Taxation des transactions financières

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Collin et des membres du RDSE relative à la taxation de certaines transactions financières.

Discussion générale

M. Yvon Collin, auteur de la proposition de loi.  - L'Europe est une des zones les plus touchées par la crise financière et économique actuelle, la plus grave que le monde ait connu depuis 1929. Tout le système financier a vacillé et vacille encore. Il est temps d'agir pour introduire plus de justice et d'éthique dans un système qui aujourd'hui n'en compte guère.

L'occasion ne doit pas être manquée pour taxer davantage les banques et les transactions financières. En matière de moralisation, tout reste à construire : pour certains, l'investissement le plus intéressant est de jouer l'écroulement de l'union monétaire européenne... Aux fonds de placement les bénéfices, à la collectivité les pertes vertigineuses...

Les pays membres du G20 se sont réunis à deux reprises pour tenter de trouver des solutions équilibrées et consensuelles. A Londres, en avril 2009, c'était pour lutter contre les paradis fiscaux ; à Pittsburg, en septembre de la même année, on arrêta le principe d'une taxation de certaines transactions financières.

L'idée n'est pas nouvelle : elle a été formulée en 1972 par le prix Nobel James Tobin, qui voulait « mettre un grain de sable » dans les mécanismes financiers, au bénéfice des plus pauvres.

La situation ne progressant pas, les sénateurs du RDSE ont, à l'unanimité, décidé de proposer un texte visant à créer une taxe anti-spéculative sur les transactions sur devises, à un taux infime pour ne pas dire indolore. La question est d'intérêt général : il s'agit de réduire les risques systémiques plus sûrement qu'une taxe sur les banques et de dégager des ressources à moindre coût pour nos compatriotes. A 0,2 %, cette taxe rapporterait 11 milliards au Trésor français. Au regard de nos déficits abyssaux, elle est plus qu'opportune.

Ce serait un moyen de rétablir un sentiment de justice, qui renforcerait la confiance des citoyens dans la politique. Le Chili, l'Allemagne ont agi contre l'exubérance des marchés ou les ventes à découvert à nu ; la France, à l'initiative de M. Chirac, a taxé les billets d'avion -ce qui devait sinistrer compagnies aériennes et aéroports...

Notre proposition prévoit un taux faible : 0,05 %, mais 0,1 % pour les transactions avec les pays en liste grise et jusqu'à 0,5 % pour celles avec les pays en liste noire. Ces taux seraient modifiés en loi de finances à chaque nouvelle publication d'une liste par l'OCDE. Nous en espérons un effet positif de contagion chez nos partenaires.

Techniquement, la taxe qui sera évoquée à Toronto poserait de plus gros problèmes d'application que celle que nous proposons, celle-ci étant en outre moins coûteuse et plus ciblée. Le produit de cette taxe serait affecté pour moitié au financement d'activités créatrices d'emplois, à la recherche et à l'innovation ; et pour moitié, au fond de réserve des retraites.

C'est dire l'opportunité de notre proposition, au regard de la crise que nous traversons comme des besoins de financement de notre régime de retraites !

M. le rapporteur, dont je ne partage ni les analyses ni les conclusions, a émis plusieurs objections. La première est qu'il faudrait réserver de telles dispositions aux lois de finances. La commission des finances a décidé d'appliquer par anticipation une future disposition constitutionnelle.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances.  - C'est visionnaire !

M. Yvon Collin, auteur de la proposition de loi.  - Outre qu'elle s'arroge un pouvoir constituant qu'elle n'a pas, elle plaide pour un dispositif qui limite de façon insupportable les prérogatives des parlementaires. Les lois de finances sont rares...

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances.  - Mensuelles, ces temps-ci...

M. Yvon Collin, auteur de la proposition de loi.  - ...et à l'initiative du seul Gouvernement.

Il faudrait ensuite attendre que nos partenaires soient déjà convaincus. C'est l'alibi de l'immobilisme et de la résignation, une offense à ceux qui croient encore à la souveraineté nationale. Dites alors aux Français qui paient une TVA de 5,5 % sur leur baguette que les arbitragistes qui spéculent contre l'euro -et font augmenter le prix du pain- ne peuvent payer 0,05 % sur des activités dont l'utilité économique est nulle mais la capacité de nuisance considérable ! La plupart des pays du G20 ne veulent pas d'une taxe sur les banques ; dire qu'on attend un consensus, c'est se condamner à l'impuissance. L'Allemagne n'a-t-elle pas déjà agi seule ? Faites davantage confiance à la force de rayonnement de la France !

