée par de nombreuses exceptions et exemptions.

S'il participe pleinement au marché unique, le pays n'appartient pas à la zone euro ; par conséquent, il a refusé de participer à des initiatives comme le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), aussi appelé « Pacte budgétaire européen », l'Union bancaire ou encore le « pacte pour l'euro plus ». Par ailleurs, le Royaume-Uni est demeuré en dehors de l'espace Schengen et n'est pas tenu de participer aux politiques menées en matière de justice et d'affaires intérieures. De même, la Charte des droits fondamentaux ne peut lui être opposée.

Ainsi, le Royaume-Uni occupe une place à part au sein de l'Union européenne. Or les négociations intervenues au cours des derniers mois à l'initiative des autorités britanniques révèlent une volonté d'aller plus avant dans cette logique. En particulier, le Royaume-Uni est parvenu, lors du Conseil européen de février dernier, à un compromis avec les autres États membres concernant différents axes de réformes pour les années à venir.

Cet accord vise, notamment, à éviter que les États membres ne puissent établir des obstacles discriminatoires à l'égard des États non membres de la zone euro ; à ce que soient engagées des mesures tendant à renforcer de la compétitivité, en particulier par le biais d'une réduction des charges administratives pesant sur les entreprises et par celui d'une simplification normative ; à permettre aux parlements nationaux d'opposer un « carton rouge » à certains projets de règle européenne - ce qui me semble être une bonne initiative - et, enfin, à autoriser une limitation des prestations sociales accordées aux travailleurs de l'Union européenne nouvellement arrivés.

J'en arrive maintenant aux conséquences économiques d'une sortie du Royaume-Uni. Avant cela, la perspective du référendum constitue, selon moi, l'occasion de nous remémorer les bénéfices économiques associés à l'appartenance à l'Union européenne.

S'agissant, tout d'abord, du Royaume-Uni, une récente publication de l'OCDE a mis en évidence le fait que, depuis son adhésion à la CEE en 1973, le PIB par tête y avait davantage progressé que dans d'autres pays anglophones, comme le Canada, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, ou même les États-Unis ; en effet, le PIB par tête britannique a doublé entre 1973 et 2014 et a même été multiplié par quatre pour un plus petit pays comme l'Irlande, qui a rejoint la CEE la même année.

Les gains inhérents à l'appartenance à l'Union européenne en termes de PIB semblent également confirmés pour les autres États membres. Selon les études économiques disponibles, le PIB de l'Union serait de 5 à 20 % supérieur à ce qui aurait été constaté en l'absence d'intégration européenne.

C'est notamment lié au fait que la construction européenne a constitué un facteur déterminant de développement des échanges commerciaux entre les États membres. De même, l'ouverture économique favorise les investissements et exerce une influence réelle sur l'évolution de la productivité des facteurs de production en raison de la diffusion technologique, des savoir-faire ou de l'encouragement des efforts en matière d'innovation.

L'idée selon laquelle un éventuel « Brexit » aurait, à très court terme, des incidences économiques négatives semble faire l'objet d'un relatif consensus. En effet, nul ne peut nier qu'une sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne aurait, dans l'immédiat, des effets déstabilisants tant pour l'économie britannique que pour celles des autres États membres.

D'ailleurs, il semblerait que la seule perspective du référendum produise dès à présent des effets sur l'activité.

En effet, l'OCDE a relevé, depuis la mi-octobre 2015, lorsqu'a véritablement débuté la campagne précédant le référendum, une augmentation du coût de la protection contre le risque de défaut sur les titres de dette souveraine du Royaume Uni et un moindre dynamisme des marchés financiers britanniques et de la zone euro comparativement aux marchés américains.

De même, depuis la fin de l'année passée, l'OCDE a noté un net recul du taux de change de la livre sterling par rapport au dollar et à l'euro, en lien avec les incertitudes affectant les anticipations des investisseurs.

En outre, les informations relatives à l'investissement publiées par l'institut de statistiques britannique indiquent que l'investissement des entreprises a reculé de 2 % au quatrième trimestre de l'année 2015.

S'agissant de la période suivant immédiatement le référendum, le flou entourant la nature des relations qui prévaudraient entre le Royaume-Uni et l'Union ainsi que les réactions des différents acteurs en cas de « Brexit » pourraient donc avoir des conséquences significatives sur le financement de l'économie et, par conséquent, sur la consommation et les investissements, y compris sur le marché immobilier.

La Banque d'Angleterre a formulé de nombreuses mises en garde en ce sens au cours des derniers mois. En particulier, elle a rappelé l'importance des investissements étrangers dans le financement des « déficits jumeaux » du Royaume-Uni, soit les déficits de la balance commerciale et des administrations publiques. En outre, la banque centrale a souligné le défi que représenterait un « Brexit » pour la mise en oeuvre de la politique commerciale ; en effet, la Banque d'Angleterre devrait tout à la fois gérer une baisse du taux de change de la livre sterling et une dégradation de l'activité, qui impliquent des politiques de taux opposées.

Par conséquent, il est parfaitement illusoire de penser que la banque centrale serait en mesure de contrebalancer pleinement les effets négatifs d'une sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne sur l'activité britannique.

À plus long terme, les appréciations concernant les incidences économiques d'une sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne semblent moins consensuelles. S'il fait peu de doute qu'un « Brexit » présenterait des aspects positifs pour l'économie britannique, ceux-ci doivent néanmoins être relativisés.

Parmi les bénéfices d'un « Brexit » pour l'économie britannique, l'OCDE mentionne la possibilité pour le Royaume-Uni de procéder à une « déréglementation » plus poussée, qui « pourrait avoir quelques effets positifs » sur l'activité.

Toutefois, une telle perspective connaît deux limites principales. Tout d'abord, le Royaume-Uni figure déjà parmi les pays où l'encadrement des marchés est le plus « souple » et la législation du travail britannique est l'une des moins contraignantes en Europe. Ensuite, une intégration économique avec les États membres requiert une harmonisation minimale des législations nationales.

L'économie liée à la baisse de la contribution du Royaume-Uni à l'Union européenne devrait, elle aussi, être limitée, point sur lequel je reviendrai dans quelques instants.

Enfin, même si l'ancien maire de Londres, Boris Johnson, a estimé qu'un « Brexit » constituerait pour le Royaume-Uni une « occasion en or » de négocier ses propres accords commerciaux, tout porte à croire que les autorités britanniques auraient un pouvoir de négociation réduit, dès lors que celui-ci est étroitement lié à la taille de l'économie et du marché d'un pays.

Les études disponibles à ce jour font apparaître qu'une sortie de l'Union européenne aurait des conséquences globalement défavorables sur l'économie du Royaume-Uni. En effet, les canaux par le biais desquels un « Brexit » pourrait affecter l'économie britannique sont nombreux.

En premier lieu, un retrait du Royaume-Uni de l'Union pourrait s'accompagner d'une limitation des échanges commerciaux avec, d'une part, les États membres et, d'autre part, les pays avec lesquels l'Union a négocié des accords commerciaux. Cette limitation pourrait résulter du rétablissement de droits de douane et de la perte du bénéfice associé à l'existence d'une union douanière, qui entraînerait de nouveaux coûts administratifs douaniers pouvant représenter près du quart de la valeur des biens échangés.

En deuxième lieu, dans le domaine des services, il y a lieu de douter de la capacité du Royaume-Uni à préserver les facilités de son industrie financière à déployer ses activités dans l'Union européenne, comme je l'ai déjà souligné. En particulier, les établissements financiers britanniques pourraient perdre leur accès au « passeport européen », qui leur permet d'exercer dans tout État membre de l'Union ou de l'EEE sans autre agrément que celui accordé par l'autorité de régulation nationale britannique. Ainsi, on a vu la banque HSBC menacer de transférer une part importante de ses activités à Paris en cas de « Brexit ».

Cela pourrait se révéler d'autant plus problématique qu'en y intégrant les activités proches, comme l'assurance et les services professionnels liés, la fédération professionnelle TheCityUK estime que l'industrie financière participe au PIB à hauteur de 11,8 % et emploie 2,2 millions de salariés.

En troisième lieu, un « Brexit » pourrait avoir des incidences significatives sur le niveau des investissements au Royaume-Uni ; en effet, selon une publication du cabinet d'audit et de conseil Ernst & Young, l'accès au marché unique apparaît parmi les premiers motifs d'investissement au Royaume-Uni.

Ainsi, alors que les actifs détenus par des non-résidents représentent 530 % du PIB, le Royaume-Uni pourrait devenir moins attractif pour les investisseurs en cas de « Brexit ». Selon certaines analyses de chercheurs de la London School of Economics, une sortie du Royaume-Uni pourrait provoquer une baisse des investissements étrangers de 20 %.

En quatrième lieu, alors que la limitation de l'accès au territoire semble constituer un aspect central de la campagne en faveur du « Brexit », l'OCDE a rappelé que « les immigrants, en particulier des pays de l'Union européenne, ont stimulé la croissance du PIB au Royaume Uni » ; ainsi, selon l'Organisation, les immigrants auraient contribué à la hausse du PIB à hauteur de 0,7 point par an en moyenne depuis 2005, expliquant ainsi près de la moitié de la croissance.

En cinquième et dernier lieu, un « Brexit » pourrait peser sur l'évolution de la productivité britannique. De nombreuses études économiques ont relevé que l'ouverture commerciale exerçait une influence réelle sur celle-ci, par le biais de la diffusion de la technologie, des savoir-faire, des bonnes pratiques managériales ou encore des dépenses de recherche et développement.

Les canaux par le biais desquels un « Brexit » pourrait affecter l'économie britannique sont donc nombreux ; toutefois, ces derniers ne joueraient pas nécessairement dans les mêmes délais.

