Modernisation des institutions de la Ve République (Deuxième lecture)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi constitutionnelle, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, de modernisation des institutions de la Ve République.

Discussion générale

M. François Fillon, Premier ministre.  - (Applaudissements à droite) Je remercie l'ensemble du Sénat pour le travail accompli ces douze derniers mois. La session ordinaire a été extraordinairement chargée, la session extraordinaire ne l'est pas moins. C'est que le Président de la République et moi-même n'avons pas voulu laisser sans réponse des problèmes si anciens dans notre pays. Laisser du temps au temps eût creusé encore le fossé entre nos concitoyens et les pouvoirs publics. Nous avons voulu agir vite mais aussi, globalement ; car tout se tient. Et notre ambition était de renouveler l'ensemble du modèle français. Voilà pourquoi nous ne vous avons laissé aucun répit, pourquoi nous vous avons tant sollicités.

Le Sénat s'est montré digne de ses responsabilités et a déployé une fois encore ses qualités, examen attentif des textes, culture du débat, respect mutuel, démontrant tout l'intérêt du bicamérisme.

S'agissant de la réforme des institutions, ma conviction personnelle est que la force du pouvoir exécutif ne se juge pas à la faiblesse du pouvoir législatif. L'équilibre des pouvoirs est un accélérateur d'efficacité. La complémentarité des deux chambres aussi : le Sénat a une mission, un mode d'élection et une culture spécifiques. Le renouvellement interviendra dans quelques semaines et certains d'entre vous siègent ici pour la dernière fois. Au nom du Gouvernement, je leur adresse solennellement notre reconnaissance. Ils ont consacré une partie de leur vie à servir la Nation, qu'ils en soient remerciés. Aux autres, j'indique que le Gouvernement ne relâchera pas le rythme des réformes et s'appuiera sur le Sénat en toute confiance pour assurer la modernisation du pays.

M. le président.  - Très bien !

M. Bernard Frimat.  - Science-fiction !

M. François Fillon, Premier ministre.  - Moins d'une semaine nous sépare désormais de la convocation du Congrès. Pour parvenir à un vote conforme, un travail de concertation a été engagé en amont. (Murmures à gauche) Je tiens à rendre un hommage appuyé à votre rapporteur, Jean-Jacques Hyest. (Applaudissements à droite) Il a été l'artisan d'un consensus qui tient compte des préoccupations de chaque chambre. Sur bien des points, un vote conforme avait été acquis en première lecture. Sur d'autres, l'approche était divergente entre vos deux assemblées.

C'était le cas du droit pour les parlementaires de voter des résolutions. Les députés l'avaient supprimé en première lecture, vous l'aviez restauré. Certains redoutent qu'un tel outil, mal encadré, fragilise les mécanismes de mise en cause de la responsabilité du Gouvernement. Les autres ne voient pas pourquoi le Parlement français serait privé d'un instrument qui existe dans la plupart des pays européens. Un amendement de compromis a été voté au Sénat. Le Parlement conserve la faculté d'exercer son droit de résolution, mais en confiant au Gouvernement l'appréciation du risque de mise en cause de sa responsabilité politique. « Pas conforme à l'esprit de la Ve République », clament certains. Mais le système avait été envisagé en 1959 dans le règlement de l'Assemblée nationale puis annulé par le Conseil constitutionnel faute d'accroche constitutionnelle.

Sur la composition de la commission chargée de donner un avis sur certaines nominations, une formule susceptible de constituer un consensus a été élaborée. Elle conserve la réunion des deux commissions permanentes souhaitée par l'Assemblée nationale, tout en ménageant la spécificité de chacune des chambres à laquelle vous êtes attachés. Les modalités de ratification des traités d'élargissement de l'Union européenne constituaient également une divergence importante. Les députés avaient manifesté en première lecture leur attachement au référendum pour les élargissements les plus importants, en avançant l'idée d'un seuil de population. Vous avez craint une forme de stigmatisation. Les députés ont voté un dispositif plus équilibré qui tient compte de vos critiques. Le référendum resterait de droit pour tout élargissement. Mais une majorité qualifiée de parlementaires pourrait autoriser le Président à emprunter la voie du Congrès.

S'agissant des langues régionales, l'Assemblée nationale a été sensible au débat qui a eu lieu ici. Le choix du titre XII de préférence à l'article premier pour mentionner les langues régionales, me paraît judicieux et répond à vos objections. L'Assemblée nationale a également accepté de supprimer la commission qui devait encadrer le droit de grâce individuel du Président de la République.

Elle a précisé votre amendement selon lequel les comptes des administrations publiques sont réguliers et sincères et donnent une image fidèle du résultat de leur gestion, de leur patrimoine et leur situation financière. Pour dissiper toute ambiguïté, je précise que la disposition introduite ne saurait avoir pour objet ou pour effet de modifier les attributions de la Cour des comptes, en particulier la certification des comptes publics, qu'elle tient des lois organiques relatives aux lois de finances et lois de financement de la sécurité sociale de 2005. Est au contraire inscrite à l'article 47 de la Constitution la vocation de la Cour à en vérifier l'application. Les députés se sont abstenus de revenir sur plusieurs dispositions qu'ils avaient votées en première lecture mais que vous aviez supprimées. Sur la question controversée de la répartition des compétences entre le juge judiciaire et le juge administratif, tout d'abord, le rapporteur de l'Assemblée nationale a eu l'élégance de retirer son amendement, auquel vous étiez unanimement hostiles.

M. Josselin de Rohan.  - Très bien !

M. François Fillon, Premier ministre.  - L'Assemblée nationale a accepté de ne pas reprendre son amendement sur la non-rétroactivité des lois. Comme vous, elle a souhaité s'en tenir au droit existant pour le scrutin sénatorial. Cette voie me paraît sage, car le consensus eût été difficile à trouver. (Marques d'ironie à gauche) Une telle forme n'était du reste pas nécessaire pour que le mode d'élection du Sénat puisse continuer à évoluer, comme il l'a fait récemment. Les députés ont également pris acte des importantes améliorations que vous aviez apportées. Je pense au Conseil supérieur de la magistrature. Vous avez proposé une formule permettant de concilier renforcement de l'indépendance de l'institution et souci d'éviter l'écueil du corporatisme. Vous avez aussi restauré la parité en matière disciplinaire, contribuant à améliorer l'équilibre du texte. Je salue votre approche ambitieuse du Défenseur des droits ; elle a prévalu et le Gouvernement s'en réjouit. Notre état de droit en sera renforcé aux yeux de nos concitoyens. Votre contribution sur des questions aussi essentielles que la référence au pluralisme et au respect des groupes politiques minoritaires a été saluée. L'Assemblée nationale a également maintenu, en modifiant quelque peu sa rédaction, la référence à la francophonie ainsi que l'assouplissement du droit de l'outre-mer. Vous nous avez également donné l'occasion d'avoir un débat important sur l'enrichissement de l'article 34 de la Constitution. Figureront désormais à l'article 34 l'indépendance des médias, les Français établis hors de France ou les conditions d'exercice des mandats locaux.

Sur d'autres points, c'est le texte de l'Assemblée qui a prévalu. Sur l'article 49-3, j'ai eu l'occasion de vous dire mon attachement à cet outil du parlementarisme rationalisé. Des réticences subsistent chez certains d'entre vous. Je comprends vos arguments. Mais l'article 49-3 doit rester un instrument préventif. Son usage doit être parcimonieux. Limiter son usage à un seul texte par session et aux seuls projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale me paraît tenir compte des nouveaux équilibres institutionnels -quinquennat et inversion du calendrier électoral. Sur la répartition de l'ordre du jour, c'est également la formule de l'Assemblée qui a été votée. La vôtre avait sa cohérence et le mérite de la simplicité. Mais une répartition de l'ordre du jour de deux tiers pour le Gouvernement et d'un tiers pour le Parlement n'aurait pas manqué d'être perçue comme un recul par l'opinion publique.

S'agissant de la question essentielle des exonérations fiscales ou sociales, un débat approfondi a eu lieu : leur création doit-elle nécessairement intervenir en loi de finances ou loi de financement de la sécurité sociale ? Certes, la prolifération des dispositifs d'exonération...

M. Jean Arthuis.  - Hélas !

M. François Fillon, Premier ministre.  - ...rend de plus en plus complexe notre droit fiscal et social et pèse sur nos finances publiques. Pour autant, les solutions envisagées dans les deux assemblées n'ont pas paru devoir être retenues. Il n'a pas semblé opportun de priver le législateur ordinaire d'une compétence qu'il a toujours eue et qui peut se révéler indispensable à tout moment, par exemple pour répondre à une évolution imprévue de la conjoncture économique. Je m'engage en contrepartie à être extrêmement attentif à cette question des niches fiscales et sociales, nouvelles ou existantes. Je m'engage à les rationaliser, en lien étroit avec la représentation nationale.

Un mot enfin aux parlementaires alsaciens et mosellans, que je sais vigilants à cet égard : l'exception d'inconstitutionnalité ne saurait déboucher sur une remise en cause du droit local, qui fait partie de notre histoire juridique.

Au cours des débats, nous avons pris la mesure de ce qui nous rapproche, mais aussi de ce qui nous distingue. Je le redis avec force : toutes les opinions, quel que soit le banc d'où elles émanent, sont respectables. Mais aujourd'hui, il faut avoir le courage de se rassembler autour de l'essentiel. C'est-à-dire la revalorisation du Parlement. (On le conteste à gauche)

On peut vouloir voter contre ce texte au motif qu'il n'apporterait pas toute satisfaction ; ce serait regrettable mais compréhensible. En revanche, on ne peut pas dire qu'il ne renforcerait pas les pouvoirs du Parlement ! (Murmures improbateurs à gauche)

Le Gouvernement a été constamment à l'écoute de vos propositions. Il ne vous aura pas échappé que le texte que nous vous proposons de soumettre au Congrès est parfois assez éloigné de notre projet de loi initial ! L'opposition a, elle aussi été entendue (exclamations ironiques à gauche) : sa suggestion d'introduire dans la Constitution un mécanisme aussi novateur que le référendum d'initiative populaire a été retenue. L'Assemblée nationale a enrichi le texte avec deux dispositions qui lui tenaient à coeur, la référence aux commissions d'enquête parlementaire et la faculté pour soixante députés ou sénateurs de saisir la Cour de justice des communautés européennes. Il faut aller au bout de cette démarche constructive.