Autre argument : la taxe ne freinera pas la spéculation. Plusieurs pays ont mis en place des barrières avec un succès probant. En admettant même que la taxe ne réduise pas les volumes spéculatifs, elle n'en rapportera pas moins des recettes à notre budget.

Le Gouvernement s'est lancé dans une politique d'austérité qui peut avoir un effet déflationniste : notre proposition de loi pourrait l'aider...

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances.  - C'est aimable à vous !

M. Yvon Collin, auteur de la proposition de loi.  - ...en lui fournissant des recettes fiscales. Dois-je rappeler les centaines de milliers d'emplois détruits par notre si brillante ingénierie financière, et les milliers de personnes qu'elle emploie, à des opérations sans utilité économique ?

Ne détruisons pas, chez nos concitoyens, le sentiment de justice. Ne les entraînons pas dans une déflation aux conséquences catastrophiques. Une taxe à faible taux introduirait une petite viscosité qui freinerait les pratiques spéculatives excessives, en allant dans le sens de la moralisation que tous, ici, souhaitent.

Il y a urgence à agir. C'est notre devoir d'élus de la République. (Applaudissements à gauche et sur les bancs du RDSE)

M. Charles Guené, rapporteur de la commission des finances.  - Voilà une proposition de loi qui arrive à point nommé, à trois jours du G20 de Toronto. Elle tend à rendre effective en droit français la taxe Tobin.

L'article 235 ter ZD du code général des impôts avait été adopté à l'initiative de l'Assemblée nationale dans le cadre de la loi de finances pour 2002, dans des termes destinés à rendre cette disposition inapplicable : le montant devait en être déterminé par décret -jamais publié, puisque cette taxe ne devait en outre entrer en vigueur que le jour où les autres États de l'Union européenne l'appliqueraient aussi. La proposition de loi de M. Collin lève ces deux conditions.

Je ne crois pas toutefois qu'elle puisse obtenir l'effet attendu. De nombreuses opérations à court terme sont adossées à l'économie réelle -mais lesquelles ? Mme Parly, alors secrétaire d'État au budget, insistait sur les difficultés à distinguer les opérations légitimes de couverture sur les ventes à terme et la spéculation.

Nous nous tirerions une balle dans le pied si les autres États ne l'appliquaient pas. Et comment en définir l'assiette sans craindre l'imagination de l'ingénierie financière ? On dira que la France défend le principe d'une telle taxe ; oui, mais à l'échelle internationale ! Avec l'Allemagne, nous défendrons, lors du G20, le principe d'une taxe globale.

La France, par la voix conjointe de Mme Lagarde et de M. Kouchner, propose un taux de 0,05 %, soit dix fois moins que celui défendu par M. Collin ; son produit est destiné à financer ce qu'on appelle les biens publics mondiaux, le développement et la lutte contre le changement climatique. C'est dire que la France n'a pas abandonné l'idée de lutter contre l'instabilité financière.

Mme Nicole Bricq.  - Mais si !

M. Charles Guené, rapporteur.  - Mais il faut être au clair sur les objectifs poursuivis. Je me félicite que Mme Lagarde ait proposé de créer une taxe sur les banques lors de la loi de finances pour 2011.

Mme Nicole Bricq.  - Et Mme Idrac l'a démenti hier ! Merci pour les droits du Parlement !

M. Charles Guené, rapporteur.  - Même en cas de désaccord au G20, trois grands États européens, France, Allemagne, Royaume-Uni mettront en oeuvre une taxe sur les banques.

Mme Nicole Bricq.  - Ce n'est pas ce que disent les dépêches !

M. Charles Guené, rapporteur.  - En France, deux taxes ont été créées : la contribution pour frais de contrôle, adoptée dans la loi de finances pour 2010 et la taxe exceptionnelle sur les bonus des opérateurs de marché. Un nouveau pas sera franchi en loi de finances pour 2011. Notre commission, quant à elle, explore la piste d'une taxe sur les banques se substituant à la taxe sur les salaires, qui contribuerait à prévenir plutôt qu'à réduire les risques systémiques ; un rapport doit nous être rendu par le Gouvernement d'ici à la fin du mois. Les banques doivent faire des efforts de recapitalisation ; nous ne voulons ni accroître démesurément leurs charges, ni perturber le fonctionnement de l'économie.

