Disponible au format PDF Acrobat


Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Décès d'un ancien sénateur

Demandes de missions d'information

Dépôt de rapports

Observatoire de la décentralisation (Désignation)

Ordre du jour prévisionnel

Retrait d'une question orale

Motion d'ordre

Rappel au Règlement

Contrats de partenariat

Discussion générale

Débat sur la situation en Afghanistan

Contrats de partenariat (Suite)

Discussion générale (Suite)

Exception d'irrecevabilité

Discussion des articles

Articles additionnels

Article premier

Article additionnel




SÉANCE

du mardi 1er avril 2008

67e séance de la session ordinaire 2007-2008

présidence de M. Adrien Gouteyron,vice-président

La séance est ouverte à 16 h 5.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Décès d'un ancien sénateur

M. le président.  - J'ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Christian Bergelin, qui fut sénateur de la Haute-Saône en 2002.

Demandes de missions d'information

M. le président.  - M. le Président du Sénat a été saisi de deux demandes de constitution de missions d'information : l'une de M. Émorine, président de la commission des affaires économiques, pour se rendre en Croatie, dans la perspective de l'adhésion de ce pays candidat à l'entrée dans l'Union européenne ; l'autre de M. Hyest, président de la commission des lois, pour un déplacement à Mayotte dans la perspective d'une évolution possible de son statut. Le Sénat sera appelé à statuer dans les formes fixées par l'article 21 du Règlement.

Dépôt de rapports

M. le président.  - M. le Président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport sur la sécurité des piscines ; le rapport dressant le bilan d'application de la loi du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et le rapport sur la mise en application de la loi du 21 août 2007 en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat.

Observatoire de la décentralisation (Désignation)

M. le président.  - Le groupe UMP a fait connaître qu'il a désigné M. Bernard-Reymond pour siéger au sein de l'Observatoire de la décentralisation, en remplacement de M. Karoutchi, devenu membre du Gouvernement.

Ordre du jour prévisionnel

M. le président.  - M. le Président du Sénat a reçu de M. Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, l'ordre du jour prévisionnel jusqu'à la fin de la session ordinaire. La Conférence des Présidents en a pris acte ce matin.

Retrait d'une question orale

M. le président.  - La question orale n°166 de M. Gouteyron est retirée de l'ordre du jour de la séance du 15 avril 2008, à la demande de son auteur.

Motion d'ordre

M. le président.  - Comme chacun le sait, nous aurons à 17 heures 30 un débat sur la situation en Afghanistan avec le Premier ministre.

La Conférence des Présidents qui s'est réunie ce matin a fixé les modalités d'organisation du débat qui ont été communiquées à chacun d'entre nous dès la fin de la réunion.

Rappel au Règlement

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - J'ai saisi vendredi dernier M. le Premier ministre d'une demande de vote sur la déclaration du Gouvernement relative au renforcement de la présence militaire française an Afghanistan. Cette question a été évoquée ce matin en Conférence des Présidents, sans succès. N'en déplaise à M. Karoutchi, la Constitution autorise un tel vote, à l'Assemblée nationale comme au Sénat. Le Parlement avait d'ailleurs voté en 1991 sur la participation de notre pays à la première guerre du Golfe, ce que M. le Premier ministre semble avoir oublié : à l'Assemblée nationale, avec la mise en jeu de la responsabilité du Gouvernement, ici même en application de l'article 49-4 de notre Règlement.

La gravité de la situation en Afghanistan et l'opportunité d'engager davantage de soldats, après six ans de présence sur le terrain, justifient la consultation et le vote du Parlement -consultation que le Gouvernement n'avait d'ailleurs initialement pas envisagée.

Notre demande est confortée par le dépôt ce matin d'une motion de censure : l'Assemblée nationale va donc voter, mais pas le Sénat. Le Gouvernement est pris dans une contradiction évidente : alors qu'il affiche sa volonté de renforcer les droits du Parlement à l'occasion d'une prochaine révision de la Constitution, il refuse l'application de textes qui permettent le vote de la représentation nationale.

Je maintiens donc avec solennité notre demande d'un vote au Sénat sur ce que nous considérons comme une dangereuse évolution de notre politique extérieure.

M. le président.  - Je vous donne acte de votre rappel au Règlement, en vous rappelant que le sujet que vous évoquez est de la compétence exclusive du Gouvernement.

Contrats de partenariat

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif aux contrats de partenariat.

Discussion générale

Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi.  - Les contrats de partenariat sont des instruments de modernisation de notre économie et de nos infrastructures matérielles et immatérielles. Avec eux, il est possible d'accélérer l'investissement au bénéfice de la collectivité, tout en partageant au mieux les risques entre celle-ci et les prestataires privés ; ces derniers peuvent proposer une prestation globale, incluant la construction et la gestion, réalisée à leurs frais, le partenaire public acquittant une sorte de loyer et devenant, après un certain temps, propriétaire de l'ouvrage. Le système incite la collectivité à penser plus globalement et à plus long terme ; elle peut faire réaliser par des professionnels ce qu'elle ne peut ou ne souhaite pas faire, faute de moyens ou de temps.

Les partenariats public-privé (PPP) offrent des opportunités nouvelles par rapport au régime existant de la commande publique. C'est de la construction par Pierre-Paul Riquet, entre 1666 et 1681, sous Colbert, du canal du Midi, que date le régime de la concession. Trois cents ans plus tard, en 1996, l'ouvrage a été classé patrimoine mondial de l'humanité...

M. Pierre-Yves Collombat.  - Colbert était un grand libéral, chacun le sait ! (Sourires)

Mme Christine Lagarde, ministre.  - Des PPP ont récemment été conclus dans le domaine de la sécurité intérieure, de la justice et de la santé. Des instruments juridiques ont vu le jour, bail emphytéotique administratif ou hospitalier, autorisation d'occupation temporaire accompagnée d'une location avec option d'achat.

Ces instruments juridiques ont pour seul objet d'appliquer le contrat créé par l'ordonnance du 17 juin 2004, véritable clé de voûte du partenariat public-privé.

La souplesse de ce nouvel outil est attestée par la variété des domaines couverts par les projets en cours, qui portent notamment sur les bâtiments publics -pour 30 % des projets- sur l'équipement urbain -pour 25 %- enfin les équipements culturels et sportifs -pour 15 %. Je mentionnerai la rénovation de l'Institut national du sport et de l'éducation physique, signée en décembre 2006, le centre de traitement des déchets d'Antibes, la billetterie électronique du château de Versailles et la couverture par internet à haut débit de la région Auvergne.

Toutefois, ce développement est très lent, puisque moins de trente contrats ont été signés -aux trois quarts par des collectivités territoriales- et qu'une cinquantaine d'entre eux seraient prêts à être lancés, parmi cent trente projets bien avancés. Les investissements cumulés avoisinent un demi milliard d'euros, alors que la private finance initiative (PFI) anglaise représente 10 à 15 % des investissements publics. Ce manque d'engouement vient de ce que les PPP ont été conçus comme voies d'exception. En effet, les conditions légales, très restrictives, exigent de prouver l'urgence ou la complexité du projet. En outre, le régime juridique et fiscal est plus contraignant que celui dont bénéficie la commande publique traditionnelle.

Le projet de loi tend à lever ces obstacles, sans rien céder quant à la qualité ni à la rigueur de la commande publique, sans rien abandonner de la sincérité budgétaire et comptable. En droit communautaire, ces contrats sont des marchés publics, la directive correspondante est donc applicable. De même, l'évaluation préalable, qui reste obligatoire, doit conduire les décideurs publics à examiner de façon rigoureuse la dimension financière du projet. Dans cet esprit d'innovation et de rigueur, le texte tend à clarifier la situation actuelle et crée deux nouvelles voies de partenariat. Il institue une égalité de traitement fiscal entre marchés publics et contrats de partenariat.

Afin d'écarter certains flous juridiques, les articles 9 et 23 confirment la possibilité donnée aux titulaires du contrat d'obtenir des ressources complémentaires grâce à l'exploitation du domaine privé confié par la personne publique. Ainsi, les recettes tirées de baux commerciaux sur le domaine privé seront prises en compte pour atténuer les loyers dus par la puissance publique. En outre, les articles premier et 15 permettent de transférer au titulaire du contrat de partenariat tout contrat précédemment conclu par la personne publique et pouvant concourir à l'exécution de la mission. Ainsi, la maîtrise d'oeuvre pourra être attribuée avant la signature du contrat de partenariat.

Mais l'essentiel de l'innovation figure aux articles 2 et 16, qui introduisent de nouvelles voies juridiques pour accéder aux contrats de partenariat, alors qu'aujourd'hui l'urgence et la complexité du projet constituent les deux seuls motifs légaux.

M. Jean-Pierre Sueur.  - En vertu d'une décision du Conseil constitutionnel !

Mme Christine Lagarde, ministre.  - La première voie nouvelle est fondée sur l'efficience économique et financière du PPP. Les contrats de partenariat seront donc possibles si l'évaluation préalable fait apparaître un bilan avantageux au regard des autres outils de la commande publique. Ce nouveau critère respecte la jurisprudence du Conseil constitutionnel, avec l'exigence de motifs d'intérêt général, la protection des propriétés publiques et le bon usage des deniers publics. La deuxième voie nouvelle s'applique pour un temps limité, dans des secteurs limités, sous réserve que l'évaluation préalable ne soit pas manifestement défavorable : jusqu'au 31 décembre 2012, les secteurs prioritaires pour la politique du Gouvernement -comme l'enseignement supérieur et la recherche, l'utilisation des nouvelles techniques par la police et la gendarmerie nationales ou les infrastructures de transport inscrites dans un projet de développement durable ou contribuant à la rénovation urbaine- pourront bénéficier du PPP. Le critère d'une évaluation qui ne soit pas manifestement défavorable a été suggéré par le Conseil d'État pour garantir la constitutionnalité de cette nouvelle formule.

Enfin, le projet de loi rend le contrat de partenariat plus simple, plus concurrentiel et plus équitable. Ainsi, les articles 4 et 18 ajoutent aux procédures actuelles d'appel d'offres et de dialogue compétitif une procédure négociée plus souple, pour les projets de petite taille. Afin d'encourager l'émergence des candidatures, les articles 6 et 20 disposent que la collectivité publique devra verser une prime aux candidats si les demandes formulées dans le cadre du dialogue compétitif ont imposé des investissements significatifs. L'équité fiscale entre contrat de partenariat et marchés publics est assurée par les articles 26 et 27 du texte, qui modifient la taxe pour dépassement du plafond local de densité et la taxe sur les locaux à usage de bureaux en Ile-de-France, celles-ci pouvant représenter au total jusqu'à 10 % du coût de construction. De même, l'article 28 harmonise le régime d'imposition applicable à l'État et aux collectivités territoriales pour la publicité foncière des autorisations d'occupation temporaire du domaine public.

Afin de réduire le coût des loyers dus par les collectivités publiques, la cession de créances propre aux contrats de partenariat est rendue plus attractive par les articles 9 et 23, en incluant les frais financiers intercalaires et en renforçant la sécurité juridique du cessionnaire.

En outre, l'article 31 met fin à l'obligation légale de souscrire une assurance dommage ouvrage, qui représente environ 1,5 % du coût des projets. Les collectivités publiques pourront bien sûr imposer cette assurance, que les titulaires du contrat seront en tout état de cause libres de souscrire à leur propre initiative.

Ainsi, le PPP sera juridiquement plus clair, plus facile à conclure et plus avantageux pour le portefeuille de l'État.

J'ai évoqué le canal du Midi, avec l'innovation juridique de la concession. Sans imaginer qu'en 2320 ou 2330, l'Unesco -sans doute rebaptisé- classe le canal Seine Nord au patrimoine de l'humanité, gageons -puisque les canaux ne se perdent ou ne se pendent que dans les chansons- qu'il sera emblématique de l'innovation juridique des PPP ! (Applaudissements à droite et au centre)

M. Laurent Béteille, rapporteur de la commission des lois.  - Nous sommes saisis en première lecture du projet de loi relatif au contrat de partenariat, par lequel une mission globale est confiée à une personne privée par une personne publique. Il peut s'agir de financer un ouvrage, de l'équiper ou de l'exploiter.

Ce mode de dévolution de la commande publique a été utilisé avec succès depuis l'ordonnance du 17 juin 2004, mais à une échelle relativement modeste. C'est pourquoi le Président de la République souhaite stimuler ce dispositif.

Sans remonter au canal du Midi, des dispositifs analogues ont été mis en place dès 1987 avec la loi Chalandon pour construire des prisons. En 2002, un autre texte a permis le recours au marché unique pour la gestion de ces mêmes établissements et l'ordonnance du 4 septembre 2003 a prévu, sur le même modèle, la rénovation des hôpitaux.

A l'étranger, de tels dispositifs ont connu plus de succès qu'en France. Ainsi, en Grande-Bretagne, plus de 15 % de la commande publique passe par le private finance initiative, ce qui démontre tout l'intérêt que ce système peut avoir s'il n'est pas bridé.

Pour améliorer les choses, l'ordonnance du 17 juin 2004 a permis de déroger aux règles habituelles : des entreprises pouvaient dès lors assurer la construction et l'exploitation d'ouvrages, ce qui était jusqu'alors interdit par le code des marchés publics. Cette ordonnance a pourtant été encadrée par une décision du Conseil constitutionnel qui a strictement défini les conditions de recours à ce type de contrat qui ne devait être mis en oeuvre que pour des motifs d'intérêt général et sous réserve que les caractéristiques techniques, fonctionnelles ou économiques soient complexes.

L'ordonnance de 2004 n'a pas rencontré le succès escompté : à ce jour, 22 contrats ont été signés par des collectivités locales et 7 par l'État, ce qui n'est pas beaucoup. Ces contrats de partenariats ont touché divers secteurs comme les établissements pénitentiaires, la fourniture d'énergie, l'éclairage public, les déchets, la culture et les montants ont également variés allant de 2 millions pour l'éclairage public d'Auvers-sur-Oise à 765 millions pour le Grand stade de Lille.

Le recours timide à ce type de contrats s'explique par les critères restrictifs définis par le Conseil constitutionnel et par un régime juridique et fiscal moins attractif que celui applicable aux marchés publics. C'est pourquoi le Gouvernement propose un nouveau texte qui élargit les conditions d'ouverture de ces contrats. Désormais, ce dispositif pourra être utilisé quand le bilan avantage-inconvénient sera plus favorable que celui d'autres contrats de la commande publique. En outre, le contrat de partenariat sera préféré lorsque le projet répondra aux nécessités de certains secteurs de l'action publique jugés prioritaires comme l'enseignement supérieur, les implantations du ministère de la défense, les infrastructures de transport ou la rénovation urbaine.

Le projet de loi apporte toutefois un double tempérament : cette voie d'accès sectorielle ne sera ouverte que jusqu'au 31 décembre 2012 et le rapport d'évaluation ne devra manifestement pas lui être défavorable.

Ce texte garantit la neutralité fiscale entre les marchés publics et les contrats de partenariat afin de ne pas pénaliser ces derniers par une fiscalité plus lourde. Il en va de même pour l'assurance dommages ouvrage qui ne leur est plus obligatoire.

Il devient également possible de conclure un tel contrat sous la forme d'une procédure négociée alors qu'il ne pouvait jusqu'à présent être lancé que sous la forme du dialogue compétitif pour les projets complexes et de l'appel d'offre pour les projets urgents. Une prime de droit est instaurée dès lors que les demandes de la personne publique impliquent un investissement significatif de la part des candidats.

Le projet de loi apporte des clarifications pour renforcer la sécurité juridique. Il sera possible d'exploiter le domaine de la personne publique. La rémunération du titulaire du contrat pourra ainsi tenir compte des ressources complémentaires issues de l'exploitation du domaine pour répondre à d'autres besoins que ceux de la personne publique. Cette mesure vise à conférer une base légale à une pratique largement répandue et qui est un des principaux atouts de ces contrats car elle permet au partenaire privé de rechercher l'optimisation de l'espace alloué par la personne publique.

En outre, la personne publique pourra désormais percevoir des subventions dans le cadre d'un contrat de partenariat et la cession de créance sera sécurisée.

Après avoir procédé à de nombreuses auditions, notamment celle de la mission d'appui à la réalisation des contrats de partenariat (MAPPP), votre commission des lois vous demande d'approuver les grandes orientations de ce projet de loi, tout en vous proposant un certain nombre d'améliorations.

Il convient, tout d'abord, de préciser les conditions de recours aux contrats de partenariats en faisant référence à une situation imprévisible, et non pas imprévue, pour définir le critère d'urgence. Si une administration n'a pas anticipé un problème, elle ne pourra ainsi pas invoquer son urgence pour avoir recours au contrat de partenariat. Il est ensuite proposé d'encadrer davantage le recours sectoriel à ces contrats. Enfin, nous suggérons d'ajouter la réduction des émissions de gaz à effet de serre à la liste des secteurs prioritaires pour lesquels le critère d'urgence est retenu.

Nous prévoyons ensuite d'étendre les possibilités d'exploiter le domaine privé de la personne publique au-delà de la durée du contrat de partenariat afin d'élargir les opportunités de recettes complémentaires pour la personne privée.

Il convient aussi de supprimer le dispositif de cession de créance spécifique aux contrats de partenariat et aux BEH car il n'est jamais utilisé, à une exception près. La cession « Dailly » est en effet bien connue et fait l'objet d'une jurisprudence établie : la garantie juridique est donc supérieure à celle du dispositif qui est ici proposé. C'est pourquoi nous proposons de supprimer cette cession de créance spécifique, même si elle avait l'avantage de prévoir dans le contrat toutes les modalités de financement du projet, permettant à l'État de poser des conditions et des garanties.

Votre commission prévoit aussi de supprimer l'autorisation de dispense d'assurance dommages ouvrage car cette dernière peut rendre des services et son abandon pourrait aboutir à des distorsions de concurrence.

Au-delà de ces dispositions juridiques, le contrat de partenariat ne représentera, à l'avenir, une part significative de la commande publique que s'il fait l'objet d'une politique ambitieuse de suivi et d'accompagnement. Il faudra donc renforcer la capacité d'expertise des décideurs publics en insistant sur la méthodologie du rapport d'évaluation qui devra faire apparaître les avantages attendus de tel ou tel type de contrat. L'intérêt du contrat de partenariat devra être évalué sans complaisance afin d'en mesurer les effets, notamment en terme de réduction des délais de construction et de coût.

En outre, ce type de contrat impose aux constructeurs une vision à long terme : à partir du moment où il devra l'entretenir et le faire fonctionner, il choisira les meilleures solutions.

Enfin, il va falloir envisager un véritable code de la commande publique qui soit simple et rationnel, ceci afin de clarifier le partage entre dispositions législatives et réglementaires et d'harmoniser les procédures applicables entre les divers types de partenariats public-privé ainsi qu'entre partenariats public-privé et marchés publics.

Sous le bénéfice de ces observations, et sous réserve de l'adoption des amendements qu'elle vous soumet, votre commission vous propose d'adopter ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs UMP et au banc des commissions)

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.  - Pour la bonne organisation de nos débats, la commission des lois souhaite que soit appelé en priorité l'article 29, afin que nous puissions nous prononcer sur la cession de créances avant d'en tirer les conséquences aux articles 9 et 23.

La réserve, acceptée par le Gouvernement, est de droit.

M. Michel Houel, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques.  - Permettez-moi tout d'abord de remercier M. Béteille, qui nous a permis d'assister aux auditions de la commission des lois et de saluer le rapporteur pour avis de la commission des finances, M. Guené, en me félicitant de la collaboration exemplaire entre les différentes commissions saisies de ce texte.

Je salue enfin la qualité du travail du Gouvernement qui, même si des améliorations sont encore souhaitables, a su réaliser, avec ce texte, la synthèse des points de vue des différents acteurs.

La question du partenariat public mérite d'être abordée sans idéologie ni parti pris. Évitons ce double écueil qui consisterait soit à vouer aux gémonies ce nouvel outil de la commande publique dont nous savons l'utilité, soit à en banaliser le recours, en l'utilisant sans discernement. Qui dispose aujourd'hui de suffisamment de recul pour asséner des vérités définitives sur ce sujet ? Les expériences étrangères méritent d'être analysées avec prudence et replacées dans leur contexte. (M. Sueur approuve) Nous devons rester pragmatiques, vigilants et mesurés dans nos jugements. (M. Sueur approuve derechef)

Le contrat de partenariat, puisque le Conseil constitutionnel en a ainsi décidé, est un contrat dérogatoire, mais il est également riche de promesses qui demandent à passer au feu de l'expérience.

Avant toute chose, il a semblé essentiel à votre commission de faire de l'évaluation préalable, d'ores et déjà formalité obligatoire avant toute conclusion par l'État ou l'un de ses établissements publics d'un contrat de partenariat, la clef de voûte de la commande publique, en en ayant préalablement refondé la méthodologie. Il convient en effet de dissiper toute équivoque sur les coûts, en obligeant tous les contrats de la commande publique à révéler leurs « coûts cachés  », tels que coûts indirects, coûts à long terme ou coûts d'opportunité. Car n'est-il pas curieux que le contrat de partenariat soit obligé d'afficher en toute transparence ses « coûts complets », tandis que les autres contrats de la commande publique pourraient se dissimuler derrière un maquis d'approximations et de non-dits ? Je souhaite vivement que cette méthodologie soit élaborée par la mission d'appui à la réalisation des contrats de partenariat (MAPPP) rattachée au ministère de l'économie, épaulée par la Cour des comptes, les ministères concernés et les professionnels du secteur. Ce n'est que grâce à un référentiel commun élaboré en toute transparence, avec tous les acteurs, que l'on pourra éviter les polémiques et juger objectivement du bien-fondé du choix de ce type de contrat.

Autre exigence : le comportement de l'État en matière d'évaluation de ses grands projets d'investissement se doit d'être exemplaire. C'est pourquoi nous vous proposerons un amendement prévoyant que tous les projets de baux portant sur des bâtiments à construire et conclus dans le cadre d'une autorisation d'occupation temporaire du domaine public passent, comme les contrats de partenariat, au crible de l'évaluation préalable. Il m'apparaît indispensable d'identifier, au cas par cas, le montage juridique et financier le mieux approprié pour réaliser un projet, l'objectif, à terme, étant que tout projet de l'État relatif à un marché public complexe ou à une délégation de service public dépassant un seuil financier élevé fasse l'objet d'une évaluation préalable.

Deuxième axe essentiel : renforcer le rôle des PME au sein des contrats de partenariat. D'une part, votre commission pour avis vous proposera de permettre la conclusion de tels contrats pour les besoins en infrastructure de transport au sens large et pour réduire les émissions de gaz à effet de serre des bâtiments publics, deux cas de figure où bien souvent les PME peuvent jouer un rôle non négligeable. D'autre part, nous préconiserons de consacrer l'existence des groupements d'entreprises pour soumissionner aux contrats de partenariat car trop peu de PME ont aujourd'hui été retenues comme titulaires : seuls trois contrats de partenariat sur les vingt-sept conclus depuis 2004 ont été remportés par des groupements de PME.

Sortir les PME du seul rôle de prestataires, voilà un chantier long, ambitieux et difficile, mais les personnes publiques doivent, là encore, donner l'exemple et leur favoriser, sans rompre, bien entendu, le principe d'égalité entre les entreprises, l'accès aux contrats de la commande publique.

Dernier volet : le respect des normes communautaires et des décisions juridictionnelles. Nous vous soumettrons un amendement relatif au dialogue compétitif afin de mettre le droit national en conformité avec le droit communautaire. Nous vous proposerons en outre plusieurs aménagements, qui, sans bouleverser l'équilibre du projet de loi, le rendent mieux conforme tant à l'esprit qu'à la lettre des décisions du Conseil constitutionnel. Ainsi d'un amendement modifiant la définition de l'urgence -justifiant le recours à un contrat de partenariat- ou d'un autre tendant à rendre plus strictes les conditions d'accès à la voie sectorielle transitoire créée par les articles 2 et 16 du texte.

Sous réserve du vote des vingt-sept amendements qu'elle vous présente, votre commission a émis un avis favorable à l'adoption d'un texte qu'elle juge globalement équilibré. (Applaudissements sur les bancs UMP et au banc des commissions ; M. Mouly applaudit aussi)

M. Charles Guené, rapporteur pour avis de la commission des finances.  - Votre commission des finances a cru nécessaire d'apporter son éclairage sur les dispositions qui déterminent les conditions de recours aux contrats de partenariat, celles tendant à la neutralité fiscale, ainsi que sur l'article relatif aux cessions de créances. Elle a souhaité mesurer toutes les conséquences budgétaires et comptables du nouveau train de partenariats public-privé annoncé par le Gouvernement, dont je me félicite, car il peut être un vecteur de modernisation de l'investissement public.