Ainsi, à moyen terme, l'activité serait essentiellement affectée par une hausse des primes de risque, par une dégradation de la confiance et par le ralentissement des échanges commerciaux. L'OCDE estime ainsi que, à l'échéance de 2020, un « Brexit » réduirait de 3,3 % le PIB par rapport à son niveau en cas de maintien dans l'Union du Royaume-Uni. Une étude proposée par PricewaterhouseCoopers évalue, quant à elle, l'incidence sur le PIB entre - 1,3 % et - 2,6 % ; celle qu'a publiée l'Institut national pour la recherche économique et sociale du Royaume-Uni, entre - 1,9 % et - 2,9 %.

À plus long terme, la décélération des échanges commerciaux continuerait de peser sur la croissance britannique ; néanmoins, cette dernière serait également affectée par la baisse des investissements, par une perte de compétences, nuisible à l'évolution de la productivité, que l'OCDE associe à une baisse des investissements directs étrangers ainsi qu'à une limitation de l'immigration, qui pèserait également sur la quantité de main-d'oeuvre disponible.

À l'inverse, les nouvelles marges de « déréglementation », tout comme la baisse de la contribution du Royaume-Uni au budget de l'Union européenne, pourraient bénéficier à l'économie britannique, quoique de manière réduite.

Au total, la moyenne des études disponibles montrent qu'à long terme un « Brexit » aurait une incidence sur le PIB du Royaume-Uni comprise entre - 1,6 % et - 4,1 %, l'estimation intermédiaire s'élevant à - 2,2 %. Aussi, la perte de revenu par tête pourrait être comprise entre 800 et 2 000 livres sterling par an, soit entre 1 050 et 2 600 euros environ.

Les incidences négatives associées à un « Brexit » se propageraient immanquablement en Europe, que ce soit en raison du recul des échanges économiques avec le Royaume-Uni ou d'une diffusion de la hausse des coûts de financement et des incertitudes. Ainsi, selon l'OCDE, « avec des chocs représentant entre un quart et un tiers de ceux auxquels le Royaume-Uni serait confronté, le PIB d'une Union européenne restreinte serait peu affecté en 2016, mais reculerait de près de 1 % à l'horizon 2020 ».

Bien évidemment, les incidences sur les différents États membres dépendraient de leur proximité économique avec le Royaume-Uni. Ainsi, l'Irlande compterait parmi les pays les plus affectés.

L'Allemagne et la France seraient, quant à elles, moins affectées par un « Brexit ». S'agissant de l'Allemagne, à l'horizon 2030, l'incidence sur son PIB par tête serait comprise entre - 0,08 % et - 0,33 %. Pour ce qui est de la France, le PIB par tête serait plus faible, de 0,06 % à 0,27 %, comparé à celui qui aurait été observé au cas de maintien du Royaume Uni ; cela signifie, à l'échéance 2030, une perte de revenu comprise entre 30 et 130 euros par habitant.

Il apparaît donc que ces États membres ont moins à craindre des conséquences économiques directes d'un « Brexit » que des incidences indirectes d'une sortie du Royaume-Uni, qui pourrait fortement fragiliser la cohésion de l'Union européenne ; en effet, les départs d'autres États membres pourraient s'accompagner d'effets économiques autrement plus graves.

Force est de constater que la question budgétaire a acquis une position centrale dans le cadre des débats relatifs au « Brexit ». En effet, les tenants d'une sortie du Royaume-Uni estiment que celle-ci permettrait de réduire, voire de supprimer la contribution britannique au budget de l'Union européenne.

Toutefois, les économies budgétaires à attendre d'un « Brexit » ne doivent pas, pour le Royaume-Uni, être surestimées, d'autant que le ralentissement de l'activité susceptible de résulter d'une sortie de l'Union pourrait venir peser sur les finances publiques.

La participation du Royaume-Uni au budget de l'Union s'est élevée à 15,2 milliards d'euros par an en moyenne entre 2010 et 2014. Toutefois, celle-ci est inférieure à la contribution théorique du pays, en raison de l'existence du « rabais britannique », institué durant les années quatre-vingt, d'un montant moyen de 4,3 milliards d'euros par an au cours de la même période.

Comme je l'ai déjà indiqué, contrairement à ce qu'avancent certains, un « Brexit » ne permettrait pas une économie d'un montant égal à l'actuelle contribution britannique au budget de l'Union européenne. En effet, le Royaume-Uni a reçu, au cours de la même période, 6,7 milliards d'euros par an en moyenne de crédits européens versés en faveur du financement de la recherche, dans le cadre du programme « Horizon 2020 », ou encore en faveur de la cohésion territoriale et de l'agriculture, en particulier au Pays de Galles et en Irlande du Nord. Dès lors, il paraît peu probable qu'en cas de sortie de l'Union les autorités britanniques ne soient pas contraintes de maintenir ces dépenses au niveau national.

Par conséquent, l'économie budgétaire que pourrait réaliser le Royaume-Uni en cas de sortie de l'Union serait, au plus, égale au montant de la contribution nette britannique au budget de l'Union européenne, soit 8,5 milliards d'euros au plus, ou 0,3 % du PIB, compte tenu de la moyenne observée entre 2010 et 2014.

Il s'agit néanmoins d'un maximum, dès lors qu'une telle économie nécessiterait que le Royaume-Uni cesse toute contribution au budget de l'Union européenne. Or, bien que n'étant pas membres de l'Union européenne, les pays de l'EEE et la Suisse contribuent au budget de l'Union. Si le Royaume-Uni rejoignait l'EEE dans des conditions similaires à celles de la Norvège, sa contribution au budget de l'Union européenne serait réduite de 9 % ; s'il se trouvait dans une situation identique à celle de la Suisse, cette contribution serait diminuée de 55 %.

En continuant de considérer la contribution moyenne nette du Royaume-Uni au budget européen observée au cours des années passées, l'économie résultant d'une sortie de l'Union serait donc comprise entre 760 millions d'euros et 4,6 milliards d'euros - soit entre 0,03 % et 0,18 % du PIB - selon que le pays rejoigne l'EEE ou parvienne à établir une relation bilatérale proche de celle de la Suisse.

Établir un bilan budgétaire du « Brexit » implique nécessairement de prendre en compte les conséquences de ce dernier sur l'activité économique et, partant, sur les recettes et les dépenses publiques. À cet égard, le Trésor britannique a estimé que, selon les scénarii, après quinze années, la perte de recettes publiques pourrait être comprise entre 20 et 45 milliards de livres sterling chaque année.

À plus court terme, l'impact sur les finances publiques serait également significatif. Les effets sur le solde public en 2020 peuvent être évalués, dans l'hypothèse de la conclusion d'un accord de libre-échange, à - 1,2 point de PIB et à - 1,9 point de PIB si les échanges entre le Royaume-Uni et l'Union européenne étaient simplement régis par les règles de l'OMC.

Il apparaît donc que, dans aucun des deux scénarii envisagés, un « Brexit » n'est associé à une amélioration de la situation budgétaire britannique, et ce en dépit de la diminution, voire de la suppression de la contribution du Royaume-Uni au budget de l'Union européenne.

Un retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne pourrait avoir un coût budgétaire significatif pour les autres États membres. Il convient de relever que celui-ci ne devrait pas conduire à une répartition mécanique de la moindre contribution britannique au budget européen entre les différents États membres ; en effet, un « Brexit » éventuel aboutirait probablement à une nouvelle distribution de la charge représentée par le « rabais britannique », qui est actuellement partagée selon des modalités spécifiques. Dans ce cas, un pays comme la France constaterait une hausse de sa contribution au budget de l'Union du fait du report de la contribution britannique, mais verrait la charge supportée au titre du « rabais britannique » reculer.

Selon les scénarii envisagés, certains États pourraient même ressortir gagnants, d'un point de vue budgétaire, d'une sortie du Royaume-Uni.

Dans le scénario le plus défavorable, soit si le Royaume-Uni cessait toute contribution au budget de l'Union, la contribution de l'Allemagne serait accrue de 2,8 milliards d'euros, soit 10,8 % de hausse, celle de la France de 1,2 milliard d'euros, soit 5,6 % de hausse, et celle de l'Italie d'environ 860 millions d'euros, soit 6 % de hausse.

Si, en revanche, le Royaume-Uni concluait un accord bilatéral avec l'Union européenne et, à l'instar de la Suisse, contribuait au budget européen, le surcroît de contribution s'élèverait à 1,9 milliard d'euros pour l'Allemagne, soit une hausse de 7,3 %, à un peu plus de 500 millions d'euros pour les Pays-Bas, soit 7,8 %, à 490 millions d'euros pour la France, soit 2,3 %, et à 350 millions d'euros pour l'Italie, soit 2,2 %.

Enfin, si le Royaume-Uni rejoignait l'EEE et concourait au budget de l'Union dans les mêmes conditions que la Norvège - soit de manière significative -, la contribution de l'Allemagne augmenterait de 960 millions d'euros, soit de 3,6 %, et celle des Pays-Bas de 260 millions d'euros, soit de 4 %. À l'inverse, la contribution de la France serait réduite d'environ 220 millions d'euros, soit une baisse de 1 %, et celle de l'Italie de 170 millions d'euros.

M. Michel Bouvard. - On y gagne !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - . - Très clairement, en cas de « Brexit », les principaux perdants en termes de contribution au budget de l'Union européenne seraient les actuels bénéficiaires du « rabais sur le rabais britannique », soit l'Allemagne, l'Autriche, les Pays-Bas et la Suède.

Si les effets du « rabais sur le rabais » étaient maintenus, les contributions de la France et de l'Italie augmenteraient cependant dans des proportions similaires à celle de l'Allemagne.