L'objectif que nous poursuivons est limpide : donner des droits nouveaux au Parlement afin de moderniser notre démocratie. Au regard de cet objectif, il vous revient de répondre à des questions simples : vais-je me saisir de ces droits ou vais-je y renoncer ? Vais-je contribuer à un compromis historique où vais-je me réfugier dans des objections politiques ? (Exclamations à gauche)

Chacun est maître de sa réponse, mais chacun doit bien en mesurer les conséquences. Dire « non » à ce projet, ce sera dire « oui » au statu quo, et cela pour de longues années car les révisions constitutionnelles d'une telle ampleur sont rares. Dire « non », ce sera choisir l'immobilisme institutionnel plutôt que le renouveau politique. J'ai la conviction que la majorité se sent en mesure d'assumer ce renouveau qui revivifie les équilibres de la Ve République. Et je souhaite que l'opposition puisse trouver la force de se rallier à ce mouvement de modernité qui transcende les clivages. La gauche réclame depuis longtemps une rénovation de nos institutions, et la voici maintenant hésitante et circonspecte. (Protestations à gauche)

Rejeter ce projet parce que telle ou telle clause n'y figure pas ou au nom d'un autre projet, c'est renoncer à un progrès immédiat et réel de notre démocratie. L'opposition est face à ses responsabilités, et il lui revient d'échapper à la contradiction. On ne peut, d'un côté, réclamer un meilleur équilibre des pouvoirs et, de l'autre, renoncer à cette réforme. On ne peut, d'un côté, dénoncer la prétendue hyperprésidence et, de l'autre, repousser cette réforme qui tempère les pouvoirs de l'exécutif et renforce ceux du Parlement et des citoyens. (Applaudissements sur les bancs UMP ; protestations à gauche)

M. David Assouline.  - C'est faux !

M. François Fillon, Premier ministre.  - Il faut être cohérent et ne pas perdre de vue l'essentiel. L'essentiel, c'est que le Président de la République propose de donner plus de souffle à notre démocratie. Il le fait de façon pragmatique, audacieuse et sincère. L'enjeu est suffisamment élevé pour se rassembler et aller de l'avant. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur de la commission des lois.  - A lire certains commentaires, le Sénat aurait « détricoté » le travail de l'Assemblée nationale. Certes, le « passage » au Sénat, qui nous a cependant occupés plus de 56 heures en séance publique et dont les observateurs de bonne foi ont reconnu la qualité, a apporté nombre de modifications substantielles au texte voté par l'Assemblée nationale en première lecture. Toutefois, le Sénat s'est efforcé de conduire un travail équilibré. Ayant approuvé pour une large part le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale, il a cherché à conforter les droits du Parlement dans le respect des principes du bicamérisme et à renforcer les droits et les libertés.

Je note d'ailleurs que, sur certains points, il est revenu à une rédaction plus proche du texte initial : sur sept articles supprimés, cinq étaient des articles additionnels introduits par l'Assemblée nationale. Pour l'essentiel, il a complété et modifié les articles du projet de loi, en n'introduisant que peu de dispositions nouvelles. L'Assemblée nationale a largement tenu compte des apports du Sénat sur trois points importants : les dispositions relatives au Sénat, l'organisation du Conseil supérieur de la magistrature, l'institution du Défenseur des droits. Les divergences apparues en première lecture entre les deux assemblées, ont, en deuxième lecture, permis aux députés de trouver des formules équilibrées pour conforter les droits du Parlement, en intégrant les préoccupations exprimées par le Sénat. C'est le cas des avis du Parlement sur les nominations effectuées par le chef de l'État, de la possibilité de voter des résolutions, des délais entre le dépôt et la transmission d'un texte et son examen en séance publique, du droit de grâce. C'est pourquoi votre commission estime que le Sénat a eu satisfaction sur les sujets auxquels il attachait une particulière importance.

En deuxième lecture, il y a eu lieu de faire le bilan de cette réforme ambitieuse dont l'objectif principal est de renforcer les droits du Parlement et d'offrir une meilleure garantie des droits et des libertés.

On peut se réjouir que soit confortées l'expression du pluralisme et la participation des partis et des groupements politiques à la vie démocratique de la Nation. Il nous semble aussi que la place des langues régionales, qui laisse intacts les principes constitutionnels d'indivisibilité de la République, d'égalité devant la loi et d'unicité du peuple français, n'empêche pas d'apporter une reconnaissance à l'exceptionnelle richesse du patrimoine linguistique de la métropole et ces collectivités territoriales d'outre-mer...

M. Gaston Flosse.  - Très bien ! 

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - ...sans remettre en cause la place du français, langue de la République. L'Assemblée nationale a aussi suivi le Sénat en confirmant la participation de la République au développement de la francophonie.

En ce qui concerne l'extension du domaine de la loi, qui a suscité beaucoup de débats, l'Assemblée nationale a approuvé globalement la démarche du Sénat, tant en ce qui concerne la définition des règles concernant la liberté, le pluralisme et l'indépendance des médias, que pour la représentation des Français établis hors de France. Elle a également approuvé la fixation par la loi des conditions d'exercice des mandats électoraux et des fonctions électives des membres des assemblées délibérantes des collectivités territoriales, à quoi le président Puech tenait beaucoup.

A l'inverse, l'Assemblée nationale, et c'est heureux, n'a pas repris les dispositions sur la non rétroactivité de la loi, pas plus que celles concernant la répartition du contentieux entre les ordres juridictionnels, que nous avions écartées.

Il a fallu rester ferme pour que soit reconnu le bicamérisme pour l'avis sur les nominations effectuées par le Président de la République. Certains semblent considérer que le suffrage indirect ne vaudrait pas le direct ; je les renvoie à leurs manuels de droit constitutionnel ! Nous n'étions pas particulièrement favorables à la possibilité pour les présidents des assemblées d'opposer l'irrecevabilité fondée sur la méconnaissance du domaine de la loi, mais ce ne sera qu'une faculté et il appartiendra à chaque Assemblée de définir elle-même les modalités de mise en oeuvre de cette disposition. Je suis curieux de voir si cette mesure a des chances de prospérer vraiment... Le Gouvernement a déjà cette prérogative et l'utilise très peu.

Une des plus importantes modifications des règles de fonctionnement des assemblées est la discussion en séance publique sur le texte de la commission. En regrettant que le dispositif proposé par l'Assemblée nationale ne présente pas les mêmes garanties que celles retenues par le Sénat en première lecture, nous souhaitons que ces délais minimums puissent être aménagés, selon la taille et la nature des textes, dans le dialogue entre le Gouvernement et les assemblées lors de l'établissement de l'ordre du jour. C'est particulièrement vrai pour ceux qui feront l'objet d'une procédure accélérée.

M. Michel Dreyfus-Schmidt.  - C'est déjà ce qui se fait.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - S'agissant des modalités de répartition de l'ordre du jour, le partage par moitié entre le Gouvernement et les assemblées nous avait paru sans doute plus vendable aux médias, à tel point que certains députés nous ont reproché d'avoir prévu une répartition de deux tiers/un tiers. L'opposition du Gouvernement à l'amendement du Sénat, ainsi que le reconnaît le rapporteur de l'Assemblée nationale, ne faisait apparaître qu'avec plus de force sa crainte que le partage égalitaire proposé par la rédaction initiale ne soit, dans les faits, très défavorable au Parlement. C'est bien pourquoi on peut accepter qu'une semaine par mois soit réservée au contrôle et aux initiatives législatives. Il est un peu dommage qu'en définitive, en dehors de la séance mensuelle réservée aux groupes minoritaires, on se soit arrêté à mi-chemin et que la Constitution ne prévoie pas un programme législatif, pour donner une grande lisibilité au travail parlementaire.

Si le Sénat avait fait part de son inquiétude devant la limitation de la possibilité d'engager la responsabilité du Gouvernement sur le vote d'un texte, l'encadrement proposé ne devrait pas remettre en cause l'efficacité de l'exécutif` garantie par d'autres dispositions. Certains sont allés jusqu'à nous dire que cela ne regardait pas les sénateurs, devant qui le 49-3 ne peut pas être invoqué !

M. Josselin de Rohan.  - Choquant et ridicule.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Je passerai rapidement sur la consécration des commissions d'enquête dans la Constitution ; c'est une nouvelle prérogative accordée aux groupes parlementaires.

Le rôle de la Cour des comptes est, entre autres, « d'exprimer son opinion sur la sincérité des comptes de l'État et de la sécurité sociale ». Je regrette que nos collègues Arthuis et Marini (Mme Bricq : « ils n'étaient pas les seuls ! ») n'aient pas été suivis par les députés ; la suppression de cette mention mérite pour le moins que le Gouvernement confirme bien cette mission de la Cour. C'était évident ; on l'écrit, cela reste évident ; on le retire, cela perd de son évidence.

L'Assemblée nationale a enfin souhaité maintenir le cadre actuel du Conseil constitutionnel, mais je suis sûr que nous reviendrons un jour sur cette question.

Enfin, les questions européennes ! Hormis le problème lexical, le fait d'appeler comité ou commission l'actuelle délégation ne retire rien aux compétences des commissions permanentes visées à l'article 43 de la Constitution. En revanche, le Sénat était quasi unanime pour revenir au texte du Gouvernement en ce qui concerne les modalités de ratification des traités d'adhésion à l'Union européenne, pour éviter qu'un pays ami soit stigmatisé dans notre Constitution.

Avec la rédaction adoptée en seconde lecture par l'Assemblée nationale, les nouvelles adhésions ne seront pas automatiquement soumises à référendum, si elles ne remettent pas en cause les grands équilibres institutionnels de l'Union. La volonté du Sénat a été respectée, et c'est là un exemple de l'utilité du bicamérisme.

Compte tenu des avancées du dialogue entre l'Assemblée nationale et le Sénat, faut-il le poursuivre ou bien accepter le compromis équilibré auquel nous sommes parvenus, qui tient compte des préoccupations des députés comme des perspectives dégagées par le Sénat en première lecture ? Si l'on en reste là, ce sera la plus importante réforme de nos institutions engagée depuis cinquante ans. Sans remettre en cause l'apport fondamental de la Constitution de 1958, à savoir la stabilité institutionnelle qui permet de ne pas entraver l'action du Gouvernement, cette réforme corrige le « parlementarisme rationalisé » qui avait fini par asphyxier le Parlement. La volonté du Président de la République et du Gouvernement de renforcer les pouvoirs du Parlement ne peut qu'être approuvée.

La navette parlementaire a conforté cette volonté et modernisé notre démocratie en ouvrant de nouveaux droits aux citoyens. Je pense à l'exception d'inconstitutionnalité qui avait été tentée par deux fois sans succès, mais aussi à la création d'un Défenseur des droits, ou au référendum d'initiative parlementaire soutenu par les citoyens.

Bien entendu, on peut conditionner le vote de cette réforme à de nombreux préalables, pour s'éviter de l'approuver. Elle est pourtant garante de la pérennité de notre Constitution. Ne faut-il pas saisir cette opportunité d'une véritable modernisation de nos institutions ? La réponse de votre commission des lois est, vous l'avez compris, positive. (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Catherine Troendle.  - (Applaudissements à droite) Ce projet de loi a donné lieu à un long débat et à un travail parlementaire dense. La navette a témoigné de l'esprit d'ouverture et de la volonté de chacun d'aboutir à une révision d'une ampleur inégalée depuis près d'un demi-siècle. Certains voudraient voir semé d'embûches le chemin menant au Congrès. Nous n'en croyons rien : au contraire, l'intensité de nos débats prouve le caractère historique de ce texte que nous voulons voir aboutir à Versailles.

