Disponible au format PDF Acrobat


Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Organisme extraparlementaire (Candidature)

Dépôt de rapports

Débat sur la réforme des lycées

Organisme extraparlementaire (Nomination)

Jardins d'éveil (Question orale avec débat)

Conférence des Présidents

Constitution d'une mission d'information (Mal-être au travail)

Débat sur les pôles d'excellence rurale




SÉANCE

du mercredi 21 octobre 2009

9e séance de la session ordinaire 2009-2010

présidence de M. Jean-Claude Gaudin,vice-président

Secrétaires : M. Philippe Nachbar, M. Bernard Saugey.

La séance est ouverte à 14 h 35.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Organisme extraparlementaire (Candidature)

M. le président.  - Je rappelle que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation du sénateur appelé à siéger au sein du Conseil d'administration de l'Institut national de l'audiovisuel. La commission de la culture, de l'éducation et de la communication a fait connaître qu'elle propose la candidature de M. Jean-Pierre Leleux pour siéger au sein de cet organisme extraparlementaire. Cette candidature a été affichée et sera ratifiée, conformément à l'article 9 du Règlement, s'il n'y a pas d'opposition à l'expiration du délai d'une heure.

Dépôt de rapports

M. le président.  - M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport sur l'évolution de la fiscalité agricole, établi en application de l'article 138 de la loi de finances pour 2009 du 27 décembre 2008, et le rapport sur la situation financière des organismes complémentaires assurant une couverture santé, établi en application de l'article L. 862-7 du code de la sécurité sociale. Le premier sera transmis à la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire et le second à la commission des affaires sociales. Ils seront disponibles au bureau de la distribution.

Acte est donné du dépôt de ces rapports.

Débat sur la réforme des lycées

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur la réforme des lycées.

M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication.  - Dès le mois de février, j'avais demandé à la Conférence des Présidents d'inscrire à l'ordre du jour d'une semaine de contrôle du Sénat un débat consacré à la réforme des lycées. Ce sujet était au coeur des réflexions de la commission depuis deux ans : deux missions d'information avaient été créées, l'une sur la réforme du baccalauréat, l'autre sur la diversité sociale dans l'accès aux classes préparatoires aux grandes écoles. Ce débat, programmé pour le 12 juin 2009, a été repoussé à votre demande, monsieur le ministre, car cette date coïncidait avec votre prise de fonctions. Nous aurions souhaité alors réagir aux propositions formulées par M. Richard Descoings, qui s'était vu confier par le Président de la République une mission sur la réforme du lycée, et présenter nos orientations avant l'annonce d'un projet de réforme. Le calendrier parlementaire ne l'a pas permis : le Président de la République a exposé la semaine dernière les grandes lignes d'une réforme du lycée général et technologique et vous a confié le soin d'en détailler les modalités afin que le premier volet, consacré à la classe de seconde, soit achevé dès la rentrée 2010. J'estime que si tout est dit, nous n'arrivons pas trop tard !

Cette réforme prolonge la rénovation de la voie professionnelle engagée depuis la rentrée 2009. Je tiens à vous assurer de mon entier soutien à la refonte du baccalauréat professionnel en trois ans. Mais j'insiste sur la nécessité de permettre aux bacheliers professionnels de reprendre leurs études dans le cadre de la formation continue.

La réforme sera menée essentiellement par la voie réglementaire, conformément à la nature des mesures envisagées. La commission de l'éducation souhaite néanmoins vous faire quelques suggestions reposant sur un diagnostic partagé. Plusieurs d'entre nous se sont rendus, au mois de septembre, en Finlande afin de comprendre les raisons du succès de l'enseignement secondaire dans ce pays, révélé par la série d'enquêtes menées dans le cadre du Pisa par les experts de l'OCDE que nous avons auditionnés la semaine passée.

Une orientation plus fluide, construite dans la durée, par choix et non par défaut, un accompagnement personnalisé des élèves, une plus grande ouverture des établissements sur le monde contemporain : telles sont les lignes de force du projet tracé par le Président de la République à l'issue d'une longue concertation avec l'ensemble des parties prenantes, lycéens, étudiants, parents d'élèves, enseignants, personnels administratifs et représentants du monde socio-économique.

Ne cédons pas à l'impression que le lycée est en perdition alors que, malgré ses défauts, il parvient à emmener les deux tiers d'une classe d'âge au baccalauréat. Un quart seulement parvenait à ce niveau en 1980. L'élévation des qualifications est indiscutable ; elle doit beaucoup à la création des voies technologique et professionnelle, qui peuvent aussi constituer des voies d'excellence pour nos enfants.

Les questions qui se posent à nous sont donc les suivantes : comment faire pour que le lycée aille encore mieux et qu'il offre à tous les élèves des parcours de réussite et d'épanouissement ? Que faire pour ces 130 000 jeunes qui quittent chaque année le système scolaire sans diplôme ni qualification ? Permettez-moi de revenir sur les propositions que j'avais faites dans mon rapport sur le baccalauréat, et qui sont dans le même esprit que la réforme annoncée. Les faiblesses du lycée sont connues : orientation des élèves par défaut et par l'échec, hiérarchisation des voies et des filières, insuffisante préparation à l'enseignement supérieur. Une réforme du lycée nécessite donc une réflexion sur le collège et le supérieur afin de permettre aux élèves de construire progressivement un projet professionnel et un projet de vie.

C'est pourquoi votre commission avait demandé la mise en place d'une véritable préparation à l'orientation dès le collège. Les parcours de découverte des métiers et des formations à partir de la classe de cinquième et l'option de découverte professionnelle en troisième sont des premiers pas. Il faudrait sans doute aller plus loin et prévoir que la scolarité de tout collégien lui permette d'aborder les trois dimensions des études générales, technologiques et professionnelles.

En outre, les enseignements de détermination prévus en classe de seconde ont été détournés de leur sens et servent en réalité de pré-orientation, avec le consentement tacite du système éducatif. Pour redonner son sens au choix fait par les élèves en fin de seconde, il faut faire découvrir aux nouveaux lycéens l'ensemble des champs disciplinaires, et notamment consacrer une séquence de découverte aux seules études technologiques.

La hiérarchisation des filières du lycée général se traduit par le succès massif de la section S et l'assèchement de la section L, alors que la section ES semble avoir trouvé un point d'équilibre. Cette répartition des effectifs ne révèle pas une appétence particulière pour les études scientifiques mais la conviction que la série S ne ferme aucune porte et permet aussi bien d'entrer en IUT, en khâgne ou en école de commerce. Cela démontre que la plupart des lycéens souhaitent suivre des formations aussi ouvertes que possible. Il serait donc judicieux de mettre en place un tronc commun pour les trois séries, complété par un jeu d'options. Le tronc commun comprendrait le français, la philosophie, les mathématiques, une langue vivante et l'histoire-géographie ; il pourrait valoir également pour les voies technologique et professionnelle, à charge pour les enseignants d'adapter leurs méthodes pédagogiques. Le choix des options serait encadré afin de préserver l'équilibre entre les études littéraires, les sciences économiques et sociales et les disciplines scientifiques. Cela permettrait une certaine différenciation des parcours sans donner libre cours à la reconstitution bête et brutale de filières hiérarchisées.

Le baccalauréat n'est pas seulement le couronnement de la scolarité secondaire ; il ouvre également les portes de l'enseignement supérieur et de la vie active et doit y préparer convenablement. On pourrait réorganiser le cycle terminal en distinguant l'année de première, tournée vers l'acquisition de connaissances et sanctionnée éventuellement par une première série d'épreuves du baccalauréat, et l'année de terminale, principalement destinée à initier les élèves aux méthodes de l'enseignement supérieur et à développer leurs capacités d'autonomie, de réflexion et d'argumentation, grâce au travail personnel et au travail de groupe.

Une fois le baccalauréat acquis, encore faut-il pouvoir s'inscrire dans une filière de l'enseignement supérieur correspondant à son profil. Il est impératif d'accueillir dans le supérieur court, IUT ou STS, tous les bacheliers technologiques et professionnels qui en font la demande.

Ainsi pourrions-nous envisager un droit d'inscription prioritaire de ces bacheliers en STS et dans certaines filières des IUT et le renforcement du mécanisme financier incitatif consistant à indexer une partie des dotations de ces filières sur leur nombre.

Après avoir retracé les préconisations de notre commission, je voudrais insister sur deux points mis en exergue par le Président de la République dans son discours du 13 octobre. Tout d'abord, l'apprentissage des langues ne doit pas être réduit à un simple vecteur d'insertion professionnelle. Il doit être le pivot d'une politique ambitieuse de la diversité culturelle qui permet, en retour, une meilleure connaissance du français, de ses nuances et de ses subtilités. Pour ce faire, il faut développer, tout en mettant l'accent sur la compétence orale dans la maîtrise de l'anglais choisi par 98% des élèves du secondaire, l'enseignement d'autres langues telles que l'allemand, le portugais, le russe, l'arabe ou le chinois. Monsieur le ministre, il n'est pas superflu de proposer à des jeunes issus de familles arabophones d'apprendre l'arabe à l'école de la République ! On ne peut se contenter d'affirmer qu'il n'y a pas assez de demandes quand ces élèves sont aujourd'hui contraints de se tourner vers des circuits parallèles, avec toutes les dérives que l'on connaît. L'apprentissage de ces autres langues ouvrira de nouvelles perspectives dans les pays émergents et offrent à des jeunes d'origine étrangère l'occasion de renouer positivement avec leur identité culturelle. Ensuite, concernant l'élargissement de l'accès à la culture dans les lycées, les solutions proposées par le Président de la République -telles que la création de vidéo clubs, la diffusion audiovisuelle de grands événements ou encore la création d'un référent culturel dans les établissements- sont intéressantes pour rapprocher les jeunes de la culture. Je note que la suppression envisagée de l'épreuve de culture générale dans les concours administratifs de catégories B et C entre en dissonance avec cet objectif. On ne peut pas faire disparaître une épreuve de culture, fût-ce au nom de l'équité.

Pour conclure, ces remarques n'expriment aucune défiance envers la réforme du lycée et le Sénat aura à coeur de poursuivre avec le Gouvernement ce débat essentiel pour l'avenir de notre jeunesse et de notre pays ! (Applaudissements à droite et au centre)

M. Jean-Claude Carle, au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication.  - Permettez-moi une entrée en matière inhabituelle ! Tchouang Tseu rapporte qu'un dignitaire impérial, versé dans les lettres et les choses de l'esprit, s'émerveille de la perfection des oeuvres taillées dans le bois par un simple artisan et de l'aisance avec laquelle celui-ci manie le ciseau et le burin. Il interroge alors l'artisan pour connaître sa méthode, sa recette, son secret. « Je ne trouve pas les mots pour expliquer mon art, », répond l'homme, « c'est ma main qui sait. C'est ma main qui sent s'il faut frapper avec force ou avec douceur. C'est ma main qui trouve la solution et mon esprit qui l'approuve après coup. »

M. Nicolas About.  - C'est du Raffarin !

M. Jean-Claude Carle, au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication.  - Ces paroles sont d'une actualité remarquable quand l'intelligence du geste est trop souvent méprisée au profit d'une compréhension conceptuelle et abstraite. Il faut à tout prix refuser la hiérarchisation des formes d'intelligence. Si la sagesse chinoise ne vous convainc pas, reportez-vous aux enquêtes Pisa. Seuls les élèves français ressentent une telle angoisse devant les mathématiques car ils savent qu'une faiblesse dans cette matière vous ferme les portes du lycée général, sans même parler de la filière S. En revanche, ils éprouvent un plaisir réel à étudier les sciences d'observation, à réaliser des expériences, reproduire des montages, retrouver par induction les lois des phénomènes naturels. C'est ce goût et ces compétences latentes qu'il faut développer et valoriser en progressant dans la voie tracée par la grande réforme du lycée en 1902 qui avait déjà conduit à rénover l'enseignement de la physique. Il ne s'agit en aucune manière de dénigrer le goût de la théorie mais de réhabiliter le sens du concret. Nous devons accompagner nos jeunes dans la construction d'un parcours scolaire et professionnel dans lequel ils réussiront parce qu'ils s'y sentiront bien, comme l'a indiqué le Président de la République.

Le Sénat s'est déjà engagé en ce sens lors de la discussion du projet de loi sur l'orientation et la formation professionnelle en prévoyant la mise en place d'un livret de compétences. La première étape de la revalorisation de l'intelligence pratique est déjà bien engagée avec la réforme de la voie professionnelle tout en reconnaissant que celle-ci ne modifiera pas, du jour au lendemain, les représentations sociales négatives ancrées depuis longtemps dans l'esprit des familles. L'alignement de la durée des études pour l'obtention du baccalauréat professionnel sur celles qui conduisent aux baccalauréats technologique et général est le signe tangible de l'égale dignité de toutes les voies de formations. (M. Alain Gournac approuve) L'articulation nouvelle des diplômes favorisera l'accession des jeunes à des niveaux de qualification plus élevée. Un point crucial de cette réforme réside dans l'accompagnement personnalisé, que le Président de la République envisage également de mettre en place au lycée général et technologique avec deux heures hebdomadaires sans alourdissement des emplois du temps. Cette mesure de nature à sécuriser les parcours scolaires ne portera ses fruits que si une large autonomie est laissée aux chefs d'établissements et aux équipes éducatives pour définir les modalités appropriées. Une gestion administrative et uniforme viderait ce dispositif de son sens. Au reste, les enquêtes Pisa montrent que les Pays-Bas, la Nouvelle-Zélande ou le Québec, qui laissent à leurs établissements une large autonomie, ont les systèmes scolaires les plus performants et les plus équitables. Dans cet esprit, ne faudrait-il pas augmenter la part des dotations horaires laissées à l'appréciation des établissements ?

Aucune réforme du lycée, a rappelé le président Legendre, ne sera réussie si la question de l'orientation n'est pas prise à bras le corps. Une bonne orientation, c'est d'abord une bonne information. Or celle-ci est réservée à ceux dont les parents ont déjà emprunté les mêmes voies ou qui sont assez aisés pour recourir aux services de structures privées. (M. Yvon Collin le confirme) Aussi avions-nous jeté les bases d'un service public territorialisé d'information et d'orientation que le Président de la République a présenté dans son discours d'Avignon du 29 septembre dès la discussion du projet de loi relatif à l'orientation et à la formation professionnelle en renforçant le rôle du délégué interministériel à l'orientation, désormais placé auprès du Premier ministre, chargé de préparer le rapprochement de structures aujourd'hui dispersées. Nous avons également complété la formation initiale des conseillers d'orientation-psychologues par une formation sur la connaissance des métiers afin de renforcer leur utilité auprès des élèves. Une attention spécifique doit être accordée à la charnière entre le lycée et l'enseignement supérieur quand 80 000 jeunes sortent sans diplôme de l'université chaque année. En effet, si tous les baccalauréats ouvrent les portes de l'enseignement supérieur, ils n'offrent pas les mêmes chances de succès. Les lycéens, notamment dans les filières professionnelles et technologiques, doivent mesurer les difficultés qu'ils sont susceptibles de rencontrer. (M. Adrien Gouteyron approuve) Le dispositif d'orientation active, mis en place depuis peu dans les universités, répond en partie à ce problème.

Toutefois, il ne suffit pas de dire à un lycéen que son profil l'expose statistiquement à l'échec. Il faut prendre le temps de le rencontrer et de lui proposer une autre orientation, mieux en rapport avec son parcours antérieur. Un entretien personnalisé devrait ainsi être systématiquement proposé à chaque bachelier qui risque de rencontrer des difficultés dans la filière qu'il a demandée en premier choix.

En complément du développement de l'orientation active et personnalisée, il serait utile que les universités fassent connaître les connaissances et compétences nécessaires pour réussir dans telle ou telle filière, ceci afin de mieux guider les élèves dans leur choix.

Ce grand chantier de l'orientation, monsieur le ministre, n'est pas de votre seule responsabilité. Il requiert un dialogue et une collaboration étroite avec vos collègues de l'enseignement supérieur, de l'emploi et de la jeunesse, mais aussi avec les élus locaux, et plus particulièrement les régions. Croyez-bien que notre commission saura appuyer vos efforts, tant en ce domaine que pour la rénovation du lycée vers plus d'autonomie et d'ouverture sur la société.

Songeons à ces quelques chiffres : 30 % des enfants d'ouvriers n'ont qu'un CAP ou un BEP contre 5 % des enfants de cadres, d'enseignants ou de professions libérales ; 90 % des enfants de cadres et d'enseignants obtiennent le baccalauréat contre moins de 50 % des enfants d'ouvriers ; il y a dix fois moins d'enfants d'ouvriers ou d'agriculteurs dans les classes préparatoires que d'enfants de cadres, d'enseignants ou de professions libérales. Nous ne pouvons accepter plus longtemps une telle situation.

Selon Socrate, « le savoir est la seule chose qui augmente lorsqu'on la partage ». Dans notre société où le savoir est la clef première de la réussite, notre devoir est de créer les conditions d'un meilleur accès au savoir et de l'élargissement de sa diffusion. Votre réforme du lycée y contribue, monsieur le ministre. Nous la soutenons et saluons votre détermination, qui n'a d'égale que celle du président Legendre que je remercie d'avoir initié ce débat. (Applaudissements à droite ; M. Nicolas About applaudit aussi)

Mme Brigitte Gonthier-Maurin.  - Le lycée est un des lieux importants de transmission des savoirs et d'apprentissage, un moment privilégié dans la constitution d'une culture commune et dans la construction de la citoyenneté. Parler du lycée, c'est évoquer une vision de la société et de l'avenir, définir la place que l'on accorde aux jeunes ; en cela, la question de sa réforme est éminemment politique.

Ce débat est l'occasion de nous interroger sur la conception même de l'éducation, donc de son rôle dans notre société. Les réformes menées par ce gouvernement concourent à redéfinir la conception même de notre système éducatif, de la maternelle à l'université, et transforment les missions et les finalités de l'école, passant d'une visée de haut niveau de connaissances pour tous et toutes à une visée tournée vers l'employabilité. Ce projet-là implique une nouvelle conception des apprentissages et des savoirs, ceux qui sont nécessaires aux individus en fonction de la place qui leur est assignée dans la société. Il s'inscrit dans le droit fil de la stratégie de Lisbonne, visant à « construire l'économie de la connaissance la plus compétitive au monde », moyennant quoi l'on pourra disposer, d'un côté, d'un pôle de 30 à 40 % de main-d'oeuvre non qualifiée devant répondre à des critères d'« employabilité », de l'autre, de 40 à 50 % de main-d'oeuvre hautement qualifiée.

C'est à l'aune de cette stratégie que doit s'analyser votre réforme du lycée. Un certain nombre de points faisaient consensus : le déséquilibre entre les différentes voies, leur inégale dignité, l'orientation, les sorties sans qualification, l'hégémonie de la série scientifique, la nécessaire revalorisation du métier d'enseignant... Il ne s'agit pas ici de dresser une image négative de notre lycée mais de nous interroger sur les transformations à opérer pour répondre au défi d'élévation des connaissances et des qualifications d'aujourd'hui. En cela, une telle réforme ne peut s'émanciper ni de l'amont ni de l'aval. De même, la réforme du lycée doit poser la question d'une nouvelle articulation et d'une égale dignité entre les voies générale, technologique et professionnelle. Le poids des déterminismes sociaux marque en effet trop fortement notre lycée. Les filières technologique et professionnelle sont trop peu investies et les élèves issus de milieux défavorisés y sont surreprésentés. Ces filières sont encore méprisées et restent marquées du sceau d'une orientation par l'échec. Je dénonce, à ce titre, le caractère choquant et stigmatisant de l'expérimentation menée par l'académie de Créteil, sous l'impulsion de Martin Hirsch, visant à rémunérer des élèves de lycée professionnel pour leur présence et leur bon comportement.

M. Nicolas About.  - Là n'est pas la question.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin.  - C'est un dévoiement du sens de l'école.

Au lycée professionnel, la réforme est effective depuis la rentrée 2009, avec la généralisation du bac « pro » en trois ans. Le chef de l'État l'a lui-même qualifiée, le 13 octobre, d'« une des réformes les plus importantes de son quinquennat en matière éducative ». Précisant qu'elle devait être « conçue comme la première étape de son projet pour le lycée ». Il y a de quoi s'en inquiéter ! Car cette réforme a été imposée brutalement, contre l'avis des enseignants, alors même que les premières expérimentations montraient que près de 50 % des lycéens concernés ne parvenaient pas jusqu'au diplôme et sortaient sans qualification. Étonnant, quand le but affiché est de « lutter efficacement contre les sorties sans qualification ». Le calendrier imposé était insoutenable. Tous les référentiels n'étaient pas connus à la rentrée. Sur le terrain, cela s'est traduit par la plus grande désorganisation et des problèmes d'orientation : élèves non affectés en lycée professionnel alors qu'ils le souhaitaient, affectés dans une autre branche par défaut, refus de redoublement... Dans les établissements, les personnels se sont mobilisés pour faire en sorte que la rentrée se passe le moins mal possible, mais l'inquiétude est forte. La nouvelle offre de formation manque de lisibilité, tant pour les élèves et les familles que pour les enseignants.

Sur l'orientation, le Président de la République ne nous annonce rien de moins qu'une « révolution ». Elle deviendrait « progressive et surtout réversible » grâce à des dispositifs passerelle. Une sorte de droit à l'erreur. Dont acte. Mais quels moyens sont préconisés pour y parvenir ? Une meilleure information sur les filières, les études supérieures et les débouchés. Or, informer ne suffit pas, il faut surtout parvenir à modifier les comportements induits par les inégalités socioculturelles, qui aboutissent à une limitation des choix des élèves issus des milieux modestes. Il faut enrayer cette autocensure en prévoyant un véritable accompagnement, dans la durée, par des personnels compétents et qualifiés. Or depuis 2006, le Gouvernement procède à une extinction tacite du corps des Copsy, ces professionnels de l'orientation : 50 postes ouverts au concours quand il en faudrait 250 pour maintenir l'effectif actuel, déjà trop limité. Vous mettez en cause leur formation en soulignant ses insuffisances en matière de connaissance fine des métiers mais vous voulez confier leur mission aux enseignants, dont le savoir n'est pas plus étendu. C'est sans doute pour cela que vous envisagez de leur proposer d'effectuer des « stages d'observation en entreprise »... Il en faudra alors beaucoup...

Comment croire à la mise en place de mesures supplémentaires efficaces et de qualité alors que sont confirmées les 16 000 suppressions de postes à l'éducation nationale pour 2010, soit plus de 40 000 depuis 2008. On sait que la sélection par l'échec et l'orientation par défaut se font souvent dès le collège et la classe de 3e. Et ce n'est pas le « parcours de découverte des métiers et des formations » mis en place en 2007 qui a changé la donne. Si rien ne change aussi en amont, le « droit à l'erreur » restera pure incantation.

Pour le chef de l'État, le lycée de demain doit devenir celui de « l'accompagnement personnalisé pour tous les élèves ». Pourquoi pas ? Sauf s'il s'agit de s'inscrire dans la philosophie de l'individualisation des parcours, mesure phare de M. Xavier Darcos, qui allait de pair avec l'autonomie des établissements.

Sans moyens supplémentaires, on peut s'interroger sur l'impact réel de ce dispositif sur la réduction de l'échec scolaire. D'autant que rien n'est dit des modalités concrètes, sinon que ce sera aux établissements de « trouver la solution la mieux adaptée ». De quelle façon ? En utilisant la dotation globale horaire, et donc en réduisant les heures consacrées aux enseignements généraux ? Par le biais des heures supplémentaires ? Quid alors du respect de l'égalité de traitement sur tout le territoire ?

Tout cela participe d'une logique avec laquelle il faut rompre : celle qui consiste à n'interroger l'échec scolaire que du point de vue de l'élève, en réfutant tout traitement global et toute remise en cause de l'institution et des politiques conduites. Car le lycée doit être un lieu où la transmission des savoirs n'est pas réduite à des compétences individuelles, mises en concurrence, où le diplôme, le bac en l'occurrence, garde sa valeur de référence nationale et collective, où est défendue la mission émancipatrice de l'école.

Un autre projet pour le lycée pourrait s'articuler autour de deux grands axes. Tout d'abord, la réaffirmation d'une culture ambitieuse pour tous les futurs adultes, pensée dans une possibilité d'aller-retour avec la formation continue tout au long de la vie, qui doit transmettre des outils intellectuels permettant de comprendre le monde et d'avoir prise sur lui. C'est l'inverse du socle commun minimal qui distingue le minimum pour tous et le supplément pour quelques-uns. Ensuite, la lutte contre les inégalités. Il faut enfin mettre en place un plan de lutte contre les inégalités : maintenir le traitement de la difficulté scolaire dans la compétence de l'école, financer un programme de recherche pour comprendre l'échec scolaire, aider les professeurs à l'appréhender et améliorer leur formation.

Car réformer le lycée ne peut se faire sans porter une attention particulière à l'exercice du métier d'enseignant et à son statut, garant des bonnes conditions d'enseignement. Ce sont eux les acteurs du changement. Un profond malaise touche cette profession, accentué par le passage en force sur la réforme de leur recrutement et de leur formation. Difficile et peu valorisé, mal rémunéré, ce métier voit ses conditions d'exercice s'aggraver du fait des suppressions de postes qui, peu à peu, font disparaître tous les autres adultes présents dans les établissements -infirmières, médecins scolaires, CPE...

Rien ne sera décemment possible dans une logique de restriction budgétaire. Il est temps aussi que soient non pas seulement écoutés mais compris les besoins et les attentes des lycéens. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRC)

Mme Catherine Morin-Desailly.  - Au centre, la première de nos ambitions est de replacer l'homme au coeur de tout projet. Aussi, si nous devions ne conserver qu'une seule idée, ce serait l'investissement dans la formation, le progrès des connaissances, la culture. Ce débat sur le lycée est donc le bienvenu et je remercie le président Legendre d'avoir demandé son inscription à l'ordre du jour.

Le lycée, haute institution bicentenaire, a connu une démocratisation constante, comme en témoigne l'évolution du nombre de bacheliers depuis 1931. Pourtant, en termes qualitatifs, la portée de cette démocratisation est peu satisfaisante puisque chaque année, 50 000 jeunes quittent définitivement le lycée sans obtenir le bac et 80 000 bacheliers sortent de l'enseignement supérieur sans aucun diplôme. Notons que le monde dans lequel les lycéens et leurs enseignants vivent aujourd'hui est très différent de ce qu'il était en 1974, date de la dernière réforme significative du lycée.

Aussi, à l'heure où les chiffres révèlent un constat en demi-teinte, je regrette, Monsieur le ministre, que l'on s'achemine vers un texte a minima portant certains ajustements, certes utiles, mais loin d'une véritable réforme en profondeur.

Il faut avouer que ce n'est pas simple. Car paradoxalement, alors que les élèves et les enseignants affirment le besoin d'évolutions, toute perspective de changement suscite chez eux angoisse et suspicion.

On peut regretter que la réforme de l'éducation ne se fasse jamais globalement mais porte chaque fois sur un simple maillon du système : le collège en 2005, l'école primaire l'an passé, aujourd'hui le lycée.

Sans doute, un grand texte fondateur, avec une vision globale de la transmission des savoirs aurait un certain intérêt.

Comment aborder la réforme ? L'école n'est pas un sujet technique, purement administratif. L'enseignement est vivant et son coeur est l'élève. II faut traiter du sens, de la finalité et des objectifs. Or ceux-ci sont multiples : transmission des connaissances, des savoir-faire mais aussi des savoir-être. L'école doit préparer les jeunes à exercer un métier mais surtout les aider à se construire et à devenir des adultes épanouis et responsables. Nous préconisons une éducation et une culture de l'ouverture afin de construire une identité vivante, à l'opposé du repliement sur soi.

Notre école républicaine doit également construire une culture commune, telle que l'ouverture aux autres. Nous devons donc penser la place de chaque élève, quelle que soit sa condition. Un effort tout particulier doit être fait en faveur des handicapés. Vous êtes venu dans ma région le mois dernier, monsieur le ministre, et vous avez déclaré vouloir donner « un avenir à ces enfants, un après-collège ». Certes, mais pouvez-vous nous en dire plus ?

L'orientation est le point noir de notre système éducatif : une véritable révolution culturelle reste à faire. Les lycéens ne s'y retrouvent pas. L'information est souvent partielle et l'orientation est plus subie que choisie pour bon nombre. Elle intervient tardivement et souvent par défaut. Notre pays continue de valoriser l'intelligence abstraite au détriment de ses autres formes. L'orientation professionnelle ne devra plus être vécue comme un pis-aller : elle devra permettre à chaque élève de construire son parcours de réussite. Sur ce point, les conclusions des rapports Descoings et de notre mission Jeunesse rejoignent les vôtres.

Une rénovation des enseignements et des pédagogies liées à une réflexion sur les rythmes scolaires est indispensable. Ceux-ci sont aujourd'hui inadaptés : les jeunes de 15 ans assistent en moyenne à 1 036 heures de cours par an, tandis que la moyenne de l'OCDE est de 921 heures. II n'est pas rare que certains élèves quittent leur domicile à 6 heures du matin pour n'y rentrer qu'à 19 heures. Les programmes sont très lourds et les professeurs sont anxieux à l'idée de ne pas les « boucler ». Le découpage de l'année scolaire est déséquilibré, entre un premier trimestre très long et un troisième trimestre le plus souvent réduit à peau de chagrin. L'idée d'un découpage semestriel semblait intéressante.

