Mercredi 28 septembre 2016

- Présidence de Mme Michèle André, présidente -

Contrôle budgétaire - Financement des infrastructures de transport - Communication

La réunion est ouverte à 9 h 37.

Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission entend une communication de Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur spécial, sur les travaux du groupe de travail sur le financement des infrastructures de transport.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur spécial du programme 203 « Infrastructures et services de transport » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables ». - Le 10 février dernier, notre commission a mis en place un groupe de travail pluraliste sur le financement des infrastructures de transport composé de Vincent Capo-Canellas, Yvon Collin, Thierry Foucaud, Roger Karoutchi, Fabienne Keller, François Patriat, Daniel Raoul et moi-même.

Les grandes infrastructures de transport constituent un enjeu décisif pour notre pays en matières économique, sociale et environnementale. En facilitant la circulation des personnes et des biens, elles sont sources de croissance, favorisent le désenclavement des territoires les moins favorisés et permettent un report modal vers les types de transports les plus sobres en carbone.

Pour autant, leur financement constitue un sujet épineux, dans la mesure où l'entretien des infrastructures existantes et l'extension ou la construction de nouvelles infrastructures reposent sur des investissements massifs particulièrement difficiles à mobiliser dans le contexte budgétaire contraint que connaît aujourd'hui notre pays, ainsi que l'illustre la situation financière précaire de l'Agence de financement des infrastructures de transports de France (AFITF).

Dans ce contexte, nous avons souhaité, au lancement de nos travaux, répondre à des questions simples : la France investit-elle suffisamment dans ses infrastructures de transport et sélectionne-t-elle les meilleurs projets ? Les principaux projets d'infrastructures actuellement programmés ou en cours de réalisation sont-ils soutenables d'un point de vue budgétaire et financier ? Quelles sont aujourd'hui la situation et les perspectives financières des acteurs chargés d'investir dans les infrastructures de transports ? Les travaux du groupe de travail se sont concentrés sur le financement des grandes infrastructures de transport routier, autoroutier, ferroviaire et fluvial, excluant les transports collectifs en site propre, les ports et les aéroports.

Ayant été désignée par mes collègues comme porte-parole de notre groupe de travail, je vais à présent vous en présenter les conclusions.

Pendant longtemps, les plans quinquennaux élaborés par le Commissariat général du plan ont permis à notre pays de disposer d'une vision claire et forte des projets d'investissements de l'État dans les infrastructures de transport. Leur disparition a laissé un vide qui n'a jamais vraiment été comblé. À la suite du Grenelle de l'environnement, les pouvoirs publics ont adopté en 2011 un schéma national d'infrastructure de transport (SNIT) au terme d'une importante concertation. Mais il s'agissait d'une longue liste de projets non hiérarchisés, dont la facture totale représentait a minima 245 milliards d'euros, ce qui a décrédibilisé cet exercice.

En 2013, la commission « Mobilité 21 », composée de parlementaires et de personnalités qualifiées, a présenté un rapport visant à établir une hiérarchisation et un « phasage » des opérations inscrites dans le SNIT de 2011. Elle a ainsi classé les projets en trois groupes : les premières priorités dont l'engagement doit intervenir avant 2030, les secondes priorités dont l'engagement doit être envisagé entre 2030 et 2050 et les projets à horizon plus lointain pour lesquels il est proposé de suspendre les études. Les conclusions de ce rapport qui, pour la première fois depuis longtemps, promouvait une véritable stratégie pour nos infrastructures de transport, ont constitué la feuille de route du Gouvernement depuis 2013.

L'ensemble des personnes que nous avons entendues ont salué le travail réalisé par la commission « Mobilité 21 ». Notre groupe de travail considère donc que son action doit être pérennisée et amplifiée. En effet, la commission « Mobilité 21 » n'était qu'une commission ad hoc, dont les conclusions n'ont pas valeur juridique contraignante. Elle a été dissoute une fois son rapport remis et n'a donc pas pu assurer un suivi de ses préconisations.

Nous proposons donc, à l'instar de ce qui existe en Allemagne, d'adopter, au début de chaque législature, une loi de programmation des infrastructures de transport, établissant une liste hiérarchisée des grands projets et une programmation financière pluriannuelle. Cette loi serait élaborée sur la base des travaux d'une commission permanente composée d'élus nationaux, locaux et d'experts, qui serait ensuite chargée d'examiner tous les ans l'avancement des projets programmés et de proposer, le cas échéant, des ajustements.

À un niveau beaucoup plus fin, notre groupe de travail a également souhaité analyser précisément la manière dont les projets d'infrastructure de transport sont choisis dans notre pays. Nous avons acquis la conviction que ce processus de sélection manquait encore trop souvent de rigueur et de clarté. La France possède une expertise ancienne et reconnue en matière d'évaluation socio-économique des infrastructures de transport. Nos bureaux d'études savent précisément prendre en compte l'ensemble des variables qui permettent de déterminer si un projet sera bénéfique ou non à la société dans son ensemble. Mais l'importance des résultats de ces évaluations socio-économiques tend parfois à être minorée lorsqu'elles sont peu favorables au projet présenté.

Plus inquiétant, nous avons pu constater, grâce aux bilans instaurés par la loi d'orientation des transports intérieurs - dits « bilans LOTI » - réalisés trois à cinq ans après la mise en service de grandes infrastructures, que les coûts de construction présentés dans ces études étaient sous-estimés en moyenne de 10 % à 20 %. En outre, si les estimations des trafics routiers étaient généralement réalistes, celles des trafics ferroviaires étaient en moyenne inférieures de 27 % aux prévisions.

C'est pourquoi nous souhaitons que soit systématiquement privilégiée la fourchette basse des hypothèses de trafic et la fourchette haute des coût de construction pour établir le scénario de référence des études socio-économiques des projets d'infrastructure de transport, afin d'éviter de surévaluer leur rentabilité et de mieux cartographier les risques.

Le législateur a déjà mis en place une procédure destinée à améliorer la qualité des études et à éviter certaines dérives, en confiant, fin 2013, au Commissariat général à l'investissement (CGI) la mission de mener une contre-expertise indépendante de l'évaluation socio-économique des projets financés par l'État ou ses établissements publics pour un montant supérieur à 100 millions d'euros.

Cette nouvelle procédure, qui est applicable à tous les projets n'ayant pas connu un début de réalisation avant le 27 décembre 2013, a déjà permis d'améliorer de nombreux projets grâce aux recommandations du CGI. Comme en témoigne son avis sur la seconde partie de la ligne 18 du Grand Paris express, le CGI n'hésite pas à donner un avis défavorable lorsque la rentabilité socio-économique d'une infrastructure lui paraît trop faible. Notre groupe de travail souhaite donc que le CGI puisse se saisir de projets antérieurs à 2014, afin d'éclairer les pouvoirs publics par ses analyses.

Au cours de ses auditions, notre groupe de travail a été alerté sur le caractère très tardif de la recherche de financements des infrastructures de transport et sur l'absence fréquente d'études de soutenabilité budgétaire, exigées seulement dans le cas du recours à un marché de partenariat. C'est pourquoi nous jugeons indispensable que la structure de financement de tout grand projet d'infrastructure de transport soit déterminée en amont, dès la phase de conception, en vue de garantir la viabilité financière du projet et de la soumettre au débat public et que la réalisation d'une étude de soutenabilité budgétaire du plan de financement proposé soit rendue obligatoire pour tous les investissements publics en matière d'infrastructure de transport supérieurs à 20 millions d'euros.

Nous avons étudié avec précision les trois grands types de montages financiers qui permettent de financer un projet d'infrastructure de transport : la concession, le contrat de partenariat public-privé et la maîtrise d'ouvrage publique. La concession, système dans lequel le co-contractant privé de la personne publique est rémunéré avant tout par l'exploitation commerciale de l'infrastructure et les recettes versées par les usagers, est un système utilisé dans notre pays depuis le XIXe siècle et qui a fait ses preuves. Il a largement été utilisé depuis une soixantaine d'années pour développer notre système autoroutier.

Nous n'avons pas souhaité rouvrir le débat sur la rentabilité des sociétés concessionnaires d'autoroutes, qui s'est terminé par l'adoption de nouvelles clauses contractuelles prévoyant un partage de leurs éventuels surprofits avec l'État et des pouvoirs de contrôle importants confiés à l'agence de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER).

Néanmoins, nous estimons que la méthode utilisée pour financer le plan de relance autoroutier annoncé le 9 avril 2015 ne devrait pas être utilisée de nouveau à l'avenir. Pour mémoire, les sociétés concessionnaires d'autoroutes avaient accepté de réaliser une trentaine de projets d'infrastructures sur le réseau concédé en échange d'un allongement de la durée des concessions de deux à quatre ans.

Pour l'État, ce type de procédé, qui n'implique aucune mise en concurrence, est commode. Il permet de pratiquer une relance par les travaux publics, sans utiliser de crédits budgétaires, ni faire appel à des hausses de péages impopulaires, à l'instar de celles qui ont été annoncées la semaine dernière. Mais il rend quasiment impossible pour les parlementaires, et a fortiori pour le grand public, la connaissance précise du taux de rentabilité des concessions, renforçant la suspicion à l'égard des sociétés d'autoroutes.

Dans le domaine ferroviaire, nous manquons sans doute encore un peu de recul pour savoir si la concession peut être un véritable succès. Le projet de ligne à grande vitesse Sud Europe Atlantique reliant Tours à Bordeaux a été marqué par les tensions suscitées par la question du trafic futur entre le concessionnaire Lisea et la société nationale des chemins de fer français (SNCF). Le projet Perpignan-Figueras, pour sa part, a subi un échec retentissant.

Les marchés de partenariat, dans lesquels le co-contractant privé est rémunéré par la personne publique via des loyers, ont été pour le moment assez peu utilisés pour les infrastructures de transport. Ils présentent pourtant de nombreux atouts et mériteraient d'être plus souvent sollicités pour mettre à profit les compétences du secteur privé. Toutefois, nous avons également été très attentifs aux nombreux appels de nos interlocuteurs à préserver et à renforcer la qualité de la maîtrise d'ouvrage publique, confrontée aujourd'hui à un risque réel d'affaiblissement. Les personnes publiques ne doivent pas se reposer entièrement sur les acteurs privés mais conserver des compétences robustes leur permettant de concevoir elles-mêmes des projets d'infrastructure lorsque c'est la solution la plus opportune et de contrôler efficacement leurs co-contractants privés dans les autres cas.

Après nous être penchés sur la sélection des projets d'infrastructure et sur leurs méthodes de financement, nous avons souhaité nous intéresser aux grands projets actuellement en cours et à leur soutenabilité financière. Notre réseau routier est le troisième d'Europe avec un million de kilomètres de routes, dont 11 560 kilomètres d'autoroutes. Notre réseau ferroviaire est le deuxième d'Europe avec 29 000 kilomètres de voies ferrées, y compris pour la grande vitesse. Notre réseau de voies navigables est le premier d'Europe, avec 8 500 kilomètres de voies d'eau.

L'étendue et la qualité de nos réseaux de transports valent à la France d'être classée à la septième place des meilleurs réseaux d'infrastructure au monde par le Forum économique mondial. On observe toutefois une récente dégradation, puisqu'elle occupait la quatrième position dans le classement 2011-2012. Cette situation s'explique par le vieillissement de nos réseaux historiques. C'est vrai dans le secteur routier et dans celui des voies navigables. Mais c'est le cas du réseau ferré qui est le plus alarmant.

À force de consacrer toutes les ressources financières et humaines de la SNCF au développement des lignes à grande vitesse, notre pays a gravement négligé les autres lignes du réseau structurant, notamment en Île-de-France, si bien que l'âge moyen du réseau atteignait 32 ans en 2015. Les désagréments sont nombreux pour les usagers, et c'est parfois même leur sécurité qui peut être mise en péril, comme l'a montré le tragique accident de Brétigny-sur-Orge survenu le 12 juillet 2013.

Assurer le renouvellement et la modernisation de nos réseaux, après plusieurs décennies de sous-investissements, représente une tâche colossale et de longue haleine. Le Gouvernement, qui a pris progressivement conscience de l'enjeu, a mis en place ces dernières années des plans destinés à augmenter l'investissement en faveur de leur régénération. Alors qu'en 2005 l'effort de rénovation du réseau ferroviaire n'était que de 900 millions d'euros par an, il est désormais de 2,5 milliards d'euros par an. Mais ce montant permet seulement de limiter le vieillissement des lignes les plus circulées. Il ne permet ni de remettre à neuf la signalisation, ni de moderniser les lignes de desserte fine des territoires.

C'est pourquoi votre groupe de travail estime qu'il est indispensable de dégager 1 à 2 milliards d'euros supplémentaires en faveur du renouvellement des lignes structurantes de notre réseau ferré, afin de porter l'effort consenti par SNCF-Réseau entre 3,5 et 4,5 milliards d'euros par an pendant quinze ans. Pour assurer le financement de ce grand plan de modernisation, nous estimons qu'il est inévitable que l'État gèle, là encore pendant une quinzaine d'années, toute participation au financement de projets de développement de nouvelles lignes LGV, ce qui n'empêchera pas que des études, financées par l'Union européenne ou par les collectivités territoriales, puissent continuer à être menées.

En outre, dans la mesure où l'État aura les pires difficultés à tenir simultanément l'ensemble de ses engagements dans les années à venir - liaison ferroviaire Lyon-Turin, canal Seine-Nord Europe, Grand Paris express - il devra revoir, dans certains cas, ses ambitions à la baisse et, surtout, s'interdire de promouvoir de nouveaux projets.

Enfin, notre groupe de travail a étudié la question de l'impact des projets d'infrastructure de transport sur les finances publiques. En moyenne, les investissements en infrastructures de transport réalisés en France ont représenté environ 1 % du produit intérieur brut (PIB) au cours des dernières années. En 2015, le niveau d'investissement a légèrement diminué pour s'établir à 18 milliards d'euros, soit 0,8 % du PIB, un volume élevé par rapport aux autres pays de l'Union européenne, y compris l'Allemagne. Sur ces 18 milliards d'euros, 14 milliards ont été investis par les personnes publiques, dont 4,39 milliards d'euros par l'État, directement ou via son bras armé, l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF), qui assure également sa participation aux contrats de plan État-région (CPER).

Si notre pays investit en moyenne suffisamment dans ses infrastructures de transport, il n'en demeure pas moins que les crédits budgétaires qu'y consacre l'État sont notoirement insuffisants pour faire face aux engagements qu'il a souscrits par le passé. De plus, même si la France bénéficie largement de soutiens financiers du budget de l'Union européenne - à hauteur d'environ 2 milliards d'euros entre 2015 et 2020 - et de prêts de la BEI, ceux-ci ne peuvent constituer qu'un complément aux projets participant à la construction du réseau transeuropéen. Un récent référé de la Cour des comptes analysant la situation financière de l'AFITF montre ainsi que l'État devra dégager entre 2017 et 2019 entre 1,6 et 4,7 milliards d'euros en plus des ressources actuellement prévues pour permettre à l'agence de les honorer. Augmenter les ressources de l'AFITF pour qu'elle puisse faire face à ses engagements, en particulier avec la montée en charge du Lyon-Turin et du canal Seine-Nord Europe, apparaît donc comme une nécessité incontournable.

Si l'État est confronté à une situation budgétaire difficile, que dire de SNCF-Réseau ? L'entreprise porte aujourd'hui une dette de 44 milliards d'euros, dont les intérêts viennent grever ses finances de 1,2 milliard d'euros par an, et ce, dans un contexte de taux bas. Cette dette, qui a connu une forte hausse ces dernières années en raison du lancement simultané de quatre lignes à grande vitesse après le Grenelle de l'environnement, est devenue un fardeau très lourd à porter pour le gestionnaire de notre réseau ferré national.

Malgré le reclassement en comptabilité nationale par l'INSEE de 10,9 milliards d'euros de la dette de SNCF-Réseau en dette publique en 2014, le Gouvernement refuse pour le moment catégoriquement d'envisager tout cantonnement ou toute reprise par l'État, même partielle, de cette dette, au motif qu'une telle opération viendrait dégrader le déficit et la dette de l'État. Si une telle solution présente de nombreux inconvénients, il sera bien nécessaire de s'attaquer un jour ou l'autre au problème, sans attendre que SNCF-Réseau soit en proie à de graves difficultés financières, par exemple en cas de hausse des taux d'intérêt.

La loi du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire a instauré une « règle d'or », selon laquelle SNCF-Réseau ne peut financer de nouveau projet d'investissement qu'à la condition de respecter un certain ratio d'endettement. Toutefois, le décret d'application fixant ce ratio se fait toujours attendre. Dans la mesure où l'entrée en vigueur de la « règle d'or » ferroviaire ne permettra pas de faire progresser la situation, nous restons persuadés que le Gouvernement devra tôt ou tard envisager une opération de reprise, même partielle, de la dette de SNCF-Réseau ou son cantonnement dans une structure dédiée, à même de redonner des marges de manoeuvre à un opérateur qui doit pleinement se mobiliser en faveur de la modernisation de notre réseau ferré.

Puisque l'État comme ses grands opérateurs - AFITF, SNCF-Réseau, Voies navigables de France - devront assurer le financement dans les années à venir de très lourds investissements, le gel de certains projets ne suffira pas à dégager les crédits nécessaires. Dès lors, de nouvelles ressources devront probablement être dégagées. Dans cette perspective, votre groupe de travail a souhaité se pencher sur les pistes qu'il pourrait être utile d'explorer à brève échéance.

Après l'abandon de l'écotaxe poids lourds, une fraction supplémentaire de TICPE avait été affectée à l'AFITF. Cette solution avait été relativement bien acceptée car elle s'inscrivait dans un contexte de baisse des prix des carburants. Mais elle présente le défaut de s'appliquer indistinctement à tous les véhicules, quel que soit le réseau sur lequel ils circulent, et de mettre peu à contribution les poids lourds étrangers en transit.

À moyen et long termes, un rééquilibrage entre les contributions respectives des usagers et des contribuables apparaît donc incontournable. À l'issue de ses travaux, le groupe de travail considère que deux pistes méritent plus particulièrement d'être considérées : l'introduction d'une nouvelle forme de contribution sur la circulation des véhicules routiers, que ce soit sur le modèle de l'écotaxe ou bien d'un « droit d'usage », et la hausse modérée de la participation de l'usager au transport ferroviaire de proximité, particulièrement en Île-de-France. Si une nouvelle forme de contribution poids lourds devait être introduite en France, deux options seraient envisageables : une redevance kilométrique sur tout ou partie du réseau non concédé pour les poids lourds de plus de 3,5 tonnes, sur le modèle de l'écotaxe adoptée en 2013, ou l'introduction d'une vignette sur les véhicules poids lourds, assimilable à un droit d'usage du réseau routier non concédé.

Dans tous les cas, la redevance ou le droit d'usage devront être affectés en priorité à l'AFITF. La proposition de la Cour des comptes d'accroître la part du coût des transports collectifs financée par les voyageurs en Île-de-France, si elle ne peut être exclue, doit être envisagée avec précaution. Une hausse du prix des billets permettrait de rééquilibrer la charge entre le contribuable et l'usager. Toute hausse devrait s'accompagner d'une amélioration perceptible de la qualité de l'infrastructure car, sans une meilleure qualité de service rendu, il est illusoire d'imaginer que la mesure serait acceptée par les usagers ou considérée comme légitime.

M. Thierry Foucaud. - Je rappellerai tout d'abord que le débat sur les infrastructures de transport est un débat récurrent et qu'une mission d'information avait été constituée en 2007 sur ce sujet.

Je rejoins certains constats formulés par Marie-Hélène Des Esgaulx. Les infrastructures de transport souffrent en effet d'un sous-financement chronique mais aussi de choix politiques qui se sont traduits par un asséchement des sources de financement. L'AFITF, qui a été créée pour sanctuariser ces ressources et permettre un rééquilibrage au profit des modes alternatifs à la route, est aujourd'hui moribonde. La privatisation des concessions d'autoroute et l'abandon de l'écotaxe ont privé cette structure de ressources pérennes. La question fondamentale du financement des infrastructures de transport est donc d'une actualité brûlante.

Je partage en outre certaines propositions faites par le groupe de travail. La semaine dernière, j'ai d'ailleurs émis une opinion positive sur ses travaux et me suis abstenu en raison d'un désaccord avec certaines propositions. Mon groupe devrait adopter cette même position ce matin.

Nous sommes favorables à l'investissement sur les quinze prochaines années dans la maintenance, le renouvellement et la modernisation des réseaux existants, comme le rapport Rivier le préconisait. Je rappelle cependant que, si l'on considère que ces investissements doivent être publics, cela suppose de desserrer l'étau sur les finances publiques. Les politiques de rigueur et la baisse des dotations sont incompatibles avec un tel effort.

S'agissant de la transparence, nous soutenons l'idée d'une loi de programmation qui permettrait d'améliorer la visibilité en matière de projets d'infrastructures de transport, ce qui était d'ailleurs déjà demandé dans le rapport de la commission « Mobilité 21 ». Nous sommes également favorables à la transmission du budget de l'AFITF au Parlement.

En matière de financements, nous partageons l'idée d'un encadrement des concessions autoroutières, dont l'abandon au privé a constitué une faute politique et stratégique majeure.

Ne pas rallonger la durée des concessions nous semble aller dans le bon sens. Nous allons cependant plus loin en proposant une renationalisation des sociétés autoroutières. L'État doit, dans un premier temps, dénoncer les contrats de concession en arguant de considérations d'intérêt général liées à la maîtrise de ce réseau. À défaut, il restera pieds et mains liés par les concessionnaires, qui exigeront continuellement des augmentations de tarif sur un patrimoine qui, je le rappelle, a été financé par l'impôt. Il s'agit d'une rente privée réalisée sur des investissements publics. Or le taux de rentabilité des sociétés autoroutières atteint 9 %, ce qui me semble exagéré.

Nous partageons en outre l'idée d'apporter de nouvelles ressources à l'AFITF, qui permettraient d'ailleurs de financer la renationalisation des sociétés d'autoroute que nous appelons de nos voeux.

Notre groupe va remettre une contribution sur les propositions formulées par le groupe de travail. Je le répète, nous portons un regard globalement positif sur ses travaux, mais, dans la mesure où nous sommes opposés à certaines propositions, telles qu'un financement reposant sur une plus grande contribution des usagers, nous nous abstiendrons.

M. Roger Karoutchi. - Je partage l'ensemble des conclusions présentées par Marie-Hélène Des Esgaulx. Je suis frappé par les effets de mode. Fût un temps où tout le monde considérait comme normal que la plupart des financements de la SNCF soient consacrés au TGV. On s'est ensuite rendu compte que ce choix avait pour conséquence de tuer les dessertes de proximité, les lignes de province et Intercités. On a donc fait marche arrière à tout va. Sans parler de l'entretien des canaux...

Je souscris à l'idée de trouver de nouveaux modes de financement. Il faut investir dans les quinze ou vingt ans qui viennent dans les transports publics. Mais avec quel argent ? S'il s'agit d'un voeu pieu, cela ne sert à rien. Où sont les réserves financières ? Pas dans la dette de la SNCF ni dans les moyens de l'AFITF. Nous sommes d'accord sur le constat et les préconisations, mais nous sommes aussi d'accord pour dire qu'il n'y a pas un centime de disponible pour les mettre en oeuvre.

En Île-de-France, le financement du Grand Paris express ne coûtera pas un centime à l'État. En effet, un système étonnant a été mis en place où les entreprises payent plus et les citoyens, y compris ceux qui ne sont pas usagers des transports, contribuent lourdement : le Grand Paris express sera financé grâce à des taxes supplémentaires payées par l'ensemble des citoyens et les entreprises. Il convient cependant de clarifier les choses : soit on choisit de faire peser le coût de ce projet sur l'usager et il convient alors de supprimer les taxes pesant sur l'ensemble des ménages, qui n'utilisent pas nécessairement les transports, soit on considère que le Grand Paris express doit être financé via une contribution publique. Je constate cependant l'absence de contribution de l'État depuis des années. Nous payons d'ailleurs ce choix très lourdement aujourd'hui : l'ensemble des financements ayant été orientés vers le TGV, la SNCF n'a pas réalisé les investissements nécessaires sur nos voies - d'où les accidents - ni sur nos réseaux - on en mesure l'usure - ou encore sur nos rames - on ne peut que constater l'ancienneté des trains... Il est grand temps qu'il y ait un vrai effort d'investissement en Île-de-France.

M. Vincent Capo-Canellas. - Je salue la présentation de Marie-Hélène Des Esgaulx qui a été fidèle aux réflexions du groupe de travail. Dans le cadre de nos travaux, nous avons essayé d'aborder de nombreux sujets de manière claire et sans en écarter aucun. Je pense par exemple à la question de la dette de SNCF-Réseau, nos conclusions différant sensiblement de celles du Gouvernement. On ne peut pas continuer cette fuite en avant. Le système ferroviaire souffre d'une grave embolie : en termes de réseau et de financement.

Il nous est apparu nécessaire de trouver une source de financement en remplacement de l'écotaxe, ce qui est un sujet difficile dans certaines régions, Michel Canevet ne me démentira pas sur ce point.

Nous avons également souhaité lever des non-dits tels que l'affaiblissement global de la politique des transports, qui relève aujourd'hui d'un secrétariat d'État alors qu'elle faisait l'objet d'un ministère de plein exercice il y a quelques années encore. Aujourd'hui, on traite ce sujet comme d'une question subalterne.

Enfin, nous avons souhaité faire des efforts de clarification, y compris douloureux, en rappelant qu'en Île-de-France, l'usager devra être mis davantage à contribution, même si une telle proposition n'est pas populaire.

Pour autant, notre groupe de travail n'a pas épuisé l'ensemble des problématiques. Il convient désormais de replacer la politique des transports dans un cadre global. Nous devons considérer ce secteur comme un élément de relance et de politique de l'emploi. Les classements rappelés par Marie-Hélène Des Esgaulx sont en effet alarmants : la dégradation de ses réseaux de transport fait perdre des places à la France en termes d'attractivité.