Contrairement à certaines idées reçues, l'investissement public est stable depuis trente ans. Il a même progressé d'un demi-point dans les quatre dernières années. Nous ne souffrons donc pas d'un manque, puisqu'il est bien supérieur, dans notre pays, au niveau atteint par nos principaux partenaires, Allemagne ou Royaume-Uni. En revanche, la part de l'investissement public réalisé en partenariats public-privé reste beaucoup plus faible en France qu'au Royaume-Uni, par exemple, où il représente, selon les années, entre 10 % et 15 % de la formation brute de capital fixe publique, pour un montant, depuis 1997, de près de 60 milliards d'euros, tandis qu'un nouveau train de ces partenariats est attendu dans les cinq prochaines années, pour un montant d'environ 33 milliards d'euros.

En France, malgré l'ordonnance du 17 juin 2004, le nombre de ces partenariats reste limité : 1,6 milliard, soit 3,3 milliards en valeur actuelle nette.

Or, certains des travaux de contrôle de votre commission des finances, en particulier dans le domaine immobilier, ont souligné les défaillances de la maîtrise d'ouvrage de l'État en matière tant de respect des délais que des coûts. Des progrès qualitatifs sont donc possibles, sous réserve du respect de cinq « règles d'or ». Que nous apprend l'expérience du Royaume-Uni ? Seule l'efficacité économique, le « value for money », justifie le recours à ces contrats innovants : on se contentera d'un écart de 5 %, après neutralisation de la fiscalité. Ensuite, certaines opérations n'enregistrent pas de gains substantiels. Le Trésor britannique considère que les opérations inférieures à 20 millions de livres, comme celles concernant les systèmes d'information, ne présentent pas, en général, un bilan coût/avantage suffisant : on peut préférer aux contrats de partenariat des outils plus légers comme les baux emphytéotiques administratifs, bien adaptés aux petites collectivités locales.

Il convient aussi, afin de permettre à l'État de mesurer le respect des délais et des coûts figurant dans les cahiers des charges, et d'en rendre compte au Parlement, de bâtir des indicateurs de performance de l'investissement public, qui permettraient en outre des comparaisons utiles entre partenariats public-privé et maîtrise d'ouvrage classique.

Troisièmement, il est indispensable de constituer un référentiel d'analyse financière rigoureux pour l'évaluation préalable et le contrôle ex post, un référentiel qui soit commun aux administrations publiques et à la Cour des comptes.

Quatrièmement, nous devons étoffer les équipes de maîtrise d'ouvrage des ministères en leur permettant de recourir à un marché à bons de commande interministériel pour des expertises extérieures, cruciales dans la négociation avec les cocontractants privés. La réussite des PPP tient autant à l'évaluation préalable qu'à la conduite du projet et à son suivi dans la durée. Or si la mission d'appui aux partenariats public-privé (MAPPP) assure une évaluation préalable approfondie, les mêmes garanties ne sont pas toujours apportées dans l'exécution de l'investissement et dans le suivi du contrat, alors que ces deux points sont déterminants pour assurer la réussite financière des PPP.

Enfin, il faut faire de la consolidation des engagements financiers liés aux PPP dans la dette publique le principe, et la déconsolidation l'exception. Dans un contexte de montée des tensions budgétaires, les risques d'optimisation budgétaire liés aux PPP existent. Si, comme le souhaite le Gouvernement, 15 % des investissements publics étaient réalisés en PPP et que la totalité n'était pas prise en compte dans la dette maastrichtienne, on atteindrait 10 milliards d'euros annuels, soit 0,6 point de PIB annuel supplémentaire n'apparaissant pas dans la dette publique.

La recherche de la déconsolidation -pensons au récent contrat de partenariat sur les prisons- peut entraîner un transfert de risques excessif au partenaire privé, d'où une augmentation des coûts et un rétrécissement des conditions de mise en concurrence. En conséquence, les effets comptables risqueraient de conduire à un « sous-optimum » économique des contrats conclus par la personne publique.

Au Royaume-Uni, 87 % des contrats public-privé, représentant 54 % des volumes investis, sont déconsolidés. Ni l'exécutif, ni le Parlement ne sont suffisamment armés pour vérifier la soutenabilité des engagements budgétaires de long terme pris par les administrations. Or la « soutenabilité » de notre politique budgétaire à moyen et long terme est fondamentale pour les générations futures.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Absolument !

M. Charles Guené, rapporteur pour avis.  - Madame la ministre, j'ai bien entendu que vous entendiez conserver à cet égard une gestion rigoureuse.

Compte tenu de ces cinq règles d'or, notre commission vous proposera quatorze amendements. Il s'agit de faire en sorte que le législateur évite de faire des choix de gestion que le contrôleur budgétaire pourrait reprocher aux administrations.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Très bien !

M. Charles Guené, rapporteur pour avis.  - La philosophie de nos amendements est simple. Il s'agit d'abord d'assurer un caractère systématique et réel à l'évaluation financière préalable des PPP. Malgré l'existence, pour le recours aux contrats de partenariat, des critères résultant d'un compromis laborieux avec les exigences du Conseil constitutionnel, les arbitrages doivent avant tout être financiers. Je propose d'ailleurs que l'arbitrage s'effectue hors taxes afin que la prise en compte de la fiscalité ne fausse pas les arbitrages éventuels en faveur d'une externalisation des activités de l'État. L'évaluation préalable impose des chiffrages rigoureux. On n'imagine guère de cas concrets où les gestionnaires publics pourraient se contenter d'une évaluation succincte pour justifier d'un PPP : une catastrophe naturelle n'a jamais empêché une administration de fonctionner et d'évaluer correctement ses investissements. On ne voit pas non plus comment une évaluation défavorable, même pour des secteurs prioritaires, justifierait le recours à un PPP, qui doit précisément optimiser les coûts d'investissement de la puissance publique.

D'autre part, il convient de supprimer les frottements fiscaux pouvant provoquer des biais dans les arbitrages des responsables d'administration quant aux modalités de leur investissement. Dans ce domaine, des progrès sont souhaitables par rapport au texte proposé. Certains frottements relèvent du domaine règlementaire : l'alignement des PPP sur le régime des investissements publics concernant le salaire du conservateur des hypothèques, la taxe locale d'équipement et les taxes qui lui sont associées. Mais, parce que l'assiette de l'impôt est fondamentalement du domaine de la loi, je souhaiterais, madame la ministre, que les textes que vos services rédigeront sur ce sujet visent l'ensemble des PPP. Je vous proposerai pour ma part d'autres amendements visant à la neutralité fiscale. L'un concernera l'éligibilité des baux emphytéotiques administratifs au Fonds de Compensation de la TVA (FCTVA) dans les mêmes conditions que les contrats de partenariat. Le FCTVA vise à neutraliser la TVA dans la réalisation des investissements locaux, quels que soient les montages juridiques, et on voit mal comment un investissement pourrait être écarté du bénéfice de ce fonds sur la base de son montage juridique. D'ailleurs, les élus locaux comprendraient mal que l'État leur propose un grand nombre d'exonérations d'impôts locaux pour les PPP et ne fasse pas le moindre effort dès lors qu'il s'agit du FCTVA.

Enfin, il convient de préférer un mécanisme de cession des créances issu des contrats de partenariat, « banalisé » et bien connu des acteurs économiques financier comme la « cession Dailly », plutôt que le dispositif spécifique du projet de loi.

Sous réserve de l'adoption de ces amendements, votre commission des finances a émis un avis favorable sur ce projet de loi. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Michel Billout.  - Quelques mois après l'annonce du Président de la République sur la nécessité de stimuler l'investissement dans le secteur public, nous sommes saisis d'un projet de loi visant à développer les contrats de partenariat, un type de contrat dont l'utilisation est jugée décevante par le Gouvernement. Ce texte doit libérer ce contrat des contraintes financières et juridiques et en faire le droit commun de la commande publique.

Ma collègue Mme Mathon-Poinat vous montrera que ce projet de loi est inconstitutionnel. Pour ma part, je compte prouver qu'il ne saurait stimuler la croissance économique, et que son opportunité politique n'a de sens qu'à l'aune des critères de rigueur imposés par la Commission européenne et le gouvernement français.

La situation est paradoxale. Pour relancer l'économie, le Gouvernement doit stimuler l'investissement public dans les grands investissements qui représentent 3,8 % du PIB. Or, les critères de Maastricht conduisent l'État à brider son action, ce qui rend nécessaire le recours à l'investissement privé.

Parallèlement, les gouvernements successifs de droite ont massivement désengagé l'État de ses fonctions régaliennes et confié des compétences toujours plus nombreuses aux collectivités territoriales sans leur allouer des moyens suffisants. Elles sont aujourd'hui asphyxiées et peinent à engager de nouveaux projets. Selon ce texte, les contrats de partenariat leur permettraient de faire face au désengagement de l'État. Dans ce schéma, l'État se décharge sur les collectivités qui se tournent à leur tour vers le secteur privé pour effectuer les investissements financiers nécessaires à la réalisation et la gestion des équipements publics.

D'autre part, l'État privatise les services et équipements publics pour financer le remboursement de la dette, comme on l'a vu avec les autoroutes, et se prive ainsi de ressources pérennes ainsi que des leviers nécessaires pour réaliser une programmation nationale cohérente des investissements dans le secteur public. C'est une spirale du déclin, alors que les besoins sont immenses !

Au contraire, l'État doit se libérer des contraintes de la rigueur budgétaire drastique imposée par la Commission. Il faut lui donner des moyens supplémentaires en taxant plus justement la spéculation financière et les profits. La France, pays riche, a les ressources pour mener à bien sa mission de cohésion sociale, d'aménagement du territoire et de service public.

Ce texte est un miroir aux alouettes car, si les collectivités sont dispensées de l'investissement initial, elles acquitteront une forme de loyer au profit du cocontractant privé, et le procédé qui consiste à faire passer des dépenses d'investissement en dépenses de fonctionnement grèvera durablement le budget des collectivités.

Pernicieux, le système des contrats de partenariat n'a pas non plus fait ses preuves. L'expérience britannique du métro londonien incite à la plus grande prudence. Pour peu que l'opération ne soit pas jugée assez rentable par les actionnaires, le risque est grand que la structure privée soit mise en faillite. Pouvoirs publics et contribuables paieront alors la facture : est-ce une bonne conception du partage des risques ? La fédération européenne des services publics se montre également très critique à l'égard des PPP.

En France, le rapport de la Cour des comptes a pointé plusieurs exemples où la conclusion de contrats de partenariat s'est révélée plus coûteuse pour la collectivité qu'une autre solution. Je vous rappellerai aussi l'expérience des marchés d'entreprise et de travaux publics et ses graves dérives, comme l'affaire des lycées d'Ile-de-France.

Dans le secteur des transports terrestres, le rapport de la mission sur les infrastructures a indiqué que « la voie des PPP ne saurait en aucun cas constituer une solution miracle au problème du financement des infrastructures de transport. En effet, ce secteur n'est sans doute pas le plus approprié à une large utilisation des partenariats avec le secteur privé. La preuve en est donnée non seulement par les difficultés rencontrées par certains projets français comme le tram-train de Mulhouse, mais aussi par l'exemple du Royaume-Uni où l'utilisation très fréquente de ce type de contrat n'a finalement laissé qu'une part très faible aux infrastructures de transport avec 8 % des projets, très loin derrière le secteur de la santé, des prisons ou de la défense ».

Afin de développer le recours aux PPP, ce projet de loi offre aux contrats de partenariat les avantages fiscaux des marchés publics, notamment par l'octroi de subventions prévues par la loi relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'oeuvre privée (loi MOP). Le parallélisme, toutefois, n'est pas total.

Les collectivités locales souhaitent depuis longtemps pouvoir recourir à une procédure négociée pour les marchés publics. Cette nouvelle souplesse contractuelle est assortie d'un allégement de la législation pénale. Or nous connaissons les risques de dérives, ententes, favoritisme...

Celles qui sont dotées de faibles moyens devront faire appel à la mission d'appui à la réalisation des contrats de partenariat rattachée au ministère, dont le barreau des avocats de Paris avait contesté dans un recours les compétences exorbitantes. L'opacité des règles d'attribution dans la commande publique va encore s'accroître...

Ce texte ne résoudra pas les difficultés que rencontrent les collectivités locales. Sans être hostiles par principe au recours à l'investissement privé, nous rejetons l'utilisation systématique et idéologique du contrat de partenariat, que vous dotez d'un régime fiscal particulièrement avantageux.

Ce contrat concerne tous les corps de métiers, du banquier à l'entreprise d'entretien. Seuls les géants du BTP pourront répondre à ces appels d'offre ! Les architectes ne seront plus que de simples sous-traitants. Le principe de la dualité entre maîtrise d'ouvrage public et construction posé par la loi MOP reconnaît pourtant la spécificité des enjeux liés à l'urbanisme...

Les PME seront vouées à devenir de simples sous-traitantes des groupes privés monopolistiques. Le rapport de forces est inversé : c'est l'offre qui fait la demande. L'article 10 de l'ordonnance autorise ainsi les cocontractants à solliciter eux-mêmes un contrat de partenariat « clé en main ».

Quid des projets non rentables qui n'intéresseront pas le secteur privé ? L'aménagement du territoire doit-il être guidé par les seuls intérêts financiers des grands groupes ? L'appel aux capitaux privés a pour corollaire la rémunération des fonds investis, qui passe notamment par l'utilisation du domaine public à des fins commerciales. Des baux privés pourront être conclus pour 99 ans et comprendre des autorisations de construction. Les mauvais choix seront donc presque irréversibles. Les infrastructures rentables seront confiées au secteur privé, les autres au secteur public : selon la formule habituelle, on privatise les gains et l'on socialise les pertes.

Rien n'empêche le partenaire privé de « tirer bénéfice de l'exploitation d'autres besoins que ceux de la personne publique du domaine, des ouvrages ou des équipements dont il a la charge. » Selon l'article premier, il pourra recevoir mandat pour encaisser, au nom et pour le compte de la personne publique, le paiement par l'usager final de prestations revenant à cette dernière, c'est-à-dire exécuter le service public avec son propre personnel ! On peut s'interroger sur l'avenir de la fonction publique ! Quelle sera la qualité du service rendu par une société privée ? La meilleure productivité du secteur privé est loin d'être démontrée : pour preuve, les dérives constatées en matière de gestion privée de l'eau...

Le développement de ce type de contrat ne permettra pas de répondre aux immenses besoins de financement de l'économie. La réalisation d'infrastructures d'intérêt général doit être prévue sur le long terme et dégagée des aléas des marchés financiers. Seule une action forte de l'État est en mesure de répondre aux besoins d'équipements publics. Si les délégations de service public ou les marchés publics peuvent avoir un intérêt, le privé n'a pas à prendre l'initiative de l'investissement public. L'aménagement du territoire et le service public relèvent de la puissance publique, incarnation de l'intérêt général. Notre groupe ne pourra voter ce texte en l'état. (Applaudissements à gauche)

M. François Fortassin.  - Mon département a engagé depuis une dizaine d'années un système précurseur du partenariat public-privé en matière de travaux publics. Je ne suis donc pas hostile par principe à ce texte, mais il suscite quelques réserves.

Les collectivités représentent 73 % de l'investissement public, mais il y a beaucoup de retards dans la réalisation des projets. Les contrats de partenariat, créés par l'ordonnance du 17 juin 2004, autorisent la personne publique à rémunérer un partenaire privé chargé de financer, de réaliser, de gérer et d'exploiter une infrastructure nécessaire au service public. Les avantages sont certains : souplesse accrue, rapidité de la réalisation, économies, puisqu'il n'est plus nécessaire de recourir à de coûteux bureaux d'études, absence de risque pour les organismes bancaires, les remboursements étant assurés au bout du compte par la personne publique.

Restent les inconvénients. La généralisation des partenariats public-privé contrevient à trois principes de valeur constitutionnelle : l'égalité devant la commande publique, la protection de la propriété publique et le bon usage des deniers publics. On assiste en outre à une privatisation larvée. Ainsi les Toss, transférés aux départements et aux régions, disparaîtront progressivement avec la multiplication des partenariats public-privé.

Ces contrats, de plus, seront de facto réservés aux grands groupes : on risque de voir disparaître de nombreuses PME, indispensables à l'économie locale. Qu'adviendra-t-il si une entreprise vient à « fondre les plombs », si je puis dire, au cours de l'exécution du contrat ? Sur ce sujet, la prudence de nos rapporteurs tranche avec l'enthousiasme de Mme la ministre... Enfin, les collectivités seront encouragées à entreprendre des investissements sans disposer des crédits nécessaires : ces traites sur l'avenir se traduiront in fine par un surcoût.

Je me méfie du modèle anglo-saxon, qui est radicalement opposé à la logique du service public français auquel nous sommes tous attachés. Enfin, une simplification serait bienvenue : les contrats doivent être compréhensibles par les contribuables !

Pas de précipitation, pas de généralisation ! Une grande partie des investissements réalisés par les collectivités territoriales ne sont pas rentables ; pour ceux-là, le privé ne sera pas au rendez-vous ! Connaissez-vous beaucoup de piscines privées, de stades privés ?

M. Paul Girod.  - À Lille !

M. Jean-Claude Gaudin.  - Et à Marseille !

M. François Fortassin.  - Ce ne sont pas des réussites. Et combien y a-t-il de stades privés dans des villes de 2 000 ou 3 000 habitants ?

Vous engagez en outre, de cette manière, une baisse du nombre fonctionnaires qui ne dit pas son nom : vous êtes dans votre logique, mais il faut aller au bout de la vérité, madame la ministre. (Applaudissements à gauche et sur certains bancs à droite et au centre)

La séance, suspendue à 17 h 30, reprend à 17 h 35.

présidence de M. Christian Poncelet

Débat sur la situation en Afghanistan

M. le président.  - L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement sur la situation en Afghanistan. Au nom du Sénat tout entier, je vous remercie, monsieur le Premier ministre, de venir devant nous afin que nous débattions, au même titre que les députés et peu de temps après eux, sur cette question si importante : l'envoi de troupes supplémentaires en Afghanistan. Après avoir consulté les groupes politiques, j'ai réuni en urgence la Conférence des Présidents afin d'organiser ce débat. Les modalités en ont été communiquées à tous immédiatement.

Tous les groupes s'exprimeront, chacun pourra, ainsi, faire part à notre Assemblée de son sentiment.

M. Jean-Louis Carrère.  - Chacun ?

M. le président.  - Puis le Gouvernement répondra aux orateurs par la voix du ministre des affaires étrangères et européennes et du ministre de la défense.

M. François Fillon, Premier ministre.  - Nous avons tous en mémoire les attentats du 11 septembre 2001. Le monde découvrait avec effroi la violence du terrorisme de masse. Un défi sanglant et morbide était lancé à toute la communauté internationale. La source de ces attentats se situait en Afghanistan, avec le soutien du régime obscurantiste des talibans. Dès l'automne 2001, six résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies vinrent préciser le cadre dans lequel devait s'inscrire la réponse des nations : résolution 1368 ouvrant le droit à la légitime défense, résolution 1373 appelant à la collaboration de tous les États contre le terrorisme, résolution 1378 définissant un cadre pour l'avenir démocratique de l'Afghanistan, résolution 1386 créant la Force internationale d'assistance à sécurité (Fias). Le mandat de la Fias a été renouvelé chaque année et étendu progressivement à l'ensemble de l'Afghanistan. Le 7 octobre 2001, les États-Unis engageaient les opérations militaires, épaulés notamment par la France qui avait ouvert son espace aérien, noué une coopération navale, apporté son appui en matière de renseignement.

En octobre 2001, Lionel Jospin, alors Premier ministre, exposait au Parlement la position française après le 11 septembre ; en novembre, il lui précisait les termes de l'engagement de la France en Afghanistan. Le Président de la République a souhaité que la représentation nationale soit informée de la politique de la France en Afghanistan...

M. Jean-Louis Carrère.  - Un peu tard !

M. François Fillon, Premier ministre.  - ...afin d'éclairer des décisions qui ne sont pas encore arrêtées. (Murmures à gauche)

Du reste, tout au long de la Ve République -contrairement à ce que certains laissent entendre-, le Parlement a été régulièrement informé des opérations militaires. Mais il ne partage pas la responsabilité de l'engagement des forces : la Constitution de 1958 ne le prescrit pas. L'article 35 relatif à la déclaration de guerre est tombé en désuétude, parce que les formes de la guerre aujourd'hui ont changé. L'engagement des forces militaires est du ressort du pouvoir exécutif, et notamment du Président de la République, chef des armées. Cela n'exclut pas l'information et je souhaite que le débat soit utilisé de manière plus systématique. (M. Carrère ironise) Du reste, la politique étrangère et de défense revêt un caractère consensuel depuis plusieurs décennies. Depuis les années 80, les grands engagements stratégiques et militaires de la France ont tous été conclus dans un esprit d'union nationale.

Le Parlement a été informé sur l'opération de Kolwezi en 1978, comme sur l'intervention au Tchad en 1983 -mais pas en 1984. L'intervention au Kosovo, en mars 1999, a donné lieu à un débat sans vote deux jours après le début des bombardements. En 2006, un débat s'est tenu deux mois après le vote de la résolution créant la Finul Il. Enfin, la participation de la France aux opérations militaires en Afghanistan, à partir de décembre 2001, a fait l'objet d'un débat sans vote.

Seul l'engagement militaire lors de la première guerre du Golfe a été soumis au vote selon la procédure de l'article 49-1 pour l'Assemblée nationale, et 49-4 pour le Sénat. C'est que cette action massive était analogue à une entrée en guerre contre un État souverain qui avait envahi son voisin. Personne ne saurait confondre le cas présent avec cet événement ! Lors de la guerre du Golfe, le vote s'est tenu quelques heures seulement avant le déclenchement des hostilités, alors que le dispositif Daguet était déjà installé depuis plusieurs mois. Certains d'entre vous ont un souvenir très vif de ce débat. J'avoue que ce n'est pas mon cas, puisque je me trouvais auprès des forces françaises en Arabie saoudite...

Aujourd'hui, une partie de l'opposition souhaite un vote. Je lui fais la même réponse que Lionel Jospin en octobre 2001 à Alain Bocquet qui en réclamait un, à l'Assemblée nationale : « Nous ne pouvons pas faire appel à l'article 35, qui prévoit la déclaration de guerre, car ce n'est pas de cela qu'il s'agit. (...) On peut toujours utiliser l'article 49-1, mais celui-ci suppose un vote de confiance. (...) Ce n'est pas un article prévu pour l'engagement de la France dans ce genre d'opérations. » (Approbation sur les bancs UMP)

Il s'agit ici d'une opération de maintien de la paix, comme nous en conduisons en Côte d'Ivoire, au Liban ou au Kosovo, et un vote ne serait pas adapté à la situation. (Applaudissements à droite) Cinquante ans après la création de la Ve République, cependant, nous vous proposerons de renforcer le rôle du Parlement...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Nous ne croyons pas à votre bonne volonté !

M. François Fillon, Premier ministre.  - Le Parlement sera tenu informé dans les meilleurs délais de l'envoi de nos forces sur des théâtres d'opérations extérieurs.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Bien sûr !

M. François Fillon, Premier ministre.  - II autorisera la prolongation éventuelle de cette présence au-delà de six mois. Les deux assemblées auront aussi le pouvoir de voter des résolutions, y compris sur des sujets de politique étrangère. Je ne doute pas que ces dispositions feront l'unanimité sur vos bancs ! (Applaudissements à droite)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - C'est un leurre.

M. François Fillon, Premier ministre.  - Nous sommes en Afghanistan depuis décembre 2001...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Six ans !

M. François Fillon, Premier ministre.  - Il s'agit donc de prolonger un effort engagé de longue date. Nous avons sur place 2 300 hommes, dont 1 700 soldats dans la force internationale -sur 61 000 hommes, ce qui nous place au septième rang des nations contributrices de troupes, loin derrière la Grande-Bretagne, 8 600 hommes, l'Allemagne, 3 500, l'Italie, 2 400, les Pays-Bas, 2 000... Installés autour de Kaboul, les soldats français remplissent des actions de sécurisation ainsi que des missions d'encadrement des troupes afghanes en opération.

Ils sont engagés dans des actions de combat. Six Rafale et Mirage 2000 participent au dispositif allié de protection des troupes. Ces avions sont appuyés depuis les pays voisins par des moyens de transport et de ravitaillement en vol. Enfin, une force navale française opère depuis l'Océan Indien dans le cadre de l'opération Liberté immuable.

