Débat européen sur le suivi des positions européennes du Sénat

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat européen sur le suivi des positions européennes du Sénat.

Je rappelle qu'il sera organisé autour de quatre thèmes : brevets européen et communautaire ; droits des consommateurs ; transposition insuffisante d'une directive ferroviaire ; coopération judiciaire et policière avec la Bulgarie et la Roumanie.

Chacun de ces sujets donnera lieu à un échange. Compte tenu de l'organisation du débat décidé par la Conférence des Présidents, pour chacun de ces sujets, le représentant de la commission compétente interviendra pendant cinq minutes, puis le Gouvernement pendant cinq minutes. Viendra ensuite une discussion spontanée et interactive de dix minutes, sous forme de questions-réponses de deux minutes au maximum par intervention.

Brevets européen et communautaire

M. Antoine Lefèvre, au nom de la commission des lois.  - (Applaudissements à droite) La résolution sénatoriale du 15 juillet relative au système unifié de règlement des litiges en matière de brevets comporte un constat, une préoccupation et une certitude.

Le constat : il manque au système européen des brevets un dernier étage véritablement un européen garantissant sa compétitivité face aux dispositifs américain et japonais.

Pour enregistrer une demande de brevet, l'efficacité de l'Office européen des brevets est unanimement reconnue, mais tout brevet enregistré au niveau européen éclate en autant de brevets nationaux que de pays pour lesquels cette protection a été revendiquée. En cas de contestation, un même contentieux européen peut donc être porté devant de nombreuses juridictions nationales, ce qui multiplie les frais d'instance et comporte un risque de divergences judiciaires. Il manque une juridiction européenne.

Deux solutions ont été envisagées, l'une incluant les 36 États de la convention de Munich sur le brevet européen, l'autre limitée aux 27 États membres de l'Union européenne. Chacune de ces solutions suscitant un désaccord, une voie de compromis semble recueillir tous les suffrages pour qu'une juridiction unifiée prenne en charge le contentieux lié à la convention de Munich et celui des brevets communautaires. La proposition de résolution européenne adoptée par le Sénat portait précisément sur cette solution, esquissée dans un premier projet d'accord. Selon la Commission européenne, la juridiction unique ferait économiser 148 à 249 millions d'euros aux entreprises européennes.

Voilà pour le constat. Mais la résolution européenne a manifesté aussi une préoccupation, qui rejoignait la position du Gouvernement.

En effet, il n'est pas certain que le projet de système unifié de juridiction soit conforme au droit communautaire, puisque le mécanisme de la question préjudicielle adressée à la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) ne garantirait pas nécessairement la primauté du droit communautaire. En particulier, aucun recours n'est prévu si la juridiction unique refuse de saisir la CJCE d'une question préjudicielle.

Partagées par d'autres pays, ces réserves juridiques ont conduit les États membres à saisir pour avis la CJCE. Cette saisine, qui date du 28 mai, permet de mettre temporairement de côté ces réserves juridiques et libère la négociation sur tous les autres aspects.

J'en viens ainsi à la certitude : il est plus urgent que jamais d'aboutir. Depuis plus de 20 ans, les avancées sont limitées malgré l'engagement des principaux pays pourvoyeurs de brevets, dont la France. C'est pourquoi la résolution du Sénat a engagé le Gouvernement à l'action, mais en veillant à ce que la mise en place du système juridictionnel unifié aille de pair avec la création du titre de brevet spécifiquement communautaire. A défaut, certains États membres pourraient en abandonner la création.

La résolution du Sénat était donc motivée par le seul souci d'assurer la compétitivité du système européen des brevets et celle des entreprises européennes.

Quelles suites le Gouvernement a-t-il données à cette résolution ? Où en sont les négociations conduites sous l'impulsion de la présidence suédoise, qui, comme la présidence française, a marqué son engagement en faveur du système européen des brevets ? (Applaudissements à droite.)

M. Christian Estrosi, ministre chargé de l'industrie.  - La saisine de la CJCE a été approuvée par la résolution du 15 juillet, dans laquelle votre assemblée souhaitait que se poursuivent les négociations sur les autres points. Elle incitait le Gouvernement à rechercher un accord global associant la mise en place d'un système unifié de règlement des litiges et la création d'un brevet communautaire.

Le Gouvernement est fermement attaché au droit de propriété intellectuelle, qui apporte un avantage compétitif majeur aux entreprises et aux créateurs européens. L'Europe doit les aider à valoriser la recherche et l'innovation et à combattre la contrefaçon.

Nous souhaitons que l'Union européenne se dote d'un brevet communautaire assurant une protection efficace et uniforme sur le territoire de l'Union, pour un coût abordable. Nous soutenons également la création d'un système juridictionnel unifié compétent pour les litiges des brevets européens et communautaires, ce qui satisferait une demande pressante des entreprises. Comme il lui a été demandé par le Sénat dans sa résolution, le Gouvernement oeuvre en faveur d'un accord global portant sur le système juridictionnel et le brevet communautaire. Conformément à la résolution du Sénat, il a approuvé la saisine de la CJCE par le Conseil. En attendant de connaître l'avis de la cour, le Gouvernement soutient la volonté de la présidence suédoise d'avancer sur ce dossier.

Des conclusions sont en cours d'élaboration en vue du conseil « Compétitivité » du 4 décembre. Elles tendent à prendre acte du consensus dégagé sur plusieurs aspects non couverts par la demande d'avis : la scission du contentieux de la validité et du contentieux de la contrefaçon en première instance, ainsi que le régime linguistique applicable ; le financement du système juridictionnel ; le principe d'un partenariat renforcé entre l'Office européen des brevets et les divers offices nationaux.