La réforme prévoit un rééquilibrage entre les séries de la voie générale, notamment le sauvetage de la série L. En 2005, au cours des débats sur l'école, notre groupe avait proposé des amendements, malheureusement rejetés, afin d'intégrer dans le socle commun la maîtrise du corps ainsi que l'éducation artistique et culturelle. Je me réjouis que vous prévoyiez un accès généralisé aux arts et à l'éducation physique et sportive.

A cet égard, il faut distinguer entre l'enseignement et l'éducation artistique. L'éducation artistique, c'est la sensibilisation permanente aux arts et à la culture au travers d'un certain nombre de disciplines. L'enseignement, c'est l'apprentissage d'une technique généralement dispensé dans des établissements comme les conservatoires ou les écoles de musique. Si la série L sert à former aux métiers des arts et de la culture, il serait utile de lier cette réforme à celle des enseignements artistiques, dont nous débattrons la semaine prochaine.

S'agissant du renforcement des langues, l'angliciste que je suis se sent particulièrement concernée. Regrouper les élèves par niveau est une bonne initiative si les effectifs sont allégés. Dispenser des cours en langues étrangères, encourager les séjours à l'étranger et réintroduire une épreuve orale au baccalauréat sont indispensables. L'immersion linguistique nécessaire à tout apprentissage efficace peut aussi passer par des mesures simples. Lors de la loi sur la nouvelle télévision publique, Michel Thiollière et moi-même avons amendé le texte afin que l'on puisse regarder les séries étrangères en version originale. Alors que ce service existe sur des chaînes privées, il n'est pas encore proposé par celles du service public.

Comme l'a dit M. Carle, notre école est parfois trop normative. Pourquoi ne pas laisser plus d'autonomie aux directions, aux enseignants et aux élèves ? Ainsi, la classe de terminale, originalité française et clé de passage vers l'enseignement supérieur, devrait marquer moins la fin des études secondaires que l'amorce des études supérieures. Cela impliquerait une profonde transformation des méthodes, une initiation aux recherches personnelles, une année moins consacrée à emmagasiner des connaissances qu'à apprendre à les utiliser.

Il faut également conforter la place des nouvelles technologies. La France a rattrapé son retard, les collectivités locales ayant accompagné le mouvement. Aujourd'hui, 95 % des 12-17 ans sont des internautes et ils passent deux fois plus de temps devant un écran qu'à l'école. Celle-ci doit donc mieux utiliser cet outil pour guider les jeunes vers une utilisation profitable de la toile, en évitant certains pièges.

Réformer le lycée, c'est aussi s'interroger sur le métier d'enseignant. Cela fait cinquante neuf ans que le statut des professeurs n'a pas été réformé. Comme l'a souligné le rapport Descoings, point déjà soulevé par notre groupe en 2005, « il faut penser à l'évolution, à l'adaptation et à l'attractivité de ce beau et noble métier qu'est l'enseignement ».

Si la réforme des collectivités territoriales confirme la compétence de la région dans le domaine de la formation professionnelle, il faudra renforcer les liens avec ces collectivités qui élaborent les plans régionaux de formation.

Comme le préconise le rapport Descoings, le projet de réforme des lycées ne doit pas être l'occasion de réduire les crédits qui lui sont consacrés. « Si vous trouvez que l'éducation coûte cher, essayez l'ignorance » disait Abraham Lincoln. Au détriment de l'université, notre pays a consacré beaucoup de moyens au lycée. Sans doute faut-il revoir la répartition des crédits. Comme l'a promis le Président de la République, la réforme doit se faire à taux d'encadrement constant.

Nous devons donc concevoir un lycée qui prépare mieux l'avenir de nos jeunes. Le slogan devrait être davantage « la réussite pour tous » plutôt que « 80 % d'une classe d'âge au bac ». (Applaudissements au centre et à droite et sur quelques bancs du RDSE)

M. Serge Lagauche.  - Le projet expérimental « lutte contre l'absentéisme et incitation collective », initié dans l'académie de Créteil et qui concerne notamment le lycée Gabriel Péri de Champigny-sur-Marne, a fait grand bruit ces dernières semaines. S'il ne s'agit que d'un projet parmi les 165 soutenus par le fonds d'expérimentation pour la jeunesse, il n'en traduit pas moins une certaine philosophie de l'éducation. Le Gouvernement ne peut se permettre de balayer du revers de la main cette question, même si, en ce moment, les polémiques médiatiques se succèdent à une cadence infernale.

Si l'éducation a un coût, toujours trop élevé aux yeux du Gouvernement, elle n'a pas de prix. Or, avec cette expérimentation, vous faites entrer encore un peu plus l'école dans la sphère marchande. Mais une classe n'est pas un conseil d'administration où l'on peut cumuler les jetons de présence.

Vos discours sont ambivalents, voire contradictoires : l'école républicaine devient une institution schizophrène qui anéantit, en son sein, les valeurs qu'elle promulgue à l'extérieur. J'y ai également vu le pendant de la suppression des allocations familiales aux parents jugés défaillants. Je ne suis donc pas étonné que cette question redevienne d'actualité, grâce à M. Xavier Bertrand. En somme, et en caricaturant à peine, c'est la carotte pour les plus de 16 ans et le bâton pour ceux qui n'ont pas encore atteint cet âge.

Tenir comme discours institutionnel que la présence en classe peut être payée est un leurre. Les lycéens concernés l'ont bien compris, certains ayant déjà répondu qu'on ne les achèterait pas. Cette expérimentation permet d'esquiver la question centrale du décrochage scolaire : que se passe-t-il dans la classe pour que ces élèves n'y aillent plus ? Ce n'est pas la cause de l'absentéisme que vous cherchez à traiter mais seulement certains de ces effets. Avec ce dispositif, vous prenez acte de la démission de l'école républicaine. Vous niez la question du sens des apprentissages. Peu importe ce qui se passe en classe pourvu qu'on y soit, d'autant que la politique éducative du Gouvernement consiste à multiplier les dispositifs externes censés rattraper ce qui se passe ou ne se passe pas en classe. Introduire la notion d'argent, c'est nier le travail d'innovation pédagogique des enseignants, alors même qu'ils sont bien souvent les plus innovants dans leur manière de transmettre. Peut-être gagnerait-on à encourager et diffuser leurs bonnes pratiques !

Comme le dit Philippe Meirieu, « N'en déplaise aux spécialistes des « y a qu'à », tout enseignant sait bien que les apprentissages ne se décrètent pas. Et quoi qu'en pensent les technocrates, on n'éradiquera pas l'échec scolaire en multipliant les prothèses de toutes sortes après la classe sans toucher à l'organisation même de cette dernière. Les pédagogues, en dépit des anathèmes et des malentendus, ne sont pas des doux rêveurs ayant abdiqué leur autorité et renoncé à transmettre des savoirs. Ils témoignent, au contraire, d'une inlassable obstination dans ce domaine, articulant avec inventivité la volonté d'instruire et celle de former à la liberté ».

Ainsi, la réforme du bac professionnel n'a pas donné lieu à une réflexion sérieuse sur les pratiques pédagogiques dans les lycées professionnels parce que la pédagogie est devenue, ces dernières années, un gros mot. Ce faisant, nous nous privons des savoir-faire développés sur le terrain et qui ont fait leur preuve. Malheureusement, la réforme du lycée général, en s'apparentant de plus en plus à un catalogue de mesures désordonnées, prend le même chemin.

Dans les filières professionnelles, la question de l'orientation est cruciale. Dans votre bilan de rentrée, vous vous êtes félicité, monsieur le ministre, d'avoir réduit le nombre d'élèves non affectés par rapport aux années antérieures. Mais pouvez-vous nous indiquer le taux d'affectation des élèves dans leur premier voeu de filière et d'établissement ? Car se retrouver dans une filière professionnelle complètement étrangère à celle initialement visée, ou dans un établissement très éloigné de son domicile, constitue une des premières causes de décrochage.

Dans le Val-de-Marne, les chiffres de la rentrée contredisent les vôtres : 875 jeunes sans affectation se sont adressés au dispositif SOS rentrée mis en place par le conseil général, soit 33 % de plus par rapport à l'an passé. Sont principalement concernés l'enseignement professionnel et les sections de techniciens supérieurs, soit les deux filières où se retrouvent les catégories sociales les plus modestes.

Ces derniers jours, 83 jeunes étaient encore sans établissement, plus d'un mois et demi après la rentrée scolaire ! Les causes du décrochage scolaire, elles sont d'abord là.

C'est pourquoi je regrette que la rénovation de la voie professionnelle n'ait pas bénéficié du même processus de dialogue que le lycée général. Comme le souligne un récent rapport de l'inspection générale, imposer cette réforme dans la précipitation a provoqué des difficultés avec les régions.

La réforme s'applique depuis la rentrée alors que nombre de points restent flous, dont l'orientation et la construction des parcours de formation. Orienter un adolescent en difficulté au collège directement vers un bac en trois ans, sans autre possibilité de repli que la certification intermédiaire, peut d'autant plus inquiéter qu'est posée la question de la valeur du BEP rénové et de son articulation avec l'organisation pédagogique du baccalauréat. Les élèves qui souhaitent, en s'orientant dans la voie professionnelle, davantage d'apprentissage pratique risquent de ne pas s'y retrouver puisqu'on compte dix heures d'enseignement professionnel en bac pro contre quinze en CAP. Certains parents privilégieront le CAP, quitte à envisager une hypothétique poursuite des études. Quid alors des passerelles entre CAP et baccalauréat en trois ans ?

L'Inspection générale déplore en outre une information insuffisante des familles, de l'encadrement et des enseignants, voire un discours officiel maladroit. Selon elle, « on peut craindre que les conseils de classe de troisième sous-estiment les chances de réussite en baccalauréat professionnel de certains élèves ». Elle note que « le plus important, car le plus porteur de malentendus à moyen terme, est l'insistance sur la possibilité de poursuivre le parcours en BTS après le baccalauréat professionnel en trois ans. Si ce message a pour effet de renforcer la motivation des élèves, il a pour inconvénient, lorsqu'il est au coeur de la communication, de faire miroiter à certains élèves un horizon qu'au moins une partie d'entre eux auront du mal à atteindre et de banaliser le contenu professionnel du baccalauréat professionnel ». Elle demande donc un suivi précis des flux d'orientation, un accompagnement des établissements et un recadrage du discours officiel.

Au moment où commence la concertation sur la rénovation du lycée général et technologique, il me semblait important de revenir sur les ratages de la réforme de la voie professionnelle ; le Gouvernement doit en tirer les leçons.

La logique à l'oeuvre dans le discours du Président de la République est connue : feuilletage, externalisation et individualisation des dispositifs avec multiplication des stages pendant les vacances scolaires, généralisation des deux heures d'accompagnement individualisé -ces deux heures remplaceront-elles les quatre heures hebdomadaires de modules et d'aide individualisée ? Si c'est le cas, on ferait moins en voulant faire plus !

Le Président de la République a promis un rééquilibrage des filières, qui se résume en réalité à la seule modification des contenus de la filière littéraire, ce qui permet d'évacuer toute réflexion, nécessairement plus sensible politiquement, sur les enseignements à assurer au lycée.

Je n'ai enfin relevé dans le discours présidentiel aucune mention de l'éducation prioritaire, alors que l'assouplissement de la carte scolaire a eu des effets dévastateurs. Mme Van Zanten, spécialiste des inégalités dans l'éducation, note qu'avec cet assouplissement, on aide les élèves méritants aux dépens de ceux en difficulté. Or le progrès d'une société se mesure à celui des plus fragiles, aujourd'hui contraints de rester entre eux ; l'écart avec le reste de la population se creuse sans cesse, que la crise économique va encore élargir. Parce qu'il vous faut des résultats quantifiables, vos politiques se concentrent sur ceux qui se trouvent à la frontière, qu'il s'agisse de la lutte contre le chômage ou de l'école, où la promotion individuelle prend le pas sur le progrès collectif. L'évitement des établissements considérés comme les plus mal cotés aggrave la relégation scolaire. Le remède a été pire que le mal car, comme à l'habitude, le Gouvernement s'est focalisé sur le symptôme et non sur la maladie. Nous attendons avec impatience un vrai bilan de l'assouplissement de la carte scolaire, qui devait aboutir à sa suppression à la rentrée 2010. Si ce bilan devait confirmer les tendances aujourd'hui observées, je ne doute pas que le Gouvernement fera montre de sagesse en abandonnant ce projet inepte.

Pouvez-vous, monsieur le ministre, transmettre toutes ces interrogations à M. le Président de la République afin qu'il puisse y répondre dans une prochaine conférence de presse ? (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Jean-Pierre Chevènement.  - C'est un fait nouveau que le Président de la République s'exprime lui-même sur le lycée ; et c'est un fait heureux car les 2,2 millions de lycéens sont une partie importante de l'avenir du pays. La réforme qu'il a présentée est ce qui reste du projet de lycée modulaire imaginé par votre prédécesseur, c'est-à-dire pas grand-chose... Je souhaite que la concertation dont vous êtes chargé lui donne la substance qui, aujourd'hui, lui manque.

Je m'étonne que le Président de la République n'ait pas évoqué les besoins du pays, sinon au détour, et comme par raccroc, de la réforme de la section STI. Tandis que les pays asiatiques forment toujours plus d'ingénieurs et de chercheurs, les filières scientifiques de nos universités accueillent de moins en moins d'étudiants. C'est un grave handicap pour la France, qui ne sera pas corrigé. Je souhaite que votre objectif soit de former les citoyens et les producteurs dont a besoin un pays moderne engagé dans la compétition mondiale. Lorsqu'en 1984, j'avais fixé l'objectif d'amener 80 % d'une classe d'âge au niveau du baccalauréat -et non au baccalauréat, madame Morin-Desailly-, lorsque j'avais revalorisé l'enseignement professionnel, je m'étais appuyé sur une étude prospective sur l'état du pays en l'an 2000. C'est ainsi qu'il faut procéder dès qu'on parle de réformer le lycée.

J'ai relevé une autre contradiction dans le discours du Président de la République : il veut préserver l'excellence mais s'indigne du nombre de redoublements ou évoque les 80 000 bacheliers qui n'obtiennent pas de diplôme de l'enseignement supérieur. Veut-il donner le baccalauréat à tout le monde et un diplôme de l'enseignement supérieur à tous les bacheliers ? Il remet en cause les principes mêmes de l'élitisme républicain. Comme le disait Henri Vallon, l'école républicaine a pour but la promotion de tous et la sélection des meilleurs.

La sélection est dans la nature des choses mais elle doit se fonder sur des critères démocratiques. Le Président de la République pointe l'inégalité des chances selon l'origine sociale ; la réduira-t-on par le rabais des exigences ? L'école ne peut à elle seule corriger les inégalités sociales, sauf à prendre le risque de la démagogie et d'un égalitarisme niveleur. Il y faut de l'action politique, une énergie républicaine qu'on ne retrouve pas toujours dans les choix, notamment fiscaux, du Gouvernement.

Il faut certes améliorer l'orientation mais je ne crois pas à une orientation permanente faite de stages passerelles et de remises à niveau pendant les vacances scolaires. Étendre la seconde de détermination à la première risque de casser les filières de deux ans qui permettent un certain approfondissement des matières. Une classe de terminale spécialisée ne suffit pas. Et prélever deux heures sur les horaires de cours pour un soutien alors que baisse le nombre de postes de professeurs, c'est aller vers ce lycée light qu'on a reproché à votre prédécesseur. On ne compensera pas la baisse du nombre de professeurs par le recrutement d'assistants de langues parmi les étudiants étrangers.

Le Président de la République dit vouloir casser la hiérarchie des voies et des séries. L'intention est louable, mais pourquoi faire de la section S un bouc émissaire ? Parce qu'elle a le grave défaut d'attirer les bons élèves ? Je conçois que pour vous, monsieur le ministre, ce soit un casse-tête ! Ce serait plus simple s'il n'y avait que des cancres ! La revalorisation de la section L est une bonne chose, je l'avais moi-même prévue en 1986 avant que mon successeur l'abandonne. Du droit, de l'enseignement culturel et artistique : à la bonne heure ! Mais il y faut des moyens, et on a oublié le grec et le latin qui sont au coeur de notre civilisation. Les langues anciennes devraient être le fondement de la revalorisation. Imagine-t-on un professeur de français qui ne connaîtrait pas le latin ?

M. Adrien Gouteyron.  - Très bien !

M. Jean-Pierre Chevènement.  - La rénovation de la filière technologique n'est abordée qu'au travers de la série « sciences et techniques industrielles » (STI). Vous proposez de réserver des places pour les élèves de cette section dans les IUT et les BTS. Sur quelles bases ? Ne risquez-vous pas de porter atteinte au principe du concours ? Y aura-t-il au moins deux concours séparés ? Sans compter que les IUT sont de moins en moins des formations courtes. Le défi de la formation d'un plus grand nombre d'ingénieurs est crucial ; on ne le relèvera pas grâce à la seule série STI. C'est l'ensemble des filières technologiques et professionnelles qui mérite votre sollicitude. La généralisation du bac pro en trois ans ne suffira pas à revaloriser le lycée professionnel. Il y faut des moyens en hommes et en matériels. Je suis surpris, à ce propos, que le Président de la République ait oublié la région, alors que d'elle dépendent l'investissement et le recrutement des personnels techniques. Il vous faut définir en commun avec les régions un plan ambitieux de développement et de modernisation de ces filières.

Le Président de la République dit souvent une chose et son contraire.

M. le président.  - Il n'est pas le seul !

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Sans doute... Parce qu'il y va de l'avenir de notre jeunesse et du pays tout entier, je souhaite que vous teniez ferme les deux bouts de la chaîne, le souci de la démocratisation et le maintien de l'exigence de qualité. Notre lycée ne marche pas si mal. Il faut le réformer intelligemment. Il est trop simple d'opposer la conquête de l'autonomie à l'encadrement trop pesant dont nous aurions hérité.

Je m'étonne qu'il n'y ait pas un mot dans le discours du Président de la République sur la violence scolaire. Jack Lang a relevé que les propositions de Nicolas Sarkozy s'inscrivent dans le droit fil de ses propres réformes de 1992 et 2000. On ne saurait mieux dire.

La conquête de l'autonomie passe par la conquête du savoir. Les moins favorisés sont les premiers à avoir besoin d'une école structurée, sûre de ses valeurs. Un bon encadrement est la meilleure garantie d'un lycée qui marche, à Clichy-sous-Bois comme à Neuilly.

M. Yvon Collin.  - Très bien !

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Ne vous laissez pas égarer, monsieur le ministre, par des comparaisons statistiques trompeuses. Chaque système éducatif a sa spécificité. Il n'est pas souhaitable de réduire le nombre d'heures de cours au lycée car ce n'est pas en travaillant moins que nos lycéens apprendront mieux ! (Applaudissements à gauche)

M. Yvon Collin.  - Bravo.

M. Gérard Longuet.  - (Applaudissements sur les bancs UMP) Ce débat, souhaité par le président Legendre, répond à la volonté du Président de la République de relancer la réflexion sur le lycée. Le groupe UMP soutient cette démarche et adhère totalement aux propos tenus par M. Carle au nom de la commission.

Je m'attacherai plus particulièrement au sujet de la gouvernance des établissements. L'éducation nationale ne doit pas être une fédération de classes mais un système d'établissements responsables, suivant les élèves pour les conduire vers la réussite selon leur talent et leur implication.

Il faut repenser les rôles du chef d'établissement et du conseil d'administration. Nous sommes nombreux à avoir siégé dans ces conseils d'administration, en tant que représentants des régions : ce sont des réunions pléthoriques, à l'ordre du jour surchargé, qui traitent interminablement de problèmes subalternes et n'abordent que rarement le fond du sujet, à savoir le projet d'établissement et la réussite des élèves. La loi Fillon du 23 avril 2005 permet, dans son article 39, d'expérimenter, à l'instar des lycées agricoles d'État, en réunissant un conseil d'administration plus restreint, ouvert vers la vie professionnelle et les élus, en distinguant la fonction de chef d'établissement de celle de président du conseil d'administration. Envisagez-vous de saisir cette possibilité ?

Si certains lycées ont une tradition, une culture, une histoire parfois ancienne, d'autres, quoique plus récents, ont su trouver leur chemin et leur personnalité. En Lorraine, nous avons certes hérité de lycées anciens dans les grandes métropoles universitaires mais aussi su construire, ailleurs, des établissements capables d'offrir des perspectives nouvelles : à travers un partenariat avec Richard Descoings, directeur de Sciences Po Paris, nous avons été les premiers à offrir aux meilleurs élèves des lycées de courte tradition une possibilité de réussite dans l'enseignement supérieur, et ce grâce à un projet d'établissement. La loi permet l'expérimentation : profitons-en.

Le rôle du proviseur n'est pas celui du directeur d'un établissement privé. A la tête d'un établissement public, il ne choisit ni ses élèves ni ses enseignants. C'est le sens du service public de l'éducation : donner toutes les chances à tous les élèves du bassin de recrutement, sans cette sélection élitiste qui trahit la vocation de l'éducation nationale.

M. Jacques Legendre, président de la commission.  - Très bien !

M. Gérard Longuet.  - Le proviseur doit être responsable de la mise en oeuvre du projet d'établissement. Premier objectif : réfléchir à ce que représente l'établissement dans son environnement humain -qu'il s'agisse d'un lycée de banlieue, d'un lycée napoléonien dans une petite préfecture ou d'un grand lycée parisien, dont il serait absurde de vouloir entraver la performance. Réjouissons-nous, avec M. Chevènement, qu'il y ait d'excellents élèves !

Deuxième objectif : le suivi individualisé des élèves, déjà ouvert par la loi de 2005 pour le primaire et le collège. Il faut sortir de la dialectique entre le maître et sa classe. Le proviseur ne doit pas être une simple interface administrative, qui se contenterait de faire face au harcèlement textuel sans se soucier de pédagogie. Il appartient à l'administration d'aller à la rencontre des élèves, de les suivre, de répondre de manière personnalisée à leurs demandes. La libéralisation de la dotation horaire globale ne va pas à l'encontre de l'égalité ; elle est au service de l'enseignement, qui doit être adapté au profil des élèves, quelle que soit leur origine.

Le lycée prépare à l'insertion professionnelle et à l'enseignement supérieur : il est tourné vers l'avenir. C'est au chef d'établissement d'organiser la coopération avec ce qui vient après, dans le cadre de partenariats, au service de tous les élèves. Pour gérer un livret de compétences, il lui faut suivre les élèves au lycée mais aussi à l'extérieur : connaître leurs activités culturelles, sportives ou associatives permet de mieux cerner leur personnalité.

C'est à la direction de l'établissement de piloter un projet associant toute la communauté éducative. Il faut un capitaine dans le navire : c'est le sens de cette expérimentation. (Applaudissements à droite)

M. Jean-Claude Carle, au nom de la commission.  - Très bien !

M. Ivan Renar.  - Le chef de l'État déplore le sort « scandaleux » réservé à l'éducation culturelle et artistique dans notre système scolaire mais ne met pas en oeuvre les moyens pour y remédier. De nombreuses études démontrent pourtant l'efficacité de l'éducation culturelle et artistique dans la réussite de tous les élèves. L'art apprend à apprendre, développe le potentiel de chaque élève, facilite sa compréhension du monde tout en forgeant son libre arbitre.

J'ai toujours plaidé pour un enseignement de l'histoire des arts à part entière, avec des enseignants spécifiquement formés.

Le ministre de la culture a regretté l'absence d'une agrégation d'histoire de l'art : mais il n'existe même pas de Capes ! En outre, un enseignement de l'histoire des arts ne saurait remplacer la pratique ni le contact direct avec la création et les artistes. Tant mieux si les partenariats avec les institutions culturelles sont systématisés : mais avec quels moyens ? Des metteurs en scène, comédiens, chorégraphes, plasticiens ou musiciens proposent des actions passionnantes. Mais elles nécessitent des financements d'État pérennes, une harmonisation du statut et une rémunération des artistes -or le régime des intermittents est remis en cause...

La démocratisation culturelle est sans cesse à approfondir et le lycée a là un rôle clé à jouer. Face à la standardisation d'une culture marchande mondialisée, l'offre artistique et culturelle publique ne doit plus être réservée à 15 % de la population mais ouverte à tous les citoyens. C'est une question de justice sociale et de respect du droit à la culture. Les retransmissions théâtrales, musicales et lyriques, soit : mais où, quand et dans quelles conditions ? L'État ne va-t-il pas une fois de plus se défausser sur les collectivités locales? De plus, c'est à l'épreuve du feu qu'on se brûle, c'est l'expérience vécue qui fait naître le désir d'art. La retransmission peut être un outil pédagogique mais elle ne se substituera pas à l'irremplaçable émotion de cet « éternel présent » de la représentation, événement unique et insaisissable. Le spectacle vivant, cela se vit.

L'éducation artistique et culturelle demeure la variable d'ajustement des politiques éducatives, alors qu'elle est au centre de la vie, de l'humain, des connaissances ! C'est pourquoi, au lycée, elle ne doit plus être optionnelle ni reposer sur la bonne volonté de quelques professeurs passionnés. Il faut une véritable politique nationale et plus d'État, non « pour diriger l'art mais pour mieux le servir », ainsi que l'a très bien formulé André Malraux. C'est la condition pour que personne n'en soit écarté. Les emplois du temps des lycéens sont déjà bien remplis mais l'éducation artistique leur fera gagner du temps dans le métier de vivre, en développant leur imaginaire, leur intelligence sensible, leur créativité. A diplôme égal, c'est la culture générale et la capacité à symboliser le monde qui fait la différence dans l'obtention d'un emploi. Comme le formule si bien Edgar Morin, « la culture, c'est ce qui relie les savoirs et les féconde ».

La création par France Télévisions d'une vidéothèque en ligne de films classiques à usage des lycées va dans le bon sens, pour former les jeunes à l'image et au tri des informations. Dans l'accès aux connaissances, la dimension humaine, humaniste et humanisante de leur appropriation doit primer sur la technique. Il y a bien sûr urgence à revaloriser les « humanités », d'autant que la lecture est en net recul à l'ère numérique. Mais les filières scientifiques après le baccalauréat sont l'objet d'une désaffection massive ; il est donc indispensable de renforcer la culture scientifique pour tous, de lutter contre l'illettrisme scientifique : sinon, comment peser sur les choix environnementaux, éthiques, sociaux et industriels à venir ? Les sciences et les techniques sont de plus en plus souvent au coeur des grands débats de société -du réchauffement climatique à l'avenir de l'énergie nucléaire. Démocratiser l'accès à la culture scientifique devient un enjeu de citoyenneté.

L'art et la culture sont des armes de construction massive, pour bâtir non pas le meilleur des mondes mais un monde meilleur. La France adhère à l'objectif stratégique de Lisbonne visant à faire de l'Union européenne « l'économie de la connaissance la plus dynamique du monde d'ici 2010 ». Mais les moyens ne suivent pas ! L'intelligence est la première ressource de notre pays... qui l'oublie malheureusement trop souvent. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Jacques Pignard.  - Dernier arrivé dans cette Haute assemblée, je n'en connais pas encore tous les usages. Je monte pour la première fois à la tribune (applaudissements) et si j'ai fait toute ma carrière professionnelle comme enseignant, je ne dispose ici que de six minutes -et j'ai cru comprendre que dans cette classe, pour déborder jusqu'à dix minutes, il faut avoir redoublé déjà plusieurs fois... (Rires)

La petite fiche qui m'a été remise indique que certains éléments de la réforme rendent le groupe centriste « septique » ! Comme la fosse ! S'il fallait trouver une justification pour réhabiliter la filière littéraire, celle-ci suffirait. (Nouveaux rires)

L'ambition de la réforme est d'allier, au lieu d'opposer, l'acquisition d'un socle de culture générale et la légitime ambition d'une orientation personnelle. Cela rend inconséquent tout projet d'orientation prématuré, qui ferait litière de notre patrimoine commun, littérature, géographie, histoire, science des arts -et fréquentation des arts comme le soulignait M. Renar. Comment ne pas souscrire au souhait affiché de ne pas réduire l'excellence à la filière S ? J'ai débuté en enseignant l'histoire aux classes préparatoires, mais j'ai ensuite fait le choix d'enseigner à des STI car je suis devenu maire d'une commune comptant 30 % d'habitants d'origine étrangère et je ne pouvais me résoudre à ce que cette population demeure à l'écart d'un héritage qu'elle souhaitait s'approprier. Je n'ai connu que du bonheur dans cet enseignement.

Rien ne remplacera le couple professeur-élève, sauf à transformer l'éducation nationale en un standard téléphonique : « pour l'histoire, tapez 1 ; pour la littérature, tapez 2 ; pour la géographie, tapez 3 ; pour toute autre information, tapez 4 ; veuillez patienter, un conseiller va vous répondre ». (Sourires) Trop d'élèves ont attendu trop longtemps et ont dû raccrocher. Je parle du professeur enseignant un savoir-faire mais aussi accompagnant -plutôt que « référent »-, soignant les lacunes et le mal-être, innovant sur le plan pédagogique. Votre réforme ne réussira que si les professeurs jouent le jeu et relèvent les défis. Ils ne le pourront que s'ils en ont les moyens. Or, à moyens constants, monsieur le ministre, votre tâche sera difficile. Mais c'est aussi une chance, si vous avez la possibilité de tailler dans l'accessoire pour aller vers l'essentiel, par des redéploiements au sein de votre grande administration. Car il n'est peut-être pas nécessaire de produire quotidiennement des circulaires de cinquante pages, cauchemar des proviseurs. Peut-être pourrait-on réduire ces textes à dix pages, redéployer quarante rédacteurs et apprendre aux dix restants à rédiger en langue vernaculaire, le français, plutôt que dans un volapük intégré qui désespère Billancourt et Neuilly, pour une fois réunis. Revenons à l'essentiel, le professeur, qui ne demandera pas seulement la juste rémunération de son travail mais aussi ce qui faisait cruellement défaut à Pygmalion : la considération.