Le texte initial a évolué de façon positive tout en respectant deux postulats de base : la nécessité de conserver les acquis de la Ve République et la nécessité d'en moderniser le fonctionnement.

Notre assemblée a été au rendez-vous de cette opportunité exceptionnelle et elle a permis de véritables avancées démocratiques sur ce projet de loi ambitieux et novateur. Elle l'a enrichi, conformément à l'esprit constructif qui l'anime. Après avoir affirmé nos convictions en première lecture, nous abordons la seconde avec l'esprit de responsabilité qui nous caractérise. Toute recherche de consensus implique que chacun fasse un pas vers l'autre. C'est ce que nous avons fait et un équilibre satisfaisant a été trouvé. Je tiens, à cet égard, à féliciter, au nom du groupe UMP, notre président rapporteur; qui n'a pas ménagé ses efforts pour rassembler toutes les sensibilités autour de ce texte. (Applaudissements à droite ; M. Charles Gautier ironise)

Les députés ont retenu des dispositions majeures que nous avions adoptées en première lecture. Je pense à l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives ou à la définition du statut de l'élu local. Je pense également au maintien des dispositions relatives au Sénat dans l'article 24 de la Constitution, notamment celle qui affirme le lien privilégié entre les élus locaux et le collège électoral sénatorial. Je pense, enfin, à la consécration de la francophonie dans notre loi fondamentale ou encore au renforcement du Défenseur des droits. Les députés ont également été convaincus par notre analyse sur l'attribution de droits spécifiques aux groupes minoritaires.

Notre majorité a prouvé son esprit d'ouverture en retenant 21 des propositions de l'opposition. Cela a été le cas au Sénat où nous avons confié au législateur le soin de fixer les règles relatives à la liberté, au pluralisme et à l'indépendance des médias. Toutes ces dispositions constituent la marque de fabrique de notre assemblée.

Pour l'adhésion de nouveaux États à l'Union européenne, l'amendement adopté à l'Assemblée nationale est incontestablement la voie de la sagesse. Il évite, comme nous le souhaitions, de retenir une disposition qui viserait indirectement dans notre Constitution un pays déterminé.

Là aussi, il s'agit d'une belle victoire pour le Sénat, qui montre tout l'intérêt du bicamérisme. Le Sénat est une chance pour nos institutions car il exerce, de façon constante, un contrôle vigilant de la législation relative aux droits des citoyens et aux libertés publiques. Le Sénat ne saurait être le clone de l'Assemblée nationale, il doit garder sa spécificité, poursuivre sa tâche de laboratoire d'idées, et apporter à nos institutions la réflexion dont elles ont besoin.

Le texte qui nous est soumis en seconde lecture respecte les trois objectifs de départ : l'encadrement du pouvoir présidentiel, le renforcement de ceux du Parlement et l'ouverture de nouveaux droits à nos concitoyens. Cette révision constitutionnelle est une chance historique pour le Parlement et pour la Ve République. Elle nous offre la possibilité de dessiner, conformément aux engagements du Président de la République, « une République exemplaire et une démocratie irréprochable ». Cela justifie que nous soyons capables, les uns et les autres, de nous retrouver dans l'intérêt du pays. A Versailles, nous pourrons donner un nouveau souffle à notre démocratie. Rassemblons-nous autour de cet objectif ! L'occasion est suffisamment rare et l'ambition suffisamment élevée pour choisir ensemble de s'engager en faveur de ce texte novateur et porteur de modernité. (Applaudissements à droite et sur quelques bancs au centre)

Mme Éliane Assassi.  - A moins d'une semaine du Congrès, le Sénat est obligé d'adopter conforme le texte des députés et de priver ainsi le Parlement d'une troisième lecture, laquelle n'aurait pas été un luxe compte tenu de l'importance de la présente réforme d'une part et, d'autre part, des divergences apparues au cours des débats non seulement entre l'Assemblée et le Sénat mais également au sein même de l'UMP. C'est là une bien curieuse conception du renforcement des droits du Parlement... D'autant que nous avons déjà eu affaire à un examen marathon de ce texte, en pleine session extraordinaire, marathon qui continue avec cette seconde lecture que vous voulez rapide : à preuve les deux petites heures consacrées à cette discussion générale. J'ai du mal à y voir un début de renforcement des droits du Parlement.

Votre projet de loi constitutionnelle, que vous essayez de vendre à tout prix comme tendant à restaurer les droits du Parlement et à brider l'exécutif, va exactement dans le sens inverse, vers une présidentialisation voire une hyper-présidentialisation de notre régime. Il y a tromperie sur la marchandise.

Le chef de l'État, le Gouvernement et l'UMP n'hésitent pas à communiquer abondamment sur les bienfaits de cette réforme et, afin d'atteindre les trois cinquièmes des voix au Congrès, ils manient la carotte et le bâton, tant à l'égard de la majorité parlementaire que de l'opposition, menaçant ceux qui voteraient contre cette réforme d'un redécoupage électoral défavorable. De son côté, M. Accoyer n'hésite pas à faire miroiter aux groupes minoritaires et d'opposition l'octroi de droits spécifiques comme la possibilité de créer des commissions d'enquête parlementaire et des missions d'information, ou un temps de parole égal entre majorité et opposition lors des questions au Gouvernement, ou des postes de présidents et de rapporteurs de commissions, ou même des moyens plus importants. Comment pouvez-vous affirmer que votre texte restaure les droits du Parlement alors qu'il propose de réduire le droit d'amendement et la séance publique ? Car derrière la valorisation du travail en commission se cache une réalité moins avouable. Ce travail ne doit pas se substituer à la séance publique laquelle doit rester le lieu naturel du débat d'idées, du débat politique, dans la plus grande transparence. Je suis fermement opposée à ce que, demain, la discussion en séance publique porte sur le texte tel qu'élaboré en commission et non plus sur le texte déposé par le Gouvernement. Ce n'est pas une avancée démocratique. Au contraire, cela renforce le bipartisme et le fait majoritaire puisque les petits groupes pèsent peu en commission par rapport aux groupes importants qui peuvent assurer une présence constante dans ces réunions. Le pluralisme ne sera donc plus garanti.

De plus, la transparence du débat parlementaire sera mise en cause puisque les débats en commission ne sont pas publics : pas de journalistes, pas de citoyens à l'écoute. C'est la porte grande ouverte au lobbying à l'instar de ce qui se passe dans les commissions du Parlement européen.

Vous portez enfin atteinte au droit d'amendement : outre que le fait majoritaire prévaudra dès l'examen en commission, votre article 18, qui dispose que le droit d'amendement « s'exerce en séance ou en commission », contourne la jurisprudence du Conseil constitutionnel, constante depuis les années 1990, qui garantit à chaque parlementaire le droit d'amender le texte en séance publique. Bref, vous étendez la procédure simplifiée, jusqu'ici réservée à l'examen de certaines conventions internationales, à tous les textes.

L'article 19, rétabli en seconde lecture par les députés, va dans le même sens : en inscrivant directement dans la Constitution les conditions de recevabilité des amendements, il va plus loin que la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui jugeait qu'un amendement, pour être recevable, ne doit pas être « dépourvu de tout lien avec le texte ».

Vous introduisez un véritable « 49-3 parlementaire » en prévoyant que la Conférence des Présidents, donc la majorité soumise au chef de l'État, fixera une durée maximale des débats sur chaque texte : c'est là un véritable couperet qui permettra, dès que la durée globale du débat aura été atteinte, d'arrêter la discussion. Sans compter que le « 49-3 », tel que vous le réécrivez, loin d'être mieux circonscrit, ne fait qu'entériner une pratique bien établie.

Les nouvelles modalités de fixation de l'ordre du jour mettent la Conférence des Présidents à la botte de l'exécutif. Il s'agit ni plus ni moins d'en finir avec le principe, proclamé par la révolution française, qui veut que les parlementaires fassent la loi : quinze jours serait dédiés à l'examen des projets de loi et à des débats thématiques, une semaine serait consacrée au contrôle, l'opposition disposerait d'une journée de séance par mois pour s'exprimer. Nous considérons, quant à nous, que le Parlement doit être entièrement maître de son ordre du jour et pouvoir décider du nombre de séances qu'il souhaite consacrer au travail législatif.

Est-ce ainsi que vous prétendez renforcer les droits du Parlement ? Où sont les avancées ? Que peut-on attendre de cette réforme ? Bipartisme renforcé ; démocratie bafouée, hyper présidentialisation du régime... Voilà un texte fait sur mesure pour un seul homme qui, non content de monopoliser les médias, veut venir s'adresser en personne, dans l'enceinte de la représentation nationale, aux représentants du peuple ! On s'achemine vers un régime présidentialiste à la française dont l'élection du Président de la République au suffrage universel, puis le quinquennat et l'inversion du calendrier ont déjà jeté les bases. Nous aurons, si ce texte est voté, un super-président appuyé par une majorité parlementaire toute dévouée.

On comprend mieux votre obstination à refuser tout changement du mode d'élection des sénateurs -ce qui permet de conserver la maîtrise du Sénat quelle que soit la réalité politique du pays pour faire passer les réformes les plus réactionnaires et les plus antisociales. On comprend mieux votre refus d'introduire une dose de proportionnelle dans le mode d'élection des députés.

Votre mot d'ordre : aller vite, en s'asseyant sans vergogne sur la démocratie. Renouer le lien entre les citoyens et leurs institutions ? La démocratie représentative a beau en être déjà au point mort, la procédure d'urgence et l'arsenal législatif qui va des ordonnances de l'article 38 jusqu'à l'article 40 en passant par le vote bloqué ne vous suffisent plus : il fallait réduire le nombre de lectures, réduire la durée du débat en séance publique, réduire le droit d'amendement, bref, réduire la minorité au silence.

Nous redisons ici notre attachement au débat en séance publique, qui permet de faire connaître à l'opinion publique les méfaits de tel ou tel texte. Ces débats publics vous gênent, et ce n'est pas un hasard si, depuis 2002, vous attendez la session extraordinaire de l'été, quand les Français sont en congés, pour porter tous vos mauvais coups.

La démocratie qui aurait dû être au coeur de la modernisation de nos institutions, ne sort pas renforcée de nos débats. C'est d'ailleurs pourquoi vous n'avez pas soumis votre texte au référendum et lui avez préféré la voie du Congrès. Nous nous opposons fermement à votre réforme et voterons contre ce texte, ici comme à Versailles. (Applaudissements à gauche)

M. Michel Mercier.  - Faut-il, sur ce texte qui nous revient en seconde lecture, continuer le dialogue avec l'Assemblée nationale, ou peut-on considérer qu'il peut être, en l'état, porté devant le Congrès ?