Le Gouvernement est vigilant sur le régime linguistique applicable en première instance dans les divisions locales de la future juridiction : la langue de procédure doit être la langue officielle de l'État membre pour les affaires traitées devant ladite division locale, sauf accord des parties. Or, le projet autorise la division locale à choisir la langue de délivrance du brevet, à la demande d'une partie, après avoir entendu l'autre. Pour le Gouvernement, il s'agit d'une ligne rouge : il refusera tout changement de régime linguistique en première instance. (Applaudissements à droite)

M. Richard Yung.  - Le cadre a changé depuis notre débat de juillet. Tout d'abord, il a été demandé à la CJCE de confirmer que notre architecture juridique est conforme au droit communautaire. Quelle position le Gouvernement a-t-il défendue quant à l'articulation entre le système français de cassation et la CJCE ? Initialement, cette dernière devait faire office de cour finale, mais selon la doctrine française cette instance ne peut se prononcer que sur le droit, sans juger les cas concernés. Le Gouvernement a-t-il soutenu la position de compromis avec un système juridictionnel à deux niveaux ? La France est plutôt bien placée pour obtenir le siège de la cour d'appel européenne car un pôle centralisé pour les brevets a été créé au tribunal de Paris. Le Gouvernement ne peut que défendre cette proposition car l'intérêt et l'honneur de la France sont en jeu.

Ensuite, fin septembre, la présidence suédoise a fait des propositions audacieuses pour le brevet communautaire et le système juridictionnel, qui seront débattues lors du prochain conseil « Compétitivité » début décembre. Nous en avons été agréablement surpris, mais deux points secondaires suscitent des réticences. Le taux de partage des taxes annuel ne devrait pas être de 50/50, mais gagnerait à être relevé au profit de l'Europe : il ne s'agit pas de faire vivre les structures nationales sous perfusion. En outre, un venin douloureux se cache derrière la coopération entre l'Office européen des brevets (OEB) et les offices nationaux : le détricotage de la centralisation du système européen, qui serait contraire à l'esprit dans lequel a été créé l'OEB.

M. Christian Estrosi, ministre.  - Dans le cadre des observations transmises à la CJCE le 30 septembre dernier, le Gouvernement soutient que le projet de système unifié de règlement des litiges est compatible avec l'esprit du traité de la Communauté européenne. Toutefois, il ne semble pas que le recours aux questions préjudicielles devant la CJCE suffise pour garantir que la juridiction du brevet respecte le droit communautaire. Le Gouvernement souhaite que ce mécanisme soit complété par la possibilité pour les parties, les États ou la Commission européenne de saisir la CJCE lors d'un pourvoi en cassation contre les arrêtés de nos cours d'appel. D'autres possibilités de recours seraient possibles : dans l'intérêt de la loi, en cas de risque sérieux pour l'unité ou la cohérence du droit communautaire, etc.

M. Aymeri de Montesquiou.  - Les brevets sont essentiels pour soutenir l'innovation et la compétitivité, et pour protéger les intérêts des entreprises. Dans un contexte international concurrentiel, voire agressif, les contentieux abondent. Aucune des propositions permettant de trancher les litiges au plan communautaire ne fait l'unanimité, qu'il s'agisse de confier cette mission à la CJCE, à une juridiction internationale ou à une nouvelle juridiction liée aux brevets communautaires. Nous avons trop tergiversé et il nous faut trouver une solution au plus vite afin d'éviter des procédures longues, complexes, coûteuses et sources d'insécurité juridique. Monsieur le ministre, la France soutient-elle bien le choix d'une juridiction unique compétente ?

M. Christian Estrosi, ministre.  - La question préjudicielle permet d'unifier l'interprétation du droit communautaire, mais elle est insuffisante pour assurer l'interprétation uniforme du droit communautaire. Le mécanisme soutenu par le Gouvernement doit donc être complété. Lors du conseil du 4 décembre, nous devrons prendre acte d'un consensus sur la scission de la validité du contentieux de la contrefaçon en première instance, le régime linguistique applicable, le financement du système juridictionnel et le renforcement du partenariat entre l'OEB et les offices nationaux des brevets.

Mme Marie-Thérèse Hermange.  - En matière de brevets européens et communautaires, tout le monde s'accorde sur le fait que le système actuel de règlement des litiges est complexe et source d'insécurité juridique. Nous devons mettre en place dans des délais raisonnables un système européen de brevets sûr et efficace, mais il n'y a pas de consensus sur la solution à adopter. La proposition de la Commission européenne d'une juridiction unifiée qui couvrirait à la fois le brevet européen et le futur brevet communautaire semble pragmatique et efficace. Les arguments juridiques sans fin, émanant de notre pays et de certains ministères, ne doivent pas bloquer la négociation. Le groupe UMP souhaite que nous parvenions à un accord global pour le règlement unifié des litiges et la création d'un brevet communautaire. Monsieur le ministre, comment comptez-vous y parvenir ?

M. Christian Estrosi, ministre.  - Effectivement, un accord global est nécessaire. La question des brevets est liée à notre politique d'innovation industrielle, et nous agissons en ce sens au conseil des ministres comme à la Commission européenne. La France doit définir des enjeux stratégiques qui serviront d'accélérateur pour la sortie de crise, tels les pôles de compétitivité ou les aides sous forme de crédits d'impôt-recherche. Ce système est attractif, mais comporte des failles : certaines entreprises utilisent des ingénieurs, des ouvriers et des employés français pour mettre au point des brevets, puis s'en vont avec le brevet sans protéger leur propriété intellectuelle ou céder leur activité à un repreneur.

