Statut des dirigeants de sociétés (Proposition de loi)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à réformer le statut des dirigeants de sociétés et à encadrer leurs rémunérations, présentée par Mme Nicole Bricq et plusieurs de ses collègues.

Discussion générale

Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi.  - Je tiens tout d'abord à remercier M. le rapporteur et président de la commission des lois qui a dû travailler dans des délais très courts.

Nous avons entendu, jusqu'à présent, beaucoup de discours moralisateurs, fustigeant « les stratèges cyniques et opportunistes des entreprises ».

M. Charles Gautier.  - On ne cite personne !

Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi.  - Il s'agit en effet d'une citation du Président de la République. Nous avons entendu déplorer l'échec des régulations spontanées des marchés, longtemps encensées. Mais on en reste généralement aux incantations.

Nous proposons d'agir pour modifier les règles du jeu du monde des affaires. Le débat sur le statut des dirigeants de sociétés et leurs rémunérations accessoires n'est pas nouveau. Lors de la campagne présidentielle de 2007, le candidat Sarkozy avait souhaité « que les plans de stock-options soient pour tout le monde ou pour personne ». Pour notre part, nous avions proposé que la fiscalité sur les revenus du capital soit la même que celle sur les revenus du travail, tant les premiers avaient été avantagés au cours des années précédentes. Et c'était avant l'élargissement du bouclier fiscal ! Les scandales liés aux parachutés dorés accordés à des dirigeants dont les entreprises avaient eu de mauvais résultats se sont succédé : je ne citerai que les cas de Noël Forgeard en 2006 et d'Axel Miller en 2009.

Depuis l'éclatement de la bulle spéculative en 2002 et depuis l'affaire Enron, nous avons voulu mettre en place une régulation plus stricte ; mais toutes nos propositions ont été rejetées par la majorité, au nom de l'idéologie du laisser-faire. On a laissé les commandes de la régulation à ceux qui ont le moins d'intérêt à réguler.

La crise financière a servi de révélateur. Les mauvaises pratiques des entreprises ne suscitaient jusqu'ici que des soubresauts médiatiques, des cris d'indignation ou les interventions minimales du législateur. Pourtant, ces pratiques sont le produit d'un système. L'augmentation vertigineuse des rémunérations, surtout de leur part variable, est liée aux risques excessifs que prennent les opérateurs et les directions financières des banques, qui ne cherchent qu'à créer de la valeur boursière. Certes, le Medef ne veut pas d'une régulation par voie législative et le Gouvernement ne veut pas lui déplaire. Mais peut-on s'en remettre à un simple code de bonne conduite ?

Mme Marie-Hélène Des Egaulx.  - Pourquoi pas ?

Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi.  - La convention type mise en place par le Gouvernement n'engage que les banques qui font appel à la garantie de l'État. J'observe d'ailleurs que le Président de la République et le Gouvernement doivent insister auprès des banques pour qu'elles respectent leur engagement d'accorder des crédits aux collectivités locales et aux particuliers ; il n'y a aucune raison qu'elles tiennent mieux leurs promesses en ce qui concerne les rémunérations des dirigeants.

Une fois de plus, en France, on se contente donc de formuler des règles éthiques comme contrepartie aux aides de l'État. Dans d'autres pays européens, ces contreparties sont fixées par le règlement, voire par la loi : on y a fixé des normes en matière de gouvernance d'entreprise et de rémunération des dirigeants. Les codes de bonne conduite ne servent à rien : ni les rapports successifs de M. Viennot, ni celui de M. Bouton en 2002, ni le code de bonne conduite du Medef et de l'Afep, revu au début du mois d'octobre, ne furent suivis d'effets.

Devant la crise financière qui nous frappe, il n'est pas possible de rester sans rien faire et c'est la loi qui permet le mieux de réguler les pratiques des entreprises. La France, qui exerce la présidence de l'Union européenne, ne doit pas être frileuse. Nos voisins néerlandais, qui ne peuvent être taxés d'interventionnisme excessif, ont choisi de légiférer pour modérer par la fiscalité les rémunérations des dirigeants.

Notre proposition s'inscrit dans le cadre des mesures d'accompagnement et d'incitation microéconomiques au sein des sociétés que nous voudrions mettre en oeuvre, et qui visent à renforcer les règles de gouvernance des sociétés, à modérer les rémunérations variables, à rendre plus équitable la fiscalité pesant sur ces rémunérations. Les écarts de rémunérations excessifs, encore accrus par le bouclier fiscal et les niches fiscales, mettent en péril la solidarité et la cohésion sociale. J'observe que l'annonce du dépôt de notre proposition de loi a stimulé l'activisme du Gouvernement. (M. le ministre le conteste) J'en veux pour preuve le dépôt de l'amendement sur les stock-options que vous avez fait voter dans la soirée du 27 octobre au Sénat, au sein du projet de loi pour les revenus du travail. C'est pourtant une mesure que vous aviez refusée auparavant devant l'Assemblée nationale !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et la solidarité.  - Vous, socialistes, vous n'êtes jamais assez ambitieux !

Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi.  - Nous avions proposé mieux l'an passé, lors du projet de loi de financement de la sécurité sociale : vous aviez alors refusé tous nos amendements ; nous les réintroduisons dans ce texte. Le Premier ministre a tenu hier des propos étonnants sur le gouvernement Jospin, propos que je mets qui que soit au défi de prouver. Et je lui rappelle que nous avons été les premiers à légiférer sur cette question des stock-options : c'était en 2001, sous le gouvernement Jospin, précisément. Et nous avions pris soin de sanctuariser les jeunes entreprises innovantes sans capital. Les dérives ne sont pas là mais dans les groupes dont l'assise financière ne nécessite pas nécessairement un mode de rémunération où l'accessoire peut dépasser le principal. Nous proposons ainsi de limiter la part variable de la rémunération des mandataires sociaux, qui ne pourra plus être supérieure à la part fixe. Pour les cinquante plus gros bénéficiaires de stock-options, le montant moyen de l'exonération atteint 3 millions d'euros ; pour les mille premiers, plus de 500 000 euros ! » Est-ce raisonnable ? Est-ce supportable ?

Pour prévenir les abus concernant à la fois l'ensemble des rémunérations différées des dirigeants et les indemnités de départ, les fameux « parachutes dorés », nous proposons une fiscalité plus forte et plus juste qui incitera à modérer les pratiques dans ces domaines. Dans son rapport écrit, le président de la commission des lois fait remarquer que les dispositions fiscales doivent figurer dans la loi de finances. Certes, mais il devrait prodiguer cette recommandation au Gouvernement qui, encore la semaine dernière, a introduit un crédit d'impôt pour encourager les entreprises à développer intéressement et participation. Jeudi dernier, à l'Assembles nationale, lors du débat sur le projet de financement de la sécurité sociale, votre collègue, M. Woerth, a encore une nouvelle fois écarté l'application d'une fiscalité équitable sur les stock-options en refusant des amendements pourtant adoptés en commission. Le Gouvernement n'a même pas voulu l'application immédiate de la contribution salariale de 2,5 %, décidée en 2007, sur les avantages résultant des stock-options et des attributions gratuites d'actions. La Cour des comptes a pourtant évalué à 3 milliards la perte de recettes pour la sécurité sociale. Nous vous proposons de porter cette contribution à 11 %, et à 28 % la contribution patronale, ce qui correspond exactement aux cotisations patronales famille, maladie, chômage et retraite appliquées aux salaires.

Pour les parachutes dorés, le Gouvernement a accepté, dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, un amendement de M. Bur, assujettissant aux cotisations sociales les indemnités de départ de plus d'1 million d'euros. Nous vous proposons d'appliquer la législation en vigueur chez nos voisins hollandais : une fiscalité de 30 % pour les dirigeants dont le salaire annuel dépasse 500 000 euros, lorsque les indemnités sont supérieures au salaire annuel net.

Enfin, il faut encadrer les rémunérations différées détenues par les dirigeants de grandes sociétés. Par ce texte, nous souhaitons prévenir de nouvelles affaires de délits d'initiés, jetant l'opprobre sur des sociétés à dimension internationale. Nous vous proposons donc d'encadrer les modalités d'octroi et de réalisation des stock-options et des actions gratuites par l'établissement d'un calendrier régulier de leurs cessions.

Cependant, on ne peut s'attaquer aux rémunérations et à leur fiscalité sans réformer la gouvernance des sociétés. En la matière, les défaillances n'ont pas pour seule source l'augmentation exagérée de la part variable et différée de la rémunération des dirigeants. Elles résultent aussi de l'ambiguïté du statut de dirigeant de société, qui permet de cumuler les avantages liés à un contrat de travail, notamment en cas de départ de la société, et les rémunérations d'un mandataire social. C'est pourquoi nous vous proposons d'interdire ce cumul. Cette proposition a été longuement débattue, y compris par des clubs de réflexion proches de la majorité actuelle. Elle est du reste reprise dans le code de bonne conduite du Medef. Depuis le temps qu'on en parle, inscrivons-la enfin dans la loi !

Ces dérives résultent aussi du manque de transparence des pratiques de rémunération des dirigeants de société vis-à-vis de l'assemblée générale des actionnaires. C'est pourquoi nous proposons que le conseil d'administration assume ses choix devant les actionnaires, que la loi donne enfin un contenu précis au comité de rémunération qui ne pourra plus être cantonné dans un rôle cosmétique. Les actionnaires et les dirigeants actionnaires doivent-ils toujours être les seuls a se contrôler mutuellement sur le partage de la plus-value ? Nous ne le pensons pas. Les actionnaires et les dirigeants ne sont pas les seules parties prenantes de l'entreprise, les salariés aussi doivent exercer leurs droits et c'est pourquoi nous prévoyons l'avis conforme du comité d'entreprise pour l'augmentation de la rémunération du président du conseil d'administration ainsi que l'entrée d'un représentant des salariés au conseil d'administration.

Doit-on s'étonner que nous proposions de renforcer la responsabilité personnelle du dirigeant de société ? En temps de crise, les salariés doivent-ils supporter seuls les mauvais choix stratégiques de leurs dirigeants ? Surtout lorsque ceux-ci prennent des risques démesurés ? Nous proposons de mettre en oeuvre l'action en responsabilité des dirigeants de société par une procédure de recours individuel et collectif qui pourra être exercé par les actionnaires. Nous vous l'avons déjà proposé plusieurs fois depuis 2005. Il est grand temps que le législateur donne un coup d'arrêt à des pratiques insupportables. Nous le devons aux Français dont vous devez sentir monter la colère et le dépit.

M. le président de la commission des lois a choisi de nous opposer une motion de renvoi en commission.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Déplorable !

Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi.  - Nos propositions ne sont pas improvisées.

M. Bernard Frimat.  - Elles sont réalistes.

Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi.  - Les commissions du Sénat en ont été saisies à plusieurs reprises, mais, à chaque fois, nous nous sommes heurtés à un mur d'hostilité. Alors nous utilisons les armes -encore très modestes- dont nous disposons dans l'opposition, et le dépôt de cette proposition de loi est déjà utile puisque vous vous engagez à évaluer, d'ici la fin du premier trimestre 2009, les effets du code de bonne conduite prôné par le Medef.

La confiance est rompue entre le peuple et ses élites dirigeantes. Comment iriez-vous expliquer à nos concitoyens, dans vos départements, qu'il n'y a pas urgence ? En vous dérobant, vous choisiriez de laisser-faire. En acceptant de mener le débat à son terme, vous rendriez un grand service à l'institution sénatoriale. De grâce, faites-le ! (Applaudissements à gauche)

M. François Zocchetto, en remplacement de M. Jean-Jacques Hyest, président et rapporteur de la commission des lois.  - Le président et rapporteur de la commission doit nous rejoindre mais il a été convoqué par le président du Sénat pour examiner les conséquences de la révision constitutionnelle.

Plusieurs voix à gauche.  - Nous aussi !

M. François Zocchetto, rapporteur.  - Le président n'a eu qu'une semaine pour écrire son rapport et le texte a été inscrit le plus rapidement possible à l'ordre du jour.

Nul ne peut nier qu'il existe aujourd'hui des dérives réelles en matière de rémunération des dirigeants. La presse se fait d'ailleurs largement l'écho des montants astronomiques que certains ont ainsi pu se voir offrir Ces dérives étaient difficilement acceptables en période de croissance économique, tant certaines rémunérations de dirigeants apparaissaient disproportionnées par rapport à la prise de risque personnel qui caractérise les fonctions de mandataire social. Elles sont devenues encore plus inacceptables dans le contexte de crise économique et financière que nous connaissons.

Plusieurs voix sur les bancs socialistes.  - Alors ?

M. François Zocchetto, rapporteur.  - Pourtant, ces dérives ne se rencontrent que dans certaines grandes sociétés cotées, bien qu'elles jettent l'opprobre sur l'ensemble des sociétés françaises alors que la plupart ont un comportement irréprochable.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Raison de plus pour s'en occuper !

M. François Zocchetto, rapporteur.  - En outre, ces dérives ne sont le fait que d'une poignée de dirigeants de quelques grandes sociétés cotées.

M. Yannick Bodin.  - Le code de la route, c'est pour les chauffards !

M. François Zocchetto, rapporteur.  - Même très circonscrites, ces dérives doivent évidemment cesser. D'évidence, certaines pratiques doivent changer. J'en retiendrai deux.

La première est le cumul d'un contrat de travail avec des fonctions de direction. La pratique l'a montré, pour certains dirigeants, l'absence de prise de risque personnel résultant du cumul d'un contrat de travail avec un mandat de direction peut ne pas inciter à une gestion toujours responsable des affaires de la société. La question de la légitimité de ce cumul doit donc être posée, tout particulièrement lorsque, dans les faits, le dirigeant salarié n'est pas dans une situation de dépendance juridique vis-à-vis de la société : c'est le cas du président du conseil d'administration et du directeur général, du président du directoire ou du directeur général unique et du gérant pour les sociétés en commandite par actions.

La seconde pratique à modifier est celle des conditions actuelles d'attribution et d'exercice des stock-options, ainsi que les fameuses retraites chapeaux et les parachutes dorés. Le mécanisme des stock-options tire sa raison d'être de la volonté de créer entre son bénéficiaire et la société une communauté d'intérêts. Aussi ne doit-il pas être conçu comme un élément de rémunération exceptionnel à tous les coups gagnant, notamment si l'entreprise est en difficulté. Les retraites chapeaux et les parachutes dorés tirent leur légitimité du fait que les mandataires sociaux sont révocables à tout moment, ad nutum, et sans motif. Encore faut-il que ces garanties restent proportionnées. De fait, la certitude, en cas de cessation de fonctions, d'obtenir des indemnités ou des avantages d'une valeur parfois considérable n'incite certainement pas à une gestion responsable de la société.

Si une modification des pratiques doit intervenir, à quel niveau convient-il de fixer les normes de référence ? En d'autres termes, l'intervention législative est-elle nécessaire pour régler ces problèmes ?

Du simple fait que vous déposez cette proposition de loi, vous tranchez et proposez des règles très précises qui manifestent une réelle défiance par rapport aux sociétés.

M. Jean-Pierre Bel.  - On peut en discuter !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Il y a des abus scandaleux.

M. François Zocchetto, rapporteur.  - Votre proposition n'est d'ailleurs pas tout à fait nouvelle : vous aviez déjà évoqué plusieurs de ses éléments les années précédentes.

Parmi les principales modifications envisagées figure l'interdiction généralisée de cumuler les fonctions dirigeantes avec un contrat de travail avec la société et ses administrateurs, président du conseil d'administration et directeur général, même dans une filiale. Plusieurs autres dispositions visent à encadrer les rémunérations des dirigeants et mandataires sociaux : votre texte institue un avis conforme du comité d'entreprise sur la rémunération du président du conseil d'administration ; il soumet la rémunération du président du conseil d'administration et du directeur général au régime des conventions réglementées ; il prévoit l'avis conforme du comité d'entreprise et de l'assemblée générale des actionnaires sur toute augmentation substantielle de la rémunération du président du conseil d'administration ; il impose, au niveau législatif, l'intervention d'un comité des rémunérations, qu'il charge d'élaborer un rapport sur les rémunérations des dirigeants de l'entreprise. Vous voulez aussi renforcer la responsabilité personnelle des dirigeants et mandataires sociaux, tout en abaissant de cinq à trois le nombre de mandats sociaux qu'il serait possible de cumuler, et imposer la présence, dans tout conseil d'administration, d'un représentant des salariés disposant d'une voix délibérative ainsi que l'information directe des sections syndicales d'organisations représentatives sur les éléments de rémunération.

Le deuxième axe de la proposition de loi vise l'encadrement des stock-options et des actions gratuites, dont sont modifiées les conditions de levée. Enfin, vous voulez alourdir la fiscalité des rémunérations différées des dirigeants sociaux.

Une intervention législative est sans doute appropriée, mais pas sur l'ensemble du sujet. (Exclamations sur les bancs socialistes)

M. Jean-Pierre Sueur.  - Donc, on doit débattre !

M. François Zocchetto, rapporteur.  - En tout état de cause, elle serait aujourd'hui prématurée. (Exclamations sur les bancs socialistes)

M. Yannick Bodin.  - Vous attendez la prochaine crise ?

M. François Zocchetto, rapporteur.  - En matière de statut des dirigeants sociaux, tout comme en ce qui concerne leur rémunération, la voie législative n'est pas nécessairement la plus pertinente. La diversité des situations au sein de chaque société et la flexibilité indispensable au fonctionnement des équipes dirigeantes de sociétés, en concurrence permanente avec des grands groupes étrangers, militent pour un mode de régulation autre que législatif ou réglementaire. On ne part pas de zéro.

M. Jean-Louis Carrère.  - Ce qui existe ne marche pas !

M. François Zocchetto, rapporteur.  - Si l'on appliquait à la lettre tout ce que vous proposez, la plupart des entreprises du CAC 40 partiraient pour les Pays-Bas.

M. Jean-Pierre Bel.  - Et le coup de l'Armée rouge, vous nous le faites quand ?

M. Bernard Frimat.  - Les chars russes !

M. François Zocchetto, rapporteur.  - Premières concernées par ce phénomène et premières confrontées à la réprobation de l'opinion publique, les associations représentant les 688 sociétés faisant appel public à l'épargne ont adopté un code de conduite le 6 octobre dernier.

Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi.  - On n'y croit guère.

M. François Zocchetto, rapporteur.  - S'agissant du cumul d'un contrat de travail et d'un mandat social, il est recommandé de mettre fin, soit par rupture conventionnelle, soit par démission, au contrat liant à la société le président, le président directeur général, le directeur général, le président du directoire ou le directeur général unique, et les gérants.

Mme Nicole Bricq.  - Quelle est la sanction ?

M. François Zocchetto, rapporteur.  - Le versement d'indemnités de départ à un dirigeant mandataire social doit être exclu s'il quitte à son initiative la société pour exercer de nouvelles fonctions, ou change de fonctions à l'intérieur d'un groupe, ou encore s'il peut faire valoir à brève échéance ses droits à la retraite.

M. Jean-Louis Carrère.  - Oseo !

M. François Zocchetto, rapporteur.  - L'indemnité de départ ne doit pas pouvoir excéder deux ans de rémunération, fixe et variable. Les retraites supplémentaires à prestations définies sont soumises à la condition que le bénéficiaire soit mandataire social ou salarié de l'entreprise lorsqu'il fait valoir ses droits à la retraite. Le groupe de bénéficiaires potentiels doit être sensiblement plus large que les seuls mandataires sociaux.

M. Jean-Louis Carrère.  - Allez expliquer cela à l'opinion publique !

M. François Zocchetto, rapporteur.  - Les bénéficiaires doivent satisfaire à des conditions raisonnables d'ancienneté dans l'entreprise. Les droits potentiels ne doivent représenter, chaque année, qu'un pourcentage limité de la rémunération fixe du bénéficiaire. Les attributions d'actions aux dirigeants mandataires sociaux doivent être soumises à des conditions de performance. Les attributions gratuites d'actions sans conditions de performance doivent être réservées aux vrais salariés, ceux qui sont en état de subordination. Les options ou actions attribuées ne doivent pas représenter un pourcentage disproportionné de l'ensemble des rémunérations, options et actions attribuées à chaque dirigeant mandataire social. Un pourcentage maximum d'options et d'actions pouvant être attribuées aux dirigeants mandataires sociaux par rapport à l'enveloppe globale votée par les actionnaires doit être défini par les conseils. Ces attributions doivent intervenir aux mêmes périodes calendaires et chaque année. S'agissant du prix défini pour l'option, la décote doit être supprimée pour l'ensemble des attributaires et les instruments de couverture des options interdits. L'exercice des options ou des acquisitions de la totalité des options et l'acquisition des actions doivent être liés à des conditions de performance à satisfaire sur une période de plusieurs années consécutives. Le conseil doit imposer aux dirigeants mandataires sociaux de conserver un nombre important et croissant des titres acquis.

Les éléments constitutifs de la rémunération doivent être rendus publics sur une base individuelle pour les dirigeants, selon une présentation standardisée. Ce, immédiatement après la réunion du conseil les ayant arrêtés.