M. Daniel Raoul. - Contrairement à Thierry Foucault, je dirais que le rapport est globalement positif, sans connotation historique. J'aurais toutefois souhaité que nous approfondissions la question de la rentabilité et de la transparence des partenariats publics-privés (PPP). Par ailleurs, je considère qu'avoir vendu les concessions d'autoroute, les « bijoux de famille », était une faute politique. Il s'agit en effet de machines à cash, dont on aurait eu besoin pour soulager la dette de la SNCF-Réseau.

François Patriat et moi-même acceptons donc d'adopter le rapport.

M. Louis Nègre, rapporteur pour avis du programme « Infrastructures et services de transports » au nom de la Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Je salue la qualité d'un rapport consensuel sur un sujet qui intéresse tout le monde. Nous connaissons depuis des années la situation de nos infrastructures de transport et nous savons qu'il s'agit d'un point fort de la France mais l'État n'a pas été capable de trouver le moyen de les financer. N'allez pas en Suisse, vous verrez comment fonctionne un pays civilisé dans ce domaine ! Grâce à une loi de programmation correspondant à la durée d'un mandat, avec un financement associé, la Suisse dispose d'une vraie vision : c'est précisément ce qui manque à notre pays. D'ailleurs, un collègue l'a déjà souligné, le secrétaire d'État chargé des transports est très loin dans la liste des membres du Gouvernement.

Nous manquons donc d'une vision qui doit être proposée par le Parlement et rencontrons de grandes difficultés à dégager des financements. Je vous remercie pour les pistes que vous proposez en cette matière, même si je ne sais pas encore qui va se saisir de ces pistes.

Je souhaite que, aidés par le travail de la commission des finances, les candidats à l'élection présidentielle intègrent, dans leur programme, une politique des transports qui nous manque aujourd'hui.

Il faut conserver l'AFIFT. Je suis favorable à une structure de sanctuarisation pour éviter que l'État ne prélève les crédits des transports et considère que l'intendance suivra ! Dans le temps, nous avions déjà une structure ad hoc qui a été laminée par Bercy. Cette année, l'AFIFT devra faire face à un écrêtement de TICPE : elle n'aura donc pas l'argent qu'elle attendait.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - La Présidente et moi-même avions proposé en début de mandat au bureau la création de groupes de travail sur des sujets transversaux et transpartisans : je constate que cette démarche de la commission était utile.

Le Parlement doit examiner le budget prévisionnel de l'AFIFT, mais ne faut-il pas aller plus loin, avec des lois de programmation sur le modèle de la loi de programmation militaire (LPM) ? Car il s'agit du principal budget d'investissement de l'État, puisqu'aujourd'hui, ce sont les collectivités territoriales qui investissent. Nous n'avons pas de vision d'ensemble aujourd'hui : dans un instant, nous allons étudier un décret d'avance, qui annule 100 millions d'euros sur la mission « Écologie », qui concernent les infrastructures de transports alors que les besoins se chiffrent en milliards d'euros !

La manière dont l'écotaxe a été abandonnée est scandaleuse ! Nous nous sommes privés - y compris les départements - de plusieurs centaines de millions d'euros de recettes, sans parler de l'indemnisation d'Écomouv'. Peut-être y avait-il une erreur dans la tarification, mais comment peut-on admettre aujourd'hui que les poids lourds étrangers traversent la France sans verser un seul centime pour financer les infrastructures qu'ils utilisent ? Ils peuvent même traverser le pays sans y faire le plein !

Avez-vous spécifiquement abordé la question des infrastructures autoroutières en Île-de-France, où on passe, en venant des aéroports, d'un réseau concédé à un réseau non concédé. Il existe en effet des noeuds d'engorgement, dont les conditions d'entretien sont déplorables. Je pense par exemple au barreau de Massy, mais il y a bien d'autres cas.

M. Michel Bouvard. - Je m'associe aux félicitations pour ce rapport qui met en évidence l'échec collectif de plusieurs générations d'élus et de plusieurs gouvernements. J'ai vécu la création de l'agence qui a précédé l'AFITF avec la loi Pasqua de 1995, supprimé par le Gouvernement Jospin contre l'avis de Jean-Claude Gayssot, l'ouverture du capital d'une société autoroutière pour procéder à des ajustements budgétaires par un amendement en pleine nuit, les promesses de Gilles de Robien et leur enterrement par M. de Villepin après une résistance acharnée de la commission des finances de l'Assemblée nationale. Il faut trouver des ressources dédiées pour financer toutes les infrastructures décidées et arrêter d'allonger la liste.

Je souscrits à l'idée d'une loi cadre avec des ressources affectées aux projets, car nous ne trouverons pas les crédits budgétaires nécessaires. Il faut des recettes dédiées. Certains projets ont des recettes attachées ; c'est par exemple le cas pour le Lyon-Turin puisque l'eurovignette transalpine fait partie des recettes dédiées autorisées dans le cadre de la directive européenne. Le Premier ministre, qui était présent sur le chantier en juillet dernier, a annoncé un rapport de l'inspection générale des finances sur ce sujet du financement : il faut que nous soyons informés et associés à ces travaux.

Il faut aussi chercher des solutions adaptées aux territoires, avec des recettes provenant notamment de la valorisation foncière et des transports collectifs qui doivent financer les projets d'infrastructures. Plus généralement, je pense qu'une partie de la finance carbone doit financer les infrastructures de transport.

Enfin, nous devons veiller à ne pas risquer le syndrome de la terre plate : nous devons assurer les interconnexions avec les autres pays - y compris par le biais de la façade maritime française.

Nous n'avons pas l'attractivité fiscale : notre attractivité réside un peu dans la qualité de la formation de la main d'oeuvre mais surtout dans nos infrastructures.

M. Maurice Vincent. - Je voudrais d'abord à mon tour remercier le groupe de travail pour la qualité de son travail. Il est important de disposer de ressources supplémentaires dans les années à venir, la difficulté étant de savoir lesquelles. En revanche, je suis en désaccord avec notre rapporteur général s'agissant du tableau qu'il dresse des dernières années. En effet, ce Gouvernement a mis, avec le rapport « Mobilité 21 », un semblant d'ordre et de priorités dans les chantiers à prévoir et dont le montant s'élevaient à 245 milliards d'euros au moment du SNIT.

S'agissant de l'écotaxe, je crois qu'il faut tirer les leçons de cet épisode. Il faut aller vers une vignette, ou quelque chose de très simple et pratique.

Je voulais enfin demander dans quel scénario établi par la Cour des comptes pour les engagements futurs de l'AFITF figurait l'autoroute A45 ?

M. Vincent Delahaye. - Je ne suis personnellement pas convaincu de la nécessité d'une loi de programmation : nous avons déjà trop de lois, et je préfèrerais un plan pluriannuel d'investissements qui serait présenté par l'exécutif en début de législature.

Nous sommes tous d'accord pour dire que les infrastructures de transport sont indispensables au développement économique et à la valorisation des territoires qu'ils desservent. À cet égard, je considère que le territoire en question doit apporter une part significative du financement : j'avais proposé en ce sens une taxe sur la plus-value foncière des immeubles se situant à proximité d'une gare. En effet, ces immeubles voient leur valeur augmenter en raison d'une nouvelle desserte, sans contribuer à son financement...

M. Marc Laménie. - Certains modes de transport ont été quasiment abandonnés ; sur le volet ferroviaire, la maintenance s'est réduite au point que d'anciennes grandes lignes sont aujourd'hui dans un état de quasi-abandon. Le tout-TGV a ses limites... Les régions reprennent parfois des situations difficiles sur les trajets régionaux.

S'agissant du fret capillaire, rien n'a été fait sur certaines lignes, qui sont aujourd'hui dans un tel état que la vitesse y est limitée à 20 km/h. Il y a besoin d'une vraie prise de conscience pour éviter la fermeture de certaines lignes. Le fret capillaire est le parent pauvre des grands chantiers.

M. Claude Raynal. - Comme mes collègues Roger Karoutchi et Michel Bouvard, je crois que le sujet majeur est celui de trouver des ressources qui pourront être affectées à une enveloppe dédiée. Par ailleurs, je suis d'accord avec Vincent Delahaye pour dire qu'une loi de programmation n'est peut-être pas la bonne formule, parce que l'on corsète excessivement le budget de l'État avec ces lois de programmation, réduisant à néant sa capacité d'arbitrage, dans un contexte de finances publiques très contraint - qui nous différencie de la Suisse... Je ne suis pas favorable à une rigidification du budget de l'État ; en revanche, je suis favorable à une vision pluriannuelle.

Vous avez délibérément mis de côté, dans le rapport, la question des transports urbains au sein des grandes infrastructures de transport. Or je crois que les transports urbains des grandes métropoles, notamment les métros, sont des grandes infrastructures de transport, essentielles au développement du territoire en question, et qui connaissent des difficultés de financement. Je pense qu'il faudrait en faire mention. À cet égard, je rappelle que le versement transport est plafonné à 2 dans les villes de province, alors qu'il atteint 2,85 à Paris. Une augmentation du versement transport en province permettrait déjà de réaliser des infrastructures dans les grandes métropoles régionales qui en ont besoin.

M. Michel Canevet. - Merci pour ce rapport et les propositions intéressantes qu'il formule. Peu importe qu'il s'agisse d'une loi ou d'un plan pluriannuel, je crois qu'il est nécessaire d'avoir une double programmation : une programmation sur la législature en matière financière, et une programmation à plus long terme pour préparer les futurs chantiers.

S'agissant du financement, je crois que les propos de Vincent Delahaye montrent qu'il existe des pistes. Je ne pense pas qu'il faille à nouveau se fourvoyer avec une écotaxe qui pénalisait les territoires les plus excentrés, comme la Bretagne. La révolte des bonnets rouges datait de 1675, quand le roi voulut imposer des impôts supplémentaires. Il ne faut pas pénaliser cette région dont l'économie est notamment fondée sur l'agroalimentaire, qui nécessite des flux de transport importants.

Par ailleurs, il faut que la France se dote d'une véritable politique de transport, au-delà de la question du financement. En effet, le transport ne se résume pas aux transports terrestre ni aux transports de voyageurs. Il nous faut une politique cohérente entre les différents modes de transport et, par exemple, il est dommage de voir la densité du transport maritime qui longe nos côtes et dont nous ne captons rien.

M. Éric Doligé. - Les infrastructures de transport sont un enjeu pour l'attractivité de nos territoires. Le fait que la France soit passée de la quatrième à la septième place dans les classements internationaux n'est évidemment pas une évolution positive.

Je souhaitais rappeler le rôle important joué par les collectivités territoriales en matière de transport, non seulement en termes de financements mais aussi de compétences. Or celles-ci sont relativement peu associées aux décisions en matière d'infrastructures locales alors que d'importants transferts ont eu lieu, je pense par exemple aux routes nationales. Il me semble important que les collectivités territoriales soient davantage associées au stade de la décision.

Par ailleurs, je crois indispensable de se doter, en la matière, d'une vision politique et non politicienne. Chaque changement ministériel se traduit par une inflexion en matière de politique de transport. Pour prendre l'exemple des routes, il a été à un moment envisagé de passer de trois voies à quatre voies. Des travaux ont été engagés. Puis un nouveau ministre a été nommé, qui estimait qu'il convenait de rester à trois voies, décision sur laquelle sont revenus ses successeurs...

Les grands projets d'infrastructures font ainsi l'objet d'incessants allers-retours qui augmentent considérablement les délais de réalisation.

S'agissant du TGV Grand Centre Auvergne, qui est un sujet important pour le centre de la France, on nous annonce que le projet va être lancé, puis son abandon, avant de relancer des études qui coûtent quelques dizaines de millions d'euros. Pendant ce temps, rien n'est fait.

Par ailleurs, je trouve insupportable que, lorsque l'État ne participe pratiquement pas au financement, il se permette, pour des raisons politiciennes, de bloquer des dossiers. Je viens de recevoir un courrier d'Alain Vidalies, secrétaire d'État aux transports, annonçant qu'un projet routier attendu depuis des années va être lancé et qu'« un financement minoritaire de l'État » est prévu. Malgré une participation dans le financement de ce projet ultra minoritaire, l'État a bloqué pendant dans années un investissement indispensable pour le territoire.

M. François Marc. - Sur la question des financements, je partage l'analyse du rapporteur général, qui a très justement rappelé que les camions étrangers qui sillonnent nos routes, à l'heure actuelle, gratuitement, devraient être mis à contribution. Ségolène Royal a essayé de trouver un dispositif dans ce sens, sans résultat pour l'instant.

S'agissant des propositions de financements alternatives présentées par Marie-Hélène Des Esgaulx, qu'il s'agisse d'un dispositif de redevance qui s'appuierait sur un système proche de l'écotaxe, ou d'une vignette, il me semble important qu'elles intègrent un critère d'équité. À cet égard, le dispositif de vignette me semble plus satisfaisant. La mise en place d'un système de redevance, qui serait perçu par les acteurs économiques et nos concitoyens comme inéquitable, se traduirait par un échec, comme l'a montré l'exemple de l'écotaxe... Il convient en effet de conserver à l'esprit que tous les territoires ne sont pas placés dans une situation équivalente en matière de desserte du marché européen.

Mme Marie-France Beaufils. - Les régions étant des opérateurs importants en matière de transport, il pourrait être envisagé de leur donner la possibilité de mettre en place un versement transport, comme cela est le cas pour le transport urbain. En effet, il existe certains territoires desservis par des infrastructures et qui ne contribuent pas à leur financement.

Par ailleurs, la question des concessions et des partenariats public-privé est abordée dans le rapport. La nouvelle ligne Paris-Bordeaux fournit un exemple de financement associant des financements publics et privés. Or on constate qu'en fin de compte, la participation des collectivités territoriales a été bien supérieure à ce qui avait été prévu au moment du lancement du projet alors que la part de financement relevant du secteur privé a eu tendance à diminuer.

Il y aurait un travail d'investigation et d'analyse à faire sur les avantages et les inconvénients de tels schémas. Je souhaiterais que cette question soit davantage abordée dans l'avenir et que l'on puisse s'appuyer sur cet exemple particulier qui montre que ce n'est probablement pas la voie à suivre. Il me semble au contraire qu'il conviendrait de veiller à ce que la participation publique soit plus importante.

M. Bernard Delcros. - Je partage les propos tenus par Michel Canevet et François Marc. Compte tenu de l'impact économique et en termes d'attractivité des infrastructures de transport, il est indispensable d'introduire un critère d'équité ou d'aménagement des territoires.

Mme Fabienne Keller. - Les infrastructures de transport sont importantes en termes d'organisation de la France et de l'Europe, mais aussi au niveau local.

Je tiens à souligner la ténacité de Marie-Hélène Des Esgaulx qui a souhaité que le groupe de travail engage une réflexion stratégique, qui n'est actuellement pas produite ailleurs.

En particulier, l'État n'a plus de lieu pour construire une telle vision et éprouve, de ce fait, des difficultés à définir des priorités. Je souhaiterais, à cet égard, évoquer le dossier Alstom. Il convient de croiser le calendrier de renouvellement nécessaire sur le long terme des matériels avec le soutien par le marché intérieur d'une industrie qui exporte dans le monde entier.

Enfin, je formulerais quelques réflexions personnelles : les recettes de l'écotaxe nous manquent cruellement ! L'Alsace subit un report de trafic en provenance de l'Allemagne. C'est une magnifique occasion manquée et il sera très difficile de recréer une taxe - des erreurs techniques ont également été commises.

Je souhaiterais également aborder la question du coût de la prolongation des concessions autoroutières : les recettes sont prolongées de deux à quatre ans et elles sont ramenées à une valeur actualisée qui ne prend pas en compte les taux d'intérêt actuels mais le taux d'intérêt utilisé à l'intérieur des concessions, le TRI. Ce mécanisme permet d'éviter la création d'une dette par rapport à un investissement classique de l'État, mais à un coût extrêmement élevé. On pourrait aller plus loin dans cette évaluation, mais le rapport propose très clairement de mettre fin à ce mécanisme opaque. Je tenais à souligner la force de cette proposition.

Enfin, en ce qui concerne la dette de SNCF-Réseau, son augmentation récente correspond à la réalisation simultanée de quatre projets de TGV. L'État a pris des engagements concernant les financements dans le cadre du contrat d'objectifs et de moyens et il ne les a pas respectés. D'autre part, il faut considérer l'impact énorme du coût salarial lié au statut des agents de la SNCF. On peut regretter l'abandon, par le ministre des transports, de la réforme du statut ferroviaire, pourtant en négociation depuis longtemps : la rigidité des rythmes de travail génère des coûts importants.

Mme Michèle André, présidente. - Le bureau de la commission avait décidé de constituer des groupes de travail transversaux, il me semble que c'est une bonne manière de travailler, plutôt que chaque rapporteur spécial travaille dans son champ propre. Sans doute devrons-nous réfléchir à d'autres sujets à mener dans ces conditions au prochain bureau.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur spécial. - Je souhaiterais répondre à Vincent Delahaye et défendre notre première proposition : il ne faut pas seulement une feuille de route. Nous avons besoin qu'une programmation des projets et des financements soient actés par le Parlement, mais aussi d'une commission permanente qui hiérarchise ces projets. La question des ressources est certes centrale, comme l'a dit Claude Raynal, mais il convient également de hiérarchiser les projets et de suivre leur mise en oeuvre.

La remarque d'Éric Doligé est tout à fait pertinente : 11 milliards d'euros d'investissements en matière d'infrastructures de transport sont pris en charge par les collectivités territoriales contre 2 milliards d'euros pour l'État.

Je ne suis pas en mesure de répondre à Maurice Vincent concernant l'A45 car la Cour des comptes n'a pas détaillé le chiffrage.

Enfin, je souhaiterais insister sur les propositions 9 et 10 : nous souhaitons que certains projets soient gelés afin de pouvoir investir massivement dans le renouvellement et la modernisation des réseaux existants. Notre groupe de travail propose de faire porter la totalité des financements sur cette modernisation.

Je terminerais par une suggestion : il me semble que la commission des finances pourrait utilement permettre de poursuivre ce débat dans l'hémicycle en demandant à la conférence des présidents l'organisation d'un débat dans le cadre d'une semaine de contrôle.

Mme Michèle André, présidente. - Oui, bien sûr !

La commission donne acte de sa communication à Marie-Hélène Des Esgaulx et autorise la publication des travaux du groupe de travail sur le financement des infrastructures de transport sous la forme d'un rapport d'information.

Projet de décret d'avance, relatif au financement de dépenses urgentes - Communication

Puis la commission entend une communication de M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général, sur le projet de décret d'avance notifié le 23 septembre 2016, relatif au financement de dépenses urgentes, transmis pour avis à la commission, en application de l'article 13 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF).

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - La commission des finances a été notifiée vendredi dernier d'un projet de décret d'avance portant ouverture et annulation de crédits à hauteur de 1,5 milliard d'euros en autorisations d'engagement et 700 millions d'euros en crédits de paiement.

Conformément à l'article 13 de la loi organique relative aux lois de finances, notre commission doit faire connaître son avis sur le décret au Premier ministre dans un délai de sept jours à compter de la notification du projet de décret.

Le recours au décret d'avance constitue une exception au principe de l'autorisation parlementaire des crédits. La loi organique relative aux lois de finances définit quatre conditions de validité du recours au décret d'avance.

Ainsi, les annulations doivent être au moins égales aux ouvertures, afin de ne pas affecter l'équilibre budgétaire défini par la dernière loi de finances. Les montants de crédits ouverts ne doivent pas dépasser 1 % des crédits prévus en loi de finances initiale et les crédits annulés ne peuvent être supérieurs à 1,5 % des crédits ouverts par les lois de finances afférentes à l'année en cours.

Ces trois critères purement techniques sont respectés.

En revanche, le dernier critère, celui de l'urgence, est plus qualitatif. Je souscris à l'analyse de la Cour des comptes selon laquelle l'urgence signifie à la fois que l'ouverture des crédits doit être nécessaire et que le besoin budgétaire était imprévisible.

La vérification du caractère urgent des dépenses supplémentaires exige un examen détaillé des ouvertures, qui concernent trois missions.

La mission « Travail et emploi » représente l'essentiel des ouvertures avec 1,4 milliard d'euros en autorisations d'engagement et 574,7 millions d'euros en crédits de paiement pour le financement de 150 000 contrats aidés supplémentaires.

84 millions d'euros sont ouverts sur la mission « Égalité des territoires et logement » pour financer la création et la pérennisation de places en hébergement d'urgence.

Enfin, la mission « Justice » bénéficie de 25 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 40 millions d'euros en crédits de paiement pour honorer le paiement de prestations en matière de frais de justice.

Le relèvement du nombre de contrats aidés en 2016 découle de la circulaire du 30 juin 2016 de la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Le Gouvernement n'a donc fait aucune annonce publique à ce sujet. Cette circulaire n'a pas été communiquée au Parlement ni aux commissions des finances des deux assemblées.

Je pense qu'on peut être surpris par cette méthode : le Parlement est mis devant le fait accompli et découvre qu'il y a plus de contrats aidés quand il y a urgence à les payer !

Au total, 445 000 contrats aidés devraient être conclus en 2016.

La majorité serait des contrats aidés dans le secteur non marchand. Vous vous souvenez que lors du débat sur le projet de loi de finances pour 2016 l'année dernière, la majorité sénatoriale avait fortement contesté la priorité accordée aux emplois aidés dans le secteur non marchand. En effet, ce sont les contrats qui donnent les moins bons résultats en termes d'insertion sur le marché du travail : seuls 40 % des bénéficiaires d'un contrat d'accompagnement dans l'emploi (CAE) ont accédé à l'emploi après leur engagement alors que c'est le cas de 65,6 % des titulaires de contrats initiative emploi (CIE). Nous avions d'ailleurs proposé lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2016 de réduire les contrats aidés dans le secteur non marchand pour renforcer les contrats aidés dans le secteur marchand.

Le Gouvernement décide de créer encore plus de contrats dans le secteur non marchand, pour un coût qui est loin d'être négligeable : les nouveaux contrats coûtent 1,4 milliard d'euros supplémentaires, qui pèseront pour 600 millions d'euros sur 2016 et pour 850 millions d'euros sur l'exercice budgétaire 2017. En 2016, les plafonds de la loi de finances initiale en matière de contrats aidés seront largement dépassés : de 8 % en crédits de paiement et de 20 % en autorisations d'engagement.

L'objectif affiché est de « conforter le mouvement de reprise de l'activité et de l'emploi amorcé en 2015 ». En clair, les nouveaux contrats aidés serviront surtout à essayer de maîtriser les chiffres du chômage ! Pourtant, l'année dernière, lors du débat sur les crédits 2016 de la mission « Travail et emploi », la ministre du travail avait indiqué que l'objectif de 295 000 contrats aidés en 2015 constituait une « programmation à la fois ambitieuse et cohérente s'appuyant sur les perspectives de rebond de l'emploi marchand en 2016 ». En outre, dans le projet de loi de finances pour 2017, le Gouvernement prévoit la signature de 280 000 contrats aidés en 2017 pour un budget de 2,4 milliards d'euros et revient donc à une cible cohérente avec celle prévue en loi de finances initiale pour 2016. On ne peut donc que s'interroger face à ces 150 000 contrats aidés supplémentaires ajoutés en cours d'année !

De façon désormais classique, des crédits sont aussi ouverts au profit de l'hébergement d'urgence, à hauteur de 84 millions d'euros. Sur ce total, 34 millions d'euros découlent de décisions prises par le Gouvernement en cours d'année : création de 3 000 places supplémentaires et pérennisation de 2 300 places qui avaient été créées pendant l'hiver 2015 2016. A contrario, 50 millions d'euros sont ouverts pour les places déjà existantes, ce qui signifie que le programme était sous-budgété - comme notre collègue Philippe Dallier ne manque pas de le constater chaque année.

En outre, le Gouvernement indique qu'à fin septembre, il ne dispose pas d'une estimation fiable de la prévision budgétaire totale du programme en 2016. Il est donc probable que ces ouvertures ne suffisent pas à combler les besoins pour l'année 2016. Nous devons certainement nous attendre à revoir paraître l'hébergement d'urgence lorsque nous examinerons le décret d'avance de fin de gestion.

Enfin, 25 millions d'euros en autorisations d'engagement et 40 millions d'euros en crédits de paiement sont ouverts pour payer les frais de justice. Le Gouvernement indique que ces frais sont en hausse à la suite des attentats, en raison d'un nombre plus élevé d'enquêtes et de réquisitions techniques. Il est évidemment compréhensible que les attentats conduisent à une hausse de certaines dépenses. Mais je regrette qu'aucune précision ne m'ait été fournie sur ce point.

J'évoquerai rapidement les annulations de crédits permettant de gager les ouvertures.

Les annulations portent sur la totalité des ministères.

En autorisations d'engagement, plus de la moitié des annulations est portée par le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État », pour 894 millions d'euros. Ces annulations ne correspondent pas à de vraies économies. En effet, les crédits de ce compte spécial sont fixés à un niveau conventionnel et indépendant du montant des dépenses réellement prévues. En revanche, les crédits ouverts se traduiront bien par des dépenses supplémentaires qui pèseront sur le budget de l'État en 2016 et en 2017 !

La mission « Écologie » est une fois de plus largement mise à contribution : elle représente 20 % des annulations en crédits de paiement et 10 % des annulations en autorisations d'engagement. On est assez loin de la « COP 21 » !

Je constate également que des annulations sont prévues sur le programme « Administration pénitentiaire » de la mission « Justice », alors même qu'on a pu entendre dans les dernières semaines le Gouvernement affirmer que les établissements pénitentiaires constituaient une priorité !