Cette proposition de loi n'atteint pas les objectifs qu'elle se fixe et pénaliserait gravement la place de Paris. D'autres instruments sont envisageables pour réduire l'instabilité financière. Des progrès importants ont déjà été accomplis et des travaux sont en cours. L'article 22 du collectif 2009 a doté notre pays d'un instrument de lutte contre les paradis fiscaux ; laissons-le vivre.

Notre commission milite depuis longtemps pour que les questions fiscales relèvent du domaine exclusif des lois de finances. La dernière conférence des déficits en a posé le principe : nous commençons par nous l'appliquer à nous-mêmes ! Bref, nous appelons à voter contre cette proposition de loi.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances.  - Très bien !

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État chargée du commerce extérieur.  - Je remercie M. Collin et son groupe qui nous incitent à réfléchir à point nommé sur deux sujets essentiels pour la stabilité internationale.

Réguler le système financier international ? Il est excessif de juger que tout resterait à construire, et abusif de considérer que quelqu'un ici pourrait être favorable à la spéculation. Des initiatives ont été prises ; la France est à la pointe de ces combats, qui portent déjà des fruits, depuis que le Président de la République a porté la question au niveau du G20.

Les rémunérations des opérateurs de marché ont été encadrées. Sous l'impulsion du G20, plus de 400 accords de coopération fiscale ont été signés dans le monde dans le cadre de la lutte contre les juridictions non coopératives -les paradis fiscaux. La France a été là aussi en avance.

Les agences de notation ? A compter de décembre prochain, elles devront être agrées et seront contrôlées au niveau européen ; la future loi de régulation bancaire et financière permettra à l'AMF de les sanctionner.

Les marchés dérivés ? Toutes les transactions seront enregistrées et transparentes pour les pouvoirs publics. Un Règlement européen est en cours d'élaboration.

Les fonds alternatifs ? Ils feront l'objet d'un agrément et seront soumis à des règles de transparence. Les autorités nationales seront dotées de vrais pouvoirs.

Les ventes à découvert ? La loi de régulation bancaire que vous examinerez en septembre renforcera les dispositifs de surveillance et de sanction.

Vous voyez que la France est à la pointe du combat international -condition de son efficacité. Il se trouve que les questions cribles d'hier portaient sur ce sujet. J'ai donc pu confirmer que France, Allemagne et Grande-Bretagne feront des propositions communes à Toronto. Il est bien que l'exemplarité franco-allemande soit contagieuse ! Nous introduirons en outre dans la loi de finances pour 2011 une taxation sur les activités bancaires les plus risquées. Vous en débattrez de façon approfondie. Les premières simulations laissent espérer un produit de plusieurs centaines de millions d'euros.

En matière de régulation financière, on ne peut s'en tenir à des réglementations strictement nationales. Nous avons un intérêt collectif à renforcer la confiance dans l'Europe et en Europe, ce qui passe par une attitude ferme et coordonnée face à l'exubérance des marchés et à la spéculation.

Cette proposition de loi fait par ailleurs écho à notre volonté de trouver des financements innovants pour le développement et contre les changements climatiques. La taxe sur les billets d'avion a été introduite dans cet esprit.

Mme Nicole Bricq.  - Nous avons d'abord été seuls à la voter !

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État.  - Soixante pays s'y sont ralliés ; douze l'ont mise en oeuvre et la taxe a d'ores et déjà rapporté 600 millions. Cette taxe, d'un montant modeste et d'une assiette très large, n'a pas créé de distorsions internationales.

Nous travaillons à une taxe sur les banques, conformément à cette exigence. Le rendement sera d'autant plus élevé et les distorsions d'autant moindres que, je le répète, la taxe sera internationale. C'est l'objet de la lettre que Mme Merkel et M. Sarkozy ont adressée au Premier ministre canadien. Un groupe d'experts a été constitué à l'initiative de la France en octobre.

