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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



CMP (Candidatures)

Préjudice écologique

Discussion générale

M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de loi

M. Alain Anziani, rapporteur de la commission des lois

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice

M. Joël Labbé

Mme Cécile Cukierman

Mme Chantal Jouanno

Mme Nicole Bonnefoy

M. François Grosdidier

M. Félix Desplan

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois

Discussion de l'article unique

M. Joël Guerriau

Interventions sur l'ensemble

M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de loi

M. Joël Labbé

CMP (Nominations)

Saisine du Conseil constitutionnel

Lutte contre le terrorisme (Questions cribles)

M. Jean-Pierre Sueur

M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur

M. Vincent Capo-Canellas

Mme Éliane Assassi

Mme Esther Benbassa

M. Jean-Pierre Plancade

M. Roger Karoutchi

M. Alain Richard

M. Christian Cambon

M. André Reichardt

Hommage à une délégation étrangère

Rappel au Règlement

Mme Éliane Assassi

Pass navigo unique (Suite)

Discussion générale (Suite)

M. Michel Billout, rapporteur de la commission du développement durable

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche

M. Philippe Esnol

M. Vincent Capo-Canellas

M. Jean-Pierre Plancade

M. Philippe Kaltenbach

M. Roger Karoutchi

Mme Éliane Assassi

M. Jean-Vincent Placé

M. Philippe Dallier

M. Pierre Charon

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

M. Serge Dassault

ARTICLE 2

ARTICLE 3

Politique familiale (Question orale avec débat)

Mme Isabelle Pasquet, auteur de la question

Mme Catherine Deroche

Mme Michelle Meunier

Mme Laurence Cohen

M. Vincent Capo-Canellas

M. Jean-Pierre Plancade

M. Jean Desessard

M. Ronan Kerdraon

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille

Décisions du Conseil constitutionnel

Biologie médicale (Conclusions de la CMP)

Discussion générale

M. Jacky Le Menn, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé

Mme Catherine Deroche

Mme Laurence Cohen

M. Jean-Pierre Plancade

Mme Aline Archimbaud

Mme Catherine Génisson

Discussion du texte élaboré par la CMP

ARTICLE 8




SÉANCE

du jeudi 16 mai 2013

99e séance de la session ordinaire 2012-2013

présidence de Mme Bariza Khiari,vice-présidente

Secrétaire : M. Gérard Le Cam.

La séance est ouverte à 9 heures.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

CMP (Candidatures)

Mme la présidente.  - M. le président a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d'une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la représentation des Français établis hors de France. J'informe le Sénat que la commission des lois a procédé à la désignation des candidats qu'elle présente à cette commission mixte paritaire. Cette liste a été affichée et la nomination des membres de cette commission aura lieu conformément à l'article 12 du Règlement.

Préjudice écologique

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à inscrire la notion de préjudice écologique dans le code civil, présentée par M. Bruno Retailleau et plusieurs de ses collègues de l'UMP.

Discussion générale

M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de loi .  - Les marées noires ont été trop nombreuses depuis le Torrey Canyon en 1967, de l'Amoco Cadiz en 1978 jusqu'à l'Erika en 1999 et plus récemment le Prestige. Et, à chaque fois, des drames : le naufrage de l'Erika, ce sont 400 km de côtes souillées, les sept dixièmes des côtes vendéennes, des centaines de milliers d'oiseaux morts. À chaque fois, de la désespérance et la même antienne : plus jamais ça ! -  jusqu'à la fois suivante.

J'ai suivi avec attention les revirements du procès de l'Erika durant treize ans avant que la Cour de cassation ne reconnaisse le préjudice écologique, défini comme une atteinte aux actifs environnementaux non marchands. Il est plus que temps d'inscrire cette notion dans notre code civil. Merci à mon groupe de l'UMP d'avoir inscrit ce texte à l'ordre du jour, aux éminents juristes qui m'ont aidé et, surtout, à M. Anziani le rapporteur qui a accompli un très beau travail au nom de la commission des lois. Cher monsieur Anziani, décidément, ce sont les catastrophes qui nous rapprochent : hier, la tempête Xynthia, aujourd'hui, les marées noires. Au-delà de nos sensibilités politiques, nous savons nous retrouver quand il y va de l'intérêt général.

L'arrêt historique de la Cour de cassation du 25 septembre 2012, qui consacre la notion du préjudice écologique, a suivi la décision du 8 avril 2011, par laquelle le Conseil constitutionnel créait un devoir de vigilance à l'égard des atteintes à l'environnement. À partir du moment où nos deux plus hautes juridictions ont inscrit dans notre jurisprudence le préjudice écologique, fallait-il aller plus loin en l'inscrivant dans le code civil ? Au départ j'avais pensé compléter l'article 1382, ce monument de notre droit, un véritable totem, et puis j'ai préféré la solution d'un titre spécifique.

Pourquoi cette initiative ? Parce que le code civil était le chaînon manquant. Au niveau international, nous avions les sommets de Rio et de Johannesburg, l'article 191 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et la directive de 2004 transposée dans la loi du 1er août 2008 - texte cependant insuffisant puisqu'il s'en tenait à un régime de police administrative centré sur le préfet plutôt qu'il n'instituait un régime de responsabilité. Au niveau national, la Charte de l'environnement de 2004 a été constitutionnalisée en 2007. Bref, tout convergeait - de nombreux rapports, depuis le rapport Catala de 2004, jusqu'à celui de la commission environnement du Club des juristes en 2011, le demandaient pour faire évoluer notre code civil, et je sais aussi qu'un groupe de travail a été constitué à cette fin au ministère.

Deuxième raison, la responsabilité civile traditionnelle couvre les atteintes à la personne et non à la nature qui est notre bien commun. Il s'en est fallu de peu, au reste, que la Cour de cassation prenne une autre décision en reprenant ce raisonnement juridique plutôt que de consacrer le préjudice écologique.

Autre difficulté, des groupes devaient se saisir des préjudices seconds, des préjudices dérivés, que sont les préjudices matériel et moral, pour viser le préjudice premier, le préjudice écologique.

D'où, troisième difficulté, le problème de la réparation du dommage, en intérêt ou en nature, et le problème de l'affectation des réparations à une victime - ce qui peut induire une redondance dans les réparations ou leur caractère trop partiel. Nous avons choisi, pour éviter cet écueil, la réparation prioritairement en nature, plus juste et plus efficace. Le rapporteur a ajouté utilement une disposition dans le cas où la réparation en nature est impossible. Ce texte s'écarte du droit commun de la responsabilité en substituant au principe de la liberté du juge et de la liberté de l'usage la réparation prioritaire en nature et l'affectation. Au vrai, si le code civil est, comme l'a dit Yves Gaudemet « la Constitution civile de la société », mettons notre Constitution civile en accord avec notre Constitution politique en adoptant ce texte. Faisons « entrer le droit dans la loi », comme le demandait Victor Hugo. Face à l'individualisme triomphant, l'écologie est l'un des rares domaines où le bien commun, objectif et collectif, apparaît consensuel. (Applaudissements)

M. Alain Anziani, rapporteur de la commission des lois .  - Il y a treize ans, l'Erika, chargé de fioul lourd, sombrait au large des côtes bretonnes : 400 kilomètres de côtes souillées, 150 000 oiseaux morts, dix-huit tonnes de fioul et huit tonnes de produits cancérigènes déversés dans la mer.

Nous avons attendu treize ans avant l'arrêt très musclé de la Cour de cassation, au moins au plan des sanctions puisque l'amende est maximale : 375 000 euros en sus des 200 millions de dommages et intérêts.

Cela étant, cet arrêt ouvre la discussion plutôt qu'il ne la clôt : existe-t-il un préjudice écologique pur ? Je le crois.

L'exemple de l'ourse Cannelle, la dernière représentante de son espèce, abattue par un chasseur dans les Pyrénées, en est une illustration.

Cette proposition de loi a le grand mérite de donner un fondement à cette notion de préjudice écologique. Mme la garde des sceaux à laquelle je veux rendre hommage, a saisi d'emblée l'importance majeure de la question en créant un groupe de travail.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Très bien !