En crédits de paiement, 80 % des crédits annulés étaient mis en réserve. Officiellement, la mise en réserve n'est pas ventilée par action ou par dispositif. Il n'est donc pas possible de savoir sur quels dispositifs portent les annulations de crédits « gelés ». Malgré l'envoi d'un questionnaire, malgré nos échanges avec Bercy, le Parlement ne peut donc pas identifier les dispositifs touchés par les redéploiements avant la présentation par le Gouvernement, à la fin de l'année, du schéma de fin de gestion.

Pourtant le secrétaire d'État chargé du budget et des comptes publics Christian Eckert avait bien précisé, lors d'une audition le 18 mai 2016 devant la commission des finances de l'Assemblée nationale, que « cette réserve, comme son nom l'indique, est mise en place par simple précaution. Tous les crédits mis en réserve n'ont pas vocation à être annulés, loin de là ».

Pour conclure sur le respect des critères définis par la loi organique relative aux lois de finances : certes, je ne le conteste pas, les dépenses sont toutes urgentes au sens où les crédits doivent être engagés rapidement.

Mais je ne suis pas convaincu de l'imprévisibilité de la plupart des dépenses que ce projet de décret d'avance vise à financer.

Le relèvement de la cible de contrats aidés n'est pas un évènement de force majeure qui s'impose au Gouvernement - à la différence par exemple des opérations extérieures, ou du renforcement des mesures de sécurité à la suite des attentats. Il s'agit d'une décision politique dans un contexte de taux de chômage élevé. Le coût de la mesure est très important, pour une efficacité au mieux incertaine.

Concernant l'hébergement d'urgence, la sous-budgétisation des dépenses était manifeste dès la loi de finances initiale. Notre collègue Philippe Dallier indiquait dans son rapport spécial que l'insuffisance des crédits pour l'année 2016 semblait « évidente s'agissant de la veille sociale et de l'hébergement d'urgence ». Là encore, ces dépenses n'étaient pas imprévisibles.

Je suis donc très réservé sur ce projet de décret d'avance et il me semble que le Parlement serait dans son rôle en exerçant pleinement sa vigilance sur l'usage répété de la procédure du décret d'avance, qui réduit la portée de l'autorisation parlementaire.

Le projet d'avis qui vous est soumis, et qui vous a été distribué, reprend les réserves que j'ai exprimées concernant le caractère prévisible de certaines ouvertures.

Je vous propose de rendre un avis défavorable sur ce projet de décret d'avance.

M. André Gattolin. - À l'instar de notre rapporteur général, je ne suis pas convaincu par le caractère imprévisible du financement des contrats aidés - si ce n'est pour des raisons politiques - et je pense qu'une telle mesure de hausse du nombre de contrats aidés aurait dû trouver sa place en loi de finances rectificative.

Je constate à nouveau que l'écologie est particulièrement touchée. Par un tour de passe-passe on a voulu nous faire croire que l'exécution 2016 était en hausse par rapport à 2015, alors qu'à périmètre constant elle était en baisse ! Certes, des économies sont nécessaires, mais est-il judicieux de couper les crédits de la météorologie quand notre rapporteur spécial Vincent Capo-Canellas nous explique que des investissements lourds sont nécessaires en matière notamment de supercalculateur, afin d'améliorer la qualité des prévisions ? Bercy pense-t-il que les accidents climatiques que nous subissons sont exceptionnels et ne se reproduiront pas ? Il en est de même pour le programme 159 « Information géographique et cartographique ». Quand on connait l'état de l'Institut géographique national, on peut se poser des questions. Pourquoi un tel acharnement sur la mission « Écologie » ? On nous a promis des crédits sur le troisième programme d'investissements d'avenir, mais je constate qu'aucun des trois programmes de la mission « Investissements d'avenir » n'est centré sur l'écologie !

Par ailleurs, je m'interroge sur ce que cache l'annulation de 893 millions d'euros en autorisations d'engagement sur le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État »...

Pour l'ensemble de ces raisons, le groupe écologiste partage l'avis défavorable du rapporteur général.

M. Richard Yung. - Personne ne sera surpris que je ne partage pas cet avis défavorable. Il ne me semble pas que l'on puisse parler de recours abusif aux décrets d'avance : celui-ci est le second de l'année et nous sommes fin septembre.

Le document projeté présentait clairement les critères nécessaires de recours au décret d'avance prévu par la loi organique relative aux lois de finances - dont fait partie l'urgence - et qui me semblent réunis.

L'offre d'emplois aidés dans le secteur marchand est insuffisante, nous sommes loin des deux millions d'emplois annoncés par Pierre Gattaz. Or ces contrats constituent une mesure sociale avant d'être économique et il a donc fallu pallier cette offre insuffisante en sortant du seul secteur marchand, sous peine d'abandonner une politique sociale. D'où l'imprévisibilité : nous pensions que les employeurs privés auraient eu davantage recours aux contrats aidés. Quant à l'urgence, on ne pouvait attendre la fin de l'année 2016 pour agir.

Les critères prévus par la loi organique étant respectés, le groupe socialiste et républicain donnera donc un avis favorable à ce décret d'avance.

M. Vincent Capo-Canellas. - Je comprends que des ajustements budgétaires soient nécessaires en cours d'année, mais les annulations proposées pour financer les ouvertures sont considérables : 16 millions d'euros sur l'agriculture, 13 millions d'euros sur la solidarité, 55 millions d'euros sur le tourisme, 95 millions d'euros sur les infrastructures, sujet que nous avons abordé en début de matinée. Même l'administration pénitentiaire est concernée, au moment où le Gouvernement fait des annonces à ce sujet...

Et les motivations sont particulièrement lacunaires ! Il faudrait creuser davantage pour distinguer ce qui relève d'une sous-consommation qui rend des crédits disponibles, ou d'une annulation pure et simple.

Enfin, les départements apprécieront que « les annulations soient permises par le profil de consommation de la dotation globale d'équipement des départements ». C'est à méditer pour les présidents des conseils départementaux. Quand il y a des explications elles sont presque humoristiques...

M. Francis Delattre. - On s'interroge souvent sur le cap de la politique du Gouvernement mais là au moins c'est clair : faire baisser le chômage en 2017 !

Ces 150 000 contrats s'ajoutent aux 300 000 actuels qu'on ne sait comment gérer et qui avaient été financés sur des dépenses d'avenir : la recherche, l'écologie... Ces missions sont à nouveau sacrifiées ! C'est un comble pour les socialistes, il me semblait que vous vous disiez progressistes... Même le programme 224 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture » est mis à contribution !

Et les annulations ne sont pas suffisamment détaillées ! C'est un manque de respect du Parlement.

M. Marc Laménie. - Le principe du décret d'avance ne me choque pas, nous prenons bien des décisions modificatives dans nos collectivités. On peut en revanche regretter que l'enseignement, la recherche, l'écologie, les transports, la sécurité intérieure ou l'agriculture, qui souffre beaucoup, soient touchés. Même la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » est mise à contribution ! Toutes ces dépenses sont importantes et 700 millions d'euros en crédits de paiement, ce n'est pas neutre...

M. Maurice Vincent. - Je souhaite rassurer Francis Delattre. Des ajustements techniques sont faits mais regardons l'ensemble du quinquennat : 9 milliards d'euros de plus pour l'enseignement et la recherche. Nous sommes toujours progressistes mais également réalistes : nous avons ajouté quelques milliards d'euros sur la sécurité pour corriger les baisses du quinquennat précédent. Nous gardons à la fois le moral et nos convictions.

S'agissant des participations financières de l'État, ces sommes n'étaient pas nécessaires en 2016 : leur annulation constitue une mesure de bonne gestion. Certes, des dépenses s'annoncent pour 2017 mais d'autres ressources de ce compte pourront alors être mobilisées.

M. Éric Bocquet. - Cette discussion nous ramène au débat budgétaire de l'an dernier et au choix qu'il portait et que nous avions souligné : celui de l'austérité et de la réduction de la dépense publique. Il est logique que l'on ait ensuite des difficultés en cours d'exécution ! Nous aurons à nouveau ce débat avec Didier Migaud cet après-midi puis ce soir avec Christian Eckert, secrétaire d'État chargé du budget. Ils nous diront sûrement qu'il faut continuer !

M. Claude Raynal. - Ne préjugeons pas !

M. Éric Bocquet. - Je n'ai pas beaucoup d'illusions, mais nous jugerons sur les faits. Le groupe communiste et républicain n'avait pas voté le budget donc nous nous abstiendrons aujourd'hui.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Ce que je conteste, c'est le caractère imprévisible des mesures portées par ce décret d'avance. Le projet de loi de finances qui nous sera présenté ce soir prévoit 280 000 contrats supplémentaires, soit un nombre à peu près identique à celui prévu en loi de finances initiale pour 2016 avant cette rallonge de 150 000 contrats aidés supplémentaires : ce n'est pas cohérent avec ce projet de décret d'avance ! Je rejoins Francis Delattre, ces mesures sont purement politiques ! Je fais de la politique depuis suffisamment longtemps pour comprendre pourquoi le Gouvernement n'a pas souhaité faire d'annonce sur le sujet.

Concernant les annulations, le sujet principal réside effectivement sur le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » : on repousse des dépenses à 2017 mais les annulations ne sont pas de vraies économies, puisque les crédits inscrits sont purement conventionnels !

Quant au parallèle qu'a fait Marc Laménie avec les décisions modificatrices, je rappelle que dans ce cas l'organe délibérant doit les voter. L'équivalent serait une loi de finances rectificative, qui suppose un débat en séance et un vote, quand nous sommes seulement invités ce matin à donner un simple avis !

C'est l'absence d'imprévisibilité des mesures proposées qui me conduit à vous proposer de donner un avis défavorable à ce décret d'avance.

La commission donne acte de sa communication au rapporteur général et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information ; elle adopte l'avis sur le projet de décret d'avance.

L'avis est ainsi rédigé :

La commission des finances,

Vu les articles 13, 14 et 56 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances ;

Vu la loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015 de finances pour 2016 ;

Vu le décret n° 2016-732 du 2 juin 2016 portant ouverture et annulation de crédits à titre d'avance ;

Vu le projet de décret d'avance notifié le 23 septembre 2016, portant ouverture et annulation de 1 532 250 403 euros en autorisations d'engagement et 698 718 934 euros en crédits de paiement, le rapport de motivation qui l'accompagne et les réponses du secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget, au questionnaire du rapporteur général ;

Sur la régularité du projet de décret d'avance :

1. Constate que l'objet du projet de décret d'avance est de permettre le financement de 150 000 contrats aidés supplémentaires, des dépenses relatives à l'hébergement d'urgence et aux frais de justice ;

2. Observe que les ouvertures de crédits prévues par le présent projet sont gagées par des annulations de même montant réparties sur vingt-cinq missions du budget général et un compte d'affectation spéciale ;

3. Constate que les ouvertures de crédits prévues par le projet de décret d'avance et le décret n° 2016-732 du 2 juin 2016 portant ouverture et annulation de crédits à titre d'avance n'excèdent pas le plafond de 1 % des crédits ouverts par la dernière loi de finances de l'année et que les annulations n'excèdent pas le plafond de 1,5 % des crédits ouverts par les lois de finances afférentes à l'année en cours ;

4. Relève que les ouvertures représentent plus de 5 % de la budgétisation initiale hors dépenses de personnel des programmes 102 « Accès et retour à l'emploi » et 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » ;

5. Note que le montant des crédits ouverts par le projet de décret d'avance excède le plafond de 2 % des crédits de chaque programme et ne peut par conséquent pas faire l'objet d'une procédure de virement de crédits ;

6. Constate qu'il n'apparaît donc pas possible d'ouvrir les crédits supplémentaires considérés autrement qu'en recourant à un décret d'avance ;

7. Estime que la nécessité d'une ouverture rapide des crédits est avérée au regard de la nécessité de financer les contrats aidés supplémentaires dont la création a été décidée par le Gouvernement, d'assurer la continuité de l'accueil en hébergement d'urgence et d'honorer le paiement des prestations en matière de frais de justice ;

8. Constate que les conditions techniques de régularité du recours au décret d'avance prévues par la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 précitée sont donc formellement réunies ;

Sur les ouvertures prévues par le projet de décret d'avance :

9. Note que les ouvertures de crédits en cours d'année pour financer une hausse de 50 % du nombre de contrats aidés par rapport à la programmation budgétaire initiale 2016 ne résultent pas d'un évènement imprévisible mais d'une décision gouvernementale dans un contexte de taux de chômage élevé ;

10. Relève que la réorientation de la programmation des contrats aidés ne découle pas d'une annonce publique du Gouvernement mais d'une circulaire du ministère du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle qui n'a fait l'objet d'aucune communication au Parlement ni aux commissions des finances des deux assemblées malgré ses conséquences budgétaires importantes ;

11. Souligne que le relèvement de la programmation des contrats aidés à hauteur de 150 000 contrats aidés supplémentaires conduit à une augmentation des dépenses pour la fin de l'année 2016 représentant un dépassement de 8 % de la budgétisation initiale votée par le Parlement et entraîne l'engagement par l'État de près d'1,5 milliard d'euros, qui pèseront pour 850 millions d'euros en crédits de paiement sur l'exercice 2017 ;

12. Rappelle le caractère récurrent, ces dernières années, du dépassement de l'enveloppe budgétaire allouée aux contrats aidés ;

13. Note par conséquent que le coût de la politique des contrats aidés n'est pas contenu ;

14. Observe que la sous-budgétisation des dépenses d'hébergement d'urgence est habituelle et que l'insuffisance des moyens était manifeste dès la loi de finances initiale au regard de l'exécution 2015 et de l'augmentation du nombre de demandeurs d'asile sur le territoire à partir de la seconde moitié de l'année 2015 ;

15. Estime par conséquent que l'urgence à ouvrir les crédits ne découle pas du caractère imprévisible des besoins budgétaires, mais d'une décision gouvernementale s'agissant des contrats aidés d'une part et de l'insuffisance des moyens alloués en loi de finances initiale concernant l'hébergement d'urgence d'autre part ;

16. Constate par ailleurs que le Gouvernement ne fournit aucun chiffrage relatif à la hausse des dépenses liées aux frais de justice qui serait intervenue à la suite des attentats ; que le Parlement ne peut par conséquent en apprécier l'imprévisibilité ;

Sur les annulations prévues par le projet de décret d'avance :

17. Constate que la plus grande partie des annulations porte sur des crédits mis en réserve, ce qui ne permet pas au Parlement d'identifier les dispositifs touchés par les redéploiements avant la présentation par le Gouvernement, à la fin de l'année, du schéma de fin de gestion ;

18. Estime par conséquent que le recours croissant, par le Gouvernement, à la mise en réserve de crédits, qui s'élève depuis 2015 à 8 % des crédits ouverts sur le budget de l'État, et à la procédure de décret d'avance nuit à la lisibilité de la politique budgétaire du Gouvernement ainsi qu'à la portée de l'autorisation parlementaire ;

19. Relève que les annulations en autorisations d'engagement sur le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » ne constituent pas des économies réelles sur le budget de l'État dans la mesure où les crédits inscrits à cette mission sont fixés à un niveau conventionnel, identique d'année en année et indépendant du montant des dépenses réellement prévues ; que les ouvertures qu'elles permettent se traduiront en revanche par une charge supplémentaire certaine sur le budget de l'État en 2016 et en 2017 ;

20. Souligne qu'une part importante des annulations sur le budget général pèse sur la mission « Écologie, développement et mobilité durables », à rebours des priorités affichées par le Gouvernement ;

21. Émet, en conséquence, un avis défavorable au présent projet de décret d'avance.

Projet de loi de finances pour 2017 - Nomination de rapporteurs spéciaux

La commission nomme M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur spécial des crédits du programme 159 « Expertise, information géographique et Météorologie » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », et M. Jean-François Husson, rapporteur spécial des crédits du compte d'affectation spéciale « Transition énergétique » et des crédits du programme 345 « Service public de l'énergie » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables ».

La réunion est levée à 11 h 40.

Audition de M. Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques

La réunion est ouverte à 14 heures.

Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission entend M. Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques, sur l'avis rendu par le Haut Conseil sur les projets de loi de finances et de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017.

Mme Michèle André, présidente. - Nous accueillons Didier Migaud, qui nous présentera officiellement l'avis du Haut Conseil des finances publiques relatif aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2017. Beaucoup d'éléments sont toutefois déjà parus dans la presse.

M. Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques. - Je vous remercie de m'avoir invité, en tant que président du Haut Conseil des finances publiques, pour vous présenter les principales conclusions de l'avis relatif aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour l'année à venir.

C'est la quatrième fois que le Haut Conseil est appelé, en application de l'article 14 de la loi organique du 17 décembre 2012, à se prononcer sur les prévisions macroéconomiques associées aux textes financiers annuels et sur la cohérence de ces derniers avec les orientations pluriannuelles de solde structurel.

L'environnement international de la France se caractérise aujourd'hui par deux traits principaux. Tout d'abord, une faiblesse particulière du commerce mondial en 2016, conséquence d'un ralentissement de la croissance américaine, de la situation toujours dégradée de plusieurs pays émergents, d'une moindre augmentation des importations chinoises et de facteurs structurels durables. Parmi ces facteurs, la tendance des entreprises multinationales à décomposer leur processus de production entre plusieurs tâches effectuées dans des pays différents, qui a fortement contribué à la croissance des échanges internationaux dans les années 2000, marque le pas. La croissance du commerce mondial pourrait être pratiquement nulle cette année.

Vient ensuite la poursuite d'une croissance modérée en zone euro, tirée par la demande intérieure. D'abord limitée à la consommation, stimulée par la baisse du prix du pétrole, la reprise s'est progressivement étendue à l'investissement. Elle bénéficie du relâchement des efforts budgétaires dans certains pays européens et de la politique monétaire très expansive de la Banque centrale européenne (BCE). La croissance de la zone euro a été de 1,6 % en rythme annuel au 1er semestre 2016.

Toutefois des interrogations existent sur la poursuite de cette dynamique. Elles sont alimentées par quelques signes d'essoufflement de la croissance dans certains pays européens et par les craintes nées du vote du 23 juin sur le « Brexit ». L'activité au sein de la zone euro risque d'être affectée par la baisse de la livre sterling et le probable ralentissement de l'économie britannique. Les incertitudes liées aux modalités de sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne et au climat politique dans plusieurs pays européens pourraient affecter la confiance des agents économiques, avec des répercussions possibles sur la consommation et l'investissement. Les enquêtes de conjoncture disponibles jusqu'en septembre restent toutefois bien orientées.

Le Haut Conseil a examiné le scénario macroéconomique retenu par le Gouvernement pour 2016 et 2017, et plus particulièrement les hypothèses les plus importantes pour la prévision des finances publiques, à savoir la croissance, l'inflation, l'emploi et la masse salariale.

Les hypothèses de croissance retenues pour 2016 et 2017 (1,5 % pour chacune des deux années) sont identiques à celles du programme de stabilité d'avril 2016.

Pour l'année 2016, le Haut Conseil considère que la prévision de croissance du Gouvernement de 1,5 % est un peu élevée au regard des informations connues à ce jour. Elle est supérieure à la plupart des prévisions publiées récemment. En effet, l'acquis de croissance est de 1,1 % à la fin du premier semestre, après une augmentation du PIB de 0,7 % au premier trimestre suivie d'une légère baisse au deuxième trimestre. La réalisation d'une moyenne annuelle de 1,5 % en 2016 suppose une forte progression du PIB aux troisième et quatrième trimestres. Les indicateurs disponibles sur le début de l'été laissent penser que ce rythme de croissance pourrait être difficile à atteindre au troisième trimestre, même si les enquêtes de conjoncture sont assez bien orientées en septembre.

Pour l'année 2017, le Gouvernement a maintenu sa prévision d'avril du programme de stabilité (1,5 %) alors que la plupart des organisations internationales et des instituts de conjoncture ont depuis abaissé les leurs ; ainsi, en septembre, le Consensus Forecasts anticipait une croissance de 1,2 % et l'OCDE de 1,3 %. Le Haut Conseil estime que cette hypothèse de croissance de 1,5 % est optimiste compte tenu des facteurs baissiers qui se sont matérialisés ces derniers mois (atonie persistante du commerce mondial, incertitudes liées au « Brexit » et au climat politique dans l'Union européenne et dans le monde, conséquences des attentats notamment sur l'activité touristique, etc.). Le scénario cumule un certain nombre d'hypothèses favorables, notamment pour les prévisions de consommation et d'investissement.

La prévision d'inflation du Gouvernement pour 2016 (0,1 %) est inchangée par rapport à celle du programme de stabilité d'avril 2016. Elle est cohérente avec les indices de prix connus jusqu'à l'été : le glissement annuel des prix, qui oscille autour de zéro depuis plus d'un an, est de 0,2 % en juillet.

Pour 2017, l'hypothèse d'inflation est de 0,8 %, soit une légère baisse par rapport au programme de stabilité (1,0 %). Les produits pétroliers cesseraient de contribuer négativement à l'inflation, sous l'hypothèse d'une stabilisation du prix du baril de Brent à 40 euros. La hausse des prix redeviendrait alors proche de son rythme sous-jacent. Cette prévision d'inflation est inférieure à la plupart des autres prévisions disponibles et notamment à celle retenue pour la zone euro par la BCE dans sa prévision de septembre (1,2 %). L'hypothèse d'inflation pour 2017 paraît ainsi prudente et moins exposée au risque de surestimation que celles qui avaient été retenues pour les années précédentes.

Parmi les autres variables importantes pour les finances publiques, les hypothèses d'emploi et de masse salariale semblent un peu élevées pour 2017, en cohérence avec la prévision de croissance. Le Gouvernement prévoit pour 2016 et 2017 une augmentation soutenue de l'emploi recouvrant notamment une accélération progressive de l'emploi salarié des branches marchandes (120 000 en 2016 puis 160 000 en 2017). Ce dynamisme de l'emploi refléterait l'évolution de l'activité mais aussi l'effet des mesures de baisse du coût du travail (crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, baisses de cotisations, prime à l'embauche) qui continueraient d'enrichir la croissance en emploi. Pour l'année 2016, compte tenu des évolutions connues jusqu'au deuxième trimestre, les prévisions d'emploi et de masse salariale sont réalistes. Pour 2017, les prévisions sont cohérentes avec l'hypothèse de croissance du PIB, que nous trouvons optimiste. Elles sont supérieures à celles publiées récemment par l'Unédic, qui retient l'hypothèse d'une croissance plus faible.

J'en viens à présent à la cohérence des projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale avec les orientations pluriannuelles de solde structurel. Il s'agit d'abord d'examiner la cohérence des prévisions de solde structurel présentées dans l'article liminaire du projet de loi de finances avec la trajectoire cible. Il convient ensuite de vérifier si ces prévisions de solde structurel sont elles-mêmes cohérentes avec les évolutions prévisibles des recettes et des dépenses, compte tenu des mesures annoncées.

Aux termes de l'article 14 de la loi organique du 17 décembre 2012, la cohérence du scénario de finances publiques s'apprécie au regard de la trajectoire de solde structurel de la dernière loi de programmation de finances publiques (LPFP), qui est celle du 29 décembre 2014. Effectuer cette comparaison - et donc comparer ce qui est comparable - suppose de retenir les mêmes hypothèses de croissance potentielle que dans la loi de programmation. Ces hypothèses ont ensuite été révisées à la hausse - de 1,3 % à 1,5 % pour chacune des deux années - dans le programme de stabilité d'avril 2015 et dans tous les textes ultérieurs.

Recalculées avec les hypothèses de croissance potentielle de la LPFP 2014-2019, les estimations du déficit structurel sont un peu plus élevées que celles présentées dans le projet de loi de finances. Il est estimé à - 1,7 point de PIB en 2016 et - 1,3 point en 2017. Les objectifs figurant dans la loi de programmation des finances publiques étaient respectivement de - 1,8 point et - 1,3 point. Les chiffres sont presque exactement ceux de la loi de programmation, qui se trouve donc respectée.

Les prévisions de déficit structurel pour 2016 et 2017 sont en revanche plus élevées que les objectifs fixés dans le programme de stabilité d'avril 2016 (de 0,3 point de PIB chaque année). Mais, comme le Haut Conseil l'a noté en mai dernier dans son avis relatif au projet de loi de règlement pour 2015, cet écart s'explique pour l'essentiel par les révisions à la hausse du PIB dans les comptes nationaux sur les années 2013 à 2015, qui ont eu pour effet de réduire les estimations de l'écart de production et de dégrader rétrospectivement celles du solde structurel. Cette sensibilité des données de solde structurel à des révisions du PIB avait conduit le Haut Conseil en mai à préconiser que soient également pris en compte d'autres indicateurs plus représentatifs de l'orientation de la politique budgétaire, comme l'effort structurel.

À cet égard, le Haut Conseil constate que les évolutions prévues de l'ajustement structurel et de l'effort structurel sont proches des objectifs du programme de stabilité et de la loi de programmation. L'effort structurel figurant dans le projet de loi de finances est identique à l'objectif figurant dans le programme de stabilité sur l'ensemble des deux années 2016 et 2017 (0,8 point de PIB en deux ans). Les ajustements et efforts structurels restent toutefois légèrement inférieurs au minimum fixé par les règles européennes, qui requièrent en principe au moins 0,5 point de PIB d'ajustement par an.

Les développements qui précèdent comparent les prévisions du projet de loi de finances pour 2017 à la loi de programmation et au programme de stabilité. Mais cette comparaison arithmétique un peu formelle ne saurait épuiser le sujet et permettre de porter une appréciation sur la cohérence réelle du projet de loi de finances. Il convient pour cela d'examiner la crédibilité des objectifs de solde présentés pour 2016 et 2017, et donc d'identifier les risques qui pèsent sur les évolutions de recettes et de dépenses. Sur la base des informations communiquées, les éléments d'appréciation suivants peuvent être formulés.