Par suite, les incidences sur le solde public de la France découlant d'une évolution de sa contribution au budget de l'Union à l'issue d'un éventuel « Brexit » pourraient être comprises entre - 0,05 et + 0,01 point de PIB. Celles-ci pourraient même atteindre - 0,07 point de PIB en l'absence d'une remise en cause du « rabais sur le rabais britannique ».

À cela viendraient s'ajouter les effets, sur les ressources fiscales, d'une décélération de la croissance. À cet égard, la perte de recettes pourrait être comprise entre 10 milliards d'euros, soit 0,4 point de PIB, et 20 milliards d'euros, soit 0,8 point de PIB, en 2020, en comparaison avec leur niveau prévisionnel en cas de maintien dans l'Union européenne du Royaume-Uni.

Par conséquent, même si la France ressortait gagnante de la nouvelle répartition des contributions au budget de l'Union européenne, une dégradation de son déficit public serait à craindre en cas de « Brexit ».

Un « Brexit » constituerait une rupture dans l'histoire de la construction européenne. Outre le fait que, comme semblent le montrer les études disponibles à ce jour, une sortie du Royaume-Uni aurait des conséquences globalement négatives pour l'économie britannique et celles des autres États membres, un tel événement serait de nature à contribuer au réveil de forces centrifuges susceptibles de venir menacer la pérennité du projet européen.

Dans la perspective du référendum du 23 juin prochain, différentes questions semblent donc devoir être explicitement posées.

En premier lieu, quelle posture la France devrait-elle adopter dans l'hypothèse d'un « Brexit » ? La décision souveraine du peuple britannique devrait, dans un tel cas, être pleinement respectée, mais il paraît opportun de s'interroger sur les moyens de minorer les conséquences néfastes d'un tel événement pour la situation économique et budgétaire de notre pays.

En second lieu, dans la mesure où la tenue du référendum britannique vient révéler les fragilités actuelles de l'Union européenne, quelles inflexions et quels approfondissements devraient être envisagés concernant la construction européenne ?

Dans l'hypothèse d'un « Brexit », et bien qu'à titre personnel je la considère dangereuse, il importerait que la France soit en mesure de tirer son épingle du jeu. Tout d'abord, notre pays devrait se mettre en capacité d'attirer des entreprises, notamment financières, qui aujourd'hui ne voient que des avantages à profiter d'un environnement linguistique et culturel anglo-saxon tout en étant au sein de l'Union européenne depuis Londres, mais qui seraient très gênées de l'absence de « passeport européen » : elles pourraient avoir la tentation de revenir sur le continent, singulièrement en France.

Sans parler de dérouler le tapis rouge comme le Premier ministre David Cameron naguère, il nous faudrait, d'une part, mettre en oeuvre des réformes en matière fiscale, d'éducation, ou encore d'infrastructures qui permettraient de renforcer l'attractivité française pour les centres de décision et les activités à haute valeur ajoutée, une attractivité que nous avons perdue. Il est assez paradoxal, à cet égard, que les ingénieurs sortant de grandes écoles françaises, Polytechnique ou Centrale, partent tous pour les grandes banques de Londres... Toute cette culture française des hautes technologies dans lesquelles nos jeunes ingénieurs excellent pourrait très bien s'épanouir à Paris, et donc au sein de l'Union européenne, ce qui est in fine ce que recherchent les établissements financiers, soucieux de pouvoir travailler avec le « passeport européen ».

La France devrait nécessairement adopter une position visant à limiter l'ouverture de l'Union aux services financiers des États non membres. Suivant cette même logique, les autorités françaises devraient susciter des évolutions réglementaires tendant à ce que les activités portant sur des transactions en euros soient localisées dans la zone euro.

Ensuite, une sortie du Royaume-Uni devrait inciter la France à remettre en question les effets du « rabais britannique » sur le poids de la contribution au budget de l'Union européenne des États membres restants. En effet, le mécanisme du « rabais sur le rabais » vient significativement accroître la contribution de pays comme la France, l'Italie, ou encore l'Espagne.

De manière plus générale, le référendum britannique, quelle que soit son issue, invite à s'interroger sur les orientations de la construction européenne. À cet égard, des marges de progression demeurent pour ce qui est de l'intégration économique. Le programme de réformes économiques convenu lors du Conseil européen des 18 et 19 février 2016, qui prévoit notamment une simplification normative et une réduction des charges administratives, en particulier pour les PME, peut constituer une opportunité et mériterait d'être poursuivi.

Par ailleurs, la gouvernance économique de la zone euro gagnerait à être renforcée, sur fond d'harmonisation fiscale, de mise en cohérence des systèmes de protection sociale et de rapprochement industriel.

Quoi qu'il en soit, le désintérêt, voire le désamour croissant pour l'Union européenne ne pourra être combattu sur la seule base d'un projet économique. C'est l'ensemble du projet européen qui, du fait de sa faiblesse, est en jeu. En effet, pour renouer avec ses citoyens, l'Europe, qui passe pour se préoccuper plus de vétilles que des questions qui leur importent, devra être en mesure de pleinement se saisir des problématiques inhérentes à la sécurité intérieure, à la défense extérieure, ou encore à l'immigration, sauf à susciter des réactions comme celles d'un certain nombre de Britanniques, aujourd'hui tentés par le « Brexit ».

M. Roger Karoutchi. - Je ne peux cacher mon malaise car ce n'est pas, en fin de compte, sur ces conséquences économiques que les Britanniques prendront leur décision. Je doute que la prédiction d'un impact de 0,06 % sur le PIB provoque une secousse tellurique chez les électeurs !

Ayant été ambassadeur auprès de l'OCDE, j'ai beaucoup de respect pour cette institution. Pour autant, ces prédictions me remémorent les analyses qu'elle avait alors produites lors du référendum sur le traité de Maastricht.

M. Michel Bouvard. - En effet !

M. Roger Karoutchi. - Si jamais le « non » l'emportait en France, écrivait-elle, ce serait la fin du monde. Un tel catastrophisme me laisse toujours perplexe.

Je suis extrêmement opposé au « Brexit ». En effet, je considère que, politiquement, Paris a intérêt à conserver un axe avec Berlin et un autre avec Londres. Si nous sommes réduits au premier, nous y perdrons beaucoup, car nous ne sommes pas les plus forts dans cette relation. Toutefois, à lire les analyses britanniques ou encore à voir les Écossais, qui ont le pétrole, évoquer leur propre rapprochement avec l'UE en cas de « Brexit », je crains que le vote du 23 juin ne se joue surtout sur l'identité ainsi que sur le refus de la technostructure de Bruxelles et de cet encadrement tatillon qui exaspèrent les ultra-libéraux que sont les Anglais.

Certes, la raison peut l'emporter. Néanmoins, l'OCDE a tort - et je l'ai dit à son Secrétaire général - d'essayer de faire peur à l'électorat sur les conséquences économiques et financières de telles décisions. Laissons donc les peuples libres de décider ! Moi qui suis très hostile au « Brexit », je sais qu'aucune des conséquences décrites par le rapporteur général n'est à proprement parler catastrophique, d'un côté ou de l'autre ! On voit bien que ce qui motivera le vote n'a rien à voir avec les conséquences financières du « Brexit ».

M. André Gattolin. - J'adresse mes félicitations au rapporteur général pour sa synthèse, remarquable au vu de la complexité des données en jeu et du caractère épars et ponctuel des études disponibles. Une fois de plus, si des think tanks, des sociétés d'ingénierie privées produisent des éléments d'analyse pour leurs clients, on constate en revanche l'absence d'études d'impact précises de la part de l'Union européenne elle-même.

La première étude à réaliser concernerait d'ailleurs la procédure de sortie elle-même, processus jamais imaginé au cours du processus long et baroque de la construction européenne. L'entrée du Royaume-Uni dans la Communauté économique européenne, en 1973, avait fait l'objet d'un référendum français d'approbation l'année précédente ; les cinq autres membres fondateurs de la CEE avaient eux aussi donné leur accord. Et, aujourd'hui, un pays pourrait quitter l'Union sur le fondement de sa seule décision souveraine ? L'absence de parallélisme des formes mérite à mon sens d'être débattue. Je m'inquiète qu'une telle issue n'ait pas été anticipée.

La conséquence directe la plus grave, et la plus politique, que pourrait entraîner le « Brexit » serait l'implosion du Royaume-Uni. L'Écosse est certes relativement peu peuplée - entre 5 et 5,5 millions d'habitants -, mais elle détient les seules ressources pétrolières britanniques. En Irlande du Nord, une réconciliation, voire une réunification, avec la République d'Irlande est désormais à l'ordre du jour. Plus que des conséquences sur le budget européen en termes de contribution, un tel événement aurait des conséquences politiques et économiques majeures.

HSBC a bien évoqué un temps la possibilité de transférer 20 % de ses activités de la City vers Paris, mais a fait marche arrière après quatre jours : de telles menaces sur l'emploi peuvent être contre-productives dans un référendum. Au moins, le « Brexit » pourrait entraîner le réel retour dans notre pays de banques françaises, telles que BNP Paribas ou le Crédit Agricole, dont le siège opérationnel est, de fait, aujourd'hui à Londres.

Monsieur le rapporteur général, le coût potentiel du « Brexit » pour les États membres de l'UE a-t-il été calculé à budget européen constant ? Que deviendraient les 142 ou 145 millions d'euros de budget programmé si les Vingt-Huit se retrouvaient à vingt-sept ? La sortie du Royaume-Uni ferait diminuer non seulement les recettes mais aussi les dépenses.

M. Serge Dassault. - Qui serait gagnant et qui serait perdant en cas de « Brexit » ? On a l'impression que les Britanniques seraient plutôt les perdants. On s'est toujours demandé ce qu'ils faisaient dans l'Union européenne, dans la mesure où leur intérêt est orienté de manière toujours plus flagrante vers les États-Unis ; ils prennent ce qu'ils peuvent de l'Europe sans y apporter grand-chose. Serait-ce donc une grande catastrophe s'ils la quittaient ?