M. Alain Anziani, rapporteur.  - Plusieurs questions surtout se posent. La première, à laquelle je répondrai comme M. Retailleau, est de se demander si ce texte est nécessaire quand notre arsenal législatif suffirait. Certes, la Charte de l'environnement a été constitutionnalisée à l'article 34 ; certes, il existe la loi du 1er août 2008 qui transpose la directive de 2004 mais elle est inapplicable car le législateur a listé des dommages et en a forcément oublié. Les préfets n'y recourent pas. Certes, il existe les articles 1382 à 1384 du code civil. L'arrêt Erika toutefois a montré que notre législation ne suffisait pas.

La nécessité d'avancer étant posée, vient la deuxième question : où inscrire la notion de préjudice écologique ? Les plus éminents juristes ont considéré qu'il ne fallait toucher à l'article 1382 du code civil que d'une main tremblante. L'auteur de la proposition de loi, modifiant sa position révolutionnaire initiale, a préféré consacrer un titre IV ter et un article 1386-19 à la responsabilité relative aux atteintes à l'environnement.

Troisième question, faut-il créer une responsabilité pour faute ou sans faute ? Alors que le droit de la responsabilité s'objective de plus en plus, optons pour la responsabilité sans faute. Cela est conforme à l'article 4 de la Charte de l'environnement. Je reconnais que la question de l'assurance est posée... Réaffirmons que cette incrimination nouvelle ne peut représenter une entrave au développement économique ; les juges apprécieront l'effectivité du dommage.

Quelle réparation ? En nature, prioritairement, ou, si elle est impossible, que faculté soit donnée au juge d'ordonner une compensation en dommages et intérêts.

Qui aura intérêt à agir ? L'État, les collectivités territoriales mais aussi les associations oeuvrant pour la protection de l'environnement ?

Dernière question, quelle prescription ? Trente ans, mais à partir de quand ? La prescription à trente ans à compter du fait générateur ne permet pas de prendre en compte les dommages qui peuvent apparaître beaucoup plus tard.

Il y a donc encore matière à travailler et la Chancellerie a réuni un groupe de travail à cette fin. Le préjudice écologique sera un gisement de droit, nous aurons à en reparler ! (Applaudissements)

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice .  - J'ai eu grand plaisir à participer au colloque sur le préjudice écologique organisé au Sénat par M. Retailleau, avec l'active collaboration de M. Anziani. J'avais alors dit très clairement ma préférence pour la procédure civile tout en soulignant les difficultés.

Depuis le projet de loi sur les actions de groupe a été limité au champ de la consommation. Je ne suis pas certaine que ce soit la bonne solution à long terme mais il est vrai qu'« à long terme, nous sommes tous morts » comme disait Keynes... Il y avait donc urgence à agir.

Le groupe de travail, que j'ai mis en place, est présidé par un grand publiciste, le professeur Jégouzo. Il regroupe des membres de la Chancellerie, des ministères de l'environnement et des finances, ainsi que des personnes qualifiées sur ce sujet. Le rapport est prévu pour le 15 septembre 2013, ce groupe de travail fera son miel de vos travaux.

M. Retailleau a eu l'audace de présenter une proposition de loi considérant, avec raison, que notre droit de la responsabilité civile n'était pas adapté au préjudice écologique.

Outre les décisions de la Cour de cassation et du Conseil constitutionnel, les juridictions de premier et de second degré ont rendu des jugements en s'appuyant sur la notion de « troubles anormaux du voisinage ». Convenez que ce n'est guère satisfaisant.

Trouvons, donc, une réponse. Le projet de loi que je vous présenterai, je le promets, s'appuiera sur cette proposition de loi. La première difficulté à laquelle nous nous heurtons est la définition du dommage écologique.

M. Retailleau a finalement choisi de ne pas toucher à l'article 1382 qui n'a pas été modifié depuis deux siècles, depuis 1804. « Tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». Superbe sobriété ! Notre droit devant être prévisible et lisible, c'est une exigence constitutionnelle, nous devons parvenir à une solution équilibrée. L'article premier de la proposition apporte une définition plus générale de la responsabilité : si le spectacle de la nature m'émeut, j'ai plus d'émotion encore pour les êtres humains.

M. Jean-Pierre Vial.  - Vous avez raison !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Peut-on admettre que la nature soit davantage protégée que les êtres humains ?

La priorité à la réparation en nature, si elle est une belle idée, me paraît un peu large. Elle s'applique aux dommages collectifs seulement. De plus, les modalités d'exécution de cette réparation, ses conditions précises, son suivi - administratif ou judiciaire ? - ne sont pas précisés dans le texte. Mieux vaudrait un mécanisme général articulé avec le code des assurances et avec le code de l'environnement. Il en existe un, créé par la Loi sur la responsabilité environnementale (LRE), placé sous l'autorité des préfets.

Outre la question du dommage et de la réparation, nous devons creuser le problème de l'intérêt à agir. M. Retailleau, disais-je, a eu de l'audace ; il en faut pour toucher au code civil, si cohérent, si structuré...

Il a introduit un titre nouveau, le IV ter, et un régime spécial, en évitant de s'en prendre au « totem » de l'article 1382. S'il existe déjà des régimes spéciaux sur les produits défectueux, sur l'économie numérique, sur les conducteurs de véhicules automobiles et j'en passe, il faut veiller au bon équilibre de l'ensemble. L'intérêt d'un projet de loi, c'est qu'il est nécessairement accompagné d'une étude d'impact. L'articulation avec les textes internationaux, comme la Convention de Bruxelles de 1969 sur les propriétaires de navires transportant des hydrocarbures, ou la Convention de Paris sur l'énergie atomique et les textes européens, n'est pas à négliger non plus.

Vous avez fort bien travaillé, nous ferons bon usage de vos réflexions. Cette méthode originale de travail transpartisan au Sénat augure d'un vote positif ; vous inviter à rejeter ce texte serait hasardeux. Disons plutôt que le groupe de travail, actif, délivrera son rapport à l'automne prochain et que mes services sont à votre disposition.

Lisibilité, efficacité, prévisibilité de la loi doivent se conjuguer avec le plus haut niveau de protection de l'environnement des petites entreprises aussi pour leur donner les moyens de prévenir les dommages... tout en empêchant les grands pollueurs de contourner la loi. La plus grande vigilance rédactionnelle s'impose donc pour satisfaire à ces contraintes. Je vous remercie pour le travail accompli et compte sur vous pour améliorer le texte gouvernemental à venir. (Applaudissements)

M. Joël Labbé .  - Une petite nuance, madame la garde des sceaux, sur la balance entre l'émotion devant l'homme et devant la nature : les deux sont indissociables. Les interactions entre les espèces sont complexes et les pertes risquent d'être irréversibles. La nature rend un nombre considérable de services : 40 % de l'économie mondiale repose sur eux or 60 % sont en déclin. Considérons la nature autrement que comme une somme d'espaces à maîtriser.

La réparation des dommages à l'environnement est donc indispensable et je salue l'initiative de M. Retailleau, qui fait suite au jugement de la Cour de cassation sur l'Erika. Il propose de créer un préjudice autonome, qui implique réparation, et de l'inscrire dans le code civil. La directive du 21 avril 2004 ne consacre qu'un nombre limité de domaines, d'où l'intérêt de cette proposition de loi.

Le principe de la réparation en nature, essentiel pour nous, est posé ; la réparation pécuniaire ne doit intervenir qu'à défaut. Comment évaluer le préjudice ? Qui peut s'en prévaloir ? Comment organiser la réparation ? Autant de questions qui appellent réponse. Nous prenons acte, madame la garde des sceaux, de la constitution d'un groupe de travail et c'est pourquoi nous avons choisi, à ce stade, de ne pas déposer d'amendements.

Les conséquences de certains préjudices sont visibles, de l'Amoco Cadiz à l'Erika. Mais il en est d'autres plus sournois. Ainsi du chlordécone en Guadeloupe, qui aura des effets désastreux à long terme. Alors que son utilisation était interdite aux États-Unis depuis 1976, les outre-mer ont pu l'utiliser jusqu'en 1993. Et une dérogation d'un an vient encore d'être prononcée pour la Guadeloupe. Un scandale d'État, disent certains ; la mission pesticides de l'an dernier nous a suffisamment éclairés. Vous ferez de notre travail votre miel ? Parlons-en ! Les abeilles sont en danger. Et la qualité de l'eau.