En 2016, l'objectif d'amélioration du solde, ce dernier devant être ramené à - 3,5 % du PIB, contre - 3,3 % en 2015, peut être atteint sous réserve de poursuivre une gestion stricte des dépenses. S'agissant des recettes, les prévisions actualisées du projet de loi de finances sont en ligne avec les informations disponibles en cours d'année. Les moins-values constatées sur certains impôts, notamment en ce qui concerne l'impôt sur les sociétés, sont en partie compensées par l'impact sur les prélèvements sociaux de la révision à la hausse de la masse salariale. Au total, les prélèvements obligatoires augmenteraient en 2016, un peu moins vite que le PIB en valeur (avec une élasticité de 0,9).

S'agissant des dépenses, les objectifs peuvent être tenus mais au prix de tensions sur les dépenses de l'État et de l'assurance maladie plus fortes en 2016 qu'en 2015. D'éventuels dépassements sur ces dépenses, sous forme de reports de charges, pourraient conduire à dégrader le déficit public des années ultérieures.

Pour 2017, le Haut Conseil souligne plusieurs facteurs de risques qui sont susceptibles de se matérialiser et d'obérer la réduction attendue du déficit de 3,3 % du PIB à 2,7 %. Il est vrai que l'effort demandé, de 0,6 point est élevé plus que celui attendu pour 2016.

Le Haut Conseil estime que les risques pesant sur les dépenses sont plus importants en 2017 que pour les années précédentes. En particulier, il note le caractère irréaliste des économies prévues sur l'Unédic au titre des négociations paritaires à venir (1,6 milliard d'euros). En effet, ces négociations ne devraient avoir lieu que dans le courant de l'année 2017, ce qui ne permet pas d'anticiper un effet significatif sur le solde 2017 de l'Unédic.

Il existe également de fortes incertitudes sur la réalisation des économies de grande ampleur prévues au titre de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM). Par rapport au programme de stabilité, le taux d'évolution de l'objectif a été relevé pour 2017, de 1,75 % à 2,1 %, mais ce relèvement ne couvre pas l'ensemble des dépenses nouvelles décidées au cours des derniers mois (augmentations tarifaires de la nouvelle convention médicale, hausse du point d'indice dans la fonction publique, protocole de parcours professionnels, carrières et rémunérations). Sa réalisation suppose donc un montant d'économies très élevé (4,1 milliards d'euros), significativement plus élevé en tout cas que les trois années précédentes, dont la réalisation complète est incertaine.

Des incertitudes pèsent également sur l'évolution des dépenses de l'État et des collectivités territoriales dont la dynamique sera notamment soutenue par les facteurs d'accélération de la masse salariale. Enfin, les recapitalisations annoncées des entreprises publiques du secteur énergétique pourraient alourdir le solde public en 2017. À ces risques s'ajoutent ceux portant sur les prévisions de recettes du fait des hypothèses économiques favorables retenues dans le projet de loi de finances.

En conséquence, le Haut Conseil estime improbables les réductions des déficits prévues par le projet de loi de finances pour 2017 (de - 1,6 point du PIB à - 1,1 point pour le solde structurel, de - 3,3 points à - 2,7 points pour le solde nominal). Sur la base des informations dont il dispose, il considère comme incertain le retour en 2017 du déficit nominal sous le seuil de 3 % du PIB.

Le Haut Conseil relève par ailleurs que le remplacement des baisses d'impôts portant sur la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) et l'impôt sur les sociétés, par des crédits d'impôt, afin de financer une partie des dépenses supplémentaires annoncées pour 2017, conduit à reporter sur le solde 2018 l'impact de ces baisses de recettes. Les dépenses supplémentaires étant pérennes, ce choix fragilise la trajectoire de finances publiques à compter de 2018 et le respect de l'objectif de solde structurel à moyen terme.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Il y a eu des fuites dans la presse, signe qu'en cette période électorale l'avis du Haut Conseil est regardé avec une grande attention. Chacun a noté, d'ailleurs, que le ton avait changé : le Haut Conseil ne se contente plus de qualifier les prévisions « d'optimistes », il considère que certaines économies envisagées sont « irréalistes » et que le scénario de réduction du déficit du Gouvernement est « improbable ». Voilà qui est nouveau !

Vous soulignez l'existence de nombreux risques qui pèsent sur les recettes et les dépenses. Le Haut Conseil les a-t-il quantifiés ?

Le Gouvernement a annoncé de nombreuses baisses d'impôts dont l'effet se fera sentir principalement en 2018, à l'image du remplacement de la baisse des charges sur les entreprises en un crédit d'impôt, ce qui repousse la charge sur le budget d'un an. Ces moindres recettes dégraderont la situation budgétaire en 2018 et viendront s'ajouter aux dépenses supplémentaires annoncées. Dans quelle mesure ces différents éléments dégraderont-ils le solde public l'an prochain ?

Enfin avez-vous pris en compte le risque lié aux contentieux, comme par exemple celui relatif à la contribution sociale généralisée (CSG) ?

M. Didier Migaud. - Le ton a changé, certes, mais la campagne électorale n'y est pour rien. Le Haut Conseil ne s'exprime pas en fonction des échéances électorales. Le supposer est infâmant. Simplement, les incertitudes nous paraissent aujourd'hui plus élevées que les années précédentes. Le Haut Conseil émet des avis techniques, non politiques. Il est constitué de personnalités de sensibilités diverses qui se prononcent en toute objectivité. Dans tous les cas, son avis n'est que consultatif. La décision appartient au Gouvernement et au Parlement. La représentation nationale et le Gouvernement peuvent « s'asseoir dessus », c'est d'ailleurs ce que fait le Gouvernement. Mais il en a tout à fait le droit.

Le Haut Conseil n'a pas les moyens de procéder à des quantifications précises. Nous ne disposons pas d'ailleurs de tous les éléments. Nous constatons toutefois que l'accumulation d'hypothèses optimistes et la sous-estimation de nombreux risques rendent « improbable » l'objectif de réduction du déficit affiché pour 2017. Pour atteindre l'objectif de croissance en 2016, il faudra que la croissance soit forte aux troisième et quatrième trimestres. Il est vrai, toutefois, que les enquêtes de conjoncture sont bonnes. Les prévisions de croissance pour 2017 sont aussi un peu optimistes. Les risques principaux concernent les dépenses : les économies prévues pour l'Unédic, le respect de l'ONDAM, les recapitalisations des entreprises publiques, les tensions sur les dépenses de l'État et des collectivités territoriales, etc. Considérer que l'on réduira le déficit tout en augmentant les dépenses alors que la conjoncture ne s'améliore pas n'est pas une idée intuitive. La marche pour 2017 est haute. Le Haut Conseil est dans son rôle en le disant. « Improbable » ne signifie pas toutefois « impossible ».

Nous travaillons sur la base des informations fournies par Bercy. Le ministère des finances joue le jeu. Mais, en raison de nombreuses contraintes, l'exercice n'est pas simple. Nous n'avons pas identifié tous les risques ; nous ne connaissons d'ailleurs pas dans le détail toutes les mesures contenues dans le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale. En tant qu'ancien rapporteur général et ancien président de la commission des finances de l'Assemblée nationale, je sais d'ailleurs combien le débat parlementaire peut être riche en la matière !

M. François Marc. - Merci pour cet éclairage. La loi organique de 2012 a donné pour mission au Haut Conseil, notamment, d'apprécier la cohérence entre l'article liminaire du projet de loi de finances, d'une part, et la trajectoire pluriannuelle des finances publiques et nos engagements européens, de l'autre. Au regard de cet objectif, votre avis montre que le projet de loi de finances est en cohérence avec nos engagements européens. Il fallait le souligner.

La conjoncture économique est incertaine. Le monde vit sous perfusion des banques centrales et, en dépit de cet assouplissement monétaire massif, la croissance ainsi que l'inflation restent faibles. Qu'en sera-t-il lorsque cette perfusion monétaire cessera ? Quelles sont les estimations du HCFP en ce cas ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Le Haut Conseil des finances publiques ne fait pas de politique - n'est-ce pas, d'ailleurs, une source de frustration de constater que vos remarques, depuis des années, ne sont pas suivies d'effet ? Mais la période électorale vous a certainement conduit à choisir vos mots avec un soin particulier. Je constate en tout cas que vous mettez sérieusement en doute les hypothèses retenues par le Gouvernement. C'est la sincérité du projet de loi de finances pour 2017 qui est en jeu. Pourriez-vous nous en dire plus sur la transformation des baisses d'impôts en crédits d'impôt ? Une telle manoeuvre, qui reporte la charge sur les années suivantes, est lourde de conséquences à la veille d'une élection.

M. André Gattolin. - Nous avions adopté, grâce au soutien de Michèle André, un amendement prévoyant la parité au sein du HCFP. Je constate toutefois que son secrétariat est très masculin... En année électorale les incertitudes sont fortes ; les investisseurs repoussent leurs investissements, les dépenses publiques ont tendance à augmenter, etc. Avez-vous tenu compte de ce risque particulier ?

M. Serge Dassault. - Ne faut-il pas s'inquiéter d'une remontée des taux d'intérêt pour la France en raison de l'importance de la dette et d'une possible dégradation de sa note par les agences de notation ?

Qu'en est-il des 50 milliards d'euros d'économies annoncées à grand renfort de publicité par le Gouvernement ? On a pu constater que les dotations aux collectivités territoriales avaient baissé de 11 milliards, ce qui les met en difficulté. Mais les autres économies promises ont-elles bien été réalisées ? Il me semble que l'on est loin du compte...

M. Éric Bocquet. - L'avis du Haut Conseil est précieux, au même titre que celui de la Commission européenne, des agences de notation, du Fonds monétaire international (FMI), de la Cour des comptes, du Parlement, etc. L'an dernier au Sénat nous avions examiné plus de 600 amendements sur le projet de loi de finances. Au total, nous avons pu modifier celui-ci à hauteur de trois milliards d'euros, soit 0,8 % du budget... Je m'interroge sur la souveraineté du Parlement.

Les quatre plus grandes banques françaises posséderaient dans leurs comptes plus de 75 000 milliards d'euros de produits dérivés. Ces produits ont été au coeur de la crise financière de 2008. Ces chiffres donnent le vertige et révèlent une prise de risque considérable.

La dette est au centre de toutes les préoccupations des économistes et des politiques. Toutefois, je ne comprends pas comment les marchés financiers accepteraient de prêter chaque année 180 milliards d'euros à la France si notre État était réellement au bord de la faillite, comme on nous le répète à longueur de journée... En 2013, les administrations publiques possédaient un actif de 3 094 milliards d'euros et avaient un passif de 2 547 milliards, soit un solde net de 547 milliards. En somme, chaque Français en possède 10 000 euros. Pourquoi passe-t-on sous silence que la dette privée qui a crû plus vite que la dette publique ?

M. Marc Laménie. - L'exercice budgétaire est complexe. La marge de manoeuvre est limitée. Les risques et les aléas nombreux. Le déficit était de 4 % du PIB en 2014. L'objectif est de le réduire à 2,7 % en 2017. Peut-on parler d'une légère amélioration ? Qu'en est-il des hypothèses concernant la masse salariale ? Il n'est pas aisé de la réduire.

Mme Fabienne Keller. - Merci pour votre diagnostic clair. Je salue votre travail de vigilance et d'analyse factuelle. Vous refusez de quantifier les risques. Toutefois, vous évoquez le CICE. Marie-France Beaufils avait montré, dans un rapport publié avant la suspension estivale de nos travaux, que le reste à payer pour les années à venir s'élevait déjà à 20 milliards d'euros. Quel sera le montant du report supplémentaire prévu dans le projet de loi de finances ? Combien coûteront également les augmentations d'effectifs annoncées dans la police, la justice, l'armée, l'Éducation nationale ? Et combien coûtera la hausse du point d'indice de la fonction publique ?

Enfin, que répondez-vous à Michel Sapin qui déclarait, ce matin, que ce qui est « improbable » aujourd'hui sera réalisé demain ?

M. Richard Yung. - Je me réjouis de l'avis du Haut Conseil. Nous avions voulu sa création en 2012 pour éclairer le débat. Sans doute croyions-nous naïvement qu'il existait une réalité objective en matière économique ; en fait la réalité est plus complexe. Utilisons cet avis pour nous aider, sans l'instrumentaliser.

Il me semble que les résultats pour 2016 sont bons. Vous n'avez pas mentionné l'amélioration remarquable du solde de la Sécurité sociale ; nous venons de loin et la tendance se poursuivra l'an prochain. Le déficit public a été réduit de moitié par rapport à 2010 ; ce n'est pas rien ! De même, le déficit de l'État en juillet est inférieur aux prévisions. La tendance est bonne. Le Haut Conseil est toutefois dans son rôle, comme un médecin, en appliquant le principe de précaution.

La Commission européenne a montré qu'elle était capable de juger avec intelligence les budgets, comme elle l'a fait avec l'Espagne et le Portugal récemment, et Jean-Claude Juncker l'a réaffirmé la semaine dernière. Toutefois, un dirigeant de droite a déclaré que la règle des 3 % n'était pas un « mantra ». Évitons les polémiques !

M. Vincent Capo-Canellas. - « Improbable » sera certainement le mot budgétaire de l'année ! Il a une forte valeur pédagogique puisque chacun comprend que les prévisions budgétaires du Gouvernement ont peu de chances de se réaliser. Vous avez réussi à rendre accessible à tous une matière aride. Il est important que l'opinion soit éclairée.

Ce budget est la somme d'hypothèses optimistes. Quel serait, selon vous, le scénario le plus vraisemblable ? Quelle est l'ampleur des réductions de crédits que nous devrions voter pour atténuer les risques ?

M. Maurice Vincent. - Il est incontestable que l'amélioration des comptes est continue et spectaculaire depuis 2012. La question est de savoir à quel rythme elle se poursuivra. Vous avez évoqué le risque de recapitalisations en 2017. Avez-vous toutefois pris en compte d'éventuelles cessions dont les recettes pourraient abonder le compte des participations financières de l'État ? De même les bénéfices de la lutte contre la fraude fiscale sont difficiles à estimer et pourraient être plus élevés que prévus. Ainsi de nouvelles recettes sont envisageables.

Votre rapport m'aurait inquiété si vous aviez estimé que le déficit déraperait fortement, à hauteur de 4,5 % du PIB ou plus. Nous en serons loin ! De plus, dans le contexte économique actuel, serait-il vraiment grave que le Gouvernement ne réussisse pas à tenir l'objectif de 2,7 %, dès lors que l'écart serait d'ampleur limitée ? L'essentiel n'est-il pas de savoir s'adapter à la conjoncture en cas de ralentissement ? Finalement, je trouve ce rapport très encourageant !

M. Éric Doligé. - Ma question portera sur le « Brexit ». En avez-vous tenu compte ? Quel serait l'impact sur notre budget ?

M. Claude Raynal. - Je note votre position nuancée sur l'année 2016 : selon vous, les objectifs du Gouvernement pourront être respectés. C'est bon signe car il a fallu faire face aux attentats, engager des dépenses supplémentaires pour assurer notre sécurité ; il a aussi fallu composer avec le « Brexit ». L'exercice budgétaire, en effet, n'est pas un exercice financier abstrait mais vise à répondre aux attentes de la population.

Vous avez indiqué avec raison que le Haut Conseil ne faisait pas de politique et que son avis n'était pas influencé par les élections. Personne n'accuse le HCFP d'être partisan. Toutefois, votre avis ne tient-il pas compte, implicitement, du climat politique qui règne en France en cette période électorale ? Ne constitue-t-il pas plus généralement, en creux, une mise en garde à l'attention de tous les candidats à l'élection présidentielle ? Il est vrai que certaines annonces auraient de quoi vous inquiéter. Certains annoncent d'ores et déjà un collectif budgétaire. On entend parler de contre-choc fiscal, d'aggravation transitoire du déficit, certains envisageant même de laisser filer le déficit jusqu'à 4,7 %... Votre choix des mots n'est-il pas une mise en garde à l'égard de tous ?

M. Daniel Raoul. - Vous avez employé le terme « improbable ». Mais pour énoncer une probabilité, il faut la quantifier. Votre avis ne le fait pas.

Depuis 2013, date du premier avis du HCFP, la trajectoire pluriannuelle et nos engagements européens ont été respectés. Pourquoi en irait-il différemment en 2017 ? Si le Gouvernement avait retenu une prévision de croissance de 1,3 % et un déficit de 3 %, qu'auriez-vous écrit ?

Mme Michèle André, présidente. - Une dernière question sur le « Brexit » : les instituts de conjoncture ont révisé à la hausse, entre les mois de juin et septembre, leurs prévisions de croissance pour le Royaume-Uni l'année prochaine. Cette donnée ne vient-elle pas relativiser le caractère « optimiste », pour reprendre les termes du Haut Conseil, de l'hypothèse de croissance retenue par le Gouvernement au titre de l'année 2017 ?

M. Didier Migaud. - Non, Marie-Hélène Des Egaulx, il n'est pas frustrant d'émettre un avis consultatif. Dans une démocratie, il est légitime que le pouvoir de décision revienne aux représentants du suffrage universel. Je ne commenterai pas les propos du ministre. Il y a deux ans, il avait choisi, au nom du principe de prudence, de changer de stratégie en retenant non plus les hypothèses les plus optimistes, mais les hypothèses les plus prudentes. Nous ne pouvons que constater que cette année il s'est écarté du scénario le plus prudent. Dans tous les cas, il appartient au Gouvernement d'élaborer le budget.

Je laisse à chacun le soin de ses interprétations. Le Haut Conseil n'a pas jugé le projet de loi de finances « insincère », il a estimé que le scénario retenu était « improbable ». Ne donnons pas à ces termes un sens qu'ils n'ont pas. Nous n'avons pas souhaité non plus envoyer un message subliminal aux candidats à la présidentielle. Simplement l'effort de réduction du solde budgétaire attendu en 2017 se monte à 0,6 point de PIB contre 0,2 point en 2016. Nous constatons que la marche est plus haute, alors que les risques sont élevés et que le Gouvernement a prévu d'augmenter les dépenses.

La mission du HCFP n'est pas de se prononcer sur différents scénarios hypothétiques, mais sur le scénario choisi par le Gouvernement. Certains croient noter que cette année nous nous sommes davantage attardés sur le déficit nominal que les autres années. C'est faux. Nous avons toujours identifié, dans nos avis, les risques sur les recettes et les dépenses pesant sur le déficit nominal. Notre mission, au regard de la loi organique, est d'apprécier la cohérence du budget, et en particulier de son article liminaire qui fait apparaître le solde effectif et le solde structurel, avec la trajectoire pluriannuelle prévue. Nous ne pouvons pas non plus nous fonder uniquement sur la loi de programmation des finances publiques, car elle a été suivie de programmes de stabilités qui s'en écartent. Nous nous prononçons sur les engagements pris par le Gouvernement, votés par le Parlement. Le HCFP ou la Cour des comptes ne sont pas des organes politiques, à la différence de la Commission européenne, avec laquelle il est possible de négocier pour trouver le meilleur scénario politiquement acceptable.

La hausse à court terme des taux d'intérêt est peu probable. La Réserve fédérale américaine (Fed) hésite à relever ses taux à cause de l'incertitude économique. Le Gouvernement a pris en compte dans son scénario l'hypothèse d'une remontée possible à 1,25 %, contre 0,3 % actuellement. Ce scénario est plutôt prudent. Si la charge liée aux intérêts s'avérait moins lourde, cela dégagerait des marges de manoeuvres budgétaires.

M. Serge Dassault. - La France ne risque-t-elle pas de voir ses taux augmenter ?

M. Didier Migaud. - La France est un grand pays et possède de nombreux atouts. Si la France s'isole en Europe et reste la dernière à ne pas respecter les critères de Maastricht, les taux risqueront de monter et le choc peut être lourd. C'est pourquoi la Cour des comptes et le Haut Conseil appellent à la prudence. Notre endettement a fortement augmenté et le passif des administrations publiques est devenu supérieur à l'actif, sans compter les engagements hors bilan. La Cour des comptes a rendu son rapport sur l'exécution des lois de financement de la sécurité sociale. Les déficits se réduisent mais la situation reste fragile. Les déficits des comptes sociaux sont une anomalie : il s'agit de dépenses courantes financées par emprunt, donc au détriment des générations futures. La France est une exception dans le monde. L'équilibre des comptes est le gage de la pérennité du système. Sinon, à force de déremboursements, l'accès aux soins pour tous sera compromis. C'est déjà le cas pour les soins bucco-dentaires.

Le Haut Conseil ne souhaite pas faire de quantifications. Il n'a pas les moyens de le faire avec précision, mais rien n'empêche le Parlement de le faire, sur la base des risques que nous avons identifiés.

Les recettes de cessions éventuelles n'améliorent pas le déficit au sens des critères maastrichtiens. Les conséquences du « Brexit » sont difficiles à évaluer ; pour le moment elles sont très réduites. L'impact se fera peut-être sentir à partir de 2017. Le Gouvernement fait l'hypothèse d'une perte de croissance d'un quart de point, estimation identique à celle de la Commission européenne ou du FMI. Le risque est mesuré. Le problème pour la France tient à l'addition de tous ces risques qui peut compromettre l'hypothèse d'un déficit à 2,7 % en 2017. Nous n'avons, en revanche, pas exprimé d'inquiétudes sur l'atteinte de l'objectif de 3,3 % de déficit en 2016.

Cet avis exprime la conviction des membres du HCFP. Nous avons beaucoup réfléchi et nous assumons le choix de nos mots. Il ne nous appartient pas de nous prononcer sur les orientations budgétaires souhaitables pour la France ; c'est au pouvoir politique de fixer les objectifs. Notre tâche est simplement de juger s'ils peuvent être atteints ou non. Enfin, nous estimons, en l'état des données, que les reports de charges en 2018 liés aux transformations de baisses d'impôts en crédits d'impôt s'élèvent à environ trois milliards d'euros.

La réunion est levée à 15 h 30.

Projet de loi de finances pour 2017 - Audition de M. Christian Eckert, secrétaire d'État chargé du budget

La réunion est ouverte à 16 h 35.

La commission entend enfin M. Christian Eckert, secrétaire d'État chargé du budget, sur le projet de loi de finances pour 2017.

Mme Michèle André, présidente. - Nous recevons Christian Eckert, secrétaire d'État au budget. Michel Sapin est retenu à l'Assemblée nationale pour le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Je vous retrouve avec plaisir pour la présentation de ce projet de loi de finances pour 2017, et vous transmets les excuses de Michel Sapin, qui aurait aimé être parmi nous, mais qui est retenu à l'Assemblée nationale pour la seconde lecture de son projet de loi !

Ce plaisir s'accompagne d'une certaine inquiétude : pour ce dernier budget du quinquennat, j'entends déjà certains alimenter les peurs et les fantasmes sur les risques de dérapage de nos finances publiques pendant une année d'élection...

M. Daniel Raoul. - C'est improbable !

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Je vous présenterai ce budget de la façon la plus factuelle possible pour une discussion apaisée et raisonnable. Le Sénat est l'un des derniers endroits où l'on peut débattre ainsi, avec le sens des responsabilités !

Ce dernier budget de la mandature s'inscrit dans la continuité de notre action : jusqu'au bout, nous remettrons en ordre nos comptes publics. Le déficit repassera sous la barre des 3 % du produit intérieur brut en 2017, pour la première fois depuis 2007, et la dette sera enfin stabilisée. Le déficit budgétaire sera en baisse, d'abord en 2016, avec une révision de plus de 2 milliards d'euros par rapport à la loi de finances initiale, puis en 2017, où il atteindra 69,3 milliards d'euros. Ce projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale présenté vendredi dernier forment un ensemble cohérent, la sécurité sociale reviendra quasiment à l'équilibre, sur les quatre branches du régime général, après quinze ans de déficits récurrents. Nous n'avons pas l'intention de dilapider pendant la dernière année du quinquennat tous les efforts faits depuis quatre ans !

Vous connaissez le scénario macroéconomique qui sous-tend ce budget : une croissance de 1,5 % tant en 2016 qu'en 2017. Avant l'été, ce scénario était estimé très prudent. Depuis le Brexit, alors même qu'aucun économiste n'est capable d'en évaluer l'impact économique pour le Royaume-Uni et encore moins pour la France, le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) juge cette prévision « optimiste ».

Depuis que Michel Sapin et moi-même sommes en fonction à Bercy, nous avons constaté que les prévisions macroéconomiques changent tous les trois mois, à l'arrivée d'une nouvelle information. Le Gouvernement ne peut pas changer les bases de son budget tous les trois mois : il doit garantir la constance et la continuité de sa politique budgétaire. Nous maintenons donc nos prévisions de croissance. Peut-être que dans six mois, les mêmes qui les qualifient aujourd'hui d'optimistes les trouveront à nouveau prudentes ! En 2015, dans une configuration similaire, le Haut Conseil des finances publiques avait fait le même type de remarques, alors que nous avions prévu une croissance de 1 %. Or elle a été constatée à 1,3 % ! Si le passé éclaire l'avenir, nous pouvons regarder l'avenir avec sérénité. Nous avons toujours su prendre les mesures de redressement en cours d'année lorsque les faits nous ont contredits.

Je vous ai promis une présentation factuelle : je vous fournirai donc un certain nombre de chiffres. Mon propos sera austère mais, dans une époque d'incrédulité face à la parole des gouvernants quels qu'ils soient, c'est la condition de sa crédibilité.

Au moment du programme de stabilité, pour atteindre l'objectif de déficit en 2017, il nous fallait prendre 5 milliards d'euros de mesures de redressement en 2017, au-delà des économies déjà prévues.

Puis le Gouvernement a engagé pour 9 milliards d'euros de dépenses nouvelles et de baisses d'impôts - dont personne n'a d'ailleurs contesté la pertinence. Les dépenses de l'État augmentent effectivement par rapport à la loi de finances initiale pour 2016 en raison des moyens dégagés pour l'école, la sécurité et l'emploi.