Sur bien des points, les choses ont avancé, et les positions du Sénat été suivies. Ce texte opère un rééquilibrage de nos institutions. Il renforce les droits du Parlement mais aussi des citoyens.

Nous nous réjouissons de l'introduction du droit de résolution, bien que l'amendement voté par les députés à l'initiative du Gouvernement me semble parfaitement superfétatoire : jamais une résolution n'a été le moyen de mettre en cause la responsabilité du Gouvernement. Mais il faut croire que le Parlement a été muselé depuis si longtemps que l'on a pu confondre droit d'interpellation et droit de résolution. Il est normal qu'un Parlement majeur puisse s'exprimer : le droit de résolution le lui permettra.

Nous sommes également sensibles à la rationalisation de l'article 49-3 -même si cela ne correspond pas à la position initialement retenue par le Sénat... Il est normal que cet article ne puisse être utilisé pour régler les relations entre Parlement et Gouvernement. Le rééquilibrage des institutions l'exige.

Nous sommes de même satisfaits de la confirmation du droit des groupes parlementaires, qui trouvent, avec ce texte, leur consécration constitutionnelle. Nous nous félicitons, sur ce point, de la suppression de l'obligation de se déclarer membre de la majorité ou de l'opposition.

Nous voyons aussi d'un bon oeil, en particulier au regard de la situation budgétaire du pays, les dispositions relatives à la discipline budgétaire et financière, qui favoriseront clarté et rigueur.

Nous regrettons, en revanche, que la possibilité pour les groupes parlementaires de saisir le Conseil constitutionnel ait été supprimée par l'Assemblée nationale. Tout le monde dans ce pays pourra donc saisir le Conseil, sauf les groupes ! La voie de l'action est toujours préférable à celle de l'exception : il est regrettable de se priver ainsi d'un moyen de garantir le bon ordre juridique.

Notre satisfaction est grande de voir l'exception d'inconstitutionnalité inscrite dans la Constitution. Chacun est libre, en son âme et conscience, de décider de rejeter les dispositions de ce texte, y compris celles qui permettent au Parlement de fixer son ordre du jour et toutes celles qui assurent un rééquilibrage entre législatif et exécutif, mais a-t-on le droit de priver les Français du droit de recours en exception d'inconstitutionnalité, dont bénéficient les citoyens des autres pays démocratiques et qui manque à notre système juridique pour assurer la primauté du droit ? C'est là la seule question que j'ai envie de me poser à Versailles.

Il y a tellement longtemps que nous attendions la possibilité pour chaque Français de pouvoir invoquer l'inconstitutionnalité de la loi qu'on lui oppose ! Cette disposition est pour nous essentielle.

L'amendement à l'article premier voté par l'Assemblée nationale nous semble important. J'en ai moi-même rédigé le texte sur la vitrine présentant la loi constitutionnelle de 1958.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Heureux présage !

M. Michel Mercier.  - Sa formulation pourrait nécessiter parfois des adaptations. « On ne sort de l'ambiguïté qu'à son détriment », assurait Machiavel. Il avait tort. La formulation de l'amendement aurait pu être meilleure. La première version l'était, mais j'ai essayé en la reprenant de trouver un accord.

« La loi garantit les expressions, pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation ». Pétition de principe ? Non, car il faut retenir le principe d'interprétation des textes constitutionnels présenté par François Luchaire en un article fameux, que M. le secrétaire d'État relira quand il sera en formation permanente à la région Ile-de-France : il faut toujours interpréter une disposition pour qu'elle produise un effet utile. Or, exprimer le pluralisme des opinions, cela peut être monter sur une chaise dans le jardin du Luxembourg. Le pluriel implique forcément un vote, sinon, cela ne marche pas. C'est pourquoi je suis heureux que le Président de la République l'ait accepté...

M. Jean-Pierre Sueur. - Amendement présidentiel...

Mme Alima Boumediene-Thiery.  - Et le Parlement ?

M. Michel Mercier.  - Une fois la réforme votée, elle n'appartient plus à ses auteurs, mais à ceux qui la mettent en oeuvre : (approbations à droite) regardez comment la Constitution de 1958 a admirablement convenu à François Mitterrand et à ses gouvernements !

La loi garantit, et non plus favorise, le pluralisme des opinions, cela veut dire que nous restons fidèles à la tradition qui veut que la Constitution ne fixe pas le régime électoral, mais qu'il ne peut pas y avoir de loi électorale qui ne mette pas en oeuvre le pluralisme -nous sommes partisans d'un peu de proportionnelle dans toutes les élections. (Sur plusieurs bancs socialistes : « Y en a pas ! »)

La participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique, cela veut dire que leur contribution à la vie de la Nation ne s'apprécie pas suivant leur importance numérique mais parce qu'ils défendent des idées et que tous ont le droit d'être traités de façon équitable. Cela vaut pour le Sénat, pour le Conseil constitutionnel...

M. Michel Mercier.  - Je sais bien que le juge constitutionnel se reconnaît peu de pouvoirs en cas de référendum et un peu plus en cas de Congrès, mais il nous appartient de prouver par notre vote que nous voulons la reconnaissance de la plénitude de ce principe. Cet amendement représente en effet la quintessence de notre politique et, avec la reconnaissance du droit des citoyens d'invoquer l'exception d'inconstitutionnalité, il justifie que nous suivions la recommandation du président de la commission des lois. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - La recommandation de la commission !

M. Bernard Frimat.  - (Applaudissements sur les bancs socialistes) Lundi prochain, nous connaîtrons l'épilogue du feuilleton de la révision constitutionnelle commencé il y a un an par le discours d'Épinal. Quelle que soit l'issue, le Congrès marquera une occasion gâchée. Si le Gouvernement en avait eu la volonté, il en aurait été différemment, mais il a refusé le dialogue constructif avec l'opposition pour favoriser un monologue interne à l'UMP et la quête inlassable et par tous les moyens des voix nécessaires.

Que s'est-il passé depuis que le Sénat a adopté le texte en première lecture dans la nuit du mercredi 25 juin ? Quand on le reconstitue, le fil des événements est édifiant quant à votre conception de la modernisation des institutions. Vous inventez d'abord une nouvelle forme de commission mixte paritaire, qui réunit l'UMP de l'Assemblée nationale et du Sénat sous la houlette de l'Élysée et de ses conseillers, pour un compromis forcément historique. Députés et sénateurs UMP seront invités à manifester leur accord à défaut d'enthousiasme. Mais il vous faut plusieurs tentatives pour ôter les cailloux de l'adhésion de la Turquie des godillots de la majorité grâce à un habillage compliqué mais toujours uniquement dirigé contre ce pays. Cette première étape franchie, il reste au président de la commission des lois de l'Assemblée nationale à amender le texte issu des travaux du Sénat et de le rendre conforme à cet accord.

Voilà, à quelques détails près, les conditions dans lesquelles nous sommes invités à l'adopter conforme. Le refus de tous les amendements, quel que soit leur contenu, illustre à la perfection ce que signifie pour vous la revalorisation des travaux du Parlement. (Applaudissements à gauche) A ce prix, la route de Versailles sera ouverte.

Je voudrais néanmoins attirer votre attention sur deux détails. La nouvelle rédaction de l'article premier est a priori sympathique puisqu'elle a rendu M. Mercier heureux à sa sortie de l'Élysée mais, malgré ses explications un peu compliquées...

M. Michel Mercier.  - Juridiques !

M. Bernard Frimat.  - ...j'attends toujours de découvrir les progrès qu'elle apporte à la démocratie pour déterminer si ce bonheur est individuel ou collectif.

La constitutionnalisation des commissions d'enquête, ensuite, car ce point précis serait d'une importance capitale, décisive pour la modernisation des institutions. Vous aurez à coeur de nous expliquer tous les tenants et aboutissants de cette évolution.

Les joueurs de tambour médiatique de l'UMP continueront leur fanfare : comment les socialistes peuvent-ils refuser ce monument sarkozien édifié avec ouverture d'esprit ? C'est pourtant ce que nous ferons lundi prochain car quelques avancées secondaires ne peuvent suffire à masquer des reculs sur des points essentiels.

Le recul le plus symbolique concerne le Sénat. Lors de notre entrevue à Matignon, nous avions clairement indiqué l'importance que nous attachions à la suppression du verrou qui bloque toute évolution démocratique du collège des électeurs sénatoriaux. Les conclusions du comité Balladur étaient sans équivoque à cet égard : « Le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales de la République en fonction de leur population ». Il s'agissait ainsi de mettre fin à une situation qui « favorise à l'excès la représentation des zones faiblement peuplées au détriment des zones urbaines ».

Le Gouvernement avait accepté cet impératif démocratique et, dans l'exposé des motifs, il disait sa volonté de surmonter les contraintes de la jurisprudence du Conseil Constitutionnel qui « a eu pour effet d'interdire toute évolution de la composition du collège électoral sénatorial dans le sens d'un équilibre plus juste, en termes démographiques, entre petites, moyennes et grandes communes ».

Vous-même, monsieur Karoutchi, avez attiré notre attention sur l'article 34 qui obligeait à mettre en place le nouveau collège électoral dès 2011. Ces bonnes intentions gouvernementales, que l'Assemblée nationale avaient d'ailleurs adoptées, se sont envolées. Toute référence à la prise en compte de la population dans la composition du collège électoral sénatorial a disparu.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Il n'en est nul besoin puisque tel est déjà le cas !

M. Bernard Frimat.  - Les verrous sont plus que jamais tirés et leur fonctionnement a été soigneusement vérifié. Peu importe que les citoyens accordent dans toutes les collectivités locales une large majorité aux formations politiques de gauche : l'assemblée qui est censée les représenter doit, en tout état de cause, rester de droite, même au mépris du suffrage universel. Il faut beaucoup d'aveuglement pour voir une avancée démocratique là où il n'y a qu'un déni de démocratie. (Applaudissements socialistes et sur divers bancs CRC) En cédant aux injonctions des sénateurs UMP, le Gouvernement a renoncé à renforcer la légitimité et la représentativité du Sénat. C'est pourquoi notre rapporteur estime que « le Sénat a ainsi eu satisfaction sur les sujets auxquels il attachait une particulière importance ».

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Pas que sur ce point !

M. Bernard Frimat.  - L'essentiel est atteint pour la majorité du Sénat : elle a sauvé son mode de reproduction et ses pouvoirs de blocage.

Certes, vous ne pouvez toujours pas inscrire dans la Constitution que les assemblées parlementaires doivent rester de droite mais, avec cette révision, vous tentez d'en créer les conditions. Au Sénat, le statu quo suffit, à l'Assemblée nationale le suffrage universel direct rend l'exercice plus délicat. Toutefois, en limitant le nombre de députés au niveau actuel, en prévoyant des sièges pour représenter les Français établis hors de France et en imposant un nombre minimum de deux députés par département, vous minorez la représentation des départements les plus urbains, souvent favorables aux formations de gauche.