Je me réjouis de votre démarche pragmatique. Dans ce pays, au XIXe siècle, tous les vingt ans, un régime politique en chassait un autre. Au XXe siècle, tous les dix ans, une réforme de l'éducation en chassait une autre. Vous avez choisi non les grandes enjambées du lièvre mais le pas prudent et mesuré de la tortue, et l'on sait depuis La Fontaine que ce n'est pas la plus mauvaise méthode. Nous souhaitons tous, au groupe centriste, que vous parveniez au but. Encore faut-il vous en donner les moyens, faute de quoi, entre l'ambition et la réalisation, il y aurait non pas une fosse mais un fossé, qui ne manquerait pas de susciter notre scepticisme. (Rires et applaudissements au centre et à droite)

M. Claude Bérit-Débat.  - Réformer le lycée, c'est faire entrer la France dans la société de la connaissance de demain. Nous devons réaffirmer la place des filières technologiques et professionnelles, par lesquelles s'est opérée la démocratisation du lycée. Ces filières ont aussi démontré toute leur utilité et leurs résultats en termes d'insertion dans l'emploi. Il est temps de les pérenniser et les renforcer, d'autant qu'elles souffrent encore d'une stigmatisation infondée. Je regrette que, parmi les mesures annoncées, il y en ait si peu qui leurs soient directement consacrées, alors même que la réforme de la voie générale et technologique vise une diversité sociale accrue.

L'orientation dès la troisième en lycée professionnel ou dès la seconde en filière technologique, qui est réservée aux élèves considérés comme n'étant pas capables de réussir en voie générale, est un outil de sélection sociale. Lorsqu'on évoque le rééquilibrage à réaliser entre les filières, on finit toujours par ne parler que des séries du bac général. On peut certes se féliciter de la volonté affichée de revaloriser le bac littéraire et que l'utilité de la filière économique et sociale ne soit plus remise en cause. Toutefois, ce rééquilibrage se réduit à un jeu de vases communicants de la filière S vers les filières ES et L alors qu'il devrait plutôt se faire entre bac général et bac technologique afin que soient enfin mis en accord les paroles et les actes. Ce ne serait qu'un juste retour des choses au regard du nombre d'élèves concernés : en 2009, parmi les admis au baccalauréat, 90 000 venaient de la série ES mais ils ont été 89 000 à obtenir un bac technologique en filière tertiaire.

Des programmes datant de 1993 doivent assurément être adaptés aux réalités contemporaines. Mais ce ne peut être qu'une étape vers la nécessaire et attendue revalorisation des séries STI.

Un travail pédagogique intense doit être mené pour tordre le cou aux représentations stigmatisantes qui affectent les filières technologiques et professionnelles et pour casser cette spirale de la dépréciation. Ce n'est qu'en changeant les regards sur ces filières que celles-ci pourront obtenir la reconnaissance sociale qui leur est due. Le Président de la République se dit conscient de cette ardente nécessité. Il affirme vouloir faire de ces filières des filières d'exception et un outil de promotion sociale qui récompense le mérite par le travail. Quels moyens seront mobilisés ? Comment revaloriser une filière quand on met en concurrence les filières techniques et professionnelles, notamment depuis que le bac pro peut être obtenu en trois ans ? Est-ce que cela ne va pas conduire à l'intégration des bacs pro en BTS ?

Autre paradoxe : au terme d'une sélection drastique, les IUT recrutent de plus en plus de lycéens ayant un bac général. Du coup, ceux qui ont un bac technologique sont contraints à s'engager dans un premier cycle universitaire où ils connaissent un taux d'échec important. Vous proposez la création d'un parcours débouchant sur les métiers d'ingénieurs et de techniciens pour les sciences et technologies industrielles. Vous proposez aussi que des places soient réservées à ces bacheliers au sein des IUT dans les sections de techniciens supérieurs et que des classes préparatoires leurs soient destinées. Quand ces projets verront-ils le jour ? Comment seront-ils financés ? Quel sera le statut de ces classes préparatoires ? Quelle politique sera conduite par rapport aux IUT ? Si des places doivent être réservées aux bacheliers des filières technologiques, cela suppose qu'il y aura moins de places pour ceux qui ne sont pas issus de ces filières. On entre là dans une logique de gestion de la pénurie alors qu'il vaudrait mieux réfléchir aux causes du succès des IUT.

Et puisque la formation qui y est dispensée est si recherchée, à juste titre, pourquoi ne pas prévoir un plan de création de places supplémentaires en IUT, plutôt que d'en limiter l'accès ? Pourquoi ne pas penser en termes de développement d'une offre de formation au lieu d'appréhender l'éducation nationale comme une administration dont il faudrait systématiquement réduire le nombre de fonctionnaires ?

Le manque d'harmonisation à l'échelon d'un bassin de vie entre les spécialisations offertes dans les lycées et les diplômes des IUT nuit au dynamisme des territoires. Les élèves qui quittent leur région faute de pouvoir trouver, dans les IUT proches de chez eux, les formations qu'ils recherchent n'y retournent que rarement une fois leur diplôme en poche. On ne peut empêcher la mobilité des élèves mais il est regrettable que des territoires voient leurs bons élèves partir alors qu'ils sont une source de dynamisme économique, social et démographique. Élu d'un département rural, je suis d'autant plus sensible à cette problématique que je me bats chaque jour pour entretenir et préserver la vitalité de mon territoire.

Valoriser la voie technologique est une bonne chose. Introduire des enseignements techniques en seconde aussi. On peut également instaurer des passerelles entre les filières. Une orientation « progressive et réversible » est envisagée, afin de reconnaître un droit à l'erreur. Mais a-t-on mesuré la juste place qui doit être celle des filières technologiques et professionnelles ? On voit bien ce que pourraient être les passerelles pour passer de la série ES à la série L ou S. Pour autant, ces passerelles sont-elles adaptables au passage d'une filière technique ou professionnelle à une filière générale, et réciproquement ?

L'apprentissage des langues étrangères et l'accès à la culture seraient renforcés pour les lycéens. Nul ne saurait s'élever contre ces objectifs. Vous avez apparemment entendu l'inquiétude de ceux qui craignaient la disparition des enseignements en arts appliqués dans la filière professionnelle, au risque d'augmenter l'inégalité des chances. Est-on sûr que la mise en place de ces objectifs ne se heurte pas à un principe de réalité ? Il serait excellent que chaque élève soit bilingue à la sortie du lycée mais on peut douter que les besoins en matière linguistique soit les mêmes dans les filières techniques et professionnelles que dans les filières générales.

Si la réforme des lycées se fait à taux d'encadrement constant, on va renforcer les mécanismes de perpétuation des inégalités sociales. Le Président de la République annonce que des liens doivent être noués entre lycées et entreprises, milieux professionnels et enseignement supérieur. C'est vague. Des éclaircissements sont à apporter quant aux modalités de cette rencontre. Il faut veiller à ce que la présence des lycéens en entreprise leur procure un réel bénéfice pédagogique et leur permette de préciser leurs attentes et leurs souhaits vis-à-vis de leur projet professionnel. On ne saurait tolérer que l'entreprise investisse n'importe comment le lycée.

Je me souviens d'une vive polémique, il y a plusieurs années de cela, quand une banque proposait aux élèves de la filière ES des jeux de société dans lesquels ils devaient revêtir le costume d'un trader ! Le lycée est le lycée ; l'entreprise, l'entreprise. Le premier ne doit pas se transformer en succursale ou en pouponnière de la seconde. C'est donc dans un souci de préservation de l'institution éducative que je vous demande de préciser ce que seront ces liens que vous souhaitez encourager entre les entreprises et les lycées.

Nous en sommes tous convaincus, l'enseignement technique et professionnel est un outil de démocratisation des lycées. Il reste cependant encore à préciser comment on en fera l'outil d'ascension sociale qu'il devrait être. Faute de quoi, la réforme des lycées aura manqué son but, une fois de plus. (Applaudissements à gauche)

Mme Françoise Laborde.  - L'école a pour objectif la réussite de chacun. Au coeur de notre socle républicain, elle détermine en grande partie l'avenir de notre jeunesse. La France dispose d'un excellent service public de l'éducation nationale, qui pâtit des arbitrages financiers : les crédits de la mission « Enseignement scolaire » votés dans le budget pour 2009 ont encore une fois été insuffisants.

Vous nous promettez la réforme des lycées, la réforme de l'enseignement professionnel, la réforme des IUFM et du recrutement des enseignants, la refonte de l'école primaire et de l'accueil des jeunes enfants. C'est beau mais il va falloir y mettre la forme et les moyens. Il est impensable de continuer à supprimer des postes comme votre gouvernement s'entête à le faire. Les enseignants absents doivent être remplacés, des accompagnants recrutés et formés, sans oublier des surveillants, des médecins, des infirmières scolaires et des AVS pour la scolarisation d'élèves handicapés.

Le taux élevé d'échecs ou d'abandons des étudiants inscrits en licence suffit à lui seul à expliquer l'extrême urgence du débat consacré au lycée. La réforme de la classe de seconde, proposée à l'automne dernier par votre prédécesseur, avait suscité une levée de boucliers, unanime et justifiée. Vous avez reporté cette réforme bâclée. Lors de la discussion budgétaire, je m'étais émue du dramatique blocage déclenché par la précipitation du Gouvernement. Même si la matière est essentiellement réglementaire, l'intervention du Parlement est devenue nécessaire.

Depuis la crise, une concertation a été lancée sur la réforme du lycée et des missions ont été envoyées sur le terrain. MM. Descoing et Apparu ont chacun remis un rapport sur le sujet. Leurs propositions, parfois concordantes, méritaient d'être retenues : reconnaître le droit à l'erreur et rendre l'orientation plus flexible, rendre les filières moins élitistes, renforcer l'accompagnement des élèves, améliorer l'enseignement des langues vivantes, valoriser la culture et aider les élèves à conquérir leur autonomie.

Le problème de l'orientation est fondamental : elle est presque toujours perçue comme complexe, anxiogène, tardive et cloisonnée. Les filières sont hiérarchisées et prennent insuffisamment en compte l'insertion professionnelle. Les premières victimes de cette culture de la désorientation sont les enfants des milieux les moins favorisés. Il faut introduire plus de souplesse dans l'orientation et mieux informer parents et élèves avant même le collège -car les premiers choix décisifs ont lieu dès la troisième- en leur présentant les différentes voies de formation et leurs débouchés. Les journées de découverte, les rencontres, les stages et tutorats participeront à l'amélioration de l'orientation et, partant, à la réussite de toute une classe d'âge. Un élève souhaitant changer de voie doit être accompagné et conseillé ; il est impératif de multiplier les passerelles entre filières générales et professionnelles et entreprises.

Je m'interroge aussi sur la place consacrée à l'art et à la culture au lycée, qu'il s'agisse des enseignements ou des autres modes de diffusion de l'art. Je voudrais être sûre qu'une réelle concertation aura lieu entre les ministères de la culture et de l'éducation nationale sur la mise en commun des moyens et des programmes : Mme Morin-Dessailly et M. Renar y ont fait allusion et nous y reviendrons la semaine prochaine.

Le sujet est vaste et je forme le voeu que le Parlement reprenne bientôt ce débat, comme l'autorisent nos nouvelles procédures de contrôle. Monsieur le ministre, les grands axes de votre projet ne peuvent que faire l'unanimité : chacun s'accorde à dire qu'une réforme est nécessaire. Mais le Gouvernement y consacrera-t-il les moyens nécessaires d'ici 2010 ? J'en doute, même si j'espère me tromper. Nous aurons l'occasion de le vérifier lors du prochain débat budgétaire. (Applaudissements à gauche et sur les bancs sur RDSE)

Mme Colette Mélot.  - « Comment enseigner quand tout le monde ment ? » La question de Péguy reste d'actualité. Alain Bentolila écrivait en 2007 : « L'enseignement a réussi la massification scolaire mais il a créé des ghettos scolaires et davantage d'illettrisme. (...) Notre école se ment et ment à ses élèves dont les frustrations seront d'autant plus exacerbées que le constat de leur insuffisance aura été déraisonnablement repoussé. » Nier que le lycée est en proie à de grandes difficultés, c'est prendre le risque de voir la dégradation se poursuivre et méconnaître les immenses défis auxquels nos sociétés sont confrontées. Le lycée est une étape cruciale dans la constitution des « hommes en tant qu'hommes », disait Emmanuel Kant ; il a pour mission de former de futurs citoyens.

Ces problèmes concernent d'abord l'organisation des enseignements. Une double hiérarchie s'est installée au fil des années, entre le lycée général et technologique et le lycée professionnel, perçu comme le refuge de jeunes en perdition, et entre les filières de la voie générale, la filière scientifique étant devenue la voie royale d'accès aux formations supérieures sélectives, prisée par les élèves issus des milieux sociaux favorisés. En outre, le système enferme les élèves dans des tuyaux disciplinaires dont il est très difficile de sortir.

L'orientation est une source de stress permanent pour les parents et les élèves. Ces derniers ont l'impression de subir, faute de transparence sur les métiers et les formations qui y mènent. Il ressort des consultations menées auprès des élèves et de leurs parents que l'orientation intervient trop tardivement, qu'elle est prisonnière d'une logique de hiérarchisation des filières et qu'elle ne prend pas en compte l'insertion professionnelle ni la formation tout au long de la vie.

Préparer les élèves à l'insertion professionnelle : tel doit être l'objectif du lycée, trop souvent considéré comme une fin en soi -l'objectif d'emmener 80 % d'une classe d'âge au baccalauréat y est pour quelque chose. La médiocrité de nos lycéens en langues étrangères contraste avec le niveau constaté dans les autres pays d'Europe, alors que la mondialisation impose de maîtriser plusieurs langues : il y va de la compétitivité économique de la France.

Dans les lycées professionnels, le système français engendre la mésestime de soi, les élèves étant convaincus qu'ils ne sont pas assez bons pour entrer au lycée général. Cette dévalorisation sociale est à l'origine d'une grave désaffection pour les filières industrielles qui donnent pourtant accès à des gisements d'emplois massifs.

Quant aux bacheliers généraux, effrayés par l'ampleur des effectifs en premier cycle universitaire, ils se précipitent vers des formations telles que les BTS ou IUT, évinçant les bacheliers technologiques qui y étaient pourtant destinés.

Nous ne pouvons délaisser plus longtemps le lycée, institution symbole de la République. En septembre, une délégation de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication s'est rendue en Finlande, pays qui figure au premier rang des études Pisa de l'OCDE. Son système éducatif est fondé sur un principe d'autonomie et place l'enfant en son coeur. Les résultats sont excellents et la compétitivité de ce petit pays de 5 millions d'habitants est remarquable. Si le système n'est pas transposable, de bonnes idées sont à prendre.

Il faut mener une réflexion d'ensemble sur le système éducatif mais cesser de rêver au grand soir de l'éducation, comme l'a dit M. Descoings. Attachons-nous à améliorer ce qui peut l'être et à réformer par petites touches.

J'entends dire que la réforme est superflue, que tout va bien dans de nombreux lycées. Mais les premiers à réclamer le statu quo sont ceux qui bénéficient de la hiérarchie entre les filières et sont issus de milieux favorisés. M. Descoings a justement fait remarquer que les professeurs sont d'anciens bons élèves...

Gardons à l'esprit les trois objectifs du lycée : la transmission des savoirs selon des parcours diversifiés, la construction de la citoyenneté par le développement de l'esprit critique et le partage d'une culture commune, la préparation à l'insertion professionnelle par la stimulation de l'esprit d'initiative et de la créativité. Pour atteindre ces objectifs ambitieux, trois impératifs s'imposent à nous. Nous devons d'abord rendre le lycée plus juste. L'égalité des chances est au fondement de notre modèle républicain méritocratique et de notre système éducatif depuis l'origine. Mais rares sont les élèves ou les parents qui y croient encore ; l'ascenseur social est en panne. Il faut abolir les hiérarchies entre voies et filières. Tout en maintenant la distinction des voies générale et technologique, il faut rénover cette dernière et faire de la technologie un élément de la culture commune délivrée en seconde. Une plus grande transparence doit s'associer à une volonté politique forte afin d'élargir l'accès des bacheliers technologiques à l'enseignement supérieur. Nous devons aussi mettre fin à la hiérarchie entre les filières de la voie générale. La filière littéraire, délaissée par les élèves, doit devenir une filière de pointe dans le domaine des langues étrangères, et plus de culture scientifique doit y être introduite. En revanche, la série S doit gagner en spécialisation scientifique. Nous éviterons ainsi que les bons littéraires s'inscrivent en filière scientifique pour poursuivre ensuite des études de lettres, de droit, de sciences cognitives ou de commerce.

Afin de donner les mêmes chances de réussite à tous les élèves, le processus d'orientation doit être rendu plus lisible et le choix de chacun doit correspondre à un projet professionnel concret. Il est indispensable de tisser des liens avec des professionnels et des étudiants, afin que ceux-ci viennent faire part aux lycéens de leur expérience, et de permettre à ces derniers de changer de filière s'ils le souhaitent.

N'oublions pas que la mésestime de soi est souvent à l'origine d'une mauvaise orientation : nombreux sont ceux qui, venant d'un milieu défavorisé, se résignent à entrer dans telle ou telle filière par manque d'information ou d'incitation de la part de leurs parents. Donnons à ces jeunes les moyens correspondant à leurs capacités et à leurs ambitions ! Les heures supplémentaires d'accompagnement devraient compenser les inégalités de capital culturel entre les familles.

Le deuxième impératif est de renforcer l'attractivité des lycées et d'éviter que des milliers de jeunes quittent chaque année le système éducatif sans diplôme ni qualification. Comme le disait Philippe Joutard dans son Plaidoyer pour une diversité républicaine, « plus un enseignement devient de masse, plus il doit s'individualiser s'il veut être efficace et attractif ». De nombreux jeunes issus des filières technologiques et professionnelles disent y avoir été conduits par défaut, parce que leurs résultats ne leur permettaient pas de postuler à une filière générale. Faute de transparence, ces jeunes ne savent pas dans quelle formation s'inscrire ni à quel métier se destiner. La mésestime de soi et la dévalorisation sociale complètent le tableau.

Dès lors, il faut rendre plus visibles les structures, tels les lycées professionnels et technologiques, qui offrent des perspectives d'embauche dans des secteurs en pleine croissance comme le génie électrique et l'informatique industrielle, l'informatique et les réseaux télécoms.

Accroître la lisibilité des filières, faire de STI une filière de pointe, offrir une meilleure accessibilité aux BTS et aux IUT, voilà quelques mesures pour renforcer l'attractivité des filières technologiques.

Troisième impératif, rendre le lycée plus performant. Le lycée général ne peut être une fin en soi, il doit préparer l'élève à suivre des études supérieures. Comment prétendre affronter un monde globalisé si nous ne formons pas les chercheurs et les cadres diplômés en nombre suffisant ? Le lycée constitue une étape cruciale dans la formation des jeunes, comme le montre l'exemple finlandais. Ce petit pays est l'un des plus innovants au monde avec un des plus forts taux de brevets. Pour aider tous les jeunes à trouver leur place dans la société, le lycée doit démultiplier les liens de rencontre avec le monde professionnel, notamment, comme le propose Richard Descoings, via les associations d'anciens élèves, et apprendre aux élèves à rédiger une lettre de motivation et un CV. Ensuite, il faut renforcer l'enseignement des langues étrangères. Ne pourrait-on pas imaginer une heure quotidienne d'anglais ou d'une autre langue vivante dans les classes de la seconde à la terminale, comme cela se pratique en Allemagne, prévoir de sous-titrer dans la langue originale certains programmes télévisés et encourager les séjours linguistiques en prévoyant des avantages fiscaux et des bourses au mérite pour les moins favorisés ? Ce serait plus juste que les actuelles déductions fiscales sur les cours privés qui reviennent à financer indirectement ce type d'enseignement et, donc, concourent à la dégradation progressive de notre système éducatif. Dernières propositions, il conviendrait de repenser le rôle des assistants de langues étrangères dans les lycées, de prévoir un jumelage de chaque lycée avec un établissement correspondant en Europe et, bien sûr, utiliser les nouvelles technologies. Enfin, si nous voulons des lycées plus performants, donnons-leur davantage de liberté pédagogique, entre autres dans l'aménagement des heures d'accompagnement pour qu'ils puissent trouver des remèdes adaptés à chaque situation. Ce gain en autonomie serait soumis à évaluation. (M. Adrien Gouteyron approuve) La réforme du lycée offre à la Nation l'occasion unique, explique Benoist Apparu dans son rapport d'information, de renouveler sa confiance aux enseignants et aux chefs d'établissement. (Même mouvement)

Monsieur le ministre, le Président de la République a marqué sa volonté de réformer le lycée et vos propositions vont dans le bon sens : la nouvelle génération, dont aucun membre ne saurait être laissé sur la route, doit faire progresser le niveau de compétitivité de la France. Je tiens à vous assurer du soutien de l'ensemble du groupe UMP dans votre action ! (Applaudissements à droite)

M. Adrien Gouteyron.  - En ce moment d'élaboration de la réforme, je m'en tiendrais à quelques observations concrètes, beaucoup de choses excellentes ayant été dites. Comme nombre d'entre nous, je me suis réjouis que le Président de la République, dans son discours devant le Parlement réuni en Congrès, ait évoqué le dossier du lycée. Reste maintenant à trouver les solutions pour s'engager dans la voie qu'il a fixée avec beaucoup de force.

Parler de la réforme du lycée, monsieur le ministre, c'est dire, d'abord, que vous êtes maintenant au pied du mur ; vous avez, si j'ose dire, la truelle à la main. Dans ce moment, vous avez besoin d'être soutenu et compris, surtout par les enseignants. Ne doutant pas de vos talents de communicant, je suis sûr que vous réussirez à faire passer votre message...

Parler de la réforme du lycée, comme de nombreux orateurs l'ont dit avant moi, c'est aussi évoquer l'avant et l'après-lycée. Le collège unique est très critiqué. Dans le film Entre les murs, que je recommande, on voit un enseignant essayer d'apprendre à une classe de quatrième, sympathique mais peu réceptive, la langue française et, parfois, ses mots les plus simples. Il doit, par exemple, leur expliquer que l'« argenterie » n'est pas un habitant de l'Argentine... L'enseignant s'y prend très bien, avec une méthode qui paraît progressive et sûre. Qu'y a-t-il de commun entre ce travail extraordinaire et le travail des enseignants au lycée ? Rien, si ce n'est la matière. Mais, comme l'a très bien expliqué M. Chevènement, ancien ministre de l'éducation nationale et ministre d'État, il ne faut pas réduire le niveau d'exigence au lycée. (M. Jean-Paul Virapoullé acquiesce) Puisque la méthode et le contenu de l'enseignement diffère, pourquoi ne pas imaginer, comme l'avait proposé Joseph Fontanet il y a quelques années, un corps d'enseignant spécifique pour le premier cycle ? Ce classement ne serait nullement dévalorisant, méprisant ; il s'agit seulement de tenir compte des réalités. Ensuite, 130 000 jeunes environ quittent le collège sans qualification, désarmés pour affronter la vie, tandis qu'après le lycée, 80 000 bacheliers sortent de l'enseignement supérieur sans diplôme. M. Carle a proposé, en tant que rapporteur du projet de loi relatif à la formation professionnelle, que les élèves de 15 ans et plus qui n'ont ni le goût du collège ni les capacités -bien que je n'aime pas le terme, il est utile- puissent être placés en apprentissage tout en maintenant un lien avec l'école. Pourquoi le lycée ne s'occuperait-il pas d'eux ? Je suis convaincu que nous pouvons trouver des formules originales telles que celle-ci.

Parler de la réforme du lycée, c'est enfin évoquer la nécessaire autonomie des établissements. Comme Mme Mélot et M. Longuet, je pense que nous devons avancer sur le chemin difficile de l'autonomie. Difficile, en effet, parce que le terme soulève de nombreuses inquiétudes et que le principe de l'égalité républicaine est aussitôt brandi -j'y suis moi-même attaché. Mais ne peut-on penser que, le lycée préparant au bac et le bac étant un diplôme national, le principe de l'égalité républicaine est suffisamment respecté pour laisser au lycée une autonomie forte dans la préparation de ce diplôme ? Cette philosophie, je le reconnais, est contraire à notre tradition mais l'autonomie, monsieur Chevènement, s'accompagnerait de l'évaluation.

J'en viens aux deux heures d'accompagnement dont vous avez, monsieur le ministre, précisé les contours. C'est un mouvement heureux qui, depuis quelques années, porte à mieux tenir compte des besoins des élèves. Cet accompagnement existe au primaire, en sixième, pour certains élèves de seconde. J'ai noté cependant que l'inspection générale relève, avec M. Mérieu que l'aide aux élèves en difficulté, si elle représente un coup de pouce, ne permet pas de porter remède aux cas les plus difficiles. Sans compter que souvent, dans les établissements, les enseignants, pris dans le carcan des programmes, oublient de faire place à des heures plus individualisées. Avant donc, monsieur le ministre, d'aller trop vite de l'avant, il serait bon d'évaluer le dispositif. Je suis persuadé que c'est là votre intention.

Cette réforme est une chance à ne pas manquer. Sur les grandes orientations, nous sommes presque tous d'accord. La difficulté gît dans les modalités, dans l'action quotidienne. Or, là sont les solutions. La tâche qui est devant vous sera longue et rude et c'est pourquoi nous vous disons notre confiance. (Applaudissements à droite et sur plusieurs bancs au centre)

M. Jean-Paul Virapoullé.  - Ce m'est un grand honneur que d'intervenir sur un sujet aussi vital pour l'avenir de notre pays. Nous fûmes colonies jusqu'en 1946, département depuis. De 1946 à 2009, nous avons franchi des étapes considérables dans le domaine de l'acquisition des connaissances indispensables à la dignité humaine.

Ce débat et le texte sur la réforme qui lui fera suite sont une double occasion pour l'outre-mer. Au comité interministériel sur l'outre-mer, que présidera, le 6 novembre, le Président de la République, l'éducation devrait être le principal sujet. Car, dans nos sociétés qui, soumises à de fortes contraintes, doivent pourtant rejoindre le niveau de compétitivité de la métropole, il n'est pas de développement économique sans capacité d'acquérir des connaissances. Or, les résultats ne sont pas aujourd'hui comparables. Les tests de CM2 font apparaître que 40 % des élèves des DOM ne sont pas au niveau en français, contre 25 % en métropole, la proportion est de 55 % contre 35 % en mathématiques, les retards à l'entrée au collège et au lycée sont supérieurs de 7 à 10 points dans les DOM, où le taux d'échec est très supérieur à la moyenne nationale et où 40 % des élèves quittent le système scolaire sans diplôme -contre 20 % en métropole. Et, cerise sur le gâteau, par défaut d'information et d'orientation, 60 % des bacheliers qui s'engouffrent à l'université échouent la première année.

C'est un drame. Mais nous ne sommes pas là pour pleurer, nous sommes là pour agir.

Le comité interministériel du 6 novembre pourrait être l'occasion de se saisir de l'article 72-4 de la Constitution, qui permet les expérimentations outre-mer. Un exemple. Chez nous, le créole est la langue maternelle, celle du foyer. Quand les enfants arrivent en première année du primaire, ils se trouvent face à des maîtres qui ne les comprennent pas. Or, l'expression orale est la voie royale de l'apprentissage. Bloquez-la, vous le bloquez. C'est pourquoi je crois qu'il faudrait, dans les IUFM outre-mer, régionaliser le contenu des enseignements et le recrutement pour sélectionner, non certes en fonction des origines ou de la couleur de la peau mais de la capacité à manier la langue vernaculaire. Ce serait, de surcroît, une voie de sortie pour nos jeunes diplômés au chômage qui souffrent, pour entrer à l'IUFM, de la concurrence des étudiants de métropole.

Grâce à cet encadrement plus rapproché, les élèves arriveraient plus nombreux en sixième maîtrisant le français, l'écriture et sachant compter, quand aujourd'hui 30 % ne maîtrisent pas ces connaissances de base. Que voulez-vous qu'ils fassent au collège, où on leur apprend l'anglais, l'algèbre, alors qu'ils ne savent pas même lire ? Un élève, qui avait eu une réaction violente, m'a dit : « Ma tête a bloqué. J'avais l'impression d'être en prison », ajoutant que si on lui apprenait un métier, il se sentirait plus capable.

Cet exemple est assez parlant. Une expérimentation devrait pouvoir être menée, outre-mer, sur le collège, pour y introduire plusieurs sections. Nous ne sommes pas tous les mêmes, nos capacités, nos milieux sociaux varient, si bien que certains sont plus doués que d'autres pour être boulangers, maçons, électriciens. Expérimenter l'orientation au collège, ce serait ouvrir à ce que j'appelle le collège de la vocation. De grâce, monsieur le ministre, nous ne prétendons pas que ce puisse être une option pour toute la France mais permettez, outre-mer, que l'on s'essaye à un collège mieux adapté aux réalités sociologiques et culturelles qui sont les nôtres ainsi qu'à la volonté des élèves.