L'action doit être menée au plan européen par la création d'un brevet communautaire permettant de mieux défendre l'innovation industrielle de la France et de nos partenaires. Lors du conseil du 4 décembre, je pousserai mes homologues à l'accélération du processus pour aboutir à un accord global. Par ailleurs, le Président de la République prépare le sommet de Copenhague et souhaite rallier les autres États membres au principe de la taxe carbone aux frontières. Ce système aiderait à lutter contre les délocalisations et les importations de produits ne respectant pas les critères environnementaux. La détermination du Gouvernement sur ce sujet est totale. (Applaudissements sur les bancs UMP)

Droits des consommateurs

M. Gérard Cornu, au nom de la commission de l'économie.  - La Commission européenne a fait voter, le 8 octobre, une proposition de directive sur les droits des consommateurs, remplaçant quatre directives existantes, pour unifier la réglementation sur les aspects communs, simplifier les règles actuelles, supprimer les incohérences et combler les lacunes. Fort bien. Mais le problème est que cette proposition de directive marque une rupture avec les textes précédents en ce qu'elle s'écarte du principe d'harmonisation minimale, qui veut que les États membres puissent maintenir ou établir des règles nationales plus strictes. Il leur serait désormais interdit, en effet, de maintenir ou d'établir des dispositions s'écartant de la directive, fût-ce pour garantir une meilleure protection du consommateur.

Notre commission des affaires européennes a examiné cette proposition le 3 décembre 2008 et a informé la Commission européenne que l'harmonisation totale des règles de protection des consommateurs n'était pas conforme au principe de subsidiarité. Non satisfaite par la réponse de la Commission, elle a alors déposé une proposition de résolution début avril 2009, devenue résolution du Sénat le 29 juillet dernier.

La commission de l'économie, dont je suis le porte-parole, s'est saisie de cette question et j'ai notamment pu mener plusieurs auditions sur le sujet, dont il ressort qu'il est essentiel que la nouvelle directive ne diminue pas la protection accordée aux consommateurs par la législation française. Or, l'approche d'harmonisation complète représente de ce point de vue une menace.

Un exemple, la question de la garantie. En application de la proposition de directive, le consommateur disposerait d'un délai de deux ans à compter de la prise de possession d'un bien qu'il a acheté à raison d'un « défaut de conformité » alors qu'aujourd'hui, en cas de vice caché, ce délai ne court, pour l'acheteur français, qu'à compter du jour où le vice est connu.

Certes, la directive de 1999 énonçait déjà cette règle mais il ne s'agissait que d'une directive d'harmonisation minimale, nous laissant la possibilité de recourir aux dispositions plus favorables du code civil.

Autre exemple, la liste limitative des clauses abusives. La proposition de directive met en place une liste noire de clauses interdites dans les contrats, mais elle la limite à cinq alors que la liste française, en cours de révision, devrait en compter une quinzaine.

Qu'en est-il, monsieur le ministre, de l'état d'avancement des négociations au niveau européen ? Le Gouvernement s'est-il mobilisé afin que l'harmonisation du droit des consommateurs ne conduise pas à un recul important de la protection dont bénéficient aujourd'hui les consommateurs français ? (Applaudissements à droite)

M. Christian Estrosi, ministre chargé de l'industrie.  - Dans sa résolution, le Sénat estime qu'il ne faut pas diminuer le niveau de protection des consommateurs élevé qui existe en France au motif d'améliorer le marché intérieur. Il demande au Gouvernement de s'opposer à toute mesure qui se traduirait par un recul de cette protection. Le Gouvernement partage entièrement ces inquiétudes et s'en est fait l'interprète dans son dialogue avec la Commission européenne.

Le texte communautaire est fondé sur le principe de pleine harmonisation, d'autant plus problématique que son champ d'application n'est ni précis ni clairement identifié. Le principe de pleine harmonisation des législations nationales des États membres de l'Union européenne ne peut être une fin en soi. II ne doit pas se traduire par la remise en cause d'un niveau de protection plus élevé.

Tel qu'appliqué à la proposition de directive sur les droits des consommateurs, ce principe de pleine harmonisation présente trois risques avérés. Il remet en cause des pans entiers de notre législation en réduisant le niveau de protection des consommateurs et en induisant la suppression de certains dispositifs nationaux qui permettent d'informer et de protéger le consommateur, comme les obligations d'information précontractuelle dans le domaine de la vente à distance ou encore les règles de formation des contrats conclus en dehors des établissements commerciaux. Il ne permet pas d'engager une action politique nationale s'adaptant aux besoins réels de protection des consommateurs et aux éventuelles attentes de la société civile. Il fige un droit dont l'essence est évolutive. La lourdeur des processus de révision du droit communautaire interdit la réactivité nécessaire pour répondre aux évolutions des pratiques contractuelles des professionnels.

Devant l'absence de réponses satisfaisantes de Bruxelles aux interrogations que la France n'a pas manqué d'exprimer, il est impératif de pas souscrire au principe de pleine harmonisation telle que voulue par la Commission. Il est préférable d'adopter une démarche pragmatique consistant à réserver la pleine harmonisation aux dispositions de la proposition de directive qui ne sont pas vouées à évoluer rapidement, comme celles qui, aux termes des négociations, garantiraient un niveau suffisamment élevé de protection des consommateurs. Il est urgent de définir strictement le champ d'application de la directive afin d'en réduire au maximum la portée, pour éviter tout impact, au-delà du droit de la consommation stricto sensu, sur des dispositions nationales particulièrement protectrices des droits des consommateurs ainsi que sur le droit général des contrats.

Le Gouvernement partage entièrement la position exprimé par le Sénat dans sa résolution du 29 juillet et continuera à s'exprimer en ce sens au niveau européen.

M. Richard Yung.  - Nous allons communier dans l'unanimité car nous partageons ces positions. La proposition de directive est fondamentalement mauvaise. C'est une première particulièrement perverse, puisque le système européen était jusqu'à présent fondé sur le principe de l'harmonisation a minima. Suivre la voie qu'ouvre la Commission serait ouvrir la boîte de Pandore. L'Europe est déjà stigmatisée comme le foyer de l'ultralibéralisme, de la destruction du service public et de la protection sociale. C'est ainsi que la perçoivent nombre de citoyens. Si elle impose, par-dessus le marché, une régression des droits nationaux, il n'y a plus d'Europe ! C'est le sommet de l'inanité.