Vous voyez que nous partageons les objectifs et l'esprit de votre proposition de loi. Nous pensons à la fois qu'une telle taxe doit être internationale et que nos actions ont valeur d'exemplarité. Je confirme l'engagement du Gouvernement et du Président de la République d'agir en ce sens à Toronto et lors de la présidence française du G20 l'an prochain. (Applaudissements sur le banc de la commission)

M. le président.  - J'observe que les membres du RDSE sont venus en force soutenir le président Collin ! (Sourires)

Mme Marie-France Beaufils.  - M. Guéné, arc-bouté sur les positions les plus libérales, reconnaît toutefois que les périodes de crise sont favorables à l'émergence de solutions nouvelles et souhaite mettre les responsables devant leurs responsabilités.

Les fauteurs de crise ont-ils pris leur part des solutions à mettre en place pour réduire les conséquences de la crise ? Chacun sait bien que non... La crise n'a pas été enrayée et ceux qui en portent la responsabilité s'en sortent bien. Les 11 millions de Grecs subissent un plan d'austérité sans équivalent, sans que les banques aient modifié d'un iota leurs pratiques antérieures.

Les banques s'étaient engagées, mais l'accès au crédit est devenu encore plus difficile pour les PME et les ménages, ce qui aggrave la récession. Après avoir reçu 5 milliards de l'État, la BNP en distribue un en bonus à ses traders et ses cadres.

Il est plus que temps que banques et assurances soient soumises à des obligations nouvelles. Le refus de notre commission des finances n'est pas pour me surprendre, depuis le temps qu'elle appelle à la libéralisation des transactions financières et au développement de l'industrie financière. La spéculation financière a envahi le marché. Qui a inventé et perfectionné la titrisation ? Qui spécule contre la dette publique des États ? Contre l'euro ? Qui propose des produits financiers toujours plus rémunérateurs, des titres à découvert, des CDS ? Ce sont ces mêmes banques que la commission des finances entend préserver. Il faudrait ainsi ne faire aucune peine aux défenseurs du capital et aux spéculateurs -tandis qu'on met les ménages au régime sec.

Dénoncer le décrochage entre système financier et économie réelle ne suffit pas : il faut passer aux actes, d'autant que l'adoption de cette proposition de loi renforcerait la parole du Président Sarkozy au G20. La position de la commission des finances est d'autant plus surprenante, à l'heure où le chef de la première puissance économique du monde n'hésite pas à s'en prendre à un des plus gros pétroliers, responsable de la marée noire dans le Golfe du Mexique.

Nous soutiendrons cette proposition de loi. (Applaudissements à gauche et sur les bancs du RDSE)

M. François Marc.  - La crise enclenchée en 2008 trouve ses racines dans les errements des fonds spéculatifs, l'opacité des paradis fiscaux, la titrisation.

On en est aujourd'hui arrivés à une financiarisation de l'économie qui affiche une multiplication par cinquante de la valeur originelle de la richesse créée.

La course aux profits spéculatifs à court terme a créé une bulle déconnectée de l'économie réelle, dont on connaît les dégâts.

L'encadrement du système est nécessaire pour aller vers la régulation.

Certains estiment qu'une taxe sur les transactions serait inefficace et inapplicable. Quid alors de celle sur le tabac ? La loi peut renchérir le coût des actes spéculatifs, et avoir ainsi un effet dissuasif.

Le Gouvernement en reste aux intentions. Pourtant, adopter ce texte donnerait un signal fort à la communauté internationale. Il importe d'établir clairement les responsabilités des acteurs dans la déstabilisation de l'économie. Une proposition de loi a été déposée par les députés socialistes pour la création d'une commission d'enquête.

Faut-il attendre une loi de finances dans six mois ? Certes, il est difficile d'aller seul à la bataille, mais on peut envoyer un signal à l'approche du G20.

L'Allemagne n'a-t-elle pas interdit les ventes à découvert à nu ? Mme Lagarde, d'abord critique, a rejoint Mme Merkel. Naguère, pour la taxe sur les billets d'avion, on nous opposait le même raisonnement. Pourtant, nous avons été suivis.

La position des institutions européennes et internationales montre que la partie n'est pas gagnée. Mais le Parlement européen a récemment envisagé -par 283 voix contre 278- une taxation sur les flux financiers. M. Barroso s'est lui aussi prononcé en faveur d'une telle taxe. Il y a quelques jours hélas, les ministres des finances, à Busan, en Corée, ont écarté cette perspective. Nous savons qu'au G20, les chances d'accord seront quasi nulles...

Nous soutenons, depuis des années, cette idée généreuse lancée par James Tobin. En 2001 le gouvernement Jospin avait lancé une initiative en ce sens, sous réserve de réciprocité.