M. Éric Bocquet. -Je tiens moi aussi à remercier notre rapporteur général de ce rapport fouillé. L'incertitude est très grande à l'heure actuelle sur le résultat de ce référendum ; à n'en pas douter, elle demeurera jusqu'à sa tenue.

Comme Roger Karoutchi, je pense cependant qu'il faut relativiser les conséquences éventuelles d'une sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. On avait aussi entendu de tels discours catastrophistes sur une éventuelle victoire du non en France, avant le référendum du 29 mai 2005. Et la vie a continué !

Le Royaume-Uni, pour lequel j'ai la plus grande estime, est depuis toujours hors de la zone euro et hors de la zone Schengen ; il n'est pas très allant pour réglementer davantage les travailleurs détachés et, plus généralement, tire plutôt vers le bas les réglementations sociales - salaire minimum, conditions d'hébergement, cotisations sociales - à l'échelon européen. Le taux de l'impôt sur les sociétés devrait y diminuer cette année et encore jusqu'en 2020, pour atteindre 17 %. Ils jouent à fond le jeu de leurs spécificités !

Je ne panique donc pas à l'idée du « Brexit » : je doute que la City s'arrête de fonctionner !

Au-delà du cas britannique, ce référendum pose la question de la construction européenne actuelle, libérale et sans règles. Beaucoup de peuples européens se posent la même question de la fameuse concurrence libre et non faussée, et se la poseront, quelle que soit l'issue de ce référendum. C'est bien le peuple qui est amené à se prononcer lors d'un référendum et non pas la City, le Trésor britannique, les banques ou PricewaterhouseCoopers ! Ces gens-là militent pour le maintien ? Je n'ai pas pour ma part à donner mon avis sur ce que le peuple britannique doit faire ; je me bornerai donc à soulever cette question plus générale du projet européen tel qu'il est construit aujourd'hui.

M. Marc Laménie. -Si le Royaume-Uni fait le choix de la sortie de l'UE, d'autres pays ne risquent-ils pas de le suivre ? La définition même de l'Union est mise en cause.

J'aurais par ailleurs voulu savoir en quoi consiste exactement le « rabais britannique » et si d'autres pays sont concernés par ce dispositif.

M. Yannick Botrel. - Cette présentation nous montre bien que les conséquences de ce référendum sont très incertaines. Si les Britanniques décident de quitter l'UE, le risque d'éclatement du Royaume-Uni est réel : peut-on dans ce cas opposer une fin de non-recevoir à l'Écosse, par exemple, si elle désire demeurer dans l'Union ? Le « Brexit » entraînerait aussi un risque de délitement de l'Union européenne elle-même.

Plus prosaïquement, cette situation peut affecter les citoyens britanniques résidant en France. Voici quelques années, lors d'une dévaluation de la livre sterling par rapport à l'euro, certaines familles britanniques avaient dû quitter leurs résidences françaises du fait de l'amoindrissement de leurs ressources financières. Les compagnies maritimes assurant les liaisons entre la Bretagne et l'Angleterre se préoccupent également d'ores et déjà des conséquences d'un éventuel « Brexit » sur leur activité.

Quand bien même les Britanniques décideraient de rester dans l'Union, nous devrons mener des négociations sur les modifications à apporter au fonctionnement de l'Europe. Il est probable que nous soyons conduits à repenser son fonctionnement dans son ensemble.

M. Philippe Dallier. - Pour avoir passé, il y a peu, quatre jours au fin fond de la campagne anglaise, ma commune étant jumelée avec une ville anglaise, j'en suis revenu avec la conviction qu'il n'y aurait pas de « Brexit ». David Cameron a pris ce risque pour des questions de politique intérieure, pour enrayer la montée de UKIP, et les Anglais l'ont bien compris.

Les Britanniques ont en moyenne une culture économique un peu plus élevée que la nôtre. Je peux partager certains propos de Roger Karoutchi sur la tentation de faire peur quant aux conséquences du « Brexit », mais personne ne peut dire qu'il n'y aurait pas de conséquences du tout et qu'il n'y aurait pas de risque économique pour la Grande-Bretagne.

J'ai rencontré des gens du Labour et des conservateurs. Et si, parmi ces derniers, certains sont très irrités contre la technocratie de Bruxelles, ils ne prendront pas le risque de cette sortie.

Un deuxième argument, très fort, tient à la cohésion du Royaume-Uni. Les Britanniques sont inquiets des conséquences possibles sur l'Écosse. Le référendum ne s'est pas joué à grand-chose la dernière fois ; il en faudrait peu pour que l'Écosse demande son indépendance et décide de rester dans l'Union européenne.

Il n'y aura donc pas de « Brexit ». J'en prends le pari, le score sera même plus large que 50,5/49,5 car, après tout - mais j'enfonce des portes ouvertes -, les Anglais sont très... britanniques ! Je veux dire qu'ils sont plus raisonnables et moins emportés qu'on pourrait le penser pour une grande majorité d'entre eux.

M. François Marc. - Je ne m'engagerai pas dans un concours de pronostics. Il y a une chance sur deux - ou un risque sur deux - pour que le vote soit positif. La question posée n'est pas de savoir comment cela va se passer, mais d'anticiper. S'il y a une chance sur deux, nous devons nous préparer à cette éventualité.

Je remercie à mon tour le rapporteur pour sa présentation très fouillée. C'est un inventaire quasi exhaustif de toutes les considérations budgétaires et économiques - terrain sur lequel nous devons rester - à prendre en compte.

D'un point de vue budgétaire, je note que le Royaume-Uni est contributeur net à hauteur de plus de 8 milliards d'euros en moyenne par an. Ce n'est pas rien ! Le budget annuel de l'Union est de l'ordre de 145 milliards d'euros. Il faut avoir à l'esprit que les charges de fonctionnement de l'Union s'élèvent à 6 % de ce budget, soient 7,5 milliards d'euros. La contribution britannique couvre donc la totalité de ces charges de fonctionnement. Si elle venait à manquer, des membres de l'Union ne manqueraient pas de nous demander de réduire les charges et les frais de fonctionnement, avec des renégociations à la clef.

Je ferai deux observations.

Premièrement, un effet de la sortie de l'Europe est souvent présenté de façon positive : si nous n'étions pas dans l'Union, entend-on - notamment de la part de Britanniques, mais, aussi en France -, il y aurait moins de réglementations et l'on pourrait déréglementer. Je ne suis pas certain que l'effet produit serait celui qui est attendu. J'ai à l'esprit l'affaire de la vache folle. Si l'économie britannique a été fortement pénalisée durant cette crise, c'est parce que l'on avait procédé à des déréglementations, singulièrement à la suppression de postes de surveillance sanitaire, ce qui a conduit à une dérive sur le plan de la santé animale.

Vu les attentes actuelles des consommateurs européens, et les choses ont beaucoup progressé, il faudra être vigilant sur ce que nous produisons. Il faudra donc des réglementations de plus en plus strictes et exigeantes. Il ne serait donc pas opportun d'expérimenter une déréglementation.

Deuxièmement, s'agissant des échanges commerciaux, ce serait problématique pour les Anglais. Les investissements se porteraient moins bien à Londres et l'accès aux marchés financiers serait réduit.

La baisse de la productivité des facteurs a été évoquée. Y aurait-il moins de productivité en Grande-Bretagne si elle sortait de l'Union européenne ? Qu'est-ce qui peut jouer pour aboutir à une telle situation ? J'ai du mal à comprendre, même si cela figure dans un certain nombre d'analyses économiques. Est-ce parce que la Grande-Bretagne serait moins dans la compétition pour aller sur le marché européen, parce qu'elle serait moins incitée à innover, à créer, à dynamiser ? Si tel est le cas, la démarche stratégique de sortie ne serait pas très heureuse. Je ne suis pas persuadé qu'il y ait un élément probant sur la productivité, qui fait aujourd'hui l'objet d'un grand débat. En effet, pour la première fois depuis quarante ans aux États-Unis, la productivité des facteurs et du travail a baissé. La situation interroge.

M. Bernard Lalande. - Cette présentation montre à l'évidence que, « Brexit » ou pas, nous ne sommes pas face à la catastrophe annoncée.

Sans vouloir être perfide, surtout en parlant du Royaume-Uni, je constate, à la suite de cet exposé, que les Britanniques ont su, une nouvelle fois, mettre à mal la construction européenne des hommes, pour ne considérer l'Europe que comme une zone géographique de marché.

N'oublions pas que, juste avant la proposition de vote sur le « Brexit », les Britanniques ont obtenu de l'Union européenne quelques avantages et que, si le « Brexit » n'est pas voté, ceux-ci leur resteront de toute façon acquis, comme d'ailleurs la somme de tous ceux qu'ils ont déjà obtenus.

L'Europe du général de Gaulle comme celle du président Mitterrand est en bien mauvaise position ! Devant ce chantage, qu'on le veuille ou non, je constate que les comptables ont pris le pouvoir et que la faillite n'est pas loin.

Le binôme France-Allemagne, quels que soient les dirigeants des pays, exploserait au profit d'un Royaume-Uni dont les alliés ultra-libéraux ne sont pas des constructeurs de liens sociaux ou politiques, pour ne parler que de marché. Je rappelle que les Anglais sont beaucoup plus libéraux que les Américains. Il faut remettre les choses à leur place !

La vraie question est de savoir si nous voulons continuer à construire une Europe des hommes ou faire de l'Europe un marché. « Brexit » or not « Brexit », l'incidence financière est en somme toute modeste, comme vient de le démontrer Albéric de Montgolfier. Nous devons plutôt nous demander s'il va manquer un des combattants pour continuer à construire l'Europe. Par ailleurs, une fois que les comptables auront disparu, que proposeront les politiques ? Telles sont les vraies questions que je me pose.