Un primaire permettant de mieux maîtriser les acquis, un collège en trois sections s'ouvrant sur le monde du travail. Et le lycée ? Beaucoup, à la Réunion, estiment que la seconde doit rester générale, avec un programme commun et le module découverte que prévoyait votre prédécesseur, pour ménager une ouverture sur le monde. La première doit elle aussi rester générale si l'on veut éviter de bloquer, dès la fin de la seconde, les élèves dans une filière, en même temps que valoriser la filière littéraire. Et c'est seulement en terminale que se renforcent, dans les spécialisations, les acquis.

Autorisez, monsieur le ministre, une expérimentation outre-mer, pour une meilleure adaptation au contexte, une meilleure utilisation de l'argent public, une meilleure mobilisation des enseignants qui font un travail remarquable. Quand nous aurons une école capable de former les milliers de jeunes qui sont les forces de l'avenir, nous aurons avancé dans la voie de la dignité. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, porte-parole du Gouvernement.  - Je remercie M. Legendre pour l'organisation de ce débat. Il était important, quelques jours après que le Président de la République a eu présenté les grandes orientations de la réforme du lycée, que la représentation nationale s'exprime. D'autant que cette réforme ne passera pas par un texte législatif.

Je remercie les orateurs de leurs propositions constructives, que nous prendrons en considération lorsque nous finaliserons les mesures de réforme.

Il y a quelques jours, j'ai eu l'honneur de conduire la délégation française à la conférence générale de l'Unesco. Ce fut pour moi l'occasion de rappeler que le monde a plus que jamais besoin d'éducation. Dans les pays en voie de développement et les pays émergents, bien sûr, où l'éducation constitue la meilleure réponse dans la lutte contre la misère et les totalitarismes, pour l'apprentissage de la liberté.

Mais dans les pays développés, eux aussi n'ont jamais eu autant besoin d'éducation. Alors que nous traversons une crise majeure, la meilleure des réponses pour nos jeunes, c'est l'investissement dans l'éducation. D'ailleurs, la meilleure arme anti-chômage, c'est le diplôme. Les statistiques montrent qu'un jeune diplômé a cinq fois plus de chances de trouver un emploi qu'un non-diplômé. La réforme du lycée permettra donc d'adapter notre système éducatif aux défis actuels.

Le lycée est un des piliers du système éducatif ; il incarne, en effet, les valeurs de la République, que nous partageons, comme l'égalité des chances, l'accès au savoir pour tous, la récompense du mérite, la capacité à sélectionner l'élite républicaine mais aussi la possibilité pour chacun de trouver une voie à la fin du secondaire. Nous ne ferons bien sûr pas table rase du passé : comme l'a dit M. Legendre, le lycée n'est pas en perdition. En trente ans, il a au contraire réalisé des prouesses. Depuis qu'en 1959, le général de Gaulle a rendu l'instruction obligatoire jusqu'à 16 ans, depuis que le collège unique a été mis en place au milieu des années 1970, le lycée a ouvert grand ses portes en accueillant toute la jeunesse de France. En une génération et demie, nous sommes passés de 25 % d'une classe d'âge au niveau du bac à 65 % ! C'est un exploit.

De même, je ne rougis pas du niveau moyen de nos élèves quand on les compare à celui des autres grands pays développés.

M. Chevènement a dit, à juste titre, que le lycée ne marche pas si mal. J'ajoute, néanmoins, pour les bons. Le lycée aujourd'hui fonctionne bien pour les bons, pour ceux qui ont su faire les bons choix. Pour les autres, il faut améliorer les choses. Et c'est tout le sens de la réflexion menée par Richard Descoings, à la demande du Président de la République, et que nous avons également menée au sein du Gouvernement. Il n'est en effet pas acceptable que 80 000 étudiants échouent en fin de première année : un étudiant sur deux ne passe pas ce cap ! Sans doute leur préparation et leur orientation ne sont-elles pas optimales. Aujourd'hui, les méthodes de travail au lycée et dans le supérieur sont bien trop éloignées les unes des autres. En outre, 50 000 lycéens quittent le système éducatif sans aller jusqu'au baccalauréat. Il faut également tenir compte de tous ceux qui ont quitté l'école à la fin du collège. Bref, chaque année, nous laissons 120 000 de nos jeunes au bord du chemin, sans diplôme, et donc avec bien moins de chances de trouver un emploi que ceux qui en ont un. Aujourd'hui, 22 % des jeunes sont au chômage, soit un des taux les plus élevés au sein des pays développés.

Le lycée garantit-il aujourd'hui l'accès au savoir pour tous ? Un enfant d'ouvrier qui entre en seconde a cinq fois moins de chances qu'un fils de cadre d'accéder trois ans plus tard à une classe préparatoire. Lorsqu'on regarde la sociologie des élèves de sixième, il y a 16 % d'enfants de cadres et 55 % d'enfants d'employés et d'ouvriers. En première année d'université, les chiffres sont inversés ! Cela justifie les mesures que nous vous proposons et qui n'ont pas pour objectif de tout chambouler mais de nous appuyer sur ce qui fonctionne bien pour remédier aux faiblesses du second degré. Pour les identifier, il y a eu une longue période de concertation : Richard Descoings s'est rendu dans plus de soixante-dix lycées et les rectorats ont organisé dans plus de mille lycées de véritables tables rondes entre les élèves, les enseignants et les parents d'élèves. Nous avons ainsi identifié les grands points à améliorer. Le Président de la République a évoqué ces orientations il y a quelques jours et je vais y revenir devant vous.

Comme l'a rappelé M. Gouteyron, il nous reste à définir les modalités de cette réforme. Nous n'avons en effet pas voulu vous présenter une réforme clé en main. C'est pourquoi nous proposons des orientations mais nous laissons une marge pour les discussions que j'ai engagées avec les organisations syndicales et qui vont s'étaler jusqu'à mi-décembre, lorsque je réunirai le Conseil supérieur de l'éducation. Durant cette période, je me rendrai dans les académies pour réunir nos cadres, les proviseurs, les chefs d'établissement, mais aussi les enseignants, les lycéens et leurs parents.

J'en viens aux grands axes de cette réforme. L'orientation est aujourd'hui plus subie que choisie par les élèves qui la vivent comme un couperet, une épreuve. A 14 ans, on n'a pas forcément une vocation. Il est très difficile pour le jeune de se projeter dans le monde adulte et de décider de sa série une bonne fois pour toutes. Il nous faut donc prévoir un système beaucoup plus progressif et réversible. On peut être un élève médiocre à 14 ans et s'accomplir dans les études supérieures à 19 ans ou dans un projet professionnel à 22.

Toute la difficulté -et la grandeur- de notre système éducatif est d'être capable de détecter chez un élève la qualité, le talent pour l'orienter dans telle ou telle filière où il trouvera sa voie. Nous allons donc agir à plusieurs niveaux : les corrections de trajectoire seront dorénavant possibles. Le droit à l'erreur sera reconnu. Si à Noël, un élève n'arrive pas à suivre, il lui sera possible de changer d'orientation. Jusqu'à présent, il ne pouvait que constater son échec et éventuellement redoubler. D'ailleurs, 40 % des élèves qui passent le bac ont redoublé au moins une fois. Est-ce un gage d'efficacité ? Je ne suis pas opposé, par principe, au redoublement, mais il doit rester l'exception. Aujourd'hui, il est trop souvent vécu comme un échec et il ne permet pas une remise en selle et donc une meilleure insertion de l'élève dans une voie qui corresponde à ses aspirations. Les changements de série seront donc possibles mais ils seront encadrés pour ne pas passer non plus à un système de lycée à la carte, de lycée zapping. Les conseils de classe proposeront ces changements de série qui seront rendus possibles grâce à l'harmonisation des disciplines communes aux différentes séries et par la mise en place de stages de remise à niveau pour rattraper les heures de cours qui n'auront pas été effectuées.

Plusieurs d'entre vous ont également évoqué la diversification des voies d'excellence. Aujourd'hui, notre système a ceci d'absurde que hors du lycée général, point de salut et, au sein de la filière générale, hors de la série S, point de salut ! Nous avons institutionnalisé une voie unique menant à l'excellence. Je suis intimement persuadé que plusieurs chemins y mènent.

M. Jean-Claude Carle, au nom de la commission de la culture.  - Très bien !

M. Luc Chatel, ministre.  - Certes, monsieur Chevènement, il ne faut pas casser la filière S qui fonctionne. Mais est-il légitime que 25 % des élèves qui arrivent à l'École normale supérieure rue d'Ulm viennent de la série S ? Construisons donc des voies parallèles qui mènent à l'excellence, revalorisons la filière littéraire en y incorporant davantage de langues.

Vous avez aussi été nombreux à évoquer la filière industrielle avec des débouchés en BTS et en classes préparatoires. Si je souhaite revaloriser la filière STI, c'est parce que les entreprises commencent à manquer d'ingénieurs, d'élèves à bac + 2, à bac + 3 et de bac pro. Les programmes de la filière STI, qui datent d'il y a vingt ans, seront donc adaptés au monde d'aujourd'hui et nous prévoirons des passerelles au sein de cette filière. Aujourd'hui, lorsqu'on a une mention au bac pro, on accède au BTS. Pourquoi ne pas généraliser ce type de parcours pour donner des perspectives aux élèves ? Nous développerons les classes préparatoires pour les élèves venant des filières technologiques, comme cela se fait aujourd'hui pour ceux qui viennent des filières professionnelles.

Il n'y a pas de chemin unique : nous voulons diversifier les voies qui mènent à l'excellence pour permettre une meilleure orientation.

L'orientation est un moment dans la vie des élèves où les inégalités sociales sont les plus criantes. Vos enfants, mes enfants auront la chance d'être accompagnés, d'être aidés à dédramatiser ce qui est souvent vécu comme une épreuve. Mais d'autres ne l'auront pas. C'est pourquoi nous avons proposé une nouvelle mission d'accompagnement et de tutorat. Qui connaît le mieux les élèves, sinon leurs parents et leurs professeurs ? C'est une réponse à ceux qui souhaitent un rapprochement entre les enseignants et le monde de l'entreprise ; elle pourra prendre la forme de visites d'entreprises ou d'interventions au lycée de professionnels, de parents ou d'anciens élèves qui viendront témoigner de leurs parcours. Ces dispositions ne remettent pas en cause ce qui existe en matière d'orientation, une orientation que M. Carle, rapportant la loi récente, a souhaitée plus professionnalisée et mieux organisée. Nous ajoutons de nouveaux services.

J'en viens au fameux saut qualitatif qu'a évoqué M. Longuet, en d'autres termes à l'accompagnement personnalisé. Nous avons en partage les valeurs de la République, nous avons fait des choix différents de ceux d'autres pays en ne transférant pas notre système éducatif à d'autres niveaux de collectivité que l'État. Je suis le ministre de l'éducation nationale et par là, le garant des diplômes nationaux, du recrutement national des enseignants, des programmes nationaux. Tout cela n'est pas négociable. Mais si nous voulons passer du quantitatif au qualitatif, de l'école pour tous à la réussite de chacun, il nous faut prendre en compte la situation de chaque établissement et, en leur sein, celle de chaque élève. C'est pourquoi nous proposons de généraliser un accompagnement personnalisé de deux heures hebdomadaires pour tous les lycéens de la seconde à la terminale. Pour les élèves en difficulté, ce sera du soutien ; pour les autres, un temps pour les tirer vers le haut ou les familiariser avec les méthodes et les rythmes de l'enseignement supérieur. Le Président de la République a été très clair, il ne s'agit pas de baisser la barre pour que tous puissent la franchir. Nous avons choisi d'inclure ces deux heures dans le temps scolaire car il ne serait pas raisonnable de les ajouter à un horaire déjà lourd pour les lycéens, souvent supérieur aux 35 heures de leurs parents.

M. Jean-Claude Carle, au nom de la commission.  - Vous avez raison !

M. Luc Chatel, ministre.  - Ce qui ne veut pas dire que nous allons vers un lycée light ; non pas moins d'enseignement mais mieux d'enseignement. Le contenu de ces deux heures sera adapté à chaque élève.

Cet accompagnement permettra aussi, comme l'ont relevé notamment MM. Longuet et Carle, de donner aux établissements des marges de manoeuvre, une dose supplémentaire d'autonomie. Nous proposons que le contenu des deux heures soit défini par le conseil pédagogique. Si l'on compte les heures de dédoublement, près de 30 % du temps d'enseignement de chaque professeur pourra ainsi être adapté pour tenir compte des priorités de l'établissement et de la diversité des élèves. C'est une réponse à la massification. En offrant ces marges de manoeuvre, j'ai la conviction, monsieur Longuet, que nous confortons la gouvernance des établissements. Peut-on revoir la composition des conseils d'administration en s'inspirant de ce qui s'est fait dans l'enseignement agricole ? Une expérimentation a été rendue possible par la loi Fillon de 2005 mais aucun établissement n'a souhaité la mener. Je le regrette. Je suis prêt à constituer un groupe de travail sur le sujet.

M. Jacques Legendre, président de la commission.  - Il le faut !

M. Luc Chatel, ministre.  - Le lycée doit vivre avec son temps, s'adapter au monde dans lequel il est. L'apprentissage des langues est une obligation pour notre jeunesse, ce qui justifie une mobilisation sans précédent. Il faut généraliser les groupes de niveau, l'utilisation des nouvelles technologies, les échanges avec les établissements étrangers, l'apprentissage de certaines disciplines en langue étrangère.

Aujourd'hui, monsieur Legendre, 300 professeurs enseignent l'arabe à environ 6 500 élèves, deux fois moins qu'il y a vingt cinq ans. Je partage votre conviction : il vaut mieux que cette langue soit enseignée au sein de l'éducation nationale par des professeurs bien formés que dans des organismes ou associations moins regardantes. Si le besoin existe, je suis prêt à ouvrir davantage de postes. (M. Legendre, président de la commission, s'en félicite)

Un lycée qui vit avec son temps, c'est aussi un lycée qui s'ouvre sur le monde de la culture ; c'est encore un lycée qui donne davantage de responsabilités aux lycéens -ils sont demandeurs-, qui les associent aux décisions -pas n'importe lesquelles, bien sûr, il n'est pas question de leur faire rédiger les programmes comme le demandait un de leurs délégués syndicaux... Nous proposons d'abaisser l'âge de la responsabilité associative à 16 ans. Nous voulons valoriser leurs engagements extrascolaires dans un livret de compétences. On peut être un élève moyen et créer un club de théâtre, être champion sportif ou s'engager dans une action caritative.

Reconnaître ces engagements serait un message positif.

Pour répondre à M. Lagauche, je n'ai pas le sentiment de m'en tenir à la périphérie des problèmes. Les deux heures d'accompagnement personnalisé ou encore l'amélioration de notre système d'orientation sont des réponses de fond.

Monsieur Chevènement, j'ai rencontré à deux reprises l'Association des régions de France pour évoquer diverses mesures, notamment en matière d'orientation ou de techniques nouvelles d'enseignement des langues. Là encore, je privilégie la concertation et le travail en amont.

En matière de violence scolaire, l'éducation nationale n'est que le reflet de notre société. Notre plan de réponse à la violence scolaire prévoit trois actions : la mise en place d'un diagnostic systématique dans les établissements, afin de les équiper à la demande ; la formation des chefs d'établissements -une convention a d'ailleurs été signée, avec le ministre de l'intérieur, entre l'École supérieure de l'éducation nationale et l'Institut des hautes études de sécurité intérieure- ; la création d'équipes mobiles de sécurité de vingt à cinquante personnes dans chaque rectorat, pouvant intervenir dans les établissements à l'occasion ou en amont d'une crise.

Madame Laborde, le Président de la République a été clair : la réforme se fera à moyens et à taux d'encadrement constants. Il ne s'agit pas de faire des économies. (Mines dubitatives sur les bancs socialistes) l'éducation nationale demeure le premier budget de l'État ; il augmentera de 1,6 % en 2010, contre 1,2 % pour le budget de l'État. La France investit un point de PIB de plus que la moyenne des pays développés pour son éducation. Nous choisissons de redéployer certains moyens pour répondre aux besoins : ouverture de 500 classes en primaire pour répondre à l'essor de la démographie, création de 600 postes dans les zones urbaines spéciales. Le « toujours plus » n'a jamais eu les résultats escomptés. Le problème n'est pas la quantité mais la qualité : il s'agit de s'adapter à la situation de chaque élève.

M. Jacques Legendre, président de la commission.  - Absolument.

M. Luc Chatel, ministre.  - Il est vrai que notre système de remplacement fonctionne mal. J'ai demandé des propositions à mon directeur des affaires financières pour rendre le système plus réactif, efficace et souple.

La question des handicapés est au coeur de notre politique. Nous avons créé 200 unités pédagogiques d'intégration supplémentaires et 5 000 nouveaux postes d'assistants de vie scolaire, portant à 22 000 le nombre de postes ouverts pour accompagner les 185 000 jeunes -40 % de plus que lors du vote de la loi Handicap en 2005- désormais intégrés dans l'éducation nationale.

M. Gouteyron a soulevé la question de la formation des enseignants, qu'il faut en effet adapter aux nouvelles problématiques. J'ai lancé le chantier de la revalorisation globale de l'accompagnement en matière de ressources humaines et proposé aux partenaires sociaux un nouveau pacte de carrière. Nous revalorisons la fonction d'enseignant dans toutes ses composantes, sur le plan financier -en début de carrière, un jeune enseignant touche 1 400 euros nets- mais aussi en matière de formation tout au long de la vie, car l'enseignant devra s'adapter à différents cas de figure selon les zones et les élèves.

Monsieur Virapoullé, autant je suis partisan des expérimentations outre-mer, autant je ne peux imaginer, dans le cadre d'un département, un système de recrutement à deux vitesses. A moins de transférer la compétence éducation à une collectivité, comme en Nouvelle-Calédonie ou en Polynésie, le diplôme doit rester national afin d'assurer l'égalité sur l'ensemble du territoire. Nous pouvons toutefois imaginer des mesures incitatives pour encourager les jeunes Réunionnais à se tourner vers les métiers de l'enseignement, avec un programme de formation adapté.

Cette réforme consolide notre lycée, dans le respect des principes républicains, mais le rendra plus efficace et plus juste afin qu'il prépare mieux nos jeunes au monde de demain. Il faut passer de l'école pour tous à la réussite de chacun, trouver une solution pour chaque élève à la fin du secondaire : l'excellence pour les meilleurs, mais aussi une place pour tous les autres, dans l'enseignement supérieur ou l'insertion professionnelle. Je vous remercie d'avoir adressé vos encouragements à une réforme ambitieuse. (Applaudissements à droite et au centre)

Organisme extraparlementaire (Nomination)

M. le président.  - La commission de la culture, de l'éducation et de la communication a proposé une candidature pour un organisme extraparlementaire. La Présidence n'a reçu aucune opposition dans le délai d'une heure prévu par l'article 9 du Règlement. En conséquence, cette candidature est ratifiée et je proclame M. Jean-Pierre Leleux, membre du Conseil d'administration de l'institut national de l'audiovisuel. (Applaudissements à droite)

La séance, suspendue à 17 h 55, reprend à 18 h 5.

Jardins d'éveil (Question orale avec débat)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat de Mme Françoise Cartron à Mme la secrétaire d'État chargée de la famille et de la solidarité sur l'expérimentation des jardins d'éveil.

Mme Françoise Cartron, auteur de la question.  - Au printemps dernier, madame la secrétaire d'État, vous annonciez de nouvelles structures d'accueil consacrées aux enfants de 2 ans, les jardins d'éveil ; 8 000 places devaient être créées entre 2008 et 2012. Cette annonce faisait suite aux rapports parlementaires de Mme Tabarot et de nos collègues Mme Papon et M. Martin. Il faut préciser que le Gouvernement et la majorité critiquent vivement la scolarisation des enfants de 2 ans à l'école maternelle...

Mais six mois après l'annonce de la création des jardins d'éveil et deux mois après la rentrée scolaire, où en sommes-nous ? Très peu de places ont été créées, tandis que la scolarisation des enfants de 2 ans devient de plus en plus difficile. Pour l'heure, cette novation a surtout contribué à affaiblir les possibilités d'accueil des plus petits à l'école. Mais, nous l'avons bien compris, il s'agissait précisément de creuser une première brèche dans le modèle français de l'école maternelle.

M. Claude Domeizel.  - Eh oui !

Mme Françoise Cartron, auteur de la question.  - Nous ne pouvons l'accepter. C'est pourquoi j'ai souhaité que nous dressions un premier bilan de l'expérimentation et que nous revenions sur les présupposés idéologiques de cette création. Vous annonciez 8 000 places sur la période 2009-2012 et des jardins d'éveil devaient ouvrir dès cette rentrée. Or dans ma région, l'Aquitaine, aucun n'a encore vu le jour. Ailleurs, les structures mises en place restent très marginales : 300 places environ, semble-t-il. On est loin d'une adhésion enthousiaste. A Paris, la municipalité a vu dans cette initiative une concurrence inacceptable pour l'école maternelle, ne répondant nullement aux besoins de garde des enfants de 2 ans. Dans le même temps, l'académie a encore réduit le nombre de places en maternelle : seulement 327 élèves de 2 ans scolarisés dans la capitale cette année, contre 528 en 2008. C'est pourquoi la municipalité a adopté un voeu pour s'opposer à l'expérimentation des jardins d'éveil, dont les financements incomberaient à la ville. Ce cas n'est pas isolé, de nombreuses collectivités ont la même réaction. Ne tentez pas de caricaturer cette opposition en la présentant comme politique, car des élus de toutes sensibilités partagent ce point de vue.

Le 30 septembre dernier, un collectif baptisé « Pas de bébés à la consigne ! », regroupant une trentaine de syndicats et d'associations familiales et professionnelles, a mis en garde le Gouvernement contre les lacunes de l'accueil des tout-petits en crèche et en maternelle. Les deux principales associations de parents d'élèves regrettent de ne pas avoir été consultées et estiment que la nouvelle structure répond moins bien que l'école maternelle aux besoins des enfants. Cette méfiance s'explique aussi par les incertitudes entourant les jardins d'accueil. Le jardin d'éveil sera-t-il « une structure adaptée aux moins de 3 ans », comme le suggéraient les rapports parlementaires ? Y aura-t-il un aménagement fonctionnel des locaux ? L'espace sera-t-il conçu à l'échelle des petits ? Tout reste flou, ambigu. Vous avez, comme les auteurs des rapports, envisagé des jardins situés dans les locaux mêmes des écoles maternelles. Aujourd'hui, on nous parle d'un adossement aux structures d'accueil collectif existantes.

En prévoyant d'installer le jardin d'éveil au sein même de l'école, vous accréditiez l'idée que les instituteurs n'ont pas à s'occuper des jeunes enfants. Aujourd'hui, les enfants de 2 ans, mais demain, peut-être, ceux de 3, 4 ou 5 ans... Et la scolarisation pré-élémentaire sera finalement remise en cause. Les locaux scolaires sont, dites-vous, inadaptés aux plus jeunes. Mais comment faire mieux avec 23 millions d'euros pour 2009-2012 ? Malheureusement pour vous, l'installation des jardins d'éveil dans les écoles rencontre l'opposition farouche des enseignants et le ministre de l'éducation nationale lui-même s'est finalement prononcé contre. Où allez-vous alors les installer ? Avec quel argent ? Seules les communes les plus riches pourront s'offrir de telles structures : le principe d'égalité est bien chahuté...

En ce qui concerne l'encadrement et les effectifs, on ne perçoit pas non plus l'apport des jardins d'éveil. Les rapports parlementaires mettaient l'accent sur les effectifs trop élevés dans les petites sections de maternelle. Les tout-petits ont certes besoin d'être accueillis dans des structures restreintes, où leur sécurité affective est assurée. Mais ce constat ne disqualifie en rien l'école maternelle. Si les classes sont surchargées, c'est à cause des suppressions de postes. On prive l'école de moyens pour ensuite constater, faussement navré, son échec. Améliorons le taux d'encadrement des classes de 2 et 3 ans et le problème sera résolu ! Du reste, dans les jardins d'éveil, il est prévu deux adultes pour 24 enfants, ce qui n'est guère éloigné des réalités de l'école maternelle.

On nous dit que les jardins d'éveil ne sont pas destinés à concurrencer l'école maternelle pour les plus de 3 ans ; mais les enfants y resteront dix-huit mois, autrement dit jusqu'à 3 ans et demi, âge auquel ils auraient plus de profit à être scolarisés. Le plus grand flou entoure aussi les contenus. Une « préparation à la scolarisation », nous dit-on, avec davantage d'activités libres, mieux adaptées aux enfants de 2 ans. Quelle ignorance de l'enseignement à l'école maternelle, qui tend à la socialisation de l'enfant et au développement de ses capacités intellectuelles ou physiques. La création des jardins d'éveil va de pair avec une mise en cause de l'école maternelle, que reflète parfaitement le rapport de Mme Papon et M. Martin.

Les parents seraient réticents à scolariser les enfants de deux ans.

L'idée de créer les jardins d'éveil s'appuie sur un constat démographique bien réel : de moins en moins d'enfants de 2 à 3 ans sont scolarisés. Dans son rapport sur l'accueil du jeune enfant pour 2008, l'Observatoire national de la petite enfance estime qu'entre les rentrées 2007 et 2008, l'école maternelle française a perdu environ 500 classes et 16 000 élèves. Selon ce même conseil, cette baisse de fréquentation s'expliquerait par la moindre scolarisation des enfants de 2 ans. Seulement 160 000 enfants de moins de 3 ans fréquentaient une école maternelle en 2007-2008, contre 250 000 en 2001. En Aquitaine, le taux de scolarisation des enfants de 2 ans est passé de 35 % en 2000 à 18 %.

De ce constat, faut-il conclure que les familles répugnent à scolariser les enfants de 2 ans ? Non, bien sûr ! Je cite une nouvelle fois le rapport de l'Observatoire national de la petite enfance : «L'accueil des enfants dès 2 ans en maternelle se fait en fonction des places disponibles et dépend fortement des effectifs des enfants âgés de 3 à 5 ans ». En d'autres termes, les enfants de 2 ans sont une variable d'ajustement de la politique de l'éducation. C'est d'ailleurs ainsi que peuvent s'expliquer les très faibles taux de scolarisation des moins de 3 ans dans des départements à forte croissance démographique comme la Seine-Saint-Denis. Les parents souhaitent toujours autant inscrire leurs enfants en maternelle dès 2 ans, particulièrement dans les quartiers défavorisés ; c'est la politique du chiffre menée depuis sept ans qui les en empêche.

L'école serait inadaptée, voire nocive pour les jeunes enfants. Les rapports parlementaires ont largement contribué à répandre cette idée que la scolarisation précoce serait trop contraignante et ne répondrait pas aux besoins de sécurité affective des plus jeunes. J'ai été très choquée par cette affirmation qui va totalement contre ce que j'ai constaté durant des années en tant que directrice d'école maternelle.

Pour plus de sûreté, j'ai tenu à auditionner des spécialistes reconnus de la petite enfance. Mme Agnès Florin, professeur en psychologie de l'enfant et de l'éducation à l'université de Nantes, nous a fourni de nombreuses références à des études longitudinales démontrant les effets positifs de la scolarisation précoce. Les suivis de cohortes menés sur 10 000 enfants par le ministère de l'éducation nationale ainsi que le suivi de 600 enfants de la petite section de maternelle au CM2 par Agnès Florin ont prouvé le bienfait de la scolarisation à 2 ans, notamment en matière d'acquisition du langage et d'accès à la pensée abstraite. L'effet est également positif pour les résultats académiques à moyen terme. C'est encore plus remarquable pour les enfants non francophones, issus de milieux défavorisés. Ces effets positifs sont connus de longue date par les enseignants. C'est pourquoi la loi d'orientation sur l'éducation du 10 juillet 1989 prévoyait que l'accueil en maternelle des enfants de 2 ans serait étendu en priorité aux écoles situées dans un environnement social défavorisé, que ce soit dans les zones urbaines, rurales ou de montagne.

Les études montrent que l'école maternelle ne présente pas de résultats moins bons que ceux des autres modes d'accueil en matière d'attachement et de sécurité affective. En revanche, les études sur le développement de l'enfant démontrent que le changement trop fréquent de structure d'accueil, ce que ne manqueront pas de provoquer les jardins d'éveil, a des effets très négatifs.

Troisième constat du rapport sénatorial : l'accueil des enfants de 2 ans ne requiert pas l'intervention de professeurs des écoles. Nous avons tous en mémoire les propos malheureux de Xavier Darcos : « Est-ce qu'il est vraiment logique, alors que nous sommes si soucieux de la bonne utilisation des crédits de l'État, que nous fassions passer des concours à bac + 5 à des personnes dont la fonction va être essentiellement de faire faire des siestes à des enfants ou de leur changer les couches ? ». (Exclamations indignées à gauche)

M. René-Pierre Signé.  - Scandaleux !

M. le président.  - N'exagérons rien.

Mme Françoise Cartron.  - Cette affirmation caricaturale témoigne d'une double ignorance : des réalités du métier d'enseignant en maternelle et du degré de professionnalisme nécessaire à l'enseignement des tout-petits.

En fait, ces constats biaisés justifiant la création des jardins d'éveil marquent la volonté de désengagement financier de l'État. Dans un rapport de mars 2009, l'Igas prévoit qu'une place en jardin d'éveil reviendrait à environ 7 500 euros par an ; la Cnaf va même jusqu'à 8 600 euros. Or le coût d'un élève de maternelle était estimé à 4 970 euros par an en 2007. Quel intérêt, alors, de créer une structure au contenu flou qui revient plus cher ? C'est que l'État trouve son intérêt dans le bouleversement du mode de financement : il se désengage d'un service public en en faisant assumer la charge aux collectivités et aux usagers.