Nous voterons donc cette proposition de loi, qui constitue un premier pas dans la bonne direction. (Applaudissements à gauche)

Mme Cécile Cukierman .  - La nature a horreur du vide, et même du vide juridique ! (Sourires) Le juge a, depuis plusieurs années, élaboré une jurisprudence sur le préjudice écologique mais celle-ci reste fluctuante et l'on manque d'un dispositif clair.

Il convient de distinguer le préjudice, qui est subjectif, du dommage, lequel est objectif. En la matière, l'intérêt à agir est collectif. C'est une petite révolution puisque, jusqu'ici, le dommage, pour être réparable, devait être direct, certain, personnel. On ne vient pas de nulle part : en 1995, la loi Barnier a permis aux associations d'exercer les droits reconnus à la partie civile ; en 2008, M. Retailleau a fait adopter un amendement élargissant ce droit aux collectivités territoriales. Ce texte s'inscrit dans cette logique ; il protège des biens non appropriables et prévient des dommages. Simple, court, intelligible parce que clair, il clarifie les fondements sur lesquels les juges pourront construire leur raisonnement, bien mieux que le texte de 2008, adopté tardivement pour transposer la directive de 2004, qui était touffu, technique, incompréhensible, inefficace et inappliqué. En créant une simple police de l'environnement reposant sur les seuls préfets, il signait la renonciation de la droite au Grenelle de l'environnement.

Le travail de M. Anziani nous satisfait mieux que la version initiale. Le régime de responsabilité sans faute qu'il introduit est bienvenu, comme la priorité donnée à la réparation en nature, sachant que la réparation pécuniaire n'est souvent que le moyen de s'acheter une bonne conscience. Une telle réparation est une exigence si nous voulons laisser aux générations futures une terre habitable. Pour autant, elle n'est pas toujours possible. La détérioration des nappes phréatiques, par exemple, peut être irréversible.

Les biens communs de l'environnement ne sont pas de simples facteurs de production. Ils ont une identité propre, qui dépasse de loin les capacités d'ingénierie humaine. Tout doit être fait pour les protéger. Vous avez créé, madame la garde des sceaux, un groupe de travail, qui améliorera, n'en doutons pas, la qualité de ce texte. Pour l'heure, nous estimons que le signal donné est bon et voterons cette proposition de loi avec force et enthousiasme.

Mme Chantal Jouanno .  - La réparation du préjudice écologique est sans doute une des grandes questions de droit civil de ce siècle, écrivait un avocat sur son blog. Merci à M. Retailleau de son initiative. Autant il aurait été impossible, en 2007, d'inscrire le préjudice écologique dans le code civil, autant les esprits sont prêts aujourd'hui. La décision de la Cour de cassation sur l'Erika nous appelle à construire une base juridique solide.

Des questions demeurent, comme celle de la prescription. Celle aussi de la prévention : je préférais la version initiale du texte. Si l'on conserve l'idée de dommages et intérêts, il faudra prévoir un remboursement des dépenses. Nos travaux à venir devraient améliorer les choses. Il s'agit, ici, d'ouvrir un nouveau paradigme. L'approche de Hans Jonas est dépassée puisque ce n'est pas seulement la notion de préjudice indirect pour l'homme qui est consacrée mais celle de sa dépendance par rapport à l'environnement. Il faudra aussi ouvrir la question du droit de l'animal, qui ne saurait rester, dans notre code, un bien meuble.

Mme la garde des sceaux a évoqué son tremblement à l'idée que la nature serait mieux protégée que l'être humain. A-t-elle pensé à la diversité de la flore... intestinale ? (Sourires)

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Je connais mieux la diversité de la flore amazonienne ! (Sourires)

Mme Chantal Jouanno.  - Ce texte traduit une vision nouvelle de l'environnement, comme patrimoine, comme capital. On est bien au-delà de la logique des flux et de la valeur ajoutée qui présidaient aux réflexions sur le PIB dans les années 1970.

La réparation en nature n'est pas toujours possible : il est normal de prévoir une réparation pécuniaire. Mais comment l'évaluer ? Comment évaluer la disparition d'une espèce ? Est-il philosophiquement justifié de la monétiser ? Il existe des estimations de la valeur monétaire des espèces, même de celle des sangsues, sans parler des abeilles. Bref, les experts ont du pain sur la planche.

Notre groupe soutiendra lui aussi cette proposition de loi avec enthousiasme. (Applaudissements sur tous les bancs)

Mme Nicole Bonnefoy .  - Inscrire le préjudice écologique dans le code civil répond à une double nécessité : combler un vide juridique et assurer réparation. Pas un jour ne passe sans qu'une nouvelle catastrophe n'éclate. Les atteintes à l'environnement, parfois graves, donnent rarement lieu à réparation. L'impunité n'a que trop duré. Il faut intégrer dans la loi des mécanismes de prévention, de pénalisation et de réparation. C'est à quoi s'emploie cette proposition de loi, à laquelle je souscris.

Les mentalités ont évolué. La Charte de l'environnement de 2004 a valeur constitutionnelle mais elle appelait des textes d'application. La loi de 2008 a suivi, et la jurisprudence française a reconnu la notion de préjudice écologique. Il aura fallu attendre une catastrophe, celle de l'Erika, et onze ans de procès, pour que les choses évoluent.

En tant que rapporteur de la mission d'information sur les pesticides, je veux sonner l'alarme. Les pratiques agricoles, industrielles, commerciales, ne sont guère économes en intrants. Les intérêts économiques en jeu sont colossaux, et les choses peinent à évoluer. Faudra-t-il attendre des drames humains ? Mais ils sont déjà là. Voyez le chlordécone aux Antilles. L'implication des pesticides dans la mortalité des abeilles est aujourd'hui démontrée. Je salue donc les récentes décisions française et européenne d'interdire certains pesticides.

On sait que l'essentiel des pesticides, dispersés par le vent, finit dans les cours d'eau et les nappes phréatiques. Des produits interdits s'y trouvent encore, comme en témoigne la rémanence dans les sols de l'atrazine. À ces pollutions diffuses et continues, s'ajoutent les pollutions accidentelles. Nous avons le plus grand besoin d'outils juridiques pour prévenir et contrôler.

Je salue l'initiative de M. Retailleau et le travail de M. Anziani, que viendra relayer le groupe de travail que la garde des sceaux a créé. Quand une catastrophe humaine détruit en un instant ce que l'écosystème a mis des siècles à constituer, aucune réparation n'est possible. Il faut donc s'atteler à prévenir, et à sanctionner. Le groupe socialiste votera ce texte, dont l'enjeu est crucial et la portée majeure. (Applaudissements)

M. François Grosdidier .  - Président de la collectivité vendéenne, M. Retailleau connaît mieux que personne le drame de l'Erika, qui a donné lieu à une jurisprudence innovante, en condamnant Total à réparer les conséquences de la marée noire. Mais malgré cette avancée, la France est loin du compte. À en juger par l'affaire ExxonMobil, le préjudice est beaucoup plus coûteux pour ses responsables quand ils sont jugés par un tribunal de l'autre côté de l'Atlantique : cinq milliards de dollars, contre 200 millions d'euros.

Dans notre économie, le bénéfice est privatisé, mais le risque est mutualisé. Outre-Atlantique, la liberté a au moins pour corollaire la responsabilité, que l'on oublie trop souvent en France. Certes l'article 4 de la Charte de l'environnement pose le principe du pollueur-payeur, mais renvoie à la loi les modalités de son application. Grâce au Grenelle, nous avons avancé ; grâce à la loi de 2008 aussi, même si cette dernière reste une transposition a minima. Et la jurisprudence existante demeure aléatoire. Manque donc un dispositif clair et stable, pour assurer la réparation. C'est ce qu'apporte le texte de M. Retailleau, enrichi par la commission des lois. La réparation en nature, plus sûr moyen d'une réparation effective, est privilégiée. Grâce à M. Anziani, la responsabilité sans faute peut être engagée.