M. Bernard Frimat.  - Le talent incontesté de M. Marleix dans le découpage des circonscriptions fera le reste.

Une alternance quasi impossible au Sénat, une alternance de plus en plus difficile à l'Assemblée nationale, une révision constitutionnelle par la voie du Congrès interdite à la gauche par le maintien du droit de véto du Sénat. A qui ferez-vous croire que ce paysage institutionnel soit le fait d'une démocratie irréprochable ? Celle-ci ne peut se limiter à quelques améliorations techniques des travaux parlementaires. Pour certaines d'entre elles, il n'était d'ailleurs nul besoin de réviser la Constitution pour les mettre en oeuvre. Le Gouvernement étant seul maître de l'ordre du jour, il lui est donc loisible d'accorder aux parlementaires les délais d'examen nécessaires à des travaux de qualité. De même, il n'était pas besoin de réviser la Constitution pour éviter un recours abusif à la procédure d'urgence.

M. Michel Dreyfus-Schmidt.  - Absolument !

M. Bernard Frimat.  - Le partage de l'ordre du jour et la limitation de l'urgence, même rebaptisée procédure accélérée, sont des avancées plus apparentes que réelles.

Quant aux nouveaux droits pour l'opposition qui devaient symboliser la revalorisation du Parlement, ils sont renvoyés ou plutôt relégués, sans aucune garantie, dans le règlement de chaque assemblée, ce qui signifie qu'ils dépendront exclusivement du bon plaisir de la majorité. Nous savons au Sénat ce que cela nous réserve.

Même la journée dont l'ordre du jour devait être concédé à l'opposition n'a pas survécu dans son intégralité. Le temps sera partagé avec les groupes minoritaires qui, certes, ne se revendiquent pas de la majorité mais la soutiennent le plus souvent. La portion congrue que vous réserviez à l'opposition était encore trop importante : vous l'avez donc diminuée et, si j'ai bien compris votre sens de l'humour, au nom de l'amélioration du pluralisme !

Pour couronner le tout, vous mettez en cause le droit d'amendement dont les conditions d'exercice seront fixées par le règlement des assemblées. Quelles garanties pour l'opposition ? Aucune. Rien dans ce projet de révision ne peut assurer à un parlementaire qu'il conservera, en séance publique, cette liberté d'expression individuelle caractéristique fondamentale d'un régime démocratique. Là encore, un droit qui devrait être imprescriptible dépendra du bon plaisir de la majorité de chaque assemblée. Si c'est ainsi que vous pensez entraîner notre adhésion, vous faites erreur.

De plus, des mesures que vous présentez comme des avancées démocratiques ne sont souvent que des trompe-l'oeil. Il en est ainsi du droit de véto négatif accordé pour les nominations relevant du Chef de l'État. Réunir une majorité des trois cinquièmes pour s'opposer à une nomination, c'est un droit formel sans réalité. Ce faux-semblant ne favorisera pas une démocratie respectueuse du pluralisme d'opinion : il laisse au contraire de beaux jours au clientélisme politique.

Même s'ils ne sont plus en discussion, car votés conformes, deux articles qui concernent respectivement les ministres et le Président de la République confortent notre refus de voter cette révision. Il n'est pas normal que les membres du Gouvernement, anciens parlementaires, profitent d'une révision constitutionnelle pour s'accorder le privilège d'assurer leur retour dans leur assemblée d'origine. Il est encore plus difficile d'admettre la rétroactivité de cette mesure. Le minimum de décence aurait été de ne l'appliquer qu'aux futurs ministres, mais vous avez sans doute voulu vérifier le bien-fondé du proverbe « charité bien ordonnée commence par soi-même ».

Votre recherche de nouveaux droits pour le Parlement emprunte curieusement la voie d'une extension des pouvoirs du Président. Cela semblait inutile au regard de l'omniprésidence actuelle, mais le Président de la République voulait tellement pouvoir s'adresser directement au Parlement ! Cette obsession explique sans doute en grande partie la révision constitutionnelle. Cela fait beaucoup d'efforts, peut-être vains d'ailleurs, pour que cette monocratie, pour reprendre le mot de M. Badinter, puisse s'exprimer dans le lieu le plus illustre de la monarchie.

Cette révision constitutionnelle aurait, enfin, pu être l'occasion de montrer le visage d'une France généreuse, accueillante, ouverte aux étrangers installés depuis plusieurs années dans notre pays.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Et voilà que ça recommence !

M. Bernard Frimat.  - Alors que l'idée est maintenant acceptée par de nombreux Français, vous avez refusé d'accorder aux étrangers le droit de vote aux élections locales. Or, seule une révision constitutionnelle peut lever l'obstacle juridique qui l'interdit. Là encore, belle occasion gâchée.

Vous avez refusé le dialogue sur nos propositions. Il a été impossible pour nous d'obtenir, ne serait-ce que le début du commencement d'une réponse positive sur aucune d'entre elles. Vous avez délibérément choisi la voie de l'affrontement, recherché la victoire d'un camp sur un autre. Là où nous attendions des progrès pour la démocratie, nous trouvons des reculs et le développement de la monocratie. En conséquence, tous les sénateurs socialistes rejetteront lundi votre projet de révision. (Applaudissements à gauche)

M. Francis Grignon.  - (Applaudissements à droite) A l'occasion de cette deuxième lecture, je veux dire mon attachement à la reconnaissance des langues régionales : à côté des enjeux culturels, les conséquences économiques seront loin d'être négligeables.

N'étant pas Alsacien de naissance, mais d'adoption depuis plus de quarante ans, j'ai appris à parler cette langue. C'est grâce à elle que j'ai pu appréhender l'histoire, la culture et la richesse de cette région dont je suis devenu sénateur. L'alsacien est issu de l'alémanique et du francique. Malheureusement, la pratique de ce dialecte diminue d'année en année. Actuellement, un adulte sur quatre le parle encore, mais les enfants le pratiquent de moins en moins si bien que l'alsacien devient progressivement la langue des anciens. Nous avons fait bien des efforts pour qu'il soit appris dès le plus jeune âge, mais il nous fallait un texte fondateur pour aller plus loin. C'est pourquoi je me réjouis de la réintroduction des langues régionales dans le titre XII de la Constitution relatif aux collectivités territoriales.

Au-delà des ouvertures culturelles évidentes que ce texte va permettre, nous pourrons ainsi définitivement permettre à nos jeunes d'être bilingues français-allemand dès l'école primaire, car c'est grâce à l'allemand que nous sauverons notre dialecte. A partir de diverses expériences en primaire, nous nous sommes aperçus que nos jeunes étaient facilement devenus trilingues au collège.

Dans un monde en pleine globalisation des échanges et des cultures, nous serons plus performants si nous comprenons l'autre plutôt que si nous l'ignorons. C'est pourquoi grâce à nos langues régionales, nous habituerons nos enfants à cette gymnastique de l'esprit qui leur permettra d'apprendre plus rapidement d'autres langues.

Nous sommes donc bien loin de porter atteinte à la place du français dans la sphère publique depuis 1539 avec l'ordonnance de Villers-Cotterêts, ni de vouloir éclipser en région la langue de Molière, source inépuisable de créativité et de richesse culturelle.

Notre assemblée, qui représente les territoires, ne peut que se réjouir de l'adoption par l'Assemblée nationale de cet amendement. Enfin, cette solution de compromis évite que les langues régionales soient mentionnées dans notre Constitution en aval du français qui reste à sa juste place, mais elle permet de prendre en compte notre richesse et notre diversité que nous devons considérer comme des atouts et non comme des handicaps pour nos enfants qui pourront ainsi mieux évoluer dans un environnement économique et culturel qui, demain, sera européen, voire mondial. (Applaudissements à droite et sur divers bancs au centre)

Mme Alima Boumediene-Thiery.  - Nous voici à l'épilogue de la réforme des institutions : depuis plusieurs mois, cette perspective était séduisante. Les conclusions du comité Balladur présageaient un débat serein, constructif, marqué par le souci de laisser plus de place au Parlement, et donc à l'opposition. La prise en compte de la population des collectivités territoriales dans l'élection des sénateurs, le non-cumul des mandats de membre du Gouvernement et d'élu local, la publicité des débats des commissions, autant de propositions qui auraient permis de donner plus de pouvoirs au Parlement, plus de droits aux citoyens et de mieux encadrer le pouvoir exécutif.

Plusieurs propositions qui ne figuraient pas dans le rapport du comité Balladur méritaient également d'être examinées, dans le cadre d'une révision constitutionnelle présentée comme la plus importante depuis 1958 : je pense par exemple au droit de vote des étrangers non communautaires.

Mais une série de péripéties ont fait de cette réforme un non-événement, une mascarade politique. L'irrédentisme de la majorité sénatoriale a empêché toute ouverture : le Sénat fut à cette occasion la caricature de lui-même. Tous les citoyens que j'ai rencontrés depuis le début de la discussion du projet de loi m'ont témoigné leur déception devant l'inertie, le manque d'audace du Parlement, et singulièrement du Sénat. Toutes les propositions véritablement réformatrices ont été balayées.

La majorité sénatoriale et celle de l'Assemblée nationale se sont réunies pour convenir, entre elles, d'un texte acceptable : on a ainsi assisté à la création d'une sorte de CMP de la majorité parlementaire, excluant l'opposition. Or, si la notion de démocratie parlementaire a un sens, elle signifie que la loi doit être débattue et votée dans l'enceinte du Parlement, et non dans les bureaux de l'UMP ou de Matignon.

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission.  - Que fait-on en ce moment ?

Mme Alima Boumediene-Thiery.  - On demande au Sénat un vote conforme : le débat ne sert à rien, notre assemblée est réduite au rang de chambre d'enregistrement. C'est une page d'histoire que nous n'avons pas voulu écrire.

En première lecture déjà, le Sénat a fait preuve de sa timidité. Il a supprimé la référence aux langues régionales, introduite par les députés. L'amendement introduisant le droit de vote des étrangers non communautaires aux élections locales, auquel certains sénateurs de la majorité s'étaient montrés favorables, a été rejeté, de peu : encore une occasion manquée de redonner à notre pays un élan démocratique. Aujourd'hui nous voudrions avoir une seconde chance, mais nous n'avons droit qu'à un simulacre de débat.

Plutôt que laisser croire à un véritable échange, pourquoi le Gouvernement ne recourt-il pas au 44-3 ? Car c'est bien à un vote bloqué que nous sommes contraints : aucun amendement n'a été retenu, ni même déposé par la commission des lois. Pourquoi refuser une troisième lecture ?

M. Patrice Gélard.  - Parce que nous sommes la majorité !

Mme Alima Boumediene-Thiery.  - Le Congrès doit à tout prix se réunir le 21 juillet prochain : ainsi en a décidé le prince. On nous demande de voter cette réforme sans prendre le temps de la réflexion : dans ces conditions, on comprend que ce texte manque d'envergure.