Nous voulons un pays où chacun peut accéder au savoir, quelle que soit sa condition sociale. C'est pourquoi l'école et l'enseignement supérieur bénéficieront de 3 milliards d'euros de moyens nouveaux. 11 712 postes seront créés au ministère de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur et 950 dans les universités, respectant ainsi les engagements pris par le Président de la République en 2012 de créer 60 000 postes dans l'enseignement sur le quinquennat.

Nous voulons un pays où l'on vit en sécurité. Les crédits supplémentaires en faveur de la sécurité s'élèveront à près de 2 milliards d'euros. Pour la première fois depuis 2009, une loi de programmation militaire est non seulement tenue, mais également révisée pour fournir des moyens nouveaux.

Nous voulons un pays où chacun puisse vivre des fruits de son travail. La mobilisation en faveur de l'emploi, affirmée par le Président à l'occasion de l'annonce du plan d'urgence en faveur de l'emploi en janvier 2016, se traduit par près de 2 milliards d'euros supplémentaires - ces comparaisons étant réalisées de loi de finances initiale à loi de finances initiale.

Nous engageons une nouvelle baisse de l'impôt sur le revenu pour les classes moyennes, avec un nouvel allègement de 1 milliard d'euros - soit au total 6 milliards d'euros d'allégements depuis 2014. C'est une baisse strictement compatible avec notre objectif de déficit public pour 2017, et c'est là une preuve du sérieux de ce budget.

Enfin, la division par deux de l'effort demandé au bloc communal en 2017 sur la trajectoire de la dotation globale de fonctionnement (DGF), le relèvement de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM) à 2,1 %, la baisse du taux d'impôt sur les sociétés pour les petites et moyennes entreprises (PME) et la baisse de cotisations des indépendants conduisent à un besoin de financement supplémentaire de 9 milliards d'euros par rapport au programme de stabilité. Nous devions donc trouver un financement à hauteur de 14 milliards d'euros : 5 milliards de mesures de redressement annoncées au moment du programme de stabilité et 9 milliards d'euros de dépenses et baisses d'impôts annoncées depuis.

Je précise le détail de ces mesures de financement - votre commission a l'habitude des chiffres. Ce Gouvernement n'a rien à cacher : ce budget doit être le plus transparent possible pour tuer les fantasmes et les peurs et les portes de Bercy sont ouvertes à tous les commissaires des finances ! Sur le financement, nous avons décidé d'économiser 1,5 milliard d'euros sur les administrations de sécurité sociale (Asso). Je l'ai détaillé vendredi dernier lors de la présentation des comptes de la sécurité sociale : 330 millions d'euros de recettes supplémentaires sont prévues par des réductions de niches sociales, une hausse de l'imposition du tabac à rouler et une imposition des distributeurs de tabacs.

Les mesures annoncées lors du Comité national de lutte contre la fraude et celles prévues par le projet de loi de financement de la sécurité sociale conduiront à une hausse de 500 millions d'euros du produit de la lutte contre la fraude aux cotisations et aux prestations sociales : sur un total de 400 milliards d'euros de dépenses et autant de recettes, c'est un objectif atteignable. Des économies supplémentaires de 270 millions d'euros sont attendues sur la gestion des caisses de sécurité sociale et leurs dépenses d'action sociale. Nous attendons de moindres dépenses, à hauteur de 350 millions d'euros, sur certaines réformes qui montent en charge, décidées l'an dernier, en particulier la réforme du capital décès et la nouvelle allocation versée au titre du congé parental.

Sur le champ de l'État, nous prévoyons aussi un ensemble de mesures en recettes, pour un total de 1,3 milliard d'euros. Le point commun de ces mesures est qu'elles produisent une recette en 2017 pour le budget de l'État, par effet de trésorerie, en anticipant le versement de recettes qui auraient été perçues en 2018. Contrairement à ce qui est dit ici ou là, ces mesures n'amputent pas les recettes de 2018, puisqu'en 2018, l'État percevra les recettes qui auraient dû être perçues en 2019. Seuls les contribuables qui auront la patience d'attendre la fin des temps seront donc perdants !

Ces mesures sont les suivantes. Le cinquième acompte d'impôt sur les sociétés sera élargi, pour un rendement de l'ordre de 530 millions d'euros : cette mesure concerne uniquement les 1 000 plus grandes entreprises du pays, qui ont connu la suppression de 3,5 milliards d'euros de la contribution exceptionnelle décidée par la précédente majorité. Le régime d'acompte sur les prélèvements forfaitaires obligatoires (PFO) perçus sur les produits d'épargne sera généralisé : cette mesure produira 380 millions d'euros, elle met à contribution la trésorerie des établissements financiers, et est sans impact sur les épargnants : le PFO est perçu au fil de l'eau par les banques et les assureurs sur les intérêts versés à leurs clients. Ces sommes ne sont versées que périodiquement : à la fin de l'année, cela crée un décalage. Le prélèvement au fil de l'eau - presque du prélèvement à la source - produit un rendement de 380 millions d'euros. C'est une question de trésorerie infra-annuelle et, compte tenu des taux d'intérêt souvent négatifs à court terme, la profession - avec laquelle nous nous sommes concertés - ne souffrira pas de cette mesure. Un acompte sur la majoration de taxe sur les surfaces commerciales sera institué pour 100 millions d'euros. Les modalités de versement de la taxe sur les véhicules de société seront calées sur l'année civile : cette mesure, qui relève du projet de loi de financement de la sécurité sociale, rapportera un peu moins de 200 millions d'euros.

Outre ces mesures portant sur les entreprises, le projet de loi de finances comprend un nouveau mécanisme pour lutter contre les contournements du plafonnement de l'impôt sur la fortune (ISF), dont nous attendons un rendement minimum de 50 millions d'euros.

Nous prendrons également en 2017 des mesures de régulation des dépenses d'investissement d'avenir. Elles réduiront ces dépenses de 1,2 milliard d'euros par rapport à notre prévision du programme de stabilité. Elles sont compatibles avec les prévisions de décaissement des programmes d'investissement d'avenir en cours de finalisation.

Pour financer les dépenses nouvelles de 2017, nous avons pu compter sur certaines bonnes nouvelles : n'en déplaise aux oiseaux de mauvais augure, les bonnes nouvelles existent aussi quand on fait un budget ! Les dépenses de contentieux fiscaux sont, depuis des années, systématiquement inférieures aux prévisions de 1 milliard d'euros, ce qui a permis une révision de 0,7 milliard d'euros. Compte tenu de la baisse des taux d'intérêt, la prévision de charge de la dette est inférieure de 1,2 milliard d'euros à notre prévision d'avril. Les recettes de la lutte contre la fraude sont revues en hausse de 1,9 milliard d'euros, notamment au titre du service de traitement des déclarations rectificatives (STDR), tout en restant globalement prudentes, alors que 0,5 milliard d'euros était prévu initialement. Le STDR finira par se tarir. Mais il se trouve, et personne ne s'en plaindra, que les demandes de régularisation continuent pour le moment d'affluer. Seule la moitié des 45 000 dossiers déposés a été traitée.

Les baisses de dotation aux collectivités territoriales, sujet qui vous est cher, vont diffuser leurs effets sur plusieurs années. Nous le constatons déjà en 2016 : les dépenses des collectivités continuent à augmenter, mais un rythme trois fois inférieur à l'année dernière. Nous attendons 1 milliard d'euros de dépenses locales en moins. La baisse des dotations, lancée en 2014 et fortement amplifiée en 2015, a déclenché de nombreuses réactions. Nombreux sont ceux qui prévoyaient un cataclysme. Certains parlaient de milliers de communes sous tutelle, d'interventions des chambres régionales des comptes, de difficultés. Le réseau d'alerte de la direction générale des finances publiques (DGFiP) - dont les comptables suivent les finances des collectivités territoriales - n'a pas remarqué une augmentation du nombre de communes dans la zone d'alerte. Les recettes des collectivités locales ont continué à progresser. Les nouvelles recettes fiscales ont surcompensé les baisses de dotation pour trois raisons : la révision forfaitaire des bases des valeurs locatives explique un quart de l'augmentation des recettes fiscales ; l'augmentation physique des bases d'imposition - l'augmentation de l'assiette - explique la moitié de l'augmentation du produit fiscal des taxes d'habitation et foncières. Le dernier quart est dû à l'augmentation des taux de fiscalité décidés par une grande minorité des collectivités locales, dans une proportion bien inférieure à ce que l'on observe généralement après un renouvellement des équipes municipales.

Lors du précédent renouvellement, les taux des taxes foncières et d'habitation avaient augmenté de plus de 3 % en moyenne. Cette fois-ci, elles ont augmenté de 1,5 %. Je tiens à votre disposition toutes les études le prouvant. Le Comité des finances locales (CFL), qui s'est réuni hier, ne dit pas autre chose, de même que toutes les autres études issues d'organismes au-delà de tout soupçon - malgré quelques cas particuliers et la situation spécifique des départements. Concernant les départements, nous observons que les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) suivent une croissance à deux chiffres - 15 % en 2015. Une augmentation similaire est enregistrée depuis le début de l'année. Certes, les DMTO sont concentrés dans certaines régions, à charge pour le Parlement de décider d'une mutualisation ou d'une péréquation. Le solde en pied de colonne pour les finances publiques en restera inchangé.

Les dépenses de fonctionnement ont décéléré. Nous prévoyons un objectif d'évolution de la dépense locale (Odedel) de 2 %, supérieur à celui de 2016. En 2017, les collectivités devront assumer l'évolution du point d'indice dans la fonction publique territoriale, comme dans la fonction publique d'État ; nous tenons compte de ces facteurs de progression de la masse salariale. Je suis conscient que je raisonne ici sur des moyennes et que certaines collectivités - départements notamment - restent dans une situation fragile. Les travaux se poursuivent. Un fonds de secours de 50 millions d'euros était prévu l'an dernier, nous irons probablement au-delà cette année lors du projet de loi de finances rectificative.

Dernier élément de financement de nos priorités, la réorientation du Pacte de responsabilité et de solidarité libère 5 milliards d'euros de marge en 2017. Selon les règles de la comptabilité nationale, la hausse du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) sera enregistrée en 2018. J'entends déjà ceux qui nous reprochent de remettre à plus tard le financement de ces mesures, mais cet impact en 2018 est de même ampleur que la provision pour baisse d'impôts que nous avions prévue dans le budget pluriannuel : dans la dernière loi de programmation des finances publiques, nous avions intégré 5 milliards d'euros de baisses d'impôts en 2018. Ils sont transformés en CICE, avec un impact en 2018 mais aussi en 2017 pour les entreprises - elles imputent leur impôt et leur crédit d'impôt sur l'année d'exercice et non sur l'année de paiement de l'impôt. Au total, 13,8 milliards d'euros de financement couvrent - à 200 millions près, soit l'épaisseur du trait - les 14 milliards d'euros de dépenses nouvelles et de baisses d'impôt décidées depuis le programme de stabilité.

La réforme du prélèvement à la source, point majeur du projet de loi de finances, changera le quotidien de tous nos concitoyens. Nous en avions esquissé les principes l'an dernier, à la même époque. Depuis le début de l'année 2016, nous avons mené des concertations auprès de tous les acteurs - même ceux qui s'en défendent. Le vice-président du Medef a prétendu, devant la commission des finances de l'Assemblée nationale, qu'aucune concertation n'avait été menée. C'est un mensonge ! Le Medef a été reçu par les services de Bercy le 28 septembre et le 18 décembre 2015, le 7 avril et le 10 mai 2016 ainsi que le 22 septembre 2016 avec l'ensemble des organisations socioprofessionnelles d'employeurs. Mon cabinet les a reçus le 31 mars, et j'ai personnellement reçu Geoffroy Roux de Bézieux, de même que Michel Sapin.

Cet organisme a donc été consulté et informé ! Il a mis en avant deux difficultés que nous avons réglées.

Fallait-il un système différent de prélèvement pour le mois de décembre ? Des revenus encaissés en janvier 2018 pourraient-ils être comptabilisés sur l'année 2017 ? L'Insee et le Conseil d'État nous ont rassurés : le traitement du prélèvement à la source devrait être identique en décembre par rapport au reste de l'année, sans changement ni pour les salariés, ni pour les entreprises.

Second point, les sanctions pour les entreprises n'ayant pas correctement reversé les sommes - ayant fait preuve d'agissements discriminatoires - étaient jugées exagérées. Nous avons reconnu que des sanctions existaient déjà, et avons corrigé notre texte en conséquence. Il y a donc eu discussion - certes pas d'accord ni d'enthousiasme... On critique la complexité du prélèvement à la source pour les entreprises. La déclaration sociale nominative (DSN) concerne 800 000 entreprises, et a vocation à être généralisée. Elle donne un confort, une automaticité et une simplicité dans la gestion des cotisations sociales. Désormais, avec les nouveaux logiciels de paie et les experts comptables, le prélèvement des cotisations se fait de façon automatisée. Dans la DSN, un petit morceau du tuyau sera destiné à l'échange, entre la DGFiP et l'employeur, du taux et du produit du prélèvement à la source.

Parfois, les organisations syndicales de Bercy - et il faut les écouter - sous-entendent que le taux de recouvrement de l'impôt, proche de 99 % actuellement, pourrait être dégradé par ce système. La contribution sociale généralisée (CSG), collectée par les Urssaf, a un taux de recouvrement de 99,5 %, supérieur à celui de l'impôt sur le revenu. Monsieur le rapporteur général, si vous le souhaitez, vous pourrez proposer la fusion des Urssaf et de la DGFiP lors de la prochaine campagne électorale et en débattre avec toutes les organisations syndicales. Mais il faudra être volontariste ! Nous avons consulté le Medef et toutes les organisations syndicales, y compris les syndicats de nos services, qui craignent que cela prive la DGFiP de son rôle de recouvrement et de calcul de l'impôt au profit des Urssaf. Nous confirmons la DGFiP dans son rôle de seul interlocuteur des salariés et des employeurs en raison de son savoir-faire : l'impôt, spécifique, ne peut être traité de la même façon que les cotisations sociales.

Quel est l'intérêt du prélèvement à la source pour le contribuable ? Oui, la réforme bénéficiera à tous les Français, et leur permettra de mieux affronter - du point de vue de l'impôt - certains moments importants de leur vie. Saviez-vous que chaque année, 30 % des contribuables voient leurs revenus baisser d'une année sur l'autre et doivent s'acquitter d'un impôt qui ne correspond plus à leur revenu ? Cette baisse est parfois subie - en raison d'une perte d'emploi - ou choisie - pour reprendre une formation ou créer une entreprise - ou tout simplement du fait d'un départ en retraite : 700 000 personnes chaque année se retrouvent à payer l'impôt correspondant aux revenus plus importants perçus l'année précédente, ce qui est inconfortable. Avec le prélèvement à la source, ces changements de situation seront pris en compte immédiatement, puisque le taux de prélèvement sera alors appliqué à des revenus plus faibles.

Saviez-vous que chaque année, 1,2 million de foyers changent de situation personnelle - mariage, pacs, divorce ou décès - et qu'environ 800 000 enfants naissent ? Dans toutes ces situations où les Français veulent être accompagnés, l'impôt ne s'adapte aujourd'hui qu'avec retard. Avec le prélèvement à la source, ces changements pourront être pris en compte dès leur survenance - dans un délai d'un à deux mois. Et cela change tout. C'est dans chacune de ces situations que les contribuables pourront bénéficier de la réforme.

L'État ne réalisera pas un gain de trésorerie « sur le dos des contribuables », comme l'affirment quelques pages de journaux imprudentes... L'État fera une avance de trésorerie aux ménages, qui paieront désormais leur impôt sur 12 mois - au lieu de 10 mois dans le cas de la mensualisation, ce qui concerne un peu moins de 60 % des contribuables, eux-mêmes représentant la moitié des foyers fiscaux - ou en trois fois pour ceux réglant par tiers. Il y a là une amélioration de la trésorerie des contribuables. Et, lors du passage dans le nouveau système, il n'y aura pas de ressaut d'imposition pour les contribuables. Pour ceux qui sont imposés, le taux de prélèvement prendra en compte les abattements habituels tels que les 10 % sur les salaires, et ceux qui ne sont pas imposés et dont le revenu fiscal de référence est inférieur à 25 000 euros par part seront dispensés du prélèvement à la source. Faire payer pour rembourser ensuite serait idiot.

La réforme sera simple pour les ménages comme pour les entreprises, sans démarche supplémentaire. Oui, il faudra toujours faire une déclaration annuelle, notamment en raison de la familiarisation de l'impôt via le foyer fiscal, duquel découle la notion de quotient familial. Cela assurera la progressivité de l'impôt sur le revenu. Je sais que certains sont favorables a contrario à une flat tax, avec un taux identique quel que soit le revenu.

Pour les travailleurs indépendants, il n'y aura pas de problème, au contraire : les acomptes pourront être modulés au cours de l'année, notamment pour ceux ayant des revenus saisonniers. C'est une demande qui nous a été régulièrement faite par les syndicats agricoles, puisque les revenus agricoles sont extrêmement saisonniers et variables. Le prélèvement à la source permettra une adaptation beaucoup plus rapide que les dispositifs actuels.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je ne reviens pas sur le prélèvement à la source, sujet plus complexe qu'il n'y paraît. Nous avons lancé un questionnaire. Beaucoup de questions restent encore en suspens.

Juste avant vous, Didier Migaud nous a rappelé que le Haut Conseil des finances publiques n'avait ni changé de méthode, ni été influencé par le contexte électoral. Cette année, le président du Haut Conseil utilise des termes qui ne nous laissent pas indifférents, évoquant, après une prévision de croissance « optimiste », un objectif de déficit public de 2,7 % du PIB « improbable ». Lorsqu'il évoque une atteinte de l'objectif de 3 % « incertain » et des « économies irréalistes », cela nous interroge. Et nous sommes dubitatifs lorsqu'il estime que le Gouvernement « s'assied sur l'avis du HCFP ». La marche de réduction de 0,6 point du déficit en 2017 est beaucoup plus élevée que d'habitude et est plus difficile à atteindre avec des dépenses nouvelles et une croissance faible.

Sur le plan des dépenses, on observe que le Gouvernement a renoncé à respecter sa norme de dépenses. En outre, le projet de loi de finances prévoit une augmentation de 14 000 postes de fonctionnaires. Certes il y a des priorités comme la sécurité, mais hors la création de postes pour lutter contre le terrorisme et l'actualisation de la loi de programmation militaire, 2 684 effectifs supplémentaires sont prévus en 2017. Le Gouvernement a-t-il également renoncé à maîtriser sa masse salariale et ses effectifs ?

Quant à la fiscalité, certes l'impôt sur les sociétés est réduit, le taux du CICE augmente, mais les effets se feront sentir surtout après 2017. Pouvez-vous nous préciser le coût budgétaire de ces annonces en 2017, 2018 et 2019 ? Certaines mesures de trésorerie - selon vous, sans impact réel - augmenteront l'impôt payé en 2017, sans réduire pour autant celui de 2018. Ces mesures grèveront les capacités de financement des entreprises.

Comment boucler le budget pour respecter les 3 % de déficit, sans toucher au taux de prélèvements obligatoires ? J'ai été étonné en lisant votre document ce matin. Certaines mesures ne sont pas annoncées. Sont-elles prévues dans le projet de loi de finances rectificative ? Vous nous avez répondu pour les départements, mais quid des régions ? Demain se tiendra le congrès de l'Association des régions de France (ARF). Vous leur promettez 350 millions d'euros en leur affectant une part de TVA, plus 200 millions d'euros pour les départements. Concrètement, cela se fera-t-il par un amendement au projet de loi de finances ou dans le projet de loi de finances rectificative ? Si c'est une allocation de part de TVA, de quel montant, et pourquoi n'est-ce pas dans la loi de finances initiale ? Est-ce toujours en débat ?

Vous avez prévu 100 millions d'euros de provisions pour le contentieux dit « de Ruyter » relatif au paiement de la CSG par les non-résidents - dont les effets sont plutôt de plusieurs centaines de millions d'euros. Certains contribuables saisissent en masse les tribunaux administratifs, avec des intérêts qui courent - c'est le meilleur placement, avec un taux de rendement de 4,8 % ! Cela coûte très cher au budget de l'État, car à la suite de l'arrêt du Conseil d'État, il faudra rembourser ces contribuables. Pourquoi le projet de loi de finances ne comprend aucune disposition à ce sujet ?

Nous avons examiné ce matin un projet de décret d'avance pour financer 150 000 nouveaux contrats aidés, prévus par une simple circulaire, sans aucune annonce gouvernementale. En 2016 étaient annoncés 295 000 contrats aidés, 280 000 dans le projet de loi de finances 2017. Pourquoi alors proposer 150 000 contrats aidés dans un décret d'avance ? Il y a une sous-budgétisation de certaines dépenses, comme l'hébergement d'urgence, les contentieux communautaires ou pour les collectivités territoriales...

Conservez-vous l'évaluation forfaitaire des dépenses en 2017 pour le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » (CAS PFE) ? Plusieurs recapitalisations ont été annoncées, notamment dans le secteur de l'énergie. De nombreuses annonces auront un impact en 2017 et après.

Vous avez renoncé à respecter la norme de dépenses - autrefois l'alpha et l'oméga - et certaines dépenses ne sont pas budgétées à ce jour. Pouvez-vous nous apporter des précisions et nous rassurer après l'audition de Didier Migaud ?

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Monsieur le rapporteur général, il est un peu facile d'affirmer de manière péremptoire que la mise en place du prélèvement à la source se révèle plus complexe que prévu. La moitié des contribuables ne sont pas imposés sur le revenu : ils ne paieront pas de prélèvement à la source. Et 95 % des contribuables ont un taux d'imposition compris entre 0 % et 10 %. Bien sûr, vous trouverez toujours un mouton à cinq pattes : celui qui sera salarié en France, payé par une entreprise turque, qui percevra des revenus fonciers sur un bien situé en Hollande, et des taux d'intérêts sur ses participations dans une entreprise. Sans compter que les situations au sein du foyer fiscal peuvent être très différentes. Il y aura toujours une minorité de cas exceptionnels, mais restons sereins : 95 % et même davantage des situations sont simples.

Quant à celles qui posent problème, nous sommes tout à fait prêts à en parler. Prenons le cas des travailleurs frontaliers ou plutôt des expatriés. Certaines situations sont aujourd'hui aberrantes. Quelqu'un qui part travailler dans un pays où le prélèvement se fait à la source - autant dire la plupart des pays du monde, et pour certains depuis un demi-siècle - commencera par payer une année double : l'impôt sur les revenus de l'année précédente en France, auquel s'ajoute le prélèvement à la source des pays d'expatriation. Imaginons qu'il revienne en France : il bénéficiera d'une année blanche. Toutes les situations existent. Nous les avons traitées, y compris celle des personnes qui décéderont en 2017 ou en 2018. L'un de vos collègues députés a refait l'historique des gouvernements qui s'étaient engagés à mettre en place le prélèvement à la source, qu'ils soient de droite ou de gauche, de Michel Debré à Valéry Giscard d'Estaing, ou à Thierry Breton, qui avait dit : « Il suffira d'appuyer sur un bouton ». Nous travaillons sur le sujet depuis plusieurs mois, dans un esprit de concertation, et nous sommes parvenus à un dispositif satisfaisant. Votre collègue Christian Jacob, président du groupe Les Républicains à l'Assemblée nationale, m'a vexé en parlant de « fumisterie ».

Je n'ai jamais prétendu que le prélèvement à la source était autre chose qu'une modalité de recouvrement. Nous avons mené une consultation large : France Générosités, la Fondation Abbé Pierre, les Restos du Coeur, les experts comptables, les éditeurs de logiciels de paie, les assistantes maternelles... Le Conseil d'État a validé l'ensemble des principes de notre dispositif. Par conséquent, je trouve un peu facile de dire que l'affaire est plus complexe que nous l'avions envisagée. Je n'ai jamais prétendu que ce serait simple. Au contraire, je n'ai cessé de répéter que la mise en place du prélèvement à la source était comme l'ascension de l'Himalaya, avec des camps de base à passer les uns après les autres.

Nous ne nous sommes pas assis sur l'avis du HCFP. Cet avis sert au Conseil d'État et éventuellement au Conseil constitutionnel pour apprécier la sincérité du projet de loi de finances ou de la loi de finances, une fois qu'elle est adoptée. Sans trahir de secret, puisque tout est publié dans la presse avec deux jours d'avance, je me permettrai moi aussi de rendre public l'avis du Conseil d'État sur cette question de sincérité, avis du HCFP à l'appui. Bien sûr, nous sommes en désaccord sur certains points ; n'allons pas trop loin.

Quant au nombre de postes, nous avions annoncé l'année dernière que les événements liés au terrorisme, mais aussi les interventions de nos forces armées à l'extérieur (Opex), à Alep, ou au Mali, ont nécessité une inversion de nos prévisions. Au ministère de la défense, la trajectoire prévoyait 7 500 emplois en moins. Nous sommes passés à 2 500 emplois supplémentaires, soit 10 000 emplois créés. Hors défense, nous diminuons les effectifs de 5 250. Si vous enlevez les ministères dits prioritaires, vous constaterez une diminution des effectifs dans la fonction publique sur l'ensemble du quinquennat. Il serait faux de prétendre que nous avons diminué les effectifs de l'État, tant sur le projet de loi de finances pour 2017 que sur l'ensemble du mandat. Mais, si l'on exclut les priorités auxquelles nous avons dû faire face - et je n'ai pas parlé de la police, de la gendarmerie ou de la justice - tous les ministères ont réduit leurs effectifs, et celui des finances n'a aucune leçon à recevoir sur ce point : 1 540 fonctionnaires en moins contre 2 000 les années précédentes.