Depuis plus de six ans, nos soldats contribuent donc à la sécurisation de l'Afghanistan.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Pour quel bilan ?

M. François Fillon, Premier ministre.  - J'ai une pensée particulière, empreinte de gravité et de considération, pour ceux qui, là-bas, risquent leur vie. À ce jour, quatorze de nos soldats sont tombés en Afghanistan. Tombés pour une idée de la dignité humaine à laquelle le peuple afghan aspire. Tombés pour qu'il n'y ait plus de 11 septembre. Tombés pour rendre ce monde plus sûr. Je sais que votre assemblée soutient nos forces armées et qu'elle ne les oublie pas. (Applaudissements à droite, au centre et sur certains bancs à gauche)

L'Afghanistan ne doit jamais redevenir le foyer du terrorisme. Ce pays encore vulnérable est un carrefour stratégique où voisinent une Asie centrale qui cherche sa voie, un Iran qui biaise avec les règles de la communauté internationale, une démocratie indienne qui lutte contre la menace d'attentats, un Pakistan qui, possédant l'arme nucléaire, est sous la pression des fondamentalistes.

En 2001, l'Afghanistan était une dictature médiévale, un foyer de violence, une base arrière du terrorisme international. Al Qaïda y avait implanté ses camps d'entraînement. Des extrémistes, illuminés par une vision dévoyée de l'islam, y trouvaient accueil et soutien. Sa population était soumise au joug de fer des talibans : abolition des droits fondamentaux ; oppression de la femme, intolérance érigée en doctrine de gouvernement ; interdiction de la musique, du théâtre, de la télévision...

M. Hervé Morin, ministre de la défense.  - Et des cerfs-volants !

M. François Fillon, Premier ministre.  - ...destruction des bouddhas de Bamiyan ; lapidation publique des condamnés. L'Afghanistan d'avant 2001, c'était quinze millions de femmes sans visage, interdites d'école, privées de soins ; c'était trente millions d'Afghans ployant sous le régime du fanatisme et de la haine.

Depuis 2001, les efforts de la communauté internationale, des autorités locales et du peuple afghan ont commencé à porter leurs fruits. L'Afghanistan possède désormais des institutions démocratiques. Les femmes y jouissent de droits similaires à ceux des hommes. Le nombre d'enfants scolarisés est passé de 900 000 en 2001 à 6,4 millions. A Kaboul, désormais cinq universités comprenant quatorze facultés accueillent 10 000 étudiants. La mortalité infantile a baissé de 26 % et 80 % de la population ont accès aux soins contre 8 % en 2001. En matière d'infrastructures, 4 000 km de routes ont été construits ; plus d'un millier de projets de développement sont conduits par les pays de l'Otan. La croissance de l'économie atteint un rythme de 13 %. (Exclamations à gauche)

L'Union européenne a engagé 3,7 milliards pour la période 2002-2006 et 600 millions ont été annoncés par la Commission pour la période 2007-2010. Ces fonds vont principalement à l'amélioration de l'État de droit, à la réforme des services publics et aux infrastructures. À la demande du président Karzaï, la France organisera à Paris, en juin, une grande conférence, destinée à accroître la mobilisation de la communauté internationale.

L'armée afghane compte désormais 50 000 hommes et bientôt 80 000 et la France prend une part active à sa formation. L'Union européenne et les États-Unis travaillent à la mise en place d'une police moderne déjà dotée de 75 000 hommes. Grâce à quoi, 70 % des incidents sont aujourd'hui cantonnés à 10 % du territoire.

Tous ces progrès sont encore insuffisants et fragiles. Ils réclament de notre part de la persévérance, un renouvellement de la stratégie commune, pour amplifier la sécurisation du pays, approfondir son développement économique et social, accélérer le plein exercice de la souveraineté nationale par les autorités afghanes.

Tels sont les objectifs que le Président de la République fera valoir demain, à Bucarest. Il l'a dit devant le parlement britannique : la France a proposé à ses alliés de l'Alliance atlantique une stratégie pour permettre au peuple afghan et à son gouvernement légitime de construire la paix. Si ses conditions sont acceptées, elle proposera lors du sommet de Bucarest de renforcer sa présence militaire. Voilà pourquoi les modalités de cet effort ne sont pas encore arrêtées.

Le 18 février, le chef de l'État a écrit à ses homologues de l'Otan pour leur indiquer ces conditions : confirmation par les alliés de leur détermination à maintenir leur effort dans la durée ; adoption d'une stratégie politique partagée ; meilleure coordination des efforts civils et militaires sur le terrain ; accroissement de l'effort de formation au profit des forces de sécurité afghanes. Cela doit permettre une « afghanisation » de la sécurité du pays, c'est-à-dire la prise en charge par les Afghans eux-mêmes de leur propre sécurité ; rien ne nous paraît plus important que cette afghanisation, qui dessine à moyen terme l'autonomie de l'État afghan et notre retrait.

Ces conditions seront débattues demain, et le Président de la République précisera notre engagement au regard de vos analyses et au vu des conclusions du sommet. Celui-ci devra tenir compte de notre dispositif sur place, des réalités du terrain et des réponses de nos partenaires à nos questions. Nos forces armées peuvent être amenées à s'investir davantage dans les échelons de commandement, en particulier à Kaboul, dans la formation de l'armée afghane, dans les unités réparties sur le territoire pour assurer la sécurité des populations et garantir les progrès de la reconstruction. Ses effectifs pourraient être de l'ordre de quelques centaines de soldats supplémentaires.

Trois voies se dessinent. Retirer nos troupes, et donner ainsi le signe que nous n'assumons plus nos responsabilités vis-à-vis de l'ONU et que nous rompons la solidarité qui nous unit à nos plus fidèles alliés, dont plusieurs s'apprêtent à accroître leurs effectifs ; le sort de l'Afghanistan nous deviendrait indifférent. Choisir le statu quo, et c'est l'enlisement de nos objectifs et l'impuissance de la France à peser sur la stratégie de la communauté internationale. Accentuer nos efforts dans le cadre des conditions que nous avons posées : alors nous amplifions les chances de la paix.

La paix de l'Afghanistan conditionne une part de notre sécurité, et donc de notre liberté. C'est un combat difficile, mais juste. (Applaudissements prolongés à droite et au centre)

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères.  - (Applaudissements sur les bancs UMP) Je voudrais tout d'abord me féliciter que, par anticipation de la réforme constitutionnelle que nous aurons prochainement à étudier, le Gouvernement ait proposé ce débat sur l'engagement de nos forces armées en Afghanistan. Il nous avait été refusé en 2001. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Jean-Louis Carrère.  - C'est le président Chirac qui l'avait refusé !

M. Josselin de Rohan, président de la commission.  - La permanence de cet engagement et son renforcement avaient été annoncés par le Président de la République dans son allocution à la conférence des ambassadeurs le 27 août dernier. II y avait affirmé que « notre devoir, celui de l'Alliance atlantique, est aussi d'accentuer nos efforts en Afghanistan ».

En répondant à l'appel de nos alliés canadiens et américains, nous poursuivons l'action que nous menons depuis plusieurs années pour combattre un terrorisme fanatique qui menace nos intérêts vitaux et pour permettre au peuple afghan et à son gouvernement légitime d'établir une paix durable sur son territoire et de construire un État capable d'assurer la sécurité et le développement de ses habitants.

Nous entendons, depuis quelques jours, d'assez étranges déclarations. Pour d'aucuns, les forces de l'Otan seraient une armée d'occupation. C'est oublier qu'elles sont présentes sur le sol afghan en vertu d'un mandat des Nations Unies et qu'elles n'ont d'autre but que de rendre à l'Afghanistan sa stabilité, sa souveraineté et son intégrité. En aucun cas d'y instaurer un protectorat. Pour d'autres, il ne s'agirait que de rechercher les bonnes grâces des États-Unis et de s'aligner sur leur politique. Nous sommes librement en Afghanistan, nous pouvons retirer nos troupes à tout moment, c'est d'ailleurs ce que nous avons fait l'an dernier pour nos forces spéciales. La situation exige aujourd'hui que nous renforcions notre dispositif, mais nous n'envoyons pas un corps expéditionnaire dans ce pays. Sur le terrain, nos soldats, auxquels je rends hommage, exercent leur mission avec un courage et un professionnalisme reconnus de tous. Ils ont droit à notre soutien et à notre reconnaissance.

Pour autant, la situation en Afghanistan nous conduit à nous interroger sur un certain nombre de points. Nous nous interrogeons tout d'abord sur la capacité du gouvernement Karzaï d'assumer ses responsabilités et d'affirmer son autorité. La corruption est endémique, la lutte contre le trafic de drogue rendue inefficace par l'implication directe de certains responsables de haut rang, la réforme de l'État, en particulier du secteur de la justice, semble en panne.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Tout était parfait, pourtant...

M. Josselin de Rohan, président de la commission.  - Nous nous interrogeons sur l'engagement de certains de nos alliés à maintenir leur effort à moyen terme et sur les raisons qui conduisent d'autres pays à refuser toute participation à la lutte commune. Nous mettons en doute la capacité de l'Otan à assurer la sécurité de l'État et des populations, alors que l'insurrection des talibans paraît progresser et que l'autorité du Gouvernement ne s'étend que de manière imparfaite aux régions dominées par les seigneurs de la guerre.

M. Robert Bret.  - L'accord n'est donc pas total...

M. Josselin de Rohan, président de la commission.  - Le gouvernement central, miné par la corruption, le népotisme et le favoritisme ethnique, les échecs en matière de réconciliation, de reconstruction et de développement économique, semble avoir perdu la confiance de larges couches de la population. De quoi l'avenir sera-t-il fait, alors que les élections générales et présidentielle doivent se tenir en 2009 et que la politique intérieure afghane se caractérise par un rééquilibrage des forces politiques ?

Quelle est l'efficacité de l'aide à la reconstruction de ce pays ? La prochaine conférence de Paris devra examiner les problèmes de l'aide liée qui représente 57 % du total, du coût des intermédiaires qui absorbent plus de la moitié de l'aide, des moyens d'augmenter les aides budgétaires, et lancer le débat sur la capacité des élites afghanes à participer à la reconstruction et au développement de leur pays.

Ces interrogations et ces incertitudes sont celles de toute la communauté internationale, comme en témoigne la résolution 1806, adoptée le 20 mars dernier par le Conseil de sécurité des Nations Unies. Elles ne doivent cependant pas masquer d'indéniables succès dont le premier est sans discussion la chute du régime des talibans en 2001, qui a privé Al Qaïda de sa base territoriale sanctuarisée.

L'action internationale a permis le retour de sept millions de réfugiés, la scolarisation de six millions d'enfants, la mise en place d'institutions nationales telles les deux chambres du Parlement, dont nous sommes les partenaires depuis 2006. Aux dires du Secrétaire général de l'Otan, 72 % des incidents ont lieu sur 10 % du territoire où habitent 6 % de la population.

M. Michel Dreyfus-Schmidt.  - Vous croyez au Père Noël !

M. Josselin de Rohan.  - Il reste cependant un long chemin à parcourir pour que la situation se normalise. Le retour à la sécurité passe par la poursuite et le renforcement de l'engagement militaire, pour mettre au pas les bandes armées qui tentent, souvent avec un appui extérieur, d'imposer leur loi. Tant que l'armée afghane n'est pas capable de maintenir l'ordre, la présence des forces de la coalition est indispensable.

La paix ne sera pas acquise par le seul recours aux armes. C'est pourquoi le Président de la République a mis quatre préalables au renforcement de nos effectifs : l'affirmation d'une commune détermination des alliés à rester engagés dans la durée, ce qui semble faire aujourd'hui l'objet d'un consensus ; la mise en oeuvre d'une politique globale et coordonnée visant à un règlement du conflit sous l'égide des Nations unies ; la perspective d'un transfert des responsabilités, à tous les niveaux, aux Afghans eux-mêmes, ce qui nécessite une plus grande implication des structures locales de telle sorte que les Alliés puissent se concentrer dans les zones les plus difficiles, notamment le sud du pays ; enfin l'adoption d'une stratégie politique partagée. La sécurité passe en effet par le soutien à la politique de réconciliation du président Karzaï et par des efforts diplomatiques pour réduire les tensions avec le Pakistan. A cet égard, la constitution du nouveau gouvernement pakistanais permet d'espérer une ouverture et un rapprochement ; le Pakistan doit renoncer à une politique ambiguë qui allie lutte contre certaines tribus islamistes et absence d'intervention dans des zones qui servent de refuge aux responsables d'Al Qaïda. La déclaration commune qui doit être adoptée à Bucarest reprend ces quatre préalables.

Ceux qui nous annoncent un nouveau Vietnam, qui s'opposent avec véhémence à l'envoi de contingents français, ceux qui préconisent le retrait de toutes les forces alliées ont-ils réfléchi aux conséquences d'un retour des talibans ? Se souviennent-ils que sous leur joug, les Afghans ne pouvaient pas écouter de musique, voir des films, lire des ouvrages profanes, professer une quelconque opinion politique ? Ont-ils en mémoire le spectacle de ces femmes lapidées pour adultère supposé dans le principal stade de Kaboul ? Nous avons été les témoins, Mme Gisèle Gautier, M. Boulaud et moi-même, du vandalisme culturel qui a conduit à la destruction des magnifiques bouddhas de Bamiyan ! Se souviennent-ils de la régression économique, culturelle, sociale sans précédent que les talibans ont imposé au peuple afghan ? Veulent-ils laisser les assassins d'Al Qaïda retrouver les bases d'où ils prépareront de nouveaux attentats ? Ont-ils oublié le sacrifice de ceux qui, comme le commandant Massoud, ont lutté avec courage contre l'envahisseur soviétique, puis contre la tyrannie des talibans ?

Parce que nous voulons que l'Afghanistan, qui n'a jamais été dompté, demeure libre, parce qu'un Afghanistan indépendant et pacifié est indispensable à l'équilibre de l'Asie, nous approuvons la présence française dans ce pays, étant entendu qu'il faut tout mettre en oeuvre pour parvenir à une solution politique. Ce conflit n'a que trop duré. (Applaudissements à droite et sur quelques bancs au centre)

M. Didier Boulaud.  - (Applaudissements sur les bancs socialistes et sur quelques bancs CRC) Il y a d'abord la forme. Le Gouvernement a, dans un premier temps, refusé tout débat ; or l'isolement de l'exécutif n'est jamais bon signe dès qu'il s'agit d'engagement militaire. Le Président de la République déclarait lors de la campagne présidentielle que si l'envoi de troupes françaises en Afghanistan était utile dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, leur présence à long terme n'était pas décisive. Aujourd'hui, il fait volte-face (mouvements divers à droite) ; qu'il l'ait fait à l'étranger est de plus une faute. (On se récrie à droite)

Deux petites heures de débat, vingt minutes pour l'opposition, pas de vote : voilà ce à quoi nous sommes invités aujourd'hui. M. Jospin, malgré vos affirmations, était venu devant le Parlement avec une déclaration solennelle...

M. Josselin de Rohan, président de la commission.  - Pas ici !

M. Didier Boulaud.  - C'est seulement la cohabitation qui avait fait obstacle au vote. (Applaudissements à gauche ; vives protestations à droite où l'on juge le propos ridicule)

M. François Fillon, Premier ministre.  - C'est faux, absolument faux !

M. Didier Boulaud.  - En Afghanistan, il y a une guerre ; le Président de la République pourrait, comme l'a fait François Mitterrand en 1991, demander un vote du Parlement. Nous aurions pu éviter les polémiques inutiles...

M. Dominique Braye.  - Avec vous, c'est impossible !

M. Didier Boulaud.  - ...si la fonction de contrôle du Parlement avait été respectée. Le 25 mars dernier, le ministre des affaires étrangères nous indiquait que « la nature du renforcement des troupes françaises n'était pas encore décidée mais qu'elle serait très certainement précisée lors du prochain sommet de l'Otan, qui se tiendra du 2 au 4 avril à Bucarest, et de la Conférence des donateurs le 12 juin prochain ». Or c'est le lendemain que le président Sarkozy a prononcé son désormais célèbre discours de Westminster, en annonçant au Parlement britannique ce que son ministre avait caché au Parlement français. La méthode est détestable. (Applaudissements à gauche)

Le débat de ce jour, sur une question dont la gravité n'échappe à personne, est une gageure. C'est surtout un manque de respect à l'égard des hommes et des femmes qui pourraient aller, au péril de leur vie, défier les dangers de la situation afghane. (Applaudissements à gauche, protestations à droite)

M. François Fillon, Premier ministre.  - C'est honteux !

M. Didier Boulaud.  - Et puis il y a le fond. Pourquoi une telle décision, pourquoi maintenant ? Et au service de quelle stratégie ? Les États-Unis et l'Otan souhaitent, depuis 2005, un accroissement de la présence militaire française ; les gouvernements successifs de la droite ont tergiversé, concédé un peu, sans accorder ce qui leur était demandé. Qu'est-ce qui a changé ? Y-a-t-il un lien entre cette décision et la tentation de réintégrer notre pays dans la structure militaire de l'Otan ?

M. Robert Bret.  - Oui !

M. Didier Boulaud.  - Cette décision découle-t-elle de la situation militaire ? Ou s'agit-il, au-delà du dossier afghan, d'un alignement croissant sur la politique unilatéraliste du président Bush ? Si tel est le cas, vous faites fausse route !

Avant tout envoi de troupes supplémentaires, nous devrions avoir droit à un bilan complet de la situation en Afghanistan depuis 2005, une situation qui nous incite à ne pas poursuivre des stratégies qui ont montré leurs limites. Ce débat ne peut tenir lieu de réflexion stratégique, notamment sur les modalités d'une implication croissante, politique et militaire, des Afghans.

Si l'on en croit les ministres du Gouvernement, cette réflexion aura lieu à Bucarest et lors de la Conférence des donateurs : c'est mettre la charrue avant les boeufs, puisque le Président a déjà annoncé que la France renforcera sa présence militaire. Le ministre de la défense a expliqué que des préalables avaient été définis par le Président de la République. De quoi s'agit-il ? De notre place au sein de l'Alliance atlantique ? De la réintégration au sein de la structure militaire de l'Otan ? De la place et du rôle de la défense européenne ? S'agit-il de préalables ou de conditions ? Ou est-ce l'habillage d'un alignement croissant derrière le leadership nord-américain ?

Le récent voyage du Président en Grande-Bretagne laisse augurer une nouvelle politique étrangère, plus atlantiste, au détriment de notre partenariat historique avec l'Allemagne. La vision qu'a la majorité de l'avenir de l'Union européenne épouse-t-elle désormais les thèses britanniques ? Allons-nous taire nos différences sur des stratégies qui sont en train de faillir ?

Certes, la communauté internationale doit encore honorer ses engagements envers la sécurité et la stabilité futures de l'Afghanistan. La situation n'incite pas à l'optimisme, car la stratégie de guerre au terrorisme chère à George Bush est un échec : les militaires ne parviennent pas à contenir une insurrection islamiste qui contrôle à nouveau une bonne partie du pays. Les objectifs de 2001 sont loin d'être atteints. Le conflit en Irak s'est aggravé, la paix au Proche-Orient et la création d'un État palestinien sont ajournées sine die ; la seule préoccupation du gouvernement français est-elle de répondre aux exigences américaines ? L'engagement extérieur doit avoir une cohérence européenne ; une concertation s'impose d'urgence au sein de l'Union.

Bien entendu, nous exprimons notre plein soutien aux forces européennes sous commandement de l'Otan déployées en Afghanistan. Dans la lutte contre le terrorisme, la France a montré sa disponibilité et sa volonté sans faille. Mais cette lutte doit être menée en tirant les leçons des erreurs commises. Notre autonomie de décision est à ce prix et doit être garantie.

La France a déployé 1 600 soldats sur le sol afghan, 2 200 si l'on compte les unités présentes dans les pays voisins et l'océan Indien. Dans la situation actuelle, toute présence supplémentaire serait une erreur. La politique menée sous influence américaine est un échec. Nous réclamons, alors que l'enlisement dans le bourbier afghan devient réalité, le maximum de garanties pour nos soldats, au courage desquels il faut rendre hommage. En étroite concertation avec les forces de la communauté internationale, sans soumission ni alignement sur des politiques qui ont failli, nous devons reconsidérer l'action menée en Afghanistan et revoir toute la stratégie politique et militaire.

Quelle est la situation en Afghanistan après six années de guerre -une guerre et non, comme je l'ai encore entendu ce matin, une opération de sécurité ? Selon la presse internationale, « le président Karzaï va faire appel aux milices pour rétablir la sécurité en Afghanistan. L'armée nationale afghane ne compte en effet que 30 000 hommes, au lieu des 86 000 prévus fin 2007 ». Ces milices avaient été démantelées en 2003 : quel aveu d'échec ! Le terrorisme taliban ne cesse d'augmenter depuis 2005.

Cette situation a un coût énorme en vies humaines et aussi un coût économique. Les États-Unis, qui s'emploient à conserver la maîtrise politique et stratégique du processus, veulent, en revanche, en partager le fardeau économique avec leurs alliés et la communauté internationale.

Cette guerre asymétrique oppose les meilleurs matériels, des techniques ultrasophistiquées et des budgets colossaux à des combattants décidés, mais à l'armement plus rudimentaire et aux techniques parfois artisanales. Comment mener ce conflit ? On peut également s'interroger sur la confusion entre l'action de l'Isaf-Otan et celle de la coalition « Liberté immuable ». Plantations d'opium et production d'héroïne règlent l'économie du pays ; va-t--on les combattre avec des moyens aériens ?

Et peut-on envisager de résoudre le problème afghan sans aborder la question pakistanaise ? Pour assurer la sécurité en Afghanistan, il faut un engagement politique ouvert et franc avec ses voisins, notamment l'Inde et le Pakistan.

La croissance de l'insurrection traduit un échec collectif, puisque six ans après l'éviction des talibans, la communauté internationale peine à fixer un ensemble d'objectifs communs. Les États-Unis, qui exigent un engagement accru de leurs alliés, devraient comprendre que leurs actions unilatérales affaiblissent la volonté des autres.

La crédibilité de l'Otan en Afghanistan dépend aussi de la reconstruction économique et sociale du pays, où la misère constitue le terreau du terrorisme. Une meilleure gouvernance de l'Afghanistan, une coordination accrue des institutions internationales et un plan global de lutte contre le narcotrafic sont des tâches auxquelles la communauté internationale ne peut se soustraire. La France doit apporter sa contribution et utiliser sa présidence de l'Union européenne pour favoriser une prise de conscience en ce sens.

Faut-il combattre les talibans ? Oui ! (Exclamations de soulagement à droite) Faut-il combattre l'extrémisme religieux et politique en Afghanistan ? Oui ! (Mêmes exclamations sur les mêmes bancs) Faut-il soutenir l'essor, fragile et limité, de la démocratie en Afghanistan ? (« Oui ! » à droite) Oui, mais pas avec la méthode actuelle !

La situation en Afghanistan est d'abord une affaire de sécurité collective à l'échelle mondiale, mais la présence internationale ne saurait y être indéfinie. Il faut donc élaborer une politique de rechange donnant à l'ONU un rôle central pour coordonner les efforts internationaux en matière de justice et de gouvernance régionale, avec le soutien des pouvoirs locaux légitimes et dans le respect de la souveraineté afghane. La lutte contre la drogue pourrait également être confiée aux agences des Nations-Unies.

Nous devons veiller à la sécurité du peuple afghan, mais la présence militaire ne peut constituer une stratégie économique, politique et sociale de développement.

Avant de conclure cette brève intervention, je souhaite citer une analyse pertinente, publié sur un blog le 25 mai 2006 : « Laurent Zecchini signe dans Le Monde du 25 mai un article très intéressant sur « l'irakisation » de l'Afghanistan. Après l'attaque qui a fait deux victimes parmi les forces spéciales françaises, l'inquiétude grandit chez les militaires français, qui constatent que les talibans agissent désormais sur deux registres : celui du terrorisme, mais aussi celui de la guérilla avec des méthodes de combat sophistiquées. Ils se sont endurcis au contact des forces occidentales et, loin de baisser les bras, ils redoublent d'activité. Les opérations massives de l'Isaf pour éradiquer la culture du pavot font basculer les paysans dans le camp des talibans. La corruption du gouvernement afghan et de son administration, le jeu trouble des services de renseignements pakistanais contribuent à aggraver la situation militaire.