M. Alain Houpert. - Je remercie le rapporteur général pour cet exposé très précis et éclairant. Bossuet, l'Aigle de Meaux, né en Bourgogne, qualifiait l'Angleterre de « perfide Albion »... La perfidie consiste à ne pas tenir ses promesses. Je me pose des questions sur ce pays qui a reçu des subventions européennes lui permettant de faire des dépenses de fonctionnement, dans le cadre de la PAC, mais aussi d'investissement, à destination des collectivités territoriales.

La question qu'il faut se poser est celle de la construction de l'Europe. Il est difficile de rentrer dans l'Union et très facile d'en sortir. La seule volonté d'un pays suffit.

En France, quand vous faites partie d'un syndicat intercommunal, si vous décidez d'en sortir, il faut l'unanimité des participants. Et vous devez alors rembourser ce que vous avez reçu.

Mme Michèle André, présidente. - Comme pour un divorce !

M. Alain Houpert. - L'Union européenne devrait avoir un peu plus d'organe pour dire que, dans un mariage, les époux mettent au pot commun, et le jour où l'on se sépare, on rembourse ; cela s'appelle des prestations compensatoires ou des prestations familiales. On devrait faire de même avec la Grande-Bretagne et lui demander des comptes.

M. Yvon Collin. - S'agissant de l'accès aux soins des ressortissants britanniques, je crois savoir qu'il existe des conventions et des accords entre nos deux États. La sortie de la Grande-Bretagne de l'Union européenne entraînerait-elle la rupture de ces accords, y compris dans d'autres domaines ?

M. Claude Raynal. - Ce rapport était intéressant, surtout sur deux points.

Le premier concerne le cadre juridique qui peut s'appliquer en cas de « Brexit ». Une question, en particulier, inquiète : celle des deux années intermédiaires entre un éventuel vote, que nous ne souhaitons pas par ailleurs, et le moment où le « Brexit » serait effectif.

Je n'avais aucune vision de ce cadre juridique. Je vous remercie de nous l'avoir expliqué simplement. On imagine que ce n'est pas aussi simple que cela, quand on sait la complexité de nos SIVOM...

Pour ce qui concerne l'incidence du « Brexit » sur le budget de l'Union européenne, il n'y a pas d'inquiétude particulière à nourrir. Les sommes sont certes importantes, mais ne sont pas hors de proportion de ce que les autres États membres restants pourraient assumer. Vous avez apporté à cet égard un éclairage précis, monsieur le rapporteur général.

Pour ce qui est de l'aspect économique, je reste très prudent quant aux propos et aux visions des économistes. Il a été démontré, par le passé, que ces visions ont souvent été battues en brèche.

Le « Brexit », comme les deux années intermédiaires qui suivraient, donnerait lieu à une période de flou, ce qui est redoutable pour l'économie.

L'économie n'aime ni le doute ni le flou. Ce que vous nous avez indiqué est intéressant sur le long terme. Mais, durant toute la période intermédiaire, ne serait-ce que dans les semaines qui précéderont le « Brexit », si par exemple les sondages s'inversaient ou montraient qu'il y a un risque, nous nous retrouverions très vite à naviguer à vue. Le fait d'avoir semé ce doute, de se retrouver dans une zone trouble, de ne pas savoir ce qui sortira des urnes anglaises, tout cela aurait très rapidement des répercussions.

L'économie aime le calme ; or ce n'est pas ce qui caractérise la période que nous vivons. Ajouter de l'agitation avec le « Brexit » serait négatif et aurait des incidences sur les monnaies, au premier rang desquelles la livre, mais aussi sur l'euro, sur le rapport au dollar, sur la confiance et sur les taux d'intérêt en Europe.

L'économie n'est pas une science exacte et les réponses de ses acteurs ne répondent pas toujours d'une façon qu'il est possible d'anticiper. Les questions économiques relèvent aujourd'hui d'une grande volatilité, et le « Brexit » en premier lieu.

M. Michel Bouvard. - Cette affaire nous prouve que les Anglais fonctionnent toujours comme à l'époque de William Pitt : pour eux, le commerce est la seule véritable frontière.

Même si nous avons une dette historique à l'égard du Royaume-Uni depuis la Seconde Guerre mondiale, il est certain que, depuis l'entrée de la Grande-Bretagne dans l'Union européenne, les concessions se succèdent.

Je ne suis pas loin de penser, comme Bernard Lalande, que les Anglais ont inventé une forme de concession à perpétuité, en ce sens que c'est l'Europe qui doit faire de nouvelles concessions dès qu'il y a une crise. Il aurait été intéressant d'en connaître le chiffrage, sachant que nous en avions fait du temps de Margaret Thatcher à l'occasion du pré-Brexit.

Ce qui est à craindre si le « Brexit » l'emporte, ce n'est pas une dislocation de l'Europe, c'est un nouveau round de négociations, avec de nouvelles concessions à l'issue.

L'intérêt de l'Union européenne est en effet d'éviter l'effet domino, qui se produira inévitablement en cas de « Brexit », et de garder la Grande-Bretagne en son sein, compte tenu de son poids économique et des synergies qui existent. Nous ferons donc de nouvelles concessions ! C'est comme cela que l'affaire se terminera !

Espérons que les positions prises par les uns et les autres permettront d'aboutir à un vote de raison. Mais le scénario d'un gain sur notre propre contribution au budget européen, c'est « la grande illusion » ! Je suis d'ailleurs étonné que l'on mette sur la table ce type d'hypothèse...

Il serait intéressant de connaître l'évolution des concessions accordées progressivement par l'Union européenne, ainsi que les positions qui seront adoptées par les gouvernements des divers États membres. Cette question a-t-elle été évoquée par les chefs d'État ? Avons-nous atteint la ligne ultime en termes d'avantages concédés au Royaume-Uni ? Sommes-nous prêts à transformer l'Union européenne en zone de libre-échange ? C'était d'ailleurs le projet initial des Britanniques pour l'Europe, et ils n'y ont jamais renoncé...

La conception de l'Europe politique portée par la France et l'Allemagne se heurte, à chaque nouvelle étape vers la construction d'une Union politique, aux manoeuvres des Britanniques destinées à en revenir à leur projet unique de zone de libre-échange. Comme le disait William Pitt, la seule frontière de la Grande-Bretagne, c'est le commerce !

Mme Fabienne Keller. - Je salue, outre ce débat européen, dont je me félicite, cet important travail sur les conséquences du « Brexit », notamment les simulations portant sur les contributions de chaque État membre, en fonction des modalités d'une éventuelle sortie Royaume-Uni de l'Union européenne. Il s'agit là d'une analyse très complète de l'impact économique et financier.

Je ne peux m'empêcher, après avoir entendu les propos de Michel Bouvard, de réagir de manière plus politique. Dans quel contexte sommes-nous, à la veille du 23 juin ?

Le Royaume-Uni a décidé, voilà quatre ans, de faire un review of competences des vingt-six politiques européennes afin de voir si elles étaient bien calibrées, travail qui a donné lieu à un rapport consensuel. Je vous invite à le lire. Il n'est malheureusement pas traduit, mais c'est une excellente analyse des politiques agricoles, de défense, des marchés...

David Cameron a rencontré une difficulté liée, un peu au UKIP, et beaucoup à la situation interne des conservateurs, partagés, pour une moitié, entre le souhait de rester membres de l'Union européenne et, pour une autre, celui de la quitter. Dans le discours de Bloomberg, qui a fait date, il a annoncé que, sur la base de ces analyses, il négocierait avec l'Union européenne de nouvelles conditions de fonctionnement de l'Union, mais pas du statut de la Grande-Bretagne. Il n'y aura pas, cher Michel Bouvard, de nouveau round de négociations financières.

Les points visés sont plutôt constructifs et ont fait l'objet de la négociation des 18 et 19 février derniers. On sait donc ce qui se passera en cas de remain, c'est-à-dire de maintien dans l'Union européenne : ces quatre points, qui ont fait l'objet d'un accord, devront être mis sur la table.

Je vous invite à consulter le point relatif aux parlements nationaux, qui prévoit une forme de subsidiarité renforcée. Un autre point concerne l'approfondissement des marchés, qui comporte une demande spécifique portant sur les marchés de l'énergie et du numérique ; il n'est pas inintéressant non plus : l'idée sous-jacente est que les marchés intérieurs ne sont pas parfaits.

Leur position sur l'euro est schizophrène : ils veulent, à la fois, être dedans et dehors, tout en contrôlant.

J'en viens à la question très délicate de l'accès aux aides sociales, sur laquelle les négociateurs européens ont trouvé un accord. Au Royaume-Uni, le débat politique portait sur le fait que ces aides constitueraient un complément de revenus pour des migrants intracommunautaires, soit 1 million de Polonais, 200 000 Baltes, etc. Les études ont montré que seuls 30 000 migrants bénéficiaient en effet de ces aides, c'est-à-dire, très peu ; c'est que ces personnes viennent pour travailler. C'est cependant devenu un sujet politique majeur.

Cet accord est donc délimité : un « chèque » britannique complémentaire n'est pas possible dans le cadre de ce processus.

Les Britanniques, qui ont rejoint l'Union européenne en 1972, ont organisé un référendum l'année suivante. Il n'est pas surprenant, quarante ans après, qu'un peuple souverain décide de revalider sa participation à l'Union.