Ce projet de directive est de surcroît incomplet puisqu'il ne reprend que quatre directives sur les huit existantes. L'occasion de cette refonte était belle de mettre sur pied, comme la Commission y songeait il y a deux ou trois ans, un système européen d'action de groupe. Je sais les déclarations de M. Novelli, mais ce serait là un outil formidable pour la protection des consommateurs. Il n'en a rien été et nous affirmons haut et fort notre opposition à ce projet.

M. Christian Estrosi, ministre.  - Je ne citerai qu'un exemple pour aller dans votre sens : l'obligation des parties pendant le délai de rétractation. La proposition de directive prévoit un dispositif commun alors que le droit français distingue les contrats passés hors établissements commerciaux, où, avant livraison, le droit français interdit tout paiement et tout engagement du consommateur.

Mme Colette Mélot.  - Je m'associe à ces positions. L'harmonisation complète risque d'aboutir à un nivellement par le bas. En France, les droits des consommateurs sont déjà protégés.

Certes, l'idée de la Commission européenne était de mettre fin à la fragmentation du marché intérieur, qui oblige les entreprises à se soumettre à des législations nationales très variées. Elle estime que cette directive est le seul moyen pour parvenir au même niveau de protection des consommateurs, assurer la clarté juridique et stimuler les échanges transfrontaliers. Ces objectifs sont légitimes mais le texte manque de clarté, et je remercie nos deux commissions de nous avoir alertés sur les risques qu'il présente. Selon le Beuc, l'organisation des consommateurs européens, cette directive aura des effets négatifs sur les États où le droit des consommateurs est plus protecteur.

La Commission européenne n'envisage pas de renoncer au principe d'une harmonisation totale. Le champ d'application de la future directive reste donc une question majeure. Quel sera l'impact de la nouvelle législation ? Quel degré d'harmonisation atteindra-t-on ? Il est encore temps d'agir !

M. Christian Estrosi, ministre.  - Nous craignons que la proposition de directive ne soit pas de nature à renforcer la confiance des consommateurs dans le marché intérieur. Les échanges commerciaux intracommunautaires risquent d'en être affectés. Par exemple, en matière de clauses abusives, notre droit national comporte l'interdiction de douze clauses « noires » ; dix autres sont considérées comme laissant présumer un abus. Or la Commission européenne n'en interdit que cinq ! La France est favorable à une harmonisation ciblée, non à une harmonisation maximaliste, sur les points suivants : informations précontractuelles, clauses abusives, démarchage à domicile et vente à distance.

Transposition insuffisante d'une directive ferroviaire

M. Roland Ries, au nom de la commission des affaires européennes.  - En juin 2008, la France a fait l'objet d'une mise en demeure de la Commission européenne pour une transposition insuffisante du paquet ferroviaire qui concerne le fret. A ce jour, les problèmes soulevés par la Commission européenne n'ont pas reçu de solution. Nous venons ainsi de recevoir un « avis motivé », dernière étape avant la saisine de la Cour de justice.

La concurrence ne serait pas suffisamment transparente. Les études techniques des demandes de sillons et la détermination des créneaux horaires des trains sont gérées par la direction de l'infrastructure de la SNCF, dont l'indépendance ne serait pas garantie. La Commission européenne nous reproche également l'absence de mécanisme incitant les opérateurs ferroviaires et le gestionnaire de l'infrastructure à améliorer les performances et à réduire Ies coûts ; elle réclame plus d'indépendance et de pouvoirs pour l'organe de contrôle.

Je souligne que la plupart des États membres se trouvent en infraction. Car tout le monde souhaite le développement du ferroviaire, mais lorsqu'il s'agit d'appliquer les décisions prises en commun, chacun estime urgent d'attendre. Le Premier ministre avait demandé, l'année dernière, un rapport au président de notre commission, M. Hubert Haenel, sur le processus d'attribution des sillons et la gestion de l'infrastructure. Notre collègue préconisait la création d'une société indépendante, filiale de la SNCF, sur le modèle de ce qui a été fait pour l'électricité. C'est aussi ce que la Commission européenne nous demande : nous avons perdu un an pour nous mettre en règle...

Le projet de loi en discussion sur l'organisation et la régulation des transports ferroviaires va modifier profondément notre droit ferroviaire. Les nouvelles règles vont-elles mettre notre droit en conformité avec la réglementation européenne sur tous les points ? La sécurité juridique est essentielle. Les dispositions en discussion seront-elles suffisantes pour désarmer la Commission européenne ? Les critiques de cette dernière seront-elles désormais sans objet ?

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État chargé des transports.  - Je reviens d'une réunion des ministres européens des transports qui se tenait à Naples ; et j'ai eu l'occasion de dire fermement au président de Trenitalia, M. Moretti, quelle est la position de la France car je n'aime pas que nous soyons mis en cause par ceux qui prétendent vouloir faire rouler des trains sur notre territoire mais ne présentent pas les dossiers en temps et en heure...

Le projet de loi relatif à l'organisation et à la régulation ferroviaire vise à préparer la libéralisation des services de transport international de voyageurs à partir du 1er janvier 2010 et à renforcer les garanties d'un accès non discriminatoire au réseau pour tous les opérateurs de service fret et voyageurs. Déjà 15 % du fret est assuré par d'autres opérateurs que la SNCF. La création de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (Araf) répond à la préoccupation de Bruxelles. Le président assurera ses fonctions à temps plein ; l'autorité disposera de services spécifiques et de l'autonomie financière. Elle donnera également un avis sur les dessertes intérieures créées à l'occasion d'un service international de voyageurs. Elle s'inscrit totalement dans l'esprit de la directive.