« L'Histoire nous a enseigné que l'Afghanistan ne peut être soumis. Comment donc obtenir l'adhésion des peuples auxquels nous sommes venus prêter assistance ? Cette question est fondamentale car elle conditionne toute notre réflexion sur l'organisation de notre défense et sur l'architecture d'une défense européenne. »

Monsieur le Premier ministre, puisqu'il s'agit de votre blog (exclamations enthousiastes et applaudissements nourris à gauche), avant d'envoyer d'autres soldats dans le bourbier afghan, tentez de répondre à cette question, qui, une fois n'est pas coutume, pourrait être aussi la nôtre ! (Applaudissements prolongés à gauche)

M. André Dulait.  - (Applaudissements à droite) Les sénateurs du groupe UMP approuvent l'initiative du Président de la République, qui souhaite envoyer des troupes supplémentaires en Afghanistan, parce que l'enjeu est stratégique et parce que la France doit rester aux côtés de ses alliés autant qu'il sera nécessaire pour assurer la stabilité de ce pays. Cette évolution des moyens mis à la disposition du gouvernement afghan, pour qu'il puisse combattre une insurrection durcie et l'essor d'une économie fondée sur le narcotrafic, prolonge la décision prise en 2001, sous le Gouvernement de M. Jospin, après un débat parlementaire.

Vu l'enjeu, le Président de la République a souhaité qu'un débat ouvert se déroule au Parlement, ce dont nous nous félicitons. À l'heure où l'on envisage de renforcer le rôle de la représentation nationale, il est indispensable de l'informer sur ce renforcement qui devrait être officiellement annoncé lors du prochain sommet de l'Otan à Bucarest. Notre débat est d'autant plus opportun que le sommet de l'Alliance portera essentiellement sur la fixation de nouvelles priorités pour la reconstruction économique et démocratique du pays.

Une meilleure coordination des acteurs sur le terrain est indispensable, notamment sous l'égide de l'ONU et de son nouvel envoyé spécial, tout en respectant la souveraineté du gouvernement afghan.

Malgré les réels progrès constatés sur le terrain, les contributions des alliés doivent être accrues. La France inscrit son action dans ce cadre. Elle doit maintenir le lien entre un effort supplémentaire et une approche globale de la situation, notamment en termes de développement. La communauté internationale doit fournir un effort considérable pour éviter l'enlisement. La France doit prendre toute sa part à cette tâche, l'une des plus délicates que notre pays et l'Otan aient jamais entreprises. C'est une contribution essentielle à la sécurité internationale, car tout échec déstabiliserait la région. N'en doutons pas : ce qui se passe dans ce pays est d'une importance mondiale. En effet, malgré la distance qui nous sépare de l'Afghanistan, la fermentation mafieuse et islamiste est un sujet de préoccupation. La gravité des tensions interethniques et interconfessionnelles afghanes dépasse largement le cadre de cet État : l'Afghanistan est devenu l'épicentre terroriste et criminel propageant des idéaux islamistes et une économie fondée sur le trafic de drogue, deux faits qui justifient une coopération dans le cadre de l'Otan et dans celui des opérations menées directement sous autorité américaine.

Nous savons quelles conditions historiques et politiques ont amené l'Afghanistan au sort qui est le sien.

Créée par le Conseil de sécurité de l'ONU, l'Isaf comporte 43 000 hommes. Plus qu'une force des Nations-Unies, c'est une coalition de pays volontaires, avec un chef de file qui assume le commandement. Son extension au sud et à l'est, depuis octobre 2006, se heurte aux violences qui affectent ces secteurs. L'Alliance atlantique veut permettre à l'Afghanistan -après des décennies de conflits, de destruction et de pauvreté- d'avoir un gouvernement représentatif et de jouir de la paix. L'Otan joue un rôle clé dans le « Pacte pour l'Afghanistan », ce plan quinquennal conclu entre le gouvernement afghan et la communauté internationale qui fixe des objectifs de sécurité, de gouvernance et de développement économique.

Depuis le début des opérations, les objectifs sont clairs : éradiquer les talibans et l'extrémisme religieux ; mener une politique de développement social. Dans ce contexte, la décision du Président de la République répond à une réalité du terrain. D'ailleurs, les talibans se sont engagés sur internet « à chasser les forces étrangères en leur infligeant des coups douloureux » ce printemps.

Je rappelle que la mission de l'Otan s'effectue sous mandat de l'ONU. Nous soutenons l'initiative du Président de la République parce que nous sommes résolus à ce que la mission de l'Isaf soit un succès civil et militaire. Ce processus a une légitimité internationale certaine. Avant de le balayer du revers de la main, il faut l'apprécier correctement. L'Isaf n'est pas une force d'occupation et ne le deviendra pas. Elle agit au nom des Nations-Unies, pour la paix et la sécurité internationale. La France ne peut être absente de son action, au risque de voir les talibans reprendre l'avantage, avec les conséquences que l'on imagine pour toute la région.

Nous comptons actuellement plus de 1 500 soldats sur place, les deux tiers à Kaboul. Quelque 300 instructeurs français forment la nouvelle armée, 200 de nos militaires accompagnant les unités afghanes au combat. Nos Rafale et nos Mirage basés à Kandahar apportent un soutien aérien à la coalition internationale. Loin d'être anecdotique, notre présence mérite donc notre profond respect. Au nom du groupe UMP, je rends hommage au dévouement et au courage de nos troupes sur place. (Applaudissements à droite)

Depuis leur renversement fin 2001 par une coalition internationale dirigée par les États-Unis, les talibans mènent une insurrection sanglante, en particulier dans le sud et l'est, qui a fait 8 000 morts en 2007 selon les Nations-Unies.

La hardiesse et la fréquence des attaques-suicide à la bombe, des embuscades et des tirs directs ont augmenté. Le maintien de la sécurité dépend des forces nationales afghanes qui n'ont actuellement ni les effectifs ni les compétences professionnelles requises. L'Afghanistan a donc besoin de la communauté internationale pour assurer sa sécurité, sa stabilité et son développement.

La transition dans ce pays se trouvant soumise à des pressions croissantes sous l'effet de l'insurrection, de la faiblesse de la gouvernance et de l'économie de la drogue, le Gouvernement afghan, avec l'appui de la communauté internationale, doit faire preuve de volonté politique en prenant les mesures nécessaires pour retrouver l'initiative dans chacun de ces domaines et regagner la confiance de la population par des moyens tangibles et concrets.

Les relations avec le Pakistan sont fondamentales pour assurer la sécurité et la prospérité régionales. Il convient donc de définir, au plus vite, une stratégie et des plans de sécurité civils et militaires intégrés et efficaces. Une réponse militaire coordonnée demeure indispensable aujourd'hui pour vaincre les groupes d'insurgés et de terroristes mais, à moyen terme, le succès dépendra de la participation des communautés locales et de l'instauration d'un climat de sécurité durable propice au développement.

N'en doutons pas : seuls, nous ne battrons pas les talibans. La bataille pour la démocratie et le progrès ne sera définitivement gagnée que par le peuple afghan. La formation de l'armée et de la police afghanes et le développement civil de ce pays sont donc une priorité : la France peut et doit jouer un rôle majeur dans sa mise en oeuvre et c'est pourquoi nous approuvons le renforcement du contingent français en Afghanistan. II ne faut pas reculer et nous n'avons pas le droit d'échouer même si tout conflit comporte une part d'incertitude.

Nous attendons de votre part, monsieur le ministre, des précisions sur les modalités, les affectations et le coût d'une telle opération. (Applaudissements à droite tandis qu'on manifeste quelque ironie sur les bancs du CRC)

Mme Michelle Demessine.  - L'annonce faite la semaine dernière par le Président de la République devant le parlement britannique de renforcer de 1 000 hommes le contingent militaire français en Afghanistan...

M. François Fillon, Premier ministre.  - C'est faux !

Mme Michelle Demessine.  - ...a suscité de très nombreuses réactions et une vive émotion dans notre pays. Dans un récent sondage, 68 % de nos compatriotes désapprouvent cette décision. Face à cette situation, Nicolas Sarkozy et votre gouvernement ont été contraints d'accepter, à la demande de tous les groupes parlementaires, ce débat devant la représentation nationale. (M. de Rohan hausse les épaules)

En cédant ainsi de façon complaisante aux pressantes sollicitations des États-Unis, vous portez atteinte à la dignité et à l'autonomie de décision de notre pays. Outre le fait que cette annonce ait été faite à l'étranger avant même que le Parlement n'en soit informé, les raisons qui la motivent et les conséquences qu'elle entraînera n'ont pas été clairement exposées par le Président de la République. Le pays et ses représentants apprennent ainsi, une fois de plus, par les médias, qu'une nouvelle phase de notre engagement est en cours, sans aucune précision sur le cadre général, les missions et le calendrier de l'opération. Il s'agit d'un revirement de la part de celui qui, candidat à l'élection présidentielle, affirmait : « La présence à long terme des troupes françaises à cet endroit du monde ne me semble pas décisive » et qui avait promis de poursuivre la politique de désengagement progressif initiée par son prédécesseur.

Nos concitoyens n'admettent plus aujourd'hui que des décisions qui concernent de façon si symbolique la Nation soient prises sans que leurs représentants n'aient été informés ni consultés. Puisque nos troupes vont une nouvelle fois être dangereusement exposées dans un conflit incertain et ambigu, qui risque d'avoir des conséquences sur la sécurité même de notre territoire, il était inacceptable que nous ne débattions pas de l'opportunité de cette intervention. En acceptant ce débat, vous reconnaissez cet état de fait mais ayez maintenant le courage d'accepter un vote parlementaire, comme l'avait fait François Mitterrand lors de la première guerre du Golfe. Sinon, pourquoi débattre si cette décision est irrévocable ? Avec un vote, chacun serait face à ses responsabilités : en Afghanistan, c'est bien d'une guerre, dans laquelle quatorze de nos soldats ont déjà perdus la vie, qu'il s'agit. Pourquoi envoyer là-bas des troupes supplémentaires qui ne pourront pas répondre à des défis qui les dépassent ?

A l'origine de cette opération, il y eut les attentats du 11 septembre et la décision unilatérale de l'administration Bush de lutter contre quelques groupes combattants dans les montagnes afghanes. Les États-Unis ont d'abord constitué une coalition à géométrie variable pour renverser le régime des talibans à Kaboul. L'Alliance atlantique n'a été sollicitée qu'ensuite, pour prendre le commandement d'une force internationale d'assistance à la sécurité, l'Isaf, mise en place avec la bénédiction des Nations unies après la chute des talibans. C'est dans ce contexte que nous avons rapidement rallié cette force, sans avoir été associés à la définition des objectifs : lutter contre le terrorisme et reconstruire un état en faillite. Où en sommes-nous, sept ans après ? Les talibans sont de retour dans l'est et dans le sud, les troupes de l'Otan s'épuisent à les poursuivre dans les montagnes, alors que la culture de l'opium est plus florissante que jamais et que l'État afghan est corrompu jusqu'au plus haut niveau. La stratégie essentiellement militaire est inadaptée, voire contre-productive. Elle contribue à accroître les tensions et mène tout droit à l'enlisement car elle n'offre aucune perspective de règlement politique et diplomatique de la situation. Comme en Irak, à cause des frustrations et des réactions qu'elle suscite auprès des populations, elle est le terreau sur lequel prospèrent tout ceux qui jouent la politique du pire et spéculent sur l'impuissance de la communauté internationale.

Cet échec militaire annoncé met aussi en évidence le profond déséquilibre entre les dépenses militaires et l'aide à la reconstruction et au développement. Chaque jour, les États-Unis dépensent 100 millions de dollars pour la guerre, quand le total de l'aide internationale à la reconstruction ne dépasse pas 7 millions. C'est pourquoi nous doutons de la pertinence de la stratégie des forces de l'Otan et nous nous interrogeons sur les objectifs visés. Un récent rapport d'une agence regroupant la centaine d'ONG qui travaillent sur place révèle aussi l'ampleur des promesses non tenues en matière d'aide internationale qui est gaspillée, inefficace et mal coordonnée. Sur les 25 milliards de dollars promis, seuls 15 milliards ont été effectivement versés. Notre pays n'est d'ailleurs pas exempt de reproches. Nous allons accueillir une nouvelle conférence des donateurs en juin, mais le montant de notre aide à la reconstruction arrive loin derrière celui de la Grande-Bretagne, de l'Allemagne, de l'Espagne, des Pays-Bas, du Danemark, de la Suède et même de la Finlande.

Bien que nous apprêtions à renforcer notre dispositif militaire, le Président de la République ne semble pas disposé à augmenter notre aide bilatérale. Ce déséquilibre est à comparer avec les 100 à 200 millions d'euros supplémentaires prévus pour cette intervention par le budget des opérations extérieures qui flirte déjà avec le milliard, après le lancement de la mission Eufor au Tchad. Comment allez-vous financer ces surcoûts, monsieur le Premier ministre, quels crédits militaires en feront les frais ?

Enfin, nous n'avons pris en charge aucune des vingt-six équipes provinciales de reconstruction, ces équipes civilo-militaires qui permettent d'atténuer quelque peu les ravages causés par ce conflit.

Pour quelles raisons inavouables annoncer maintenant l'envoi de quelques 1 000 soldats supplémentaires, vraisemblablement dans une province sous commandement américain et dangereusement exposée, alors que la stratégie menée conduit à l'enlisement militaire, qu'elle provoque des dissensions au sein de nos alliés et que la France n'a pas, pour l'instant, obtenu de garantie sur une éventuelle modification de celle-ci ?

Certes, M. le Premier ministre a précisé hier que le Président de la République avait l'intention, demain à Bucarest, de poser trois conditions à l'envoi de nos renforts. Pourtant, annoncer une décision avant même d'obtenir des garanties de nos partenaires n'est pas une façon de procéder digne de notre pays.

M. François Fillon, Premier ministre.  - C'est faux !

Mme Michelle Demessine.  - Bien que l'Otan s'embourbe en Afghanistan, le Président de la République accepte de suivre sans sourciller une stratégie belliqueuse, inefficace et inadaptée. En cédant ainsi aux demandes répétées du commandement militaire de l'Otan et aux pressions des États-Unis, il prouve son alignement atlantiste. Comment ne pas s'indigner d'une telle complaisance dangereuse à l'égard d'une administration finissante et alors même que la politique étrangère américaine pourrait changer dans quelques mois ?

M. Paul Girod.  - C'est vous qui le dites !

Mme Michelle Demessine.  - Renforcer notre dispositif militaire dans ce pays est un gage d'allégeance donné aux États-Unis. C'est aussi une contrepartie à la réintégration de notre pays dans les structures de commandement militaire d'une Alliance atlantique encore largement soumise aux États-Unis. C'est une rupture brutale avec la politique d'indépendance de la France. A la veille du sommet de Bucarest, cette décision semble malheureusement conforme à la volonté des États-Unis de transformer l'Otan en une alliance du monde occidental opposé aux pays émergents, agissant hors du cadre des Nations-Unies et se comportant en gendarme du monde au service de la politique américaine.

Nous présiderons bientôt l'Union européenne et cette réintégration laisse peu de crédibilité à une Europe de la défense réellement autonome. Ces évolutions éclairent d'un jour nouveau ce que nous avions dénoncé lors de la ratification du traité de Lisbonne, quand nous vous interpellions sur le risque de subordination de la politique européenne de défense à l'Otan.

Si vous ramenez notre pays au rang de simple supplétif des États-Unis, le capital de sympathie dont bénéficie, depuis cinquante ans, la France dans le monde sera vite dilapidé.

Les annonces de l'été du Président de la République n'anticipent-elles pas sur la réflexion qui devait conduire à la rédaction d'un livre blanc, et ne traduisent-elles pas une crainte du débat démocratique ? Des changements d'orientation si fondamentaux ne peuvent s'opérer à la suite d'un simple débat, arraché par les parlementaires, sans vote. Comment, monsieur le Premier ministre, pouvez-vous vous déclarer favorable à la proposition émise par le comité Balladur de revaloriser le rôle du Parlement et nous refuser ce vote ? C'est une question de crédibilité !

Nous condamnons fermement le projet de renforcer nos troupes sur le terrain, qui va à l'encontre des objectifs affichés et, loin d'apporter les solutions politique et économique dont a besoin ce pays, aggravera les tensions régionales. Nous condamnons les opérations extérieures sans mandat de l'ONU ; elles sont une atteinte aux valeurs de la charte et au principe du multilatéral, condition sine qua non pour parvenir à un règlement du conflit. Ce n'est que dans le cadre des Nations Unies, et grâce aux garanties apportées par les membres du Conseil de sécurité, que pourra s'engager le processus de reconstruction et de démocratisation. Le Président de la République aurait été mieux inspiré de proposer à nos alliés de l'Otan une réorientation stratégique donnant priorité au processus politique.

M. François Fillon, Premier ministre.  - C'est ce qu'il a fait.

Mme Michelle Demessine.  - C'est la seule voie possible si nous voulons aboutir à une solution conforme aux intérêts de nos peuples. (Applaudissements à gauche)

M. Aymeri de Montesquiou.  - Je voudrais tout d'abord dire combien Mme Goulet et l'ensemble de mon groupe ont milité en faveur de ce débat.

Le 11 septembre 2001, le monde fasciné, effaré, consterné assistait au plus effroyable attentat jamais fomenté et concrétisé. Les États-Unis étaient frappés au coeur. Deux jours auparavant, le Commandant Massoud, chef de l'Alliance du nord avait été assassiné à Khodja Bahauddin, au nord de l'Afghanistan, par deux tueurs commandités par Al Qaïda. La communauté internationale réalisait enfin le danger que représentait le fondamentalisme islamiste, jusqu'alors ignoré avec une surprenante insouciance. Peut-être parce que les Américains y avaient vu, pendant la guerre froide, la meilleure barrière contre le communisme et que cette politique a continué sur son aire comme un lourd tanker ? Ou parce que des stratégies économiques étaient en jeu, que les sociétés américaines Unocal et Delta espéraient acheminer les hydrocarbures d'Asie centrale vers le Pakistan ?

M. Robert Hue.  - Exact !

M. Aymeri de Montesquiou.  - Ou parce que, l'Afghanistan étant lointain, la France prônait une « neutralité active » ? Étonnant aphorisme !

Les États-Unis ne pouvaient laisser l'agression impunie. La corrélation entre les attentats contre le World Trade Center et les talibans apparaissait évidente. Ils exportaient un mal devenu planétaire, que l''ONU décidait enfin d'éradiquer. Le 13 novembre, les troupes américaines, en coordination avec l'Alliance du Nord, balayaient les talibans et occupaient Kaboul. Les Allemands, les Français, les Britanniques, les Hollandais venaient les renforcer. Les forces alliées furent accueillies comme des libérateurs. Six ans après, la situation s'est considérablement dégradée. Les attentats se multiplient ; les talibans évoluent impunément dans certaines villes. Pourtant, les troupes de la coalition sont passées de 20 000 à 58 000 soldats. Mais peut-être avons-nous oublié qu'il s'agissait d'une guerre asymétrique. Peut-on attendre de l'envoi de 1 000 soldats supplémentaires une inversion de cette tendance ? La guerre constitue toujours la pire des solutions, on ne doit y avoir recours qu'en dernière extrémité. A-t-on tout tenté ? Sans doute pas. (On approuve à gauche) Les 5 milliards de dollars promis ont-ils bénéficié à la population ? Non. (On le confirme à gauche) Ne faut-il pas totalement réorganiser et surtout contrôler l'utilisation de ces crédits ? Certainement. (On approuve à gauche) A-t-on tout fait pour éradiquer la culture du pavot qui finance en grande partie les talibans ? (« Non ! » à gauche) Bien évidemment pas. Il est inconcevable que grâce aux moyens d'observation satellitaires, on ne se décide pas à défolier les champs de pavots et à détruire les laboratoires. (On approuve à gauche) A-t-on mis en place une coopération avec le Tadjikistan, l'Ouzbékistan, le Turkménistan, l'Iran pour poser un garrot sur les flux de drogues qui, à travers l'Asie centrale et la Turquie, parviennent jusqu'en Europe, dont ils constituent plus des trois quarts de la consommation ? Non ! Pourquoi a-t-on laissé la Charia servir de socle à la Constitution afghane ?

Mme Raymonde Le Texier.  - Absolument !

M. Aymeri de Montesquiou.  - Alors que nous aurions pu l'éviter en soulignant qu'il fallait à tout prix une rupture constitutionnelle avec le régime des talibans et donner un plus grand sentiment de liberté à la population, et en particulier aux femmes, tout en affirmant qu'il n'y avait pas opposition entre démocratie et religion ?

Je me suis rendu à plusieurs reprises en Afghanistan, j'ai vécu quinze jours chez le Commandant Massoud. Il me rappelait que toutes les troupes étrangères avaient été vaincues. Oublions-nous l'anéantissement d'une armée britannique de 12 000 hommes, à l'exception d'un médecin épargné pour témoigner ? Oublions-nous que les Soviétiques furent saignés par cette guerre alors qu'ils y avaient engagé la première armée du monde ? L'Afghanistan est constitué de peuples différents, mais toute présence militaire étrangère les rassemble et génère un sentiment national très fort. (Applaudissements à gauche)

L'attitude que j'ai pu constater chez les chefs de guerre représentant les diverses provinces afghanes n'a jamais varié : ils désiraient être aidés par des envois d'armes et d'argent mais soulignaient l'allergie des Afghans à une présence armée étrangère. Cela dit, lorsque les forces de la coalition ont mis en déroute les talibans, elles ont été accueillies en libératrices après les années sombres pendant lesquelles les femmes avaient replongé dans une servitude moyenâgeuse, la musique était interdite, les Bouddhas de Bamiyan détruits, les petites filles condamnées à l'analphabétisme.

Pourtant, comme me l'avaient prédit ces guerriers, grands patriotes afghans, les soldats de l'Otan ne sont plus aujourd'hui considérés, par une grande partie de la population -qui estime que la situation économique ne s'est pas améliorée et constate, dans beaucoup de régions, que l'insécurité et la peur règnent-, que comme des occupants. Certains regrettent la paix du temps des talibans. En 2003, je m'étais entretenu avec des militaires, qui déjà déclaraient qu'au temps des talibans, au moins, ils étaient payés.

Les troupes de la coalition ressentent cette hostilité, elles ne sortent qu'armées et en groupe de leurs camps retranchés, sans fraterniser avec une population rétive.

Envoyer 1 000 soldats supplémentaires résoudra-t-il le problème de l'insécurité ? Les effectifs n'ont pas cessé d'augmenter, l'insécurité aussi. Le coût de ce contingent sera d'environ 150 millions d'euros sur un budget militaire total, pour l'ensemble de la coalition, de 35 milliards. Cette dépense sera-t-elle décisive ? On peut en douter. (« Très bien » à gauche) Bien sûr, la menace islamiste est réelle et nous devons faire preuve de solidarité vis-à-vis des alliés qui luttent contre elle. Mais n'oublions pas que tous les présidents de la Ve République ont toujours su hisser notre pays, dans le concert des nations, à un rang très supérieur à ce que son poids économique pouvait laisser attendre.

M. Robert Hue.  - Très bien !

M. Aymeri de Montesquiou.  - Vous qui vous réclamez, monsieur le Premier ministre, du Général de Gaulle, vous savez que si notre pays est toujours resté fidèle à ses alliances, il s'est aussi toujours montré indépendant dans ses analyses et ses choix. Si le coût de cet effort de guerre est évalué à 150 millions, ne peut-on réfléchir à l'alternative que constituerait un effort de paix financé à cette hauteur ? (Applaudissements à gauche) Ne peut-on consacrer ces 150 millions aux infrastructures électriques du pays, contre l'émiettement qui menace, à l'alphabétisation, contre l'obscurantisme, à l'Internet, pour mettre fin à un sentiment d'exclusion de la communauté internationale ? À l'effort de guerre, préférons l'effort de paix !

Et prenons en compte la spécificité géographique, culturelle, historique du monde indo-persan. L'Afghanistan, l'Asie centrale, l'Iran, le Pakistan et même l'Inde appartiennent, depuis Alexandre, à ce monde : tous sont concernés par ce conflit. Les pays d'Asie centrale représentent une cible pour les talibans. Les responsables talibans avec lesquels je m'étais entretenu m'avaient affirmé vouloir transformer le Turkménistan, l'Ouzbékistan, le Tadjikistan en émirats ! N'oublions pas que les Turkmènes, les Ouzbeks et les Tadjiks sont des minorités importantes en Afghanistan. Les talibans ont massacré des Hazaras et des diplomates iraniens ; l'Iran a accueilli plus de deux millions de réfugiés afghans ; le farsi et le dari sont des langues quasi identiques : impliquer l'Iran dans une dynamique de paix ne serait-il pas la meilleure façon de rendre à ce pays sa voix dans le débat international ? (Applaudissements à gauche) Le Pakistan et l'Afghanistan partagent des minorités baloutches et pachtounes. Les talibans usent du sanctuaire des zones tribales comme d'un refuge. Il faut arrimer ce pays difficile à un ensemble régional et international pour qu'il s'autocontrôle. Pour cela, il faut lui garantir la sécurité sur sa frontière avec l'Inde. La communauté internationale, pour stabiliser la région, devrait coordonner tous ces pays du monde indo-persan, premiers concernés par le fondamentalisme islamiste.