J'aimerais connaître votre position : êtes-vous favorable à ce qu'une fraction de la TVA soit attribuée aux régions ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Le projet de loi de finances doit refléter toutes les dépenses.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Vous savez que cette mesure n'y figure pas. On en parle dans la presse, mais la décision n'est pas prise. Vous devriez être fixé d'ici 24 heures. Y êtes-vous favorable ou non ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - C'est une dépense en plus dans le projet de loi de finances.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Je peux refaire l'historique, car j'ai participé à la plupart des réunions entre Philippe Richert et Manuel Valls sur le sujet. Philippe Richert avait accepté, presque avec enthousiasme, la taxe spéciale d'équipement régional (TSER). Il a suffi que Xavier Bertrand et quelques autres manifestent leur désaccord, pour qu'il n'en voie plus que les défauts. D'autres propositions sont en cours de discussion. Hier encore, Philippe Richert et le bureau de l'Association des régions de France (ARF) ont rencontré le Premier ministre. Rien n'est tranché et rien n'est inscrit dans le projet de loi de finances. Nous introduirons bien entendu les amendements nécessaires, le cas échéant. Quoi qu'il en soit, le Gouvernement a pour habitude de toujours gager les mesures nouvelles qui coûtent de l'argent.

Encore une fois, êtes-vous favorable à ce qu'une fraction de la TVA soit attribuée à des collectivités locales ? La demande de l'ARF, qui n'est pourtant pas dominée par la gauche, était que nous remplacions les 4,5 milliards d'euros de DGF par l'équivalent de TVA, soit 3 % des 170 milliards d'euros qu'elle représente. Je n'ai pas entendu beaucoup de voix s'élever pour prendre parti sur cette demande. J'ai mon point de vue personnel, mais je laisserai le Premier ministre s'exprimer sur le sujet. Nous devrions être fixés très rapidement. Il serait intéressant de connaître le point de vue des sénateurs.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - C'est une mesure contradictoire.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Donnez votre point de vue ! Si les régions ont besoin de 600 millions d'euros pour assumer les compétences économiques que les départements n'assurent plus, le raisonnement basique voudrait qu'on ait 600 millions d'euros en moins de l'autre côté.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Ce n'est pas le sens de la réforme.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Vous pouvez ne pas être d'accord. Donnez votre point de vue. Les départements dépensaient 600 millions d'euros pour exercer des compétences économiques qui ont désormais échu aux régions. Voilà d'où vient ce chiffre. Je connais les difficultés auxquelles les départements sont confrontés, l'effet de ciseau du RSA ou des allocations individuelles de solidarité (AIS), par exemple. Je n'oppose pas les uns aux autres. Cependant, comme secrétaire d'État chargé du budget et des comptes publics, je me dois d'avoir une vision globale et de répondre aux inquiétudes de Didier Migaud et de quelques autres.

Si le contentieux « de Ruyter » est bien connu, ce sont surtout les contentieux « OPCVM » et « précompte mobilier » qui auraient dû conduire à prévoir des décaissements. N'en parlons pas trop. L'affaire de Ruyter n'est peut-être pas un grand succès. Ce qui est sûr, c'est que les contentieux « OPCVM » et « précompte mobilier » nous coûtent beaucoup plus cher. Vous vous êtes exprimé sur ce sujet. On m'a rapporté que vous aviez donné un avis défavorable au décret d'avance.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Il n'y avait pas d'imprévisibilité de la dépense.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Je vous répondrai quand j'aurai lu précisément votre avis.

Quant au cinquième acompte, c'est évidemment une mesure qui vise à optimiser les choses. Créé en 2006, il a fait l'objet d'une majoration à l'automne 2011, dans des conditions difficiles. Nous n'avons donc rien inventé, même si cela n'excuse pas tout. Nous l'utilisons de la manière la plus optimale. Cela concerne 1 000 entreprises et vos collègues députés n'ont rien trouvé là de scandaleux.

Le HCFP a mis l'accent sur le compte spécial « Participations financières de l'État » (CAS PFE). Beaucoup parlent d'un besoin de recapitalisation des entreprises, particulièrement de deux grands groupes. Nous sommes en discussion avec les investisseurs et avec la Commission européenne pour savoir comment répondre aux besoins avérés de ces entreprises. Les journaux jettent des chiffres. Il s'agit d'entreprises cotées en bourse. À ce stade de la discussion, les enjeux sont trop importants pour que l'État puisse en dire plus. Nous ne pouvons pas anticiper des décisions que nous ne connaissons pas, et encore moins inscrire des dépenses précises dans le projet de loi de finances. La Commission européenne ne nous a pas encore dit quelle part serait comptée dans le déficit maastrichtien, ou quelle part serait comptée comme une participation aux entreprises. J'observe cependant que nous avons prévu un CAS PFE en excédent de 1 milliard d'euros à la fin de l'année 2016, prévision que nous tiendrons. Nous avons également prévu - et c'est exceptionnel - un CAS PFE non pas à l'équilibre, mais en déficit d'1,5 milliard d'euros en 2017. Traditionnellement le CAS PFE couvre 5 milliards d'euros de dépenses et autant de recettes. En l'occurrence, nous avons porté les dépenses à 6,5 milliards d'euros. Je n'en dis pas plus. Vous savez faire des additions algébriques. Personne ne pourra dire que nous n'avons pas été prévoyants.

M. Vincent Delahaye. - Le service de communication de Bercy est toujours excellent. Présenter un projet de budget pour 2017 comme celui du quinquennat où l'effort de réduction du déficit sera le plus important, alors que ce déficit passe de 69,9 à 69,3 milliards d'euros : c'est un tour de passe-passe remarquable qui mérite des félicitations.

En 2017, on enregistrera le record des dépenses de l'État à 380 milliards d'euros. Il faut en parler au tiers des Français qui voient leurs revenus baisser. S'il y a une crise, elle ne touche pas l'État. Pourquoi ce record ? On laisse filer un certain nombre de dépenses, puisque 21 des missions que vous nous présentez ont un budget en hausse contre seulement 8 en baisse. On sent l'influence de la période préélectorale. Vous vous vantez d'avoir ralenti la progression des dépenses. Pourrait-on comparer cette courbe avec celle du ralentissement de l'inflation ? Pour une inflation à 0,1 % en 2016, les dépenses de l'État ont augmenté de 2 %. J'imagine que la situation est différente lorsque l'inflation est à 2 %.

L'année 2017 est aussi celle du record du produit de l'impôt sur le revenu, à 73,4 milliards d'euros soit 13,9 milliards de plus qu'en 2012. Cela signifie que ceux qui paient des impôts en paient toujours plus, le barème de l'impôt sur le revenu étant revu en fonction de l'inflation. Quand l'inflation est à 0,1 %, ce barème bouge très peu, alors que la masse salariale a tendance à augmenter nettement plus. Ne faudrait-il pas faire évoluer ce barème en fonction de la masse salariale ? Ne pas le faire reviendrait à imposer une pression fiscale supplémentaire aux salariés.

Autre record, celui de la TVA, à 149,4 milliards d'euros, soit 4,8 milliards de plus que l'an dernier ou 3,3 % d'augmentation. Comment justifiez-vous ces prévisions optimistes nettement supérieures à la croissance ? Quels éléments nous laissent envisager une augmentation de la TVA de 5 milliards d'euros l'an prochain ? Je suis surpris par ces chiffres.

Enfin, le service de communication de Bercy fait également très fort en nous présentant la baisse des dotations comme vertueuse pour les collectivités territoriales, qui ont pu dégager des moyens d'investir en diminuant leurs dépenses de fonctionnement. Je serais ravi qu'on puisse appliquer la même procédure aux services de l'État. Depuis 2014, on aura quand même prélevé 27 milliards d'euros sur les collectivités, en cumulé. C'est moins que les 28 milliards prévus. On peut saluer ce petit effort très relatif d'un milliard d'euros.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - C'est un peu facile de parler en cumulé.

M. Vincent Delahaye. - Vous faites un geste en 2017, à la fin du quinquennat, alors que l'effort des collectivités porte depuis 2014. Il est normal de considérer le cumulé. Faut-il maintenir le montant de l'an dernier sur la péréquation communale ou bien le faire progresser ?

M. Vincent Capo-Canellas. - Le HCFP avait qualifié votre scénario de croissance d'optimiste. Pour autant, il a aussi estimé que l'objectif de déficit à 2,7 % était improbable et que l'ensemble des hypothèses de construction du budget étaient systématiquement regardées sous un angle favorable, en privilégiant la fourchette haute plutôt que la fourchette basse. Globalement, l'ampleur de la marge est importante, avec un déficit à réduire de 0,6 % de PIB. N'y a-t-il pas un paradoxe à être moins volontariste dans les dépenses, mais davantage dans la réduction du déficit, alors que les conditions macro-économiques ne sont pas en voie d'amélioration notable ?

On entend beaucoup parler de la baisse d'impôts d'un milliard d'euros. Ne croyez-vous pas qu'elle reste très relative à l'aune de la situation de départ ? D'autant que les classes moyennes et supérieures continuent de subir des prélèvements à hauteur de 20 milliards d'euros.

Enfin, on vous fait le procès d'une débudgétisation qui serait effectuée soit par transfert sur 2018 d'environ 10 milliards d'euros, soit par minoration des dépenses en 2017. Pourriez-vous nous préciser la situation ?

M. Yannick Botrel. - S'agissant du rétablissement des comptes publics, vous avez rappelé que nos concitoyens avaient livré beaucoup d'efforts dans un contexte difficile et singulièrement évolutif. Vous avez mentionné les événements liés au terrorisme et les opérations extérieures de nos forces armées qui ont nécessité un effort budgétaire particulier de l'État. Dans ce contexte, les déclarations préélectorales de certains candidats potentiels jettent le trouble dans l'esprit de nos concitoyens, en laissant entendre qu'il serait tout à fait possible de laisser courir les comptes publics en abandonnant toute rigueur par rapport au déficit budgétaire. C'est bien sûr un jeu risqué.

Vous avez mentionné la baisse des dotations aux collectivités en apportant un éclairage utile sur l'évolution favorable des ressources de certaines d'entre elles. Sur le terrain, un certain nombre d'élus locaux attendaient la réforme de la DGF. Nous avons appris, hier, qu'elle était désormais différée selon l'avis du comité des finances locales (CFL). L'an dernier, la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et le fonds de soutien à l'investissement local (FSIL) avaient été renforcés, ce qui avait contribué à financer des projets au niveau du bloc communal. Cet effort sera-t-il poursuivi et renforcé, le cas échéant?

M. Serge Dassault. - Je ne contesterai pas vos chiffres. L'avenir parlera. Vous avez réduit d'un coup de baguette magique les dotations aux collectivités territoriales, et singulièrement aux départements, et vous avez augmenté dans le même temps et dans une proportion non négligeable les dépenses de RSA que les départements sont tenus de financer, alors que cette charge devrait revenir à l'État.

Le CICE réduit les charges, certes, mais il sera financé par des emprunts ! Le budget n'est toujours pas à l'équilibre et cela conduira à augmenter la dette.

Le prélèvement à la source me paraît difficilement applicable, même si sa mise en place est tout à fait souhaitable. La CSG restera-t-elle à 8 % ? Y aura-t-il une année blanche ? Le calcul de l'impôt ne risque-t-il pas d'être revu à la hausse pour l'ensemble des contribuables ? Sans compter les complications pour les entreprises qui devront calculer la contribution de chacun de leurs salariés.

Mme Marie-France Beaufils. - Ce budget s'inscrit dans la continuité des orientations définies les années précédentes, notamment en matière de réduction de la dépense publique. Vous avez cependant augmenté le budget de certains secteurs qui le nécessitaient, comme l'Éducation nationale qui a vu ses effectifs augmenter, et je m'en félicite. Tout en reconnaissant que les collectivités ont pleinement participé au redressement des finances publiques - vous l'avez dit, hier, au comité des finances locales - vous leur demandez de contribuer à nouveau à hauteur d'un milliard d'euros à la réduction de cette dépense. Il aurait été intéressant de mener une analyse précise sur les réductions de services effectuées dans les collectivités territoriales depuis plusieurs années. Nous ne disposons pas non plus d'éléments sur les conséquences sur les entreprises partenaires des collectivités. Et rien sur la baisse de l'investissement. Nous payons le redressement du pays au prix fort. Peut-être faudrait-il revoir la stratégie de création d'emplois en France ?

Vincent Delahaye a mentionné l'augmentation forte de l'impôt sur le revenu sans faire cas de l'évolution de l'impôt sur les sociétés qui diminue considérablement, puisque l'on est passé de 55,3 milliards d'euros en 2012 à 33,5 milliards d'euros cette année. C'est inquiétant et il faudrait mesurer en quoi les 40 milliards d'euros d'aides aux entreprises prévus dans le budget sont au service de l'emploi et de la production. La moitié du montant correspond au CICE. Certes, cela contribuera à donner des marges de manoeuvre aux entreprises. Cependant, si les petites entreprises qui ont sollicité le préfinancement ont utilisé cet argent pour compenser leurs fragilités et conserver leurs emplois, la plupart des sociétés n'ont fait qu'intégrer le CICE dans leur résultat, sans effet palpable sur l'emploi ou l'investissement. D'où la nécessité de préciser l'analyse des résultats du CICE avant de prendre la décision d'en augmenter le taux.

Quant au prélèvement à la source, vous savez déjà que je n'y suis pas favorable.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Vous faites preuve d'un optimisme d'autant plus inquiétant qu'il est décrédibilisé par l'avis de HCFP où figurent tous les éléments qui attestent l'insincérité du projet de loi de finances pour 2017. Dans la mission « Écologie, développement et mobilité durables » dont je suis rapporteur spécial, j'ai constaté une augmentation du budget alloué à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf), soit 400 millions d'euros supplémentaires, ce qui est une bonne chose. En revanche, le compte n'y est pas, puisque la Cour des comptes a fixé un pic très important pour l'Afitf entre 2017 et 2019, de sorte qu'il faudrait entre 1,6 milliard et 4,7 milliards d'euros supplémentaires. Par conséquent, si l'on veut que l'Afitf tienne les engagements souscrits, il faudrait que son budget pour 2017 soit a minima de 2,8 milliards d'euros. C'est plus que les 2,2 milliards d'euros prévus.

En ce qui concerne le prélèvement à la source, les mesures d'application semblent s'écarter de l'objectif fixé, à savoir payer l'impôt l'année du revenu. C'est ce point qu'il faut travailler, car c'est un avantage concret auxquels nos concitoyens sont sensibles.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Je ne comprends pas bien votre analyse : en quoi s'éloigne-t-on de la vocation première du prélèvement à la source qui est de rapprocher le moment où l'on paie l'impôt de celui où l'on perçoit le revenu ? C'est exactement ce que nous faisons. Cependant, pour conserver les principes intangibles de la familialisation et de la progressivité de l'impôt sur le revenu, il faudra une régularisation. D'autres pays l'ont fait, comme l'Allemagne, dans des conditions beaucoup plus défavorables que ce que nous proposons dans ce texte.

Monsieur Delahaye, je ne partage absolument pas votre analyse.

M. Vincent Delahaye. - C'est dommage.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Je transmettrai vos félicitations au service de communication de Bercy et également à mon cabinet qui en général se charge de gérer la communication sur ce type de sujet.

Vous avez raison de constater que le déficit de l'État se réduit peu. En revanche, votre comparaison avec les collectivités locales, ne me semble pas justifiée, même si elle est légitime. En effet, chaque fois qu'une décision est prise, notamment sur les questions d'allègement de cotisations, l'État compense à la Sécurité sociale les diminutions de recettes ou les augmentations de dépenses. La prise en charge des exonérations de cotisations représente aujourd'hui un manque à gagner de 30 milliards d'euros dans le budget de l'État. Rien de nouveau à cela. Chaque année, nous discutons de ce sujet avec la ministre des affaires sociales et de la santé.

Même si l'on prend en compte le fonds de solidarité vieillesse (FSV), on constatera que le déficit de la Sécurité sociale a été considérablement réduit. De 17,5 milliards d'euros, il y a cinq ans, il est passé à 0,4 milliard d'euros cette année. En cinq ans le déficit du FSV ne s'est pas non plus accru. À tout le moins, il aura bougé de 500 millions d'euros. Nous ne pouvons que nous réjouir de ces 17 milliards d'euros de déficit en moins. Nous acceptons même d'en partager la paternité, puisqu'une partie du redressement du régime général des retraites est liée à la réforme de 2010. La réforme de 2013 y a également contribué. Bien sûr, l'ONDAM n'a pas évolué de la même manière et la situation risque de s'aggraver dans les prochaines années. Il faudra y faire face, car les dépenses pèsent surtout sur la sphère sociale. Je rends grâce à la ministre, à ses équipes et à l'ensemble du personnel soignant d'avoir réussi à diminuer le déficit de la Sécurité sociale. Cependant, cette évolution s'est faite au détriment de l'État, de sorte que si nous n'avions pas compensé les allègements de cotisations, le déficit de l'État serait réduit de 30 milliards d'euros, alors qu'il tourne aujourd'hui autour des 70 milliards.

C'est un vrai débat. Lorsque nous majorons le point d'indice et que nous mettons en oeuvre le protocole « parcours professionnel, carrières et rémunérations » (PPCR), les recettes de cotisations sociales augmentent aussitôt et c'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles le déficit de la Sécurité sociale se réduit à un rythme soutenu.

J'assume et je maintiens que la baisse des dotations de l'État a conduit les collectivités territoriales à ralentir - le mot est sans doute trop faible - leurs dépenses de fonctionnement. A Marie-France Beaufils, je dirais que certains peuvent le regretter mais que d'autres s'en réjouissent. Je ne comprends pas comment vous pouvez accuser l'État d'augmenter ses dépenses de fonctionnement - ce qui est pour le moins inexact - sans faire cas des collectivités locales qui en font autant. Est-ce à dire que les dépenses des collectivités locales sont par nature vertueuses, tandis que celles de l'État seraient par nature scandaleuses ? Je crois plutôt qu'un mouvement global est enclenché qui produit des résultats sur l'ensemble des déficits.

Entre 2012 et 2017, l'impôt sur le revenu a progressé de 13,9 milliards d'euros, dont 5,1 milliards d'euros sont dus à des mesures de périmètre : disparition de la prime pour l'emploi qui diminuait l'impôt sur le revenu de 2,1 milliards d'euros, intégration du prélèvement forfaitaire libératoire (PFL) à l'impôt sur le revenu pour une recette supplémentaire de 3 milliards d'euros. Il y a peut-être eu un déplacement, mais pas un accroissement de la charge. Quant au reste, on constate 2,8 milliards d'euros de diminution liée à des mesures décidées après mai 2012 et 5,5 milliards d'euros en lien avec les mesures décidées avant mai 2012, auxquels s'ajoutent 6,2 milliards d'euros d'évolution spontanée. Vous l'avez dit, la masse salariale augmente mécaniquement, et même si l'on augmente le barème en proportion, le produit en euros augmente. Inutile de préciser que le gel du barème n'est pas une invention de la gauche. Par conséquent, sur les 13,9 milliards d'euros d'augmentation du produit de l'impôt sur le revenu, décomposé entre les 5,1 milliards de mesures de périmètre et les 6,2 milliards d'évolution spontanée, il reste, je vous l'accorde, quelques milliards d'euros dont il est difficile d'évaluer s'ils sont dus à des mesures décidées avant ou après mai 2012.

Je ne conteste pas qu'il y ait eu des déplacements par déciles, avec une baisse de l'impôt sur le revenu sur les six ou sept premiers déciles et une augmentation sur le dernier décile.

La TVA augmentera effectivement de 5 milliards d'euros. La consommation des ménages augmentera de 1,6 %. L'immobilier devrait repartir, avec une progression des achats de logements qui produisent des taux de TVA importants. L'État a également récupéré une part de TVA affectée à la Sécurité sociale grâce aux tuyauteries qu'il a mises en place avec elle.

Quant au fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC), nous avons prévu de ne pas l'augmenter. C'est un vieux débat qui oppose les Franciliens au reste du pays. Chacun pourra s'exprimer sur le sujet.

Pour ce qui est du HCFP, je voudrais rappeler qu'il avait jugé impossible à tenir notre prévision de déficit public à 4,3 %, en 2015. Nous avons fait 3,5 %. Cherchez l'erreur. Je ne me réjouis pas de cette erreur de jugement. Cependant, le HCFP n'est pas le seul référent en matière de prévisions, qu'il s'agisse du déficit ou de la croissance.

Vincent Capo-Canellas, la loi de programmation des finances publiques votée par le Parlement prévoyait une réduction d'impôts de 5 milliards d'euros en 2018. C'est cette somme que nous transférons par la majoration du CICE et par la mesure de réduction de l'impôt - crédit d'impôts sur les salariés à domicile. J'observe que personne n'a suggéré que nous supprimions cette mesure.

Marie-Hélène Des Esgaulx, vous avez parfaitement le droit d'estimer qu'il faudrait 400 millions d'euros supplémentaires pour l'Afitf. C'est une augmentation des dépenses que vous suggérez, car vous la croyez nécessaire. Cependant, comment faire si l'objectif est de faire 100 voire 150 milliards d'euros d'économies sur la durée du mandat ? Et comment pouvez-vous trouver scandaleux et ignoble que nous proposions des réductions de dépenses ? J'attends toujours de connaître la position du rapporteur général sur l'affectation de la TVA aux régions.

Serge Dassault, chacun sait que les dépenses du RSA augmentent. Le Gouvernement avait fait des propositions à l'Association des départements de France pour recentraliser le RSA. Elle a refusé. Cette recentralisation aurait chargé la barque de l'État de 700 millions d'euros supplémentaires. Les chiffres sont là : en 2014, les dépenses de RSA ont augmenté de 9,2 %, contre 6,9 % en 2015 et 3 % mi-2016. L'année n'est pas terminée et il faut rester prudent. Cependant, l'augmentation des dépenses d'allocations individuelles de solidarité (AIS) semble se ralentir. Je n'en tire aucune conclusion. Nous connaissons la situation des départements.

Quant à la CSG, elle restera inchangée, à 8 %. En ce qui concerne l'année blanche du prélèvement à la source, chacun s'en est expliqué : tous les ans, les contribuables paieront une année d'impôts et le budget de l'État sera alimenté chaque année par une et une seule année d'impôts. En 2017, les revenus ordinaires, hors les revenus exceptionnels, ne seront pas assujettis à l'impôt.

Yannick Botrel, la DETR augmentera en effet et sera portée à 1 milliard d'euros, avec une majoration de 370 millions d'euros pour 2017. Tout a été dit sur la réforme de la DGF. La situation n'est pas mûre pour une réforme globale.

Marie-France Beaufils, votre scepticisme sur la réduction des dépenses publiques est un point de vue qui n'appelle pas particulièrement de réponse. Quant au CICE, n'oublions pas qu'il a contribué à ce que les entreprises retrouvent leurs marges d'avant la crise, comme le prévoyait le rapport Gallois.

Si certains acteurs de la vie publique laissent à penser qu'il serait possible de s'écarter de la trajectoire des finances publiques, ce n'est pas notre point de vue. J'ai détaillé les dépenses nouvelles, les mesures de performance : nous n'avons rien à cacher. Nos prévisions de recettes sont raisonnables et seront atteintes en 2016. Beaucoup étaient sceptiques sur notre objectif de déficit public à 3,3 %. Sur ce point, au moins, le HCFP n'est pas très pessimiste. Nous non plus. Nous devrions y arriver sans trop de difficultés.

M. Richard Yung. - Durant le long débat que nous avons eu avec le président du Haut Conseil, il a clairement affirmé qu'il ne mettait pas en doute la sincérité du projet de loi de finances. À mon sens, ce texte est la continuation de l'action que nous menons depuis trois ou quatre ans, avec notamment le rétablissement de l'équilibre des comptes publics. L'objectif communautaire est un déficit ramené en deçà de 3 % du PIB. C'est celui que nous devons viser. En la matière, le Gouvernement répond aux obligations communautaires que nous avons souscrites. J'espère qu'il en sera de même dans les années à venir.

Il ne faudrait pas négliger le rétablissement des comptes sociaux qui représentent 400 milliards d'euros, pour un budget de l'État d'une moindre ampleur.

L'année 2016 se présente bien. À la fin juillet, vos comptes provisoires faisaient apparaître un déficit réduit de 4 milliards d'euros, soit mieux que ce qui était prévu. Les recettes et les dépenses sont en ligne avec les prévisions.

Un point a été insuffisamment souligné : la justice sociale et l'effet de redistribution de l'impôt sur le revenu sur les bas salaires. Vous voulez exonérer des revenus jusqu'à deux fois le SMIC et, compte tenu du quotient familial, les revenus les plus bas. Les déciles d'en haut vont payer plus. Pour les classes moyennes ou moyennes basses, on ne peut pas dire que le Gouvernement n'ait pas mené d'action importante.

Le prélèvement à la source est tout à fait essentiel. Nous sommes le dernier grand pays industriel à l'instaurer - à l'exception de la Suisse. Vous remettez donc la France au niveau qui doit être le sien. Nous soutiendrons fortement sa mise en oeuvre. Je ne comprends pas les chicaneries sur des points de détail et les « moutons à cinq pattes » que vous évoquiez.

M. Éric Doligé. - J'apprécie vos présentations claires, précises et très objectives. Vous présentez 400 milliards de dépenses de l'État et des recettes d'un montant équivalent, mais il y a quand même un déficit de 69 milliards d'euros ?

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Dont acte.

M. Éric Doligé. - Sur ces fameux 600 millions d'euros que les régions réclament aux départements ou à l'État...

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - J'ai senti votre désaccord...