Sur le vote à venir, beaucoup de choses ont été dites. Selon Roger Karoutchi, les analyses financières ne sont pas de nature à changer l'avis des Britanniques. Ce point de vue varie probablement selon les territoires. Philippe Dallier a rappelé que la culture financière était assez largement partagée au Royaume-Uni. Bien sûr, la zone d'influence de Londres se sent très concernée par l'évolution de l'industrie financière et les risques qu'une sortie de l'Union ferait peser sur ces activités.

En revanche, dans d'autres territoires ruraux, ou isolés, notamment à cause de la désindustrialisation - je pense au nord du pays, autour de Manchester -, le regard sera sans doute plus négatif sur l'Union européenne.

Les Écossais, cela a été dit, sont très pro-européens. Quant aux Irlandais, ils voteront sans doute massivement en faveur du remain, car ils ont très peur de raviver un conflit qu'ils viennent à peine de résoudre. Ils ont par ailleurs tracé à l'intérieur de leur île une frontière entre une zone intra-européenne et une zone extra-européenne, l'Irlande étant directement membre de l'Union.

J'en viens aux postures des uns et des autres.

Je rappelle que le très médiatique Boris Johnson, qui suit une stratégie personnelle et vise la direction du parti conservateur en 2020, s'est prononcé, de façon très étonnante, en faveur du leave.

Les travaillistes, traditionnellement très pro-européens, sont désormais plus partagés.

Il convient aussi d'analyser les enjeux d'ambition personnelle, comme celle Nigel Farage, le leader du UKIP, qui a échoué lors des dernières élections législatives, mais retrouve là une « nouvelle vie ».

Ce qui est frappant en Grande-Bretagne, notamment chez nos homologues de la Chambre des Lords, c'est la nostalgie du Commonwealth, encore très présente. Pour nous, c'est de l'histoire ; pour eux, c'est une réalité, celle de la zone d'influence anglaise dans le monde. Je rappelle que toute une série d'accords européens reprennent des accords historiques, par exemple pour l'importation de la viande de mouton avec la Nouvelle-Zélande.

Pour le dire brutalement, l'avis des vingt-sept États membres n'a pas vraiment d'impact sur les Britanniques. Ceux que nous avons rencontrés nous ont dit clairement que seul le président des États-Unis, pour des raisons historiques et linguistiques, pourrait avoir une influence favorable sur le maintien dans l'Union. Barack Obama s'est d'ailleurs rendu à cet effet en Grande-Bretagne et il « a fait le job ». Aujourd'hui, c'est donc le peuple britannique, souverain, qui décidera.

Pour conclure, j'ajouterai que tout, dans les propositions britanniques, n'est pas en faveur du Royaume-Uni. Ils ont une analyse qui leur est propre, très pragmatique, liée au marché et à l'économie, laquelle peut être source de progression pour Union européenne.

Mme Michèle André, présidente. - Quelle que soit l'issue du référendum, une gouvernance de la zone euro doit rapidement être élaborée. Peut-être est-ce le moment d'ouvrir cette perspective.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je vais répondre rapidement à ceux qui m'ont interrogé.

André Gattolin a demandé, à propos des dépenses de l'Union, s'il s'agissait de « brut » ou du « net ». Nous avons considéré que ces dépenses étaient maintenues, du fait de la programmation pluriannuelle. Sont prévus 8,5 milliards d'euros de contribution, mais nous n'avons pas défalqué les dépenses.

Oui, Marc Laménie, il existe bien un véritable risque de sortie d'autres pays, au-delà des conséquences économiques immédiates ; nous avons évoqué le cas de l'Écosse.

Yannick Botrel m'a interrogé sur la situation des Britanniques résidant en France, qui sont sensibles aux fluctuations de la livre : le prix des résidences secondaires dans certaines régions varie, en effet, en fonction de son cours, et nombre de compagnies low cost travaillent, notamment à destination du Sud-Ouest, uniquement avec les touristes ou résidents anglais. Il est clair qu'une baisse de la livre dégraderait fortement leur pouvoir d'achat. Je rejoindrai à cet égard Claude Raynal : le monde économique n'aime pas l'incertitude. Or le taux de change britannique reflète d'ores et déjà ce flottement.

Je suis rassuré que Philippe Dallier ait entendu les propos qu'il nous a rapportés non pas à Londres, mais au fin fond de l'Angleterre. Je partage, à titre personnel, son analyse : on se fait peur avec le « Brexit », mais je ne pense pas qu'il se produira. Il est certain que les Britanniques, qui ont davantage la culture économique, devraient penser à leur portefeuille et aux conséquences d'un « Brexit » sur l'avenir de l'Ecosse. Nous verrons dans quelques jours qui a raison....

François Marc m'a interrogé sur une éventuelle perte de productivité liée au « Brexit ». Celle-ci pourrait être la conséquence de la contraction du marché, lequel, étant moins ouvert sur l'extérieur, serait moins compétitif. Par ailleurs, l'économie britannique bénéficie de la diffusion de technologies au travers de programmes européens ; je pense à l'intégration à Airbus, par exemple. Il y a aussi, dans le domaine de la finance, beaucoup d'ingénierie, notamment française...

Globalement, la contraction d'un marché n'est pas bonne pour la compétitivité et la productivité, car elle entraîne une moindre diffusion des technologies, des savoir-faire, des compétences, y compris managériales, la baisse des investissements, en l'occurrence européens mais aussi américains.

Bernard Lalande a évoqué les avantages obtenus par le Royaume-Uni lors du Conseil européen de février 2016. Il est vrai que la technique de négociation britannique consiste à tenter toujours d'obtenir davantage, et c'est ce qu'a fait le Premier ministre David Cameron. Pourront-ils aller plus loin si le « Brexit » est rejeté ? Je n'en sais rien.

Alain Houpert, si « Brexit » il y a, l'Union européenne cessera de verser des fonds au Royaume-Uni, qui de son côté ne contribuera plus à hauteur de 8,5 milliards d'euros, mais les textes ne prévoient pas qu'un pays doive rembourser ce qu'il a reçu depuis qu'il a adhéré. D'ailleurs, cette somme s'élèverait peut-être à plusieurs centaines de milliards d'euros... Il ne s'agit pas d'un divorce comme il en existe au sein des communautés de communes !

Yvon Collin, la Grande-Bretagne ne pourrait plus se prévaloir de traités bilatéraux négociés par l'Union européenne, dès lors qu'elle n'en serait plus membre. Seuls les traités signés d'État à État seraient encore valables.

Claude Raynal, vous avez raison, l'incertitude n'est pas une bonne chose. Les effets s'en font déjà sentir sur la livre, sur le PIB britannique, sur le taux de change. C'est une forme d'anticipation...

Michel Bouvard, je ne sais pas du tout quelle serait l'attitude des États membres en cas de nouvelle demande de concession de la part du Royaume-Uni.

M. Michel Bouvard. - Combien a-t-on lâché ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - En février, beaucoup...

Mme Michèle André, présidente. - Il faut consulter le rapport de Fabienne Keller !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - En résumé, les incertitudes sont nombreuses. S'agissant des conséquences économiques directes, Éric Bocquet le disait, il faut relativiser les chiffres - une centaine d'euros pour chaque Français. Mais il faut songer aussi aux conséquences sur la construction de l'Union européenne, à l'incertitude que pourraient ressentir d'éventuels investisseurs asiatiques ou américains, lesquels percevraient la zone euro comme une zone de faible croissance. Nous sommes très dépendants de ces investisseurs !

Quoi qu'il en soit, il n'y a pas de boom de PIB à attendre du « Brexit », comme semblent le croire certains de ses partisans. Mais leurs arguments sont fondés sur le rejet de la bureaucratie européenne et de l'immigration bien plus que sur un raisonnement économique.

La commission donne acte de sa communication à M. Albéric de Montgolfier et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.

Conséquences budgétaires des attentats du 13 novembre 2015 sur le secteur du spectacle vivant - Communication

La commission entend ensuite une communication de MM. Vincent Eblé et André Gattolin, rapporteurs spéciaux, sur les conséquences budgétaires des attentats du 13 novembre 2015 sur le secteur du spectacle vivant.

M. Vincent Eblé, rapporteur spécial. - À la suite des attentats de novembre 2015, en particulier les événements tragiques survenus au Bataclan, les salles de spectacle ont dû renforcer les dispositifs de sécurité, alors même qu'elles faisaient face à une chute parfois brutale de la fréquentation.

Près de six mois après les attentats de novembre 2015, il nous a donc paru utile de procéder à un premier bilan des conséquences budgétaires des attaques terroristes sur le secteur du spectacle vivant.

Le budget culturel public subit le contrecoup des attentats de deux façons distinctes. D'une part, l'État finance les surcoûts des théâtres et des salles de concert publics. D'autre part, en ce qui concerne les salles de spectacles privées, l'État participe au financement du fonds d'urgence pour le soutien au spectacle vivant, qui vise à indemniser une partie des surcoûts supportés par les établissements de spectacle privés depuis novembre.

Nous avions en effet décidé, en loi de finances rectificative pour 2015, la création d'un fonds d'urgence au spectacle vivant. Certains d'entre nous avaient exprimé, lors de l'examen de cet article, quelques interrogations sur les modalités pratiques de fonctionnement du fonds. Cette communication a d'abord pour objet de répondre à ces interrogations et de vous apporter des éléments chiffrés sur les dépenses engagées par le fonds d'urgence en 2016.

Plus largement, il nous a paru utile d'essayer de recueillir quelques éléments relatifs à l'impact des attentats sur l'ensemble du secteur du spectacle vivant, y compris les théâtres publics.

Le fonds d'urgence, doté aujourd'hui de 6,065 millions d'euros, peut intervenir pour la quasi-totalité des structures de spectacle vivant du secteur privé : théâtres, mais aussi salles de concert, cabarets, cirques...