Ces engagements de conduite ne sont pas juridiquement contraignants mais, depuis la loi du 3 juillet 2008, les sociétés doivent se justifier de la non-application des codes de gouvernement d'entreprise définis par leurs associations représentatives.

Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi.  - S'en justifier devant qui ?

M. François Zocchetto, rapporteur.  - Les actionnaires, pas le ministère public, bien sûr ! Et aussi devant les représentants des salariés. De plus, l'Autorité des marchés financiers est chargée d'analyser le comportement des sociétés cotées au regard des règles de gouvernance d'entreprise et leur politique en matière de rémunération des dirigeants. Aucun dirigeant d'entreprise ne peut ignorer l'enjeu qui s'attache à la pleine application de ce code de gouvernance d'entreprise.

Ces nouvelles règles de conduite ne datent que du 6 octobre dernier. Laissons aux entreprises le temps de les appliquer, et à nous celui de contrôler leur bonne application. Nous pourrons alors décider, plus sereinement et non dans l'urgence, des modifications à apporter à notre législation sur les sociétés commerciales : votre rapporteur a eu moins d'une semaine pour examiner cette copieuse proposition de loi.

Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi.  - Cela fait des années que nous en parlons !

M. François Zocchetto, rapporteur.  - Disons-le tout net : certaines des dispositions que vous proposez, notamment sur le rôle du comité d'entreprise ou le cumul des mandats sociaux, ne peuvent qu'être rejetées tant elles mettraient à mal le fonctionnement quotidien de nos entreprises.

Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi.  - Bravo ! Les salariés apprécieront.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Faites un amendement !

M. François Zocchetto, rapporteur.  - De telles dispositions n'existent pas dans les pays limitrophes.

Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi.  - C'est qu'ils ont des règles plus sévères.

M. François Zocchetto, rapporteur.  - Une intervention législative immédiate s'impose vraisemblablement dans certaines matières, en particulier fiscales et sociales, mais la proposition de loi n'est pas le vecteur le plus approprié.

L'article 7 bis de la première partie du projet de loi de finances pour 2009, adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale le 28 octobre dernier, limite la déductibilité du bénéfice imposable des sociétés des rémunérations différées accordées aux dirigeants et mandataires sociaux, selon un dispositif identique à celui que vous proposez. Je suppose que vous voterez cet article !

M. Bernard Frimat.  - Il est insuffisant !

M. François Zocchetto, rapporteur.  - Deuxième télescopage législatif...

M. Jean-Louis Carrère.  - Laborieux !

M. François Zocchetto, rapporteur.  - Non, précis.

L'article 13 bis du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, tel qu'adopté par l'Assemblée nationale, majore les contributions sociales applicables aux parachutes dorés, désormais taxés dès le premier euro lorsqu'ils dépassent 1 million. Enfin, l'article 2 quindecies du projet de loi en faveur des revenus du travail, adopté en première lecture au Sénat le 27 octobre dernier, lie l'attribution de stock-options ou l'attribution gratuite d'actions aux mandataires sociaux soit à l'application d'une attribution de stock-options ou d'actions gratuites à l'ensemble des salariés de la société soit à l'existence d'un accord d'intéressement, de participation dérogatoire ou de participation volontaire au sein de la société.

Il serait de bonne technique législative d'attendre au moins l'issue de la navette parlementaire sur ces différentes réformes pour s'interroger sur la pertinence qu'il y a à légiférer à nouveau sur ces mêmes sujets.

Pour l'ensemble de ces raisons, votre commission des lois a décidé de ne pas présenter de conclusions et de vous soumettre une motion de renvoi en commission. (Applaudissements à droite)

M. Jean-Louis Carrère.  - Appliqué mais guère convaincant...

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité.  - (Applaudissements sur les bancs UMP)...

M. Yannick Bodin.  - Il va essayer de faire mieux qu'hier à la Snecma !

M. Xavier Bertrand, ministre.  - Le Gouvernement et le Parlement réfléchissent depuis des mois à la question de la rémunération des dirigeants d'entreprises. Le groupe socialiste semble avoir décidé de se joindre aux efforts du Président de la République. (Exclamations à gauche, rires à droite)

Je remercie le président de la commission qui a mené l'expertise sur cette proposition de loi avec une grande célérité.

Les Français ont été choqués de constater que des dirigeants de sociétés pouvaient recevoir des rémunérations sans aucun lien avec leur performance dans leur entreprise. Et je l'ai dit, pour moi, il n'est pas acceptable qu'un dirigeant s'en aille muni d'un parachute doré de 6 millions d'euros pendant que le titre de la société, en bourse, perd 57 % ! Et je songe ici à Alcatel-Lucent !

Voix à gauche.  - Affichage !

M. Xavier Bertrand, ministre.  - Quant à vous, vous réagissez maintenant seulement. (Vives protestations sur les bancs socialistes)

Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi.  - Nous le disons depuis des années ! Seriez-vous sourd ?

M. Xavier Bertrand, ministre.  - Nous avons entrepris de restaurer la valeur travail, le travail comme élément central de la production des richesses, et de promouvoir une rémunération en rapport avec les performances.

M. Jean-Louis Carrère.  - Provocateur ! Provocateur !

M. Xavier Bertrand, ministre.  - Nous avons aussi entendu aider ces entrepreneurs qui créent de la richesse et de l'emploi...

M. Yannick Bodin.  - Et les salariés ?

M. Xavier Bertrand, ministre.  - Pour partager la richesse, il faut d'abord l'avoir créée. Elle est produite par le travail, par l'emploi, par les entrepreneurs. (Applaudissements à droite)

Nous avons imposé que les parachutes dorés soient soumis à des critères de performance -la disposition a été votée l'an dernier, uniquement par la seule majorité parlementaire, soit dit en passant.

Aujourd'hui, nous voulons prendre en compte l'ensemble des rémunérations. Faut-il pour cela procéder par la voie législative, et dans la précipitation, ou par l'autorégulation ? Celle-ci a ses limites et c'est pourquoi le Président de la République a évoqué, à Toulon, les excès du capitalisme financier...

M. Jean-Louis Carrère.  - Celui de son ami George Bush !

M. Xavier Bertrand, ministre.  - Il a appelé à appliquer de nouvelles règles...

M. Yannick Bodin.  - Il était temps ! Ce n'est pas un élève précoce.

M. Xavier Bertrand, ministre.  - Les responsables d'entreprises devront respecter les engagements qu'ils acceptent de prendre, ou le Gouvernement présentera des mesures législatives...

Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi.  - Ils ne respectent jamais leurs engagements !

M. Xavier Bertrand, ministre.  - Du reste, la rémunération des dirigeants a déjà été encadrée par le code de bonne conduite et par la loi Tepa.

M. Bernard Frimat.  - Ah oui, la loi sur le bouclier fiscal !

M. Xavier Bertrand, ministre.  - Nous disposons donc déjà des règles les plus contraignantes de l'espace européen.

Mme Nicole Bricq.  - Comment pouvez-vous dire cela ? Ce n'est pas vrai !

M. Xavier Bertrand, ministre.  - Des engagements pris par le Medef, c'est bien, pris par les conseils d'administration, c'est mieux ! Le Président de la République a demandé aux 688 conseils d'administration de respecter le code...

M. Jean-Louis Carrère.  - C'est un leurre !

M. Xavier Bertrand, ministre.  - S'il apparaît à l'AMF qu'il n'est pas appliqué, le Gouvernement présentera début 2009 un projet de loi.

Désormais, l'ensemble des salariés pourra disposer d'actions gratuites, d'intéressement ou de participation. J'en avais pris l'engagement lors de l'examen de l'amendement de M. Balligand à l'Assemblée nationale. L'amendement présenté au Sénat va beaucoup plus loin que le sien...

Pendant que d'autres font des discours, nous avons pris des mesures concrètes : auparavant, les stock-options étaient réservées à quelques-uns ; aujourd'hui, elles peuvent être accordées à tous les salariés. (Applaudissements sur les bancs UMP)

La proposition socialiste s'inspire de propositions formulées par le patronat. (Exclamations à gauche) Mais je ne comprends pas pourquoi elle ne va pas aussi loin.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Provocation !

Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi.  - Il n'y croit pas lui-même...

M. Yannick Bodin.  - Mais il semble qu'il veuille siéger parmi nous !

M. Jean-Louis Carrère.  - Quelle motion avez-vous signée ?

M. Xavier Bertrand, ministre.  - Vos dispositions relatives à l'interdiction d'un contrat de travail méconnaissent que la majorité des administrateurs sont issus des salariés ! Vous augmentez une contribution que nous avons créée l'an dernier : il est temps de vous y rallier, car c'est un gouvernement de gauche qui a créé les stock-options mais c'est nous qui avons moralisé le système. (Applaudissements sur les bancs UMP, protestations à gauche)

Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi.  - C'est un gros mensonge !

M. Xavier Bertrand, ministre.  - Nous voulons en revanche laisser au conseil d'administration le choix : c'est lui qui peut apprécier ce qui convient à l'entreprise.

Votre texte ignore les directoires et conseils de surveillance...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - Ils ne savent pas ce que c'est...

M. Xavier Bertrand, ministre.  - Et, plus largement, il interfère avec le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale, qui comprennent désormais des amendements votés à l'Assemblée nationale sur cette question.

A quoi sert donc cette proposition sinon -et votre manque de sérénité en témoigne- à un effet d'affichage ? (Exclamations indignées sur les bancs socialistes)

Le Président de la République a été le premier à s'exprimer sur ce sujet.

M. Yannick Bodin.  - Il tire toujours le premier !

M. Bernard Frimat.  - Et c'est le pouvoir d'achat qui s'effondre !

M. Xavier Bertrand, ministre.  - Si les engagements ne sont pas respectés au sein des entreprises, nous interviendrons.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Humour noir !

M. Xavier Bertrand, ministre.  - Nous voulons promouvoir un capitalisme d'entrepreneurs... (« On le voit à l'oeuvre ! » à gauche) Il y a ceux qui font des discours...