Mises à part quelques avancées timides, qui tiennent en cinq articles, les Français devront se contenter de mesures insignifiantes. Il s'agit d'une réforme de convenance, qui répond au désir de briller, au souci d'affichage médiatique du Président de la République, et aux voeux de la majorité. Ce texte permet aux ministres actuels de retrouver leur siège de parlementaire, au mépris du principe de non-rétroactivité. Le rapporteur du projet de loi à l'Assemblée nationale, M. Warsmann, avait pourtant souhaité inscrire dans la Constitution ce principe qui découle de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, en y inscrivant que « la loi dispose pour l'avenir, sauf motif déterminant d'intérêt général ». Quel est le motif déterminant d'intérêt général qui justifie que les ministres actuels puissent retrouver leur siège parlementaire ? II n'y en a pas : le seul intérêt de cette mesure est d'offrir aux ministres un parachute doré. N'oublions pas que nous sommes ici pour servir la France, non pour nous servir ! La commission des lois du Sénat avait pourtant adopté une position sage, en refusant toute rétroactivité de l'article 10 du projet de loi ; mais la majorité sénatoriale est contrainte de céder aux injonctions du Gouvernement. Loin de donner de nouveaux droits, le Gouvernement ne fait que se servir.

Ce texte ne présente aucune avancée qui justifierait notre adhésion. Aucun geste à l'égard des étrangers non communautaires, qui ne se sont pas vu reconnaître le droit de vote aux élections municipales : ne serait-ce pourtant pas le meilleur moyen pour favoriser l'intégration ? Aucun geste à l'égard de l'opposition sénatoriale, condamnée à demeurer éternellement l'opposition, puisque le mode d'élection des sénateurs reste inchangé. Aucun geste à l'égard des petits partis, puisqu'on a refusé d'introduire une dose de proportionnelle aux élections législatives ; le groupe centriste avait pourtant les moyens d'imposer cette réforme, car il pouvait empêcher l'adoption du projet de loi au Congrès, mais il a renoncé : vous portez la responsabilité de cet échec, et les Français s'en souviendront !

Vous l'avez compris : les sénateurs Verts voteront contre ce texte. (Applaudissements à gauche)

M. David Assouline.  - Depuis quelques jours, une certaine fébrilité s'est emparée des chefs de la majorité, qui reprennent tous en choeur le couplet du président de l'Assemblée nationale dans la presse de ce matin : le rejet du projet de loi constitutionnelle « ne serait pas bon pour l'exécutif », mais il serait « encore plus calamiteux pour l'opposition, qui irait en sens contraire de ce que veut l'opinion ». On assiste aussi à certains manoeuvres politiciennes visant à débaucher tel ou tel parlementaire de l'opposition. Mais ce qui serait réellement calamiteux pour nos institutions, ce serait de laisser croire que ce projet marque un véritable progrès démocratique.

Les Français attendent d'une révision de la Constitution qu'elle interdise au chef de l'État d'abuser sans cesse de son pouvoir au profit de son clan. Or aucune disposition, dans ce texte, ne vient encadrer la pratique du pouvoir présidentiel ni empêcher sa dérive vers la monocratie. Posons des questions tout à fait concrètes. Si le projet est voté, les pouvoirs seront-ils rééquilibrés ? Cette réforme empêchera-t-elle le Président de la République, garant du fonctionnement régulier des pouvoirs publics, de décrédibiliser l'armée, de dévaluer le droit de grève ou d'annoncer le contrôle direct du pouvoir exécutif sur la télévision publique ? Non ! Incitera-t-elle le Chef de l'État à reconnaître le rôle du Premier ministre, et à ne plus réunir sans lui les ministres à l'Élysée ? Non ! Le rôle du Parlement sera-t-il réévalué, comme on l'annonce ? La Constitution interdira-t-elle au pouvoir exécutif d'abuser de la procédure d'urgence, rebaptisée « procédure accélérée », comme il l'a fait depuis juin 2007 ? Non !

On nous dit que la parole des citoyens sera mieux entendue. Mais les millions d'étrangers extracommunautaires qui vivent régulièrement en France et paient des impôts pourront-ils enfin voter aux élections locales ? Non ! On nous jure que l'article 34, complété par l'amendement que j'ai défendu au nom des socialistes contre l'avis de la Garde des sceaux, garantira pleinement « la liberté, le pluralisme et l'indépendance des médias ». Mais cette disposition suffira-t-elle à dissuader un ministre d'État, ministre de l'intérieur et candidat à l'élection présidentielle d'obtenir la révocation du directeur de la rédaction d'un des principaux magazines français ou de donner son avis sur le recrutement d'un journaliste politique chargé de suivre son propre parti ? Non ! Interdira-t-elle à des conglomérats industriels de détenir des intérêts dans les médias, tout en étant par ailleurs clients ou fournisseurs de l'État, comme c'est le cas des groupes Dassault, Lagardère et Bouygues ? Non ! Empêchera-t-elle un grand groupe économique comme LVMH de contrôler directement le principal journal d'information économique ? Non ! Incitera-t-elle le Chef de l'État à ne pas partir en vacances aux frais d'un riche homme d'affaires, Vincent Bolloré, propriétaire de la société d'études d'opinion CSA, de la chaîne de télévision Direct 8 et de plusieurs journaux gratuits, et actionnaire principal de la SFP, prestataire de France Télévisions ? Non ! (Protestations à droite)

M. Louis Grillot.  - Ça vole bas !

M. David Assouline.  - Cette réforme empêchera-t-elle les parlementaires de l'UMP de relayer les intérêts des lobbies proches de l'Élysée, comme ils l'ont fait à l'occasion de l'examen du projet de loi de modernisation de l'économie, avec l'amendement Lefebvre relevant à 8 % le seuil d'audience permettant de détenir plus de 49 % du capital d'une chaîne de télévision hertzienne terrestre, ce qui permettra au groupe Bouygues de mettre la main sur le capital de Télévision Monte-Carlo ? Non ! Garantira-t-elle la liberté d'enquêter et d'écrire des journalistes, au moment où le Gouvernement et la majorité souhaitent remettre en cause leur droit d'auteur et le principe du secret des sources ? Non ! Empêchera-t-elle le Président de la République de confondre le service public de l'audiovisuel avec une télévision d'État dont il nommerait les dirigeants, ou de remettre en cause le financement de France Télévisions pour assurer aux télévisions privées la totalité du marché publicitaire ? Non ! Obligera-t-elle le CSA à décompter du temps de parole du Gouvernement sur les antennes de radio et de télévision celui du Président de la République, devenu le véritable chef de la majorité ? Non !

Ce projet de révision n'est donc qu'un faux-semblant. S'il est adopté, il ne fera qu'élargir le fossé entre les Français et leurs institutions, et alimenter la défiance de nos concitoyens envers les responsables politiques. Sous couvert de modernisation des institutions, il accélérera la présidentialisation monocratique du régime et l'emprise du fait majoritaire sur notre vie démocratique.

J'appelle donc solennellement le Sénat à revoir la copie de l'Assemblée, notamment en rendant opérants les principes de liberté, d'indépendance et de pluralisme des médias, comme le proposent nos amendements.

Je conclurai en citant Victor Hugo, à l'Assemblée nationale, en 1848 : « La liberté de la presse est la garantie de la liberté des assemblées. Les minorités trouvent dans la presse libre l'appui qui leur est souvent refusé dans les délibérations intérieures. (...) Ne souffrez pas les empiétements du pouvoir ; ne laissez pas se faire autour de vous cette espèce de calme faux qui n'est pas le calme, que vous prenez pour l'ordre et qui n'est pas l'ordre ; faites attention à cette vérité que Cromwell n'ignorait pas, et que Bonaparte savait aussi : le silence autour des assemblées, c'est bientôt le silence dans les assemblées. » (Applaudissements à gauche)

Mme Rachida Dati, Garde des sceaux, ministre de la justice.  - Je remercie l'ensemble des orateurs. Vous avez voulu être au rendez-vous d'une réforme qui peut changer en profondeur le fonctionnement de notre démocratie. Vous avez conforté, par la qualité de vos interventions, notre conviction commune que cette revalorisation du Parlement sera une avancée décisive. (Marques d'étonnement amusé à gauche) Vous avez choisi le langage de la responsabilité.

L'article 89 de la Constitution exige un vote conforme des deux chambres avant la convocation du Congrès. A cette fin, le Sénat a travaillé main dans la main avec l'Assemblée nationale, en amont de cette seconde lecture, pour que le texte proposé remplisse les exigences que vous aviez définies à l'issue de la première lecture. Cela a été possible grâce à l'excellent travail de la commission des lois, et en particulier de votre rapporteur, le président Hyest, qui a montré tout à la fois une détermination sans faille, une remarquable capacité de conviction et un grand esprit de responsabilité.

Mme Catherine Tasca.  - Et une grande souplesse !

Mme Rachida Dati, Garde des sceaux.  - Le premier principe de cette réforme, c'est le renforcement de notre Ve République. Je veux, après Mme Troendle, rendre hommage à la vision du général de Gaulle, dont la Constitution s'est révélée durable et forte. Elle ne sera pas dénaturée. Ce projet s'inscrit dans le cadre de la Ve République : le Président de la République reste élu par le peuple, le Gouvernement reste responsable devant le Parlement, le Sénat conserve une mission spécifique.

Mais le second principe de cette réforme, c'est l'adaptation de notre loi fondamentale aux évolutions de nos institutions et de la société. En effet, monsieur Mercier, l'élection présidentielle au suffrage universel et le passage au quinquennat ont accentué la prédominance de l'exécutif dans nos institutions. Il n'est pas question d'accentuer cette prédominance, comme le prétend Mme Boumediene-Thiery. En revanche, il nous faut moderniser notre démocratie, en contrôlant davantage le pouvoir exécutif, en renforçant le Parlement et en accordant des droits nouveaux aux citoyens.

Vous dites vouloir moderniser et revaloriser les pouvoirs du Parlement. Je vous propose de passer des mots aux actes, en tentant d'échapper à la surenchère, qui est souvent l'antichambre de l'immobilisme. Monsieur Frimat, ceux qui prétendent vouloir tout changer sont parfois ceux qui, en réalité, se préparent à ne rien changer ! (Exclamation sur les bancs socialistes, marques d'approbation à droite)

J'aurais aimé que MM. Frimat et Assouline reconnaissent les aspects qu'ils ont eux-mêmes jugés positifs : possibilité de voter des résolutions, partage de l'ordre du jour, référendum d'initiative populaire, inscription dans l'article 34, grâce à un amendement de M. Assouline, des principes de liberté, de pluralisme et d'indépendance des médias, reconnaissance de droits spécifiques aux partis et aux groupes minoritaires, et notamment à l'opposition. Alors, au-delà des postures, passons ensemble aux actes ! (On dénonce l'imposture à gauche)

M. Hyest l'a rappelé : s'il faut revaloriser le Parlement, c'est pour mieux contrôler le Gouvernement, améliorer la qualité de la loi et renforcer l'efficacité de nos politiques publiques. Les outils sont nombreux : discussion sur le texte issu de la commission, délais minimaux d'examen des textes, ratification expresse des ordonnances, plus grande maîtrise par le Parlement de son ordre du jour, contrôle des opérations militaires extérieures, principe de sincérité des comptes des administrations publiques, cher à Alain Lambert.