Les économies générées par les jardins d'éveil seront minimes mais on accroîtra l'incohérence des politiques d'accueil des jeunes enfants. Dans son rapport de 2008 sur l'application de la loi de financement de la sécurité sociale, la Cour des comptes soulignait une « évolution peu cohérente au regard de la bonne utilisation de l'argent public » des deniers consacrés à la garde des jeunes enfants. Elle opposait le coût par enfant de 13 368 euros pour la Paje (prestation accueil jeune enfant) à celui de 4 570 euros pour l'accueil à l'école maternelle. Concernant la scolarisation à 2 ans, la Cour rappelait le Gouvernement à l'ordre : « Quelles que soient les motivations pédagogiques ou financières ayant conduit le ministère de l'éducation nationale à se désengager de la scolarisation des enfants de 2 ans, il conviendrait que les objectifs de l'État soient clairement explicités et que les différents acteurs concernés par la garde des jeunes enfants déterminent conjointement, sous la coordination de l'État, les besoins pour l'avenir et les réponses à apporter ».

Voilà ce qui aurait dû être fait avant la création dans la précipitation de cette nouvelle structure. Celle-ci est tout à fait cohérente avec le reste des politiques menées par ce gouvernement : une déstructuration du service public, avec une volonté idéologique de réduire les coûts. Mais c'est l'avenir des jeunes enfants qui est en jeu. A une école publique gratuite, à l'efficacité reconnue, notamment pour les plus défavorises, vous substituez une structure payante qui ne sera pas accessible à tous.

Cette diversion masque mal les besoins et demandes croissants des familles en matière d'accueil des jeunes enfants. Les places en crèche manquent cruellement partout sur notre territoire. Voilà une première urgence. Aujourd'hui, l'école maternelle peut et doit s'améliorer pour mieux remplir ses missions.

Je voudrais, madame la ministre, obtenir un bilan chiffré des premières créations de jardins d'éveil et des précisions sur le contenu éducatif de cette structure, les modalités d'accueil et d'encadrement qui y seront appliqués ainsi que la formation requise pour les professionnels qui y travailleront. Enfin, je souhaite que vous nous précisiez les financements nécessaires à la création et au fonctionnement de ces nouvelles structures. A qui incomberont-ils ? Quel sera le statut du personnel ?

Tout ceci en ayant en mémoire la phrase prononcée hier à Saint-Dizier par le Président de la République : « Les collectivités territoriales ne peuvent plus continuer à créer plus d'emplois que l'État n'en supprime ». Voilà un bel exemple de travaux pratiques pour nous ! (Applaudissements sur les bancs socialistes, CRC et RDSE)

Mme Muguette Dini.  - Le 11 mai dernier, vous lanciez dans une petite commune de la Marne, madame la ministre, un plan en faveur de la création des jardins d'éveil, un nouveau mode de garde dédié aux enfants de 2 à 3 ans. Je me réjouis d'un tel projet, dont je regrette le lancement tardif : j'avais proposé la création de ces structures, que je nommais « jardins-passerelles », en 2005, lors de l'examen du projet de loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école, une proposition rejetée par le ministre de l'éducation nationale de l'époque. Mais on a toujours tort d'avoir raison trop tôt ! (Exclamations amusées sur de nombreux bancs)

Le jardin d'éveil répond à l'intérêt des 2-3 ans. Il s'agit très clairement d'une structure adaptée à la maturité psychique et physique de cette tranche d'âge charnière, où l'enfant s'avère déjà grand pour la crèche mais encore petit pour l'école maternelle. L'enfant de 2 ans a un très fort besoin de protection, de sécurité que l'école et son mode de fonctionnement ne sont pas équipés pour satisfaire. Toutes les récentes études et les professionnels de la petite enfance s'accordent à dire que la scolarisation précoce du jeune enfant a des conséquences problématiques sur le développement de ce dernier. C'est un point que nous retrouvons dans le rapport très exhaustif de nos collègues, Monique Papon et Pierre Martin.

L'école ne peut pas respecter les rythmes individuels du tout-petit de 2 ans, liés au sommeil, aux repas, à la propreté et à son besoin d'isolement. L'école peut entraver l'acquisition du langage, pourtant essentielle pour le développement de la personnalité et de la structuration des échanges avec autrui. Le langage s'acquiert convenablement par le contact entre l'enfant et un nombre significatif d'adultes, ce qui n'est aucunement le cas dans une salle de 25 enfants pour 2 adultes ! (Exclamations dubitatives à gauche) Le développement cognitif des moins de 3 ans n'est pas celui des apprentissages du type scolaire, un fossé accentué par le fait que les classes mélangent des âges différents. Les petits sont alors sacrifiés aux plus grands.

Le jardin d'éveil correspond davantage aux attentes des parents. Pendant très longtemps, une large partie de la demande de scolarisation à 2 ans a reposé sur un besoin d'assurance des familles, face aux incertitudes de l'avenir. La scolarisation précoce représentait un gage de bon départ dans le parcours scolaire. Les parents savent aujourd'hui qu'il n'en est rien. Le risque est même de provoquer l'inverse. La scolarisation en maternelle des 2-3 ans résulte d'une confrontation entre une offre pauvre et une demande importante en matière de modes de garde.

Le recensement de 1982 avait montré que les solutions adoptées par les parents dépendaient des facteurs suivants : les équipements en structures de garde, les données démographiques locales, les ressources du ménage, les traditions familiales et régionales. Cela se vérifie encore aujourd'hui puisque ce sont les départements ruraux, moins bien dotés en offres de garde que les autres, qui scolarisent le plus les jeunes enfants. Pour les parents, il s'agit donc bien d'une scolarisation par défaut.

A la lecture des sondages, il est clair que la grande majorité des parents sont réticents à l'entrée à l'école dès l'âge de 2 ans.

M. René-Pierre Signé.  - Nous n'avons pas les mêmes !

Mme Muguette Dini.  - Ils plébiscitent la crèche ou les assistantes maternelles.

Le jardin d'éveil pourrait convenir à beaucoup de communes : les élus ont compris l'intérêt que présente ce nouveau mode d'accueil pour les enfants et les familles. Mais les contraintes de personnel et de locaux imposées par le cahier des charges leur paraissent trop importantes. Comment les communes pourront-elles assumer cette nouvelle charge salariale ? (Plusieurs sénateurs socialistes, ainsi que Mme Françoise Laborde, font entendre les mêmes inquiétudes) Peut-on espérer qu'une partie des crédits affectés au personnel de l'éducation nationale en charge des enfants de 2 ans sera versée aux communes ? (M. Serge Lagauche s'amuse de cette supposition) J'avais déjà posé cette question l'an dernier à M. Darcos, lors de la discussion budgétaire, et il m'avait dit non, sans plus de détail.

Vous l'aurez compris : je suis favorable à ces jardins d'éveil.

M. Nicolas About.  - Très bien !

M. René-Pierre Signé.  - Nous l'avions compris, en effet !

Mme Muguette Dini.  - Mais il ne s'agit que d'une réponse parmi d'autres aux besoins de garde des enfants. Il manque à ce jour environ 400 000 places d'accueil ; ce ne sont pas les 8 000 places créées dans les jardins d'éveil d'ici 2012 qui combleront ce déficit.

Si l'on ne veut plus contraindre les parents, particulièrement les mères, à quitter leur emploi pour garder leurs enfants, il faut continuer à développer les crèches, et surtout soutenir les assistantes maternelles. C'est l'une des conclusions auxquelles M. Juilhard a abouti dans son excellent rapport sur l'accueil des jeunes enfants en milieu rural. Le recours à une assistante maternelle est le mode de garde le moins onéreux, tous financeurs compris.

M. René-Pierre Signé.  - Il n'est pas incompatible avec les autres !

Mme Muguette Dini.  - Les regroupements d'assistantes maternelles constituent une véritable innovation, expérimentée de manière très concluante par M. Arthuis en Mayenne. C'est un dispositif encadré juridiquement par l'article 108 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009. Les projets se multiplient, notamment dans le Rhône et dans l'Orne, pour répondre à la demande de parents qui travaillent à temps partiel ou en horaires décalés. Mais la convention type élaborée par la caisse nationale des allocations familiales et validée par vos services, madame la ministre, est un véritable carcan administratif et normatif qui rend impossible tout regroupement futur et risque de tuer ceux qui existent déjà.

M. René-Pierre Signé.  - Dix minutes !

Mme Muguette Dini.  - En période de restriction budgétaire, cette solution d'accueil financièrement abordable pour les collectivités et répondant aux besoins des parents et de leurs jeunes enfants doit être encouragée. Dans le cadre du prochain PLFSS, la commission des affaires sociales proposera, par le biais de son rapporteur M. Lardeux, un amendement autorisant la délégation de l'accueil des enfants au sein de maisons d'assistantes maternelles, que MM. Arthuis, Juilhard, Lambert et moi-même soutiendrons, ainsi que plusieurs autres membres du groupe de l'Union centriste.

Je compte sur vous, madame la ministre, pour que ces modes de garde innovants se développent et vous remercie par avance de vos réponses.

Mon cher collègue, j'ai parlé neuf minutes et vingt quatre secondes ! (Rires et applaudissements au centre et à droite)

M. Jean-Luc Fichet.  - La création des jardins d'éveil est une idée lumineuse qui, sous couleur d'améliorer la prise en charge de nos bambins, vise à transférer des charges d'investissement aux communes déjà exsangues. La loi du 16 juin 1881, défendue par Jules Ferry, définit l'école maternelle publique comme une école gratuite et laïque. Celle du 30 octobre 1886 confirme son rôle de premier niveau de l'école primaire. Si j'ai tenu à rappeler ces faits anciens, c'est parce que nous sommes à un tournant de l'histoire : la suppression de l'école maternelle est en marche. Au niveau national, le taux de scolarisation des enfants de 2 ans est passé de 35,4 % en 2000 à 20,9 % en 2008, à cause de l'insuffisance des créations de postes et de la suppression en deux ans de 670 emplois stagiaires et de 3 000 emplois d'enseignants Rased dans le premier degré. Les enfants sont souvent entre trente et quarante par classe.

Dans l'académie de Rennes, les écoles maternelles ont accueilli 1 145 élèves de moins cette année, dont la moitié dans le Finistère. Cette baisse concerne principalement les enfants de 2 ans dont l'accueil est délibérément limité. Dans mon département, pour la première fois, les enfants de moins de 3 ans n'ont pas été comptabilisés dans les effectifs des maternelles. Ces dernières années, le rectorat faisait savoir que les augmentations d'effectifs en petite section ne conduiraient pas à l'ouverture de classes ; désormais, on craint des fermetures.

Tout le monde est inquiet : les parents, comme en témoigne le succès du collectif des « maternelles en danger » (marques d'ironie à droite) et de la campagne « Touche pas à ma maternelle » de la FCPE, les syndicats d'enseignants et les élus. Près de 700 communes ont voté une motion de soutien au collectif précité. Les zones rurales, moins pourvues d'établissements d'accueil collectif et où l'école maternelle est la solution idéale, sont particulièrement touchées. Mais les maires ne baissent pas les bras : la mairie de Brest organise par exemple, le 28 octobre, une journée sur la scolarisation des moins de 3 ans. Il est grand temps que le Gouvernement entende leur voix !

Ce débat concerne d'abord nos enfants car la scolarisation précoce favorise la réussite scolaire.

Mme Monique Papon.  - Non !

M. Jean-Luc Fichet.  - Mais si : le taux de réussite scolaire élevé en Bretagne s'explique par la présence de nombreux enfants de moins de 3 ans en maternelle.

M. Nicolas About.  - Voilà une affirmation gratuite ! Et la réussite à Polytechnique ?

M. René-Pierre Signé.  - Des enquêtes prouvent ce que dit notre collègue !

M. Jean-Luc Fichet.  - Ce débat concerne aussi les parents, soucieux de l'éducation de leurs enfants. Les mères souhaitent aussi pouvoir continuer à travailler en plaçant leurs enfants en maternelle. En outre, comme le reconnaissait la Cour des comptes le 18 novembre 2008, ce mode de garde est moins coûteux pour les familles que le placement en établissement d'accueil.

Ce débat concerne enfin les collectivités locales, notamment dans les campagnes. Les petites communes ne peuvent pas créer de jardins d'éveil ! Je ne comprends pas, madame la ministre, que vous fermiez les yeux devant la réalité ! Il y a bientôt un an, les élus ont exprimé leur colère à l'occasion de l'assemblée générale de l'AMF. Je vous mets en garde : votre entêtement attise leur colère, comme vous risquez de le constater dans les prochains jours lors d'une nouvelle assemblée. Le premier souci des élus, c'est de garder leurs enfants sur leur territoire. Mais vous les mettez face à un mur, en leur imposant des investissements impossibles et en doublant le coût de l'accueil des enfants, qui passera de 4 500 euros par enfant pour une maternelle à 8 000 euros en moyenne.

En supprimant des places en maternelle pour les moins de 3 ans et en rendant les jardins d'éveil obligatoires, l'État se défausse une nouvelle fois de ses responsabilités sur les communes.

M. René-Pierre Signé.  - Et sur les ménages !

M. Jean-Luc Fichet.  - En effet. Le premier bilan des jardins d'éveil n'est guère encourageant. Cette structure a été mise en place dans la précipitation : aucun bilan des classes passerelles n'a eu lieu. Les jardins d'éveil, payants, ne seront pas accessibles à ceux qui en ont le plus besoin. Faut-il rappeler que l'école est gratuite ? Ce que vous mettez en place, c'est un système concurrentiel qui ne sera pas universel.

Que dire de la formation a minima du personnel d'encadrement ? Quelle est sa mission, son projet éducatif ? Qui en définit le contenu ? Ces questions demeurent sans réponse.

Nous, socialistes, demandons l'ouverture d'une véritable concertation, exigée par tous les acteurs et par la Cour des comptes. Celle-ci n'est pas tendre pour le Gouvernement, estimant que la politique du ministère de l'éducation nationale est « peu cohérente au regard de la bonne utilisation de l'argent public ». Madame la ministre, hormis le souci de faire des économies, quelles sont donc les raisons qui vous poussent à créer ces jardins d'éveil ? Quel service supplémentaire apporteront-ils aux enfants, aux familles et à la dynamique de nos territoires, dont nos enfants sont l'avenir ? (Applaudissements à gauche)

Mme Françoise Laborde.  - A mi-chemin entre la crèche et la maternelle, le jardin d'éveil est destiné à diversifier l'offre de garde proposée aux parents d'enfants âgés de 2 à 3 ans. Les avantages de cette formule sont indéniables : coût inférieur à celui d'une crèche ou d'une assistance maternelle, structure d'accueil qui favorise la socialisation. Il ne s'agit pas de scolariser les enfants mais de les préparer à la vie en société, en leur donnant le choix de leurs activités et en leur apprenant les règles de vie.

Mais ces missions sont précisément celles des crèches municipales et familiales. Vous prévoyez d'ouvrir très bientôt 8 000 places d'accueil en jardin d'éveil à titre expérimental, avec l'objectif global de créer au moins 200 000 places de garde supplémentaires d'ici 2012. Mais 2012, c'est demain ! On ne peut que se féliciter de cette ambition, si du moins le Gouvernement s'en donne les moyens.

La France est aujourd'hui championne d'Europe de la natalité. Les parents ont du mal à trouver un mode de garde pour leurs jeunes enfants et à concilier vie privée et vie professionnelle, que ce soit dans les campagnes ou dans les villes. Tous les ménages sont concernés, particulièrement les plus modestes qui doivent arbitrer entre le besoin de toucher deux revenus et la nécessité de sacrifier un des deux emplois, le plus souvent celui de la femme, pour assurer la garde de l'enfant.

Notre pays manque d'équipements collectifs destinés aux moins de 3 ans.

En 2005, 32 % des enfants de moins de 2 ans étaient accueillis dans un établissement collectif en France, contre 73 % au Danemark et 39 % en Espagne. Il manquerait actuellement de 300 à 400 000 places. Cette pénurie de places contraint les parents qui optent pour le congé parental à le prendre durant trois ans, durée ressentie comme un obstacle dans le monde de l'entreprise. Le congé parental, créé à l'origine pour favoriser l'épanouissement personnel, est désormais vécu comme un choix forcé : selon les chiffres du ministère du travail, un tiers de ses bénéficiaires s'arrête de travailler parce qu'ils n'ont pas trouvé de mode de garde.

Dans ces conditions, le jardin d'éveil apparaît comme une structure particulièrement adaptée pour les enfants entre 2 et 3 ans, la scolarisation des enfants de 2 ans en maternelle restant très conflictuelle en raison du manque de postes d'enseignants. Permettez-moi néanmoins, madame la ministre, de vous faire part des inquiétudes des parents et des élus locaux. Pourquoi favoriser une offre d'accueil concurrente à celle des crèches municipales quand il faudrait, au contraire, développer l'accueil dans leurs sections réservées aux plus grands ? La question du personnel, ensuite, se pose en qualité comme en quantité. Le jardin d'éveil offrirait, presque comme à la maternelle, un adulte pour douze enfants alors que l'on compte un adulte pour cinq ou huit enfants à la crèche. Autre motif d'inquiétude, les jardins d'éveil, parce qu'ils peuvent être rattachés à une maternelle, un centre de loisirs ou une crèche, présenteraient de grandes disparités. En cas de rattachement à une école, n'y a-t-il pas un risque de préscolarisation dans les faits et les esprits, entre autres des parents, créant une nouvelle forme d'élitisme ? Enfin, plus alarmant, la généralisation des jardins d'éveil pourrait remettre en cause la gratuité de la scolarisation précoce, nécessaire aux familles défavorisées, qui concerne 21 % des enfants de 2 ans.

A mes yeux, la généralisation de cette nouvelle structure représente une forme de privatisation de l'école maternelle, un nouveau transfert de compétences aux collectivités territoriales et, au final, un désengagement de l'État qui se soldera par une aggravation des inégalités territoriales. En cette période de crise, un service public d'accueil de la petite enfance gratuit et de qualité est plus que jamais nécessaire.

Madame la ministre, ma question est simple : comment garantirez-vous que les jardins d'éveil ne concurrenceront pas l'école maternelle quand ils peuvent accueillir des enfants de 2 ans pour dix-huit mois ? (Applaudissements à gauche)

M. Nicolas About.  - Bonne question !

Mme Monique Papon.  - Je me réjouis de l'occasion qui nous est donnée aujourd'hui de la création des jardins d'éveil. Je souhaite que ce débat ait lieu dans la sérénité (« Très bien ! » sur les bancs UMP ; exclamations de surprise à gauche) et que nous ayons tous à l'esprit l'intérêt des enfants et de leur famille.

Madame la ministre, je salue l'expérimentation que vous avez lancée sur les jardins d'éveil à l'heure où l'on peut constater ses premières réalisations.

M. René-Pierre Signé.  - Des réalisations, mais pas des réussites !

Mme Monique Papon.  - Au reste, je continue d'être sollicitée par des acteurs qui souhaitent créer cette nouvelle structure d'accueil. Celle-ci ne relève en rien d'une « solution hasardeuse », contrairement à ce qu'a affirmé Mme Françoise Cartron.

Mme Françoise Cartron, auteur de la question.  - Je n'ai pas dit ça !

Mme Monique Papon.  - Pourquoi le groupe de travail sur la scolarisation des jeunes enfants, dont j'étais rapporteur, avait-il proposé sa création pour les enfants de 2 à 3 ans ?

Dans un contexte de pénurie de modes de garde, l'école maternelle, qui remplit un rôle emblématique de passerelle entre la famille et l'école élémentaire en France, a fourni un service aux parents avec la prise en charge des jeunes enfants à partir des années 1960. Ce fait est davantage lié à des conditions historiques -une baisse démographique- qu'à une politique volontariste. De fait, il faut attendre la loi d'orientation sur l'éducation de 1989 pour que l'accueil des enfants de moins de 3 ans à la maternelle, qui se développe dans les années 1970, trouve une traduction législative, limitée d'ailleurs en ce que sa généralisation est rejetée. Mais l'école maternelle s'adresse-t-elle vraiment aux enfants de 2 ans ? Les personnes que le groupe de travail a auditionnées dressent un bilan mitigé d'une scolarisation aussi précoce. Celle-ci semble peu adaptée à l'enfant de 2 ans qui doit passer du stade de grand bébé à celui de petit écolier.

L'enfant de 2 ans a ses propres rythmes. Par exemple, il a souvent besoin de dormir à deux moments de la journée.

M. René-Pierre Signé.  - C'est possible en maternelle !

Mme Monique Papon.  - Certes, cet enfant est curieux mais sa capacité de concentration est faible. De plus, la condition posée à l'entrée en maternelle est que l'enfant soit propre. Or cette acquisition ne doit pas se faire sous la contrainte. Il faut, pour reprendre l'expression de Mme Claire Brisset, ancienne Défenseure des enfants, « respecter le temps du bébé ». En outre, le milieu scolaire ne favorisait pas l'acquisition du langage chez les tout-petits...

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État chargée de la famille et de la solidarité.  - Exact !

Mme Monique Papon.  - ...qui ont besoin d'une relation privilégiée avec un adulte pour entrer dans ce champ d'apprentissage. La maternelle, aux dires des personnes auditionnées, ne semble donc pas adaptée aux enfants de 2 ans tant en raison des effectifs des classes, de l'inadaptation des locaux, du manque de souplesse des horaires que du niveau d'encadrement ou de la formation des personnels. Les enfants scolarisés à 2 ans en tirent-ils un bénéfice scolaire ultérieur ? D'après les études les plus récentes de l'éducation nationale, la scolarisation précoce ne contribue que très marginalement à la réduction des inégalités sociales et à la prévention de l'échec scolaire.

Voilà les raisons qui justifient la création d'une structure adaptée pour les enfants de 2 à 3 ans. Il s'agit également d'accroître l'offre de garde, conformément aux promesses du Président de la République. En effet, les enfants de moins de 3 ans sont d'abord gardés à domicile, puis par une assistance maternelle et, enfin, dans un établissement. D'après une enquête Sofres, menée pour le magazine Parents en 2006, seules 35 % des mères sont favorables à une généralisation de l'accueil des enfants de 2 ans à l'école. Les motivations qui conduisent certains parents à choisir l'école maternelle dès 2 ans sont diverses : objectif de socialisation, perspective d'un bénéfice purement scolaire, insuffisance et coût élevé des modes de garde. Mais l'école maternelle ne saurait en aucun cas pallier un déficit de structures d'accueil. Les parents sont avant tout attachés à une offre diversifiée. Aussi, le groupe de travail a-t-il proposé de constituer un triptyque d'accueil de la petite enfance fondé sur une approche chronologique du temps de l'enfance : destiner en priorité les établissements d'accueil de type crèche collective et familiale aux seuls bébés ; promouvoir de nouvelles structures d'accueil éducatif pour les jeunes enfants âgés de 2 à 3 ans ; assurer une scolarisation réussie des enfants à partir de 3 ans.

En tant que rapporteur du groupe de travail, je souhaite le succès de votre expérimentation, madame le ministre, ainsi que son développement sur l'ensemble du territoire national ! (Applaudissements à droite)

Mme Brigitte Gonthier-Maurin.  - Il y un an, était publié au Sénat un rapport d'information, fruit des travaux du groupe de réflexion sur la scolarisation des jeunes enfants, conduit par Mme Papon et M. Martin, et auquel j'avais participé. Ce rapport, dont j'avais alors dénoncé les conclusions ainsi qu'une partie du constat, préconisait la création de « jardins d'éveil » et, de fait, la fin de la scolarisation des 2 ans. Proposition dans l'air du temps : quelques mois plus tôt, la députée UMP Michèle Tabarot proposait elle aussi de créer des jardins d'éveil. Deux rapports qui apportaient de l'eau au moulin du ministre Xavier Darcos, hostile à la scolarisation des 2 ans. Ses propos sur les enseignants des écoles maternelles avaient traduit, outre du mépris, une profonde méconnaissance de leur travail. Un travail formidable et passionnant dont notre groupe de réflexion sénatorial avait pourtant pu être le témoin privilégié lors de sa visite d'une classe de très petite section à l'école maternelle des Grésillons à Gennevilliers, exemple qui se raréfie, hélas, puisque la scolarisation des 2 ans est en diminution depuis 2000.

C'est dans ce contexte que s'inscrit la décision du Gouvernement d'expérimenter 8 000 places en jardins d'éveil payants à destination des 2-3 ans, dans l'objectif de créer au moins 200 000 offres de garde supplémentaires d'ici à 2012. L'objectif ne cesse d'ailleurs d'être revu à la baisse puisqu'en en 2008, vous annonciez 350 000 places d'ici à 2012. Entre temps, la promesse de campagne de Nicolas Sarkozy de garantir aux parents, d'ici à la fin du quinquennat, un « droit de garde opposable » est passée à la trappe.

Pour justifier la création de cette nouvelle structure, vous parlez de « diversification des solutions d'accueil » qui, pourtant, ne manquent pas : accueil individuel chez les assistantes maternelles, accueil collectif en établissement -crèches traditionnelles, parentales, ou de personnel, haltes-garderies, jardins d'enfants, établissements multi-accueil, crèches familiales, micro-crèches même, créées à titre expérimental en 2007 à destination des zones rurales et pour lesquelles vous avez assoupli les règles d'encadrement en personnel...

Ce qui fait en réalité défaut, ce sont les places manquantes, 200 000 à 400 000 selon les estimations. L'objectif des 75 000 places nouvelles entre 2000 et 2007 n'a pas été atteint et seules 32 280 seront créées d'ici à 2011.

En termes d'encadrement, le jardin d'éveil ne remplira, de surcroît, que des conditions a minima, alors que l'amplitude horaire sera semblable à celle d'un établissement d'accueil du jeune enfant. De fait, la définition du taux d'encadrement est très floue, mentionnant « une fourchette de 8 à 12 enfants pour un adulte, selon les moments de la journée et les coopérations possibles avec d'autres structures d'accueil ». Soit seulement deux adultes pour 24 enfants. Dans les crèches, il est de un adulte pour cinq enfants qui ne marchent pas et un pour huit quand ils marchent. Quid de l'encadrement au moment des repas ? La lettre circulaire évoque, sans plus de précision, que « l'organisation des plannings devra permettre de renforcer le personnel au moment du repas ». Quid des liens avec la PMI ? Tout ceci explique sans doute pourquoi les candidats ne se sont pas bousculés depuis l'appel à candidature lancé en avril.

Cette nouvelle structure, nous dites-vous, doit aussi être une réponse « aux contraintes et aux besoins des parents et des territoires ». En quoi une structure réservée aux seuls 2-3 ans répondra-t-elle aux besoins des parents ? Quand les deux travaillent, le problème du mode de garde ne se pose pas à partir de 2 ans mais dès les premiers mois qui suivent la naissance. En France, les deux tiers des enfants de moins de 6 ans ont deux parents actifs. Parmi ces couples, 36 % des mères travaillent à temps partiel : 23 % d'entre elles souhaiteraient travailler davantage et 13 % sont à temps partiel par manque de places de garde ou parce que c'est trop cher. Et pourquoi créer une nouvelle structure à destination des seuls 2-3 ans alors même que l'école maternelle se fait fort, depuis le début de sa création, d'accueillir ces enfants, du moins si on lui en donne encore les moyens...

Car c'est bien de cela dont il est question. La scolarisation des 2 ans est en chute libre : 35 % en 2000, 18 % en 2008. Cette statistique s'accompagne d'une disparité extrême entre les territoires. Non pas que les parents ne lui soient devenus hostiles, mais les écoles, faute de moyens, de personnels suffisants, de places disponibles, subissent l'effet de la reprise démographique : plus il y a d'enfants de 3 à 5 ans à scolariser, plus l'offre de scolarisation des 2 ans en pâtit. Ce phénomène d'éviction, combiné aux restrictions budgétaires, touche aussi la scolarisation des 3 ans, nés en fin d'année.

La conséquence en est un transfert du financement de cet accueil vers les collectivités territoriales, les caisses d'allocations familiales et les familles. Pour le Gouvernement, et le budget de l'éducation nationale, ce sont autant de postes économisés en maternelle -on évoque le chiffre de 10 000. Cette évolution est pourtant jugée « peu cohérente au regard de la bonne utilisation de l'argent public » par la Cour des comptes, dans son rapport 2008 sur les comptes de la sécurité sociale. En effet, le coût moyen d'un enfant scolarisé en école maternelle est trois fois moins élevé que celui d'un enfant placé en crèche. Pour le jardin d'éveil, le prix de revient annuel ne devrait pas dépasser, en moyenne, 8 000 euros, somme prise en charge par la CAF, le porteur de projet et les familles, en fonction des revenus. Le mouvement de transfert de financement s'amplifie.

Nous sommes là dans une logique purement comptable, guidée par la RGPP. Et la boucle est bouclée, quand on sait qu'il est prévu d'installer les jardins d'éveil dans des « locaux communaux » afin « d'optimiser les moyens existants ». Mais de quels bâtiments parlons-nous sinon de ceux des écoles maternelles ? Les centres de loisirs ? Ils sont souvent installés dans ces écoles. Les crèches familiales gérées par les municipalités ? Elles sont déjà au maximum de leur capacité.