Le texte a été amendé afin de tenir compte des remarques de la Commission et des propositions de M. Haenel. Un amendement instaure une séparation au sein de la SNCF entre l'activité de gestion du trafic et des circulations, assurée pour le compte de RFF, et les autres activités. Un service spécialisé sera mis en place avant le 1er janvier prochain. Il opérera en toute indépendance -mais la directive européenne n'exige pas de séparation institutionnelle, dès lors que la neutralité du service est garantie. Durant l'examen du projet de loi à l'Assemblée nationale, des amendements ont encore renforcé l'indépendance de ce service vis-à-vis de la SNCF : le directeur sera nommé directement par le Premier ministre, après avis de l'Araf. Le service aura une indépendance fonctionnelle et décisionnelle vis-à-vis des autres entités et de la hiérarchie de la SNCF ; il aura la maîtrise exclusive de son budget, de sa gestion et de sa hiérarchie ; à quoi s'ajoutent la confidentialité et le secret professionnel. L'Autorité pourra l'aider dans ses missions et aura des pouvoirs de sanction. Il ne nous apparaît pas nécessaire de modifier encore le projet de loi. La Commission nous a adressé un avis motivé parce que le texte n'a pas encore été adopté, mais sa mise en oeuvre rapide répondra aux attentes de Bruxelles. La CMP se réunira le 27 octobre prochain. Restera à traiter du transport de voyageurs : un comité des parties prenantes dira s'il y a lieu de lancer des expérimentations, lesquelles pourraient alors être mises en oeuvre par les exécutifs régionaux issus des urnes de mars prochain. Votre collègue Francis Grignon est aux avant-postes.

M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l'économie.  - La commission de l'économie s'est beaucoup impliquée sur cette question, M. Grignon tout particulièrement, qui a été le rapporteur du projet de loi.

Le reproche le plus substantiel de la Commission européenne porte sur le manque d'indépendance, qui donne lieu à cinq griefs. Le service qui, au sein de la SNCF, est chargé du trafic et de la régulation ne possède pas la personnalité juridique. Mais je souligne qu'il remplit toutes les autres conditions matérielles de l'indépendance. Autre grief, l'impossibilité de saisir l'Autorité : l'article 9 du projet de loi apporte une réponse.

L'Araf devrait, selon la Commission, donner un avis conforme sur la révocation mais aussi sur la nomination du directeur de SNCF-Infra : ce serait donner à l'autorité de régulation un véritable pouvoir de nomination. Le texte de la CMP est équilibré : mandat de cinq ans, nomination par le Premier ministre sur proposition du ministre des transports, avec avis simple de l'Araf. Autre grief, le projet de loi ne poserait pas d'incompatibilités en cas de départ d'agents vers des entreprises privées.

Ce n'est pas à la loi mais au règlement de déterminer ces critères, comme cela s'est fait pour la commission de régulation de l'énergie.

Dernier grief, Bruxelles aurait aimé que la loi fixe les modalités concrètes d'organisation de SNCF-infra, mais cela relève aussi du règlement.

Quant au deuxième axe de l'avis motivé, la Commission ne semble pas avoir pris connaissance du V de l'article 8 relatif à la redevance.

Nous souscrivons pour l'essentiel aux critiques sur la mission de contrôle des activités ferroviaires mais cette dernière sera remplacée par l'autorité de régulation des activités ferroviaires.

J'ai toujours eu à coeur de mettre le droit national en conformité avec le droit européen mais, en l'espèce, les critiques de la Commission ne sont pas justifiées : le Parlement a anticipé ses remarques.

M. Michel Teston.  - La Commission européenne a ouvert une procédure en infraction contre plusieurs États membres pour mauvaise mise en oeuvre du premier paquet ferroviaire. Or, au moment de notre débat, le Parlement n'est pas complètement informé puisque seul le Gouvernement était habilité à faire connaître l'avis motivé de la Commission, que le président Emorine vient de présenter. Dans un communiqué laconique, la Commission souligne le manque d'autonomie du gestionnaire d'infrastructures et l'absence d'organisme de régulation indépendant. Le projet en cours de discussion crée une autorité de régulation ferroviaire ainsi qu'une direction au sein de la SNCF, chargée de l'attribution des sillons. Cela répond-il aux observations de la Commission ?

Quelle que soit l'appréciation que l'on porte sur le premier paquet ferroviaire, et la mienne est très négative, la question de la dette de RFF est centrale. En mars dernier, le Sénat a voté le principe d'un rapport formulant des propositions pour la réduire ; l'Assemblée nationale a été plus audacieuse que la majorité sénatoriale, qui avait édulcoré notre amendement. Êtes-vous prêt, monsieur le ministre, à proposer des solutions ?

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État.  - La messe est dite, si je puis me permettre cette formule dans une assemblée laïque. La nouvelle autorité sera mise en place et nous désignerons, pour la diriger, une personnalité indépendante. Nous mettons en place au sein de la SNCF une direction des gares à l'indépendance garantie et à laquelle un opérateur pourra s'adresser. Tout cela se fait dans les délais ou avec un léger retard -le projet a cheminé lentement.

La dette relève d'un autre débat. Celle de RFF est importante et ne diminuera pas en raison des quelque 4 500 kilomètres de lignes prévus par le Grenelle. Le conseil des ministres des transports de Naples a évoqué ce problème -avec des projets comme Lyon-Turin, pour lequel l'Union apporte 600 millions et qui mobilisera d'autres financements, tels que ceux de l'Afitf, et des partenariats public-privé. Tous les pays qui construisent des réseaux à grande vitesse ont des difficultés de financement. Nous devons en traiter mais on ne peut mettre le grand emprunt à toutes les sauces, il n'est en tout cas pas fait pour résorber une dette.

Mme Nicole Bricq.  - L'amendement que le Gouvernement a fait adopter sans que le Sénat puisse vraiment en discuter dessaisit le Stif et place la RATP dans la position délicate dont il veut sortir la SNCF, alors même que cette dernière se prépare à la mise en concurrence. Pourquoi prévoir un terme postérieur à celui retenu par le règlement ? En transférant à la régie le patrimoine et les infrastructures du Stif, il crée une entité sans séparation fonctionnelle, en situation exorbitante. Elle ne paiera d'ailleurs pas de péage à RFF. Comment justifier cette contradiction ?