M. Éric Doligé. - Mon agacement ! Je rappellerais quand même que la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) prévoit que les régions exercent de nouvelles compétences : il ne s'agit donc pas de transferts de compétences et on ne peut pas dire que, puisque les départements dépensaient 600 millions d'euros, il faut les leur prendre. Il faudrait démontrer qu'il y a 600 millions d'euros ; ce n'est pas possible. Je connais la réalité de l'action économique des départements. Dans la région Centre, les dépenses économiques cumulées s'élèvent à 5 millions d'euros pour six départements, si on met tout bout à bout. En multipliant ce chiffre par le nombre de départements et de régions, on n'atteint pas 600 millions d'euros. Évitons les négociations entre l'État et la région sur 600 millions d'euros, pour qu'ensuite l'absent se fasse prélever 600 millions... N'essayons pas des tours de passe-passe. Les allocations individuelles de solidarité (AIS) comme le RSA ont augmenté de 9 % il y a deux ans, 6 % l'année dernière et 3 % cette année : soit un total de 20 % sur trois ans, appliqué à 40 % des dépenses d'une collectivité, ce n'est pas rien ! Lorsque les recettes sont bloquées, comment les augmente-t-on ? Je voudrais bien y voir l'État ! Ramenons les choses à une plus juste proportion. Là, l'augmentation est terrible.

Sur les 800 000 naissances à prendre en compte dans les foyers fiscaux, toutes ne concernent pas ceux qui paient l'impôt sur le revenu !

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Mais ceux qui sont imposables.

Mme Michèle André, présidente. - La France est enviée par ses voisins pour sa démographie...

M. André Gattolin. - Il est difficile d'avoir une grille d'analyse sur le projet de loi de finances. Il y a un élément de satisfecit que je tiens à souligner : en tant que co-rapporteur du budget de la culture avec Vincent Eblé, nous nous félicitons qu'après trois ans de vaches maigres, de nombreuses choses soient entendues et prises en compte pour le budget de la culture. Ce matin, les principaux rapporteurs de l'Assemblée nationale et du Sénat ont été reçus par la ministre avant le Conseil des ministres, avant ses rencontres avec les professionnels et les journalistes. Ce respect des parlementaires est trop rare. La totalité des parlementaires a tenu parole et a respecté l'embargo sur les chiffres.

Dans le projet de loi de finances pour 2017, le budget de l'écologie est en légère augmentation - malgré 500 suppressions d'ETP par rapport à l'année précédente, faisant suite à plusieurs années de coupes multiples - liée à l'intégration dans son périmètre de la contribution au service public de l'électricité (CSPE), dont l'évolution est dynamique. La CSPE supporte notamment la tarification sociale de l'énergie, indispensable, mais sans rapport direct avec la politique environnementale. Quel est le montant de cette tarification sociale, et quel est son impact sur l'évolution des crédits de cette mission ?

Je note aussi, toujours au sein de la mission « Écologie », qu'est affichée une stabilisation des crédits alloués à l'entretien du réseau routier. Mais rien n'est dit sur l'entretien du réseau ferroviaire, dont l'état est alarmant, selon l'ancien président de SNCF Réseau. D'autant que le projet de loi de finances prévoit un prélèvement de 25 millions d'euros sur 38 millions d'euros de fonds de roulement de l'établissement public de sécurité ferroviaire. Qu'en est-il de la sécurité ferroviaire ?

M. Bernard Delcros. - Sur les dotations aux collectivités, je me satisfais de la reconduction de 1,2 milliard d'euros du fonds de soutien à l'investissement local, et des 600 millions d'euros fléchés pour les territoires ruraux avec l'augmentation de la DETR et l'affectation de crédit par la mise en oeuvre des contrats de ruralité. L'année dernière, le Sénat avait adopté une proposition de loi pour créer des contrats territoriaux de développement rural qui s'apparentent aux nouveaux contrats de ruralité. Si j'ai bien compris, 200 millions d'euros de crédits en autorisation d'engagement seront affectés au programme 112 de la mission « Politique des territoires », ce que j'avais demandé dans mon rapport sur le Fonds national d'aménagement et de développement du territoire présenté à notre commission des finances la semaine dernière.

Je me réjouis d'une augmentation de la péréquation verticale de la DGF. Si l'on n'accompagne pas l'effort des collectivités d'une augmentation de la péréquation, on aggrave les inégalités territoriales. Je suppose qu'il n'y a pas de modification de la dotation de solidarité rurale (DSR) et que la DSR-cible est maintenue ?

Vous prévoyez une augmentation de 70 millions d'euros de la dotation pour les communautés d'agglomération, mais comment est-elle financée ? Si on augmente une strate, c'est au détriment des autres ! Vous évoquez des variables d'ajustement, mais dans quelles conditions, et selon quels critères ?

Je milite pour un fonds de péréquation horizontal et pour une équité entre les territoires. Le fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC) sera maintenu à 1 milliard d'euros, soit un gel de son montant. Or je ne souhaite pas de gel des modalités de prélèvement et de contribution lié à la réorganisation des périmètres.

Le plein effet de la réforme territoriale se fera sentir en 2017, avec notamment l'application des nouveaux schémas départementaux de coopération intercommunale ou la transformation de communautés urbaines en métropoles, avec des effets sur le FPIC et la DGF. A-t-on des simulations de l'impact de la réforme, notamment sur le FPIC et la DGF ?

En moyenne, les recettes fiscales et les DMTO augmentent, mais des disparités perdurent entre les territoires. Certains départements ruraux sont atteints par l'effet de ciseau de l'augmentation des allocations individuelles de solidarité (AIS) et la réduction des dotations de l'État, alors qu'ils n'ont ni ressources propres, ni levier fiscal.

M. Francis Delattre. - Vous brocardez le programme d'économies de 100 milliards d'euros soutenu par certains, votre collègue Michel Sapin nous disant de regarder le monde tel qu'il est. De combien devons-nous restreindre nos dépenses publiques pour atteindre la moyenne européenne ? Les dépenses publiques françaises atteignent 57 % du PIB. Il faudrait les réduire de 180 milliards d'euros pour atteindre la moyenne européenne. Nous sommes en concurrence directe avec des pays comme l'Espagne ou l'Italie, qui ont déjà fait des efforts... On devrait au minimum atteindre cette moyenne. Si l'on se compare à l'Allemagne, 280 milliards d'euros d'économies seraient nécessaires.

Le bloc social - avec entre autres la sécurité sociale - représente 50 % des dépenses publiques, l'État 30 % et les collectivités locales 20 %. Ce sont les 20 % qui ont fait le plus gros effort pour réduire les dépenses publiques de ce pays.

Dans son dernier rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale, la Cour des comptes recommande une nouvelle reprise de dette par la Cades.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Mais vous étiez contre la précédente, je m'en souviens très bien !

M. Francis Delattre. - Je suis contre la méthode : vous dites que les comptes de la sécurité sociale sont équilibrés et vous transférez 23,7 milliards d'euros à la Cades qui emprunte pour couvrir des dépenses de fonctionnement ordinaires, dénoncées par le président Migaud avec une certaine véhémence... La Cour des comptes estime que le déficit de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) pourrait atteindre 20 à 30 milliards d'euros d'ici 2019. Elle recommande une reprise de plus de 10 milliards d'euros dès cette année.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Ces 10 milliards d'euros correspondent à un plafond qui est atteint. Aucune reprise n'est possible, sauf à modifier la loi.

M. Francis Delattre. - Il y a donc 13 milliards d'euros de dépassement. Comment vanter le retour programmé à l'équilibre des comptes de la sécurité sociale alors que les déficits cumulés de l'Acoss atteindront 20 à 30 milliards d'euros d'ici 2019 ? Que faire pour que l'Acoss fonctionne ? Ce n'est pas avec cet artifice que vous équilibrerez les comptes.

M. Michel Canevet. - J'apprécie la présentation enthousiaste du ministre, documentée et dynamique, mais la réalité est différente. Les dépenses de l'État augmentent, le niveau du déficit public restera autour de 70 milliards d'euros. Tant que nous n'aurons pas réussi, collectivement, à le ramener à zéro - comme le Président de la République s'y était engagé pour 2017 lors de la dernière campagne électorale - nous ne pourrons être satisfaits.

Les collectivités territoriales sont inquiètes : la réforme des régions aura des effets plus tardifs. On peut s'attendre à des demandes de cofinancement de leurs actions ; les départements subissent la situation sociale ; les communes ont des charges qui croissent en raison de l'augmentation de leur masse salariale et du transfert de charges, notamment en matière d'urbanisme, en même temps que leurs dotations diminuent. Le décret d'avance évoque une réduction de la DGE des départements qui réduisent leur investissement. Il risque d'en être de même pour les autres collectivités. Si cela améliore les finances publiques, c'est un problème pour l'investissement public !

Ce budget donne-t-il des signes positifs pour la relance dans notre pays ? Hélas, le nombre de demandeurs d'emploi augmente. Libérons l'initiative. J'aurais apprécié une baisse des charges supplémentaires - en la gageant sur une hausse de la TVA. Le retour à l'équilibre des comptes publics ne se réalisera qu'en cas d'amélioration de la situation économique. En l'absence de signes forts d'amélioration de la situation économique, l'on peut craindre que la tendance à adopter des mesures d'urgence se renforce à l'approche des élections.

M. Jean-Claude Requier. - Vous avez évoqué une réduction de la charge de la dette de 1,2 milliard d'euros. Comment obtenez-vous ce chiffre ? Est-il fiable et solide ?

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - La dette est influencée par le niveau de l'inflation puisque certains encours lui sont indexés - plus l'inflation est faible, moins la charge de la dette est importante - et par les taux d'intérêt. Le taux des obligations assimilables du trésor (OAT) pour la France à 10 ans est de 0,1614 % aujourd'hui, il est remonté à 0,30 % il y a une semaine, après être descendu à 0,12 %, voire pour certaines émissions, à moins de 0,10 %, selon l'Agence France Trésor, qui garde une marge. Nous empruntons même à taux négatif sur de courtes durées.

L'Acoss concentre les déficits cumulés et a vocation à emprunter sur des taux courts. Actuellement, elle gagne de l'argent. Selon Les Échos, l'Acoss a engrangé 80 millions d'euros de bénéfices financiers, car elle emprunte sur une durée très courte et sa signature est de qualité. C'est paradoxal, mais c'est ainsi. Francis Delattre, selon votre analyse...

M. Francis Delattre. - C'est celle de la Cour des comptes.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - La dette globale de la sécurité sociale est la somme de la dette de la Cades et de celle de l'Acoss. Le déficit de la sécurité sociale s'élèvera à 400 millions d'euros pour le régime général et de 3,8 milliards d'euros pour le Fonds de solidarité vieillesse (FSV). Bien sûr, l'Acoss doit absorber les déficits mais elle les amortit également. Chaque année, la Cades amortit 14 milliards d'euros - à la différence de l'État qui n'amortit jamais son capital. Il y a besoin de 4 à 5 milliards d'euros pour couvrir le déficit de l'année. La dette sociale se réduit, son terme est prévu pour 2024, et cette échéance se rapproche depuis quelques temps. Demandez à Jean-Marie Vanlerenberghe, le rapporteur général de la commission des affaires sociales, membre de la commission des comptes de la sécurité sociale. Cette dette s'est réduite en 2015, et diminuera de 8 à 9 milliards en 2017 : ce sera la première fois que cela arrive. Transférer de l'un à l'autre n'y change rien. Je me souviens de votre courroux, l'année dernière, alors tout était conforme à la loi organique. L'une emprunte sur long terme, l'autre sur court terme. La dette de l'Acoss augmentera avant de se résorber mécaniquement. Les transferts ne sont désormais plus possibles puisque nous avons transféré, d'un seul coup, tout ce que nous autorisait la loi.

La première partie de votre constat est très intéressante : les dépenses publiques atteignent 57,5 % du PIB, les dépenses publiques moyennes d'un panel de pays européens 51 %, selon une étude remarquable de France Stratégie 2017-2027, publiée il y a trois semaines. Celle-ci explique les différences secteur par secteur. En pourcentage du PIB, la France consacre ainsi moins à l'éducation nationale que la moyenne de ses voisins européens.

L'étude comprend différents fascicules et graphiques, fondés sur les données d'Eurostat. Les deux tiers de la différence entre la France et le panel des pays choisi par France Stratégie, qui est une officine sérieuse, proviennent de la vieillesse et des retraites. En France, notre régime de retraite est très largement public, avec des dépenses de retraite intégrées dans la dépense publique, à la différence des autres pays.

C'est la même chose pour l'éducation, la défense ou la gestion des services publics. Cette étude contrebalance l'idée d'une gabegie phénoménale des dépenses publiques dans notre pays, en comparaison de ce qui se pratique dans les autres pays d'Europe.

Monsieur Delcros, la DETR devrait augmenter de 384 millions d'euros et la DSR de 117 millions d'euros. Je partage votre point de vue sur la péréquation verticale. Les 70 millions d'euros prévus pour les agglomérations sont destinés à compenser le fait que celles qui sont peu intégrées dans les métropoles risqueraient d'être perdantes. Cette majoration est prise sur les variables d'ajustement, dont nous avons élargi l'assiette pour en contenir le taux, nous aurons l'occasion d'en débattre.

L'un des dispositifs de péréquation sur les DMTO consiste à travailler par lissage dans le temps pour reprendre des provisions. Il n'est pas d'une puissance extraordinaire. Ce mode de répartition ne change rien aux comptes publics. Libre au Parlement de travailler plus finement sur ces questions. L'Île-de-France concentre 20 % des DMTO. Quelques autres départements comme les Alpes-Maritimes en concentrent également des proportions importantes. Le Cantal, en revanche, est probablement moins bien servi.

Monsieur Doligé, l'opération de transfert des frais de gestion de la fiscalité locale menée sous le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a permis d'améliorer les recettes des DMTO des départements.

Vous mentionnez tous, et à juste titre, la baisse de l'investissement public dans les collectivités territoriales. C'est un phénomène auquel nous sommes habitués à ce stade du cycle électoral. Mais, alors qu'elle tourne en général autour de 8 % à 9 %, elle atteint cette année 11 % à 12 %. Pour certains, c'est un effet de la baisse des dotations. Pour d'autres, et je crois qu'ils n'ont pas tort, la mise en place des nouvelles cartes intercommunales a provoqué un certain attentisme. La direction générale des collectivités locales (DGCL) travaille à identifier les conséquences de ces nouvelles cartes sur la DGF, sous la houlette du ministère de l'Intérieur.

Monsieur Gattolin, merci pour vos appréciations sur le budget de la culture.

M. André Gattolin. - C'est moi qui vous remercie. Les crédits avaient beaucoup baissé ces dernières années.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Quant à l'Afitf, nous avions prolongé jusqu'en 2017 le plan exceptionnel d'entretien, mis en place en cours d'année, pour 100 millions d'euros, portant ainsi les dépenses de l'Afitf à 2,4 milliards d'euros.

M. André Gattolin. - Et la CSPE ?

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Elle est intégrée pour sa partie « tarif social » à la mission « Écologie ». Le reste est pris en charge par le CAS « Transition énergétique ». Le coût des énergies renouvelables constitue le gros de la CSPE, avec une augmentation de la contribution climat-énergie dans l'année à venir. La trajectoire du prix du carbone a été votée sur plusieurs années. Il n'y a rien de nouveau.

La réunion est levée à 18 h 55.

Jeudi 29 septembre 2016

- Présidence commune de Mme Michèle André, présidente et de M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes

La réunion est ouverte à 8 h 40.

Économie, finances et fiscalité - Audition de M. Pierre Moscovici, commissaire européen pour les affaires économiques et financières, fiscalité et douanes

M. Jean Bizet, président. - Nous avons le plaisir d'accueillir M. Moscovici, aujourd'hui au Sénat. Le président Juncker a prononcé, le 14 septembre, le traditionnel discours sur l'état de l'Union. Il n'est pas exagéré de dire qu'il avait cette année une résonance particulière dans un contexte extrêmement compliqué pour l'Union européenne, à la suite notamment du référendum britannique.

La tonalité de son intervention, à la fois empreinte de gravité et soucieuse de pragmatisme, m'a parue bienvenue. L'Union se trouve à la croisée des chemins. Elle a besoin d'être refondée sur des bases plus solides parce que plus réalistes et plus à l'écoute de l'attente des peuples. C'est dans cette perspective qu'à la demande du président Larcher, les commissions des affaires européennes et des affaires étrangères ont mis en place un groupe de suivi commun du processus de retrait du Royaume-Uni, qui fera aussi des propositions sur la refondation de l'Union européenne, en associant étroitement les autres commissions à ses réflexions.

Parmi les analyses du président Juncker, je relève en particulier la reconnaissance du rôle indispensable des parlements nationaux et le souci d'une meilleure réglementation recentrée sur la plus-value européenne. On ne peut qu'accueillir positivement son souci de décisions européennes appliquées rapidement et efficacement. Je salue aussi son annonce d'un doublement de la durée et de la capacité financière du Fonds européen d'investissement. Avec lui, je partage pleinement l'objectif d'une Europe qui s'affirme comme une puissance, en matière de sécurité face à des menaces bien réelles mais aussi dans les négociations commerciales.

En tant que commissaire français, vous êtes bien placé, Monsieur Moscovici, pour nous présenter plus en détail les grandes orientations que la Commission européenne, sous l'impulsion de son président, entend proposer. Nous vous écouterons avec intérêt. Votre audition est aussi l'occasion de faire un point sur la mise en oeuvre du semestre européen. Vous nous préciserez l'appréciation que la Commission porte sur la situation des États membres, et en particulier sur celle de la France. Enfin, l'harmonisation fiscale en Europe nous paraît une exigence, certes difficile à réaliser. Plusieurs annonces concernent cette question, notamment sur l'assiette consolidée pour l'impôt sur les sociétés. Vos explications intéresseront nos collègues ici présents et tous les créateurs de richesse de notre pays.

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. - Merci au président Bizet d'avoir associé la commission des finances à cette audition. Les sujets financiers à l'agenda de la Commission européenne sont nombreux - harmonisation fiscale, lutte contre la fraude et l'évasion fiscale ou Brexit. Il est très précieux de pouvoir faire des points réguliers avec le commissaire sur leur état d'avancement.

Nous sommes à quelques jours de la date de transmission à la Commission par les États membres de leur projet de plan budgétaire pour 2017. Il serait utile que nous évoquions aussi la gouvernance budgétaire.

M. Pierre Moscovici, commissaire européen pour les affaires économiques et financières, fiscalité et douanes. - Merci pour votre invitation. Le moment est propice pour un tel échange : le président Juncker a prononcé le 14 septembre son discours sur l'état de l'Union ; un sommet à 27 États s'est ensuite tenu à Bratislava ; le semestre européen débute.

Le discours sur l'état de l'Union a pour ambition de tracer la feuille de route européenne pour les mois à venir. Ce discours a lieu dans un contexte difficile. Le climat politique n'est pas propice, à court terme, au lancement de grands chantiers d'approfondissement de l'Union, ce qui lui fait courir le risque de se renfermer en se recentrant sur des préoccupations immédiates, quotidiennes.

La crise économique est derrière nous, mais nous ne pouvons pas nous satisfaire de notre performance sur le front de la croissance ni de l'emploi. Celui-ci a atteint dans la zone euro son plus haut niveau depuis la crise financière du deuxième trimestre 2016 mais l'amélioration reste très progressive. La croissance demeure fragile ; les conséquences du Brexit sont encore inconnues. Elles dépendront de la façon dont la négociation se déroule, du moment où elle est lancée et de son esprit. Les impacts négatifs peuvent être très limités ou au contraire extrêmement forts. Ils pourraient aller de - 0,1 % à - 0,5 % pour le reste de l'Union européenne et de - 1 % à - 2,5 % pour le Royaume-Uni. Ces fourchettes montrent bien l'impact des politiques publiques sur la croissance.

Parallèlement, on note une montée des populismes eurosceptiques, en Pologne, aux Pays-Bas, au Danemark, en Autriche, en Hongrie - la signification symbolique du référendum qui s'y annonce est extrêmement forte -, en Italie, en Allemagne... Quant à la France, elle ne fait pas exception, loin de là. La banalisation de l'euroscepticisme, qui pénètre parfois certains partis de gouvernement, laisse songeur.

Les relations entre l'Est et l'Ouest de l'Europe se durcissent. Les différences, qui ont toujours existé, s'accentuent avec la crise des réfugiés et la réforme de la directive sur les travailleurs détachés. Certaines pratiques, à la limite de l'État de droit, sont préoccupantes.

À ces crises de fond s'ajoutent trois phénomènes violents : la crise des réfugiés, la crise de la sécurité et le Brexit. La première a révélé la porosité des frontières externes. La deuxième constitue un défi pour l'Europe : elle n'est pas au coeur de ses principales compétences, mais sa résolution passe forcément par l'Union européenne. Amedy Coulibaly est né en France ; il a rencontré ses complices en Espagne ; il a voyagé en Turquie, a envoyé sa femme en Syrie et a acheté en Belgique des armes provenant de Slovaquie, exportées par une entreprise de Slovénie. Face à ce phénomène, les services de sécurité doivent mieux coopérer sous une législation protectrice.

La perte à venir d'un État membre majeur crée, quant à elle, une incertitude que les opérateurs économiques n'aiment pas. C'est pourquoi la Commission européenne suit de près le déclenchement de l'article 50. S'il faut un certain temps pour le préparer, cela ne doit pas durer trop longtemps, sous peine de donner un sentiment d'hésitation dont l'impact économique sera important.

Le défi politique posé par le Brexit est le suivant : que fait-on pendant les négociations ? L'approbation du Brexit ne signifie pas que les Britanniques sont déjà partis. Leurs ministres siègent à la table du Conseil. Pour autant, il faut faire avancer les dossiers. Les 27 doivent montrer qu'ils ne sont pas en pause.

L'approfondissement de la zone euro reste un chantier majeur puisqu'elle représente le terrain sur lequel nous pouvons développer le plus de projets politiques et économiques.

Le paysage, fragmenté, mène à une Union européenne sur la défensive qui doit retrouver un sens commun. Le discours sur l'état de l'Union a manifesté la volonté de ressouder un continent déchiré, d'où l'impulsion renouvelée du chantier du marché intérieur, qu'il s'agisse de capitaux ou de numérique. Nous devons en finir avec des régulations fragmentées, la juxtaposition de 28 législations et de 28 technologies quand les États-Unis n'en ont qu'une. La Commission a la nette ambition de renouer avec les préoccupations immédiates des citoyens, par exemple en équipant chaque village d'un accès internet sans fil gratuit. Elle a la volonté d'aller à la rencontre des citoyens. Les commissaires doivent passer du temps dans les parlements nationaux et sur le terrain. Il faut accélérer la cadence.

Je soulignerai quatre bonnes nouvelles pour la France à l'issue du discours de M. Juncker.

L'Europe de la défense va prendre chair avec la création d'un fonds européen de défense et la mise en commun des capacités de défense des États membres volontaires à travers la création d'un quartier général unique. La France, qui assume beaucoup de la charge de la défense européenne, peut entrevoir la perspective d'une meilleure répartition de celle-ci.

La croissance reçoit un appui ferme avec le doublement du plan Juncker pour l'investissement. Le déficit d'investissement en Europe est très important. Le plan sera doublé dans sa durée, d'ici à 2022, et dans sa capacité financière, pour atteindre au moins 500 milliards d'euros d'ici 2020 et 630 d'ici 2022. La France en est le premier bénéficiaire avec plus de 15 milliards d'euros déjà mobilisés, la création de 32 000 emplois et la signature de 20 accords de financement générant 6,3 milliards d'euros d'investissements, bénéficiant à plus de 38 000 PME. La France compte des entreprises bien situées dans les secteurs prioritaires des technologies numériques, des économies d'énergie ou des nouvelles mobilités et jouit d'un système financier public et parapublic efficace, qu'il s'agisse de la BPI ou de la Caisse des dépôts.

La dimension sociale n'est pas oubliée. Un socle européen des droits sociaux doit être présenté. La Commission maintient son objectif de réforme de la directive sur les travailleurs détachés. Les abus alimentent l'idée selon laquelle l'Union européenne promeut l'alignement des normes par le bas. C'est l'intérêt de tous de limiter ces abus.

Enfin, en matière de sécurité intérieure, la Commission renforce Europol mais aussi l'échange d'informations pour lutter contre le terrorisme et déploie rapidement les activités opérationnelles du corps européen des garde-frontières et des garde-côtes. Afin de mieux contrôler les entrées dans l'Union, elle propose également de développer un système d'information sur les voyages, à l'image des États-Unis. Le sommet de Bratislava a été le théâtre d'avancées marquées dans le domaine de la sécurité, intérieure et extérieure.

J'en viens au semestre européen. Je n'ai pas encore reçu l'avant-projet de budget français. Nos services ont déjà commencé à discuter avec le Gouvernement. J'ai moi-même eu des échanges avec le Président de la République, le Premier ministre et le ministre des finances. Les autorités françaises se sont engagées à ramener le déficit public à 2,7 % en 2017. Ce message politique est en conformité avec les règles. La Commission attend de la France qu'elle soit nettement sous la barre des 3 %, qu'elle respecte enfin les règles. La France a bénéficié trois fois de délais, dont deux ces dernières années - j'en sais quelque chose. Il ne peut pas y avoir de sursis ni d'exception en 2017. J'ai pris note de l'avis indépendant du Haut Conseil des finances publiques. La Commission mènera son propre travail selon sa propre méthodologie.

Je garde aussi à l'esprit l'histoire récente : la France a plutôt surpris positivement ces deux dernières années en remplissant sa part du contrat sur les résultats nominaux.

Je veux exprimer des préoccupations sur les charges et dépenses qui seront reportées à 2018 ainsi que sur les réformes structurelles et la réduction des déficits structurels. Des questions évidentes se posent.

La Commission respecte la souveraineté nationale. Le Parlement et le Gouvernement jouent leur rôle. Nous n'avons pas à nous immiscer sous le capot. En revanche, nous regarderons l'équilibre général. La Commission voit aussi à long terme. Ainsi, pour sortir de la procédure de déficit excessif, il faut que la réduction du déficit en-deçà des 3 % soit solide et durable. Pour ma part, je pense que la cible de moins de 3 % est atteignable en 2017.