Est-ce à dire que nous verrons des écoles maternelles publiques fermées pour faire place à des jardins d'éveil payants qui ne remplaceront en aucune façon la maternelle, ni même la crèche en matière de besoins éducatifs du petit enfant ? Dans mon département, les Hauts-de-Seine, c'est déjà le cas à Levallois-Perret où la municipalité fut précurseur. Dès 2005, elle a ouvert trois « jardins de découverte », gérés par la caisse des écoles, implantés dans les locaux des centres de loisirs maternelle. Parallèlement, la mairie a annoncé la fermeture d'une école maternelle et la fermeture de deux classes dans une autre. Bilan : une baisse continue du nombre de places et de classes en maternelles publiques, passées de 87 en 2004 à 78 à la rentrée 2009, avec pour conséquence directe une remontée des effectifs dans toutes les écoles.

Enfin, pour justifier la création de ces jardins d'éveil, vous expliquez que l'enfant de 2 ans, qualifié de bébé, n'a pas sa place à l'école maternelle. Vous citez des experts, mais d'autres sont d'avis contraire, qui relèvent les effets positifs de la scolarisation précoce sur la scolarité, même s'ils s'amoindrissent dans le temps. Je crois, pour ma part, que l'accès de la maternelle aux 2 ans doit absolument rester une possibilité offerte aux parents, fonction de la maturité des enfants, du cadre familial... De nombreux travaux ont montré que beaucoup de choses se jouent chez l'enfant entre 2 et 4 ans. C'est une période d'intense activité, d'acquisitions concernant le langage, la pensée logique, de construction de la personnalité, de conscience de soi dans la relation aux autres : un moment propice où peuvent se mettre en place -ou non- des mécanismes, se construire des apprentissages. L'école maternelle a donc un rôle formidable à jouer : c'est là que l'enfant apprend à apprendre, apprend à devenir élève. Et l'on sait l'importance que cela aura dans son devenir scolaire.

Cependant, la question des tout-petits n'est qu'un des éléments de la réflexion concernant la maternelle. Cet outil précieux ne demande qu'à être amélioré pour réduire les inégalités et non fabriquer de l'inégalité scolaire. Il faut tout au contraire relancer l'école maternelle. Ce qui implique de s'interroger sur la question des effectifs, de la classe, des locaux, des rythmes, des pédagogies employées. Ce qui suppose de garantir aux enseignants une formation de haut niveau, spécifique, initiale et continue, en lien avec la recherche. Enfin, il faut assurer la complémentarité avec un service public de la petite enfance de 0 à 2 ans. Ce lien entre les structures d'accueil et les écoles a existé mais il s'amenuise, quand il n'a pas totalement disparu, faute de moyens.

Ce n'est donc pas moins d'école maternelle qu'il faut, mais plus et mieux. (Applaudissements à gauche et sur plusieurs bancs au centre)

M. René-Pierre Signé.  - L'école maternelle était jusqu'alors une école destinée aux enfants entre 2 et 6 ans. Gratuite, elle accueillait 35 % des enfants de 2 ans et la quasi-totalité des enfants de 3 à 6 ans. Depuis, les chiffres se sont dégradés, sans que l'école soit en cause, pour des raisons qui ont été dénoncées. Mais elle reste un élément important du système éducatif français et a pour but d'assurer l'éveil et la socialisation des jeunes enfants.

Dès le XVllle siècle, en 1771, un pasteur vosgien avait crée une « école des commençants » ; ce n'était, sans doute, à cette époque, qu'une garderie. Mais l'idée fût reprise en Angleterre et en France où, sous l'impulsion de Pauline Kergomard, cette structure évolua rapidement dans un sens pédagogique pour prendre, dès 1881, le nom d'écoles maternelles.

Les écoles maternelles sont donc anciennes, elles datent d'avant les écoles primaires et les lois Jules Ferry. Elles furent mixtes, mixité longtemps refusée aux autres lieux d'enseignement, et la nécessité d'un enseignement s'imposa rapidement pour adjoindre à cette garderie un rôle d'éducation et de promotion sociale.

Votre proposition de jardin d'éveil va à contre sens de l'histoire. Le Gouvernement veut pallier la faiblesse de l'offre de garde pour les moins de 3 ans. La France compte à peine un million de places pour 2,4 millions d'enfants. La pénurie d'enseignants, le manque d'intérêt pour la préscolarisation à 2 ans justifient ce projet substitutif à l'école.

Des structures à mi-chemin entre la crèche et l'école, c'est donc l'expérience lancée en cette rentrée 2009. Ces jardins d'éveil, en partie pris en charge par les communes, payantes pour les familles, se posent en concurrentes de l'école maternelle publique, gratuite et égalitaire. Ces jardins d'éveil n'assureront pas l'éveil des enfants. Ce n'est ni dans leur esprit ni dans leur rôle. Ils sonneront le glas de l'école à 2 ans et pire encore puisqu'ils pourront accueillir des enfants jusqu'à 3 ans et demi.

D'autres questions se posent. Hormis les vaticinations sur la surveillance des siestes et le changement des couches, que M. Darcos doit sans nul doute regretter, que peut-on reprocher à l'école maternelle ? La préscolarisation dès l'âge de 2 ans est elle utile ? Des travaux des pédagogues, des pédiatres, des anthropologues qui s'intéressent à l'éveil de l'enfant l'affirment. Or, dans l'évolution de l'enfant, le rôle des familles est évidemment déterminant. L'école maternelle intervient à bon escient pour pallier la carence de l'éducation parentale dans certaines familles qui ne peuvent que peu enseigner car on leur a peu appris. Elle n'y réussit sans doute que partiellement mais elle n'est pas sans mérite ni sans résultat.

Il est parfaitement admis, sauf par quelques détracteurs de la promotion sociale, que le rôle assuré par l'école maternelle est primordial, d'autant que la qualité des enseignants ajoute encore à son excellence. Ce sont les enfants des milieux les plus éloignés de l'école qui seront les premières victimes de cet abandon.

Éveiller le plus tôt possible l'intelligence d'un enfant, savoir l'intéresser à l'acquisition de connaissances nouvelles, ouvrir plus largement sa vision du monde, lui permettre d'exercer précocement son jugement, voire son sens critique, lui créer de nouveaux centres d'intérêt, autant d'actions indispensables et combien nécessaires. L'ensemencement des cerveaux par une pédagogie adaptée est le secret de la réussite non seulement scolaire mais aussi sociale.

Tous les pédagogues et tous les sociologues l'affirment.

L'ascenseur social, si souvent évoqué, qui semble s'être grippé aujourd'hui, ne peut fonctionner qu'à partir de l'école maternelle qui va réduire les inégalités culturelles.

J'en viens aux questions pratiques : l'admission dans ces jardins d'éveil ne sera pas gratuite, de 150 à 400 euros par famille selon les revenus. Que feront les maires, et plus encore ceux des petites communes, qui ont tant de difficulté à gérer crèches et écoles ? Où trouveront-ils des locaux ?

Quels seront les formations ou les diplômes exigés pour les personnels d'encadrement qui doivent avoir au minimum quelques notions dans le domaine éducatif de la petite enfance. Or, tous les CAP ou les Bafa petite enfance, quel que soit leur intérêt, sont assez loin d'atteindre les compétences des enseignants. Le jardin d'éveil, se substituant à l'école maternelle gratuite, oubliant la complémentarité entre école maternelle et école primaire, va mettre en place un fonctionnement a minima, un service au rabais, bien loin des ambitions du service public. En outre, ce projet prévoit un abaissement des normes d'encadrement des enfants qui sont pratiquées actuellement dans les crèches : un adulte pour douze enfants au lieu d'un pour huit. Ces jardins, à mi chemin entre crèche et école, seront donc retirés du système éducatif : il est vrai que suppression du nombre d'enseignants oblige !

La nécessité de créer des structures de garde pour les enfants, pour urgente qu'elle soit, ne doit tout de même pas entraîner la détérioration d'un système éducatif bien rodé. C'est une atteinte grave au premier lieu de socialisation et de préparation encouragée à la réussite sociale. La suppression des petites classes de maternelle et leur remplacement par des jardins d'éveil parait essentiellement guidée par des objectifs financiers puisque le coût est transféré aux familles et aux communes. La scolarisation tardive de certains élèves issus des milieux les plus fragiles augmentera inévitablement l'échec scolaire. Il en résultera un nombre plus élevé d'enfants en difficulté.

La scolarisation des jeunes enfants ne devrait en aucun cas devenir une variable d'ajustement budgétaire, d'autant que le coût par enfant sera plus élevé qu'à l'école maternelle. Le choix de développer des jardins d'éveil est donc illogique et ne se justifie ni socialement ni économiquement. Voilà pourquoi nous sommes en désaccord profond avec vous, madame la ministre. (Applaudissements à gauche)

M. Pierre Martin.  - A l'occasion de cette question orale, je m'associe aux propos de Monique Papon qui étaient emprunts de beaucoup de bons sens. Je souhaite lever certaines ambigüités qui entourent le développement de cette nouvelle formule d'accueil des jeunes enfants

Les travaux du groupe de travail sur la scolarisation des jeunes enfants, dont j'ai été co-rapporteur, ont conduit à proposer la création d'un lieu d'éducation et d'éveil destiné aux enfants de 2 à 3 ans. Nous n'étions pas les seuls à faire cette proposition. Ainsi, Mme Michèle Tabarot, députée, a présenté un rapport sur le développement de l'offre d'accueil de la petite enfance. Partant d'un postulat différent du nôtre, elle a estimé que les modes de garde des enfants de 2 à 3 ans devraient être étendus par la création de jardins d'éveil. En 2001, Mme Ségolène Royal, alors ministre délégué à la famille, à l'enfance et aux personnes handicapées, avait annoncé son intention de créer des jardins d'enfants éducatifs, destinés aux enfants de 2 à 3 ans ! C'est une référence ! (Sourires) Pour ce faire, le Fonds d'aide à l'investissement pour la petite enfance avait été abondé, mais ces structures ne se sont pas développées pour autant.

Il est important d'offrir aux familles des lieux autres que la classe pour l'accueil des moins de 3 ans. Telle est la conviction du groupe de travail sur la scolarisation des jeunes enfants de la commission de la culture et de l'éducation. Je tiens à remercier Mme la ministre de concrétiser la proposition qui avait donné son titre au rapport d'information de notre groupe de travail : « Accueil des jeunes enfants : pour un nouveau service public ».

Permettez-moi de rappeler que notre proposition n'avait pas pour corollaire la remise en cause ou la fin annoncée de l'école maternelle. Nous attribuer une telle intention reviendrait à ne pas prendre en considération la réalité de notre réflexion.

M. René-Pierre Signé.  - C'est la fin de la maternelle à 2 ans !

M. Pierre Martin.  - Nous n'avions pas voulu, au sein de la commission de la culture, engager un débat sur l'école maternelle mais nous nous étions interrogés sur le bien-fondé d'une entrée à 2 ans dans le système scolaire. Le rapport d'information insistait sur la nécessité de « conforter le rôle de première école qui est au coeur de la mission de l'école maternelle ». Comme tous mes concitoyens, je suis profondément attaché à cette forme d'école pré-élémentaire. Cependant, la prise en charge des enfants de 2 à 3 ans ne relève pas de la sphère scolaire. (Mme la ministre approuve) Il convient donc d'élargir, par l'expérimentation, l'accueil des jeunes enfants. Je ne peux ainsi partager la présentation que vous faites, madame Cartron, des jardins d'éveil. Les travaux du groupe de travail sur la scolarisation des jeunes enfants avaient mis en parallèle la création des jardins d'éveil et le principe d'une école maternelle pour tous à partir de 3 ans.

M. René-Pierre Signé.  - L'école maternelle a été créée avant l'école primaire !

M. Pierre Martin.  - Les choses évoluent... Nous veillerons donc à ce que ces jardins d'éveil soient exclusivement réservés aux enfants de 2 à 3 ans.

Nous avions aussi formulé des recommandations concernant l'école maternelle. Dans le cadre de la réforme du recrutement et de la formation des enseignants, nous avions demandé à ce que les compétences nécessaires à l'enseignement en école maternelle soient mieux prises en compte. Le groupe de travail avait insisté sur la formation professionnelle des enseignants des écoles maternelles, souvent jugée insuffisante pour ce niveau d'enseignement. Je me félicite donc que le ministre de l'éducation nationale ait annoncé, dans le cadre des mesures destinées à donner un nouvel élan à l'école maternelle, un plan de formation des enseignants des écoles maternelles.

Les jardins d'éveil doivent être une structure intermédiaire originale entre la crèche et l'école et répondre à un cahier des charges précis. Le groupe de travail a ainsi formulé quelques orientations pour garantir les conditions d'accueil du jeune enfant : un contenu pédagogique, des effectifs réduits, un personnel formé aux spécificités de la petite enfance, une souplesse de fonctionnement, une amplitude horaire.

Nous avions proposé un assouplissement des normes d'encadrement des structures d'accueil du jeune enfant, afin de parvenir à un adulte pour quinze enfants. Cette recommandation avait en effet été émise lors de certaines auditions d'enseignants par le groupe de travail. Il n'existe aucune norme en matière d'effectifs pour l'école maternelle.

De plus, la création des jardins d'éveil permettra de développer l'emploi dans le secteur de la petite enfance en privilégiant le recrutement d'éducateurs de jeunes enfants dont la formation est la plus adaptée à cette tranche d'âge. Les éducateurs de jeunes enfants sont en effet tout à fait à même de proposer des activités autour de la motricité, du jeu et du langage. Nous avions aussi souhaité que la formation de ces éducateurs soit complétée par des rencontres avec les enseignants des écoles maternelles.

J'entends un certain nombre de critiques sur les moyens disponibles pour la mise en oeuvre des jardins d'éveil. Des marges de manoeuvre existent et des communes mais aussi d'autres partenaires de la petite enfance et de l'éducation sont prêts à s'investir dans votre projet, madame la ministre. Nous avions donc envisagé un recensement des locaux vacants, notamment dans les écoles maternelles ou dans les crèches, pour permettre une mise en oeuvre sans constructions supplémentaires et rapide de ces jardins d'éveil.

Certes, les collectivités territoriales sont appelées à être partenaires des jardins d'éveil, mais ne le sont-elles pas déjà des crèches et des écoles maternelles ?

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État.  - Bien sûr !

M. Pierre Martin.  - Les deux acteurs principaux du financement des écoles maternelles sont l'État et les collectivités territoriales. D'ailleurs, la scolarisation actuelle des moins de 3 ans est marquée par de fortes disparités territoriales. Si on veut faire entrer son enfant à l'école maternelle dès 2 ans, il est préférable d'habiter en milieu rural ou dans une ville moyenne, en Bretagne par exemple, plutôt que dans une grande métropole.

Enfin, une proposition me tient vraiment à coeur. Le projet que vous portez aujourd'hui ne peut se concevoir sans un lien privilégié avec l'école maternelle, et donc avec l'éducation nationale. Les univers professionnels vont pouvoir être décloisonnés. La création des jardins d'éveil est menée dans le cadre d'une expérimentation dont nous devrons tirer les conclusions. Nous vous accompagnerons, madame la ministre, dans la mise en oeuvre de ce projet. En tant que rapporteur du groupe de travail sur la scolarisation des jeunes enfants, je souhaite sa réalisation.

Lors de notre mission, notre seul souci a été l'intérêt de l'enfant. Nous l'avons fait en dehors de toute idéologie et nous pensions que c'était une solution et nous espérons que cela devienne, grâce à l'expérimentation, la solution. J'espère que le partenariat mis en place avec l'éducation nationale, les collectivités, les parents et les assistantes maternelles permettra d'innover en faveur des jeunes enfants. (Applaudissements à droite)

M. Claude Bérit-Débat.  - La création des jardins d'éveil illustre les impasses de la politique gouvernementale. Que nous propose-t-on ? D'un point de vue pédagogique, rien, ou si peu. L'ouverture des jardins d'éveil est en effet autorisée sans projet éducatif digne de ce nom. Lorsqu'on veut réellement renforcer l'égalité des chances éducatives entre les enfants, le moins que l'on puisse faire, c'est de se fixer des objectifs pédagogiques précis.

Apparemment, le Gouvernement n'a pas cette conception. Les jardins d'éveil n'ont d'autre but que de substituer à l'école maternelle un mode de garde sans apprentissage. C'est d'autant plus regrettable que la scolarisation en école maternelle a des effets positifs reconnus sur la socialisation des jeunes enfants, notamment de ceux issus de milieux défavorisés.

Tout porte à croire que les jardins d'éveil sont un moyen commode de justifier la réduction du nombre d'enseignants en école maternelle. Il y avait les critères de Maastricht, qu'on ne respecte plus depuis longtemps ; il y a aujourd'hui le dogme gouvernemental du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux. Si l'État fait des économies sur le dos des enseignants et de l'éducation des futurs citoyens, il persiste dans son habitude de les faire payer par les collectivités territoriales. Une place en maternelle coûte en moyenne 4 500 euros, une place en jardin d'éveil 8 000, financée par l'État et la commune respectivement à hauteur de 3 200 et de 2 900 euros, le reste étant à la charge des familles à proportion de leurs moyens. Autrement dit, les communes seront contraintes de supporter de nouvelles dépenses pour financer les économies budgétaires de l'État. Alors que la future réforme des collectivités locales laisse présager mise au pas politique et subordination financière, alors qu'on va supprimer la taxe professionnelle, la création des jardins d'éveil est une véritable provocation. La mécanique est décidément bien rodée. Cette création est d'autant plus inique que les communes font déjà beaucoup pour la petite enfance, elles financent crèches et micro-crèches, haltes garderies, réseaux d'assistantes maternelles, sans compter les maternelles et les écoles primaires, les services de restauration ou les activités périscolaires. Les jardins d'éveil vont les obliger à recruter du personnel, ce qui ne manque pas de sel à l'heure où le Président de la République stigmatise la création de 36 000 postes dans les collectivités locales en 2008.

Une fois de plus, les communes sont prises entre le marteau et l'enclume. Ce qui est d'autant plus insupportable que personne ne comprend l'utilité des jardins d'éveil. En matière d'éducation, l'État devrait être exemplaire ; il ne l'est pas. Puisqu'une expérimentation est en cours, le Gouvernement doit tirer la conclusion qui s'impose : donner à l'éducation nationale les moyens de son ambition, cesser de la considérer comme un coût qu'il faut désormais externaliser à tout prix. (Applaudissements à gauche)

M. Claude Domeizel.  - Élus et parents ne se sont pas précipités sur ces structures bancales et superflues que sont les jardins d'éveil. Mme Cartron a eu raison de souligner qu'ils sont des coquilles vides, de la poudre aux yeux, dont l'objectif est d'ouvrir une brèche dans notre modèle d'école maternelle.

En cinq rentrées, un véritable plan social a touché l'éducation nationale : 52 000 postes ont disparu, plus particulièrement au détriment des enfants de moins de 5 ans. Je veux alerter le gouvernement Sarkozy, pardon, Fillon, sur l'accueil de ces enfants dans les communes rurales. De plus en plus de familles essuient des refus sur des critères d'âge, critères qui sont un vrai casse-tête pour les maires et les directeurs d'école. Les règles s'appliquent aujourd'hui avec une rigueur jamais connue. Sur les 200 communes de mon département des Alpes-de-Haute-Provence, 108 ont une ou plusieurs écoles primaires, 30 un accueil en maternelle. C'est dire que la moitié d'entre elles n'ont pas d'école et que huit sur dix n'ont pas de maternelle. Et ce n'est pas un cas unique.

L'accueil des jeunes enfants est un facteur d'épanouissement pour eux, c'est aussi un élément de l'attractivité des territoires. Vous me direz que les enfants peuvent être scolarisés dans l'école maternelle la plus proche ; mais je doute qu'ils reviendront dans l'école primaire de leur commune de résidence lorsqu'ils auront 6 ans. L'article 113-1 du code de l'éducation dispose qu'« en l'absence d'école et de classe maternelle, les enfants de moins de 5 ans sont admis à l'école élémentaire dans une section enfantine » : rien ne s'oppose à leur accueil dans ces conditions. La pratique est d'ailleurs largement répandue, dans le droit fil de l'article 29 de la loi du 4 février 1995, selon lequel « l'État se doit de garantir une offre d'accès au service public adapté aux caractéristiques des territoires et concourir à leur attractivité et au maintien des équilibres ». Tout est dit. Le durcissement des règles est contraire à l'esprit de cette disposition. Et voilà comment on réduit les effectifs d'enseignants dans le cadre de la RGPP !

Plutôt que vanter les hypothétiques mérites des jardins d'éveil, le Gouvernement ferait mieux de répondre à ses obligations en matière d'accueil des moins de 5 ans, notamment en milieu rural. (Applaudissements à gauche)

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État chargée de la famille et de la solidarité.  - J'ai beaucoup de plaisir à répondre à la question de Mme Cartron. J'étais hier à Stockholm où, dans le cadre de la présidence suédoise, nous avons parlé démographie et diversification des modes de garde. Le taux de natalité en France est de loin le premier de l'Union, s'établissant à 2,08 enfants par femme...

M. Serge Lagauche.  - Grâce aux immigrés !

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État.  - ... contre une moyenne européenne de 1,5. Si notre pays assure le renouvellement de ses générations, ce n'est pas le fruit du hasard ; la France consacre 4,7 % de son PIB -deux fois et demi plus que ses voisins- à la politique familiale, soit 88 milliards d'euros.

Fiscalité, prestations familiales, allocations familiales mais aussi modes d'accueil des jeunes enfants. Les objectifs de Barcelone fixent un seuil de 30 % pour l'accueil des enfants de 3 mois à 3 ans ; nous sommes à 48 %. Pour les enfants de 3 à 6 ans, l'objectif est de 90 % ; nous sommes à 99 % ! (Exclamations à gauche)

Mme Françoise Cartron, auteur de la question.  - Les maternelles !

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État.  - Le Gouvernement et la majorité sont viscéralement attachés à l'école maternelle. Pourquoi n'avoir pas prévu le droit à la scolarité dès 2 ans dans la loi du 10 juillet 1989, quand la gauche était au pouvoir ?

M. René-Pierre Signé.  - Les avancées sont progressives.

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État.  - La loi prévoit la scolarisation à 3 ans, éventuellement 2 ans dans les quartiers défavorisés. Nous avons fait le choix de la diversité des modes d'accueil.

L'excellent rapport de Mme Papon et de M. Martin pose le principe fondateur de l'intérêt supérieur de l'enfant, et donc de la qualité de l'accueil des tout-petits. Un enfant de 2 ans est un bébé. (Protestations sur les bancs socialistes)

Mme Christiane Demontès.  - Ce n'est pas vrai !

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État.  - Certains ne sont pas encore propres.

M. René-Pierre Signé.  - Le dialogue commence in utero !

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État.  - Ne vous en déplaise, nous n'avons nullement l'intention de supprimer l'école maternelle, dont nous sommes fiers : (applaudissements à droite) 99 % des parents font le choix de la maternelle !

M. Claude Bérit-Débat.  - Les chiffres sont têtus.

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État.  - Il s'agit pour nous de répondre aux attentes des parents, des professionnels de la petite enfance, de territoires diversifiés. Moi-même élue d'une circonscription rurale, je suis particulièrement consciente de la nécessité de diversifier les modes d'accueil. Nous avons créé 100 000 places supplémentaires chez les assistantes maternelles (M. Serge Lagauche s'exclame) et, grâce au prochain PLFSS, nous leur accorderons un prêt à taux zéro pour les aider à s'installer, 76 000 places en crèche collective, 4 000 en crèche d'entreprise, 4 500 en crèche hospitalière...

M. René-Pierre Signé.  - Ce n'est pas l'école !

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État.  - Une ligne budgétaire spécifique prévoit 1 500 places dans 215 quartiers prioritaires. A travers la convention d'objectifs et de gestion signée avec la Cnaf, en cette période de crise, nous avons engagé 1,3 milliard pour 200 000 places supplémentaires : c'est une augmentation du Fonds national d'action sociale de 7,5 % par an pendant quatre ans !

M. René-Pierre Signé.  - Ce n'est pas l'école !

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État.  - Les CAF ont déjà reçu 380 dossiers : nous allons donc créer 3 600 places pour répondre notamment aux besoins de ces femmes qui ne peuvent pas répondre à un entretien d'embauche faute de mode de garde ! Bref, le Gouvernement et la majorité agissent pour développer les modes de garde.

La quasi-totalité des rapports des pédopsychiatres démontrent que la préscolarisation n'est pas bonne pour les enfants. (On le conteste à gauche) Les associations familiales sont contre. C'est pourquoi la préscolarisation a reculé !

A la suite du rapport du Sénat, nous avons lancé une expérimentation sur 8 000 places de jardin d'éveil. Le cahier des charges n'a pas trois mois, et déjà des communes se sont engagées : 300 places ont déjà été enregistrées.

M. René-Pierre Signé.  - Ce n'est pas beaucoup.

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État.  - Ces jardins d'éveil -dont le premier a été inauguré dans le Tarn-et-Garonne- accueillent des enfants de 2 à 3 ans, dans de petits modules de 12 à 24 enfants. Le coût pour la collectivité est de 7 500 euros, la participation de la branche famille de 3 200 euros par place en fonctionnement et de 1 100 euros en investissement. Nous participons financièrement à leur mise en place, notamment pour assurer un taux d'encadrement de trois adultes minimum pour 24 enfants -bien plus qu'en maternelle ! Là encore, nous privilégions la qualité de l'encadrement.

M. René-Pierre Signé.  - Ce n'est pas la même qualité !

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État.  - Nous permettons aux élus d'utiliser les locaux disponibles. Dans la Marne, j'ai ainsi inauguré un jardin d'éveil dans un bureau de poste vacant, qui correspondait parfaitement aux besoins ! (On se gausse sur les bancs socialistes)

M. René-Pierre Signé.  - Ce n'est pas possible dans toutes les communes.

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État.  - Lorsque le maire installe le jardin d'éveil dans les locaux du groupe scolaire, tout le monde y gagne : les parents, dont les enfants sont sur un même site, les professionnels de la petite enfance, les élus. Nous apportons qualité, fonctionnalité, mutualisation des moyens et baisse des coûts.

Désengagement de l'État, dites-vous ?

M. René-Pierre Signé.  - C'est vrai !

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État.  - Les communes financent pourtant déjà les places de crèche et l'accueil des jeunes enfants !

M. René-Pierre Signé.  - Mais l'école est gratuite, elle !

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État.  - En disant qu'une place en maternelle coûte moins cher, vous battez en brèche votre propre argument ! Nous mettons plus d'argent dans les jardins d'éveil pour assurer un meilleur accueil des bébés. (Applaudissements à droite)

M. René-Pierre Signé.  - Les familles payent !

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État.  - La pédagogie, dites-vous ? L'encadrement sera assuré par un personnel formé et qualifié. M. Darcos n'a pas manqué de respect aux enseignants en affirmant qu'enseignement et accompagnement de la petite enfance sont deux métiers différents, même s'ils sont complémentaires !

A son entrée en maternelle, un enfant peut maîtriser 200 ou 2 000 mots : tous n'appréhendent pas le vocabulaire de la même façon. J'ai demandé à un professeur de sociolinguistique, M. Bentolila, un projet sur l'apprentissage linguistique, qui sera rendu fin décembre et expérimenté dans les jardins d'éveil. Chaque jardin d'éveil rendra un rapport d'activité annuel.

J'ai mis en place en amont un comité de pilotage, beaucoup consulté ; j'ai moi-même reçu les syndicats d'enseignants. Pour éviter tout amalgame, j'ai souhaité qu'il n'y ait aucun rapport, même technique, entre les jardins d'éveil et l'éducation nationale.

Et pourtant, les syndicats qui, au début, exprimaient des craintes m'ont finalement demandé si des partenariats étaient envisageables ! Après un an, et à condition que le jardin d'éveil le souhaite, des activités communes pourront être organisées avec l'école maternelle voisine...

M. René-Pierre Signé.  - C'est reconnaître l'importance de l'école !

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État.  - ...mais il faut attendre les premiers bilans pour envisager ces conventions.

Je voulais vous rassurer...

M. Claude Bérit-Débat et Mme Brigitte Gonthier-Maurin.  - Vous n'y êtes pas parvenue !

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État.  - Il est trop tôt pour établir un bilan, mais je vous renvoie à la méthodologie, que j'ai rédigée avec un soin extrême. Allez sur le terrain... (Protestations à gauche)

M. Claude Domeizel.  - Nous en venons !

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État.  - ... là où existent déjà des jardins d'éveil.

M. René-Pierre Signé.  - Ils sont rares.

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État.  - Allez dans le Tarn-et-Garonne, à Nègrepelisse, commune plutôt de gauche, et à Caussade, commune plutôt de droite, dans le département dirigé par M. Baylet : cette synthèse vous convaincra ! (Applaudissements à droite)

M. Claude Domeizel.  - Vous dites que 99 % des enfants de 3 à 6 ans sont scolarisés : je suis moi aussi sur le terrain, mais il semble que nous ne rencontrons pas les mêmes gens ! Concernant les financements, vous évoquez les collectivités, les familles et « nous » : je crois que vous confondez le budget de l'État et celui de la CAF. C'est la caisse qui finance, pas l'État.

Mme Françoise Laborde.  - Je suis perplexe. Nous nous jetons des rapports et des chiffres à la figure : il serait bon que nous puissions disposer des mêmes documents... J'ai été enseignante en maternelle et directrice d'école en petite section ; je suis partagée. M. Bentolila, dans un stage auquel je participais, faisait remarquer que le langage s'apprend entre pairs ; les enfants qui parlent mieux aident ceux qui s'expriment moins bien.