Nous avons le devoir de légiférer pour inscrire dans la loi un principe que nous avons porté il y a une décennie dans notre Constitution. Notre groupe votera ce texte conforme à ses valeurs : liberté et responsabilité. (Applaudissements)

M. Félix Desplan .  - Nous avons tous à l'esprit le drame de l'Erika, qui inspire ce texte mais les Guadeloupéens et les Martiniquais vivent aussi un désastre écologique majeur, qui atteint sol, air et eau. Celui-ci résulte de l'utilisation du chlordécone, une molécule très toxique et rémanente utilisée contre le charançon du bananier. Les États-Unis avaient cessé de l'utiliser dès 1976, tandis que plusieurs rapports en France soulignaient sa nocivité dès 1977. Malgré un retrait d'homologation treize ans plus tard, les autorités françaises ont maintenu licite l'utilisation de ce produit aux Antilles par dérogation jusqu'en 1993. En Guadeloupe, 6 500 hectares de surface agricole utile sont souillés, surtout dans le sud de Basse-Terre ; en Martinique, la pollution, plus diffuse, touche 14 500 hectares dans le nord-est. Tout ce qui pousse près du sol est atteint : les légumes racines comme le giraumon, très consommé, mais aussi les bovins, les volailles, les oeufs et le lait. Les résidus répandus par les eaux douces vers le littoral ont contaminé poissons et crustacés. Les hommes sont touchés mais aussi l'ensemble de l'économie. La production aquacole est mourante et les pêcheurs professionnels voient leurs zones de pêche réduites.

Le chlordécone a des effets dévastateurs sur la santé humaine : cancer de la prostate pour les travailleurs des bananeraies, retards de développement psychomoteur chez les enfants. Et l'impact sur la nature, s'il est difficile à déterminer précisément, durera très longtemps. Les Antilles ont ainsi été empoisonnées par un produit homologué ! Les planteurs n'en supporteront pas les conséquences financières puisque l'utilisation de cette molécule était autorisée par la loi.

Ils ne sont pas seuls en cause. Dans les années 1970, l'Office national des forêts a décidé de défricher une partie de la forêt primaire guadeloupéenne pour y planter des mahoganys, une sorte d'acajou exploitable pour son bois. Les agents de l'Office ont ainsi empoisonné les autres arbres en injectant à leur racine l'acide 2,4,5-trichlorophénoxyacétique, un des deux composants de l'Agent orange utilisé lors de la guerre du Vietnam. Là aussi, on ne peut estimer les effets à long terme, mais les études montrent que ce défoliant provoque chez l'homme cancer et diabète.

Reconnaître la responsabilité avec faute et sans faute est une avancée. Le juge pourra enfin agir pour assurer la réparation, et les pollueurs potentiels seront incités à la prudence. La réparation pourra revêtir des formes diverses, adaptées. Reste le problème de la prescription.

Des initiatives seraient, là, bienvenues, comme la signature d'un partenariat entre l'État, les collectivités territoriales et les producteurs pour garantir que la banane guadeloupéenne sera désormais écologique. Nous voterons cette proposition de loi.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux .  - Sur l'autorisation d'épandage qui aurait été donnée en Guadeloupe, je veux vous apporter une information sûre, et le ferai. Je comprends votre indignation. C'est une catastrophe. Les seuls terrains bananiers ne sont pas concernés, car il y a une continuité dans la nature, et les produits toxiques ne connaissent pas de barrières. L'Europe a tardé vingt ans à interdire le produit et, aux Antilles, des antagonismes d'intérêts ont joué. L'État est garant de l'environnement, mais aussi de l'emploi. Pour moi, cependant, face aux intérêts économiques, il faut toujours privilégier la santé publique. Certes, l'économie de la banane est une filière d'emploi indispensable aux Antilles, mais ces territoires ont un potentiel considérable et bien des filières pourraient être développées pour assurer une diversification de leur économie qui ne peut rester fondée sue deux productions seulement, canne et banane.

Je reviens au texte. La discussion générale a enrichi le débat et montré que nos préoccupations se rejoignent. Il faudra définir ce qu'est la réparation en nature, cependant. J'ai compris que tous les groupes voteront ce texte avec « force », avec « enthousiasme ». Il ne manque plus que l'allégresse ! (Sourires) Je ne vais donc pas faire entendre une voix discordante. Si je m'en remets à votre sagesse, j'en ai entendu la force unanime.

Au-delà, il faudra réfléchir à la question des autorisations administratives pour les installations : il ne faudrait pas qu'un pollueur puisse se retourner contre la puissance publique parce qu'il aurait obtenu une autorisation.

La réparation pécuniaire est un vrai sujet, M. Grosdidier a raison. Deux pistes sont possibles : l'amende civile, qui existe déjà dans notre droit, et le principe de l'élimination de la « faute lucrative », selon lequel une faute ne doit pas être plus lucrative que la sanction.

Merci à Mme Jouanno de ses informations sur les sangsues. (Sourires) Je crois qu'elles ont fait des merveilles au Moyen Âge...

Si j'éprouve plus d'émotion devant l'être humain que devant la nature, je préfère m'intéresser à la flore amazonienne qu'à la flore intestinale. (Sourires) Homme et nature sont indissociables : l'être humain est sculpteur de la nature, y compris dans ses activités économiques.

Notre génération doit s'efforcer de transmettre la beauté des paysages à ses enfants et petits-enfants. Souvenez-vous du film de Richard Fleischer Soleil vert que nous regardions dans les années 1970. On y invitait les vieillards, qui acceptaient de mourir pour faire de la place à la multitude des autres, à contempler, en images, la beauté de la nature disparue, une dernière fois...

M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de loi.  - ... en écoutant la Symphonie pastorale de Beethoven.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Absolument. (Applaudissements unanimes)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois .  - Je salue la qualité des interventions, leur beauté aussi. Attentif à la beauté de la langue, j'apprécie le lyrisme de Mme la garde des sceaux qui n'a rien d'éthéré, qui est lié au rutilement du monde, à la beauté des choses.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Je devrais venir tous les jours au Sénat ! (Sourires)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Attendez la suite.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Je la crains...

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Rassurez-vous : ce texte qui sera probablement adopté dans de très bonnes conditions mérite un avis de sagesse du Gouvernement, ce beau mot de « sagesse ».

Contrairement à ce qu'on lit trop souvent dans la presse, le Sénat adopte souvent des textes à l'unanimité. « Tout ce qui monte converge » disait un auteur de xxe siècle. Je peux vous citer quatre textes que le Sénat a adoptés à l'unanimité et dont l'Assemblée nationale n'a pas eu à connaître : notre proposition de loi sur les sondages, celle sur les conditions d'exercice des mandats locaux, celle sur l'instance chargée de contrôler en amont le développement des normes, celle relative à la compétence du juge français sur les crimes contre l'humanité. Aucun de ces textes, très attendus et adoptés à l'unanimité du Sénat, n'a été inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.

Veillez, madame la garde des sceaux, à ce que ces textes portent des fruits ou plutôt des fleurs, donnant un sens plus pur aux mots de la cité, comme aurait pu le vouloir Mallarmé.

La discussion générale est close.

Discussion de l'article unique

M. Joël Guerriau .  - Je veux rendre hommage à tous ceux qui se sont mobilisés pour réparer le drame de l'Amoco Cadiz de mars 1978. Du 17 mars au 12 mai, entre 420 et 1 700 personnes se sont activées chaque jour pour nettoyer plages et côtes. En réalité, ce sont les algues et les vagues qui ont achevé leur oeuvre. Ont suivi l'Erika, mais aussi les drames de Tchernobyl et de Fukushima.

Ce texte majeur sanctionne ces atteintes graves à notre patrimoine commun qu'est la nature. Je forme le voeu que nos voisins européens suivent notre exemple !

Mme la présidente.  - Le vote sur l'article unique vaudra vote sur l'ensemble de la proposition de loi.

Interventions sur l'ensemble

M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de loi .  - Merci à tous de votre soutien. Sur ce sujet, aucune susceptibilité d'auteur n'est possible quand nous oeuvrons pour le bien commun. Je me réjouis de la création du groupe de travail à la Chancellerie ; l'important est que nous aboutissions, que ce soit par une proposition de loi ou par un projet de loi. Cette situation ne peut plus durer au XXIe siècle ! Pour ma part, je suis certain que nous travaillons pour les générations futures ; ce sont elles les victimes.

Portalis, à l'ombre duquel nous travaillons, disait que « les lois sont faites pour les hommes ». Osons modifier le code civil au bout de 200 ans !

Des questions demeurent : la responsabilité sans faute, pourquoi pas ? Mais cela supposera, en effet, de régler la question des autorisations administratives ; l'intérêt à agir qui, à mon sens, doit être partagé entre État, collectivités territoriales et associations ; la prescription et la réparation en nature. Nos travaux vont se poursuivre sur tous ces points. C'est l'intérêt de la navette et de votre groupe de travail à la Chancellerie.