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État.  - J'ai évoqué cette question cette semaine avec M. Huchon. La logique des règlements pouvait être dramatique : nous retrouverions-nous avec plusieurs opérateurs comme avant la création de la RATP quand la ligne Nord-Sud avait un opérateur différent de celui de la ligne n°1 ? Avec l'accord des syndicats, nous avons souhaité protéger la RATP pendant quinze ans pour les bus, vingt pour les trams et trente pour les métros, comme le justifient leurs délais respectifs d'amortissement. Cela ne concerne pas les lignes nouvelles, lesquelles feraient l'objet d'un appel d'offres.

S'agissant des biens du Stif et de la RATP, on a distingué l'avant et l'après 1969, étant entendu que l'un a le matériel roulant et l'autre les bâtiments. Il y aura une compensation pour le siège de la RATP, quai de la Rapée. Cela fera l'objet d'une négociation et j'ai dit à M. Huchon que nous mettrions le décret au point dans la transparence.

M. Roland Ries, au nom de la commission.  - La transmission en amont des correspondances adressées par la Commission au Gouvernement nous permettrait de mieux préparer nos arguments. Est-ce possible ?

J'avoue n'avoir pas très bien compris le sens de l'intervention du président Emorine. Il avait l'air de contester une à une les critiques formulées par la Commission. Or le ministre semblait avoir une position différente, qui consistait à dire que le projet répondait à ces critiques. Dois-je entendre les explications du président de la commission ou celle du Gouvernement ?

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État.  - Nous avons des interventions coordonnées. Le président Emorine a expliqué le processus législatif au terme duquel nous serons, grâce à ce qu'on appelle dans l'autre assemblée une coproduction législative, dans une bonne situation vis-à-vis de l'Union européenne, en tenant compte de ses observations. Le texte répond désormais à des interrogations qui s'étaient exprimées et j'en remercie votre commission de l'économie.

Quant à l'avis motivé, le Gouvernement l'a transmis au président de la commission des affaires européennes trois jours après réception.

Coopération judiciaire et policière : situation en Bulgarie et en Roumanie

M. Michel Billout, au nom de la commission des affaires européennes  - La commission des affaires européennes a souhaité faire le point en juin dernier sur les problèmes de justice et d'affaires intérieures en Bulgarie et en Roumanie. Elle a entendu nos ambassadeurs à Sofia et à Bucarest et confié à M. Bernard-Reymond et à moi-même la mission de lui présenter un état des lieux, ce que nous avons fait le 23 juin dans une communication après avoir pris contact avec les représentants de ces deux États à Bruxelles et à Paris, ainsi qu'avec la Commission européenne. Je rappelle qu'à l'occasion de l'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie à l'Union le 1er janvier 2007, un mécanisme de coopération et de vérification a été mis en place sur la réforme du système judiciaire, la lutte contre la corruption et, pour la seule Bulgarie, le crime organisé. Des objectifs ont été fixés, un suivi organisé et des sanctions prévues. Des mesures de sauvegarde figurant dans les traités d'adhésion peuvent être activées pendant une période de trois ans à compter de l'adhésion.

En février 2008, des rapports de la Commission ont fait état de progrès insuffisants, notamment en ce qui concerne la lutte contre la corruption de haut niveau et le crime organisé. Les rapports de juillet 2008 ont de nouveau porté un jugement sévère, malgré certaines avancées. La Commission européenne a donc estimé nécessaire de maintenir le mécanisme. Un rapport spécifique sur la gestion des fonds communautaires en Bulgarie a même conduit à suspendre, en juillet 2008, le versement d'une partie des aides accordées à la Bulgarie au titre de la préadhésion. A l'occasion de la présidence française, le Conseil a appelé, en septembre 2008, ces pays à intensifier leurs efforts. Mais deux rapports intérimaires publiés en février 2009 ont de nouveau relevé l'absence de résultats concrets.

M. Bernard-Reymond et moi-même avons fait le même constat. Certes, dans le domaine de l'application des lois, le temps est parfois long. Mais les autorités bulgares et roumaines doivent s'engager de manière ferme et continue sur ces problèmes, avec le soutien de la société civile. Nous avons considéré qu'en dépit de ses défauts, il fallait maintenir le mécanisme de coopération et de vérification et privilégier la coopération. Les objectifs du mécanisme doivent également être précisés.

La lutte contre la corruption et le crime organisé concerne d'ailleurs l'Union européenne tout entière et doit faire l'objet d'une action commune plus déterminée.

Des enseignements peuvent être tirés de cette expérience en vue des prochaines adhésions : c'est avant même l'intégration que les pays candidats devront mener une action résolue dans ces domaines. Car le mécanisme de coopération et de vérification stigmatise les pays membres concernés.

La Commission européenne a publié, en juillet 2009, deux nouveaux rapports. Dans des conclusions adoptées le 14 septembre 2009, le Conseil a appelé la Bulgarie et la Roumanie « à accentuer leurs efforts en prenant sans délai toutes les mesures nécessaires et en faisant état de résultats tangibles et durables ». Il a lui aussi déploré l'absence de résultats concrets. Relevant que le mécanisme de coopération et de vérification est désormais entré dans sa troisième année, le Conseil note « qu'il constitue un outil approprié et qu'il demeurera en place dans l'attente des résultats escomptés ».

Nous souhaitons connaître l'avis du Gouvernement. Peut-on escompter un engagement ferme des autorités politiques roumaines et bulgares ? Si la situation actuelle devait perdurer, cela ne mettrait-il pas en péril le bon fonctionnement de l'Union et sa cohérence ? L'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie à l'espace Schengen serait-elle mise en cause ? Ne faut-il pas renforcer notre coopération avec ces deux pays et, plus largement, l'Union ne doit-elle pas engager une politique plus résolue de lutte contre la corruption ?