Cette réforme, c'est aussi de nouveaux droits pour les citoyens : l'exception d'inconstitutionnalité, attendue depuis longtemps, comme l'a rappelé M. Mercier, l'institution du Défenseur des droits ou encore la saisine directe du Conseil supérieur de la magistrature.

Voilà le projet ambitieux et équilibré que nous vous proposons. Le Parlement en débat depuis deux mois, et y a consacré une centaine d'heures en séance publique ; l'Assemblée nationale puis le Sénat ont apporté des améliorations substantielles au texte initial. Je vois dans la qualité des travaux parlementaires une preuve supplémentaire du bien-fondé de notre projet. Mme Troendle et M. Mercier ont souligné ces apports du Parlement, notamment la définition du statut de l'élu local ou l'inscription dans la Constitution de la « garantie des expressions pluralistes des opinions et de la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation ». Le Gouvernement, ouvert au dialogue, a accepté de très nombreux amendements, y compris de l'opposition. J'invite néanmoins chacun au bon sens et à la responsabilité : aller plus loin, ce serait ruiner l'équilibre du texte ; aller moins loin, ce serait en ruiner l'ambition. Madame Assassi, la surenchère est une posture facile et confortable, mais elle débouche sur une impasse !

Grâce au travail remarquable des deux assemblées, nous sommes arrivés à un équilibre susceptible de recueillir l'approbation du Congrès. Le compromis n'est pas un chemin honteux, bien au contraire. Gouvernement, Assemblée, Sénat, chacun a fait un pas : sur le droit pour les assemblées de voter des résolutions, la composition de la commission chargée de donner un avis sur les nominations, les langues régionales, chères à M. Grignon, le droit de grâce, la répartition des compétences entre juge judiciaire et administratif, la ratification des traités d'élargissement de l'Union, l'encadrement de l'article 49-3. Sur tous ces sujets, nous avons su, par le dialogue, nous retrouver sur un texte raisonnable.

Pour conclure, je veux souligner, avec solennité, le caractère exceptionnel du texte qui nous occupe. A chacun de peser ses responsabilités. Ceux qui diront « non » aux droits nouveaux accordés au Parlement devront motiver leur refus. (Sourires ironiques à gauche) Ceux qui le feront au nom du statu quo devront expliquer pourquoi ils ont si peu confiance en leur assemblée ; ceux qui le feront au nom du changement, pourquoi ils n'ont pas saisi l'opportunité de faire un pas en cette direction.

La Constitution n'est la propriété d'aucun camp, elle appartient à la France. Pour être adoptée, cette réforme doit trouver une majorité capable de se rassembler. Ainsi, le succès pourra être revendiqué par chacun et cette belle avancée sera l'oeuvre de tous, dans le seul intérêt de la Nation. Le Parlement jouera pleinement son rôle, les citoyens auront des droits nouveaux, l'état de droit progressera : nous aurons franchi une étape majeure dans la modernisation de notre vie politique.

La discussion générale est close

Exception d'irrecevabilité

M. le président.  - Motion n°146, présentée par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC.

En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi constitutionnelle, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, de modernisation des institutions de la Vème République (n° 459, 2007-2008).

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Le Sénat va se prononcer avant même que la commission n'ait examiné notre motion. Il est vrai qu'en première lecture, le rapporteur nous avait répondu avec ironie qu'une exception d'irrecevabilité ne pouvait être opposée à une révision constitutionnelle.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Cela paraît en effet paradoxal...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Il y a pourtant des précédents : en 1992, Philippe Seguin avait défendu à l'Assemblée nationale, au nom du groupe RPR, une exception d'irrecevabilité sur le projet de loi constitutionnelle préalable au traité de Maastricht, qui, loin d'être critiquée, a été votée par l'ensemble de la droite, dont MM. Fillon, Mazeaud et Jean-Louis Debré ! Notre assemblée, à commencer par M. Poncelet, n'avait pas non plus jugé inconcevable de voter pour une telle motion. Auriez-vous la mémoire courte ?

En première lecture, nous avions dénoncé l'atteinte portée au principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère. De fait, la suppression par les sénateurs de l'alinéa en cause, introduit en première lecture par l'Assemblée, a été maintenue en deuxième lecture par les députés : les uns et les autres ont perçu que, sous couvert de sécurité juridique, cette disposition ne visait qu'à permettre l'adoption de lois qui hier encore ne passaient pas la censure constitutionnelle !

Nous avons l'expérience de la loi relative à la rétention de sûreté : vous l'aviez voulue rétroactive, ce que le Conseil Constitutionnel a censuré.

La venue du Président de la République devant le Parlement réuni en Congrès est hautement symbolique de la dérive de nos institutions depuis 1962. Notre République se caractérise par un pouvoir exécutif à la tête hypertrophiée. Or ce projet de loi aggrave le déséquilibre. La déclaration du Président de la République devant le Congrès « pourra » donner lieu à un débat - celui-ci ne faisant même pas l'objet d'un vote. Vous minimisez cette nouveauté, pourtant raison majeure de la réforme aux dires de M. Pasqua. Vous n'en parlez plus ! En première lecture, plusieurs députés UMP et centristes avaient dénoncé le basculement vers un régime présidentiel. Certes, d'aucuns dépensent beaucoup d'énergie pour expliquer qu'il n'en est rien. Je songe à Mme la Garde des sceaux, à M. Accoyer. Quelques constitutionnalistes repentis, que je croyais indéfectiblement attachés à la séparation des pouvoirs et au régime parlementaire, se gardent désormais de mentionner la venue du Président devant le Parlement. Mais vous ne parviendrez pas à nous convaincre avec le texte lui-même.

Ce discours d'un tribun, d'un monarque, qui assène la parole présidentielle aux parlementaires sans que ceux-ci puissent répondre ni exprimer leur opinion par un vote, renforce le Président de la République et affaiblit le Premier ministre et le Parlement. Ne sont remis en cause ni le droit de dissolution, ni l'attribution des pleins pouvoirs de l'article 16. Et les aménagements à la marge de cet article 16 n'y changent rien. C'est la confusion des pouvoirs, comme dans aucune autre démocratie. Un Président de la République avec des pouvoirs propres très importants, chef de l'exécutif sans responsabilité politique, chef de la majorité et chef de parti. La fonction d'arbitrage disparaît ! Quinquennat et inversion du calendrier portaient en germe cette évolution. Mais, même pour leurs partisans, dont nous n'étions pas, elle devait s'accompagner d'une réorganisation réelle des pouvoirs -la suppression du droit de dissolution- avec l'attribution de pouvoirs autonomes au Parlement. La disparition du rôle d'arbitre du Président a été soulevée, lors des auditions de la commission des lois, notamment par Mme Zoller et M. Colliard.

Le deuxième motif d'inconstitutionnalité concerne l'article 35 du projet de loi. Il prévoit la modification du titre XV de la Constitution à compter de l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Malgré le « non » du peuple irlandais la veille même de l'examen du texte, le Gouvernement et la majorité se sont résolument accrochés à cet article. Il faut reconnaître que le Président de la République, devant le Parlement européen, a promis de tout faire pour pousser les Irlandais à se dédire. « Il ne s'agit pas de forcer la main aux Irlandais (...). Mais il faut avoir le courage de leur dire qu'il faut respecter ceux qui ont ratifié, et que l'Europe ne peut pas s'arrêter à cause d'eux. » Comment pouvez-vous nier l'expression du peuple irlandais, même si vous avez osé le faire pour le peuple français en méprisant son « non » de 2005 ? Le processus de ratification du traité de Lisbonne est remis en cause. La révision sur ce point relève presque de la provocation, puisque l'article 35 se trouve dépourvu de fondement. En outre, vous ne pouvez subordonner l'entrée en vigueur d'une révision constitutionnelle à l'entrée en vigueur d'un traité, liée à la décision d'autorités étrangères : cela reviendrait à associer ces dernières à l'exercice du pouvoir constituant dérivé ! De fait, en conditionnant la révision constitutionnelle à la ratification du traité de Lisbonne, vous procédez à une délégation inconstitutionnelle du pouvoir constituant.

Ces deux motifs suffisent à justifier l'adoption de la motion d'irrecevabilité, à quoi j'ajouterai l'atteinte au droit d'amendement, qui ne pourra désormais s'appliquer qu'en séance ou en commission...

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Comme maintenant !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - ...selon les conditions et limites fixées par les règlements des assemblées, dans le cadre déterminé par une loi organique. Le Sénat avait tenté de minimiser l'atteinte, en ne faisant plus référence aux limites fixées dans les règlements et en laissant libres les assemblées de fixer les conditions d'exercice. Mais l'Assemblée nationale a réintégré la notion de « limites » et renvoie à une loi organique pour fixer un cadre commun aux deux assemblées. Les députés ont également rétabli la disposition à l'article 19 selon laquelle, « sans préjudice des articles 40 et 41, tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ». Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 19 janvier 2006, considère que le droit d'amendement « doit pouvoir s'exercer pleinement au cours de la première lecture » et qu'il « ne saurait être limité, à ce stade de la procédure et dans le respect des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire, que par les règles de recevabilité ainsi que par la nécessité, pour un amendement, de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte ». La rédaction est en retrait par rapport à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, M. Hyest, l'a relevé, ce qui ne l'empêche pas de proposer le vote conforme !

J'ajoute que la constitutionnalisation, à l'article 11, de ce qui relève des politiques publiques soumises au Parlement -à savoir l'équilibre des comptes- me paraît irrecevable. Les décisions du Parlement s'en trouvent corsetées. Les choix de politique économique et sociale ne peuvent être gravés dans le marbre : je vous rappelle que notre peuple a refusé le traité constitutionnel ! C'est pourquoi on ne saurait parler, à l'instar du rapporteur, de « formules équilibrées pour conforter les droits du Parlement ». Ce texte opère une confusion des pouvoirs sans précédent et remet en cause le vote des Irlandais ; il ne renforce pas les droits du Parlement. Nous ne sommes pas dupes ! Il serait regrettable que la séparation des pouvoirs soit violée. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - La commission n'a pas examiné l'exception mais sachant qu'elle propose un vote conforme sur l'ensemble du texte...

Il me semble paradoxal d'opposer l'exception d'irrecevabilité dans le cas d'une révision constitutionnelle. J'ai souvenir d'un orateur qui avait parlé pendant quatre heures et demi contre le traité de Maastricht. Ce n'était pas une exception d'irrecevabilité mais un discours d'opposition.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Etes-vous opposé aux exceptions d'irrecevabilité ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - A l'utilisation qui en est faite !