M. Dominique Braye.  - Il se croit ministre !

M. Aymeri de Montesquiou.  - Nous devons les impliquer beaucoup plus avant dans la paix, en mettant en place une initiative régionale comparable à l'Organisation de Coopération Économique, restée à l'état de veille. La diplomatie française s'honorerait par cette initiative de paix innovante qui n'a pas encore été tentée.

La misère constitue, partout, le meilleur terreau au terrorisme. Les Afghans savent que 5 milliards de dollars leur ont été promis et sans doute affectés, ils savent aussi que ce n'est pas la population qui en a profité. Cela attise leur ressentiment contre leurs dirigeants, et donc contre l'Occident. Les Afghans constatent la progression de la culture du pavot, ils en profitent un peu, beaucoup moins que de nombreux notables. L'impuissance de la coalition ou peut-être son indifférence sont assimilées à son incapacité de lutter contre les talibans.

M. le président.  - Veuillez conclure

M. Aymeri de Montesquiou.  - Les alliés doivent s'engager sur une durée et se donner un calendrier pour la fin du conflit.

Pour qu'il y ait sécurité, il faut un développement économique, et réciproquement. Nous sommes condamnés à lutter sans concession contre le fondamentalisme islamiste. Il faut frapper fort. Mais cet effort sera inutile s'il n'est pas précédé et suivi par un effort économique et social très important.

Soyons fidèles à nos alliés dans l'effort de guerre, mais que la France se tienne aux avant-postes pour l'effort de paix. (Applaudissements à gauche et au centre)

M. Philippe Nogrix.  - Nous débattons aujourd'hui d'un sujet extrêmement important : la présence française en Afghanistan. Rappelons que si cette opération est menée dans le cadre de l'Otan, c'est sur mandat de l'ONU, et que sa participation est très inférieure à celles de la Grande-Bretagne ou de l'Allemagne : environ 2 000 hommes sur 60 000.

Que la France ait décidé de renforcer sa présence militaire en Afghanistan n'est aujourd'hui plus un secret. Alors que le Président de la République semblait souhaiter réserver la primeur de sa décision à nos partenaires de l'Otan à l'occasion du sommet de Bucarest, il l'a annoncée à Londres lors de son intervention devant le parlement britannique. L'effet d'annonce imaginé en direction des nos partenaires de l'Alliance atlantique est ainsi tombé à plat. Quant à nous, parlementaires français, nous sommes placés devant le fait accompli. C'est donc plié, la décision est prise : la France enverra 1 000 hommes supplémentaires en Afghanistan. Sont déjà présents sur ce théâtre 1 600 hommes si l'on inclut ceux basés au Tadjikistan, et 2 200 si l'on comptabilise les forces déployées dans le cadre du volet maritime de l'opération « Liberté immuable ». 1 000 hommes sur un contingent déjà existant de 1 600 ou 2 200, ce n'est pas négligeable : cela fait 60 % en plus. C'est même une inflexion si substantielle que le Gouvernement a jugé bon d'en informer officiellement la représentation nationale et de lui permettre de s'exprimer sur le sujet, ce que nous ne pouvons que saluer.

Cependant, deux questions s'imposent : pourquoi débattons-nous ? Et de quoi débattons-nous ? A ces deux questions, nous ne voyons aucune réponse claire.

La première question pose un problème qui touche au coeur de l'équilibre de nos institutions. Les parlementaires sont placés devant le fait accompli, la déclaration gouvernementale ne sera suivie d'aucun vote. Cela est conforme à la Constitution : en vertu de son article 15, « le Président de la République est le chef des armées » et, en vertu de l'article 35, seule « la déclaration de guerre est autorisée par le Parlement ». La Constitution se trouve ainsi appliquée. Nous ne pouvons donc que nous réjouir que ce débat ait été inscrit à l'ordre du jour du Parlement. Toujours en application de la Constitution, nous ne voterons pas. L'association du Parlement à la décision présidentielle est donc purement politique. Mais, toujours de façon purement politique, n'aurait-il pas été possible de voter ? (Exclamations à gauche) La légitimité de la décision présidentielle s'en serait trouvée grandement renforcée.

Contrairement à ce qui a été dit ces derniers jours, le parlement français a déjà voté pour l'envoi de troupes à l'extérieur. C'était en 1991, pour la participation de la France à la première guerre du Golfe. Dans un avenir proche, la Constitution pourrait d'ailleurs rendre systématiques de tels votes. L'avant-projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République ajoute à l'article 35 de la loi fondamentale un alinéa en vertu duquel « lorsque la durée d'une intervention excède six mois, sa prolongation est autorisée par le Parlement ». On ne peut exclure que cet alinéa encore énigmatique signifie que, pour la question qui nous occupe, un vote du Parlement aurait été requis. En conséquence, n'aurait-il pas été plus politique d'anticiper l'application de la réforme des institutions en nous faisant voter ?

Ma première question (pourquoi débattons-nous ?) pose le problème du déséquilibre général de nos institutions. En l'occurrence, le Parlement ne donnera pas même l'image d'une chambre d'enregistrement, mais celle d'une chambre stérile. Nos institutions doivent être rééquilibrées en faveur de la représentation nationale : c'est à ce prix que nous redynamiserons notre démocratie parlementaire.

Posons maintenant la question de fond : de quoi débattons-nous ? Nous débattons d'une question aux implications et enjeux majeurs.

Premier enjeu, le plus important : les vies humaines. La vie de nos soldats, d'abord, car c'est à une vraie guerre, meurtrière, qu'ils sont confrontés. D'où le problème de leur plus ou moins grande exposition selon leur zone de déploiement. Mais c'est aussi de la vie des civils afghans qu'il est question. Les guerres propres auxquelles on essaie de nous faire croire n'existent pas. Peut-être la vie des victimes de futures attaques terroristes où qu'elles aient lieu dans le monde est-elle aussi en jeu.

Deuxième enjeu qui, sans être du même ordre, n'est pas pour autant négligeable : l'enjeu budgétaire. 1 000 hommes de plus, cela a un coût !

Troisième enjeu : l'enjeu géopolitique et géostratégique. La décision de renforcer nos troupes en Afghanistan n'entre-t-elle pas dans le cadre d'une inflexion majeure du positionnement géostratégique de la France sur la scène internationale ? Une telle inflexion, si elle se confirmait, pourrait avoir des incidences très importantes.

Face à ces enjeux, notre question prend toute son ampleur. Pourquoi envoyons-nous 1 000 hommes supplémentaires en Afghanistan ? Les Canadiens, qui tiennent le sud du pays, avaient précisément demandé 1 000 hommes supplémentaires à leurs alliés, sous peine de retirer leur contingent. Il aurait été parfaitement légitime de venir en renfort de l'un de nos alliés dans le cadre d'une opération internationale approuvée par l'ONU à laquelle nous participons. Mais les 1 000 soldats français supplémentaires seront déployés dans l'est du pays. Alors, pourquoi ces 1 000 hommes ? On nous parle de pacification et de lutte contre le terrorisme. Mais depuis sept ans que nous sommes en Afghanistan, les choses se sont-elles vraiment améliorées ?

L'opération avait pour but de stabiliser le pays, d'éradiquer le terrorisme des talibans et celui d'Al Qaïda. Mais n'y a-t-il pas enlisement ? N'assiste-t-on pas à un Iraq, un Vietnam, une Algérie bis ? C'est l'avis de James Jones, le prédécesseur de John Craddock à la tête de l'Otan qui parle de « l'impasse » où se trouvent les troupes alliées. Et nous en engageons de nouvelles ! Selon lui, « Nos forces ne pourront éliminer les talibans par des moyens militaires aussi longtemps qu'ils pourront à tout moment se replier au Pakistan ». Les éliminer ici, c'est donc les voir réapparaître ailleurs !

La question de fond est celle de la position que nous allons adopter pour gérer la sortie du conflit, la transition vers la paix, sachant qu'à ce sujet des divergences importantes existent entre la Grande-Bretagne et les États-Unis d'Amérique. Quel camp allons-nous choisir ?

Le futur de l'Afghanistan sera déterminé par les progrès ou les échecs dans le domaine civil. La guerre que nous menons limite-t-elle vraiment l'essaimage du terrorisme ? Et est-il prévu que nos troupes participent plus activement à des actions civiles, à la reconstruction, au développement ? La déclaration sur la stratégie politico-militaire qui devrait être adoptée au sommet de l'Otan de Bucarest le laisse espérer. Elle plaide en effet en faveur d'une prise de relais par l'armée afghane du conflit et d'une approche globale de la question associant action militaire et efforts de développement et de reconstruction. Ces efforts nécessitent des moyens, donc de l'argent. Or, plus du tiers de l'aide promise à l'Afghanistan sur la période 2002-2008 n'a pas encore été fournie !

Nous envoyons 1 000 hommes supplémentaires, mais la part de l'aide internationale de la France, 80 millions de dollars, reste très inférieure à celles de la Grande Bretagne, 1,2 milliard de dollars, et de l'Allemagne, 768 millions de dollars. Va-t-on l'augmenter en proportion ? Et quelle part de l'aide promise avons-nous versée ?

Abordons l'enjeu budgétaire. L'aide française à l'Afghanistan est faible comparée à celle de la Grande Bretagne ou de l'Allemagne. Mais, dans le même temps, le budget de nos Opex s'envole ! Les Opex sont systématiquement sous-financées en lois de finances même si, ces dernières années, des efforts ont été entrepris pour limiter l'écart entre ce qui est provisionné et ce qui est vraiment dépensé ; le problème demeure. Fin 2007, il a fallu combler un trou de 273 millions d'euros. Et, contrairement à ce qu'a dit le ministre de la défense, aucune rallonge n'est intervenue, si bien que les millions manquants ont été ponctionnés sur les crédits d'équipements. C'est autant de moins pour la modernisation de nos armées.

Pour 2008, le problème revient, aggravé par la décision dont nous débattons. Les Opex devraient représenter 850 millions d'euros et le budget n'en a provisionné que 460 ! Où trouvera-t-on la différence ? Et combien coûtera le renforcement de notre présence en Afghanistan ? Le ministre de la défense (« Il n'écoute pas ! » à gauche) avait chiffré entre 150 et 200 millions en année pleine les surcoûts liés aux 2 200 soldats présents en Afghanistan. Et les 1 000 supplémentaires ? Sur le même ratio, on peut l'estimer à 70 millions d'euros.

Reste l'enjeu géostratégique. Est-il opportun d'envoyer 1 000 hommes supplémentaires en Afghanistan ? Le déséquilibre du déploiement de nos forces dans le monde ne nous garantit peut-être pas de pouvoir faire face à des menaces d'urgence. L'envoi de troupes supplémentaires posera un problème très concret : où trouver les hommes ? C'est une question que se posent nos états-majors avec d'autant plus d'acuité que cet envoi pourrait ne pas être compatible avec les engagements que nous avons pris de répondre en urgence à toute menace selon les critères de Petersberg.

Ainsi, ces 1 000 hommes ne correspondent pas à une demande de nos partenaires, puisque les Canadiens avaient besoin de renforts dans le sud et non à l'est, ni à une demande de nos états-majors sur le terrain.

Seules des considérations géostratégiques plus globales peuvent expliquer cette décision. Le renforcement des positions françaises en Afghanistan pourrait n'être qu'un des éléments du repositionnement de la France sur la scène internationale : plus clairement, ce serait l'un des éléments du glissement atlantiste de la France.

Le choix de déployer les troupes supplémentaires dans l'est du pays est aussi lié au fait qu'elles y seront moins exposées qu'au sud.

Mais, surtout, ce choix conforte le rapprochement franco-américain : c'est de l'est qu'est menée la guerre contre Al Qaïda. Ces mille hommes supplémentaires, un élément du glissement atlantiste de notre pays ? Il est permis de le croire.

Cette évolution ne risque-t-elle pas d'entraver la politique européenne de sécurité et de défense ? Les signaux envoyés en direction de l'Angleterre et des États-Unis peuvent ne pas toujours être compris par notre partenaire allemand. Jusqu'où ira le glissement atlantiste de la France ? La vision géostratégique que le Général de Gaulle avait su imposer est-elle en train d'être remplacée par de nouveaux engagements ? Voilà beaucoup de questions sans réponse... (Applaudissements à gauche et au centre)

M. Jean-Louis Carrère.  - Heureusement pour le Gouvernement qu'il n'y a pas de vote !

M. Philippe Adnot.  - (Applaudissements sur quelques bancs à droite) L'intervention de M. de Montesquiou me dispense presque de prendre la parole, car je partage la plupart de ses arguments.

M. Bruno Sido.  - Ouh là là...

M. Philippe Adnot.  - N'étant pas spécialiste des questions de politique étrangère, c'est en tant que simple citoyen que je vous fais part de mes interrogations. Comment choisissons-nous nos indignations ? Pourquoi l'Afghanistan plutôt que l'Iran, la Tchétchénie, le Tibet ou le Darfour ? Comment apprécions-nous l'efficacité de notre intervention ? Faut-il plus de soldats ou plus de moyens pour que les Afghans décident eux-mêmes de leur avenir ? Quel calendrier de désengagement ? Serons-nous condamnés à rester éternellement dans ce pays ?

S'il y avait eu un vote, j'aurai accordé ma confiance au Premier Ministre mais en l'assortissant de certaines conditions : un débat de politique étrangère qui donne des bases à notre devoir d'ingérence, une priorité donnée à la responsabilisation des Afghans, un calendrier de retrait des troupes.

Je vous assure de mon soutien, car j'ai confiance dans votre appréciation de la situation. J'espère que nous pourrons sortir de ce conflit avec le sentiment du devoir accompli. (Applaudissements sur quelques bancs à droite et au centre)

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes.  - Le temps ne m'est pas donné de répondre à chaque intervenant ; je vais devoir être synthétique, sans doute brutal, sans aucun doute partial. J'ai entendu vos interrogations. M. de Rohan a décrit avec une émotion que je partage la destruction des bouddhas de Bamiyan ou l'humiliation permanente des femmes. De M. Dulait, j'ai apprécié les vérités et les encouragements. M. Boulaud s'est contenté de vives critiques, peu constructives hélas... Mme Demessine s'est montrée un peu partiale mais nous a donné de quoi réfléchir. M. de Montesquiou a posé des questions très justes et proposé certaines solutions, tout comme MM. Nogrix et Adnot.

Ce que nous souhaitons, c'est changer notre fusil d'épaule.

M. Jean-Louis Carrère.  - Vous êtes un spécialiste !

M. Bernard Kouchner, ministre.  - En renforçant notre participation, non pas parce que nous l'auraient demandé les Américains -serait-ce une honte ?- mais tout particulièrement les Canadiens, les Hollandais, vingt pays européens, sans pour autant atteindre le niveau de certains de nos amis, nous essaierons de ne nous consacrer davantage à la paix et au développement. C'est le sens de la lettre adressée par le Président de la République à ses partenaires.

L'afghanisation, c'est donner plus de responsabilités aux Afghans. Ce n'est pas seulement augmenter notre formation auprès des 50 000 militaires et des 35 000 policiers, qui en ont, surtout les seconds, bien besoin. C'est impliquer les Afghans dans chaque projet de développement présenté par les ONG et les agences des Nations unies. Si nos partenaires ne vont pas dans ce sens, notre réponse sera négative ! Vous verrez que demain, à Bucarest, il n'y aura rien d'un alignement sur les Américains -non que ce soit un péché, s'ils ont raison, mais sur cette question de l'afghanisation, nous serons très déterminés.

La coordination entre l'Enduring effort, l'Isaf et les agences civiles des Nations unies doit être renforcée : le représentant spécial du secrétaire général a été nommé, sur suggestion de la France, il fera du bon travail, au moins pour les missions de l'ONU.

Seuls 2 % de l'aide sont consacrés à l'agriculture : c'est insuffisant. Mais pour que les paysans afghans en profitent, il faut de la sécurité ! Pour installer des lignes électriques, il faut de la sécurité ! Certes, l'insécurité est cantonnée dans une partie du territoire, mais c'est là où se trouvent les Afghans !

Ne croyez pas que nous obéissons à un réflexe militariste, pour le plaisir d'envoyer des hommes supplémentaires ! Aucun chiffre n'a d'ailleurs été cité devant le Parlement anglais : le Président de la République a dit que nous augmenterons notre effort si les conditions posées dans les lettres aux chefs d'État sont remplies. C'est non seulement raisonnable mais absolument nécessaire.

Nous ne souhaitons pas la guerre, nous ne nous sommes pas engagés pour une éternité de combats ! Il est toujours plus facile d'envoyer des troupes que de les retirer. Mais une mission de paix dure en moyenne une génération ! Nous sommes au Kosovo depuis neuf ans, en Bosnie depuis dix-sept ans, en République démocratique du Congo depuis quinze ans, au Golan depuis trente-cinq ans, au Liban...

M. Gérard Longuet.  - Depuis Napoléon III. (Sourires)

M. Bernard Kouchner, ministre.  - ... comme à Chypre, depuis trente-cinq ans. Nous ne sommes en Afghanistan que depuis 2001 : ce n'est pas suffisant pour changer les mentalités !

Nos efforts sont couronnés de succès -pas suffisamment, bien sûr...

M. André Rouvière.  - Mais non !

M. Bernard Kouchner, ministre.  - ...mais la croissance afghane est aujourd'hui de 8 % ! Quatre mille kilomètres de route ont été construits grâce à l'effort des militaires français ! Aujourd'hui, 60 à 70 % des enfants sont vaccinés ! 80 % des Afghans ont accès à un dispensaire ! (M. le ministre de la défense le confirme) Ce n'est pas mal !

M. Jean-Louis Carrère.  - Et cela justifie d'envoyer mille hommes supplémentaires ?

M. Bernard Kouchner, ministre.  - Ce n'est pas en nous retirant que nous allons continuer le programme de vaccinations ! Pour protéger les vaccinateurs, il faut des soldats ! Aujourd'hui, 35 à 50 % des femmes enceintes sont prises en charge. Dans les villages que je connais, il n'y avait pas d'école : aujourd'hui, six millions d'enfants sont scolarisés, dont un tiers de petites filles !

M. Jean-Louis Carrère.  - Vous êtes le Père Noël !

M. Bernard Kouchner, ministre.  - En 2004, les femmes ont voté pour la première fois ! (Applaudissements à droite) Karzaï a été élu, il y a aujourd'hui un Parlement ! Ce n'est pas mal !

M. Jean-Louis Carrère.  - On a aussi voté aux municipales...

M. Bernard Kouchner, ministre.  - En proposant de nous retirer, vous prendriez une responsabilité folle. En 2001, alors que les socialistes étaient au pouvoir, je tenais exactement ce langage -mais vous, vous teniez le même ! (Applaudissements à droite ; sarcasmes à gauche)

présidence de M. Adrien Gouteyron,vice-président

M. Hervé Morin, ministre de la défense.  - La victoire ne peut être seulement militaire. C'est pourquoi à Bucarest, le Président de la République, comme il l'a fait par courrier adressé à nos partenaires européens, suggérera une approche globale : amélioration de la gouvernance, maîtrise progressive de leur destin, de leur souveraineté et de leur sécurité par les Afghans, vrai projet de développement économique, meilleure coordination des moyens civils et militaires, lutte intensive contre le narcotrafic accompagnée d'un projet solide pour les agriculteurs...

M. Didier Boulaud.  - Du coton peut-être ?

M. Hervé Morin, ministre.  - Les quarante-neuf pays engagés doivent rester et poursuivre la tâche. Isolé, ou contrebalançant des départs, notre effort supplémentaire éventuel n'aurait pas de sens. Mais la plupart des pays européens ont indiqué qu'ils étaient prêts eux aussi à augmenter leurs troupes. (Marques de scepticisme à gauche)

Les soldats français -je me suis rendu à de nombreuses reprises auprès d'eux (Mme Borvo Cohen-Seat rit)- savent que leur mission exige un grand professionnalisme. Certains ont payé de leur vie, nous déplorons quatorze morts depuis 2001. Nos hommes sont confrontés à un ennemi sans visage, à des modes d'action proches du terrorisme, engins explosifs improvisés, etc. Ils sont fiers d'accomplir, dans ces vallées d'Afghanistan, une mission pour la dignité d'un peuple, pour le développement d'un pays. Ils assurent la formation d'une armée nationale partie de rien, des officiers, des futures forces spéciales ; ils assistent l'armée dans des programmes de reconstruction comme dans le maintien de la sécurité au nord de Kaboul, sans oublier le déminage.

Nos soldats savent qu'ils prennent chaque jour des risques, mais ils sont fiers d'oeuvrer pour la souveraineté d'un pays, pour sa dignité et sa liberté, pour le progrès. Ils en sont fiers. Et si vous allez là-bas, vous verrez des hommes courageux, motivés pour remplir la mission que leur a confiée la France. Dans des vallées où les forces de l'Alliance n'avaient jamais pénétré, comme celles de Shamally ou de Kapissa, ils ont aidé à installer police et administration.

La présence militaire ne suffit pas, mais elle donne à la France la possibilité de participer à une oeuvre de stabilité dans l'arc de crise majeur qui va de l'Atlantique à l'Asie du sud. Un retrait ou un effort insuffisant laisseraient le champ libre aux talibans et nous plongerait dans l'insécurité, car l'Afghanistan est depuis trop d'années une source majeure du terrorisme. Il faut rester ; et il faut y consacrer les moyens nécessaires. Quelles sont les autres solutions ? S'en aller serait un pur et simple échec, l'effort consenti n'aurait servi à rien, le terrorisme retrouverait sa base arrière. Ne pas accentuer l'effort nous condamnerait à rester plus longtemps, et le Président de la République l'a dit, nous n'avons pas vocation à maintenir éternellement des troupes là-bas. Des efforts supplémentaires nous rapprochent du jour où la gouvernance, l'administration, l'armée, la sécurité seront maîtrisées par les Afghans.

M. Jean-Louis Carrère.  - Dialectique !

M. Hervé Morin, ministre.  - C'est grâce à tout l'ensemble d'efforts déployés, en termes de gouvernance, d'administration et, éventuellement, de moyens militaires complémentaires...

M. Jean-Louis Carrère.  - Vous aurez du mal à convaincre le peuple français !

M. Hervé Morin, ministre.  - ...que l'Afghanistan retrouvera la stabilité à laquelle tout pays a droit. (Applaudissements à droite)

M. le président.  - Le débat est clos.

Acte est donné de la déclaration du Gouvernement qui sera imprimée et distribuée.

M. Jean-Louis Carrère.  - Et le vote ?

La séance est suspendue à 19 h 40.

présidence de M. Guy Fischer,vice-président

La séance reprend à 21 h 45.

Contrats de partenariat (Suite)

Discussion générale (Suite)

M. Daniel Dubois.  - Après l'ordonnance du 17 juin 2004 créant le contrat de partenariat, n'ont été signés que vingt-neuf contrats, dont vingt-deux par les collectivités territoriales et sept par l'État, pour un montant de 3,3 milliards. II faut y ajouter cent trente-cinq contrats en cours négociation, pour 7,5 milliards. Pourquoi ces contrats ne connaissent-ils pas le développement escompté alors que leur approche globale leur confère une réelle efficacité ? Celle-ci repose à la fois sur une expertise préalable complète et sur une maîtrise globale de la chaîne de réalisation. Elle est gage d'économie financière dans le montage des projets, par la mise en oeuvre de process innovants et optimisés. Ces contrats favorisent également l'étalement de la dépense dans le temps et une réelle maîtrise des coûts.

Au-delà de ces principes, je suis intéressé par ce nouveau contrat parce que le projet de partenariat mené actuellement par les Voies navigables de France, la construction du canal Seine-Nord-Europe, traverse le département de la Somme sur près de la moitié de son parcours. Son coûte est estimé à 4 milliards. Je vous rappelle à cette occasion que j'avais déposé un amendement lors de l'examen de la loi relative à la sécurité et au développement des transports, afin de permettre aux Voies navigables de France de recourir au contrat de partenariat. Cet amendement a été adopté et permet aux Voies Navigables de France de financer le développement des infrastructures de transport fluvial, sans limiter cette possibilité à l'entretien des écluses et des barrages à gestion manuelle. Le canal Seine-Nord-Europe à grand gabarit est le maillon central du projet de liaison Seine-Escaut ; il est inscrit au rang des trente projets prioritaires européens en matière de transport et reliera le bassin de la Seine et de l'Oise au réseau fluvial nord-européen. Cet exemple illustre l'importance des contrats de partenariat pour ce type de projets, dont l'envergure participera à l'équipement de la France.