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État.  - Il serait sans doute préférable que nous disposions tous des mêmes informations mais il existe une telle diversité de littérature et d'études dans notre démocratie que la chose, à mon avis, ne se produira jamais.

Monsieur Collin, invitez vos collègues dans votre département, emmenez-les à Nègrepelisse et à Caussade, ils verront des jardins d'éveil qui fonctionnent !

Mme Françoise Cartron.  - Madame la ministre, je vous invite en retour dans une école maternelle de ZEP qui accueille les enfants de 2 ans et demi. Je ne suis pas favorable à la scolarisation de tous les enfants de 2 ans mais dans certains cas, c'est une bonne réponse.

La séance est suspendue à 20 h 5.

présidence de M. Jean-Léonce Dupont,vice-président

La séance reprend à 21 h 45.

Conférence des Présidents

M. le président.  - Voici les conclusions de la conférence des présidents.

JEUDI 22 OCTOBRE 2009

A 9 heures 30 :

- Question orale avec débat du groupe de l'Union centriste sur le contrôle parlementaire de l'action du Fonds stratégique d'investissement.

A 15 heures :

- Questions d'actualité au Gouvernement.

- Débat européen de suivi des positions européennes du Sénat.

- Débat sur les prélèvements obligatoires.

Semaine d'initiative sénatoriale

MARDI 27 OCTOBRE 2009

A 9 heures 30 :

- Dix-huit questions orales.

A 14 heures 30 :

- Déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, préalable au Conseil européen des 29 et 30 octobre 2009.

De 17 heures à 17 heures 45 :

- Questions cribles thématiques sur l'immigration.

A 17 heures 45 et, éventuellement, le soir :

- Proposition de loi du groupe du RDSE relative au service civique.

MERCREDI 28 OCTOBRE 2009

Ordre du jour réservé au groupe UMP :

A 14 heures 30 :

- Proposition de loi de M. Philippe Marini relative à la réglementation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques.

JEUDI 29 OCTOBRE 2009

Ordre du jour réservé aux groupes de l'opposition et aux groupes minoritaires :

A 9 heures :

Ordre du jour réservé au groupe socialiste :

- Proposition de résolution européenne relative aux exigences de fonds propres pour le portefeuille de négociation et pour les retitrisations et la surveillance prudentielle des rémunérations.

- Proposition de loi relative au financement des régimes d'assurance vieillesse des fonctions publiques hospitalière et territoriale.

A 15 heures :

Ordre du jour réservé au groupe de l'Union centriste :

- Question orale avec débat de Mme Catherine Morin-Desailly sur la décentralisation des enseignements artistiques.

- Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative aux recherches sur la personne.

Semaines réservées par priorité au Gouvernement

LUNDI 2 NOVEMBRE 2009

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

A 16 heures et le soir :

- Sous réserve de leur dépôt, conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires et guidés et portant diverses dispositions relatives aux transports.

- Projet de loi relatif à l'entreprise publique La Poste et aux activités postales.

MARDI 3 NOVEMBRE 2009

A 9 heures 30 :

- Dix-huit questions orales.

A 14 heures 30 et le soir :

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

- Suite du projet de loi relatif à l'entreprise publique La Poste et aux activités postales.

MERCREDI 4 NOVEMBRE 2009

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

A 9 heures 30, 14 heures 30 et le soir :

- Suite du projet de loi relatif à l'entreprise publique La Poste et aux activités postales.

JEUDI 5 NOVEMBRE 2009

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

A 9 heures 30 :

- Suite du projet de loi relatif à l'entreprise publique La Poste et aux activités postales.

A 15 heures et le soir :

- Questions d'actualité au Gouvernement.

- Suite du projet de loi relatif à l'entreprise publique La Poste et aux activités postales.

Éventuellement, VENDREDI 6 NOVEMBRE 2009

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

A 9 heures 30, à 15 heures et le soir :

- Suite du projet de loi relatif à l'entreprise publique La Poste et aux activités postales.

LUNDI 9 NOVEMBRE 2009

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

A 11 heures, à 15 heures et le soir :

- Sous réserve de sa transmission, projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010.

MARDI 10 NOVEMBRE 2009

A 9 heures 30 :

- Dix-huit questions orales.

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

A 14 heures 30 et le soir :

- Suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010.

JEUDI 12 NOVEMBRE 2009

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

A 9 heures 30, à 15 heures et le soir :

- Suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010.

VENDREDI 13 NOVEMBRE 2009

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

A 9 heures 30, à 15 heures et le soir :

- Suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010.

Éventuellement, SAMEDI 14 NOVEMBRE 2009

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

A 9 heures 30 à 15 heures et le soir :

- Suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010.

Semaine sénatoriale

LUNDI 16 NOVEMBRE 2009

Ordre du jour fixé par le Sénat :

A 15 heures :

- Question orale avec débat du groupe CRC-SPG sur la numérisation des bibliothèques à la demande.

- Proposition de loi organique présentée par MM. Louis-Constant Fleming, Jean-Paul Virapoullé et Mme Lucette Michaux-Chevry  modifiant le livre III de la sixième partie du code général des collectivités territoriales relatif à Saint-Martin.

- Proposition de loi organique présentée par M. Michel Magras tendant à permettre à Saint-Barthélemy d'imposer les revenus de source locale des personnes établies depuis moins de cinq ans.

MARDI 17 NOVEMBRE 2009

A 14 heures 30 :

Ordre du jour réservé au groupe socialiste :

- Proposition de loi relative à la lutte contre le logement vacant et à la solidarité nationale pour le logement.

- Proposition de loi visant à réguler la concentration dans le secteur des médias.

De 17 heures à 17 heures 45 :

- Questions cribles thématiques sur les collectivités territoriales.

A 17 heures 45 :

Suite de l'ordre du jour réservé au groupe socialiste :

- Suite de l'ordre du jour du début d'après-midi.

MERCREDI 18 NOVEMBRE 2009

A 14 heures 30 :

Ordre du jour réservé au groupe RDSE :

- Proposition de loi tendant à interdire ou à réglementer le cumul des fonctions et des rémunérations de dirigeant d'une entreprise du secteur public et d'une entreprise du secteur privé.

A 18 heures 30 et le soir :

Ordre du jour réservé au groupe UMP :

- Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d'une mission de service public.

DU JEUDI 19 NOVEMBRE

AU MARDI 8 DÉCEMBRE 2009

- Sous réserve de sa transmission, projet de loi de finances pour 2010.

M. le Président du Sénat prononcera l'éloge funèbre d'André Lejeune le mercredi 24 novembre à 14 heures 30.

L'ordre du jour est ainsi réglé.

Constitution d'une mission d'information (Mal-être au travail)

M. le président.  - Par lettre du 7 octobre, Mme Dini, présidente de la commission des affaires sociales, a fait part à M. le président du Sénat de son souhait de constituer une mission d'information sur le mal-être au travail.

La Conférence des Présidents a décidé de soumettre cette demande au Sénat, sous réserve de la prochaine réunion du Bureau qui doit en débattre conformément à notre Règlement.

Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales.  - Le mal-être au travail préoccupait notre commission bien avant que les événements douloureux survenus au sein de France Télécom ne lui confèrent une actualité dramatique. Nous avons inscrit en janvier à notre programme de travail l'objectif de conduire une réflexion dans le cadre d'un groupe de travail, mais l'énergie et le temps que nous avons dû mobiliser pour mener à bien la loi Hôpital, santé, patients et territoire ne nous en ont pas laissé l'occasion.

C'est pourquoi, après avoir auditionné le président Didier Lombard, notre commission sollicite désormais l'autorisation de constituer une mission d'information en son sein.

Conformément à l'article 21 de notre Règlement, cette demande a été adressée au Bureau du Sénat, qui se réunira fin novembre, mais nous souhaitions la constituer rapidement. La Conférence des Présidents de ce soir a bien voulu en accepter le principe.

Cette mission comportera 19 membres désignés, comme c'est la règle, à la proportionnelle des groupes.

Je solliciterai dès demain les présidents de groupe afin de former cette mission, de nommer son bureau et d'élaborer un programme de travail, qui devrait commencer dès la mi-novembre.

La création de la mission d'information est autorisée.

Débat sur les pôles d'excellence rurale

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat sur les pôles d'excellence rurale.

M. Rémy Pointereau, auteur du rapport d'information.  - Le 23 juin, M. Jean Boyer nous a permis de faire ici un point d'étape sur les pôles d'excellence rurale (PER). Nous avons alors évoqué les initiatives qu'ils ont cristallisées, ainsi que leur effet d'entraînement sur les territoires. J'ai pu dire à cette occasion tout le bien que je pensais de cette politique rurale. Le même jour, le Gouvernement s'est enrichi du premier ministère spécifiquement dédié à l'espace rural et à l'aménagement du territoire. Son titulaire était issu du Sénat : c'était vous, monsieur le ministre.

Aujourd'hui, je regrette que notre débat important se déroule à une heure tardive et qu'il subisse la concurrence déloyale d'un match de foot. (Sourires)

Mais nous nous réjouissons que le Gouvernement ait organisé les Assises des territoires ruraux, dans le but de favoriser leur attractivité mais aussi de satisfaire les besoins des habitants, notamment pour l'accès aux services et aux commerces. Les PER y contribuent.

La ruralité d'aujourd'hui est multiple. Bien sûr, le monde agricole donne à la France rurale son attrait unique en Europe. N'oublions pas qu'il est pris aujourd'hui en ciseaux entre la chute des cours et la hausse des charges. Mais les espaces ruraux sont également constitués par une multitude de PME, de commerces de proximité et de nouvelles populations qui veulent disposer des mêmes services qu'en ville. L'animation de ces territoires exige une réactivité particulière des élus. Nous avons entendu avec satisfaction le Premier ministre annoncer le lancement d'un nouvel appel à projets de pôles d'excellence rurale. Cette initiative rejoint les conclusions auxquelles est parvenue votre commission de l'économie à l'issue des réflexions du groupe de travail sur les PER, que j'ai présidé pendant six mois.

Notre groupe de travail a été constitué en février à l'initiative du président de la commission.

Nous avons reçu les ministres, M. Falco, puis M. Mercier, ainsi que le délégué interministériel à l'aménagement et à la compétitivité du territoire, M. Dartout, qu'il faut de nouveau appeler le Datar puisque vous avez rendu à la délégation son nom historique, ce dont je me félicite. Nous avons également écouté les principales organisations concernées au plan national par les PER, comme l'Association des communautés de communes de France, l'Association des pays et l'Agence de services et de paiements, autrefois Cnasea.

Sur le plan local, nous nous sommes rendus, avec M. Gérard Cornu, dans mon département du Cher, puis dans le Gers où M. Raymond Vall nous a excellemment reçus. Partout, nous avons constaté le grand engagement des élus, des entrepreneurs et des représentants de l'État.

Le rapport qui présente ces résultats a été adopté à l'unanimité par la commission le 14 septembre.

Qu'est-ce qu'un pôle d'excellence rurale ? Le Gouvernement a lancé le 15 décembre 2005 un appel à projets innovants sur quatre thématiques : promotion des richesses naturelles et touristiques ; valorisation des ressources ; offre de services et accueil de nouvelles populations ; productions et services.

Le Gouvernement comptait labelliser 300 pôles ; l'extraordinaire réactivité des territoires s'est traduite par 800 projets dont 379 ont été labellisés. Quoiqu'ils aient été conçus dans des délais très contraints, ils ont prospéré, une vingtaine seulement ayant été abandonnés. La plupart atteindront leur terme l'an prochain et bénéficieront de la souplesse à laquelle le Gouvernement s'est engagé.

Les pôles d'excellence rurale ont été un formidable accélérateur de projets pour les territoires, qui se sont mobilisés à cet effet. Cela a insufflé un esprit de projet et de partenariat. Un pôle, c'est une vision d'ensemble du développement local, portée par des élus au niveau d'une communauté de communes, d'un pays, voire d'un département, autour de projets mis en oeuvre par les collectivités et les entreprises. L'État n'est pas absent : l'appel à projets est venu de lui et la labellisation couvre 20 % du coût des projets. Cependant, l'initiative est prise au plus près des territoires, ce qui a permis de faire aboutir des idées en incubation, auxquelles il manquait un coup de pouce.

Il est naturel de poursuivre avec une seconde génération et nos travaux se sont résolument tournés vers l'avenir. Plutôt que d'énumérer nos vingt propositions, je préférerais savoir si votre réflexion a bien progressé et vous interroger sur l'appel à projets. Quel sera son calendrier ? Certains ont critiqué la brièveté des délais imposés en 2005-2006 pour le dépôt des dossiers. Il ne faut cependant pas les allonger à l'excès au risque de perdre tout effet d'entraînement et alors que certains projets sont déjà en préparation -on ne va pas dans l'inconnu et l'esprit des pôles d'excellence rurale fait partie de la culture de nos territoires ruraux.

Les sujets ensuite : les services publics et les services au public sont un enjeu fondamental pour la sauvegarde de la qualité de la vie. L'accès au haut débit conditionne l'installation d'une entreprise, de même que l'animation d'un territoire passe par la création de maisons de services publics et d'accueils pour la petite enfance ainsi que pour les personnes âgées. On sait aussi l'attachement de nos compatriotes au service public de proximité qu'est la poste : la mutualisation est une voie à explorer. N'oublions pas pour autant le développement durable, l'énergie, les filières agricoles et les savoir-faire locaux. L'esprit des pôles d'excellence rurale est de trouver dans les territoires de quoi les revitaliser.

Le manque de crédits d'ingénierie a gêné des petites collectivités dans la mise au point de tâches complexes. Il faut améliorer la coopération entre les responsables de pôles et les administrations déconcentrées. Préfets et sous-préfets sont de bons connaisseurs, ils peuvent aider à mettre en place les projets et rester aux côtés des élus. Cette relation de confiance contribuera aussi à améliorer l'image de l'État.

Quels moyens le Gouvernement compte-t-il consacrer à la nouvelle génération ? Il serait nécessaire de clarifier les règles. Une dizaine de ministères interviennent selon des règles compliquées, ainsi qu'une demi-douzaine de fonds. Dans un esprit de simplification et de transparence, il faudrait rassembler les financements sur une ligne unique et avec des fonds dédiés. Pourquoi limiter l'enveloppe à un million d'euros et ne pas aller de 500 000 à 1 500 000 ?

Je souhaite que les pôles d'excellence rurale restent au service d'une vision intégrée du développement des territoires. Il ne faut pas opposer les territoires ruraux et urbains ni mettre en compétition pôles d'excellence rurale et pôles de compétitivité car les espaces ruraux sont eux aussi des réserves de croissance : il n'y a pas de territoires condamnés et là où il y a de la volonté, les territoires se développent. J'espère que le nouvel appel à projets servira cette ambition pour nos territoires. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Martial Bourquin.  - Voilà la deuxième fois en quatre mois que j'interviens sur ce sujet important, c'est assez rare pour le souligner. Les pôles d'excellence rurale sont en effet importants pour la politique d'aménagement du territoire et de développement des zones rurales que mènent le Gouvernement et la majorité sénatoriale. La politique rurale ne se limite pas aux pôles d'excellence mais ceux-ci ont leur place dans une véritable politique rurale.

La commission de l'économie a adopté le rapport de M. Pointereau. Je salue la qualité de ce travail et l'objectivité de ses conclusions. Il ne se borne pas à un satisfecit général mais relève certaines faiblesses que je reprendrai avec le souci d'améliorer une politique qui va se poursuivre avec la seconde génération des pôles d'excellence rurale. Ceux-ci sont le pendant des pôles de compétitivité. Ils ont bénéficié de la réorientation des fonds structurels européens. En 2005-2006, une nouvelle programmation européenne a été adoptée pour 2007-2013. Il a alors été décidé que la politique de développement rural serait rattachée à la politique agricole commune et que son fondement ne serait plus territorial. Le cadre financier est contraint en raison de l'élargissement. On ne saurait dédouaner la France de ce qui s'est fait avec son accord. Cela n'aurait pas été si grave si le deuxième pilier s'était concentré sur le développement rural non agricole mais il s'est orienté vers la modernisation des structures. A donc manqué une politique de développement rural, d'amélioration de la qualité de la vie et de protection de l'environnement.

Le Gouvernement s'est rendu compte qu'une politique d'aménagement du territoire axée sur la compétitivité accélérait les disparités entre les territoires et certains obstacles ont empêché les pôles d'excellence rurale de remplir tous leurs objectifs.

On n'a pas encore de bilan des pôles en termes d'activité et d'emploi. Il faudrait pourtant, avant de lancer la deuxième génération, connaître le nombre d'emplois créés par ceux de la première génération.

Les investissements de l'État et des collectivités locales doivent être assortis de contreparties et permettre le maintien ou la création d'emplois durables. Les dépenses consacrées par l'État aux PER, même minimes, n'y font pas exception.

Le manque d'ingénierie dans les territoires ruraux entrave la réussite des PER. Le groupe de travail a proposé de faciliter l'accès aux services de la Caisse des dépôts et consignations. Mais cet obstacle ne sera pas levé tant que les PER ne financeront pas aussi des frais de fonctionnement, et notamment d'ingénierie.

Créer un label PER suppose que l'on veuille pérenniser ces pôles et les adapter à d'autres territoires, comme l'a souligné Mme Herviaux en commission. Certes, le rôle des PER diffère selon les régions, mais leur montage ne doit pas être trop spécifique pour pouvoir être reproduit ailleurs. Je propose d'ailleurs qu'une partie du fonds PER soit consacrée au développement de nouveaux projets sur d'autres territoires. Il faut encourager le partage des expériences acquises et tisser des liens entre les pôles de compétitivité et les PER afin de renforcer la cohésion territoriale.

On se propose aujourd'hui de lancer une deuxième génération de PER mais je m'inquiète de la pérennité des premiers projets labellisés, notamment de ceux qui commencent seulement à entrer en application et auront besoin de financements. Le décalage entre les sommes engagées et payées reste trop important. La première étape est loin d'être achevée et l'on envisage de repousser l'échéance de décembre 2009 à décembre 2010.

L'État, dont la participation financière ne peut excéder 33 % des sommes requises, n'en débourse en fait que 20 %. La crise économique a réduit les moyens des investisseurs publics et privés, tentés de se cantonner à des activités immédiatement rentables ou jugées indispensables. A cela s'ajoute l'incertitude politique liée à la réforme des collectivités territoriales. Les régions comptent parmi les principaux financeurs des PER ; si elles perdent leur compétence générale, elles seront désormais aux abonnés absents.

Le rapport du groupe de travail démontre la nécessité de créer un fonds PER afin de rendre l'action de l'État plus lisible. Je souscris à la proposition d'inscrire une ligne budgétaire spécifique dans la loi de finances. Mais cela ne manquera pas de faire apparaître que sans les collectivités, et notamment sans leur ingénierie, nombre de projets ne verraient pas le jour. Je sais gré à M. le rapporteur d'avoir plaidé pour que les collectivités ne soient plus seulement des tiroirs-caisses mais des décideurs dignes de contribuer en amont à l'élaboration des appels à projets.

Mais qui peut dire si les collectivités pourront continuer à financer ces projets, étant donné la suppression programmée de la taxe professionnelle, la disparition de la clause de compétence générale et la réforme territoriale en général ? Elles n'ont pas suffisamment d'assurances sur leur avenir pour pouvoir participer durablement à des projets qui ne relèvent pas de leurs compétences primordiales. Si les collectivités étaient contraintes de réduire leur participation, l'État augmentera-t-il la sienne et consacrera-t-il aux PER une partie des fonds européens ?

Je suis circonspect sur les thèmes que vous avez retenus pour les appels à projets : développement durable, services publics et maintien des filières existantes. Comme l'a indiqué M. Pointereau dès le préambule de son rapport, les PER ne sauraient se substituer à une véritable politique d'aménagement du territoire et de développement rural. L'État doit prendre ses responsabilités et garantir le maintien des services publics, notamment dans le domaine des transports ou la lutte contre les déserts médicaux. Les 379 pôles labellisés ne doivent pas masquer la réalité des 36 000 communes.

Monsieur le ministre, vous avez dit lors d'une récente conférence de presse vouloir être le « ministre du concret ». Eh bien, nous nous efforcerons ce soir d'être des sénateurs du concret. Souhaitez-vous réellement que les PER de nouvelle génération permettent dès 2010 de financer de nouveaux services publics ? Nous veillerons à ce qu'ils ne servent pas de prétexte pour faire financer par d'autres des services publics d'État ni de façade pour dissimuler derrière l'excellence pour quelques-uns le délitement des services publics pour le plus grand nombre. Je sollicite de MM. les présidents du groupe de travail et de la commission la plus grande vigilance sur cette question. Les campagnes voient disparaître depuis quelques années un nombre impressionnant de services publics : directions départementales de l'agriculture et de l'équipement, Office national des forêts, gendarmerie, tribunaux... La RGPP a fait des ravages. Ce déménagement du territoire doit cesser !

Le groupe socialiste soutient donc le principe d'une nouvelle génération de PER afin d'accélérer le financement de projets de développement local. Mais nous sommes réservés quant à la philosophie générale dans laquelle ce projet s'inscrit. Oui à un label qui libère les énergies locales, non à une vitrine qui masque les problèmes des campagnes et la disparition des services publics. Comme beaucoup d'élus ruraux, j'attends avec impatience vos réponses, monsieur le ministre.

M. Raymond Vall.  - Parler après MM. Pointereau et Bourquin me permettra d'adopter une position radicale. (Sourires) Le groupe de travail sur la nouvelle génération de PER a fait un excellent travail, en collaboration avec le ministère, et j'en remercie chacun des responsables. Ce projet a suscité un nouvel espoir dans les campagnes, et nous pouvons nous féliciter du résultat global. Vingt recommandations ont été adoptées à l'unanimité par la commission. Les premières visent à corriger les défauts du premier appel à projets : il faut soutenir l'ingénierie de conception des projets, mobiliser les services des préfectures, fixer un délai pour le dépôt des candidatures, mieux coordonner les PER avec les politiques régionales et départementales, notamment dans les domaines de compétences reconnus par les contrats de projet État-région et les documents de planification, et renforcer la coopération entre les PER et les pôles de compétitivité.

Les secondes, répondant aux préoccupations de M. Bourquin, traduisent le souhait d'un aménagement du territoire plus équilibré. La proposition n°9 est d'une importance toute particulière : l'État reconnaissant, par le biais de la labellisation d'un projet, que celui-ci est susceptible de contribuer au développement d'un territoire, il doit s'engager à y maintenir les services publics indispensables. Nous attendons des assurances sur ce point. La proposition n°19 est inspirée par l'idée que si on labellise des pôles reproductibles d'intérêt général, il faut encourager les échanges entre ceux-ci. Pour ce qui est de l'aménagement du territoire, le regroupement des communes et intercommunalités dans des ensembles équivalents aux bassins de vie ou d'emploi -qu'on les appelle « pays » ou « regroupements de commune »- va dans le bon sens, car certains investissements ne sont possibles qu'à cette échelle.

Ces propositions, enfin, mettent beaucoup l'accent sur la préoccupation de voir les territoires ruraux garder et accueillir les populations, lesquelles ont besoin de services publics, de service au public. La proposition 11 est très précise sur ce sujet.

Tout ceci est très positif, et croyez que nous serons attentifs aux réponses apportées à ces propositions, fidèles aux attentes qui sont celles des territoires.

Malheureusement, les espoirs suscités par ce travail, dont je vous remercie, monsieur le ministre, d'avoir été l'ardent défenseur, pourraient être mis à mal par l'annonce de la volonté de supprimer les pays. N'oublions pas qu'ils ont porté 30 % des projets et que, comptant en moyenne 60 000 habitants, ils représentent bien des bassins de vie et d'emploi. N'oublions pas que sur les 211 enveloppes attribuées à l'État français par l'Union européenne dans le cadre de l'aide au développement rural, 160 ont été attribuées à des pays. Ne perdons pas la capacité à se doter de projets en faisant disparaître ces pays, qui se sont engagés résolument aux côtés du Gouvernement dans la politique d'aménagement du territoire, depuis les Scot jusqu'au Grenelle de l'environnement, qui sont devenus des espaces d'échange entre public et privé, qui sont enfin des espaces de démocratie participative précieux, en ces temps de fracture entre la politique et les citoyens. Rappelons-nous qu'ils emploient en moyenne 3 à 4 personnes et qu'on risque de sacrifier ces 800 à 1 000 techniciens, jeunes, compétents, au service d'un tissu de communes qui n'entrent pas dans des communautés de communes, ces petites collectivités de 200 habitants qui n'auraient, sans le pays, jamais accès à ces fonds et ne pourraient jamais financer de telles ingénieries : ce serait créer une fracture sur des compétences générales non transférées à l'intercommunalité.

M. le président.  - Il est temps de conclure.

M. Raymond Vall.  - Pourquoi un tel acharnement sur ces structures, issues du volontarisme local et d'une démarche pragmatique, dont l'existence peut corriger un problème lié aux fonds européens ? N'oublions pas que le volet coopération du programme « Leader + » s'est soldé par un retour de plus de 30 millions.

Et puis, l'État s'est engagé, le Gouvernement a contresigné les conventions.

Le proverbe chinois dit que seuls sont perdus les combats que l'on n'engage pas. Ce n'est pas parce que l'on est seul ou presque que l'on a tort. (Applaudissements sur les bancs du RDSE et au banc des commissions)

M. Jean Boyer.  - L'objectif des pôles d'excellence rurale, inspirés des pôles de compétitivité, était d'apporter un soutien aux projets émanant des territoires ruraux pour aider à développer des richesses en sommeil. Ils firent l'objet d'une réflexion et d'une mobilisation collectives, furent à l'origine de nombreux partenariats public-privé et aidèrent à transformer des handicaps en atouts.

La commission nationale de sélection a validé 379 projets, soit plus qu'il n'était initialement prévu : les fonds n'ont pas manqué et il y a eu un plus, cela mérite d'être salué. L'État suivait l'initiative locale. C'était un encouragement à poursuivre.

Les projets, à financements multiples, se sont étalés sur trois ans. Ceux qui ne sont pas encore bouclés viendront, n'en doutons pas, à terme. Vous avez, monsieur Pointereau, accepté une mission nécessaire, prospective, visionnaire et serez sans doute artisan de l'avenir, aux côtés de M. le ministre, lors des prochaines assises. Vous habitez le Cher et connaissez bien Vierzon, si célèbre naguère pour son industrie du machinisme agricole, ses locomobiles et ses tracteurs. Je sais que vous serez toujours le tracteur qui tirera la charrue des pôles d'excellence rurale. Je salue, monsieur le ministre, votre souci de prendre en compte nos territoires. Nous apprécions que l'ex-sénateur que vous êtes sache qu'il existe aussi un monde rural, où l'on ne trouve certes pas la tour Eiffel mais beaucoup de bonnes volontés pour faire que notre pays associe écologie et économie et où les responsables, qui aiment leur pays, se battent pour compenser ses handicaps.

Les pôles d'excellence rurale ont permis de mettre à jour les richesses en sommeil. Je pense à la filière bois, au tourisme, au patrimoine... Ils ont créé un état d'esprit collectif, car on ne peut pas « jouer perso » dans un pôle puisque l'on fonctionne sur la complémentarité. Les pôles d'excellence rurale sont jeunes, il faut les regarder grandir, surveiller leur croissance et leurs difficultés, pour que personne ne soit laissé sur le bord de la route.

Ne pourrait-on améliorer, monsieur le ministre, le système des financements croisés ? Certains retards sont indépendants de la volonté des porteurs de projets. C'est pourquoi je vous demande de porter à ceux-là une attention bienveillante. L'idée est avancée d'une ligne budgétaire spécifique pour ces pôles. Cela aurait le mérite de la clarté car les fonds mutualisés des ministères sont peu lisibles.

Les pôles d'excellence rurale, initiative nationale, sont très appréciés, au point que certains ont voulu aller trop vite. Il sera bon de mettre en garde les responsables de pôle contre la précipitation.

Dans un contexte difficile, la deuxième génération de pôles sera bienvenue. Elle apportera à la France rurale, la France d'en bas, des possibilités nouvelles qui créeront richesse, envie d'entreprendre et de travailler ensemble. (Applaudissements au centre et au banc des commissions)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - Ce débat marque, une fois encore, l'attachement de la Haute assemblée aux questions de la ruralité. Je tiens à rendre hommage à mes collègues Jean-Paul Emorine et Rémy Pointereau qui, en février, ont créé un groupe de travail dédié aux pôles d'excellence rurale afin d'en analyser leurs effets sur le développement des territoires ruraux. Le rapport d'information souligne le succès du dispositif des pôles d'excellence rurale (PER) créés en 2006 et 2007, et qui arrivent à leur terme. La raison de ce succès, c'est que les projets sont définis localement, qu'ils sont mis en oeuvre par les acteurs des territoires et qu'ils bénéficient d'un ancrage rural fort.

Le rapport d'information souhaite la poursuite de cette politique fédératrice et formule vingt propositions en vue du lancement d'une seconde génération de pôles d'excellence rurale encore plus efficaces. A ce sujet, le Premier ministre et vous-même, monsieur le ministre, en déplacement dans mon département de la Gironde, le 8 septembre, avez annoncé l'engagement d'un nouveau cycle de pôles d'excellence rurale pour 2010, ce dont nous nous réjouissons.