On connaît les effets néfastes de la spéculation à court terme : une taxe mesurée en réduirait le volume. Ce serait une juste contribution du secteur financier à l'économie réelle, venant alimenter le budget de l'État, pour l'aide au développement et contre le changement climatique.

Nous sommes face à un choix politique : réorienter le modèle économique et financier. Il n'est jamais trop tôt pour agir. Le Sénat s'honorerait à donner un signal. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Michel Baylet.  - Depuis un peu plus de deux ans, nous subissons la crise de plein fouet. Les plans de sauvetage n'ont pas suffi à rétablir la croissance dans la zone euro. Aucun équilibre fondamental n'a été restauré.

Certes, quelques mesures ont été prises contre les paradis fiscaux et la rémunération des traders, mais c'est largement insuffisant. Les banques doivent augmenter leurs fonds propres et il faudra bien renoncer au « too big to fail ».

Il n'est pas superflu de rappeler que c'est l'économie qui est au service de l'homme et non l'inverse. Telles sont nos valeurs humanistes. Les radicaux de gauche souhaitent une taxation des opérations financières. L'idée, même en Grande-Bretagne, connaît un regain d'intérêt.

C'est pourquoi nous souhaitons la mise en oeuvre effective de l'article 235 ter du CGI. Les dysfonctionnements constatés sur les marchés ont aujourd'hui des conséquences sociales désastreuses. Une telle taxe doit favoriser le développement. Certains en font un épouvantail, y voient un frein à l'investissement, faute de distinguer entre les mouvements de court et de long terme. Mais la spéculation est repérable : elle se caractérise par des va-et-vient à très court terme. Des instruments informatiques performants pourraient permettre de les repérer. Je conviens que ce n'est pas facile puisque l'affaire Kerviel a montré qu'à l'intérieur même d'un établissement il est possible d'échapper au contrôle, mais il s'agit avant tout d'une question de volonté politique.

La commission des finances estime qu'une initiative isolée mettrait en danger la place de Paris. Il est vrai qu'une telle taxe devrait être étendue aux pays développés, mais ce serait l'honneur de la France que de prendre l'initiative, alors que le G20 tendrait plutôt à l'écarter, pour lui préférer, à Pittsburgh, une taxe bancaire : mais l'objectif n'est pas le même, une taxe sur la transaction a une visée redistributive. Son produit pourrait être affecté pour moitié à des activités de soutien à la croissance et à l'emploi, et pour moitié au FRR, qui en aura bien besoin.

Malgré les dégâts, la finance prospère. Alors que les banques ont bénéficié d'un plan de sauvetage, elles ont eu l'indécence de provisionner des bonus.

Il nous appartient de prendre l'initiative pour donner au monde le visage que nous lui voulons. Faisons preuve d'audace ! (Applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE)

M. Jean Louis Masson.  - L'une des causes des difficultés économiques que traverse le monde tient à la grande fluidité des opérations financières. Des masses financières colossales peuvent en quelques instants basculer d'un pays à l'autre, sans lien avec l'économie réelle.

Le seul moyen d'y remédier est de mettre quelque viscosité dans les flux, par l'introduction de taxations.

Je souscris donc à l'idée de M. Collin. Reste que la France ne peut régler à elle seule un problème de dimension mondiale. Je regrette la position figée de certains pays, comme le Canada et les États-Unis et que la France manifeste une tendance à suivre comme un petit chien. Il est certes moins honteux de suivre M. Obama que M. Bush, mais faisons preuve d'indépendance ! C'est pourquoi je voterai ce texte symbolique : à la veille du G20, il est bon de renouer avec des attitudes plus gaulliennes. Il serait temps que le Gouvernement et le Président de la République sachent enfin réaffirmer l'indépendance de la France. (Applaudissements sur les bancs du RDSE et sur quelques bancs à gauche)

M. Simon Loueckhote.  - Cette proposition de loi, est prématurée. Non seulement parce que toute mesure fiscale doit être examinée en loi de finances, mais parce que le G20 doit nous faire avancer sur le principe d'une taxe bancaire, voulue par trois pays de l'Union européenne. Sans doute faudra-t-il attendre, pour aboutir, la prochaine présidence française du G20. Mais cela ne nous interdit pas d'avancer au sein de l'Union européenne. Le groupe UMP ne votera pas ce texte.