Il y a donc très peu d'engouement pour ce type de contrat. Je passerai rapidement sur les raisons de ce déficit, au nombre desquelles on trouve un problème de concurrence avec les autres types de partenariat public-privé, des critères d'ouverture très contraignants, un régime juridique désavantageux, un régime fiscal peu attractif et, sans aucun doute, un frein administratif lié à une mauvaise connaissance de ce montage et peut-être à un excès de prudence des services de l'État.

Pour relancer ces partenariats, cette loi en élargit le champ d'application et en clarifie le régime juridique et fiscal. Pourra-t-on utiliser les PPP quand les conclusions de l'évaluation préalable présentent un bilan avantageux ? On peut toutefois s'interroger sur la constitutionnalité de cet ajout dans la mesure où ce cas d'ouverture peut être éloigné du principe d'intérêt général qui est une condition indispensable du Conseil constitutionnel pour déroger au droit commun de la commande publique. Le projet de loi ajoute de nouvelles voies d'accès sectorielles, comme l'enseignement supérieur et la recherche, des infrastructures de transport s'inscrivant dans un projet de développement durable, la rénovation urbaine, l'amélioration de l'accessibilité des personnes handicapées ou à mobilité réduite. Une telle modification de l'ordonnance était d'ailleurs très attendue. Elle permet de prendre en compte une des critiques les plus fréquentes : le champ d'application trop restreint. Permettez-moi toutefois d'émettre une réserve sur l'échéance de 2012.

Le projet de loi propose également de clarifier le régime juridique des contrats de partenariat et d'améliorer leur régime fiscal. L'ensemble de ces propositions va incontestablement dans le sens d'une plus grande attractivité. Les trois rapporteurs proposent différentes modifications ; je saisis cette occasion pour saluer leur travail, chacun apportant un éclairage complémentaire J'apprécie tout particulièrement l'insistance de M. Guené sur la nécessité de faire de la consolidation des engagements financiers liés aux PPP dans la dette publique le principe et la déconsolidation l'exception. Ainsi prendrons-nous en compte l'impact financier et comptable réel, ce qui permettra d'éviter toute fuite en avant et un accroissement excessif de l'endettement des collectivités et de l'État.

Nous souscrivons à l'ensemble des propositions tant du Gouvernement que des rapporteurs, mais nous savons aussi que ce nouvel outil de commande publique doit trouver rapidement son rythme de croisière. Il doit pour cela être accompagné par un réel service après-vente. On doit donc déterminer rapidement un cadre méthodologique de référence et le mettre à disposition des décideurs publics. Il devra comporter des formations spécialisées à destination des agents publics et notamment des maîtres d'ouvrages publics, tout en s'appuyant sur un réseau de retour d'expérience. On devra aussi mettre en oeuvre les outils adaptés pour l'évaluation préalable ; c'est, en effet, la phase la plus délicate pour les collectivités territoriales, qui ne disposent pas des services et des compétences suffisantes pour procéder à une évaluation pertinente qui conditionne le recours au contrat de partenariat, alors qu'elles représentent 73 % de l'investissement public et sont donc des acteurs incontournables de la croissance.

Enfin, comme M. Béteille le propose, il serait utile de créer un code de la commande publique, afin d'améliorer la lisibilité du droit et de distinguer clairement les différents types de partenariats publics-privés et la réglementation qui se rattache à chacun d'eux. C'est pourquoi il est impératif d'organiser un réseau d'information et de soutien logistique à la mise en oeuvre des contrats de partenariat. Depuis décembre 2007, un programme de formation spécifique a été mis en place ; nous devons encore redoubler d'efforts pour rendre intelligible et accessible le droit de la commande publique, si nous voulons que le contrat de partenariat représente une part significative de la commande publique.

Enfin, il me semble important de privilégier ce mode de partenariat comme outil d'accompagnement d'un programme d'équipement d'intérêt national qui intègre le développement local. Si la globalisation des marchés améliore la conduite des projets, elle ne doit pas se faire au détriment des entreprises locales. Lors de l'examen du projet de loi autorisant le gouvernement à prendre par voie d'ordonnance diverses dispositions de simplification, nous avions exprimé notre inquiétude sur l'accessibilité des entreprises locales à ce type de contrat. Ces craintes ont été en partie levées...

M. Jean-Pierre Sueur.  - Par des paroles verbales !

M. Daniel Dubois.  - ...puisque doit figurer parmi les critères de choix du candidat la part d'exécution du contrat que celui-ci s'engage à confier à des petites et moyennes entreprises et à des artisans. Il faudra insister sur ce critère d'attribution dans les documents explicatifs. À défaut, ces projets n'auront aucun impact sur l'économie locale et la croissance escomptée, via un programme de projets d'intérêt national, serait limitée.

Le groupe UC-UDF soutiendra l'ensemble des mesures proposées. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Jean-Pierre Sueur.  - Pourquoi, finalement, ce projet de loi ? Je me souviens que l'on nous a vanté l'excellente qualité des ordonnances de simplification du droit, mais la question est de savoir si les contrats de partenariat doivent être dérogatoires ou s'il faut tendre à leur généralisation.

Le groupe socialiste a saisi à deux reprises le Conseil constitutionnel pour obtenir la décision du 6 juin 2003, dont vous avez bien voulu dire, madame la ministre, qu'elle était admirable ; nous nous sommes aussi donné beaucoup de mal pour que le Conseil d'État statue comme il l'a fait. Pourquoi avons-nous agi ainsi ? Parce que c'est le titulaire du contrat qui choisit tous les prestataires, l'architecte, le banquier, les entreprises, de celles qui construisent à celles qui vont exploiter, maintenir ou entretenir. Est-il vraiment raisonnable de tout choisir d'un seul mouvement ? Vous ne pouvez plus préférer tel architecte, telle entreprise, tel prestataire : c'est le major, puisque c'est ainsi qu'on nomme le titulaire du contrat, qui choisit à votre place.

Je plaide ici pour la concurrence, que toute notre tradition des marchés publics entend favoriser. On me dira que le major est intelligent, qu'il choisira un bon architecte, un professionnel bien vu dans la région ; mais ce sera son choix, les autres architectes ne pourront plus se porter candidats. Même chose pour les entreprises. Le syndicat national des entreprises de second oeuvre est opposé au texte, on le comprend ; les représentants des PME s'inquiètent eux aussi. L'ordonnance est d'une grande générosité, parait-il : un pourcentage des marchés est réservé aux PME ; mais encore une fois, c'est le titulaire du contrat qui les choisira. Avec la législation actuelle, chacun peut postuler. Ce ne sera plus le cas. Quant aux artisans, ils jugent que c'est le hasard qui présidera à leur bonne fortune, retenus par le major, ou par un sous-traitant, ou par le sous-traitant d'un sous-traitant, aux conditions de celui-ci, bien entendu.

Le Conseil constitutionnel a été sage, en décidant que le choix du contrat de partenariat n'était possible que si l'urgence ou la complexité du dossier l'exigeait. « La généralisation de telles dérogations au droit commun serait susceptible de priver de garanties légales les exigences constitutionnelles inhérentes à l'égalité devant la commande publique, la protection de la propriété publique ou le bon usage des deniers publics. » Mme la ministre ne peut qu'être d'accord avec ce considérant, qui sait que les décisions du Conseil, quoiqu'on en ait, s'imposent à toutes les autorités publiques...

De deux choses l'une : soit on considère que le projet de loi explicite les conditions fixées par le Conseil constitutionnel, soit on estime, comme je l'ai entendu tout à l'heure, que la décision de celui-ci est trop restrictive et qu'il faut introduire d'autres critères que ceux qu'elle a définis. Si c'est cela, alors on ne respecte pas la Constitution. Je dis qu'il faut s'en tenir à l'urgence et à la complexité.

M. Laurent Béteille, rapporteur.  - Ce ne sont que des exemples ! Vous avez mal lu la décision du Conseil !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Le projet de loi ajoute de fait deux circonstances nouvelles. Il suffira d'abord qu'une évaluation montre que le contrat de partenariat est plus avantageux pour qu'on soit fondé à y avoir recours. C'est un dévoiement de la décision du Conseil. « Plus avantageux », c'est tellement vague !

M. Charles Guéné, rapporteur pour avis.  - Pour les deniers publics, cela a un sens !

M. Éric Doligé.  - Philosophiquement, c'est peut-être difficile, mais financièrement, c'est facile à comprendre !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Encore faut-il le prouver !

M. Pierre-Yves Collombat.  - Il suffira d'y croire !

M. Jean-Pierre Sueur.  - L'État devra faire faire cette évaluation par la mission ad hoc, ou par un organisme agréé ; les collectivités locales pourront faire appel à l'évaluateur de leur choix. Mais prouver que le recours au contrat de partenariat est « plus avantageux » que les autres formes de marché public est tout simplement impossible.

M. Éric Doligé.  - Mais si !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Qui pourra faire le calcul à trente ou quarante ans de distance ? Les variables sont tellement nombreuses, et tellement indéterminées, le coût de l'énergie, le prix de la construction, l'apport des innovations, les changements de fiscalité et de législation ! Je félicite celui qui peut dire aujourd'hui que dans tel cas, en 2040, le recours au contrat de partenariat aura été « plus avantageux » ! On fait une sorte de pari pascalien et rien de plus ; ce n'est pas une démonstration, c'est une assertion !

Le texte précise en second lieu que sont considérées jusqu'en 2012 comme urgentes les réalisations relevant de la police, de la justice, des universités, de l'enseignement, de l'environnement, de la politique de la ville, des transports... Tout est urgent ! Il y a là aussi un dévoiement de la décision du Conseil constitutionnel.

Ou bien on reste dans la logique de l'ordonnance, ou bien on veut généraliser de facto ce procédé, tout en prétendant respecter la décision du Conseil constitutionnel bien que l'inverse soit patent.

Avant de conclure, je voudrais rappeler en quel sens la Cour des comptes s'est exprimée. Chacun reconnaît l'autorité et la hauteur de vue de M. Séguin. Lorsqu'il a présenté au Sénat le rapport annuel de la Cour des Comptes, le 6 février, il a déclaré que « le recours à des montages dits innovants, sortes de partenariats public-privé, ne vise en fait le plus souvent qu'à faire face à l'insuffisance des crédits disponibles, » avec des surcoûts très importants pour l'État. J'écouterai avec beaucoup d'attention la réponse que fera M. Doligé aux observations relatives au financement des PPP : M. Séguin a souligné les nombreux surcoûts liés au fait que les sociétés auxquelles on fait appel pour de tels montages empruntent à des taux très supérieurs à ceux dont bénéficie l'État.

C'est pourquoi je m'étonne que certaines officines prétendent de façon péremptoire que les PPP représentent un avantage évident pour les collectivités publiques.

Reconnaissons la spécificité des métiers ! Il est sain de mettre en concurrence les architectes, les banques et, plus largement, les entreprises. J'ai l'impression de tenir un discours libéral, puisque la concurrence est le ressort du libéralisme. Lorsqu'elle est limitée à trois entités qui vont régenter pendant trente ans un domaine à l'intérêt public manifeste, la concurrence subit une singulière réduction, à moins que l'on ne démontre le contraire ! Cet appauvrissement de la concurrence est acceptable pour affronter une situation urgente, imprévue et complexe, mais sa généralisation est injustifiée. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Jacques Hyest.  - M. Sueur, chantre du libéralisme !

M. Paul Girod.  - J'ai l'impression de m'insinuer dans un dialogue entre MM. Sueur et Doligé.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Nous dialoguons souvent !

M. Paul Girod.  - Après ces échanges illustrant la richesse de la vie politique dans le Loiret (sourires), je suis presque confus d'exprimer des idées différentes.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Je vous en prie !

M. Paul Girod.  - Ce texte est bon, même s'il reste perfectible.

En écoutant certains orateurs, j'ai eu l'impression de réentendre le vieux débat sur la fatalité de la lutte des classes au sein de toute société humaine.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Je n'ai pas dit ça !

M. Pierre-Yves Collombat.  - Nous recherchons la fraternité des classes !

M. Paul Girod.  - C'est passé de mode, mais certains collègues ont mis du temps à s'en apercevoir... Aujourd'hui, on nous parle d'une lutte entre le bien et le mal, le bien étant incarné par le public, alors que le mal proviendrait du privé. Dans ces conditions, toute collaboration entre acteurs publics et privés serait marquée par le péché originel. Il faudrait donc examiner avec une extrême prudence tout ce qui pourrait être proposé en ce sens.

On peut adopter cette position de principe, mais le devoir des élus consiste à gérer au mieux les intérêts du peuple. À l'étranger, il y a de nombreux exemples de collaboration entre opérateurs publics et privés.

M. Pierre-Yves Collombat.  - Avec des résultats intéressants !

M. Paul Girod.  - Certes, l'existence des délégations de service public offre déjà des facilités qui freinent le développement des PPP. Il reste que certaines réussites constatées à l'étranger reposent sur la complémentarité des deux secteurs.

Certains obstacles sont substantiels, notamment la difficulté des PME à entrer dans le système. Je pense que des dispositions réglementaires devront intervenir.

Le texte du Gouvernement conduit également à s'interroger sur le retrait du partenaire privé en cours de contrat. La commission des lois nous propose d'appliquer le dispositif imaginé autrefois par M. Dailly.

M. Jean-Jacques Hyest.  - Il donne toute satisfaction !

M. Paul Girod.  - La « cession Dailly » est intéressante, car son concepteur savait de quoi il parlait.

Une autre difficulté inquiète plus votre serviteur, qui est aussi rapporteur de la dette publique pour la commission des finances : la consolidation peut éviter d'afficher la réalité de la dette publique de l'État. A ce propos, Eurostat a rendu un jugement de Salomon qui n'est guère convaincant : l'endettement ne relève pas de l'État si les risques reposent sur le partenaire privé, et vice versa. Je ne suis pas sûr que l'on puisse se fonder dessus... En tout état de cause, je souhaite que les engagements de l'État soient indiqués hors bilan. A fortiori, les engagements pris par les collectivités territoriales dans ce cadre doivent être présentés hors compte administratif.

J'en viens à l'obstacle essentiel. Certaines administrations pensent que, par nature, elles savent tout et sont capables de tout concevoir. Ce n'est pas vrai ! Surtout pour nombre de collectivités territoriales ! Je fais plus confiance aux entreprises, confrontées en permanence aux marchés internationaux, pour s'adapter et présenter des solutions originales que les collectivités ne pourraient mettre en oeuvre de façon autonome. Au cours d'une table ronde récente, M. Gérard Larcher a rappelé que la commune de Rambouillet n'aurait pu se passer d'un partenariat pour mener à bien une grande réalisation culturelle. Pour de tels projets, il faut un PPP ou le rétablissement de la tutelle étatique !

J'estime donc pertinent d'assouplir ce régime qui offre de vastes possibilités même en l'absence de contraintes budgétaires. Mon groupe soutient cette réforme qui va dans le bon sens ! (Applaudissements au centre et à droite)

M. Pierre-Yves Collombat.  - Lorsqu'on considère la variété juridique des liens contractuels pouvant unir des personnes publiques et privées -comme les marchés publics, les délégations de service public, les sociétés d'économie mixte et les autorisations temporaires d'occuper le domaine public, avec un engagement de location-, lorsqu'on parcourt la liste des PPP au sens de l'ordonnance de 2004, qui vont de projets parfaitement routiniers à des réalisations complexes comme le grand stade de Lille, pour des montants qui s'échelonnent de 2 à 765 millions d'euros, on se demande s'il faut encore étendre le partenariat public-privé.

La réponse est dans le projet de loi : pourquoi se priver d'une telle formule quand elle « présente un bilan entre les avantages et les inconvénients plus favorable que ceux d'autres contrats de la commande publique ? » Jouons donc la carte de l'innovation et de la modernisation juridique, à ceci près que le bilan comparatif est plus qu'illusoire. Une fois la décision politique prise d'utiliser un contrat de partenariat plutôt qu'une autre formule, comment chiffrer le coût final du montage pour la collectivité ? Il est impossible d'y parvenir lorsque les situations sont très complexes et les engagements de très longue durée. Ces études comparent l'option PPP à une alternative hypothétique pour laquelle on ne dispose d'aucune donnée, dans un environnement dont on ne connaît pas l'évolution. Et puis, que compare-t-on ? Pour la construction et l'exploitation d'un hôpital, ne doit-on prendre en compte que le prix de la journée ou ce prix pondéré par la qualité des soins et du personnel ?

De tels bilans sont aussi sérieux que ceux qui montraient, il y a une vingtaine d'années, la supériorité de la gestion déléguée sur la gestion en régie du service public de l'eau. On sait, avec le recul, à quoi s'en tenir, mais le but a été atteint : 72 % du marché est confié à des opérateurs privés : record mondial !

Ces bilans sont aussi sérieux que la certification des comptes d'Enron par Andersen, de L&H par KPMG ou que la notation des titres par les agences internationales les plus prestigieuses comme vient de le démontrer la crise des subprimes.

Avant d'inventer de nouvelles formes de PPP, la logique voudrait de procéder à une évaluation des formules existantes. Or, en France le recul est insuffisant pour pouvoir le faire sérieusement. Là où les PPP new look sont utilisés depuis longtemps, au Royaume-Uni notamment, les jugements sont pour le moins nuancés. Les sites officiels vantent évidemment les mérites des PPP, mais d'autres les tiennent pour des opérations risquées, onéreuses, assurant aux usagers des services de moindre qualité. Comme la France souffre d'un retard d'investissements publics, ainsi que l'a rappelé M. Guené, la volonté d'étendre le champ d'application des PPP ne procède pas d'une démarche technique : la modernisation a bon dos. La raison est idéologique, pour ne pas dire théologique.

Les PPP ont d'abord le pouvoir incomparable de transformer la mauvaise dette publique en inoffensive dette privée, inoffensive tant que l'édifice tient debout, ce que nous dira l'issue de la crise actuelle. La vertu des PPP est donc d'améliorer le ratio national d'endettement et de calmer Bruxelles, ce qui n'est pas rien. Comme l'a dit M. Guené, cela nous permettra de réduire de 10 milliards notre déficit. Pour les collectivités locales, les PPP limitent la dégradation de leur ratio d'endettement.

Si remplacer des charges d'emprunt par des frais de fonctionnement ne change rien à la situation financière réelle des collectivités ou de l'État le look est bien meilleur et la vulgate idéologique honorée. Selon les tables de sa loi, en effet, les acteurs privés font forcément mieux que les acteurs publics. La gestion privée est, par essence, plus efficace que la gestion publique. Il faut donc réduire au maximum le champ d'action de cette dernière. Les incroyants ont certes du mal à comprendre comment des opérateurs qui empruntent à des taux plus élevés que les personnes publiques, qui ont des frais de structure importants, qui doivent distribuer des dividendes à des actionnaires de plus en plus gourmands et des rémunérations à la hauteur des compétences hors normes de leurs dirigeants et qui, dans le cas des PPP, facturent au prix fort les risques qu'ils acceptent de prendre, peuvent, au final, obtenir des coûts de gestion inférieurs aux opérateurs publics. S'ils ne comprennent pas, c'est parce que ce sont des incroyants. S'ils ne l'étaient pas, ils « sauraient », ce qui les dispenserait de comprendre et de s'épuiser à interroger les faits car ce n'est pas aux faits de justifier la doctrine mais à la doctrine de dire les faits.

Ainsi, en juillet 2001, Andrew Smith, ministre délégué aux finances au pays des merveilles des PPP, déclarait aux Communes que selon un rapport du national audit office, les partenariats public-privé permettaient de réaliser une économie de 20 % par rapport aux autres formules de gestion du service public. Fâcheusement, il est apparu qu'un tel rapport de synthèse n'existait pas, le ministre s'étant contenté de citer deux rapports favorables aux PPP, dont l'un d'Andersen avant qu'il ne ferme boutique. Il avait décidé d'ignorer les études qui leur étaient défavorables. « La vérité, dira un député de l'opposition, est que les PPP n'apportent pas plus d'avantages aux services publics, qu'ils sont souvent plus chers et fournissent un service de moindre qualité ». Je ne pense donc pas que Colbert, dont vous avez évoqué les mânes, madame la ministre, y aurait été si favorable. En tout cas, derrière moi, il est resté de marbre ! (Sourires) La banalisation des PPP n'a en tout cas pas notre faveur, comme je me suis efforcé de vous le démontrer. (Applaudissements à gauche)

M. Éric Doligé.  - Je vais vous donner ma vision des PPP, car j'ai entendu des propos qui m'ont quelque peu hérissé le poil : je crains que de nombreux orateurs ne les aient jamais expérimentés ! Je ferai donc le point pour dire quels en sont les difficultés et les avantages.

Notre pays est dans une situation économique particulièrement difficile et il est de notre responsabilité d'élu national et local de chercher à réduire les coûts tout en accélérant les procédures. J'ai l'impression que certains ici n'ont pas le sentiment du temps. Or, le temps, c'est de l'argent. Quand on met six ans au lieu de trois pour faire un collège, vingt ans au lieu de dix pour construire une route, cela a un coût financier et administratif considérable. En outre, c'est l'aménagement du territoire qui en pâtit et nous finissons par ne plus être concurrentiels par rapport à d'autres pays.

Comme vous l'avez dit, madame la ministre, nous devons moderniser notre économie et les PPP y concourent. Comme cela a été rappelé tout à l'heure, 73 % des 60 milliards d'investissements publics sont le fait des collectivités. Avec cette loi, les PPP devraient en représenter 15 %, soit 2,5 % des investissements réalisés en France. N'est-il pas dommage de perdre du temps à saisir le Conseil constitutionnel et le Conseil d'État pour seulement 2,5 % de l'investissement national ? N'a-t-on pas mieux à faire ? (On approuve à droite)

Certains parlementaires se plaignent d'être approchés par tel ou tel lobby. Mais il est normal que les architectes, que les PME, que d'autres encore nous approchent pour être pris en considération et pour être protégés. Mais notre rôle n'est-il pas, avant tout, de protéger nos concitoyens et de réduire les coûts ?

M. Jean-Pierre Sueur.  - Absolument !

M. Éric Doligé.  - J'ai entendu dire qu'on ne pouvait faire des prévisions sur trente ou quarante ans. Mais les PPP ne sont pas non plus faits pour durer autant de temps !

Je vais vous donner un exemple dans mon département du Loiret. J'invite d'ailleurs mon collègue Sueur à y faire un stage ! (Sourires) J'y ai donc fait construire deux collèges, l'un grâce à un PPP et l'autre de façon plus classique. Les constructions ont commencé en même temps, le premier est ouvert depuis la rentrée dernière tandis que le second le sera en septembre 2009, soit deux ans plus tard. Les deux collèges m'ont coûté le même prix, mais dans le cas du PPP, le coût de l'entretien, de la maintenance, du chauffage et du gardiennage sont compris, soit une économie de 15 % par rapport à l'autre. Nos administrés sont satisfaits et nous avons rendu service à la communauté éducative et aux élèves dont la situation s'est améliorée.

J'entends parler d'idéologie, mais c'est totalement faux. Je ne rapporte ici que la réalité du terrain. Grâce aux PPP, j'ai fait plus avec moins d'argent. J'espère que le tribunal administratif qui a été saisi m'entendra...

En outre, quand une entreprise privée construit, elle fait tout pour être à l'heure alors que, dans le public, on ne fait qu'essayer d'y parvenir.