J'espère que ce texte sera adopté à l'unanimité ! (Applaudissements unanimes)

M. Joël Labbé .  - Hier soir, nous avons également adopté une proposition de résolution européenne à l'unanimité. La sagesse n'est pas un mot creux au Sénat. J'ai dit à la fin de mon intervention notre confiance dans le Gouvernement. C'est avec force, enthousiasme et allégresse que je voterai ce texte ! (Applaudissements)

L'article unique est adopté.

Mme la présidente.  - Avec une belle unanimité : ni voix contre, ni abstention. (Applaudissements)

CMP (Nominations)

Mme la présidente.  - Il va être procédé à la nomination de sept membres titulaires et de sept membres suppléants de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la représentation des Français établis hors de France.

La liste des candidats établie par la commission des lois a été affichée conformément à l'article 12 du Règlement. N'ayant reçu aucune opposition, je proclame représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire : titulaires, MM. Jean-Pierre Sueur, Jean-Yves Leconte, Mmes Catherine Tasca, Éliane Assassi, MM. Jean-Jacques Hyest, Christophe-André Frassa, Michel Mercier ; suppléants, MM. Pierre-Yves Collombat, Antoine Lefèvre, Mme Hélène Lipietz, MM. Jean-Pierre Michel, Alain Richard, Mme Catherine Troendle, M. François Zocchetto.

Saisine du Conseil constitutionnel

Mme la présidente.  - M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat que le Conseil constitutionnel a été saisi le 15 mai 2013, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, par plus de soixante sénateurs, d'une demande d'examen de la conformité à la Constitution de la loi relative à la sécurisation de l'emploi. Le texte de la saisine du Conseil constitutionnel est disponible au bureau de la distribution.

La séance est suspendue à 11 h 30.

présidence de M. Jean-Pierre Bel

La séance reprend à 15 heures.

Lutte contre le terrorisme (Questions cribles)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la réponse du Gouvernement à des questions cribles thématiques sur la politique de lutte contre le terrorisme dans notre pays.

M. Jean-Pierre Sueur .  - Vous avez lu sans nul doute avec intérêt, monsieur le ministre, le rapport de la délégation parlementaire au renseignement que j'ai l'honneur de présider. Nous y faisons des préconisations concernant au premier chef la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI). Nos auditions sur l'affaire Merah ont fait apparaître d'importants dysfonctionnements entre les échelons locaux et régionaux et les instances nationales de la DCRI. Comment entendez-vous y remédier ?

Les moyens de la DCRI sont loin de ceux de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). Comptez-vous les accroître ?

Au-delà, quid de l'autonomie de la DCRI qui, pour être efficace, doit se doter de personnels très spécialisés, en matière linguistique comme de maîtrise d'un certain nombre de technologies et de techniques. Or les procédures actuelles ne lui permettent pas de procéder à de tels recrutements. Que comptez-vous faire ?

M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur .  - Il est essentiel que nous nous retrouvions pour tirer les enseignements des faits qui se sont déroulés il y a un an. Les mesures que nous avons prises visent à rendre la DCRI plus efficace, notamment par une meilleure articulation entre l'échelon central et les échelons locaux. C'est le but de son nouvel organigramme, qui intègre une structure chargée de la coordination, des bureaux de liaison et un service d'inspection interne. Il faut aussi à cette direction, dont je salue l'engagement, des moyens supplémentaires, humains et techniques.

Enfin, la question de l'autonomie de gestion ne me semble pas l'enjeu principal. Il faut avant tout renforcer les moyens en personnel. L'autonomie ferait peser sur la DCRI une contrainte budgétaire plus forte. Si le débat est ouvert, ce qui compte pour moi, c'est avant tout l'efficacité de la DCRI.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Lors de notre récente visite à la DCRI, nous avons constaté l'implication des personnels, que je salue. L'accroissement des moyens que vous annoncez est bienvenu. L'autonomie ? Il ne s'agit pas de créer un État dans l'État mais d'assouplir les procédures ; pour être efficace, il faut pouvoir recruter des personnels avec les compétences requises dans des délais raisonnables.

M. Vincent Capo-Canellas .  - Les services de renseignement jouent un rôle majeur dans la lutte contre le terrorisme. Se pose donc la question des moyens ; et le cadre juridique doit être clair. Les professionnels du renseignement devraient avoir accès aux données financières et bancaires. Des progrès ont été faits. Se pose également la question de la situation juridique des terroristes assignés à résidence ; la fuite de Saïd Arif doit nous amener à la réexaminer. La coordination entre services doit encore être renforcée.

Les moyens, enfin, sont très inférieurs à ceux que consacrent nos voisins européens à la lutte contre le terrorisme - ce qui ne date pas d'aujourd'hui. Certains programmes ont pris du retard ou ont été reportés. Face à une menace en perpétuelle mutation, nous devons diversifier les recrutements et faire appel à des profils spécifiques - linguistes, psychologues, analystes d'images...

Comment entendez-vous améliorer, monsieur le ministre, les outils de détection, de surveillance et d'enquête des services de renseignement ?

M. Manuel Valls, ministre.  - L'évolution de la menace terroriste en France, les événements de Boston, aussi, montrent que le frein principal réside dans les cloisonnements, géographiques et entre services. Il faut gagner en souplesse, notamment dans le recrutement. Pour le cas Saïd Arif, que j'ai qualifié d'individu particulièrement dangereux, je crois, tout en nous assurant du respect des règles nationales et européennes, qu'il faut revoir le dispositif de l'assignation à résidence. J'ai saisi nos services pour qu'ils me fassent des propositions, notamment sur l'expulsion.

M. Vincent Capo-Canellas.  - Des moyens supplémentaires sont nécessaires, même en ces temps de disette. Merci de votre réponse sur l'assignation à résidence. Quant aux procédures, il faut les simplifier ; la tentation de vouloir tout contrôler tend souvent à les alourdir.

Mme Éliane Assassi .  - Le terrorisme anéantit les droits de l'homme et les libertés fondamentales, toute la société doit faire bloc pour le combattre sans indulgence aucune. La lutte contre le terrorisme n'en doit pas moins respecter les libertés fondamentales dont l'État est le garant - liberté d'aller et venir, respect de la vie privée - sauf à remettre en cause les fondements mêmes de notre démocratie.

Dans la loi du 23 janvier 2006, la droite avait fait adopter à titre expérimental une procédure de contrôle d'identité à bord des trains transnationaux. La gauche avait alors dénoncé cette mesure comme étant destinée à favoriser les contrôles migratoires. Or en octobre 2012, le Gouvernement a prorogé cette disposition, sans même disposer du rapport d'évaluation prévu par la loi. Quid de l'efficacité de cette disposition ?

M. Manuel Valls, ministre.  - Sur ces questions, nous devons converger et rechercher l'unité. Certaines lignes ferroviaires sont utilisées par des réseaux de criminalité organisée, des filières d'immigration irrégulière ou de terrorisme. Les contrôles y sont justifiés. Ils ont permis l'arrestation en 2011, à Modane, du numéro 3 de l'ETA. La loi de 2012 a précisé le dispositif pour se conformer aux exigences de la CEDH. Ces contrôles ont un caractère temporaire, le Gouvernement est tenu de solliciter une autorisation pour les prolonger. C'est ce qu'il a fait en 2012, et ce qu'il continuera à faire : le Parlement sera donc pleinement éclairé.

Mme Éliane Assassi.  - Malheureusement, les contrôles d'identité n'ont jamais joué un rôle déterminant dans la lutte contre le terrorisme. En revanche, ils créent un amalgame inadmissible entre terrorisme et immigration. Ou bien le dispositif expérimental est efficace, et il faut le rendre définitif ; ou bien il est inutile et il doit être abrogé. Puisque nous serons amenés à en débattre à nouveau, nous reviendrons à la charge.

Mme Esther Benbassa .  - En octobre, nous débattions du projet de loi relatif à la sécurité et la lutte contre le terrorisme qui pose de nombreuses questions au regard des libertés individuelles. La lutte contre le terrorisme ne sera efficace qu'accompagnée d'une politique volontariste de prévention, dès l'école. Comme pour les rabbins au XIXe siècle, les imams devraient suivre un enseignement ad hoc dans des établissements spécialisés, de même que les aumôniers des prisons pour prévenir la propagation de l'islam radical dans le milieu carcéral. Quelles mesures envisagez-vous, monsieur le ministre, pour prévenir la radicalisation qui touche au premier chef les jeunes musulmans défavorisés des ghettos ?