Je profite de l'occasion pour dénoncer les cinq banques qui se partagent le marché en Nouvelle-Calédonie où elles appliquent des tarifs très supérieurs à leurs maisons mères, au détriment des ménages les plus modestes. La Nouvelle-Calédonie a voulu réglementer ces tarifs, mais le Conseil d'État a estimé que la matière était du ressort de l'État. Je vous demande, madame la ministre, d'agir pour mettre fin à cette situation préjudiciable aux plus fragiles.

M. Charles Guené, rapporteur.  - Très bien !

La discussion générale est close.

Discussion des articles

Article premier

A la demande du groupe UMP, l'article premier est mis aux voix par scrutin public.

M. Jean-Marc Todeschini.  - J'avais demandé la parole avant l'ouverture du scrutin !

M. le président.  - Je ne vous ai pas vu.

M. Jean-Marc Todeschini.  - Je parlerai sur les articles 2 et 3.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 339
Majorité absolue des suffrages exprimés 170
Pour l'adoption 158
Contre 181

Le Sénat n'a pas adopté.

Article 2

M. Jean-Marc Todeschini.  - Je regrette de voir les bancs de l'UMP si clairsemés sur un texte de cette importance alors que la commission des finances elle-même a demandé qu'on agisse en la matière. Le scrutin public ne fait pas la démocratie.

Si l'on veut redorer le blason du Parlement, il faudra songer à faire autrement. Quel sens y a-t-il à déposer des propositions de loi si elles doivent être repoussées ainsi sans vraie discussion et à coups de scrutins publics parce que l'UMP ne vient pas ? Si de plus le président nous refuse la parole ...

M. le président.  - Je ne puis accepter vos propos : je ne suis pas le président d'une formation. J'agis en toute impartialité.

M. Robert del Picchia.  - Nous avons eu, en dernière minute, une réunion de groupe importante : on ne peut pas toujours tout prévoir. Notre absence ne doit pas être interprétée comme un refus de discuter cette proposition de loi.

A la demande du groupe UMP, l'article 2 est mis aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 339
Majorité absolue des suffrages exprimés 170
Pour l'adoption 158
Contre 181

Le Sénat n'a pas adopté.

Article 3

Mme Nicole Bricq.  - Je regrette ce nouveau scrutin public sur un texte du RDSE qui a bien fait, à la veille de la réunion du G20, de faire venir dans sa niche un très gros chien...(Sourires)

Hier, madame Idrac, je vous ai posé une question claire sur ce que sera la position de l'Union européenne quant à l'introduction d'une taxe sur les banques et d'une taxe sur les transactions financières. Vous m'avez répondu, en substance, que la France et l'Allemagne plaideraient pour une taxation sur les flux.

Je vous ai demandé ce que nous ferions si vous n'obteniez pas satisfaction à Toronto. Vous n'avez pas répondu. Or, les dépêches de l'AFP tombées à l'heure même de notre séance, donnaient la réponse : ce serait une taxe sur les banques, acceptée par l'Allemagne et le Royaume-Uni. Je regrette que les parlementaires soient moins bien traités que la presse...

Pas de position unilatérale, dites-vous, monsieur Guené ? Mais que direz-vous si M. Sarkozy adopte tout à l'heure une position volontariste ? Qui sait si ce n'est pas le motif de la réunion actuelle de l'UMP... Nous allons examiner diverses conventions fiscales avant la fin de la semaine. Vous aviez pris des engagements : le ministre devait venir nous rendre compte des évolutions sur les paradis fiscaux. Nous n'avons vu personne. Ce que l'on a vu, c'est que ce n'est pas la disposition adoptée dans la loi de finances rectificative de 2009 qui peut sanctionner ces pratiques.

Les effets de la crise systémique sont loin d'être terminés. Nous ne sommes pas dans la même situation qu'en 2001 quand j'ai dit mon opposition à la taxe Tobin. La situation est tout autre, il faudra en tenir compte. (Applaudissements à gauche)

M. François Fortassin.  - Cette proposition de loi est un signe fort alors que le Président de la République a déclaré qu'il défendrait l'idée d'une taxe. Nous verrons après Toronto.