Sans parler de la disponibilité immédiate sur site de l'entreprise pour la maintenance et les travaux d'entretien, du gardiennage tout au long de l'année et non durant la seule période scolaire. Quant à la qualité des matériaux, elle reflète bien l'engagement du partenaire à long terme. Les principaux de collège, que nous réunissons tous les ans, et dont beaucoup avaient crié au scandale au seul mot de partenariat public-privé, se sont tous ralliés à l'idée quand ils ont su, l'année suivante, que tout le collège serait repeint à cinq ans, la façade ravalée et la toiture entièrement refaite à dix ans. Pourquoi ne lancez-vous pas de tels partenariats pour tous les collèges ? m'ont-ils dit. C'est pourquoi je vous répète, monsieur Sueur, qu'un petit stage du côté de chez nous vous serait bien profitable... (Sourires)

Les orientations de ce texte vont dans le bon sens. Il est bon que deux voies supplémentaires de recours s'ajoutent aux deux voies classiques. Il est bon de ne pas s'en remettre à une définition de l'urgence remontant à l'après-guerre, car il est aujourd'hui d'autres urgences que le péril immédiat, qui tiennent, par exemple, à la qualité du service. Même si quelques améliorations sont encore possibles, je souhaite vivement son adoption. Si c'est bien l'originalité qui détermine, madame la ministre, le classement des édifices au patrimoine de l'humanité, j'espère bien que mon collège en fera un jour partie, puisqu'il est le premier en France à résulter d'un partenariat public-privé, et je suis fort marri que vous ne l'ayez par avance cité, car je ne doute pas qu'il ne rejoigne un jour le canal du Midi ! (Sourires et applaudissements sur les bancs UMP)

Mme Christine Lagarde, ministre.  - Je vous remercie de la richesse de ce débat, qui montre que le partenariat public-privé, loin d'être un sujet purement technique, constitue bien un enjeu déterminant pour la modernité de notre pays, et c'est avec grand plaisir, monsieur Doligé, que je rangerai votre collège du Loiret au sein des ouvrages d'art. (Sourires et applaudissements sur les bancs UMP)

Je remercie MM. Béteille, Houel et Guené pour la qualité de leurs rapports, qui abordent sans préjugés toutes les questions pertinentes, ainsi que le président de la commission qui a conduit les travaux.

Le canal du Midi, oeuvre du génial architecte Pierre-Paul Riquet, que j'évoquais tout à l'heure, fut à l'origine non seulement d'un nouvel instrument juridique mais d'une innovation sociale, puisqu'il fut l'occasion d'inaugurer un mécanisme de prise en charge des risques que l'on peut considérer comme l'ancêtre de notre sécurité sociale. Cela me renforce dans la conviction que la commande publique est bien à la frontière de l'économique et du social, en même temps qu'elle constitue un facteur d'attractivité de notre territoire.

Vous avez raison de souligner, monsieur Béteille, que les partenariats public-privé répondent à une exigence de rendement, en permettant à un même acteur privé d'assurer, du début à la fin, une prestation. Le cas qu'évoquait M. Doligé en fournit une frappante illustration. Si la commande est globale, le paiement est scindé : l'État gagne sur les deux tableaux, y compris au regard des règles de la concurrence. Quant à la fiabilité et à l'ambition du service public, elles tiennent à la nature des travaux. L'éclairage public de la ville de Rouen, l'informatisation des collèges d'Eure-et-Loir, la billetterie électronique du Château de Versailles ou la construction d'un troisième lot d'établissements pénitentiaires sont là pour en témoigner. Mais elles supposent également un strict respect de la procédure, notamment en ce qui concerne l'évaluation préalable. Non seulement notre texte ne revient pas sur cette exigence, mais il la renforce, en procédant à certains aménagements de la procédure de passation pour les adapter aux spécificités du contrat de partenariat.

Le partenariat public-privé doit certes rester une procédure exceptionnelle (M. Sueur approuve) mais devant l'urgence de certaines situations, l'on peut être conduit à en avoir une définition moins étroite... Reste que, loin de constituer une privatisation du service public, le partenariat public-privé est bien une utilisation du privé au service du public.

Le sénateur Guené l'a relevé, ce texte vise un objectif : favoriser l'investissement public, facteur d'attractivité pour notre pays, par un mécanisme intelligent. Lorsque l'on interroge les investisseurs étrangers, pour lesquels notre pays reste la troisième destination, ils répondent que le premier critère qui détermine leur choix est la qualité de nos infrastructures publiques.

Je relève, monsieur Billout, que vous partagez notre souci de favoriser l'investissement public : loin de constituer l'importation en France d'un concept anglo-saxon, le partenariat public-privé est bien un instrument continental, qui tend à se généraliser chez nos partenaires allemands, espagnols, portugais.

M. Houel a rappelé, à juste titre, les exigences de pragmatisme et de vigilance qui devaient être les nôtres. Je suis sensible à son souci de développer l'évaluation préalable des grands projets. L'État doit être exemplaire en la matière. L'extension de la pratique de l'évaluation favorisera la réflexion en amont, donc la maîtrise des risques et les économies en aval.

Je crois comme vous souhaitable, monsieur Béteille, de bien préciser les conditions dans lesquelles l'urgence peut être regardée comme établie. La méthodologie des organismes-experts doit également être affinée et ce projet de loi sera l'occasion d'une mise à jour du guide des bonnes pratiques rédigé par les services de mon ministère. La Mission d'appui aux partenariats public-privé assurera ainsi la diffusion de la méthodologie qu'elle a pu développer en particulier en matière d'analyse des risques et vous pourrez, monsieur Girod, vous reposer, mieux encore que sur un partenaire de métier, sur un centre d'expertise permettant d'établir des comparaisons.

Comment favoriser l'attractivité du contrat de partenariat ? Vous avez ainsi évoqué la question du régime de cession de créances qui lui est propre. Le texte vise à en accroître l'intérêt pour les collectivités publiques comme pour les partenaires privés, en incluant dans son assiette certains des frais financiers jusque-là exclus et en prévoyant une sécurisation analogue à celle produite par le mécanisme de l'acceptation en cession Dailly.

S'agissant des PME, le Gouvernement veille à en faire des parties prenantes tant aux partenariats public-privé qu'à d'autres domaines sur lesquels la future loi de modernisation de l'économie nous donnera l'occasion de revenir. Elles doivent pouvoir être retenues au premier rang pour les opérations de petite et moyenne envergure -car je ne crois pas souhaitable d'exclure les petites opérations du partenariat public-privé- ou en prestataire des groupes retenus pour les opérations plus importantes. Elles sont en forte progression dans les opérations initiées par les collectivités locales, soit les trois quarts des projets de taille moyenne, qui représentent un montant inférieur à 30 millions d'euros. Ces opérations, auxquelles elles peuvent répondre seules ou à plusieurs, ont d'autant plus de portée que l'ordonnance ne prévoit aucun seuil minimal d'engagement.

Vous m'interrogez également sur les architectes. Seront-ils pénalisés ?

L'architecture est d'intérêt public et participe à l'identité des villes, et nous avons en France de nombreux architectes de qualité. C'est pourquoi les responsables des collectivités publiques, quand ils recourent au partenariat pour la construction et l'exploitation de leurs équipements, conservent la liberté de désignation du concepteur et du projet architectural. Aussi l'ordonnance prévoit-elle que la personne publique puisse garder tout ou partie de la conception de l'ouvrage sous sa responsabilité, en la confiant au prestataire qu'elle aura choisi. Cette clause a déjà été mise en oeuvre. Sur la vingtaine d'avis relatifs à des projets à caractère « bâtimentaire » rendus par la MAPPP, trois concernent des projets où la conception a été dissociée de la réalisation : la rénovation du zoo de Vincennes, ainsi que les théâtres de Perpignan et de Rambouillet, dont M. Larcher vous a parlé en commission.

Certains, M. Dubois notamment, ont suggéré que, compte tenu de la multiplicité des modes de passation de la commande publique, un code de la commande publique à des fins de simplification soit envisagé. J'y suis favorable, à condition qu'il ne s'agisse pas simplement de la mise bout à bout des textes existants mais d'une harmonisation et d'un travail de consolidation. M. Eric Besson a d'ailleurs été chargé par le Premier ministre d'une mission sur l'articulation des différents instruments.

Je souhaite répondre à M. le rapporteur Guené sur les cinq « règles d'or » qu'il nous a présentées. Concernant la première règle, celle concernant la possibilité de recours aux contrats de partenariat à la lumière de l'expérience britannique : celle-ci montre qu'il faut dans certains cas renforcer l'exigence de vigilance, mais sans fixer des règles générales dont l'application pourrait être inadaptée au cas français, particulièrement au droit continental. Je précise que, dans le cadre de sa mission, M. Besson a examiné la façon dont les private finance initiatives fonctionnent et mesuré la satisfaction de leurs utilisateurs.

La deuxième « règle d'or » consisterait à suivre la performance de l'investissement public grâce à des indicateurs spécifiques et à les présenter au Parlement dans le projet de loi de finances. De tels instruments sont en effet nécessaires, notamment pour les contrats complexes. Cependant, ils ne doivent pas être génériques mais construits par secteurs, compte tenu de la diversité des projets. Ils varieront particulièrement s'ils considèrent du corporel ou de l'incorporel. D'ailleurs, certains indicateurs existent déjà dans le cadre de la procédure dite de « justification au premier euro ».

La troisième « règle d'or » concernerait la construction d'un référentiel d'évaluation commun aux administrations publiques et à la Cour des comptes, démarche en effet souhaitable à moyen terme.

La quatrième propose d'étoffer les équipes de maîtrise d'ouvrage des différents ministères. Le Gouvernement a conscience de la nécessité de professionnaliser l'acheteur public et d'ouvrir l'accès à une expertise indépendante. Or, le projet de réforme des achats de l'État vise précisément à créer au sein de chaque ministère un pôle « achats » avec un niveau accru de compétences qui pourra également servir pour les opérations de maîtrise d'ouvrage. La Direction des affaires publiques de mon ministère et la MAPPP remplissent déjà une mission interministérielle d'expertise et de conseil. Veillons à ce que le fait de conférer la maîtrise d'ouvrage aux partenaires privés ne se traduise pas par une perte de compétences au sein de l'administration. Un renforcement de l'expertise ex ante empêcherait que l'efficience à terme des contrats de partenariat se trouve affectée. Le plan de stimulation des contrats de partenariat comporte également un programme de formation intensive des acheteurs publics qui devrait leur permettre de maîtriser la complexité de ces contrats.

Votre cinquième « règle d'or » interdirait d'utiliser les contrats de partenariat comme un outil d'optimisation de la dette budgétaire. Certes, si 15 % des investissements publics étaient réalisés en contrats de partenariat et « déconsolidés », la dette publique au sens de Maastricht diminuerait de 0,6 point de PIB par an. M. Girod a parlé de la norme Eurostat, qui n'est pas toujours claire en effet. Avoir une liste des engagements hors bilan qui serait conforme au critère d'Eurostat et néanmoins extraits de la dette de l'État me paraît légitime. Je ne rappelle pas les critères de distinction Eurostat qui ont souvent un degré d'incertitude. En l'espèce, nous pouvons être rassurés par la grande vigilance de l'Insee qui classe plutôt « dans » que « hors » la dette au sens de Maastricht.

Monsieur Sueur, j'espère non vous convertir -même si vous avez cité le pari de Pascal- mais au moins vous convaincre. La création d'un troisième cas de contrat de partenariat envisagé à l'article 2 de l'ordonnance a été validé par le Conseil d'État et présente les garanties de constitutionnalité au regard de la décision du Conseil constitutionnel du 26 juin 2003. Aussi ai-je voulu me référer aux termes mêmes du Conseil constitutionnel, et ce malgré les assurances données par le Conseil d'État. Les quatre voies de recours aux contrats de partenariat prévues par notre projet de loi me paraissent conformes aux dispositions prévues par les décisions. En effet, lorsque le Conseil constitutionnel fait référence aux notions d'urgence et de complexité, il les cite seulement à titre d'exemples : le texte le prouve. Il est clair que le Conseil constitutionnel a seulement voulu donner deux exemples des motifs d'intérêt général qui justifient pareille dérogation, sans exclure d'autres motifs comme le bon usage des deniers publics. L'extension à deux voies de recours nouvelles, avec les critères conjoints de limitation dans le temps, de limitation dans les matières et du caractère non manifestement défavorable, répond donc aux exigences de constitutionnalité.

Telles sont, monsieur le Président, les réponses que je voulais apporter. (Applaudissements au centre, à droite et sur le banc des commissions)

La discussion générale est close.

Exception d'irrecevabilité

M. le président.  - Motion n°96, présentée par Mme Mathon-Poinat et les membres du groupe CRC.

En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi relatif aux contrats de partenariats (n° 211, 2007-2008).

Mme Josiane Mathon-Poinat.  - Les contrats de partenariat sont apparus dans le paysage de la commande publique avec l'ordonnance du 17 juin 2004. Des ébauches de partenariats public-privé avaient cependant été instaurées par les deux lois de programmation pour la sécurité et la justice de 2002 qui permettaient à l'administration de signer de tels contrats dans le but de construire ou rénover des prisons et des gendarmeries. Avec la loi du 2 juillet 2003 habilitant le Gouvernement à simplifier le droit, les contrats de partenariat ont été officialisés et il a été décidé de généraliser ce nouvel outil de la commande publique.

Cependant, un obstacle a cassé l'élan gouvernemental : le Conseil constitutionnel, saisi de la loi d'habilitation, a validé le principe des contrats de partenariat mais refusé sa généralisation. En effet, il ne fait pas des contrats de partenariat des outils juridiques équivalents aux marchés publics, aux délégations de service public ou aux concessions, mais les considère comme des dérogations. Il estime que « la généralisation de telles dérogations au droit commun de la commande publique ou de la domanialité publique serait susceptible de priver de garanties légales les exigences constitutionnelles inhérentes à l'égalité devant la commande publique, à la protection des propriétés publiques et au bon usage des deniers publics ». A ce titre, ils doivent être réservés « à des situations répondant à des motifs d'intérêt général tels que l'urgence qui s'attache, en raison des circonstances particulières ou locales, à rattraper un retard préjudiciable, ou bien la nécessité de tenir compte des caractéristiques techniques, fonctionnelles ou économiques d'un équipement ou d'un service déterminé ».

Ainsi, la décision du Conseil constitutionnel a bouleversé les plans du Gouvernement qui a dû intégrer dans l'ordonnance de 2004 les réserves d'interprétation du Conseil. Le recours aux contrats de partenariat n'a été rendu possible que pour les projets qui relèvent de l'urgence et pour ceux dont la complexité le justifie.

Mais malgré un régime fiscal intéressant, les partenariats public-privé n'ont pas connu l'essor escompté. Seulement vingt-deux contrats de partenariat ont été passés par les collectivités territoriales, et sept par l'État. Aussi le Président de la République a-t-il fait connaître en octobre dernier, dans une lettre adressée au Premier ministre, sa volonté de relancer les partenariats public-privé. Tel est le sens du projet de loi que présente Mme la Ministre.

Vous souhaitez « faire du contrat de partenariat un instrument qui trouve pleinement sa place dans la commande publique, et non plus un simple outil d'exception ». Cette seule affirmation est contraire à la décision du Conseil constitutionnel !

Le projet de loi prévoit le recours aux contrats de partenariat d'une part lorsque l'intérêt économique et financier est démontré à l'issue d'une évaluation et d'autre part, jusqu'au 31 décembre 2012, pour les secteurs présentant un besoin immédiat d'investissement.

Faisant fi de la décision du Conseil constitutionnel, vous cherchez à banaliser les contrats de partenariat. D'une part, le projet de loi prévoit le recours aux contrats de partenariat lorsque l'intérêt économique et financier est démontré à l'issue d'une évaluation. Or les articles 2 et 14 de l'ordonnance prévoient déjà un bilan coûts-avantages préalable, sans sortir du cadre défini par le Conseil constitutionnel, mais les projets qui font l'objet d'une telle évaluation doivent être complexes ou présenter un caractère d'urgence. Votre objectif est de rendre les contrats de partenariat systématiquement plus avantageux que tous les autres outils de la commande publique.

En outre, le projet de loi autorise le recours au partenariat public-privé, jusqu'au 31 décembre 2012, pour les secteurs présentant un besoin immédiat d'investissement : l'enseignement supérieur et la recherche, la justice, ou encore la santé publique. Or l'ordonnance de 2004 prévoit déjà la possibilité de recourir aux contrats de partenariats en cas d'urgence. En réalité, l'article 2 ouvre un champ bien plus vaste : les besoins sont grands en matière de rénovation urbaine, d'amélioration des conditions de vie des étudiants, d'accessibilité des personnes handicapées ou d'efficacité énergétique des bâtiments publics. Soit quasiment tous les champs de la commande publique !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Absolument !

Mme Josiane Mathon-Poinat.  - Le Gouvernement impose ainsi aux administrations de recourir au partenariat pour les projets énumérés à l'article 2 et exclut de fait les autres outils de la commande publique.

Le Conseil constitutionnel s'est pourtant opposé à une telle généralisation des contrats de partenariat, en mettant en avant les principes d'égalité devant la commande publique, de protection des propriétés publiques et de bon usage des deniers publics. Les contrats globaux seront de facto réservés aux grandes entreprises du BTP. La généralisation des contrats de partenariat prive les PME, les artisans et les architectes d'accès direct à la commande publique : c'est une atteinte au principe constitutionnel d'égal accès à la commande publique.

Dans sa décision de juin 2003, le Conseil constitutionnel a consacré le principe de bon usage des deniers publics. Les contrats de partenariat permettent de masquer artificiellement l'endettement des personnes publiques, mais coûtent cher à l'État et aux collectivités. Le cocontractant assure le préfinancement de l'ouvrage, mais les deniers publics couvrent in fine la totalité des frais car la personne publique paye un loyer au partenaire privé. Pour assurer la construction de l'ouvrage, ce dernier devra faire appel à des organismes bancaires, ce qui revient à autoriser le paiement différé de ces contrats, pourtant prohibé par le code des marchés. C'est un endettement indirect qui pèsera à terme sur les contribuables, et qui contourne les règles d'endettement maximum des collectivités locales.

Dans son rapport de 2008, la Cour des comptes estime que la formule est inopportune s'agissant d'un service public non marchand puisqu'elle fait entièrement reposer sur les finances de l'État une charge disproportionnée au regard de l'allégement de la charge budgétaire immédiate qu'elle permet. La Cour invite donc à « une réflexion approfondie sur l'intérêt réel de ces formules innovantes qui n'offrent d'avantages qu'à court terme et se révèlent finalement onéreuses à moyen et long termes ». La généralisation du partenariat public-privé constitue bien une atteinte incontestable au principe de bon usage des deniers publics.

Pourquoi vouloir imposer le partenariat à tout prix ? Ni insécurité ni vide juridique ne justifient le recours à ces contrats de partenariat. Vos motivations ne sont pas juridiques mais politiques : vous voulez contourner le code des marchés publics et la loi MOP et privatiser à terme certains services publics !

Ce projet de loi contourne sciemment la décision du Conseil constitutionnel. Je vous invite donc à adopter cette motion d'irrecevabilité. (Applaudissements à gauche)

M. Laurent Béteille, rapporteur.  - Avis défavorable. Nous avons déjà longuement abordé la question de la constitutionnalité. La décision du 26 juin 2003 n'a pas interdit la création d'autres cas de recours au partenariat : l'urgence et la complexité ne sont que des exemples de motifs d'intérêt général.

Le projet de loi ne généralise pas le contrat de partenariat, auquel on ne peut recourir librement, contrairement au marché public ou à la délégation de service public. C'est un cas de dérogation, conforme à la décision du Conseil constitutionnel.

Mme Christine Lagarde, ministre.  - Défavorable pour les mêmes raisons.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Je soutiens l'exception d'irrecevabilité présentée par Mme Mathon-Poinat. Toute la démonstration de Mme la ministre s'appuie en effet sur les termes « tels que », et M. le rapporteur vient de reprendre l'argument. Urgence, complexité ne seraient donc selon eux que des exemples, d'autres critère seraient possibles. Alors pourquoi continuez-vous à dire que les contrats de partenariat restaient exceptionnels ?

Pour le Conseil constitutionnel, la généralisation de telles dérogations priverait de garanties légales différentes exigences constitutionnelles. Or votre projet de loi est une généralisation. Au risque de fâcher M. Paul Girod (M. Paul Girod lève les bras au ciel), j'évoque une fois encore la remarquable démonstration de M. Doligé, qui se fait l'écho des propos de ceux pour qui il faut faire tous les collèges en partenariat si cela est tellement plus avantageux : sinon, ce serait méconnaître l'intérêt public !

Mais quelle évaluation en fera-t-on dans dix ans ? J'espère que nous serons tous vivants pour considérer la période écoulée et porter un jugement. Pour l'heure, qui peut dire ce qui se révélera plus avantageux à long terme ? Certains orateurs parlent des cas où il est « prouvé » que le contrat de partenariat est plus avantageux. Je connais les preuves en mathématiques. Mais ici, pas de preuve, on nous demande seulement un acte de foi.

Ces critères élargis font des contrats de partenariat le contraire de l'exceptionnel : « avantageux » ouvre toutes les portes ; et jusqu'en 2012, tout sera déclaré urgent. Qu'en pensera le Conseil constitutionnel s'il est saisi ?

Si vous aviez ajouté un cas exceptionnel, j'aurais pu le comprendre. Mais vous faites tout autre chose : une généralisation ! Je soutiens donc la démarche de Mme Mathon-Poinat.

La motion n°96 n'est pas adoptée.

Discussion des articles

Articles additionnels

M. le président.  - Amendement n°97, présenté par Mme Mathon-Poinat et les membres du groupe CRC.

Avant l'article 1er, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :

L'ordonnance n° 2004-559 du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat est abrogée.

M. Michel Billout.  - Cet amendement est provocateur et je le retire afin de donner un gage de notre bonne volonté. Nous préférons aborder ce débat avec une proposition d'amélioration.

L'amendement n°97 est retiré.

M. le président.  - Amendement n°98, présenté par Mme Mathon-Poinat et les membres du groupe CRC.

Avant l'article 1er, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :

Toute identification de projet public susceptible d'être mis en oeuvre sous la forme d'un contrat de partenariat doit être notifiée préalablement à son lancement.

Pour l'État, cette notification est faite devant la Mission d'appui des partenariats public-privé, qui en assure la publicité sur son site.

Pour les collectivités territoriales, la notification est faite devant l'assemblée plénière et sur le portail « marchés » de la collectivité ou de son prestataire attitré.

La forme minimale de l'information sur le projet doit contenir son objet, ses enjeux, ainsi que qu'une évaluation financière globale du montage envisagé.

Cette publicité préalable est assurée pendant quarante-cinq jours avant tout lancement des procédures de contrat de partenariat.

M. Michel Billout.  - Nous encadrons les contrats de partenariat afin d'éviter certaines dérives. Transparence et concurrence libre et non faussée : voilà qui va plaire à la majorité de la Haute Assemblée !

En matière de marchés publics et de délégation de service public, les projets d'investissement sont conditionnés, pour l'État, par la présentation des autorisations de programme, pour les collectivités, par un vote formel de leur assemblée. On nous annonce un large recours aux partenariats : évitons de jeter la suspicion sur eux, ils sont déjà soupçonnés de servir à masquer l'endettement par la déconsolidation. Prévoyons donc au moins une information correcte. Lorsque la mission d'appui à la réalisation des contrats de partenariat (MAPP) publie son avis, la procédure est déjà lancée ! Et le contrôle démocratique ? Pour les collectivités, il n'y a même pas d'autorité indépendante...

M. Laurent Béteille, rapporteur.  - Défavorable. Vous alourdissez la procédure par un dispositif inconnu en droit de la commande publique. Des règles de publicité existent déjà, qui assurent une concurrence efficace.

Mme Christine Lagarde, ministre.  - Je salue la proposition constructive des sénateurs CRC en faveur de la concurrence. Mais les règles existantes -et notamment l'insertion d'un avis au Journal officiel de l'Union européenne- sont déjà substantielles !

L'amendement n°98 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°117, présenté par M. Sueur et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Avant l'article 1er, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :

Avant l'article 1er de l'ordonnance 2004-559 du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat, il est ajouté un article ainsi rédigé :

« Art. ... - Les contrats de partenariat sont des contrats dérogatoires au droit commun de la commande publique et à la domanialité publique. La généralisation de telles dérogations ne saurait priver de garanties légales les exigences constitutionnelles inhérentes à l'égalité devant la commande publique, à la protection des propriétés publiques et au bon usage des deniers publics. »

M. Pierre-Yves Collombat.  - Je suis mortifié car Mme la ministre a purement et simplement négligé dans ses réponses de répondre à mes questions. Celles-ci n'étaient pourtant pas anodines : pourquoi, s'il existe déjà un arsenal solide en matière de commande publique, en rajouter ? Et quelles sont les possibilités de bilan sérieux ? Je serai attentif aux réponses, en rappelant à M. Doligé qu'on construit ailleurs que dans le Loiret des collèges en trois ans. Notre proposition de bon sens est conforme au droit en vigueur.

M. Laurent Béteille, rapporteur.  - Défavorable, la commission a veillé à ce que les garanties soient suffisantes dans le texte ; n'allons pas répéter un principe de droit énoncé par le Conseil constitutionnel, sa décision se suffit à elle-même.