M. Bernard Frimat.  - Vous, par exemple !

M. Xavier Bertrand, ministre.  - ...et il y a ceux qui agissent. (Applaudissements sur les bancs UMP)

Mme Éliane Assassi.  - Nous consacrons cette séance à des textes d'origine parlementaire. Or la commission saisie au fond présente une motion de renvoi en commission : que devient, dès lors, l'initiative parlementaire ? Seul un texte issu de la majorité sénatoriale a une chance d'être examiné, discuté, amendé ! Si la majorité de la commission des lois ne partage pas les arguments de la proposition de loi, discutons-en, amendons et votons sur un texte modifié ! Le procédé retenu aujourd'hui n'est pas acceptable ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Lagarde, lors de la discussion de la loi Tepa, disait : «  La relation entre le dirigeant et les instances de l'entreprise est régie par un contrat, et c'est dans ce cadre que peut être défini un panier de critères de performances. (...) Le conseil d'administration doit rester souverain (...) et décider au cas par cas, avec l'approbation des actionnaires. » Elle ajoutait : « Il n'appartient pas au régulateur qu'est l'État ou au législateur de gouverner la relation individuelle entre un dirigeant et sa société. » Il faut dire qu'à l'époque, nous étions au coeur de l'affaire EADS...

La proposition de loi reprend des amendements socialistes à la loi Tepa. Le Sénat avait décidé alors, entraîné par son rapporteur général, que seul le conseil d'administration était compétent pour fixer les conditions d'une retraite chapeau. La démocratie actionnariale est encore si limitée et l'article 17 de la loi TEPA est si peu opératoire que, faute d'avoir lutté contre les parachutes dorés, la loi n'a fait qu'aménager la piste d'atterrissage.

Mais depuis quelque temps, on observe une certaine agitation au plus haut niveau de l'État sur la question de la rémunération des dirigeants d'entreprise. Que faut-il alors penser des intentions du chef de l'État, qui parlait le 25 septembre d'encadrer les modes de rémunération des dirigeants et des opérateurs financiers parce qu'il y avait « trop d'abus » et « trop de scandales » ? (Exclamations amusées à gauche) Alors, faut-il légiférer ?

Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi.  - Oui !

Mme Éliane Assassi.  - Pour nous, la réponse est oui, de même qu'il faut soumettre les stock-options à l'impôt et à la taxation sociale, interdire ou, à défaut, imposer fortement les parachutes dorés, toutes mesures incluses dans une récente proposition de loi de notre groupe. L'intérêt général commande d'encadrer les rémunérations des plus hauts dirigeants. Savez-vous combien de contribuables bénéficient du dispositif sur les stock-options ? 2 200 foyers sur plus de 35 millions, soit 0,006%... d'autant qu'ils ne sont pas pour rien dans la multiplication des plans sociaux et l'aggravation du chômage. En 2007, les patrons français les mieux rémunérés auraient gagné 310 fois le Smic...

M. Jacky Le Menn.  - Ouille !

Mme Éliane Assassi.  - ...soit une progression de 20 % en un an dont beaucoup de leurs salariés auraient souhaité profiter, d'autant que le salaire n'est ici que la partie émergée de l'iceberg. Pour s'en tenir au seul exemple de Bernard Arnault, PDG de LVMH, en plus des 4,1 millions de son salaire, il a touché 376 millions de dividendes ! Démonstration est faite de l'inefficacité des dispositions de la loi Tepa. Oui, il faut légiférer. Nous condamnons donc que cela ne soit pas possible aujourd'hui ! (Vifs applaudissements à gauche)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - A la lecture, cette proposition de loi recèle une incertitude majeure : le terme de dirigeants de société n'est pas défini. Vise-t-on les dirigeants de sociétés cotées, comme semble l'indiquer l'exposé des motifs, ou, comme dans les articles, tous les mandataires sociaux ?

Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi.  - Tous les mandataires sociaux !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - Pour moi, on ne peut se limiter aux seules sociétés faisant appel public à l'épargne.

Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi.  - Eh bien ! Discutons-en !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - Le législateur doit avoir clairement à l'esprit l'objet sur lequel il légifère.

M. Jean-Pierre Bel.  - Cette proposition de loi peut être améliorée !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - Je relève également une totale méconnaissance de notre législation en la matière. (Protestations à gauche)

Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi.  - Bien sûr, en ce domaine, il n'y a que vous qui savez !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - Le législateur n'a pas été frileux : sept lois majeures ont été adoptées depuis 1983 sur la rémunération des mandataires sociaux, dont la dernière date du 3 juillet 2008.

Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi.  - Peut-être, mais rien de très efficace !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - La France est probablement le pays le plus réglementé au monde dans ce domaine ! (Rires à gauche) Donc il serait malvenu de légiférer, qui plus est sans tenir compte du code de gouvernement des entreprises mis au point par l'Association française des entreprises privées et le Medef le 6 octobre dernier. Les recommandations contenues dans ce code sont très importantes ! (M. Alain Fauconnier s'esclaffe) Il prohibe le cumul entre contrat de travail et exercice d'un mandat social -le haut niveau de rémunération est la contrepartie du risque pris-, limite à deux ans de rémunérations le parachute doré qui ne pourrait pas être versé en cas d'échec ou de départ volontaire, encadre les droits acquis chaque année au titre des retraites chapeaux, met fin à la distribution d'actions gratuites aux dirigeants. Les sociétés devront, dans leur rapport de gestion -un document important visé par l'Autorité des marchés financiers-, déclarer si elles se réfèrent ou non à ce code et expliquer, le cas échéant, les raisons pour lesquelles elles ne s'y conforment pas. De plus, un rapport d'évaluation portera chaque année sur le suivi de ces recommandations. Lors du Conseil des ministres du 7 octobre dernier, le Gouvernement a souhaité que les entreprises appliquent rigoureusement ce code dès la fin 2008, sans quoi un projet de loi le reprendra début 2009. A l'inadéquation temporelle dont souffre cette proposition de loi s'ajoutent de trop nombreux flous juridiques.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Proposez des amendements !

M. Bernard Frimat.  - Un peu de modestie !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - A l'article 5, il est question « d'augmentation substantielle de la rémunération du président du conseil d'administration » qui devra « faire l'objet au préalable d'un avis conforme du comité d'entreprise et de l'assemblée générale des actionnaires ». Une « augmentation substantielle », cela ne veut rien dire et la notion « d'avis conforme » appliquée à ce domaine me plonge dans la plus grande perplexité...

M. Yannick Bodin.  - Vous vous en remettrez !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - A l'article 11, il est précisé que le conseil d'administration comprend un représentant des salariés qui dispose d'une « voix délibérative ». Soyons sérieux ! Tout cela n'est pas cohérent avec les lois en vigueur. (Protestations à gauche)

M. Yannick Bodin.  - Nous ne sommes pas à l'école ! Nous ne sommes pas vos élèves !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - Pour toutes ces raisons, il faut renvoyer cette proposition de loi en commission. Ce n'est en aucun cas un artifice de procédure (exclamations amusées à gauche) mais une garantie de sérieux ! (Applaudissements sur le banc de la commission et à droite)

M. Alain Fauconnier.  - Circulez, y a rien à voir !

M. François Marc.  - Voilà longtemps que le parti socialiste a pris à bras-le-corps cette question. En 2001 déjà, avec la loi sur les nouvelles régulations économiques, nous avions brisé le tabou de la rémunération des dirigeants de sociétés cotées. Je le rappelle, car notre position est souvent caricaturée. Le Premier ministre, lors d'une déclaration télévisée lundi, a déclaré que la gauche n'avait rien fait, M. Xavier Bertrand vient de le répéter. Or cette loi sur les nouvelles régulations économiques contenait notamment des dispositions visant à fiscaliser et à réduire les stock-options ; dispositions que refusaient M. Marini au Sénat et M. Auberger à l'Assemblée nationale au motif que cette taxation représentait, avec l'impôt sur le revenu et l'ISF, un troisième impôt progressif... (M. Alain Fauconnier s'esclaffe) Donc, monsieur le ministre, révisez vos fiches !

Depuis 2003, nous réclamons au Gouvernement une réforme de grande ampleur sur le droit financier et boursier. Dès l'examen de la loi pour la confiance et la modernisation de l'économie, nous avions proposé de modifier le fonctionnement des agences de notation pour éviter les conflits d'intérêts, de restreindre le nombre de stock-options qu'une société peut émettre, d'encadrer la rémunération et les avantages reçus par les mandataires sociaux.

Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi.  - Ils n'entendent rien ! Ils sont sourds !

M. François Marc.  - A chaque fois, le Gouvernement nous a répondu avec morgue « qu'il fallait respecter la grammaire du monde des affaires ». Merveilleuse expression qui ne veut rien dire sinon que l'État s'est résigné au laisser-faire... Il aura fallu attendre cette crise financière pour que la situation change. Pour nos concitoyens, ces rémunérations sont un scandale ! C'est jackpot pour quelques-uns et pouvoir d'achat en berne pour tous les autres ! Dans la revue Capital, on apprenait récemment que les salaires des cinquante plus grands patrons français avaient progressé de 20 % en 2007 pour atteindre 310 fois le Smic, et 32 % dans le cas de Jean-Philippe Thierry alors que le profit de sa société, AGF Allianz, augmentait d'à peine 8 %...

Comment en est-on arrivé là ? Les raisons sont connues : dérive de la gouvernance des entreprises, financiarisation de l'économie, recherche de la rentabilité à court terme. Comme l'a indiqué Daniel Cohen, la révolution financière a arraché les managers au salariat et les a rendus actionnaires. La France est le pays au monde où les stock-options représentent la part la plus élevée dans la rémunération devant les États-Unis !

Selon Der Spiegel du 22 juin, les dirigeants des grandes entreprises françaises sont parmi les mieux payés d'Europe.

Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi.  - Exact !

M. François Marc.  - Le ministre et le rapporteur ont évoqué le code de bonne conduite du Medef. Il y a un certain temps, Rockefeller avait proposé que le salaire d'un patron ne puisse excéder 40 fois celui d'un salarié, mais ce ratio dépasse 500 dans nombre d'entreprises.

Ainsi que le Président de la République l'a souligné, l'injustice criante des rémunérations appelle une régulation. Tel est précisément l'objet de la proposition de loi déposée par Mme Bricq pour limiter le cumul des rémunérations, introduire de la transparence, rendre les dirigeants individuellement responsables, réguler les stock-options et accroître l'assiette des prélèvements fiscaux. La transparence est une question fondamentale, c'est pourquoi nous voulons enrichir l'information délivrée aux assemblées générales d'actionnaires. Toutes les rémunérations et tous les avantages consentis doivent être rendus publics, même lorsqu'ils proviennent de sociétés établies à l'étranger -par exemple dans un paradis fiscal- dès lors qu'elles ne sont pas sans lien avec la société dont il s'agit.

Nous voulons mettre fin à une ambiguïté dans les relations entre les dirigeants de l'entreprise et celle-ci : la plupart d'entre eux disposent d'un contrat de travail, suspendu pendant l'exercice du mandat social, mais réactivé à sa fin pour justifier l'attribution de parachutes dorés. Or, le contrat de travail supposant une relation de subordination avec l'employeur, son maintien au profit des dirigeants est logiquement inconcevable. La proposition de loi tend à supprimer ce cumul. Je souligne que la Cour de cassation interdit aux administrateurs de signer un contrat de travail, ce que la Chambre sociale a rappelé dernièrement, le 21 novembre 2006.