C'est le Centre national de la chanson, des variétés et du jazz, le CNV, qui gère le fonds. Cet élargissement temporaire des missions du Centre national des variétés est compensé par l'application de frais de gestion de 3,82 % prévus par le règlement intérieur du fonds. Ce taux est appliqué aux sommes allouées pour le fonds d'urgence. Il faut donc ajouter, au coût direct des subventions attribuées par le fonds, environ 4 % de frais de gestion.

Le CNV tient une comptabilité séparée des flux financiers attachés à cette procédure, en produits et en dépenses, dont il rend compte au conseil d'administration de l'établissement ainsi qu'à l'ensemble des contributeurs du fonds d'urgence.

M. André Gattolin, rapporteur spécial. - Les trois principaux contributeurs du fonds sont le Centre national des variétés, le ministère de la culture et de la communication et la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, la SACEM. La mairie de Paris et la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, la SACD, l'abondent également. Nos interlocuteurs ont souligné que l'ensemble des acteurs du spectacle vivant privé collaborent pour faire vivre ce fonds d'urgence, ce qui constitue une réussite notable pour un écosystème culturel souvent marqué par d'importantes rivalités.

Le fonds d'urgence intervient selon deux axes : la compensation partielle de pertes de recettes, liées à la chute de la fréquentation, et l'aide à la mise en sécurité des salles. Les demandes sont de plus en plus orientées sur les questions de sécurité, ce qui est cohérent avec la reprise progressive de fréquentation des lieux culturels. Le fonds attribue à la fois des aides financières directes, c'est-à-dire des subventions, qui représentent 88 % de l'enveloppe globale, et des avances à un taux de 12 %, remboursables sur une période maximale de deux ans.

Le fonds n'intervient pas en matière d'investissement mais uniquement de fonctionnement : il peut par exemple attribuer des crédits à un théâtre qui a engagé un vigile, mais n'accordera pas d'aide au titre de l'installation d'un portique détecteur de métaux.

Un dispositif de sélection des dossiers a été imaginé et mis en oeuvre dans l'urgence. Les critères d'attribution des aides ont été arrêtés dans le cadre du règlement du CNV. La prise de décision est relativement transparente, dans la mesure où tous les membres du comité d'engagement disposent des dossiers constitués par les demandeurs.

Le comité d'engagement se réunit environ une fois par mois.

M. Vincent Eblé, rapporteur spécial. - Après la réunion du 8 avril 2016, le bilan total fait état de 304 structures ayant soumis une demande pour un montant financier total de plus de 18,5 millions d'euros. On n'accède cependant pas à toutes ces demandes : ainsi, le nombre de dossiers retenus est de 222 structures, soit 73 % des demandes, et le total attribué est de 5,643 millions d'euros, soit 31 % du total des demandes. L'aide moyenne s'élève à environ 21 000 euros et elle est plafonnée à 130 000 euros.

À ce stade, le comité d'engagement a réalisé une prévision jusqu'à la fin de l'année 2016 qui montre que, pour faire face aux demandes en cours et à venir, le fonds devrait être renforcé de 6,6 millions d'euros supplémentaires. Ces moyens nouveaux seront nécessaires pour faire face notamment aux difficultés spécifiques des secteurs des festivals, du cirque et des cabarets. Le ministère de la culture a sollicité le ministère des finances pour présenter une demande d'ouverture de crédits complémentaires en loi de finances rectificative.

Au-delà du niveau des crédits, c'est la question de la pérennité du fonds qu'il faudra trancher. La loi prévoit que celui-ci peut fonctionner jusqu'en 2018. Une solution pourrait être de mettre le fonds en sommeil à partir de 2017 si la situation s'est stabilisée, afin d'éviter les effets d'aubaine.

Si le fonds est effectivement reconduit dans les années à venir, en 2017 et 2018, il faudra sans doute engager une réflexion sur son mode de fonctionnement, car il ne s'agira plus réellement d'un outil mis en place dans l'urgence. Il faudra notamment préciser ses finalités : s'agit-il d'un simple instrument de soutien économique au secteur du spectacle vivant ? Ou l'État voudra-t-il encourager la mise en place de mesures de sécurités définies ?

Les dépenses prises en compte devront aussi être précisées : la nature des surcoûts pris en charge devra être indiquée plus clairement et l'exclusion des dépenses d'investissement du fonds pourrait être revue.

M. André Gattolin, rapporteur spécial. - Le fonds n'intervient pas pour les acteurs publics, labellisés ou conventionnés par l'État. Ceux-ci n'ont évidemment pas eu d'autre choix que de s'adapter aux circonstances tragiques qui ont suivi les attentats du 13 novembre 2015. Les conséquences financières pour l'État résultant, à la fois, de la chute de la fréquentation et de la sécurisation des salles vont donc dépasser le montant des sommes comprises dans le fonds, car celui-ci ne vise que les établissements privés.

Paradoxalement, les surcoûts supportés par les théâtres publics sont aujourd'hui suivis de façon beaucoup moins précise que les aides du fonds d'urgence. Nous avons contacté plusieurs théâtres ainsi que l'administration du ministère de la culture. Ces échanges ne nous permettent pas de vous présenter un panorama absolument exhaustif de la situation, mais ils permettent de porter un premier regard sur ce sujet.

Sur la question d'une éventuelle baisse de la fréquentation, nos échanges avec la direction de plusieurs théâtres laissent penser que la situation est extrêmement hétérogène d'un établissement à un autre : certains n'ont senti quasiment aucun effet des attentats sur les ventes de billetterie, quand d'autres ont subi des pertes de recette significatives. La résilience des établissements dépend bien sûr de leur implantation : ceux du nord de Paris ont rencontré plus de difficultés pour faire revenir les spectateurs. Elle dépend aussi de leur public : les publics familiaux se sont apparemment montrés plus craintifs que d'autres catégories de visiteurs. Les concerts ont été particulièrement touchés, tandis que les activités muséales et théâtrales semblent mieux se maintenir.

Le surcoût des dispositifs de sécurité est plus clair. Pour les cinq théâtres nationaux que sont le théâtre de Strasbourg, l'Odéon, la Comédie-Française, Chaillot et la Colline, la charge budgétaire est estimée à 1,2 million d'euros. Au total, la Direction générale de la création artistique a fait une demande de 3,2 millions de crédits supplémentaires, en 2017, pour ses opérateurs intervenant dans le domaine de la création, au titre des mesures de sécurisation.

Mais les opérateurs de la création ne sont pas les seuls à supporter ces charges nouvelles : tous les établissements culturels accueillant du public ont dû renforcer les mesures de sécurité. Dans le cadre de ma mission de contrôle sur la Villa Médicis, à Rome, j'ai pu constater que le durcissement des mesures de sécurité préoccupait également cette institution, qui a vu ses coûts de sécurité doubler. Certes, les carabiniers italiens participent à l'effort de sécurisation, mais il faut aussi accroître le nombre de vigiles.

Nous espérons avoir pu vous éclairer sur les enjeux budgétaires auxquels fait face aujourd'hui le secteur du spectacle vivant à la suite des attentats. C'est un sujet auquel nous serons tout particulièrement attentifs lors de l'examen des textes budgétaires de l'automne prochain.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Le CNC a-t-il constaté une baisse de fréquentation des salles de cinéma ? Ou seul le spectacle vivant est-il concerné ? Qu'en est-il des parcs de loisirs ?

M. Marc Laménie. - Quelle est l'aire géographique d'intervention de ce fonds d'urgence ? Comment se répartissent les contributions financières ? Qu'en est-il pour les salles de cinéma ?

M. Maurice Vincent. - J'ai le sentiment que le coeur de Paris a été particulièrement impacté, et sans doute aussi la région parisienne. En province, en revanche, le retour à la normale a eu lieu assez rapidement, dès le mois de février. Il y a certes davantage de contrôles de sécurité, mais le public, me semble-t-il, est revenu dans les salles de spectacle. Mon constat est-il trop optimiste ?

M. Philippe Dallier. - Certains établissements, parce qu'ils bénéficient de ces aides, vont pouvoir se remettre plus facilement de cette période difficile. Il faut pourtant penser non seulement à Paris mais aussi à sa banlieue, non seulement aux grands établissements subventionnés mais aussi aux centres culturels communaux gérés par des associations qui ne vivent que des billets d'entrée et des crédits municipaux. Le mois de décembre a été pour ces centres une grande dégringolade ! Or aucun dispositif n'est prévu pour eux.

En dehors du spectacle vivant à proprement parler, le CNC dispose de moyens d'investissements importants pour les salles de cinéma. Peut-être pourrait-il contribuer à l'effort de compensation de la baisse de fréquentation des petits cinémas indépendants, baisse qui a eu un retentissement énorme sur ces associations, pour l'exercice 2015 impacté par deux fois.

M. Daniel Raoul. - J'aurais voulu savoir comment définir le périmètre du spectacle vivant. Philippe Dallier évoquait le cinéma ; je pense quant à moi au sport. La baisse de fréquentation des stades a été très nette au début de cette année. Or le sport est pour moi un spectacle : j'aime bien contempler le ballet des footballeurs !

Je m'inquiète par ailleurs des menaces pesant sur l'Euro 2016, en particulier concernant les fans zones. Les organisateurs de ces événements réalisent souvent une partie importante de leur chiffre d'affaires par la vente de diverses boissons dans ce qui s'apparente à une kermesse autour du match.

Quel a donc été l'impact global des attaques terroristes sur l'ensemble des spectacles et des loisirs ?

M. Thierry Carcenac. - Nous connaissons bien le rôle du spectacle vivant dans l'activité économique d'un territoire ; nous l'avons constaté à l'occasion de grèves. On a dû pouvoir tirer le bilan des pertes de recettes liées aux attentats sur l'exercice 2015. À cet impact, selon votre présentation, s'ajoute la nécessité, pour les opérateurs privés, de procéder à la mise en sécurité des salles. Ces frais d'investissement et de fonctionnement pour la sécurité devraient représenter la majorité de l'impact subi par ces opérateurs en 2016. Vous avez évoqué les festivals estivaux. A-t-on une idée des conséquences financières de leur mise en sécurité ?