M. Manuel Valls, ministre.  - La question du terrorisme dépasse le seul problème de l'islam radical - je pense aux groupes ultras de droite et de gauche ou à l'ETA. Cela étant, la question de la prévention est un vrai sujet, qui est traité au niveau européen - je salue à ce propos les travaux de Gilles de Kerchove, le coordinateur européen contre le terrorisme. L'école est un lieu où nous pouvons agir. Il faut aussi contrôler de façon resserrée les lieux de culte radicaux et les prisons. Parlant des rabbins, vous saluez l'action de l'empereur Napoléon Ier... Nous pourrions en effet nous en inspirer.

La société civile, les associations - j'ai rencontré ce matin le président de l'AfVT, M. Guillaume Denoix de Saint Marc - doivent aussi contribuer à lutter contre les ferments du terrorisme.

Mme Esther Benbassa.  - Reste à mettre toutes ces bonnes paroles en application...

M. Jean-Pierre Plancade .  - Le RDSE a voulu mettre cette question essentielle de la lutte contre le terrorisme à l'ordre du jour. Les affaires de Montauban et de Toulouse sont encore dans nos mémoires. La DCRI a été sévèrement critiquée à cette occasion, alors que le renseignement est un outil de lutte majeur. Les moyens dévolus au renseignement seront-ils accrus ? Comment lutter efficacement contre les « loups solitaires » ? Le terrorisme « fait maison » suppose la mobilisation de moyens techniques et humains, la surveillance des jeunes gens autoradicalisés, qui se forment sur internet. L'architecture du renseignement a été repensée en 2008, mais les services n'ont pas été épargnés par la RGPP. Quelles sont, monsieur le ministre, vos intentions pour améliorer l'efficacité du renseignement ?

M. Manuel Valls, ministre.  - La loi antiterroriste, appuyée sur les travaux engagés par le précédent gouvernement et enrichie par le Parlement, nous permet désormais de poursuivre les individus engagés dans les filières djihadistes en France et à l'étranger. C'est ainsi que Gilles Le Guen a été rapatrié. Un travail attentif est mené sur les filières sahéliennes et syriennes. Il faut être sur tous les fronts : milieu carcéral, cyberespace, renseignement. La DCRI doit mieux se coordonner avec ses antennes locales, la DGSE et ses homologues internationaux. Elle a aussi besoin de moyens. L'affaire Merah nous oblige tous à la vigilance.

M. Jean-Pierre Plancade.  - Nous ne doutons pas de votre détermination.

M. Roger Karoutchi .  - La lutte contre le terrorisme doit dépasser les clivages. J'en veux pour preuve le texte adopté en 2012. Mais des critiques se sont élevées, depuis l'affaire Merah et d'autres, sur les dysfonctionnements de la DCRI. Je veux dire ici que la République doit rendre hommage à tous les agents qui risquent leur vie pour elle, sans toujours qu'elle leur soit reconnaissante.

Un rapport récent appelle à la création d'une inspection des services et d'une autorité indépendante pour mieux contrôler la proportionnalité des moyens employés.

Mais la transparence, si elle a du bon, peut aussi mettre les agents en danger.

Quelles mesures envisagez-vous, monsieur le ministre, pour garantir la transparence sans faire prendre de risques à nos agents, qui défendent l'État et la République. (Applaudissements à droite et sur quelques bancs à gauche)

M. Manuel Valls, ministre.  - Oui, il y a un besoin de transparence, en particulier dans une grande démocratie comme la nôtre ; le Parlement doit pouvoir traiter sereinement de ces questions. Mais il faut aussi protéger nos agents. Le rapport Urvoas vient d'être remis, il appelle un examen approfondi. Pour renforcer les bases juridiques de l'action des services, la plupart des démocraties ont mis en place des outils protecteurs. Il faut nous y mettre. Le rapport Urvoas pose les jalons d'une réflexion qui sera engagée dans les prochains mois. D'autres questions se posent, comme celle de l'évolution de la loi de 1881, qui est devenue inadaptée à l'heure d'internet. Transparence, donc, mais en assurant la protection des agents, dont l'action exige le secret : telle est la ligne de crête sur laquelle nous devons nous tenir.

M. Roger Karoutchi.  - Il est évident que c'est une ligne de crête : autant le Parlement et l'opinion veulent savoir, autant la confidentialité est nécessaire à nos agents pour oeuvrer. Trouvons le bon équilibre.

M. Alain Richard .  - La rédaction du Livre blanc a été l'occasion de dresser un bilan de l'évolution de la menace terroriste. Qu'en est-il ? Comment mieux protéger nos concitoyens et nos intérêts nationaux ? Quid de la coopération avec nos partenaires européens et atlantiques ?

M. Manuel Valls, ministre.  - La menace terroriste est là, qu'elle vienne de l'ETA ou d'autres groupes étrangers ou encore de groupes extrémistes intérieurs, de groupes djihadistes. La coopération internationale existe, même si elle mérite d'être renforcée.

L'intervention française au Mali a renforcé la menace, et je salue la coopération avec les pays du Maghreb et de l'Afrique de l'Ouest. L'ennemi est également intérieur : il existe des loups solitaires, autoradicalisés sur internet, dont la menace est difficile à appréhender. Oui, nous devons agir et nous adapter à cette évolution en travaillant mieux avec la société civile, la police et la gendarmerie, comme nous le disions avec Mme Benbassa.

M. Alain Richard.  - Merci de cette réponse, qui cerne l'essentiel. Nous avons effectivement besoin d'une approche plus fine, à laquelle peuvent aider les collectivités locales, pour détecter précocement une menace terroriste qui s'individualise.

M. Christian Cambon .  - Depuis l'affaire Merah, qui n'a cessé de susciter des controverses sur notre système de renseignement intérieur, le contexte a changé avec notre intervention au Mali : les menaces proférées par les chefs djihadistes contre les intérêts français commencent à se concrétiser. L'attentat contre notre ambassade à Tripoli et la tentative au Caire sont autant d'alarmes, de même que les récents attentats à In Amenas, à Boston ou en Turquie, dans des pays pourtant particulièrement armés dans la lutte contre le terrorisme. Un djihadiste français a été interpellé au Sahel, on sait que de jeunes Français s'entraînent en Afghanistan et au Pakistan. On peut, dans notre pays, s'approvisionner en armes et en explosifs. La France est spécialement exposée, nous avons besoin de l'Europe. Comment renforcer la coopération ? (Applaudissements à droite)

M. Manuel Valls, ministre.  - Depuis 2001, plus de 200 volontaires ont quitté la France pour rejoindre des groupes djihadistes ; 17 sont morts, 68 séjournent sur notre territoire. Depuis 2012, le départ de volontaires pour la Syrie s'est fortement accéléré ; même des mineurs sans expérience religieuse s'engagent. C'est vrai en France, mais aussi en Europe et au Maghreb, ce qui nous porte à renforcer la coopération avec les pays concernés.

La DCRI a appréhendé 78 personnes en 2012, contre 47 en 2011, et déjà 38 depuis le début de l'année 2013. La menace est réelle, nous devons conforter les coopérations.

M. Christian Cambon.  - Le terrorisme, en effet, ne connaît pas de frontières. Une conférence des ministres européens serait sans doute bienvenue, d'autant que les frontières de l'Europe sont ici et là plutôt lâches...

M. André Reichardt .  - On a beaucoup souligné le rôle d'internet et des réseaux sociaux dans l'affaire Merah. L'article premier de la loi du 21 décembre 2012 prolonge la possibilité d'intercepter des communications électroniques, un dispositif créé par l'ancienne majorité. C'est une bonne chose. Cela étant, des obstacles techniques demeurent. Comment les surmonter ? C'est d'autant plus important qu'internet est devenu le moyen de recruter, de former des terroristes et de glorifier leurs crimes.

M. Manuel Valls, ministre.  - Internet est en effet devenu un outil de propagande, de radicalisation et de recrutement. La lutte contre le terrorisme doit toujours s'adapter, celui-ci a souvent un train d'avance sur la loi ; nous devrons sans doute compléter la loi de 2012 pour adapter notre droit et nos méthodes à la cybercriminalité, dans le respect des libertés individuelles. Un travail interministériel est engagé avec le ministère de l'économie numérique et celui des finances. Nous devons aussi dialoguer davantage avec les Américains, dont les conceptions sur ces questions diffèrent des nôtres en raison de leur premier amendement.