Le débat prend parfois des airs de caricature, mais le respect des engagements n'a pas pour but de faire plaisir à la Commission. La France doit s'y tenir pour elle-même, pour sa stature politique en Europe et pour sa performance économique. L'enjeu n'est pas la relation binaire entre Paris et Bruxelles - ce type de débat n'existe dans aucun autre pays. Personne en Europe n'a l'intention d'augmenter son déficit. La règle des 3 % n'est pas stupide mais intelligente : les déficits n'ont pas une vertu magique. L'Allemagne n'a aucun déficit et 4 % à 5 % de chômage quand l'Espagne a 5 % de déficit et 20 % de chômage. À la France de décider où elle veut figurer sur le tableau européen. L'an prochain, seuls deux États dépasseront les 3 % : la Grèce et l'Espagne. La première a longtemps été menacée d'expulsion de la zone euro, la seconde a été frappée de façon incroyablement violente par la crise. Quelle gloire la France tirerait-elle d'une place en queue de peloton ? L'influence, en Europe, dépend de la capacité à respecter sa parole. Un grand pays doit montrer l'exemple.

La dette, qui soustrait chaque année 50 milliards d'euros au budget, profite d'abord aux créanciers. Il s'agit d'une redistribution à l'envers. Tout euro dépensé au service de la dette constitue un euro perdu. Laisser filer le déficit est une mauvaise idée.

Enfin, les règles sont le fruit d'un compromis politique franco-allemand. La discipline est nécessaire au bon fonctionnement de la maison commune. S'il faut débloquer certaines réserves en Allemagne, la France doit montrer la volonté d'observer une discipline.

Les règles ne représentent pas un totem. Dans la pratique, la Commission apprécie avec flexibilité l'évolution des cycles économiques. Le pacte de stabilité et de croissance n'est plus le carcan rigide de ses débuts. Les décisions prises sur l'Espagne et le Portugal le montrent. Il faut être capable de modifier les règles, sans pour autant les bouleverser ni les mettre à bas.

La vraie question, en France, porte sur la qualité de la dépense publique, qui est parfois mauvaise. Les taux élevés de dépense publique ne correspondent pas à des niveaux élevés de performance dans les classements internationaux ni à la satisfaction des Français sur les services publics. Nous devons sortir de décennies de gestion alternant saupoudrage et rabot. Le vrai débat ne porte pas sur les 3 % ni sur le niveau du déficit, mais sur le changement de regard sur la qualité de la dépense publique.

Quant à la fiscalité, notre agenda de lutte contre la fraude et l'évasion est extrêmement ambitieux. Les révélations qui se succèdent - Lux Leaks, Panama Papers, Bahamas Leaks - constituent un élément de vulnérabilité, mais aussi de force, pour l'Europe. Certains comportements inappropriés, d'où qu'ils viennent, notamment du sein d'une institution que je connais bien, sont destructeurs dans l'opinion publique ; ils sont aussi un élément de force incroyable parce qu'ils exercent une pression sur les décideurs publics pour qu'ils mettent fin à des décennies de blocage en matière de décisions fiscales.

La très grande limite de la politique d'harmonisation fiscale est la règle de l'unanimité. Jusqu'à récemment, il fallait cinq ans pour faire naître une directive. Il ne faut plus que quelques mois. Les États membres craignent le name and shame, qu'on les nomme et qu'on les blâme. Désormais, on n'échappe pas à la patrouille. Soit on se comporte en bon citoyen, soit on sait qu'on sera rattrapé.

Nous avons déjà beaucoup fait, notamment en nouant des accords d'échanges d'informations sur les comptes de résidents avec la Suisse, le Liechtenstein, Monaco, Andorre et San Marin. Le secret bancaire n'existera plus en Europe à l'horizon 2017-2018. Si un citoyen a eu un compte en Suisse, l'obtention de l'information n'est plus problématique.

Par ailleurs, nous avons mis en place un échange automatique d'information sur les rescrits fiscaux et les prévisions d'investissement des entreprises, afin que les États connaissent la situation de leurs voisins.

Nous sommes également en train de mettre en application une directive sur l'évasion et la fraude fiscale - adoptée en cinq mois - regroupant une série d'instruments à disposition du décideur public pour faire en sorte que les entreprises multinationales paient leurs impôts là où elles font leurs profits, sans pouvoir se dérober. C'est, plus qu'un slogan, une priorité. La Commission est le fer de lance de ce combat : la décision sur Apple est très importante politiquement et symboliquement, même si elle est fondée sur des chiffres.

Enfin, dernière avancée, les entreprises doivent établir un rapport sur leurs données comptables et fiscales pays par pays. Je souhaite que ce reporting soit public, que la transparence soit totale ; je ne vois pas de contradiction entre transparence et compétitivité.

Trois décisions majeures nous attendent. La première est l'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS). Je présenterai dans les prochaines semaines un projet de relance de cette directive. Ce projet majeur qui réduit les coûts administratifs et lutte contre l'évasion fiscale est bon pour les entreprises comme pour les citoyens.

La deuxième est la mise en place d'un régime définitif de TVA afin de lutter contre une fraude atteignant 160 milliards d'euros par an. J'ajoute que je proposerai dans les semaines qui viennent l'inscription de la presse en ligne et des livres électroniques sur la liste des produits à taux réduit. Un livre, qu'il soit en papier ou non, reste un livre. Cette décision, très attendue par nos médias, lèverait le contentieux entre la Commission et la France.

La troisième est l'établissement d'une liste noire européenne des paradis fiscaux. Elle n'existe pas. Certains pays en ont établi une - l'Allemagne ne recense aucun pays quand d'autres en dénombrent 85. Le Panama figure sur neuf listes, sur 28 États membres. Nous devons définir des critères communs et des sanctions communes.

La Commission a élaboré un tableau de bord fixant les critères de bonne gouvernance fiscale et les échanges automatiques d'informations. Sur cette base, nous sélectionnerons les pays avec lesquels nous dialoguerons. Le but d'une liste noire est d'inciter les pays à en sortir. Avec ce chantier considérable, nous serons des pionniers mondiaux.

Je ne suis pas débranché de toutes les préoccupations citoyennes : il y a un doute massif sur l'Europe. Mais elle constitue le bon échelon en matière de fiscalité. Nous avons besoin d'elle. La France seule ne peut rien. Nous avons réalisé des pas de géant ces deux dernières années en matière de lutte contre la fraude et l'évasion fiscale. Les pratiques condamnables reculent.

L'Europe, qui est au coeur des préoccupations, est aussi au coeur des réponses.

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. - Le 4 juin 2015, vous avez reçu les membres de notre groupe de travail sur la fiscalité de l'économie numérique, qui propose la mise en place du paiement scindé de la TVA. Où en est votre réflexion sur ce dossier ? L'Italie bénéficie d'une dérogation pour tester les paiements scindés dans les marchés publics. Quels progrès pouvons-nous attendre ?

Nous nous réjouissons que vous souhaitiez avancer sur la directive ACCIS. Le cas d'Apple en Irlande a fait du bruit. Y a-t-il d'autres dossiers similaires dans le viseur de la commissaire ? Son efficacité mérite d'être hautement saluée...

M. Jean Bizet, président. - Je vous avais signalé le problème de la fraude à la TVA dans la filière porcine, qui a fait l'objet d'un contentieux à l'initiative de la France. Où en est ce dossier ?

La taxe sur les transactions financières (TTF) est-elle pour bientôt ? Le travail du président Monti sur les ressources propres devrait aboutir à la fin de l'année. Une telle ressource, récurrente, pourrait-elle devenir une part significative du budget de l'Union européenne ?

Sur la directive ACCIS, il y a urgence. Après le Brexit, l'Irlande pourra servir de tête de pont pour obtenir un passeport européen... Une clarification est nécessaire.

M. Philippe Bonnecarrère. - En matière budgétaire, les attentes de la Commission sont connues. Pouvez-vous nous préciser votre calendrier ? Quand la Commission exprimera-t-elle son point de vue ? Réagira-t-elle aussi à l'exécution du budget 2017 ?

Le président Juncker a déclaré qu'il proposait « d'équiper chaque village et chaque ville d'Europe d'un accès internet sans fil gratuit autour des principaux centres de la vie publique d'ici à 2020. » Que doivent en comprendre les représentants des collectivités territoriales que nous sommes ? Est-ce à dire que l'Europe demandera des efforts à chaque pays ? Qu'elle leur fournira une aide financière ? Que signifient exactement les termes « d'accès internet » ? À quel niveau de service renvoient-ils ? Par « village », pouvons-nous comprendre « commune » ?

M. Jean-Yves Leconte. - L'échange automatique d'informations donne la capacité à la patrouille d'attraper des fraudeurs, mais les règles fiscales sont régies par un si grand nombre de conventions bilatérales que cette complexité est paralysante et génère des suspicions infondées. Il faut simplifier et harmoniser ces règles.

La politique d'assouplissement quantitatif de la Banque centrale européenne (BCE) affaiblit les assurances et les banques. Les Allemands sont inquiets, et la Deutsche Bank est fragilisée aussi par l'amende annoncée par les États-Unis. Faut-il craindre une déstabilisation de la zone euro ? La position actuelle du Gouvernement allemand, qui refuse d'intervenir, vous paraît-elle appropriée ? N'y a-t-il pas un risque d'effet domino ?

Il y a des débats en Afrique sur l'évolution du franc CFA, qui est arrimé à l'euro, mais avec des taux d'intérêts très différents. Que faire pour que le franc CFA ne devienne pas un handicap pour la relation entre la France, l'Europe et l'Afrique ?

M. Richard Yung. - Bravo pour vos efforts dans le domaine fiscal, car il n'y a pas eu de progrès en la matière depuis des années malgré de nombreuses incantations, sur la TTF, la TVA, la directive ACCIS...

Comment coordonner les politiques économiques contra-cycliques des pays ? Certains tirent leur dynamisme de leurs exportations vers leurs voisins européens quand d'autres font reposer leur croissance sur la consommation intérieure. À cet égard, quel est le statut exact des conseils nationaux de la productivité ?

On parle sans arrêt de l'intégration de la zone euro, qui est une sorte de veau d'or devant lequel chacun se prosterne, sans qu'on comprenne vraiment ce qu'il faudrait faire. L'Allemagne s'oppose aux projets actuels, essentiellement pour des raisons juridiques. Qu'en pensez-vous ?

M. Alain Vasselle. - Je souhaite vous alerter sur les conséquences du changement de taux de TVA sur la filière équine. Où en sont les discussions sur ce point ? La filière équine pourra-t-elle surmonter les difficultés auxquelles elle est confrontée ?

M. Jean-François Husson. - Le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) a qualifié les prévisions budgétaires du Gouvernement pour 2017 d'improbables. La France a déjà bénéficié de plusieurs délais. La méthodologie de la Commission est plus sévère, dites-vous, que la nôtre. Je dirais plutôt plus rigoureuse ! La Commission pourra-t-elle demander à la France de réviser ses prévisions budgétaires ? Avec le semestre européen 2017, la France s'expose-t-elle à des sanctions ? Avec l'absence de sanctions contre l'Espagne et le Portugal et l'exception italienne, le Pacte de stabilité peut-il être respecté ? Quelles seront les conséquences du Brexit sur le budget européen ?

M. André Gattolin. - Je suis heureux que vous ayez évoqué la directive en préparation sur l'équité des taux de TVA, qui corrigera une aberration : la loi française du 1er août 1986 instituait la neutralité du support. J'ai participé à la consultation lancée par la Commission. Celle-ci se déroulait uniquement en anglais, et les questionnaires étaient biaisés... Il faudrait donc améliorer cet instrument démocratique de consultation.

Sur le marché unique du numérique, faute de budgets suffisants, l'Union européenne est pénalisée. Il ne suffit pas d'harmoniser la demande, il faut aussi développer l'offre. Pour cela, le marché ne suffit pas...

M. François Marc. - Rapporteur spécial sur les financements européens, je m'interroge sur les ressources de l'Union européenne. Chaque année, l'insuffisance des crédits de paiement conduit à des reports, de plus en plus importants à mesure qu'on s'approche de la fin du cycle budgétaire pluriannuel. Chaque année, le Parlement européen demande une hausse du budget de 5 %, et le Conseil décide de le maintenir au même niveau. Avec le Brexit, les 5 milliards d'euros net qu'apportait la Grande-Bretagne feront défaut. Face à une telle frilosité des peuples et des États-membres, je me réjouis du succès du plan Juncker, qui sera porté à 500 milliards d'euros, et qui contourne le problème des financements directs. L'Union européenne ne pourrait-elle pas, à l'exemple des États-Unis, tirer des milliards d'euros d'un renforcement de la lutte contre la fraude fiscale ?

M. Jacques Chiron. - L'Italie a expérimenté le prélèvement à la source de la TVA sur les factures payées par les personnes publiques. Le Gouvernement escomptait 2 milliards d'euros de ressources supplémentaires. Quel est le résultat exact ? La TVA pourrait également être prélevée à la source lors d'achats, par e-commerce, de produits en dehors de l'Union européenne. Qu'en pensez-vous ? La fraude à la TVA représente 12 milliards d'euros en France et 160 milliards d'euros à l'échelle de l'Europe...

M. Pierre Moscovici, commissaire européen. - Je répondrai à certaines de vos questions par écrit. La décision relative à Apple montre que la Commission est déterminée à s'assurer que les entreprises nationales paient leurs impôts là où elles réalisent leurs profits. Ce n'est pas une décision anti-américaine. Nos territoires, vous le savez, ont besoin d'investissements américains pour créer de l'emploi. Ministre des finances, je m'étais soucié du renforcement de FedEx à l'aéroport de Roissy-Charles de Gaulle... Nous ne sommes donc pas en guerre économique avec les États-Unis, et cette décision n'est pas discriminatoire. Elle est fondée sur des faits, des chiffres et des règles. D'ailleurs, des entreprises européennes sont aussi concernées. L'important est qu'une entreprise, tout comme nos concitoyens, paie ses impôts. Je sais que Margrethe Vestager n'a pas la main qui tremble, et qu'elle fera appliquer avec rigueur les règles en vigueur. Pour ma part, je souhaite faire avancer la législation. Nos services sont donc en coopération étroite, et continueront à travailler avec détermination.

Un groupe de haut niveau, auquel j'appartiens, réfléchit, sous la présidence de M. Monti, à des ressources propres pour l'Union européenne. Il formulera des propositions. Pour l'heure, notre budget est trop marqué par le passé, pas assez efficace dans le présent et trop peu tourné vers l'avenir. Cette Commission souhaite d'ailleurs que la revue à mi-parcours soit substantielle, et que le prochain budget soit ambitieux. Quant à la TTF, c'est un projet initié par la Commission, refusé par les 28, repris par quatre grands pays
- l'Allemagne, la France, l'Italie et l'Espagne - rejoints ensuite par six autres. Nous avons les paramètres d'un accord, et la Commission travaille ardemment à ce qu'un cadre soit arrêté avant la fin de l'année. C'est un grand projet politique, attendu par nos concitoyens, qui servira à financer des causes comme la lutte contre le réchauffement climatique ou l'aide au développement, et desserrera la contrainte financière évoquée par M. Marc.

ACCIS réduira la complexité et les coûts de conformité, compensera les pertes et profits réalisés dans les États-membres, et réduira les opportunités d'arbitrages fiscaux et de déplacement de base imposable. La Commission tiendra compte des réticences exprimées, et fera une proposition en deux temps, qui renforcera la stabilité fiscale au sein du marché intérieur.

Le semestre européen s'étend jusqu'à la fin du mois d'avril. Le programme de stabilité français sera alors élaboré dans un contexte politique particulier, dont il faudra tenir compte. Nous recevrons les avant-projets budgétaires avant le 15 octobre. Les discussions avec les administrations budgétaires ont déjà commencé, dans un climat positif. En cas de difficulté, nous pouvons demander des corrections, ou rejeter le projet de budget. En novembre, nous validerons, ou rejetterons, les projets, sur la base de nos prévisions économiques. Il s'agit donc d'une séquence très brève !

J'ai été auditionné par le HCFP, et j'ai lu son avis avec attention. Pour ma part, j'utiliserais plutôt l'adjectif « jouable ». Nos méthodes sont ordinairement plus sévères, mais l'honnêteté oblige à reconnaître que, pour la France, les estimations de la Commission ont été régulièrement trop pessimistes : le déficit nominal a décru plus rapidement qu'anticipé. Je n'ai pas de raison de penser que le déficit nominal sera supérieur à 3 % en 2017, et je souhaite même qu'il soit nettement inférieur à 3 %. Certains reports de charge sur 2018 doivent être surveillés. Notre prévision de croissance est de 1,7 % pour la France. Nous dialoguerons avec la France dans la plus grande impartialité.

Le Pacte de stabilité et de croissance n'est ni rigide ni procyclique, pour peu qu'il soit interprété avec flexibilité et intelligence. J'assume entièrement les décisions prises à l'égard du Portugal, de l'Italie, de l'Espagne et de la France. Les sanctions doivent être évitées autant que possible : une Europe qui punit, qui morigène, n'est pas une bonne idée, surtout en période de difficultés. Je préfère mener un dialogue sans concessions pour obtenir des ajustements ex ante. D'ailleurs, nous n'avons pris aucune décision contraire au pacte, et je n'en prendrai aucune qui n'y soit pas conforme. Il est vrai que certaines décisions étaient à la limite du pacte ; mais elles ne lui étaient pas contraires. Si un pays prévoit une déviation massive, il sera sanctionné - quelle que soit sa taille. Bien sûr, je ne suis pas pour détruire la règle, mais pour la simplifier, afin de la rendre plus légitime.

Sur le numérique, nous devons étudier les moyens. Sans doute faudra-t-il conjuguer ressources nationales et européennes. En tous cas, la décision est prise. Qui paiera ? Question légitime, d'autant qu'il n'est pas toujours simple d'installer le haut débit.

Sur la situation de Deutsche Bank, le Gouvernement allemand s'est exprimé et je ne me prononcerai pas sur l'amende américaine. La politique monétaire de la BCE est appropriée. Hier, devant le Bundestag, Mario Draghi a clairement expliqué que ses décisions étaient dictées par l'intérêt général et non par celui de tel ou tel épargnant. J'observe d'ailleurs qu'en Allemagne un excédent courant de 9 % témoigne d'un excès d'épargne et d'une insuffisance d'investissement. J'ai assisté à maints échanges entre MM. Draghi et Schäuble : indépendante, la BCE agit pour ramener l'inflation aux alentours de 2 %, ce qui favorise aussi la croissance et l'emploi en Europe. M. Draghi mérite soutien et respect, notamment pour la manière dont il a sauvé l'euro.

Sur le CFA, je demanderai une analyse à mes services. Quel avenir pour la zone euro ? L'euro est très critiqué, entre autres par M. Stiglitz. Pour siéger depuis longtemps à l'Eurogroupe, je sais combien l'euro est le fer de lance de l'intégration européenne. Si nos concitoyens doutent de l'Union européenne, ils sont très attachés à l'euro ; 70 % des Français le sont. Les Français, pas plus que les Grecs, n'y renonceront. C'est un élément de stabilité et de sécurité. Certes, comme le disait Jacques Delors, il ne dynamise pas assez. Faut-il y mettre un terme, comme le préconise M. Stiglitz ? Je crois plutôt qu'il faut le compléter par une politique économique, ce qui implique une capacité budgétaire : il faut un Trésor et une gouvernance de la zone euro. Je souhaite que mon successeur soit son ministre des finances, avec rang de vice-président de la Commission. Certes, il faut faire l'Europe à 27, mais la zone euro doit être le fer de lance de la politique économique.

Un Conseil budgétaire a été constitué, avec cinq membres - dont une Française - et des autorités nationales de productivité - en France, France Stratégie - aideront chaque pays à renforcer sa compétitivité. Pour aller plus loin, un groupe d'experts rendra un livre blanc. Même si aucune percée décisive n'est à attendre avant les prochaines élections françaises et allemandes, nous ne pouvons pas perdre un an. Aussi les contributions intellectuelles et politiques sont-elles bienvenues.

Je souhaite que nous cessions de tenir une liste centralisée des produits bénéficiant d'un taux réduit de TVA. Les États-membres doivent s'impliquer dans ce processus. Ils y sont réticents, évidemment. Mais nous ne sommes pas outillés pour dresser cette liste, d'autant qu'elle doit être adaptée en permanence aux évolutions économiques.

Il est trop tôt pour évaluer les conséquences financières du Brexit. Tout dépendra de l'issue de la négociation, qui n'a pas encore commencé.

J'approuve les propos de M. Gattolin relatifs à une politique de l'offre dans le domaine du numérique. Nos propositions sur le droit d'auteur favorisent la création, et ont été bien accueillies en France.

Paradoxalement, on se plaint du budget européen tout en lui demandant beaucoup, que ce soit pour l'accueil et l'intégration des réfugiés, la sécurité et la défense ou l'investissement. Pour mobiliser des ressources, les diverses réflexions engagées doivent converger. Je me suis déjà exprimé sur l'utilisation du budget européen. Citons également le plan Juncker, lointain héritier des démarches de Jacques Delors au début des années 1990 ; Thierry Breton a proposé un plan européen de sécurité et de défense digne d'intérêt. Le président Juncker envisage la création d'un Fonds européen de la défense destiné à l'innovation. Du côté de la ressource, la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales est susceptible de dégager des montants importants, en particulier pour la TVA. C'est pourquoi nous allons proposer un régime définitif de taxation des opérations transfrontalières. Seul le rétablissement du paiement fractionné est susceptible de réduire la fraude. Potentiellement, les États membres pourraient récupérer 40 milliards d'euros par an, et la France 4 milliards. Les opérations domestiques et transfrontalières seront traitées de la même manière. La Commission européenne a déjà adopté un plan d'action sur ma proposition, et nous allons avancer dans ce sens.

M. Jean Bizet, président. - En 2017, nous serons à mi-parcours de la PAC. En 2014, le calage financier avait été laborieux. À l'époque, un simple toilettage avait été évoqué pour 2017 ; or une véritable refonte serait nécessaire. Nous n'avons plus d'instruments de régulation. Une PAC plus assurancielle ou contra-cyclique serait envisageable.

M. Alain Houpert. - La gestion des fonds structurels passe de l'État aux régions, or la refonte de ces dernières a entraîné des cafouillages indescriptibles. Des régions qui n'ont pas les mêmes lignes de fonds structurels ont fusionné. Nous avons perdu deux ans sur les six que dure le plan. Il est à craindre que les Feder et Feader ne puissent être pleinement utilisés. Monsieur le Commissaire, nous en appelons au bon sens et à la raison.

Mme Gisèle Jourda. - Vous avez déclaré que l'Europe de la défense allait « prendre chair ». Comment sera financé le futur Fonds européen de défense ?

M. Martial Bourquin. - D'après un article paru dans Le Monde d'aujourd'hui, le Royaume-Uni s'opposera à l'Europe de la défense, par préférence pour l'Otan. Les Britanniques disposeraient d'une minorité de blocage pour l'empêcher. Qu'en pensez-vous ?

M. Pierre Moscovici, commissaire européen. - Sur la PAC, nous n'en sommes qu'au début du processus d'examen à mi-parcours ; l'ambition de la Commission européenne va au-delà du simple toilettage. La revue doit être la première étape de la préparation du budget suivant.

M. Jean Bizet, président. - Le Sénat y sera particulièrement attentif.

M. Pierre Moscovici, commissaire européen. - Je suis disposé à me présenter devant vous chaque fois que l'actualité le réclamera, en plus des auditions prévues au début et à la fin du semestre européen.

Je n'ignore pas la tendance à la sous-consommation des fonds structurels. La refonte des régions pose quelques problèmes, mais est aussi un atout pour ces dernières en matière de compétitivité et de visibilité ; les nouvelles régions sont pertinentes sur le plan démographique. Je souhaite rencontrer l'Association des régions de France au plus vite pour évoquer ces sujets.

Le fonds européen de défense est simplement, à ce stade, une proposition du président Juncker. Quant à la proposition de Thierry Breton d'un Fonds européen de sécurité et de défense, son impact financier, notamment sur la dette, reste à évaluer.

Nous ne sommes pas favorables à un Brexit punitif : il faut être deux pour danser le tango... L'article 50 n'ayant pas encore été déclenché, nous ne savons pas encore comment se déroulera la négociation. Le Royaume-Uni a toujours été partagé entre son appartenance européenne et son alliance privilégiée - un peu moins aujourd'hui - avec les États-Unis. On constate en effet un retour à une préférence pour l'Otan. Il faut néanmoins prendre avec une certaine distance les articles de journaux. Le Royaume-Uni a vocation à faire partie d'un schéma européen de la défense qui doit rassembler autant que possible. Je ne veux pas croire que les Britanniques ne souhaitent pas s'y associer. Au-delà du Brexit, c'est un domaine de coopération privilégié.

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. - Je vous remercie de votre éclairage, qui contribue à rendre notre assemblée plus proche de la décision. Les parlements nationaux se rencontrent deux fois l'an, selon des modalités prévues par l'article 13 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG). Nous sommes toujours demandeurs d'échanges.

Nous n'avons pas épuisé les sujets de discussion : ainsi du reporting pays par pays, sur lequel la France s'est montrée très volontaire et les autres États membres plus réticents. Ferons-nous cavalier seul ? Lors de l'examen de la loi Sapin 2, le Sénat a estimé que ce n'était pas convenable.

M. Pierre Moscovici, commissaire européen. - C'est vrai, mais il est aussi important de tirer les autres pays, d'autant que la Commission européenne est favorable à un reporting public pays par pays.

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. - Merci d'être attentif à la question sensible des fonds européens, d'autant plus sensible que l'Europe est souvent rendue responsable de leur sous-utilisation. Notre administration manque peut-être de savoir-faire sur ce sujet. La perception du grand public est très négative.

Le Sénat et la commission des finances suivront avec attention toutes les étapes du semestre européen. Soyez assuré du soutien de notre assemblée à votre action.

La réunion est levée à 10 h 15.