M. Michel Canevet. - Les pertes d'exploitation devraient se résorber assez rapidement, mais les surcoûts liés à la sécurité sont durables. Avez-vous des préconisations à formuler en ce qui concerne ces mesures de sécurité ? D'autres dispositifs que la fouille pourraient-ils être institués de manière que les coûts ne soient pas exorbitants pour les organisateurs de spectacles ?

M. Vincent Eblé, rapporteur spécial. - S'agissant des pertes d'exploitation, vous avez bien compris que ce sujet très conjoncturel est assez largement derrière nous. Nous n'avons pas effectué une expertise distincte sur le secteur du cinéma, mais celui-ci ne nous a pas paru avoir subi un impact durable. En effet, avant même les attaques terroristes, les cinémas procédaient à des contrôles d'accès relativement vigilants. En outre, pour ce qui est des distributeurs et des maisons de production, leurs recettes sont nationales : la province étant nettement moins affectée que Paris, l'impact est limité.

En revanche, les cinémas indépendants parisiens peuvent avoir été plus touchés. Les cinémas ne sont de toute façon pas éligibles au fonds d'urgence, auquel le CNC ne contribue pas.

M. André Gattolin, rapporteur spécial. - Pour ce qui est de l'aire géographique du fonds, nous avons essayé d'en savoir plus mais nous avons eu du mal à appréhender la répartition exacte des dossiers. Ils sont très concentrés sur Paris et sa région, où l'impact des attentats a été le plus fort. Néanmoins, on prend aujourd'hui en compte des dossiers relatifs à des festivals : l'effet saisonnier devrait se révéler important.

La nature des pertes à compenser a aussi évolué avec le temps : les pertes en billetterie sont moindres, mais d'autres conséquences fortes se font jour. Avec l'Euro 2016 de football, le risque se diffuse de la capitale vers d'autres villes hôtes de matchs, qui doivent à leur tour se montrer vigilantes.

Le financement du fonds est mixte : sur les 6 millions d'euros distribués, le CNV a contribué à hauteur de 2 millions d'euros, la Ville de Paris de 750 000 euros, le ministère de la culture de 1 million d'euros, de même que la SACEM ; l'ADAMI a quant à elle versé 500 000 euros et la SACD, 150 000 euros.

La participation de nombreux acteurs du spectacle vivant au financement du fonds constitue un avantage, car cela permet au comité d'engagement d'avoir une certaine légitimité pour mieux évaluer les impacts déclarés par les requérants. Sur 304 demandes, 222 ont abouti ; sur 18 millions d'euros demandés, 6 millions d'euros ont été distribués. Il s'est en effet avéré que certaines demandes provenaient d'organisateurs de spectacles dont le piètre succès de billetterie était surtout dû à leur fiasco artistique... Dans de tels cas, la profession ne se gêne pas pour dénoncer l'abus, alors qu'il serait bien plus délicat pour le ministère de la culture de le faire. Ce système de gestion, assez expérimental, est tout à fait intéressant.

M. Vincent Eblé, rapporteur spécial. - Au-delà des pertes d'exploitation, le sujet est bien celui des coûts de mise en sécurité. Nous n'avons pas étudié plus avant cette problématique ; nous nous en sommes tenus à la répartition des crédits mobilisés au travers du fonds d'urgence.

Sans doute faudrait-il étudier les modalités de gestion des flux de public, y compris autour des fans zones : fermer ces dernières ne résoudrait pas le problème car les fans se retrouveraient bien quelque part. Il n'y a pas de dispositif de sécurité absolue ; néanmoins, il serait utile d'identifier les bonnes pratiques et de les populariser auprès non seulement des opérateurs de spectacles, mais aussi d'autres établissements accueillant du public, tels les musées. La majorité de ces derniers fonctionnent sur fonds publics et doivent arbitrer en fonction des moyens qui leur sont accordés ; les musées privés font également face à des coûts croissants de sécurité.

Il reste à déterminer si cette problématique est cruciale du point de vue économique. Nous avions considéré, ce qui a mené à la création du fonds d'urgence, que tel était le cas dans le domaine du spectacle vivant à proprement parler. Or les surcoûts liés à la sécurité sont loin d'être derrière nous : les responsables du fonds d'urgence nous disent qu'il faut le prolonger, car les besoins vont perdurer. Une telle prolongation devrait néanmoins faire l'objet d'une solution budgétaire autre que le prélèvement sur le fonds de roulement du CNV, qui ne peut être renouvelé. Nous verrons si les arbitrages budgétaires permettront cette solution.

M. André Gattolin, rapporteur spécial. - Nous sommes bien dans une deuxième étape, où la baisse des recettes n'est plus un problème. À plus long terme, la sécurisation des lieux et son coût sont plus importants. Il n'existe pourtant pas, à l'heure actuelle, de protocole bien défini par le ministère de la culture sur les mesures de sécurité à mettre en place. Certes, cela laisse de la flexibilité aux collectivités et aux organisateurs, qu'ils soient privés ou associatifs. Il faut se garder d'imposer des mesures disproportionnées. En somme, il s'agit de passer d'une gestion d'urgence à une gestion d'investissement, avec les abondements adéquats.

La commission donne acte de leur communication à MM. Vincent Eblé et André Gattolin, rapporteurs spéciaux.

Questions diverses

Mme Michèle André, présidente. - Les commissions des finances des deux assemblées ont donné mardi dernier un avis sur un projet de décret d'avance.

Les deux commissions des finances contestaient notamment les annulations de crédits sur le programme 172 « Recherches scientifiques et technologies pluridisciplinaires ».

J'ai reçu hier après-midi du secrétaire d'État au budget une version rectifiée du projet de décret d'avance, que je vous ai transmise par voie électronique.

La modification porte sur la suppression de l'annulation de 134 millions d'euros de crédits sur le programme 172 et la minoration à due concurrence des ouvertures de crédits en faveur du plan d'urgence pour l'emploi.

C'est la première fois qu'un projet de décret d'avance est modifié pour tenir compte des observations formulées par les commissions des finances, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Il peut arriver que nous doutions de l'écoute du Gouvernement, mais parfois nous sommes entendus ! Le projet de décret a donc été modifié. Formellement, aux termes de la loi organique relative aux lois de finances, les décrets d'avance sont pris après avis des commissions des finances des deux assemblées. Un nouveau projet de décret implique donc, en théorie...

M. Philippe Dallier. - Un nouvel avis !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - ... que nous émettions un nouvel avis.

Néanmoins, la modification consiste seulement en la suppression des annulations de crédits prévues sur les opérateurs de la recherche, à hauteur de 134 millions d'euros, dans le premier projet. Sur ce point, il y avait eu convergence d'analyse entre les commissions des finances du Sénat et de l'Assemblée nationale.

Nous avions émis de nombreuses autres réserves, notamment sur la sous-budgétisation chronique de certaines missions ou encore sur la suppression de crédits sur le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État », effectuée alors même qu'Areva et EDF auraient bientôt besoin, selon Emmanuel Macron lui-même, d'une recapitalisation considérable.

Le sujet de la recherche avait fait pencher la balance vers un avis défavorable. Dès lors que le Gouvernement nous a entendus sur ce point et n'a procédé qu'aux modifications strictement nécessaires pour répondre à notre préoccupation, il ne me semble pas nécessaire de nous réunir formellement pour émettre un nouvel avis.

Je suis convaincu que, si les parlementaires jouaient leur rôle et disaient « non » au Gouvernement plus souvent, notamment lors du dépôt tardif d'amendements de séance substantiels, le Gouvernement se montrerait plus discipliné. Aux yeux du secrétariat d'État au budget, ce décret d'avance n'était qu'une formalité ; notre opposition a surpris et nous avons été entendus. Il s'agit de renforcer le rôle du Parlement plutôt que de se contenter d'être une simple chambre d'enregistrement !

Par ailleurs, j'ai demandé au Gouvernement si la minoration, proposée dans ce nouveau projet, des crédits dédiés au plan d'urgence pour l'emploi n'allait pas à l'encontre du caractère urgent, selon ses propres termes, de ces dépenses. Il m'a été répondu que l'urgence était réelle, que ce décret d'avance permettrait néanmoins de tenir pendant l'été et qu'un autre décret d'avance nous serait soumis pour avis, probablement en septembre.

M. Philippe Dallier. - Il me semblait que les annulations de crédits pour la recherche représentaient au total 256 millions d'euros. Comment se fait-il que seuls 134 millions d'euros soient aujourd'hui rendus à cette mission ?

Par ailleurs, je n'ai pas comparé les deux projets ligne à ligne. Le Gouvernement s'est-il bien abstenu de toute autre modification ?

Mme Michèle André, présidente. - Oui, aucune autre modification n'a été effectuée.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Les crédits alloués au plan d'urgence pour l'emploi ont simplement été diminués à concurrence de la suppression de l'annulation de crédits au programme 172. Les autres missions ne sont pas touchées.

Les 256 millions d'euros que vous citez correspondent à l'ensemble des annulations de crédits que le projet initial de décret d'avance envisageait sur la mission « recherche et enseignement supérieur ». Les 134 millions d'euros rétablis correspondent au seul programme 172. Tous les crédits annulés sur cette mission n'ont pas été rétablis. Néanmoins, mes chers collègues, dans la mesure où ce nouveau projet se borne à tenir compte d'une partie de l'avis de la commission, sans autres modifications, je vous propose de considérer qu'il n'y a pas lieu de formuler un nouvel avis.

La réunion est levée à 12 h 00.