Mme Christine Lagarde, ministre.  - Même avis. Monsieur Collombat, il s'agit d'ajouter un élément utile dans la boîte à outils. Le contrat de partenariat concourt à assurer la concurrence et rien n'interdit ce principe dérogatoire.

Pour faire un bilan depuis 2004, c'est un peu tôt.

L'amendement n°117 n'est pas adopté.

Article premier

L'article 1er de l'ordonnance n° 2004-559 du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat est ainsi modifié :

1° Il est inséré un : « I » au début de l'article ;

2° Au troisième alinéa, il est ajouté une phrase ainsi rédigée : « Il peut se voir céder, avec l'accord du cocontractant concerné, tout ou partie des contrats passés par la personne publique pouvant concourir à l'exécution de sa mission, notamment des contrats passés en application du code des marchés publics et de la loi n° 85-504 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'oeuvre privée. » ;

3° Il est ajouté un alinéa et un II ainsi rédigés :

« Le contrat de partenariat peut prévoir un mandat de la personne publique au cocontractant pour encaisser, au nom et pour le compte de la personne publique, le paiement par l'usager final de prestations revenant à cette dernière. »

« II. - Lorsque la réalisation d'un projet relève simultanément de la compétence de plusieurs personnes publiques, ces dernières peuvent désigner par convention celle d'entre elles qui conduira la procédure de passation, signera le contrat et, éventuellement, en suivra l'exécution. Cette convention précise les conditions de ce transfert de compétences et en fixe le terme. »

M. le président.  - Amendement n°99, présenté par Mme Mathon-Poinat et les membres du groupe CRC.

Supprimer cet article.

Mme Josiane Mathon-Poinat.  - On peut comprendre que les marchés de maîtrise d'oeuvre ne soient pas obligatoirement intégrés aux contrats mais cela aura cette conséquence importante que l'interlocuteur du maître d'oeuvre va changer : au lieu d'une personne publique, ce sera une personne privée. Ce n'est pas sans importance pour une collectivité territoriale car le partenaire privé n'aura pas la même conception du service public que le fonctionnaire.

D'autre part, que se passera-t-il en cas de changement de majorité après une élection ? Les contrats pourront-ils être remis en cause ou doit-on comprendre qu'ils seront immuables une fois qu'ils auront été signés ?

Bref, cet article premier pose plus de problèmes qu'il n'en résout, c'est pourquoi nous en demandons la suppression.

M. le président.  - Amendement n°118, présenté par M. Sueur et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Rédiger ainsi cet article :

L'article 1er de l'ordonnance n° 2004-559 du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat est ainsi rédigé :

« Article 1er - I. - Les contrats de partenariat sont des contrats administratifs par lesquels l'État ou un établissement public de l'État confie à un tiers, pour une période déterminée en fonction de la durée d'amortissement des investissements ou des modalités de financement retenues, une mission globale relative au financement d'investissements immatériels, d'ouvrages ou d'équipements nécessaires au service public, à la construction ou transformation des ouvrages ou équipements, ainsi qu'à leur entretien, leur maintenance, leur exploitation ou leur gestion, et, le cas échéant, à d'autres prestations de services concourant à l'exercice, par la personne publique, de la mission de service public dont elle est chargée.

« Il ne peut être conclu de contrat de partenariat que si le montant des travaux et prestations à réaliser en vertu du dit contrat est supérieur à 50 millions d'euros hors taxes.

« II. - Le cocontractant de la personne publique assure la maîtrise d'ouvrage des travaux à réaliser.

« Il peut se voir confier tout ou partie de la conception des ouvrages. Il peut se voir céder, avec l'accord du cocontractant concerné, tout ou partie des contrats passés par la personne publique pouvant concourir à l'exécution de sa mission.

« Lorsque le contrat de partenariat concerne la construction, la réhabilitation, la réutilisation ou la transformation d'un ou plusieurs bâtiments, la procédure de mise en concurrence visant à l'attribution du contrat ne peut s'effectuer que sur la base d'un projet résultant d'un concours d'architecture organisé préalablement, par la personne publique à l'origine du contrat de partenariat.

« La rémunération du cocontractant fait l'objet d'un paiement par la personne publique pendant toute la durée du contrat. Elle peut être liée à des objectifs de performance assignés au cocontractant.

« III. - Lorsque la réalisation d'un projet relève simultanément de la compétence de plusieurs personnes publiques, ces dernières peuvent désigner par convention celle d'entre elles qui conduira la procédure de passation, signera le contrat et, éventuellement, en suivra l'exécution. Cette convention précise les conditions de ce transfert de compétences et en fixe le terme. »

M. Jean-Pierre Sueur.  - Nous proposons, entre autres, un seuil de 50 millions. Je prends pour argument l'excellent rapport de M. Guené, qui insiste sur les risques que fait courir une déconsolidation de la dette. Il fait aussi remarquer que de nombreux artisans et petits entrepreneurs n'auront plus accès aux marchés publics. Tirant les leçons de l'expérience nationale, le Trésor du Royaume-Uni considère qu'à moins de 20 millions de livres le PPP ne présente pas un rapport coût/avantages satisfaisant. Il serait bon de s'en souvenir, puisqu'on nous vante toujours « l'exemple » britannique et que le Président de la République a fait là-bas un voyage remarqué.

Le risque est réel qu'en multipliant les partenariats pour de faibles montants on ne cherche que des accommodements budgétaires. Le rapporteur général lui-même s'est demandé s'il ne convenait pas de fixer un seuil ; nous jugeons que ce serait sage.

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par M. Béteille au nom de la commission des lois.

Rédiger comme suit cet article :

A. L'article 1er de l'ordonnance n° 2004-559 du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat est ainsi rédigé :

« I. - Le contrat de partenariat est un contrat administratif par lequel l'État ou un établissement public de l'État confie à un tiers, pour une période déterminée en fonction de la durée d'amortissement des investissements ou des modalités de financement retenues, une mission globale ayant pour objet le financement, la construction ou la transformation, l'entretien, la maintenance, l'exploitation ou la gestion d'ouvrages, d'équipements ou de biens immatériels nécessaires au service public.

« Il peut également avoir pour objet tout ou partie de la conception de ces ouvrages, équipements ou biens immatériels ainsi que des prestations de services concourant à l'exercice, par la personne publique, de la mission de service public dont elle est chargée.

« II. - Le cocontractant de la personne publique assure la maîtrise d'ouvrage des travaux à réaliser.

« Il peut se voir céder, avec l'accord du cocontractant concerné, tout ou partie des contrats passés par la personne publique pouvant concourir à l'exécution de sa mission.

« La rémunération du cocontractant fait l'objet d'un paiement par la personne publique pendant toute la durée du contrat. Elle est liée à des objectifs de performance assignés au cocontractant.

« Le contrat de partenariat peut prévoir un mandat de la personne publique au cocontractant pour encaisser, au nom et pour le compte de la personne publique, le paiement par l'usager final de prestations revenant à cette dernière.

« III. - Lorsque la réalisation d'un projet relève simultanément de la compétence de plusieurs personnes publiques, ces dernières peuvent désigner par convention celle d'entre elles qui conduira la procédure de passation, signera le contrat et, éventuellement, en suivra l'exécution. Cette convention précise les conditions de ce transfert de compétences et en fixe le terme. »

B. En conséquence, la même ordonnance est ainsi modifiée :

1° Dans le dernier alinéa de l'article 8, les mots : « ouvrages ou équipements » sont remplacés par les mots : « ouvrages, équipements ou biens immatériels » ;

2° Dans les c, e, f et k de l'article 11, les mots : « ouvrages et équipements » sont remplacés par les mots : « ouvrages, équipements ou biens immatériels » et dans le d du même article, les mots : « ouvrages ou équipements » sont remplacés par les mots : « ouvrages, équipements ou biens immatériels » ;

3° Dans les a et c et dans le dernier alinéa de l'article 12, le mot : « ouvrages » est remplacé par les mots : « ouvrages, équipements ou biens immatériels ».

M. Laurent Béteille, rapporteur.  - Nous récrivons l'article afin de distinguer plus nettement, dans la définition du contrat de partenariat, les critères facultatifs des critères obligatoires; de clarifier le champ du contrat de partenariat en indiquant qu'il recouvre aussi bien les ouvrages, les équipements que les biens immatériels ; de préciser que la rémunération du partenaire privé est nécessairement liée aux objectifs de performance.

M. le président.  - Sous-amendement de conséquence n°119 à l'amendement n°1 de M. Béteille, au nom de la commission des lois, présenté par M. Sueur et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Compléter le I du texte proposé par l'amendement n° 1 pour l'article premier de l'ordonnance n° 2004-559 du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat par un alinéa ainsi rédigé :

« Il ne peut être conclu de contrat de partenariat que si le montant des travaux et prestations à réaliser en vertu du dit contrat est supérieur à 50 millions d'euros hors taxes.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Je l'ai présenté.

M. le président.  - Sous-amendement de conséquence n°120 à l'amendement n°1 de M. Béteille, au nom de la commission des lois, présenté par M. Sueur et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Après le deuxième alinéa du II du texte proposé par l'amendement n° 1 pour l'article premier de l'ordonnance n° 2004-559 du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat, insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsque le contrat de partenariat concerne la construction, la réhabilitation, la réutilisation ou la transformation d'un ou plusieurs bâtiments, la procédure de mise en concurrence visant à l'attribution du contrat ne peut s'effectuer que sur la base d'un projet résultant d'un concours d'architecture organisé préalablement, par la personne publique à l'origine du contrat de partenariat.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Ce qu'on nous dit pour les architectes n'est pas plus satisfaisant que ce qu'on nous dit pour les artisans et les petits entrepreneurs. « Ils pourront concourir ». Certes. « La collectivité territoriale pourra faire un concours d'architectes ». Certes. Mais, ce concours, l'on ne sera pas tenu de le faire. Avec ce projet de loi, vous rendez possible un choix discrétionnaire.

L'ordre des architectes réclame que le concours soit obligatoire. Le conseil national des architectes le demande, les syndicats d'architectes le souhaitent. Des lobbies, du corporatisme ? Non : l'expression par toutes ses instances d'une profession respectable. Ce n'est pas du corporatisme que de souhaiter l'égal accès de tous les membres de cette profession à la commande publique. C'est en outre conforme à l'intérêt général puisque c'est une garantie de qualité.

M. le président.  - Sous-amendement de conséquence n°121 à l'amendement n°1 de M. Béteille, au nom de la commission des lois, présenté par M. Sueur et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Supprimer le dernier alinéa du II du texte proposé par l'amendement n° 1 pour l'article 1er de l'ordonnance n° 2004-559 du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat.

M. Pierre-Yves Collombat.  - La rédaction est ambiguë. Des exemples existent, comme celui de l'Insep, où des dizaines de fonctionnaires ont vu leurs missions externalisées.

Où s'arrêtera-t-on ? Pourquoi ne pas externaliser aussi les misions d'enseignement, qui deviennent résiduelles ?

M. le président.  - Sous-amendement identique n°122 à l'amendement n° 1 de M. Béteille, au nom de la commission des lois, présenté par M. Sueur et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.

Compléter le II du texte proposé par l'amendement n° 1 pour l'article 1er de l'ordonnance n° 2004-559 du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat par un alinéa ainsi rédigé :

« La gestion d'un service public ne peut être déléguée au titulaire d'un contrat de partenariat.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Nous attachons une importance particulière à cette proposition. Nos inquiétudes ne seraient pas fondées ? Alors inscrivons cette interdiction dans la loi. Je rappelle que l'ordonnance dispose que le partenaire peut se voir confier la gestion des ouvrages ou des équipements nécessaires au service public et, à titre facultatif, d'autres prestations concourant à l'exercice par la puissance publique des misions dont elle a la charge.

M. le président.  - Amendement n°48, présenté par M. Houel au nom de la commission des affaires économiques, identique à l'amendement 1 de la commission des lois.

M. Michel Houel, rapporteur pour avis.  - Il est défendu.

M. le président.  - Amendement n°123, présenté par M. Sueur et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Après le deuxième alinéa (1°) de cet article, insérer un alinéa ainsi rédigé :

...° Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Il ne peut être conclu de contrat de partenariat que si le montant des travaux et prestations à réaliser en vertu dudit contrat est supérieur à 50 millions d'euros hors taxe. » ;

M. Jean-Pierre Sueur.  - Il est défendu.

M. le président.  - Amendement n°124, présenté par M. Sueur et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Supprimer le deuxième alinéa du 3° de cet article.

M. Jean-Pierre Sueur.  - De même.

M. le président.  - Amendement n°100 rectifié, présenté par Mme Mathon-Poinat et les membres du groupe CRC.

Compléter le deuxième alinéa du 3° de cet article par deux phrases ainsi rédigées :

Dans ce cas, le délai de reversement des sommes perçues ne peut excéder trente jours. En cas de dépassement du délai, le retard de versement donne lieu au paiement d'intérêts composés calculés sur la base fixée au d) du 1 de l'article 3 de la directive 200/35/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 juin 2000 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales.

M. Michel Billout.  - Il s'agit de régler la délicate question des flux de trésorerie laissés à la disposition du prestataire lorsque celui-ci collecte de l'argent pour le compte de la collectivité. Cette proposition est cohérente avec la volonté affichée par le Gouvernement ; seule la réduction des délais de paiement rendra de la compétitivité à nos entreprises. Bruxelles a, de son côté, émis une directive en juin 2000 pour limiter ces délais et définir les sanctions applicables en cas de non respect de ceux-ci. Nous avons retenu ici ces sanctions, et non leur version édulcorée par les textes nationaux. Il s'agit d'éviter que perdurent des pratiques régulièrement dénoncées par la Cour des comptes ou les chambres régionales des comptes.

M. le président.  - Amendement n°125, présenté par M. Sueur et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Avant le dernier alinéa du 3° de cet article, insérer un alinéa ainsi rédigé :

« La gestion d'un service public ne peut être déléguée au titulaire d'un contrat de partenariat.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Il est défendu.

M. Laurent Béteille, rapporteur.  - La commission est défavorable à l'amendement 99 ; le texte donne une base juridique à des pratiques existantes dans un souci d'efficacité de la commande publique. Même avis à l'amendement 118, l'introduction d'un seuil pénaliserait les petites collectivités et les PME -je pense par exemple au projet réalisé à Auvers-sur-Oise pour 2 millions d'euros à la satisfaction de la commune et de son partenaire. La CGPME comme la Capeb sont opposées à l'introduction d'un seuil.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Ce n'est pas ce que j'ai compris !

M. Laurent Béteille, rapporteur.  - De plus, le contrat est global, il est logique de pouvoir y inclure la maîtrise d'oeuvre ; laissons le choix à la collectivité. Par cohérence, défavorable aux 119 et 120.

Défavorable de même au 121, il faut éviter toute confusion et les risques de gestion de fait. L'amendement 122 pose une question intéressante ; la commission souhaite entendre le Gouvernement. Avis favorable au 48, défavorable aux 123 et 124 et sagesse sur le 100 rectifié. La commission sollicite l'avis du Gouvernement sur le 125.

Mme Christine Lagarde, ministre.  - Le Gouvernement est défavorable à l'amendement 99 : le texte apporte davantage de sécurité juridique à la collectivité publique qui souhaite recourir à un contrat de partenariat. L'article premier prévoit en outre que plusieurs pouvoirs publics ayant un intérêt commun pourront se grouper pour conclure ensemble un tel contrat.

Avis défavorable aux 118, 119 et 120. Il n'est pas souhaitable d'introduire un seuil. Je peux vous citer des exemples de contrats de plus faible montant -un parking souterrain à Saint-Raphaël pour moins de 20 millions d'euros, ou les pôles énergie des hôpitaux de Roanne et d'Alès pour respectivement 5 et 7 millions- qui ont été conclus à la satisfaction des deux partenaires. J'ajoute qu'il est contradictoire de vouloir un seuil tout en souhaitant favoriser les PME.

Nous souhaitons vivement associer les PME.

M. Jean-Pierre Sueur. - Elles peuvent soumissionner à des marchés publics !

Mme Christine Lagarde, ministre.  - Le Gouvernement est favorable aux amendements identiques n°s1 et 48. Il remercie les rapporteurs pour cette utile clarification.

En revanche, il repousse le sous-amendement n°121, car la vie de la personne publique est simplifiée lorsque le contractant peut percevoir les redevances liées à l'usage du service public objet du contrat.

Le sous-amendement n°122 et l'amendement n°125 sont inutiles, puisque l'article premier de l'ordonnance exclut la gestion de services publics. En effet, l'activité régalienne ne peut être déléguée, ainsi que le Conseil constitutionnel l'a noté à propos des prisons, dans sa décision du 27 août 2002 portant sur la loi d'orientation et de programmation sur la justice. Pour le reste, il convient d'appliquer une délégation de service public. J'ajoute qu'au regard du droit communautaire, le contrat de partenariat est un marché. Ainsi, la loi française et le droit communautaire distinguent déjà le contrat de partenariat et la délégation de service public. La précision est donc inutile. En outre, la rédaction proposée semble interdire à un titulaire de partenariat d'être par ailleurs délégataire de service public, ce qui n'était certainement pas l'intention des rédacteurs. Le Gouvernement est donc défavorable au sous-amendement n°122 et à l'amendement n°125.

À l'amendement n°123, nous retrouvons le seuil de 50 millions.

Enfin, le Gouvernement est défavorable à l'amendement n°100 rectifié, car le contrat fixe les modalités de réversion des sommes encaissées par le titulaire de la mission. Si le délai n'est pas respecté, la personne publique pourra infliger des pénalités de retard. Un encadrement législatif n'est donc pas nécessaire.

L'amendement n°99 n'est pas adopté.

M. le président. - Je mets aux voix l'amendement n°118.

M. Éric Doligé. - Sachant qu'un collège coûte environ 20 millions d'euros, un seuil de 50 millions interdirait pratiquement aux départements tout accès aux PPP.

Il en irait de même pour les grandes villes. M. Sueur connaît bien le cas d'Orléans, dont l'un des plus grands investissements est constitué par la gare, soit moins de 40 millions d'euros. Même dans ce cas, tout PPP aurait été impossible.

M. Jean-Pierre Sueur. - Il n'était pas utile !

M. Éric Doligé. - Le seuil proposé reviendrait pratiquement à interdire aux collectivités territoriales tout recourt aux PPP. On ne peut l'accepter !

Par ailleurs, il ne faut pas exagérer les conséquences pour les architectes. En effet, les investissements publics de l'État et des collectivités territoriales avoisinent 60 milliards d'euros, sur les 360 milliards investis chaque année dans notre pays. Si les PPP atteignaient 15 % de l'investissement public, leur montant atteindrait 9 milliards d'euros, soit 2,5 % de l'investissement total. Par suite, 97,5 % des sommes investies resteraient disponibles sur le marché pour l'ensemble des architectes ! J'observe en outre que, dans le dossier dont je parlais tout à l'heure, le travail a été confié à un architecte local par une major.

M. Jean-Pierre Sueur. - Elles sont parfois intelligentes !

M. Éric Doligé. - Enfin, lorsque j'ai soumis ma proposition à la commission, les sept socialistes présents ont voté pour et les deux communistes se sont abstenus. Le dispositif n'est donc pas idiot !

M. Jean-Pierre Sueur. - Je ne l'ai pas prétendu !

L'amendement n°118 n'est pas adopté.

Les sous-amendements n°s119, 120 et 121 ne sont pas adoptés.

M. le président. - Je mets aux voix le sous-amendement n°122.

M. Jean-Pierre Sueur. - Il fallait préciser que le contrat de partenariat ne pouvait porter sur la gestion d'un service public. Les longues explications de Mme Lagarde seront utiles pour éviter de fâcheuses dérives.

M. Laurent Béteille, rapporteur.  - La commission s'en remet à l'avis du Gouvernement : elle est défavorable.

Le sous-amendement n°122 n'est pas adopté.

Les amendements identiques n°s1 et 48 sont adoptés et deviennent l'article premier. Par conséquent, les amendements n°s123, 124, 100 rectifié et 125 deviennent sans objet.

Article additionnel

M. le président. - Amendement n°126, présenté par M. Sueur et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Avant l'article 2, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Avant l'article 2 de la même ordonnance, il est inséré un article ainsi rédigé :

« Art. ... - L'attributaire du contrat de partenariat est soumis aux dispositions du code des marchés publics ou de l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 dès lors que la personne publique y est soumise. »

M. Jean-Pierre Sueur. - Puisque le PPP ne fait obstacle ni à la concurrence, ni à l'équité, ni à l'accès des PME, nous proposons que l'attributaire d'un contrat de partenariat respecte le droit des marchés publics. Ceci, pour le plus grand bien des PME.

On me dit que l'existence d'un seuil écarterait les PME. Mais ne peuvent-elles accéder aux marchés publics ? Cette procédure offre aux PME de bien meilleures garanties que les contrats de partenariat !

Cette proposition n'est pas irréaliste car il y a de nombreux précédents : nous proposons simplement d'instaurer une symétrie avec la loi du 12 juillet 1985 sur la maitrise d'ouvrages publics dont l'article 4 assujettit le maître d'ouvrage mandataire, même privé, au régime applicable à la personne publique.

M. Laurent Béteille, rapporteur.  - Il est surprenant de soumettre le partenaire privé au code des marchés publics ou à l'ordonnance du 6 juin 2005. Ce serait une curiosité juridique. L'intérêt du partenaire privé sera de faire jouer la concurrence et, s'il le souhaite, de confier à une plus petite entreprise une partie de sa mission. Avis défavorable.

Mme Christine Lagarde, ministre.  - Même avis pour les mêmes raisons.

L'amendement n°126 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°127, présenté par M. Sueur et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.

Avant l'article 2, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Avant l'article 2 de la même ordonnance, il est inséré un article ainsi rédigé :

« Art. ... - Les règles de passation et d'exécution des contrats signés par le titulaire d'un contrat de partenariat sont celles applicables à la personne publique ».

M. Jean-Pierre Sueur.  - Il est défendu.

L'amendement n°127, repoussé par la commission et par le Gouvernement, n'est pas adopté.

Prochaine séance, aujourd'hui, mercredi 2 avril 2008 à 15 heures.

La séance est levée à minuit et demi.

Le Directeur du service du compte rendu analytique :

René-André Fabre

ORDRE DU JOUR

du mercredi 2 avril 2008

Séance publique

A QUINZE HEURES ET, ÉVENTUELLEMENT, LE SOIR

1. Suite de la discussion du projet de loi (n° 211, 2007-2008) relatif aux contrats de partenariat.

Rapport (n° 239, 2007-2008) de M. Laurent Béteille, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.

Avis (n° 240, 2007-2008) de M. Michel Houel, fait au nom de la commission des affaires économiques.

Avis (n° 243, 2007-2008) de M. Charles Guené, fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation.

2. Discussion du projet de loi (n° 156, 2007-2008) ratifiant l'ordonnance n° 2007-1490 du 18 octobre 2007 relative aux marchés d'instruments financiers et portant actualisation et adaptation du droit économique et financier applicable à Mayotte, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna.

Rapport (n° 242, 2007-2008) de M. Philippe Marini, fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation.

_____________________________

DÉPÔTS

La Présidence a reçu de :

- M. Claude Biwer une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur le rôle des centrales d'achat dans la fixation des prix à la consommation et les délocalisations d'entreprises ;

- MM. Jean-Pierre Bel, Thierry Repentin et les membres du groupe socialiste une proposition de loi pour un logement adapté à chacun et abordable pour tous ;

- Mme Monique Cerisier-ben Guiga, M. Richard Yung, Mme Michèle André, MM. Robert Badinter, Jean Besson, Mme Marie-Christine Blandin, M. Didier Boulaud, Mme Claire-Lise Campion, MM. Roland Courteau, Yves Dauge, Jean-Pierre Demerliat, Mmes Christiane Demontès, Josette Durrieu, MM. Bernard Dussaut, Bernard Frimat, Charles Gautier, Mme Bariza Khiari, MM. Yves Krattinger, Serge Lagauche, Roger Madec, François Marc, Louis Mermaz, Jean-Pierre Michel, Jean-François Picheral, Bernard Piras, Mme Gisèle Printz, MM. Thierry Repentin, Jacques Siffre, Jean-Pierre Sueur, Mme Catherine Tasca et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés une proposition de loi relative à l'enregistrement des pactes civils de solidarité à l'étranger ;

- Mme Christiane Hummel un rapport d'information fait au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes sur le projet de loi n° 241 (2007-2008) portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations ;

- MM. Jean Arthuis, Philippe Marini et Mme Nicole Bricq un rapport d'information fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation sur les conditions d'évolution de l'actionnariat d'EADS.