Ces éléments d'évidence conduisent à instaurer des garde-fous.

A Toulon, le Président de la République a souhaité que les rémunérations perçues par les dirigeants soient encadrées, en raison du nombre d'abus. Comme il est aussi question de revaloriser le rôle de l'opposition parlementaire, la meilleure façon de procéder serait d'examiner cette proposition de loi.

Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi.  - Bonne idée !

M. François Marc.  - D'aucuns demandent l'union sacrée face à la crise, ou du moins une mobilisation collective. Il semble que de tels propos soient purement de circonstance, vu le sort réservé à nos propositions. J'ai encore entendu aujourd'hui qu'il était inopportun de légiférer maintenant, que l'on verrait plus tard. Or, c'est urgent, car les citoyens attendent. Hélas ! A nos propositions responsables, on n'oppose que des propos stériles et dilatoires.

La montée en puissance de la crise est encore à venir. Un jour, l'opinion publique demandera des comptes. L'opposition a fourni depuis cinq ans un travail dans le bon sens ; la fin de non-recevoir qui nous est encore opposée traduit votre embarras, mais surtout une irresponsabilité que nous regrettons. (Applaudissements prolongés à gauche)

M. Jean Desessard.  - Je félicite Mme Bricq et nos collègues socialistes pour leur proposition de loi, que nous avons cosignée. Mais, après les déclarations enflammées du Président de la République sur la moralisation du capitalisme, pourquoi ne vient-elle pas de l'UMP ? (Rires) La commission des lois estime que ce texte ne mérite pas d'être débattu. J'en suis choqué ! Y a-t-il des points juridiques à clarifier ? Mais nous l'avons fait maintes fois avec les textes du Gouvernement et en urgence ! (Rires et approbation bruyante sur les bancs socialistes) Nous sommes rodés et nous pouvons continuer aujourd'hui.

On a longtemps justifié la hausse des rémunérations de nos dirigeants par le fait qu'ils étaient moins bien payés que leurs homologues européens. On nous disait qu'à défaut, ils partiraient aux États-Unis ou dans d'autres pays européens. (Rires sur les bancs socialistes, où l'on estime que ces destinations ont perdu leur attrait)

Aujourd'hui, les dirigeants des sociétés du CAC 40 sont parmi les mieux lotis d'Europe. Comment accepter, dans une société qui se prétend soucieuse d'égalité, que les dirigeants de ces sociétés puissent percevoir grosso modo 380 fois le Smic ? Quel cynisme de les protéger par un contrat de travail, des stock-options et des parachutes dorés, alors que les bénéfices de leurs entreprises n'empêchent pas les licenciements massifs ! Comment accorder des indemnités de départ représentant plusieurs centaines de fois le Smic annuel à des dirigeants ayant conduit leurs entreprises et toute l'économie dans une crise profonde ? Après avoir perçu des rémunérations astronomiques, ces dirigeants -dont la mauvaise gestion met leurs entreprises en péril- s'en sortent avec des parachutes dorés, alors même que les salariés victimes de cette gestion sont licenciés avec une indemnité n'atteignant que deux mois de salaire. Je parle de leur salaire, pas de celui de leur patron ! (Rires à gauche)

C'est aussi une question de responsabilité collective pour cette caste de dirigeants dont la quête effrénée du profit a conduit l'économie mondiale dans une crise qui mettra au chômage 20 millions de salariés dans le monde d'ici deux ans et augmentera de plus de 100 millions, d'ici la fin 2009, le nombre de personnes vivant avec moins de deux dollars par jour. Ces chiffres ont été calculés par le Bureau international du travail.

Monsieur le ministre, votre politique repose sur un postulat : plus les dirigeants gagnent d'argent, plus l'économie et l'emploi en profitent. Or, le taux de chômage était limité à 3 % en 1975, avec des écarts de rémunération bien moindres qu'aujourd'hui. Par ailleurs, les sociétés coopératives de production (Scop) se développent à un rythme soutenu et créent des emplois tout en défendant des valeurs sociales et humaines alors que les salaires y varient en moyenne de un à dix. Ce ne sont pas nécessairement de petites structures, puisque Chèque déjeuner emploie plus de 1 000 salariés. Dans cette société, l'écart entre la rémunération la plus forte et la plus faible n'excède pas un rapport de cinq à un. On peut donc bien diriger une entreprise avec une rémunération décente et raisonnable.

Vous direz que l'existence des riches n'est pas grave, dès lors qu'il y a de moins en moins de pauvres.  Or, on est riche précisément par rapport à la situation des pauvres. Par suite, l'existence même d'un nombre accru de riches augmente mécaniquement le nombre de pauvres. Cela crée de graves déséquilibres dans la société. J'illustrerai mon propos par la mixité sociale dans l'habitat. L'enrichissement des plus riches entretient la hausse de l'immobilier à Paris, chassant les couches populaires et les classes moyennes de la capitale. Pour garantir la mixité sociale, il faut contenir les écarts de revenus.

Cette proposition de loi tend à borner un système aberrant, immoral et incapable de se réformer. Poser des barrières à des inégalités flagrantes est bien le rôle du politique. Monsieur le ministre, vous dites que vous agissez et que nous parlons. Mais nombre de nos propositions ne sont pas acceptées, alors que vous avez institué le bouclier fiscal pour les plus riches et la garantie de l'État pour les banques.

M. Xavier Bertrand, ministre.  - Pour les clients des banques.

M. Jean Desessard.  - Oui, vous agissez pour le profit des plus riches ! Bien sûr, comme vous savez que les gens souffrent et qu'ils trouvent aberrant que des dirigeants gagnent autant, vous prétendez y réfléchir. Mais c'est un leurre parce que ce qui fonde votre politique, c'est le laisser-faire pour que le capitalisme mondial se développe. D'ailleurs, M. le rapporteur nous a dit que si nous refusions ces règles du jeu, les entreprises et leurs dirigeants iraient s'installer ailleurs.

Assumez votre politique mais sachez qu'à terme, elle est contre-productive.

En ne votant pas cette proposition de loi, la droite aura le mérite de la clarté. La gauche veut moraliser tandis que la droite laisse faire. (Rires et exclamations à droite) Mme Bricq a dit que le Sénat gagnerait à voter ce texte. Effectivement, le désarroi social est tel aujourd'hui qu'il ne s'agit plus d'un combat entre la droite et la gauche : tous les politiques risquent d'être remis en cause. Je vous conjure donc de voter tous ensemble cette proposition de loi car la crise sociale est devant nous et nous risquons de ne pas la contrôler demain. (Applaudissements à gauche)

M. Xavier Bertrand, ministre.  - Mme Assassi a évoqué le niveau de rémunération des dirigeants d'entreprise. Or cette proposition de loi n'encadre absolument pas les indemnités de départ ni les retraites chapeau. (Exclamations sur les bancs socialistes) Elle prévoit simplement de taxer les salaires mais cet alourdissement des charges pourra être compensé par une augmentation des rémunérations. (Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi, s'exclame)

Mme Des Esgaulx a raison de dire que le droit français est particulièrement dense et que la proposition de loi va moins loin que les recommandations du Medef. (Rires et protestations à gauche) Si la loi fige les choses, nous ne pourrons pas aller au-delà.

M. Jean-Louis Carrère.  - Chacun son miroir !

M. Xavier Bertrand, ministre.  - M. Marc a cité les textes adoptés récemment qui prouvent que nous n'avons aucunement l'intention de laisser faire. Il a également reconnu que le droit des affaires n'est pas seulement national et que les entreprises ont besoin de recruter dans un contexte concurrentiel.

Concernant le cumul du contrat de travail et des mandats, la proposition de loi ne traite que de l'interdiction d'un mandat avec un contrat de travail mais, avant d'être mandataires, de nombreux dirigeants sont salariés. La législation actuelle conduit à suspendre les contrats de travail des salariés devenus mandataires. Cette proposition de loi vise les présidents et les directeurs généraux alors qu'en définitive, nous voulons toucher l'ensemble des mandataires sociaux.

Monsieur Desessard, ce texte va moins loin que l'encadrement prévu par la loi Tepa qui conditionne le versement de l'indemnité de départ à des performances précises fixées par le conseil d'administration et votées par l'assemblée générale.

En définitive, voulons-nous mieux encadrer les choses ? Bien sûr.

Qui va le plus loin ? Pas cette proposition de loi. Voilà pourquoi le Gouvernement ne vous suit pas. (Vives exclamations à gauche ; applaudissements à droite)

M. Jean-Pierre Bel.  - Nous vivons des moments extraordinaires. M. le Président du Sénat a installé cet après-midi un groupe de travail destiné à mettre en application la réforme institutionnelle, notamment en matière de reconnaissance des droits de l'opposition. Et puis, il y a ce que nous vivons maintenant : en cette période où nous sommes tous d'accord pour dire qu'il est urgent de débattre des salaires considérables de certains dirigeants alors que des millions de Français souffrent au quotidien, vous vous apprêtez, dans le cadre d'une séance réservée aux groupes politiques, à faire voter par scrutin public, puisque la majorité est ce soir en minorité dans cet hémicycle, un renvoi en commission afin de ne pas débattre de notre proposition de loi. Puisque nous sommes plus de trente, nous pourrions demander la vérification du quorum. Contrairement à vous, nous refusons d'entrer dans ces manoeuvres procédurales.

Il y a quelques années, lors de la grande émission de télévision A armes égales, Maurice Clavel avait quitté le plateau en disant : « Messieurs les censeurs, bonsoir ! ». Comme vous vous apprêtez à censurer notre initiative parlementaire, nous allons mettre un terme à tout cela et vous dire, à notre tour : messieurs les censeurs, bonsoir ! (Vifs applaudissements à gauche, puis Mmes et MM les sénateurs des groupes socialiste et CRC se lèvent et quittent l'hémicycle)

Renvoi en commission

M. le président.  - Motion n°1, présentée par M. Hyest au nom de la commission des lois.

En application de l'article 44, alinéa 5, du Règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale la proposition de loi visant à réformer le statut des dirigeants de sociétés et à encadrer leurs rémunérations. (n° 54, 2008-2009)

M. François Zocchetto, en remplacement de M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Je regrette beaucoup que nos collègues socialistes et communistes soient partis car je leur aurais dit que les droits de l'opposition, que nul ne conteste, n'impliquent pas de légiférer dans la précipitation : le rapporteur de la commission a eu moins d'une semaine pour examiner cette proposition de loi qui est dense et parfois imparfaite.