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État chargé des affaires européennes.  - MM. Bernard-Reymond et Billout ont dressé, dans leur communication du 23 juin dernier, un bilan très lucide de l'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie à l'Union. Ils ont d'abord souligné avec justesse l'impact très positif de l'adhésion pour ces pays, comme je l'ai moi-même rappelé lors de mes visites à Bucarest en juillet et à Sofia en septembre. Ils ont eu raison de mettre en avant le dynamisme de ces deux économies depuis leur adhésion : près de 6 % de croissance par an en moyenne. Certes, la crise s'est abattue en 2008 sur tous les pays de l'Union ; mais les Européens ont su faire preuve de solidarité et garantir la stabilité financière de la région. L'Union a octroyé 5 milliards d'euros à la Roumanie pour soutenir sa balance des paiements, en sus de l'aide versée par le FMI : cela a certainement contribué à sauver le système financier roumain. C'est grâce à l'Union que la crise économique et financière n'a pas produit les mêmes effets qu'en 1929.

Mais, messieurs, vous avez également mis en évidence les insuffisances de la lutte contre la corruption dans ces deux pays. Vous avez dressé un bilan objectif du mécanisme de coopération et de vérification institué par la Commission le 13 décembre 2006 afin d'aider la Bulgarie et la Roumanie à accomplir les réformes nécessaires dans le domaine judiciaire et dans le domaine de la lutte contre la corruption et, en Bulgarie, la criminalité organisée.

Vous avez fait part de préoccupations légitimes sur la gestion des fonds communautaires par ces deux États, alors que la Commission a décidé en 2008 de suspendre le versement de 500 millions d'euros d'aides allouées à la Bulgarie au titre de la préadhésion. Les fonds européens destinés à la Bulgarie et à la Roumanie entre 2007 et 2013 sont considérables, tant en valeur absolue -6 milliards d'euros pour la Bulgarie, 20 milliards pour la Roumanie au titre des seules dépenses de cohésion- que rapportés au PIB de ces pays. Cela requiert de leur part une gestion exemplaire : nous y sommes d'autant plus sensibles que, comme M. Marini le sait bien, la France est devenue contributeur net de l'Union à hauteur de 5 milliards d'euros. (M. Philippe Marini le confirme)

Le Gouvernement partage vos conclusions. Le mécanisme de coopération et de vérification doit être maintenu : dans son troisième rapport annuel d'évaluation en date du 22 juillet dernier, la Commission européenne ne constate pas de percée majeure dans la lutte contre la corruption en Bulgarie et en Roumanie. Elle regrette l'absence de consensus politique dans ces deux pays pour mener les réformes nécessaires et met l'accent sur les failles des codes civil et pénal. Elle conclut donc à la nécessité de maintenir le mécanisme. Le Conseil européen consacré aux affaires générales du 14 septembre 2009 n'en a pas jugé autrement.

Deux nouveaux éléments sont intervenus depuis la publication du rapport de la Commission. Le premier est encourageant : le nouveau gouvernement bulgare de M. Borissov, que j'ai rencontré à Sofia et qui s'est rendu à Paris pour s'entretenir avec les plus hautes autorités françaises, s'est fermement engagé à lutter contre la corruption et la criminalité organisée. La réforme des douanes, le licenciement de certains responsables et la mise à pied de 500 fonctionnaires sont de bon augure. En revanche, la Roumanie connaît actuellement une crise gouvernementale.

Pour rendre le mécanisme de coopération et de vérification plus efficace, il faut le préciser et mettre davantage l'accent sur la coopération. La Commission a adopté, dans son rapport de juillet dernier, 21 recommandations pour la Bulgarie et 16 pour la Roumanie afin de mieux cerner les priorités. C'est d'autant plus nécessaire qu'au-delà de la troisième année d'adhésion, les clauses de sauvegarde ne peuvent plus être activées.

La France a renforcé sa coopération avec ces pays, et notamment la Roumanie où elle aide le ministère de la justice et le ministère public à renforcer leurs moyens institutionnels et administratifs. Un magistrat français a été placé en détachement auprès du ministre de la justice roumain. Lors du Conseil européen sur la justice et les affaires intérieures de juin 2008, le ministre a demandé l'aide technique de la France pour la rédaction d'un projet de loi sur la responsabilité des ministres poursuivis pour actes de corruption, et nous avons envoyé deux hauts magistrats en mission.

Nous coopérons aussi avec la Bulgarie : l'École nationale de la magistrature apporte son appui à l'Institut national de la justice de Sofia, fondé en 2004. Nous sommes disposés, dans le cadre d'un important jumelage européen remporté par la France, à travailler sur la réforme de l'État et tout particulièrement la professionnalisation des gouverneurs et la déconcentration.

Il faut lutter contre la corruption et le crime organisé dans l'ensemble de l'Union mais, pour cela, il manque un cadre commun. La France soutient la démarche de la Commission et souhaite que, dans le cadre du futur « programme de Stockholm », les États s'accordent sur un mécanisme d'évaluation de la qualité de la justice.

Nous devons enfin réserver une place éminente à la justice et aux affaires intérieures dans les négociations d'adhésion : c'est la leçon qu'il convient de tirer. Nous veillerons à ce que chaque pays candidat prenne toutes les dispositions requises en vue de son intégration à l'Union, et nous ne transigerons pas. L'examen des chapitres de négociations est désormais soumis à certains critères.

Ainsi, pour la Croatie, six critères ont été prévus dans le chapitre « justice, liberté et sécurité », portant sur l'asile, les visas, la gestion intégrée des frontières, le mandat d'arrêt européen, la lutte contre le terrorisme. Nous examinerons également dans cet esprit le chapitre 23 « pouvoir judiciaire et droits fondamentaux ».