A l'origine, lors de leur création, fin 2005, les pôles d'excellence rurale devaient être 300. Finalement, près de 400 ont été labellisés. Ce bilan positif nous conduit tout naturellement à appeler de nos voeux une nouvelle vague de PER, pour le développement, l'attractivité et la compétitivité de nos territoires ruraux. Toutefois, comme le souligne notre collègue Pointereau, il faut que les nouveaux appels à projets soient orientés vers le développement durable, les services au public et le soutien aux filières existantes. Ces nouveaux objectifs me paraissent essentiels. Néanmoins, chaque situation particulière doit être étudiée avec pragmatisme, en vue d'apporter le meilleur soutien aux territoires.

Les pôles d'excellence rurale constituent un outil concret au service de la relance puisque plus d'un milliard d'investissements auront été réalisés à ce titre, grâce aux 160 millions versés par l'État cette année, après 45 millions l'an dernier. A la fin de cette année, 6 000 emplois directs auront été créés et 30 000 emplois devraient l'être à l'issue de l'opération.

Le partenariat public-privé, condition de l'éligibilité d'un projet au dispositif des PER, a profondément modifié les méthodes de travail au plan local. L'évaluation montre que l'association des entreprises est souvent difficile, mais lorsque le partenariat est noué, il perdure et apporte au PER une dimension économique indispensable. Les travaux d'évaluation qualitative confirment l'existence d'un effet positif des PER en termes d'accélération des projets locaux, de revalorisation de l'image des territoires ou d'aide à la reconversion de territoires fragilisés. II y a là un véritable effet de label pour le territoire.

Les évaluations font apparaître nombre de résultats remarquables. Ainsi en est-il des PER développés autour de la filière bois, qu'ils concernent l'utilisation du bois dans l'éco-construction ou le développement de filières d'énergie renouvelable.

En Gironde, cinq pôles d'excellence ont été labellisés en 2006 : le projet de territoire pour développer l'activité touristique culturelle et économique de la juridiction de Saint-Emilion, le projet de l'Estuaire de la Gironde, le plus vaste et le mieux préservé des grands estuaires européens, le pôle biomasse, énergie et chimie verte, le pôle Valorisation de la race bazadaise, celui qui me tient le plus à coeur. Ce PER a pour objectif de promouvoir le terroir de la région du grand Bazadais par la valorisation de l'ensemble des richesses naturelles. Enfin, un cinquième pôle d'excellence rurale, qui a été qualifié de « réussite » par le Premier ministre et par vous-même, monsieur le ministre : celui de l'Entre-deux-Mers. Ce PER, encore plus important que les précédents, a pour objectif de développer l'oenotourisme. Il bénéficie d'ailleurs d'un report du délai de réalisation jusqu'au 31 décembre 2010.

Je crois savoir que la conviction du Président de la République est qu'en cette période de crise, il ne faut laisser aucun territoire sur le bord du chemin, mais aussi que la France peut en sortir plus forte si elle y investit utilement. L'aménagement du territoire et la ruralité devraient donc figurer parmi les six domaines prioritaires d'investissement d'avenir identifiés par le Président de la République et pouvant bénéficier des moyens financiers du grand emprunt.

Les territoires ruraux connaissent aujourd'hui de profondes transformations. Terres d'exode pendant plus d'un siècle, ils bénéficient de nos jours d'une attractivité indiscutable, comme l'attestent les derniers résultats du recensement. Ruralité rime désormais avec modernité, ce qui n'a pas toujours été le cas. Nos concitoyens viennent non seulement y chercher un environnement de qualité, mais ils souhaitent également y trouver du travail, des systèmes de transport efficaces, des services publics accessibles ainsi que le même accès que les urbains à internet et à la société de l'information.

A l'évidence, les zones rurales se développeront dans les vingt prochaines années, grâce à l'arrivée de nouveaux habitants et à une volonté politique affirmée depuis 2002 avec la loi pour le développement des territoires ruraux, les zones de revitalisation rurale, les pôles de compétitivité et les pôles d'excellence rurale, sans oublier les lois de modernisation de l'agriculture. Les territoires ruraux ont démontré leur dynamisme et leurs atouts. La forte mobilisation des partenaires a permis d'aller au-delà des objectifs initiaux et de mettre en place des outils spécifiques aux territoires ruraux.

Les pôles d'excellence rurale constituent le dispositif emblématique de la ruralité positive, entreprenante, appuyée sur ses valeurs et sur les richesses de nos territoires. Souhaitons leur longue vie. (Applaudissements à droite)

M. Yves Chastan.  - Au-delà de ce débat, je souhaite évoquer la politique de développement rural et d'aménagement du territoire menée par le Gouvernement et m'interroger sur son degré d'efficacité à compenser les handicaps humains et naturels des zones rurales mais aussi à valoriser les ressources et les atouts existants souvent sous-exploités.

Si l'exode rural a marqué nos campagnes durant l'après-guerre et a poussé l'État à mettre en place des politiques publiques d'aménagement du territoire pour ne pas laisser cet espace à l'abandon, on assiste depuis quelques années à un renouveau d'attractivité et à l'installation de nouvelles populations à la recherche d'un cadre de vie et d'un environnement plus agréables. La population active rurale se modifie donc avec de moins en moins d'actifs agricoles, mais aussi un nombre important d'ouvriers, d'artisans et de retraités, une augmentation de l'emploi dans le secteur tertiaire, un maintien d'activités industrielles et un développement du télétravail

Comment accompagner cette nouvelle dynamique et l'évolution des espaces ruraux qu'elle rend nécessaire ? Le rapport du Commissariat général du plan sur les politiques de développement rural de juin 2003 avait identifié 59 dispositifs différents pour stimuler le développement rural. Mais ce rapport soulignait aussi le manque de lisibilité des politiques menées par l'État et dénonçait des actions menées de façon souvent trop sectorielle. Face aux prérogatives des collectivités territoriales et à celles de l'Union européenne, l'État doit continuer à jouer un rôle moteur dans l'aménagement du territoire.

Les différents acteurs de ces territoires doivent définir de concert une nouvelle conception du développement : maintenir des services publics de qualité mais aussi répondre aux nouvelles demandes dans divers secteurs : habitat résidentiel et locatif, infrastructures d'éducation, de santé, de garde d'enfants, transports adaptés, nouvelles technologies de l'information et de la communication, structures d'accueil pour les touristes, mise en valeur de l'espace, des paysages, du patrimoine culturel, commerce et artisanat, formation professionnelle. Ces besoins sont bien sûr différents en fonction des zones rurales. L'intervention publique doit donc s'adapter à cette diversité de besoins mais aussi de moyens.

Les services déconcentrés de l'État ont donc encore un rôle important à jouer. Les PER affichaient cette ambition de renouveau de la politique d'aménagement du territoire dans les zones rurales et de promotion des partenariats locaux publics privés. Ils ont donné de la visibilité et des financements à des projets locaux de qualité, puisque une bonne centaine de projets sont de bons exemples de développement territorial avec des actions innovantes portées par le public et le privé.

Cette créativité institutionnelle a pu provoquer un effet de levier intéressant mais surtout pour des projets déjà existants ! Il reste que dans les zones rurales, le manque d'ingénierie pour monter des projets est un handicap, d'où le lent démarrage de la première génération de PER.

Les deux caractéristiques des zones rurales et, notamment, des zones les plus reculées, restent une faible densité de population et d'activités économiques qui ne permettent pas aux acteurs locaux de se structurer et de piloter des projets. Le département de l'Ardèche a souscrit huit PER. Parmi ceux-ci, un projet de service productif local fondé sur la mise en oeuvre d'une nouvelle fibre textile. Ce secteur de recherche en milieu rural a été rendu possible grâce à un partenariat public-privé : communauté de communes et une quinzaine d'entreprises. Pourtant, les écarts restent souvent importants entre les objectifs et les réalisations : cela est souvent dû au manque de soutien technique, mais aussi aux délais trop contraignants lors de la présentation des projets. Comme M. le rapporteur, je souhaite que soient accordés des délais supplémentaires pour ces PER de première génération. Des préfets ont déjà agi en ce sens, notamment en Ardèche.

Pour en revenir aux PER de seconde génération, le dispositif d'appel à projets peut favoriser les zones où il y a déjà une concentration de capital humain, technique et financier : disposer d'un projet, mener les études préalables puis passer au montage financier demande des connaissances, une certaine expertise qui peut faire défaut dans certaines régions rurales. Les financements proposés par l'État ont d'ailleurs été d'une grande complexité. Je souhaite que la création d'un fonds PER permette de simplifier les montages financiers à venir.

Une partie de ces fonds devrait être consacrée à l'aide au montage des opérations et, le cas échéant, à certaines dépenses connexes de fonctionnement. On peut surtout regretter que les collectivités territoriales n'aient pas été suffisamment associées à la définition du dispositif, alors qu'elles en sont les acteurs principaux.

Le rapport d'information fait une vingtaine de propositions, que je soutiens ; j'espère que le prochain appel à projet en tiendra le plus grand compte. Je veux souligner ici la qualité du travail du rapporteur et du président de la commission. Nous savons que la deuxième génération mettra l'accent sur l'innovation, les services au public et l'emploi ; cette ambition n'est-elle pas démesurée au regard des résultats de la première, qu'il faudrait d'ailleurs précisément évaluer ?

Les pôles d'excellence rurale ne régleront pas tous les problèmes ; ils ne doivent pas cacher les défaillances des autres politiques d'aménagement du territoire, notamment en matière de services publics. Les services publics doivent être efficaces et accessibles à tous, c'est un principe républicain -qui est malheureusement de moins en moins appliqué dans la réalité, surtout dans les zones rurales. Depuis quelques années, qu'il s'agisse des services essentiels ou d'intérêt général, l'État se désengage ou s'éloigne des zones les moins denses au mépris des principes de solidarité et de cohésion sociale des territoires. Or l'attractivité économique des zones rurales dépend du maintien et du développement des services publics et des services au public.

Quant aux collectivités territoriales, vouées à subir une réforme de leurs compétences et de leur organisation, elles risquent d'être asphyxiées par la suppression de la taxe professionnelle. Comment départements et régions pourront-ils poursuivre leurs partenariats avec les communes et les EPCI, notamment dans les futurs PER, si leurs compétences et leurs moyens sont fortement érodés ?

Nous sommes donc à un tournant pour l'avenir des zones rurales. L'État ne peut faire l'impasse sur les difficultés actuelles des territoires ruraux ni sur sa responsabilité à assurer l'équité territoriale. Le nouveau ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire dit avoir une nouvelle ambition pour les territoires, vouloir corriger les inégalités et réduire la fracture territoriale. Nous sommes prêts à le suivre mais nous aimerions en savoir plus. Les assises des territoires ruraux permettront, avez-vous dit, monsieur le ministre, d'aborder sans tabou tous les aspects de la vie des territoires ; dans la transparence et la concertation, cela serait encore mieux : nous n'avons pour l'instant aucune information. Je vous remercie des éclaircissements que vous voudrez bien nous apporter.

J'aimerais aussi en savoir plus sur l'avenir de la Délégation interministérielle à l'aménagement et à la compétitivité des territoires. Elle a changé de rattachement ministériel tous les deux ans à peu près depuis 2003... et devrait redevenir la Datar. Quel changement en attend-on ? Une véritable politique d'aménagement du territoire reste à construire. (Applaudissements sur les bancs socialistes et sur ceux du RDSE)

M. Jean-Claude Etienne.  - Je salue avec émotion cette première : nous avons aujourd'hui un ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire. Les orateurs précédents ont, tels des chirurgiens, tout disséqué de leur scalpel ; je me garderai des répétitions stériles pour évoquer à mon tour ce grand tournant de la ruralité dont a parlé M. Chastan. Nous y sommes presque. Alors que la dynamique économique et sociale a longtemps reposé sur la ruralité, en France comme ailleurs, jusqu'à l'ère industrielle et la concentration des populations dans les villes, les derniers recensements ont allumé quelques lueurs d'espoir, on y voit les prémisses d'une mutation, comme un changement de comportement de nos concitoyens. La Fontaine avait raison : il y a la vie des villes et celle des champs. A vivre la première, nous avons de plus en plus besoin de nous ressourcer dans la seconde et d'y puiser nos références. La ruralité alors renaît des cendres refroidies par l'ère industrielle pour retrouver toute sa place. Là est le fameux tournant qu'on ne peut qu'appeler de ses voeux parce qu'il est porteur des réponses aux questions que se posent nos concitoyens. Tournons-nous vers la ruralité, sachons en dégager les vertus qui ont, de tout temps, nourri les civilisations du monde.

Notre Haute assemblée, seule en Europe avec le Parlement finlandais, s'est dotée d'une délégation à la prospective qui, ce matin, tenait sa première réunion. Il est tout naturellement venu à son bureau l'idée d'examiner le rapport entre les villes et le milieu rural, de comprendre la soif de nos concitoyens à retrouver cet art de vivre qu'on trouve encore à la campagne, ce désir lu dans l'inversion démographique qui dit leur égarement dans les agglomérations d'aujourd'hui. Le Minotaure, un jour, est mort de s'être trop nourri des autres. Bientôt, la ruralité retrouvera droit de cité.

Longtemps urbanité a rimé avec industrie. Il n'y a plus aujourd'hui deux mondes qui s'ignorent mais deux mondes, le monde agricole et le monde industriel, qui entrent en résonnance. On parle -enfin !- d'agro-industrie. Et voilà qu'un nouveau souffle peut venir habiter une ruralité hier désertée sous les effets de l'industrialisation.

Voilà, pour la première fois depuis longtemps, l'excellence accolée à la ruralité. Quelle avancée, tandis que les villes en sont encore à la compétitivité ! Aujourd'hui, l'excellence vient enfin des terroirs ! Et pourquoi pas ? La voie est ouverte. Voyez : adieu la chimie du charbon et de l'acier, bonjour la chimie verte !

Adieu, les tours de cracking fonctionnant au pétrole : c'est la production agricole qui va être enfournée dans ces nouvelles tours ! L'industrie revient à la production agricole, la syncrétie entre mondes agricole et industriel se réalise, régénérant la ruralité.

Notre ami parlait de la Gironde ; chacun les siens, permettez-moi un mot sur la Champagne-Ardenne. Ça, c'est de la ruralité, et pas qu'un peu ! Des dix-neuf pôles d'excellence rurale de ma région, je me suis tout particulièrement intéressé aux trois qui sont en panne. Les responsables de projets déplorent que la méthodologie pour construire ces pôles et les projets pour les décliner n'assurent pas leur faisabilité, que les problématiques de fonctionnement ne soient pas d'emblée prises en compte. D'où l'intérêt d'adopter la méthode qui a cours à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques : asseoir la faisabilité des projets dès leur instruction, en les dotant d'une petite somme apéritive d'argent ouvrant droit, si accepté, à la suite de l'instruction et à leur déclinaison concrète.

J'ai été un peu long, mais je n'ai pas lu mes papiers ! (Sourires et applaudissements à droite, au centre et sur les bancs socialistes)

M. Michel Mercier, ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire.  - C'est avec un plaisir non feint que je viens dialoguer avec vous sur les pôles d'excellence rurale. Je remercie votre rapporteur pour son travail nourri et précieux, dont nous attendions les conclusions avec impatience : nous nous sommes largement appuyés sur vos travaux pour lancer la deuxième vague de pôles d'excellence rurale, annoncée par le Premier ministre en septembre.

Je connais la passion du Sénat pour les territoires, et je la partage : c'est notre culture commune. Le nom même du ministère qui m'a été confié traduit la volonté du Président de la République de faire des territoires ruraux une priorité, comme il l'a dit devant le Congrès et comme il le redira prochainement.

Mon ministère est l'expression d'une nouvelle ambition pour la politique d'aménagement du territoire. Dans la conscience collective, la Datar était le signe d'une volonté d'aménager le territoire ; nous retrouvons aujourd'hui cet engagement.

Depuis leur création en 2005, les pôles d'excellence rurale ont constitué un formidable moteur pour le développement économique des territoires ruraux. Comme le souligne le rapport du Sénat, ils ont su inspirer une nouvelle vision de l'aménagement du territoire, définir une nouvelle ambition pour le monde rural et préserver le tissu économique local via le soutien à des savoir-faire emblématiques d'un terroir et d'une tradition.

Des améliorations sont certes possibles, et nous allons y oeuvrer. Avec M. Le Maire, nous allons lancer la nouvelle génération de pôles d'excellence rurale. Ce sera l'un des dossiers phares de mon ministère en 2010, et je m'y engage avec détermination.

M. Bourquin a dénoncé l'absence de véritable bilan des pôles d'excellence rurale. C'est vrai car ces pôles vivent encore et n'ont pas épuisé leurs attributions. L'évaluation sera faite, et bien entendu présentée au Sénat.

Oui, il y a un décalage entre engagement et paiement. Les pôles en cours ont bénéficié de 175 millions de crédits d'État de toute nature ; 117 millions ont déjà été versés à l'Agence de services et de paiement, et 55 millions effectivement payés ; le reste le sera lorsque les factures auront été transmises. Quant au décalage entre le moment où les pôles sont labellisés et leur réalisation effective, il est notamment dû aux problèmes d'ingénierie que vous avez tous soulignés. Il faut mieux organiser le dépôt de la candidature et le temps de la décision afin de laisser le temps de préparer les dossiers et de mobiliser, le cas échéant, l'ingénierie publique.

La réforme des préfectures va libérer les sous-préfets ; je leur ai demandé d'être à la disposition des porteurs de projets, de devenir de véritables assembleurs sur le terrain, aux côtés des élus.

M. Michel Mercier, ministre.  - Dans une République décentralisée, l'État n'a pas à être toujours au-dessus, mais à côté.

M. Jean-Claude Etienne.  - Très bien.

M. Michel Mercier, ministre.  - Son rôle est d'accompagner, de rendre réalisables les idées émises sur le terrain.

Mme Brigitte Bout.  - Très bien.

M. Michel Mercier, ministre.  - Les collectivités locales participent, c'est vrai, mais l'État ne se défausse pas pour autant ! Nous ne faisons qu'appliquer la loi de 1982, ainsi que la loi intérimaire sur le Plan qui prévoit que les départements sont compétents en matière d'équipement rural. Cette compétence est respectée dans le cadre des pôles d'excellence rurale.

M. Vall se dit chaud partisan des pôles d'excellence rurale, mais redoute que la réforme de l'organisation territoriale casse cette belle dynamique en ne reconnaissant plus les Pays. Rassurez-vous : la future loi n'a pas pour objet d'abroger les Pays existants. Au contraire, le gouvernement répond à votre attente en proposant de rationaliser la carte de l'intercommunalité, car nombre de communautés de communes sont en effet trop petites pour agir seules.

M. Yvon Collin. - C'est vrai.

M. Michel Mercier, ministre. - Il faut rechercher des périmètres plus pertinents : c'est l'objet de la réforme territoriale. Je vois que nous pourrons manifestement compter sur votre soutien ! (Sourires)

Dans le cahier des charges des PER de nouvelle génération, il sera précisé que la structure porteuse peut être un EPCI, un parc naturel régional, un conseil général, une association ou un groupement d'entreprises privées : vous n'avez donc rien à craindre !

M. Boyer a raison de souligner que les PER ont transformé des handicaps en atouts. Quant aux ZRR, un bilan est en cours mais l'un des points forts en était un statut fiscal avantageux, notamment du point de vue de la taxe professionnelle. Or il n'aura échappé à personne que se profile la suppression de la taxe professionnelle et son remplacement par une contribution économique locale, laquelle répond parfaitement au souci exprimé par l'orateur. En effet, seules les entreprises réalisant un chiffre d'affaires de plus de 500 000 euros acquitteront la contribution complémentaire : tout le territoire national devient une zone de revitalisation et c'est tant mieux pour le développement économique local. (M. Yvon Collin rit) Je ne doute pas de vous en convaincre lors de la discussion budgétaire. (Rires)

Les financements croisés sont toujours complexes. En outre, le choix se pose en permanence : soutenir de nombreux PER ou un nombre réduit. Mon ministère a réservé 100 millions d'euros à la nouvelle génération, mais d'autres ministères peuvent être sollicités. Parmi les missions qui m'ont été assignées figure une meilleure équité des dotations des communes rurales par rapport aux communes urbaines : la DGE aussi peut être une source de financement des pôles. Je pense aussi aux fonds européens : nous sommes parfois amenés à en rendre ! Il convient plutôt de trouver les contreparties nécessaires en crédits ministériels afin de disposer d'une masse plus importante au profit des PER, l'agence du service des paiements de l'État pouvant gérer l'ensemble.

Les montages de dossiers ont été trop rapides, dites-vous : nous en prenons acte et veillerons à répondre à votre souci, monsieur Boyer.

Madame Des Esgaulx, l'emploi et le développement économique ont été bien sûr le but essentiel des PER. Les territoires ruraux sont très divers et si l'agriculture en reste l'épine dorsale, elle n'exclut pas d'autres activités. Pour réveiller certaines filières, comme le bois, pour offrir le haut et le très haut débit, les PER sont pertinents. J'ai à l'esprit la proposition de loi Pintat.

M. Chastan a raison de différencier services publics et services au public : au jour le jour, on a besoin d'un médecin plus que d'une perception, même s'il est important de payer ses impôts. Le professeur qui m'a formé avait lui-même fréquenté, à Bordeaux, la grande école du service public du doyen Duguit. J'ai donc appris que le service public est soumis à certains principes, dont celui de mutabilité : il doit s'adapter, on ne peut gérer les choses comme il y a cinquante ans... sans que cela signifie qu'il faut supprimer les services publics. A cet égard, les PER peuvent être utilisés pour développer les nouvelles technologies, les visioconférences, etc. J'ai inauguré récemment une maison des services publics. Elle comporte une borne de visioconférence : pour la première fois, les services de la sécurité sociale viennent jusque dans ces communes rurales, puisque leurs habitants peuvent s'entretenir avec un agent qui les aide à remplir un dossier ! Les territoires ruraux peuvent être des lieux d'innovation ! J'ai du reste décidé de créer, il y a quelques jours, une nouvelle aide -20 millions d'euros- pour les « grappes d'entreprises » qui assurent le service public local. Il n'y a pas opposition mais complémentarité avec les pôles de compétitivité.

Oui, la ruralité est à un tournant, monsieur Etienne. Nous ne voulons plus cacher la ruralité mais la montrer comme un lieu de progrès et de modernité : c'est le but des assises de la ruralité qui se tiendront prochainement, car il est exclu de tout décider de Paris ; il faut écouter le terrain. Les préfets organiseront des débats, feront remonter les conclusions et, en janvier prochain, nous établirons les conclusions nationales afin de déterminer les politiques à conduire dans les territoires ruraux.

La nouvelle génération d'appels à projets doit s'inscrire dans les problématiques spécifiques aux territoires ruraux, favoriser leur dynamique, valoriser leurs atouts et les relations entre tous leurs acteurs. Il y a deux enjeux fondamentaux, le renforcement de la capacité économique et la prise en compte des besoins de la population, en matière de services publics et de services au public. Valorisons la diversité économique : tous les nouveaux emplois ne se trouvent pas dans l'agriculture ou l'agroalimentaire et les potentialités techniques, artisanales, industrielles sont à exploiter, comme le patrimoine et la vocation des territoires. Ainsi a été relancée dans ce cadre la filière pierre volcanique dans le Puy-de-Dôme. Je songe aussi aux ateliers-relais et aux pépinières d'entreprises dans une logique de développement durable, en lien avec la bioconstruction ou la bioénergie.

Avec l'essor démographique et l'arrivée de nouveaux ruraux à côté des ruraux historiques, les standards de vie ont changé. On a désormais les mêmes envies, le même habillement, que l'on vive à la ville ou à la campagne. Il faut développer des services qui correspondent à la demande, telles les maisons de santé. Mme la ministre de la santé et moi-même allons nous pencher ensemble sur les questions de démographie médicale.

On peut bien sûr envisager de déployer des bornes visio-relais, à l'image de ce qui a été fait dans la Manche pour assurer la permanence des services publics. Mais il faut aller plus loin : les PER pourront aussi développer de nouveaux services publics, comme les centres de téléconférence ou la télémédecine. Une expérimentation sera lancée dans ce sens avec le ministère de la santé.

La deuxième vague sera donc marquée par l'ouverture de l'objet des PER, qui devront atteindre les objectifs précis déjà évoqués par M. Pointereau.

J'en viens au calendrier. Un premier appel à projets sera lancé à la fin de ce mois. Les réponses pourront parvenir jusqu'en janvier 2010, ce qui permettra de prendre des décisions en avril. Une deuxième vague sera lancée début 2010 après les Assises des territoires ruraux, les décisions devant être prises pendant l'été. Ces délais allongés s'accompagnent d'une offre d'ingénierie publique, puisque les sous-préfets seront à la disposition des collectivités territoriales. Les deux vagues d'appel à projets bénéficieront de financements équivalents.

Ces dispositions seront articulées avec les autres moyens de la politique des territoires ruraux, qui ne se limitent pas aux PER, malgré leur intérêt majeur.

Nous avons ainsi lancé aujourd'hui, avec le ministère de l'agriculture et le secrétariat d'État à l'économie numérique, un appel à projets pour l'utilisation de crédits européens mis à la disposition de la France, soit 30 millions d'euros. J'ai déjà parlé des grappes d'entreprises et des actions envisagées avec le ministère de la santé en matière de permanence des soins et de démographie médicale.

Intervenant pour la première fois devant le Sénat dans mes fonctions actuelles, je me suis exprimé un peu longuement car je souhaitais répondre à chaque orateur.

M. Jean-Pierre Plancade.  - Un discours intéressant n'est jamais trop long !

M. Michel Mercier, ministre.  - La relance de la politique de l'aménagement du territoire est un sujet méritant qu'on s'y arrête. (Applaudissements au centre et à droite)

Prochaine séance demain, jeudi 22 octobre 2009, à 9 h 30.

La séance est élevée à 23 h 50.

Le Directeur du service du compte rendu analytique :

René-André Fabre

ORDRE DU JOUR

du mercredi 1er avril 2009

Séance publique

A NEUF HEURES TRENTE

1. Question orale avec débat n°47 de Mme Nathalie Goulet à Mme la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi sur le contrôle parlementaire de l'action du Fonds stratégique d'investissement.

Mme Nathalie Goulet attire l'attention de Mme la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi sur la nécessité d'instaurer un meilleur contrôle parlementaire de l'action du Fonds stratégique d'investissement (FSI).

Né de la volonté du Président de la République et d'une annonce du 20 novembre 2008, le Fonds stratégique d'investissement (FSI) est composé de deux actionnaires, la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC) et l'État, qui détiennent respectivement 51 % et 49 % du fonds. Le Parlement, s'il a agréé au principe de la création de ce fonds, n'a été associé ni à son organisation ni à sa gouvernance. Le 6 juillet dernier, l'État et la CDC ont annoncé l'apport de 14 milliards d'euros de participation au FSI, portant ainsi sa dotation à 20 milliards d'euros.

Comme toute filiale de la CDC, le FSI exerce ses activités sous le contrôle de la commission de surveillance de la Caisse. C'est dans ce cadre que les parlementaires représentant les deux assemblées au sein de la commission de surveillance exercent, quand ils sont présents, leur contrôle sur la stratégie et les investissements du FSI. De même, un rapport au Parlement est bien remis mais il s'agit seulement d'une information a posteriori. Elle s'interroge sur le bien-fondé d'une telle gouvernance, à l'heure où l'ensemble des organismes financiers réclament plus de contrôle et plus de transparence. De la même façon, elle s'interroge sur le processus décisionnel qui a conduit l'État à apporter des participations dans des entreprises faisant l'objet d'un rapport annuel, jaune budgétaire annexé à la loi de finances. Ces procédés lui semblent peu en adéquation avec les impérieuses nécessités de la LOLF.

Hormis ces questions de gouvernance et de stratégie, les annonces récentes du Président de la République le 3 septembre, à Caligny, dans l'Orne, quant à l'implication du FSI dans plusieurs actions visant à renforcer les fonds propres des entreprises, puis, le 25 septembre, quant à la participation du FSI dans un fonds de consolidation et de développement des entreprises destiné à soutenir les PME en difficulté, ne sauraient laisser le législateur indifférent. Là encore, compte tenu de la crise de l'ensemble du secteur industriel, elle estime nécessaire que les modalités de participation fassent l'objet d'un examen attentif non discriminatoire et soient justifiées économiquement.

Compte tenu de l'importance des montants engagés, du caractère stratégique de son intervention, mais aussi du fait que le FSI a la pleine et entière responsabilité de ses actifs, elle estime souhaitable qu'une réflexion commune soit engagée rapidement afin de mettre en place un pilotage spécifique de ses actions. Il lui apparaît en effet essentiel que le Parlement soit pleinement associé dans la gouvernance et le contrôle des choix du FSI. Les exemples étrangers comme le Fonds structurel norvégien, qui associe en amont et en aval le Parlement norvégien à ses travaux, montre qu'il existe d'autre type de gouvernance.

Elle souhaite par conséquent que la présente question orale avec débat permette de débattre des méthodes et des objectifs du FSI ainsi que du contrôle parlementaire sur son fonctionnement et ses choix.

A 15 HEURES

2. Questions d'actualité au Gouvernement.

3. Débat européen de suivi des positions européennes du Sénat :

- brevets européen et communautaire ;

- droits des consommateurs ;

- transposition insuffisante d'une directive ferroviaire (mise en demeure de la France) ;

- coopération judiciaire et policière : situation en Bulgarie et Roumanie.

4. Débat sur les prélèvements obligatoires.

_____________________________

DÉPÔTS

La Présidence a reçu de :