M. Xavier Bertrand, ministre.  - C'est vrai !

M. François Zocchetto, rapporteur.  - Le texte de Mme Bricq mérite une étude attentive et des modifications. Il ne pouvait donc être adopté en l'état et le renvoi en commission ne signifie pas que nous ne voulons pas débattre de ces questions, bien au contraire. La commission des lois estime qu'il faut mettre un terme à certaines pratiques et, d'ailleurs, plusieurs parlementaires de la majorité, bien avant ceux de l'opposition, ont exprimé de vives préoccupations. Si nous jugeons aujourd'hui prématurée une intervention législative, cela ne veut pas dire que nous ne légifèrerons pas dans quelques temps. Mais, comme l'a rappelé M. le ministre, 688 entreprises se sont formellement engagées à respecter un code de bonne conduite : la commission des lois tirera un bilan à la fin du premier trimestre de l'année prochaine afin de voir comment ces recommandations ont été mises en oeuvre. Nous procéderons à de multiples auditions et j'espère que les représentants de la gauche seront présents et qu'ils feront des suggestions.

Des réformes ponctuelles sont déjà en cours d'examen dans le cadre des lois de finances et de financement de la sécurité sociale. Il en est de même pour la loi sur le revenu du travail que nous avons récemment examinée en première lecture. Attendons l'issue des navettes avant de légiférer sur d'autres points.

Enfin, cette proposition de loi a été déposée très tardivement, le 23 octobre, et encore, nous n'avons disposé de sa version définitive que le 27 octobre alors qu'il s'agit d'un long document. En dépit de la bonne volonté du rapporteur et de la commission, l'examen de ce texte ne pouvait avoir lieu sereinement. C'est pourquoi sa discussion ne peut intervenir ce soir en séance publique. Je vous demande donc, mes chers collègues, de voter le renvoi en commission. Dans quelques mois, nous verrons si le code de bonne conduite a été respecté ou s'il convient d'adopter des normes législatives complémentaires. (Applaudissements à droite)

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement.  - Je ne doute pas que les sénateurs de la majorité et du RDSE transmettront à nos amis sénateurs de la gauche la remarque simple que j'entends faire sur la procédure. Je ne puis laisser dire que cette motion de renvoi en commission est une aberration. Sur tous les textes qui vous ont été récemment soumis, la gauche a présenté une motion de renvoi. Nous ne l'avons pas pour autant accusée de chercher à empêcher le débat... (Applaudissements sur les bancs UMP) Et si je souhaite vivement la participation de tous au groupe de réflexion sur la révision institutionnelle mis en place par le président Larcher, je ne pense pas que la gauche parviendra à y imposer l'idée qu'il lui est permis de déposer une motion de renvoi en commission et que cela est interdit à la droite. (Applaudissements sur les bancs UMP)

La motion de renvoi en commission est adoptée

Diffamations, injures ou provocations commises par l'intermédiaire d'internet (Proposition de loi)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi tendant à allonger le délai de prescription de l'action publique pour les diffamations, injures ou provocations commises par l'intermédiaire d'internet, présentée par M. Marcel-Pierre Cléach et plusieurs de ses collègues.

Discussion générale

M. Marcel-Pierre Cléach, auteur de la proposition de loi.  - Internet connaît un développement spectaculaire. Formidable moyen de communication, il démultiplie, dans des proportions sans précédent, l'échange de données et d'informations. En favorisant à la fois l'accès du plus grand nombre à l'information et l'expression des citoyens, internet se révèle être un allié de la démocratie. Mais il a aussi des effets pervers qui rendent nécessaire l'adaptation de nos règles de droits. C'est ainsi que, tandis que Mme Alliot-Marie présentait en février dernier son plan d'action pour la lutte contre la cybercriminalité, nous venons d'adopter un texte sur la diffusion et la protection de la création sur internet qui vise à apporter une réponse aux problèmes posés par le piratage des oeuvres.

Le cas des infractions prévues par la loi de 1881 illustre un autre de ces effets pervers. Les diffamations, injures ou provocations commises sur internet sont actuellement incriminées par la loi du 29 juillet 1881, relative à la liberté de la presse, dont l'article 65 prévoit, pour les délits de presse, une prescription abrégée de trois mois, par dérogation à la règle de droit commun qui veut que les délits se prescrivent au terme de trois années. La jurisprudence, quant à elle, y voit des infractions instantanées, faisant courir le délai de prescription à compter de la première publication.

Ce régime juridique, légitimement protecteur de la liberté d'expression, s'il est adapté au cas des ouvrages, journaux et affiches, devient en revanche par trop défavorable aux victimes lorsque la diffamation ou l'injure s'opère par le biais d'internet.

Alors que la presse se périme vite -trois mois après sa publication un journal est pratiquement introuvable-, le temps, sur internet, agit au contraire comme un facteur multiplicateur, tandis que la multiplicité des sources, les possibilités infinies de l'auteur de la diffamation ou de l'injure de se dissimuler dans une rubrique ou un site inconnus de la victime rendent difficile, voire impossible, toute réaction dans le délai de trois mois. Or, passé ce terme, le juge n'a pas même la faculté de constater l'illicéité et l'acte causant un dommage persiste en toute impunité. Pour les victimes de propos délictueux, qui ne peuvent ni obtenir réparation du préjudice subi, ni même y mettre un terme, les conséquences peuvent être dramatiques.

Le législateur et le juge ont déjà convenu que l'application de cette règle à internet pose des difficultés. La question de la prescription des délits de presse commis sur internet est récurrente et a suscité de nombreux débats, particulièrement au Sénat où les présidents Badinter et Dreyfus-Schmidt, ainsi que notre ancien collègue René Trégouët notamment, avaient défendu à plusieurs reprises les principes qui ont présidé à l'élaboration de la présente proposition de loi.

Cette question a également donné lieu à une bataille jurisprudentielle entre les juridictions saisies au fonds et la Cour de cassation, les premières ayant tenté de faire reconnaître à ces infractions le caractère de délits continus, estimant que le délai de prescription de trois mois devait courir à compter de la date non de mise en ligne mais de cessation de la mise en ligne, tandis que la Cour a estimé, dans plusieurs arrêts rendus en 2001, que le point de départ du délai de prescription de l'action publique prévu par l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 devait être fixé, pour les infractions commises en ligne, comme pour la presse traditionnelle, à la date du premier acte de publication, soit celle à laquelle le message est mis pour la première fois à la disposition des internautes, allant même, en 2006, jusqu'à refuser de considérer que la mise à jour d'un site internet pouvait rouvrir le délai de prescription.

Une tentative du législateur d'inscrire dans la loi pour la confiance dans l'économie numérique le principe d'une prescription à compter de la cessation de la mise en ligne a de même été censurée par le Conseil constitutionnel, qui, tout en reconnaissant au législateur, dans sa décision du 10 juin 2004, le droit d'aménager les règles de prescription, a estimé que cette solution instituait une différence de traitement entre messages écrits et les messages en ligne manifestement excessive au regard de l'objectif poursuivi

Le texte que je vous propose d'adopter vise, tout en tenant compte de cette décision, à mettre un terme à l'impunité de fait, dont bénéficient actuellement les auteurs de délits de diffamation, d'injure ou de provocation commis par l'intermédiaire d'internet. J'ajoute, et c'est là un point essentiel, qu'afin de ne pas remettre en question un régime légitimement respectueux de la liberté de la presse, nous avons tenu compte de la réalité du marché qui a conduit presque tous les journaux, hebdomadaires et mensuels de la presse écrite à disposer d'une édition en ligne, en proposant que le droit applicable reste inchangé lorsque les informations diffusées sur la toile ne font que reproduire le contenu d'une publication de presse légalement déclarée.

Mais la toile n'est pas la presse : les retombées des informations sur internet sont sans commune mesure avec celles de la presse écrite pour laquelle avait été faite la loi de 1881.

Ce texte, qui s'attache à résoudre une difficulté sans coûter un centime au contribuable, contribue à l'unification et à la simplification des délais de prescription. La loi du 15 juin 2000 avait porté à un an au lieu de trois mois la prescription des délits de presse de type raciste, invoquant d'ailleurs le motif que ces délits étaient souvent commis par voie d'internet.

Il s'agit de l'un des tous premiers textes d'origine purement parlementaire soumis au vote du Sénat pour cette mandature qui nous verra prochainement maîtres d'une grande partie de l'ordre du jour, constitutionnellement en tout cas ! Il répond aux préoccupations exprimées à plusieurs reprises par des sénateurs de toutes opinions. Il peut sans doute être complété et amélioré et je fais confiance à nos collèges ainsi qu'au rapporteur du texte, madame des Esgaulx, dont je salue le premier rapport de sénateur et la courtoisie, déjà sénatoriale, dont elle a fait preuve à l'égard de son auteur.

Je ne puis manquer de rappeler que notre regretté collègue, Michel Dreyfus-Schmidt, dont, par un bien triste hasard, nous venons de saluer la mémoire, avait souvent évoqué ce problème : un large consensus lui serait un clin d'oeil amical et reconnaissant. (Applaudissements sur les bancs UMP et au banc de la commission)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur de la commission des lois.  - J'indique qu'en même temps que la proposition de loi présentée par M. Marcel-Pierre Cléach, la commission des lois a examiné celle de notre collègue Jean-Louis Masson.

La loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 a fixé, dans son article 65, un délai de prescription abrégé de trois mois pour les infractions commises par voie de presse, garantie fondamentale de la liberté d'expression.

Ce délai ne couvre cependant pas toutes les infractions commises à travers les médias. C'est ainsi que la loi du 9 mars 2004 a porté le délai de prescription de l'action publique de trois mois à un an en cas de provocation à la discrimination ou à la violence à caractère raciste, de diffamation ou d'injures commises en raison de la race ou de contestation de crimes contre l'humanité.

Certaines infractions, susceptibles d'être commises par voie de presse, figurent désormais dans le code pénal et relèvent du régime de droit commun de la prescription et non des dispositions dérogatoires de la loi de 1881. C'est le cas de l'incrimination visant la diffusion d'un message à caractère pornographique susceptible d'être perçu par un mineur.

Ce régime juridique adapté aux cas d'ouvrages, de journaux ou d'affiches, pose problème dans le cas d'une mise en ligne sur internet, dont les spécificités sont telles -sphère de diffusion considérable, durée de diffusion infinie- qu'elles ont conduit le juge et le législateur à s'interroger sur la pertinence d'un délai de prescription très court pour les infractions commises par ce media.