A vous entendre, on pourrait penser que la présence des ministres au banc méconnaît la séparation des pouvoirs. Ce n'est pas parce que le Président de la République vient une ou deux fois par an devant le Congrès que la séparation des pouvoirs est compromise ! Dans nombre de démocraties parlementaires, le Premier ministre est constamment devant le Parlement.

Mme Rachida Dati, Garde des sceaux.  - Avis défavorable.

M. Michel Dreyfus-Schmidt.  - Tout cela est un peu troublant : le Premier ministre a expliqué sa position mais il est parti avant d'écouter la nôtre.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Mme la Garde des sceaux est là.

M. Michel Dreyfus-Schmidt.  - Mme la ministre a répondu sans avoir entendu les orateurs ! M. le premier ministre avait fait le contraire. Est-ce là votre nouvelle conception des choses ?

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. - Dramatique ! Est-ce tout ce que vous avez à dire ?

La motion n°146 est mise aux voix par scrutin public de droit.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 234
Nombre de suffrages exprimés 233
Majorité absolue des suffrages exprimés 117
Pour l'adoption 23
Contre 210

Le Sénat n'a pas adopté.

Question préalable

M. le président.  - Motion n°92, présentée par M. Sueur et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi constitutionnelle, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, de modernisation des institutions de la Ve République (n° 459, 2007-2008).

M. Jean-Pierre Sueur.  - Il y a quelquefois des situations qui confinent à l'absurde, dans lesquelles on produit des actes de langage en contradiction avec ce que l'on est censé vouloir dire. Nous en sommes là, comme l'ont brillamment montré nos collègues. On nous parle de renforcer le rôle du Parlement et voilà que nous sommes dans un rituel très formel : nous allons nous rendre en commission et tourner consciencieusement les pages des amendements et l'on nous dira imperturbablement qu'on y est défavorable. Après quoi nous passerons quelques heures à défendre nos amendements, dont aucun, quoi qu'il contienne, n'aura la moindre chance d'être adopté puisque tout a déjà été décidé. Et cela, à propos d'un texte qui a « pour fonction », nous dit M. Mercier, de revaloriser le rôle du Parlement ! Ce spectacle est le contraire même de cette vitalité du Parlement, que nous pourrions souhaiter.

Parlons vrai ! Sur la question du Sénat, si importante pour nous, vous n'avez fourni aucun argument sérieux. Cela ne relève pas de la Constitution ? Mais il était prévu d'en dire quelques mots et vous avez bien veillé à tout verrouiller de manière qu'une des chambres du Parlement ait une majorité inamovible. Délaissons les artifices de la rhétorique et de la casuistique : nous savons bien que vous vous accrochez pour que rien ne change sur cette question importante. Accepter l'alternance politique dans les deux chambres aurait valu tous les discours. Mais le Sénat est conservateur.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - « De la République », disait Clemenceau !

M. Jean-Pierre Sueur.  - A l'époque. Aujourd'hui, vous voulez conserver...

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État.  - Moi, non !

M. Jean-Pierre Sueur.  - ...l'état des choses.

S'agissant de cette autre mesure à laquelle nous sommes très attachés, le droit pour les étrangers installés depuis longtemps de s'exprimer dans les scrutins locaux, le Président de la République lui-même a dit y être favorable. Vous le refusez, et la France sera bientôt, en la matière, lanterne rouge de l'Europe.

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission.  - Ce n'est pas vrai !

M. Jean-Pierre Sueur. - Un grand nombre de pays...

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Très peu.

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission.  - Et sous réserve de réciprocité !

M. Christian Cointat.  - Et ce n'est pas ce qu'ils ont fait de mieux !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Pour ce qui est du droit d'amendement, ce sera la première fois dans l'histoire de la République que ce droit sera subordonné au règlement de chaque assemblée, c'est-à-dire à la majorité de celle-ci. Il est grave que le droit d'amendement soit ainsi subordonné à quoi que ce soit.

Songez, à propos des nominations, qu'il y a une grande différence entre le véto négatif et un avis positif. En refusant celui-ci, vous faites perdre sa substance à cette disposition. Cela se répercute sur le Conseil supérieur de la magistrature puisque le mode de nomination a quelque chose à voir avec la nature même de cette institution. Tant pour la parité, que vous refusez, que pour la manière dont sont nommés les magistrats du parquet, nous n'avons trouvé aucune des avancées que nous voulions.

Le Défenseur des droits ? Je répète ma question, à laquelle nous n'avons pas encore eu de réponse : quelles seront ses attributions ?

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission.  - Ce sera dans la loi organique !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Mme la ministre a peut-être quelques idées ? Ce Défenseur du droit se substituera-t-il au médiateur ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Entre autres !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Englobera-t-il la Halde ? La commission nationale de déontologie et de sécurité sera-t-elle absorbée ? Et, à terme, le contrôleur général des lieux de détention ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - On a dit que non.

Mme Rachida Dati, Garde des sceaux.  - Là-dessus, j'ai répondu.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Dans l'immédiat, mais à terme ? Et quid du Défenseur des enfants ? De la Cnil ? Bref, nous ne percevons toujours pas les contours de ses prérogatives.

Quelle plaisanterie que cette disposition sur l'ordre du jour ! Dans un grand nombre de parlements, il existe un espace pour l'initiative parlementaire et pour l'opposition. Chez nous, ce sera un jour par mois !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - C'est mieux qu'avant !

M. Jean-Pierre Sueur.  - A partager entre l'opposition et les groupes minoritaires qui votent certains textes de la majorité.

M. Michel Mercier.  - Et quand vous deviendrez majoritaires, nous resterons minoritaires !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Nous avons, dans cette maison, l'habitude de dialoguer ; je vous écoute et vous entends.

Donc, il y aura un jour par mois pour, premièrement, l'opposition et, deuxièmement, les groupes minoritaires. Donc, nous aurons une demi-journée par mois et on nous dit que c'est merveilleux !

Derrière ces discours, se profile une bien piètre réalité, une réalité indéfendable : une demi-journée par mois pour les divers groupes d'opposition !

Nous avions demandé que chaque groupe parlementaire puisse avoir l'initiative d'une ou deux commissions d'enquête par an. On est loin du compte : on ne donne aucun droit à l'opposition. Notre groupe, par exemple, avait demandé une commission d'enquête sur les rapports entre l'exécutif et les propriétaires d'organes de presse ou de chaînes télévisées qui vivent pour l'essentiel de commandes publiques : sujet pertinent et d'actualité... La décision continuera à dépendre du bon vouloir de la majorité sénatoriale.

Où est le progrès en matière de droit de contrôle ?

En matière de résolutions lisons ce qu'ont adopté les députés : « Sont irrecevables et ne peuvent être inscrites à l'ordre du jour les propositions et résolutions dont le Gouvernement estime que leur adoption ou leur rejet seraient de nature à mettre en cause ses responsabilités » !

M. Christian Cointat.  - Il y a la motion de censure à cette fin !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Autrement dit, beaucoup de manques et de faux-semblants dans ce texte.

Nous souhaitions une réforme qui donne tous ses droits au Parlement. Il serait sage de réfléchir encore avant de voter un texte aussi ambigu et conservateur. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Même avis défavorable que pour la motion précédente : le texte est équilibré et il apporte des avancées sur les droits des citoyens et les pouvoirs du Parlement.

Mme Rachida Dati, Garde des sceaux.  - Même avis.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Le Gouvernement n'a rien à dire ? Même pas trois phrases !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Vous n'avez cessé de répéter que les pouvoirs du Parlement étaient renforcés. Il n'en est rien et la méthode Coué ne suffit pas ! Je suis d'accord avec ce qu'a dit Jean-Pierre Sueur sur les commissions d'enquête. De même le partage de l'ordre du jour est un leurre. On brouille les pistes en mettant en avant que le Gouvernement n'en aura la maîtrise que quinze jours par mois, parce que, finalement, l'opposition et les groupes minoritaires -qui la plupart du temps votent pour la majorité- n'auront l'initiative qu'une demi-journée par mois ! Il n'y a pas de changement. Nous voterons cette motion.

M. Pierre-Yves Collombat.  - Nous voterons cette question préalable car la réflexion n'est pas parvenue à son terme. Pour rééquilibrer les institutions en faveur du Parlement, il y avait deux voies. La première était de modifier la loi électorale car le « parlementarisme rationalisé » associé à une Constitution qui donne tous les pouvoirs à l'exécutif, n'en laisse aucun à l'opposition parlementaire. On pouvait le faire, timidement, en introduisant un peu de proportionnelle, comme l'a proposé le comité Balladur.

La seconde voie était d'aller vers un vrai régime présidentiel, comme celui des États-Unis où le Congrès a un véritable pouvoir législatif. La possibilité donnée au Président de la République de s'exprimer devant notre Congrès le consacrera comme chef de la majorité et, comme nous l'a dit Mme Zoller en commission, nous allons non pas vers un régime présidentiel mais vers « un régime consulaire ». Avec ce texte on ne renforce pas les pouvoirs du Parlement, mais comme l'explique Dominique Rousseau dans Libération ce matin, on diminue ceux du Premier ministre et on renforce la majorité présidentielle.

M. Michel Mercier.  - Une question importante, même si elle n'est pas préalable : une fois la réforme votée, que fait-on ? Considère-t-on que le travail est fini ou bien que tout reste à faire ? Le Gouvernement a dit dans l'exposé des motifs qu'il veut un Parlement renforcé et davantage représentatif. Comment renforcer les pouvoirs du Parlement sans le rendre plus représentatif ? Et le rendre plus représentatif, c'est introduire un peu de proportionnelle à l'Assemblée nationale et réformer le corps électoral du Sénat.

M. Michel Dreyfus-Schmidt.  - Vous êtes d'accord avec nous mais vous votez toujours avec eux !

M. Michel Mercier.  - Il m'interrompt parce que son groupe ne lui donne pas assez la parole.

Tout n'est pas réglé.

Le Sénat renouvelé aura, en octobre, à se poser la question. Nous ne pouvions pas réformer le mode de scrutin sénatorial à deux mois du prochain renouvellement.

Pas plus que les membres de mon groupe je n'ai peur du peuple. Nous sommes tous des élus locaux : nous ne pouvons pas ne pas prendre en compte les résultats des élections locales. Il est vrai que les résultats des élections sénatoriales sont amplifiés par la loi électorale : pour être plus forts et plus représentatifs, il faudra modifier le corps électoral du Sénat.

La motion n°92 est mise aux voix par scrutin public de droit.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 328
Nombre de suffrages exprimés 327
Majorité absolue des suffrages exprimés 164
Pour l'adoption 120
Contre 207

Le Sénat n'a pas adopté.

M. le président.  - La commission des lois doit se réunir pour examiner les amendements.