Lorsque je me suis rendu en Islande, en juillet, j'ai dit aux responsables de ce pays qu'il était assez incompréhensible qu'au bout d'un an, aucune poursuite n'ait été engagée contre les Islandais qui ont provoqué la déconfiture de leur système financier, la ruine de ce pays désormais endetté à hauteur de treize fois son PNB.

M. Jean-Pierre Fourcade.  - Ils nous battent !

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État.  - La candidature de l'Islande est certainement recevable et intéressante, à condition que des mesures de nettoyage judiciaire soient mises en oeuvre dans ce pays.

Vous le voyez, nous sommes attentifs à ce que les critères soient remplis en matière de coopération judiciaire, de lutte contre la corruption et le crime organisé. (Applaudissements à droite, au centre et sur les bancs socialistes)

M. Richard Yung.  - Bien évidemment, nous approuvons le rapport et la réponse de M. le ministre. Mais, dans ces questions, nous sommes dans des processus longs : la corruption est une affaire culturelle, mais aussi économique. Dans un pays où les fonctionnaires les mieux payés gagnent 400 euros par mois et les maires deux fois moins, il est compréhensible -je n'ai pas dit justifié- que les permis de construire et autres donnent lieu à rétributions. Nous souhaitons tous que ce mal soit éradiqué, mais cela prendra du temps. La corruption fausse les appels d'offre, les investissements et empêchent le développement d'une activité économique normale.

Il faut prendre acte des déclarations des dirigeants, mais nous en avons entendu beaucoup aussi en Afrique depuis une cinquantaine d'années. Plutôt que des discours, je préfère juger sur les faits. En Roumanie, une grande confusion politique règne. Ce n'est donc pas dans les mois qui viennent que le problème de la corruption y sera résolu.

La Roumanie et la Bulgarie n'arrivent pas à consommer 10 % des crédits de coopération que l'Union met à leur disposition. Ces pays ne disposent pas du personnel qualifié pour préparer les appels d'offre et les projets. Or, la Commission a érigé un corpus de règles draconiennes pour lutter contre les tentations de détournement ou de mauvaise utilisation. Il faut sans doute simplifier ces règles.

Enfin, il est important d'avoir des normes élevées et claires dès les premières discussions. Ce n'est pas quand ces pays seront entrés dans l'Union qu'il conviendra de les stigmatiser comme les mauvais élèves de la classe.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État.  - Merci pour votre soutien, monsieur le sénateur. Nous sommes bien d'accord : il s'agit de processus longs et c'est pour cette raison que le mécanisme de coopération et de vérification est annuel. Chaque fois que le rapport est annoncé à Bruxelles, il fait l'objet d'un débat dans le pays en question. Lors de la publication du dernier rapport, j'étais en Roumanie, et ce fut un choc. De nombreux débats eurent lieu dans les médias. Certes, il est désagréable de singulariser des États entrés récemment.

Nous aurons l'occasion de revenir sur la sous-consommation des crédits communautaires, mais il ne s'agit pas que d'une spécificité roumaine. Nous connaissons, en France, un problème identique. C'est d'ailleurs pourquoi j'ai demandé à M. le Premier ministre de nommer Pierre Lequiller, président de la commission des affaires européennes à l'Assemblée nationale ainsi qu'une eurodéputée française, Mme Sophie Briard-Auconie, pour présenter un rapport sur la façon de lutter contre la sous-consommation par nos collectivités territoriales des crédits européens disponibles.

Il est vrai que, pour un pays qui s'installe dans la démocratie, ce travail est encore plus difficile. C'est d'ailleurs pour cette raison que nous avons proposé aux Roumains une coopération technique : désormais, de hauts-fonctionnaires français travaillent dans certains ministères roumains.

M. Robert del Picchia.  - Merci à nos deux rapporteurs et merci à M. le ministre pour toutes les explications qu'il nous a données et qui éclairent un peu mieux les actions menées par la France et par l'Union.

Ce problème peut devenir très grave pour les deux pays, car ils ne seront plus crédibles, mais aussi pour l'Union européenne qui ne le sera plus non plus. Comment aller en Afrique faire la morale à certains pays alors qu'ils risquent de nous demander de balayer devant notre porte ?

Dans des pays où la corruption et le crime organisé existent, les milliards injectés par l'Union ne peuvent qu'attiser les tentations. D'un côté, nous voulons aider ces pays à devenir des membres de l'Union à part entière mais, de l'autre, nous risquons de provoquer des effets pervers.

En outre, vous avez évoqué, monsieur le ministre, le cas de la Croatie et des pays des Balkans : ces pays, même s'ils n'ont pas vocation à entrer dans l'Union, risquent effectivement de voir se développer en eux le crime organisé. Il est donc important de poursuivre et d'amplifier les actions menées par le Gouvernement.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État.  - Nous serons attentifs à ces problèmes, monsieur le sénateur, mais il faut faire attention à l'endroit où l'on place le curseur. Il faut des mécanismes de contrôle, mais il fut aussi aider ces pays.

Les contrôles ne doivent en effet pas en venir à paralyser l'action de l'Union. La gestion, par la Commission, de certains dossiers industriels et scientifiques est handicapée par le réflexe du parapluie : les précautions sont telles que plus personne n'ose prendre de décisions et la Commission finit par neutraliser des projets qui sont pourtant indispensables à l'Union. Le travail entre les États doit donc encore être amélioré de sorte que le système soit efficace tout en garantissant la bonne utilisation des fonds. Une Europe à 27 est très compliquée à faire fonctionner : nous essayons d'être lucides, efficaces et de promouvoir des programmes en commun. (Applaudissements à droite)

M. Richard Yung.  - On est en train de mettre en place une sorte de représentation diplomatique de l'Union dans divers pays. Pourquoi ne pas harmoniser les travaux faits par l'Union et par nos représentations nationales ? Tout cela pourrait bien marcher, mais la mayonnaise n'a pas encore pris.

Le débat est clos.