Les juges du fond ont essayé, sans succès, d'élaborer une formule plus satisfaisante. La Cour d'appel de Paris, dans une décision de 1999, relevant la spécificité d'internet, a conclu que la publication d'un texte litigieux relevait de la catégorie des infractions continues et que la prescription ne commençait à courir qu'à compter de la suppression du texte en cause. Mais la Cour de cassation a récusé cette interprétation en 2001, estimant que le point de départ de la prescription devait être fixé à la date de la première publication, soit, pour internet, la mise à disposition des utilisateurs du réseau.

Le législateur aussi a essayé d'avancer. Le Sénat, lors de l'examen en deuxième lecture de la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, avait adopté un amendement de MM. Badinter et Dreyfus-Schmidt, auquel vient d'être rendu un hommage mérité, portant le délai de prescription à un an pour les infractions commises par l'intermédiaire d'internet, disposition écartée par la CMP au motif que la question méritait une réflexion plus approfondie. La tentative, renouvelée par notre collègue René Tregouët, lors des débats sur la loi pour la confiance de l'économie numérique, de fixer le point de départ de la prescription à la cessation de la mise à disposition du message sur un service de communication en ligne a été censurée par Conseil constitutionnel qui a cependant reconnu la nécessité de prendre en compte les différences entre support papier et informatique et admis une différence de traitement entre les deux supports dès lors qu'elle demeure proportionnée.

La proposition de loi que nous examinons est animée par ce souci d'équilibre. Elle a pour objet de porter à un an le délai de prescription pour les infractions commises par l'intermédiaire d'un service de communication en ligne. Le délai retenu laisse plus de temps à la personne visée par les propos incriminés pour en prendre connaissance et, le cas échéant, saisir la justice, mais il reste très en deçà du délai de trois ans prévu pour les délits de droit commun.

La commission des lois a jugé utile, au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, une précision formulée dans la proposition de loi, selon laquelle l'allongement du délai de prescription ne s'applique pas en cas de reproduction sur internet du contenu d'une publication diffusée sur support papier. En effet, la plupart des journaux disposent d'une édition en ligne. L'allongement du délai de prescription sur internet aurait pu remettre en cause la garantie que représente pour les entreprises de presse le délai de prescription de trois mois. La commission a voulu préciser cette exception, en l'appliquant aux seules publications de presse légalement déclarées.

Je vous propose donc d'adopter les conclusions de la commission. (Applaudissements sur les bancs UMP)

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice.  - Nous parlerons à deux reprises cette semaine, au Sénat, de la liberté d'expression. Nous examinons aujourd'hui une proposition de loi relative à la prescription des délits de presse commis au moyen d'internet ; nous parlerons demain de la protection du secret des sources des journalistes. La liberté de la presse est essentielle dans notre démocratie : il est naturel que les représentants de la nation s'y intéressent, surtout lorsqu'il s'agit d'adapter notre droit aux évolutions des modes de communication.

Tous les fondements de notre droit de la presse ont été posés sous la IIIe République. Naturellement, ces règles se référaient exclusivement à la communication orale et à la presse écrite. Le développement des médias audiovisuels modifie les données du problème. La proposition de loi déposée par M. Cléach vise à intégrer dans la loi de 1881 une disposition destinée à mieux protéger les victimes de délits de presse commis sur internet. L'exposé des motifs de la proposition de loi et le rapport de Mme Des Egaulx décrivent parfaitement les spécificités de la communication par internet. La dimension mondiale de ce réseau de communication donne aux informations qui y circulent une portée sans équivalent. Ces données restent à la disposition du public beaucoup plus longtemps que sur les autres supports de diffusion. Mais la masse des informations disponibles rend leur accès moins facile aux personnes concernées. Il est donc évident que le court délai dans lequel les victimes de délits de presse doivent agir est inadapté à ce mode de diffusion. Aujourd'hui, passé un délai de trois mois, plus aucune poursuite n'est possible ; l'action publique est éteinte.

La proposition de loi vise à porter à un an au lieu de trois mois le délai de prescription des délits de presse commis sur internet. Depuis 2004, plusieurs initiatives sénatoriales sont allées dans le même sens : l'amendement de M. Badinter et de notre regretté collègue Michel Dreyfus-Schmidt, qui n'avait pas été retenu dans la loi du 5 mars 2004 ; l'amendement de M. Trégouët dans la loi sur l'économie numérique ; et la proposition de loi de M. Masson déposée le 4 octobre dernier. Cette modification des règles de prescription répond donc à un souhait partagé sur tous les bancs de votre Haute assemblée.

La loi sur la liberté de la presse a déjà été modifiée pour étendre le délai normal de prescription des délits de presse : la loi du 9 mars 2004 a porté ce délai à un an pour la provocation à la haine, la diffamation et l'injure à caractère racial ainsi que pour le négationnisme. Cette fois, ce n'est plus la nature des faits qui justifie une extension du délai de prescription mais le moyen utilisé pour commettre l'infraction. Internet est un formidable outil d'échange démocratique et de développement économique ; mais l'avènement de ce nouveau média doit s'accompagner d'une sécurité juridique renforcée pour nos concitoyens.

Je salue la réflexion approfondie menée par votre commission des lois, qui a pris en compte la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 10 juin 2004. Le devoir du législateur est d'assurer un traitement équitable entre les divers médias ; une distorsion injustifiée entre les supports papiers et les messages en ligne serait censurée. Le texte qui vous est présenté respecte cette exigence constitutionnelle.

Votre commission a aussi voulu tenir compte de la situation particulière des publications soumises au dépôt légal. La proposition de loi écartait la prescription d'un an pour les articles mis en ligne qui ne font que reproduire une édition papier : l'allongement de la prescription devait être limité aux publications dématérialisées, faites exclusivement par internet. Votre commission, après un fructueux débat, a considéré que la ligne de partage devait être légèrement différente. Elle propose que seules les publications de presse légalement déclarées restent soumises au court délai de prescription lorsque leurs articles sont également mis en ligne. La distinction est justifiée par les obligations déontologiques propres aux journalistes, qui les conduisent à davantage de prudence dans leurs publications. Le Gouvernement soutiendra cet amendement emprunt d'une grande sagesse. Nous soutiendrions également l'extension de cette exception à la presse audiovisuelle. Ainsi, tous les messages diffusés par des médias professionnels continueraient à bénéficier du régime actuel de prescription courte, même lorsqu'ils sont repris sur internet.

La recherche du juste équilibre entre la liberté d'expression et la préservation des droits des personnes est une préoccupation constante du législateur. Avec cette proposition de loi, votre Haute assemblée montre que nous sommes une démocratie vivante, qui sait s'adapter aux besoins de son temps et faire évoluer son droit au bénéfice de l'innovation, dans le respect de ses principes fondamentaux. (Applaudissements sur les bancs UMP)

Mme Éliane Assassi.  - La proposition de loi qui nous est présentée vise à allonger le délai de prescription de l'action publique pour les diffamations, injures ou provocations commises par l'intermédiaire d'internet. L'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 fixe, pour les délits de presse, un délai de prescription de trois mois, dérogatoire au droit commun. Les auteurs de la proposition de loi proposent de le faire passer à un an pour les délits commis sur internet, au motif que le régime juridique actuel serait déséquilibré et trop défavorable aux victimes.

Je voudrai d'abord attirer l'attention sur l'évolution divergente des délais de prescription en matière civile et pénale. Dans le domaine civil, le législateur tend à raccourcir les délais de prescription : depuis la loi du 17 juin 2008, le délai de prescription en matière civile est de cinq ans au lieu de trente. Mais dans le domaine pénal, l'évolution est inverse : on allonge de plus en plus les délais de prescription, par le biais de dérogations adoptées au fil des textes. Dans son rapport d'information de juin 2007 intitulé « Pour un droit de la prescription moderne et cohérent », M. Hyest préconisait d'allonger les délais de prescription de l'action publique applicables aux délits et aux crimes, en fixant ces délais à cinq ans pour les délits et quinze ans pour les crimes.

La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui est dans le même esprit. Il faudrait prévoir un délai de prescription différent selon que le délit s'effectue par voie de presse ou sur internet. Cette question n'est pas nouvelle. René Trégouët proposait, dans un amendement au projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique, de faire courir le délai de prescription pour les délits de presse commis sur internet non plus à partir du jour où l'article est mis en ligne mais à partir du jour où il n'est plus accessible au public. Cela revenait à créer une sorte de délit continu, les articles publiés sur internet pouvant y rester un nombre indéterminé d'années. Le président de la commission des lois s'était d'ailleurs montré hostile à cet amendement (M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission, le reconnaît) : il disait ne pas comprendre comment, « pour des délits de même nature et quel que soit le support, on pourrait avoir des délais de prescription différents ». Et il concluait ainsi : « Il faut qu'il y ait le même régime pour tous les moyens de diffusion d'information ». Le Conseil constitutionnel a censuré cette disposition au motif que « la différence de régime instaurée, en matière de droit de réponse et de prescription, par les dispositions critiquées dépasse manifestement ce qui serait nécessaire pour prendre en compte la situation particulière des messages exclusivement disponibles sur support informatique ». De son côté, la Cour de cassation maintient une jurisprudence constante, en considérant que le point de départ de la prescription pour le réseau internet se situe à la date à laquelle le message a été mis pour la première fois à la disposition des utilisateurs du réseau : elle l'a encore rappelé dans un arrêt du 19 novembre 2006.

Cette proposition de loi vise donc à mettre fin à cette jurisprudence qui protège la liberté d'expression. Certes, vous n'allez pas aussi loin que M. Trégouët et ne remettez pas en cause le point de départ du délai de prescription...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - En effet, cela n'a rien à voir !

Mme Éliane Assassi.  - ...mais vous créez un statut et un régime juridique de l'information différents selon le support sur lequel elle est publiée.

Cette distorsion n'existe pas dans le cas des infractions à caractère raciste commises par voie de presse, pour lesquelles le délai de prescription est certes dérogatoire puisqu'il est d'un an, mais il s'applique quel que soit le support. Dans ce cas, c'est la gravité des infractions qui justifie l'allongement du délai et non le support de l'information.

Vous souhaitez mettre sur le même plan les infractions à caractère raciste commises par voie de presse et les diffamations, injures et provocations commises par l'intermédiaire d'internet. La prochaine étape devrait donc logiquement être une nouvelle prolongation du délai de prescription pour les infractions à caractère raciste. Bref, cette proposition de loi risque de marquer la première étape d'une surenchère pénale inopportune. Par ailleurs, elle nous est présentée dans un climat guère favorable à la liberté d'expression. J'en veux pour preuve la coïncidence entre la présentation de ce texte et l'inflation des procédures judiciaires entamées par le Président de la République.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur.  - Cela n'a rien à voir !