M. André Reichardt.  - La lutte contre le terrorisme, dont nous devons faire une priorité nationale, doit être dotée de moyens suffisants. Tout ce qui peut être fait pour mieux contrôler les flux sur internet doit l'être.

La séance est suspendue à 15 h 45.

présidence de Mme Bariza Khiari,vice-présidente

La séance reprend à 16 heures.

Hommage à une délégation étrangère

Mme la présidente.  - (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent)

J'ai le plaisir de saluer en votre nom la présence, dans notre tribune d'honneur, d'une délégation de députés du Mali, conduite par M. Mody N'Diaye, rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale du Mali, et venue étudier, au Sénat, la procédure budgétaire, les missions de notre commission des finances, ainsi que les modalités d'organisation de ses travaux. À cette fin, elle a rencontré le rapporteur général, M. François Marc, ainsi que Mme Michèle André.

Elle a également déjeuné avec nos collègues du groupe interparlementaire d'amitié France-Afrique de l'Ouest, sous la présidence de M. Joël Labbé, président délégué pour le Mali.

Alors que la France est engagée, avec l'ensemble de la communauté internationale, dans un effort sans précédent pour permettre au Mali de recouvrer son intégrité et d'engager sa reconstruction, nous formons tous le voeu que cette visite lui aura été profitable et nous souhaitons à tous ses membres la plus cordiale bienvenue au Sénat ! (Applaudissements)

Rappel au Règlement

Mme Éliane Assassi .  - Mon rappel au Règlement concerne l'organisation de nos travaux. Le débat sur le premier volet de la réforme de décentralisation a fort mal commencé, hier, la commission des lois ayant adopté un texte à marche forcée en siégeant jusqu'à 3 heures du matin. La moindre des choses aurait été de prévenir les groupes politiques, sachant que le rapporteur a totalement récrit le texte. Est-il acceptable de travailler dans de telles conditions ? Nous n'aurons que quelques jours pour examiner des dispositions modifiées de fond en comble dans la lettre et l'esprit. Pourquoi les groupes n'ont-ils pas été informés au préalable ? Comment accepter qu'il n'y ait eu aucun aller-retour avec les associations d'élus ? Cela est en contradiction flagrante avec l'esprit des états généraux de la démocratie territoriale. Le groupe CRC demande solennellement un retour à une conception démocratique du débat, la discussion doit être reportée au-delà de la date prévue du 30 mai. Nous présenterons cette demande à la prochaine Conférence des présidents.

Le Sénat ne peut être ainsi méprisé une nouvelle fois. Débattre dans de si mauvaises conditions d'un texte qui relève de nos prérogatives inscrites à l'article 24 de la Constitution témoigne, je pèse mes mots, d'un réel mépris à l'égard de tous les membres de notre assemblée.

Mme la présidente.  - Dont acte. La Conférence des présidents du 22 mai se prononcera sur le sujet, en présence du Gouvernement.

Pass navigo unique (Suite)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la suite de la proposition de loi permettant l'instauration effective d'un pass navigo unique au tarif des zones 1 et 2.

Discussion générale (Suite)

M. Michel Billout, rapporteur de la commission du développement durable .  - Cette proposition de loi établit un versement transport unique en Île-de-France pour donner à la région les moyens de financer un pass navigo unique. Cette mesure de justice sociale est demandée par la majorité régionale et son président. De plus en plus de ménages, qui subissent de plein fouet la crise du logement, sont contraints à des déplacements de plus en plus longs et coûteux. Pourquoi légiférer pour une région ?

M. Philippe Dallier.  - Bonne question !

M. Michel Billout, rapporteur.  - Parce que la Constitution dispose que le législateur définit les taxes et impôts.

Pour investir dans les réseaux, priorité de la région, il faut des moyens. Les incidents et les retards prennent une importance croissante. Les habitants ne comprennent pas pourquoi ils payent plus cher pour être moins bien servis. Le système concentrique du réseau est devenu obsolète. Le découpage en cinq zones ne se justifie donc plus, et une tarification unique s'impose. D'autant que la région capitale fonctionne déjà comme une métropole. (M. Roger Karoutchi le conteste)

Par souci d'équité sociale, l'exécutif régional a donc souhaité supprimer le zonage. Mais cela a un coût. Or, les usagers et les collectivités locales ont déjà largement contribué à la remise en état du réseau, qui est aussi un facteur clé de la compétitivité des entreprises ; celles-ci ont tout intérêt à son bon fonctionnement. D'où l'idée d'un financement via le versement transport, dont le zonage, instauré en 1971, n'avait quasiment pas bougé. Jusqu'à la loi de finances rectificative pour 2010 : 2,6 % pour Paris et les Hauts-de-Seine, 1,7 % pour les deux autres départements de la petite couronne et 1,4 % pour les trois départements de la grande couronne.

Le rapport Carrez, adopté à l'unanimité, engageait à revoir ce zonage. La zone 2 a été élargie pour tenir compte de l'unité urbaine au sens de l'Insee : moins d'un tiers des communes mais 85 % de la population francilienne.

Il a fallu dix-huit mois pour appliquer aux communes en zone 2 un plafond de 1,8, comme dans les autres métropoles régionales. Le compte n'y est pas. Songez que les entreprises franciliennes acquittent un versement transport moindre ou équivalent à celui des entreprises des métropoles régionales. Les usagers ont besoin d'une mobilisation forte : la fréquentation a crû de 20 % en dix ans avec un coût d'exploitation en hausse de 25 %. L'idée de rehausser le versement transport a provoqué une levée de boucliers, mais je rappelle que ce sont les collectivités publiques qui ont, jusqu'à présent, financé l'effort nécessaire à une remise à niveau, qui devra se poursuivre dix ans pour que le rattrapage se fasse enfin sentir. Il est légitime que les entreprises contribuent. D'autant que la compétitivité, chiffon rouge souvent agité, ne tient pas essentiellement, comme le montre le rapport Gallois, à la réduction des charges. Et la qualité des transports compte beaucoup. Pour preuve, les entreprises se concentrent là où le réseau de transport est de qualité et le versement transport le plus élevé.

D'où ce texte qu'il me paraît cependant nécessaire d'amender, en limitant l'harmonisation aux seules zones 1 et 2, en leur appliquant le taux de 2,7 %. Cela correspondrait d'ailleurs aux frontières de la métropole parisienne limitée à ces deux zones. Pour la zone 3, il est plus juste de fixer le plafond à 1,8 %. Cela laisserait 500 millions de recettes. Importante, la somme en jeu est à comparer aux 27 milliards que l'État et la région vont investir dans le réseau. (M. Roger Karoutchi en doute) Ce sera donner un signe de solidarité alors que la création de la métropole parisienne pourrait alourdir la fracture entre habitants.

M. Roger Karoutchi.  - Ah !

M. Michel Billout, rapporteur.  - Je dois cependant dire, à regret, que la commission du développement durable n'a pas adopté cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs CRC)

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche .  - Voilà un sujet qui passionne. Les transports en commun sont fortement subventionnés, et cela est légitime eu égard à leur impact très positif. Ils donnent aux Franciliens accès à l'emploi et aux loisirs, même si les conditions de transport se sont dégradées ces dernières années. Je comprends donc la logique de votre texte. Comment être opposé à une optimisation des moyens dont dispose le Syndicat des transports d'Île-de-France (Stif) ? Mais il faut s'interroger sur les conséquences de la mesure proposée, à l'heure où l'argent public se fait rare.

L'article premier porterait à 2,7 % le taux de versement transport dans les zones situées dans l'aire urbaine de Paris, et à 1,8 % dans les autres communes. C'est une augmentation de près de 50 % ou 100 %, un prélèvement annuel de près de 800 millions sur les entreprises, après deux hausses consécutives en moins d'un an. Cela renchérirait le coût du facteur travail. Or, la compétitivité des entreprises, c'est l'emploi, et le Gouvernement s'est engagé à la renforcer. Votre mesure réduirait d'un quart le bénéfice du CICE et freinerait le développement dans des communes où le besoin d'emploi est criant. On risque aussi de dissuader la création de petites entreprises de moins de huit salariés, puisque le bénéfice des mesures incitatives existantes serait gommé par cette hausse du versement transport.