Nous sommes un petit groupe, quoique fort nombreux en séance... La semaine prochaine, le texte réformant les collectivités territoriales est inscrit à l'ordre du jour : si on nous demande un scrutin public sur chaque article et amendement, vous allez souffrir. Respectez donc un peu les minorités, qui peuvent avoir des idées pas forcément stupides ! (Applaudissements sur les bancs du RDSE)

M. Robert del Picchia.  - Je le répète : cette situation est parfaitement involontaire de notre part. Ne vous inquiétez pas : nous ne multiplierons pas les scrutins publics la semaine prochaine. (Rires à gauche)

M. Charles Guené, rapporteur.  - Je ne me caractérise pas comme un libéral, même si le mot ne m'effraie pas, madame Beaufils.

Cette proposition de loi arrive à point nommé, je l'ai dit : il était bon qu'un tel débat ait lieu ces jours-ci et je suis navré pour vous que mes collègues de groupe soient empêchés. Mais le véhicule n'est pas approprié. Notre démarche est double : un prélèvement sur les transactions financières doit rester assez faible pour ne pas peser sur le fonctionnement du système ; une taxe bancaire. S'il n'y a pas d'accord à Toronto, les trois pays favorables à cette taxe l'appliqueront. J'ai là une note de Bercy qui le confirme.

Mme Nicole Bricq.  - Mme Idrac n'était pas au courant hier.

M. Charles Guené, rapporteur.  - Ce sujet nous intéresse tous, je suis sûr que nos collègues de l'UMP regrettent de n'être pas avec nous.

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État.  - Ce débat est bienvenu : nous partageons les mêmes objectifs. La question est celle du calendrier : G20 à venir et future présidence française.

Autre position centrale : le problème mérite un traitement international. La volatilité des assiettes est bien supérieure à celle de la taxe sur les billets d'avion.

Il est difficile, il est vrai, de travailler sur les trois niveaux de l'architecture. Au niveau international, nous avons un travail de conviction à mener, le Président de la République s'y emploie ; au niveau communautaire, nous avons abouti et fait adopter des règlements ; au niveau national, comme certains de nos partenaires, nous entendons agir dès la prochaine loi de finances.

Ce débat est utile pour clarifier les enjeux ; stabilisation et lutte contre la spéculation, d'une part, financement du développement et lutte contre le changement climatique, de l'autre. Le Gouvernement agit à ces deux niveaux.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances.  - Je me réjouis à mon tour de la qualité de ce débat et je salue l'auteur de cette proposition de loi qui a mis en difficulté la commission des finances : la nécessité d'une telle disposition est reconnue par tous, mais une mise en oeuvre isolée mettrait en difficulté la place de Paris. C'est le sens de la condition suspensive mise dans le code général des impôts en 2001. Il faut qu'une telle mesure ait une dimension au moins européenne.

La logique de la réforme constitutionnelle est que chaque groupe puisse mettre en débat une question. Nous avons une marge de progression... Il est toujours frustrant de tenter de convaincre des sénateurs, avant de constater que ce sont les absents qui décideront. Le scrutin public est commode pour le Gouvernement mais je ne sache pas qu'un seul groupe soit majoritaire à lui seul : le Sénat est, en quelque sorte, le sanctuaire de la diversité...

La commission des finances a souhaité l'instauration d'une redevance systémique sur les banques et assurances ; son adoption pourrait être l'occasion de supprimer cette absurde taxe sur les salaires qui alimente surtout la délocalisation. J'attends avec impatience le rapport que le Gouvernement a pris l'engagement de nous présenter.

Vingt-quatre députés et sénateurs se réunissent depuis dix-huit mois et, avant chaque réunion du G20, remettent leurs recommandations ; j'espère que Toronto permettra d'envisager des mesures concrètes.

Je signale à Mme Bricq que la commission des finances, dont elle est membre, se préoccupe des espaces non coopératifs : nous avons consacré toute la journée du 23 mars à des auditions au cours desquelles nous avons pu apprécier la portée considérable des conventions internationales, que nous regardons pourtant d'un oeil souvent distant.

M. le président.  - Il faut conclure.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances.  - La France est parfois pathétique : elle se donne des objectifs et peine à boucler son budget... Il est peut-être temps de mettre en adéquation nos ambitions et nos moyens. (Applaudissements au centre et à droite)

A la demande du groupe UMP, l'article 3 est mis aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 339
Majorité absolue des suffrages exprimés 170
Pour l'adoption 158
Contre 181

Le Sénat n'a pas adopté.

Aucun article n'ayant été adopté, la proposition de loi est rejetée.