Mme Éliane Assassi.  - Depuis février 2008, Nicolas Sarkozy a engagé pas moins de six procédures judiciaires, dont trois concernent directement son image. La dernière en date, à propos de la poupée vaudou, a d'ailleurs vu le Président débouté, le tribunal de grande instance de Paris considérant que « cette représentation s'inscrit dans les limites autorisées de la liberté d'expression et du droit à l'humour ».

Voix à droite.  - Hors sujet !

Mme Éliane Assassi.  - Non, ce n'est pas hors sujet !

La liberté d'expression est une liberté fondamentale dans une société démocratique et la Cour européenne des droits de l'homme, dans un arrêt de décembre 1976, en a donné une définition extensive : cette liberté « vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l'État ou une fraction quelconque de la population ». Les délits de presse étant considérés comme des délits instantanés, on leur applique un délai de prescription très court. Sur internet, le flot d'informations est continu et nous sommes noyés sous une masse d'images et d'écrits sur tous les sujets. Comme pour la presse écrite, il faut considérer qu'après un temps relativement court, les écrits n'ont plus la même portée. C'est ce que vous refusez avec cette proposition de loi qui s'inscrit dans la logique actuelle de judiciarisation de notre société, où l'action en justice pourra être intentée sans limite dans le temps.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur.  - Et Robert Badinter ?

Mme Éliane Assassi.  - Laissez-moi finir, je ne supporte pas d'être interrompue de cette façon !

Nous ne voterons pas cette proposition de loi.

M. Philippe Adnot.  - J'approuve la proposition de loi de M. Cléach. On doit distinguer internet de la presse écrite, laquelle ne peut laisser paraître indéfiniment une diffamation. Cela dit, il aurait été préférable d'aborder le fond, c'est-à-dire le fait qu'internet permette le meilleur et le pire. Un directeur de publication est responsable des écrits de ses journalistes tandis qu'on peut laisser se propager n'importe quoi sur internet sans que jamais personne n'en soit responsable. L'anonymat permet tout et on n'ose imaginer ce qui pourrait se passer dans certains contextes.

Internet permet de s'exprimer librement et il ne faut pas brider cette liberté. Reste que lorsque quelqu'un écrit sur quelqu'un d'autre, l'anonymat devrait pouvoir être levé et qu'un texte sera nécessaire sur ce point...

Je me réjouis de la présente proposition de loi et je la voterai tout en souhaitant qu'un autre texte aille plus loin. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Richard Yung.  - Il est particulièrement émouvant de discuter de cette proposition de loi au moment où le Sénat vient de rendre un hommage solennel à Michel Dreyfus-Schmidt, auteur avec Robert Badinter d'une proposition identique il y a quatre ans. Depuis la fin des années 1990 se pose la question du délai de prescription des infractions de presse commises sur la toile, question légitime dans la mesure où ce moyen d'expression et de communication est, pour reprendre les termes utilisés en 2004 par notre collègue Badinter, « sans commune mesure avec la presse écrite ».

Il est intéressant de relever que c'est le juge et non le législateur qui a d'abord pris en considération les spécificités du réseau internet en matière de prescription des infractions de presse. II a d'abord eu à se pencher sur la question délicate du point de départ du délai de prescription et, lors de l'examen de la proposition de loi du président Hyest sur la prescription en matière civile, nous avions été confrontés à cette même difficulté. Nous avions alors décidé de consacrer la jurisprudence en retenant « le jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ». Lors de l'examen de la loi de juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, notre ancien collègue René Trégouët avait fait adopter un amendement proposant que le délai de prescription de trois mois prévu pour les infractions de presse coure « à compter de la cessation de la diffusion du message ». La CMP n'avait pas souhaité modifier cette disposition dont le groupe socialiste pensait, à l'instar du président Hyest, qu'elle violait le principe d'égalité devant la loi et pénalisait la presse en ligne. Cette affaire avait suscité une vive réaction de nombreux professionnels de la presse, qui craignaient un risque d'insécurité juridique. Le Syndicat de la presse magazine et d'information affirmait, par exemple, que cette disposition rendait imprescriptibles les infractions commises sur internet « sauf à renoncer à toute exploitation d'archives sur les sites, ce qui est manifestement incompatible avec l'intérêt du public pour internet ». Pour sa part, le Groupement des éditeurs de services en ligne (Geste) jugeait ces dispositions « très graves pour la liberté d'expression » car « il est matériellement impossible de supprimer définitivement un message sur le net, celui-ci continuant de figurer dans des moteurs [de recherche], des mémoires caches, sans compter le fameux site américain Archive.org, qui conserve la mémoire du net ». Le Conseil constitutionnel avait finalement censuré cette disposition.

Pour autant, cela ne doit pas nous dispenser d'adapter la loi aux spécificités d'internet. Si les infractions de presse sont considérées comme des infractions instantanées, lorsqu'elles sont commises sur la toile, elles se prolongent dans le temps et deviennent donc permanentes. Ce réseau offre la possibilité de donner davantage de publicité à des diffamations, des injures ou des provocations. Ce faisant, la publication sur internet accroît la gravité de l'infraction.

La loi de mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, dite loi Perben II, a porté le délai de prescription de l'action publique de trois mois à un an lorsque l'infraction commise par voie de presse concerne une provocation à la discrimination ou à la violence à caractère raciste, une contestation de crimes contre l'humanité ou une diffamation ou injure commise à raison de la race. Dans la mesure où ces dispositions laissaient de côté la question des autres infractions de presse, qui restaient soumises au délai spécial de trois mois, notre ami Robert Badinter et notre très regretté collègue Michel Dreyfus-Schmidt avaient fait adopter, par souci de cohérence, un amendement proposant d'étendre à tous les messages diffusés sur internet l'allongement à un an du délai de prescription de l'action publique. Lors du débat du 20 janvier 2004, Michel Dreyfus-Schmidt affirmait en effet que « ce qui est vrai pour les messages racistes diffusés sur internet vaut pour tous les messages diffusés sur internet ». Malheureusement, cet excellent amendement avait été retoqué lors de la CMP. Depuis lors, aucune autre réforme n'a été adoptée et la dualité de délai qui prévaut actuellement nuit à la cohérence du régime applicable aux infractions de presse, qui avait l'avantage d'être simple et lisible.

Le droit actuel faisant courir un risque d'insécurité juridique, il est opportun d'harmoniser la durée du délai de prescription applicable aux infractions de presse commises sur internet. L'allongement de ce délai répondrait en particulier à la recommandation que nous avions formulée dans notre rapport d'information. Cela répondrait aussi à la nécessité de veiller à la cohérence du droit de la prescription de l'action publique. Il ne me semble pas que l'allongement à un an du délai de prescription porte atteinte de manière disproportionnée à la liberté de la presse. Dans la mesure où la publication sur internet accroît la gravité des infractions, il paraît légitime d'augmenter raisonnablement le délai de la prescription de l'action publique. J'ajoute aussi que la loi de 1881 n'est pas immuable : elle a déjà été modifiée au moins 22 fois et nous devons continuer de l'adapter aux spécificités du réseau internet en prenant soin de ne pas défaire l'équilibre entre liberté de la presse, droits des personnes et ordre public. Si des menaces pèsent actuellement sur la liberté de la presse, elles ne proviennent pas du législateur ou du juge, mais plutôt des responsables politiques -au premier rang desquels le Chef de l'État- qui érigent la poursuite en diffamation en politique systématique, entravant ainsi la liberté de la presse.

Les précédents présidents de la République avaient une tout autre attitude !

L'harmonisation du délai de prescription des infractions de presse pourrait utilement contribuer à la nécessaire régulation de l'internet et à la responsabilisation des acteurs de la Toile.

Le groupe socialiste a décidé de voter les conclusions de la commission des lois. (Applaudissements à droite)

M. François Zocchetto.  - Je ne saurais cacher ma satisfaction d'avoir à étudier cette proposition de loi. C'est l'aboutissement d'un débat engagé depuis la loi Perben 2 ; nous avions lors tenté de faire avancer la législation sur ce sujet et puis il a fallu le temps de la réflexion, le temps de convaincre les personnes concernées, c'est-à-dire surtout, en l'occurrence, la presse.

Nous avions aussi un problème de jurisprudence puisque, pour la presse, le début de l'infraction est fixé au jour de la publication. Ce délit instantané n'est pas du tout applicable à internet. La loi de 1881, cette garantie fondamentale de la liberté d'expression, nous imposait de rechercher un équilibre. La proposition de loi de M. Cléach l'apporte, et Mme Troendle résout le problème que nous nous étions posé à propos de l'information télévisée.

J'imaginais donc, à la suite des travaux de la commission des lois, que ce texte serait adopté à l'unanimité. Ce n'est pas le cas : tant pis. En tout cas, le groupe de l'UC votera cette proposition de loi.

Discussion de l'article unique

Le dernier alinéa de l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est ainsi rédigé :

« Le délai de prescription prévu au premier alinéa est porté à un an si les infractions ont été commises par l'intermédiaire d'un service de communication au public en ligne, sauf en cas de reproduction du contenu d'une publication de presse légalement déclarée. »

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par Mme Troendle et les membres du groupe UMP.

Après les mots :

public en ligne

rédiger comme suit la fin du second alinéa de cet article :

Ces dispositions ne sont toutefois pas applicables en cas de reproduction du contenu d'un message diffusé par une publication de presse ou par un service de communication audiovisuelle régulièrement déclaré ou autorisé lorsque cette reproduction est mise en ligne sous la responsabilité de leur directeur de publication. »

Mme Catherine Troendle.  - Je remercie Mme le garde des sceaux pour ses propos à mon endroit.

La commission des lois a très utilement précisé que le maintien d'un délai de prescription de trois mois pour la reproduction sur internet d'un message diffusé par voie de presse ne bénéficierait qu'aux publications légalement déclarées. Il semble opportun d'étendre le bénéfice de cette dérogation aux moyens de communication audiovisuels qui disposent aussi, à l'instar de la presse écrite, de sites sur internet et qui sont soumis aux mêmes règles de professionnalisme et de déontologie.

Le bénéfice de l'exception ainsi instituée doit jouer pour la reproduction sur un site relevant de l'organe de presse ou de l'antenne qui a diffusé le message par ses moyens habituels. Il ne serait pas justifié de garantir une même protection pour un particulier qui reprendrait des extraits d'une publication aux fins de diffamation. C'est pourquoi je précise que la mise en ligne doit intervenir sous la responsabilité du directeur de publication.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur.  - Avis très favorable : l'amendement complète utilement le texte de la commission.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux.  - Même avis.

L'amendement n°1 est adopté.

L'article unique, modifié, est adopté.