Enfin, cette mesure est-elle bien compatible avec la logique du paiement selon le service rendu, si les communes de la zone 3 en venaient à acquitter la même chose que des communes mieux desservies ? Sans parler de son impact en termes d'aménagement du territoire.

Le Gouvernement souhaite développer l'aménagement autour des gares du Grand Paris Express, par souci de cohérence. Je comprends votre objectif social. Habiter loin de Paris ne résulte pas toujours d'un choix ; c'est souvent une situation subie. Mais le Stif a beaucoup fait pour épauler les plus démunis, bénéficiaires du RSA, de l'ASS et de la CMU. Et faut-il rappeler que le pass navigo zones 1 et 2 ne coûte que 2 euros par jour ? L'extension de ce tarif, si l'on adoptait votre texte, irait jusqu'à 130 kilomètres. C'est beaucoup.

Notre priorité est d'améliorer les conditions de transport en Île-de-France, en lien avec les collectivités. Le Premier ministre a voulu sortir de l'opposition entre aménagement d'un nouveau réseau et rénovation de l'existant. Le Grand Paris Express est acté, et des lignes nouvelles entreront en service dès 2016. Il faut, dans le même temps, engager la rénovation du réseau. Grâce à la participation de la société du Grand Paris, 7 milliards pourront être consacrés à cette fin. L'urgence est d'accélérer la régionalisation des schémas directeurs du RER, de mieux relier les zones d'habitat de l'est aux zones d'emploi de l'ouest. Les chantiers sont lancés ; ils doivent répondre aux attentes de nos concitoyens, qui souffrent de la dégradation de la qualité des transports, due à des années de sous-investissement. Notre démarche est donc pragmatique, elle vise à accroître la qualité de vie des Franciliens et la compétitivité de la région.

Depuis les dernières élections, l'État et la région peuvent travailler ensemble. (M. Philippe Dallier ironise) et font en sorte que le Grand Paris passe par des investissements immédiats, ce qui ne fait que le crédibiliser.

M. Philippe Esnol .  - L'enjeu est fort pour le développement de la région Île-de-France, à la veille de la discussion du projet de loi de création des métropoles. Nos collègues posent ici une question centrale, celle des transports, mais aussi une question fiscale. Il est légitime que les sénateurs se penchent sur le sort de l'Île-de-France, pour prendre la mesure de tous les enjeux d'aménagement d'une aire métropolitaine comptant 12 millions d'habitants.

La question des transports y est cruciale. Le Grand Paris a fait évoluer les choses. Sous l'impulsion du président Huchon, priorité a été donnée au quotidien. Il s'agit donc de dégager de nouvelles ressources ; la majorité régionale y travaille. Favoriser les transports intrarégionaux, oui, mais en évaluant précisément les conséquences. Des tarifs sociaux existent déjà pour les bénéficiaires du RSA et les chômeurs titulaires de l'Allocation de solidarité spécifique (ASS) et de la CMU ; quant aux salariés, l'employeur peut prendre en charge jusqu'à 50 % du coût de l'abonnement. Gardons-nous, en adoptant de nouvelles mesures, de favoriser l'étalement urbain. Si nous ne souscrivons pas aux dispositions proposées par ce texte, il n'en est pas moins intéressant de se pencher sur la question, cruciale, du financement.

Demander, comme le font les auteurs de ce texte, aux entreprises de faire un tel effort ne se justifie pas, alors que deux hausses sont déjà intervenues. Sans compter qu'il serait absurde d'imposer une charge qui viendra annuler le bénéfice du CICE et décourager la création d'entreprises. Reste que ce texte a le mérite de lancer la réflexion sur la politique des transports en Île-de-France. Des investissements sont nécessaires, en particulier dans les Yvelines et le Val-d'Oise. Nous attendons l'extension d'Éole. Le territoire de la Confluence, qui regroupe un million d'habitants au bas mot, a besoin du bouclage de l'A104, la Francilienne, pour éviter l'asphyxie. Je pense aussi à la plateforme multimodale d'Achères : nous avons besoin de connexions avec la route et le fer.

La solidarité veut que l'on prenne en compte l'est francilien, mais ce ne doit pas être au prix d'un oubli des populations de l'ouest, qui ont aussi besoin d'infrastructures et de fluidité.

L'opportunité de ce texte nous paraît loin d'être prouvée, et nous ne le voterons pas.

Mme Éliane Assassi.  - C'est bien dommage.

M. Vincent Capo-Canellas .  - Je salue la clairvoyance de notre rapporteur, qui disait qu'il lui serait difficile de convaincre. On nous demande, avec ce texte, de solder un différend qui remonte à la campagne régionale de 2010, où les Verts réclamaient la tarification unique contre l'avis du président Huchon, qui au deuxième tour alla à Canossa... Faute de pouvoir financer cette promesse par le budget du Stif, voilà que l'on nous propose de la faire financer par les entreprises.

On ne peut pas soutenir un tel texte. Le tarif unique favoriserait l'étalement urbain, alors que les objectifs du Schéma directeur de la région Île-de-France (Sdrif) sont de développer l'habitat autour des gares. Et on ne s'éloigne pas de Paris pour des raisons économiques seulement : ce peut aussi être le résultat d'un choix. On risque de créer, de surcroît, un mur tarifaire avec les régions limitrophes.

L'augmentation du versement transport, même limitée par le rapporteur à 500 millions, est déraisonnable alors que deux hausses ont déjà eu lieu et que les entreprises contribuent déjà pour moitié aux abonnements de leurs salariés. Ce serait porter un mauvais coup à la compétitivité de notre région.

Enfin, c'est à la rénovation du réseau, qui a pris un retard considérable, que doit aller la priorité. Les Franciliens veulent des transports fluides et fiables, ils n'en peuvent plus du réseau saturé, des retards et des incidents qui se multiplient. Il est urgent de décongestionner le réseau.

Pour autant, réfléchir à la politique tarifaire se justifie, tant le zonage concentrique est devenu obsolète. Mais une telle réforme ne peut que suivre, et non précéder l'amélioration de la qualité du service. Tous les moyens doivent aller à cet objectif.

On ne peut traiter la question des transports sous le seul angle de la tarification. Nous voterons contre cette proposition de loi.

M. Jean-Pierre Plancade .  - C'est au nom de Robert Hue, retenu, que je vais m'exprimer. La construction du réseau francilien n'a pas tenu compte, à l'origine, des banlieues et le transport routier a été privilégié, en particulier avec la suppression des tramways existants pour faciliter la circulation des voitures, d'où un sous-investissement dommageable alors que la population de la région ne cesse de croître et que l'offre de logement oblige beaucoup à l'éloignement. D'où l'intérêt de ce texte, conforme aux engagements pris par la majorité régionale de la gauche en 2010. L'augmentation du versement transport ne concernera que les entreprises de plus de neuf salariés, qui verront déduite leur participation aux frais de transport de leurs salariés. Mais peut-être eût-il été bon de prévoir une augmentation un peu moins brutale.

Si le dézonage est un objectif louable, puisqu'il encouragera le report modal, il faut aussi songer à l'investissement. Ce texte permet de dégager de nouvelles ressources, non seulement pour assurer le tarif unique mais aussi à cette fin.

Le réseau existant est insuffisant, tout le monde en convient. Notre politique des transports en Île-de-France est à bout de souffle. Le financement du Grand Paris requiert 30 milliards : nous ne pouvons pas faire porter cet effort sur les seuls usagers. Ouvrir la réflexion sur le versement transport est donc bienvenu.

Malgré ces quelques réserves, le groupe RDSE, dans sa quasi-totalité, votera ce texte, un seul d'entre nous ne participera pas au vote. (Applaudissements sur les bancs CRC)

M. Philippe Kaltenbach .  - Ce texte concerne de très nombreux Franciliens. Chaque jour, on dénombre plus de 8,5 millions de déplacements en transports en commun en Île-de-France, dont 3 millions sur le réseau SNCF et 5,5 millions sur le réseau RATP, dont 1 million pour le seul RER A. Dès son arrivée, la nouvelle majorité régionale a saisi à bras-le-corps le problème du sous-investissement dans les transports en commun franciliens. Le Stif a plus investi en sept ans que l'État en vingt ans.

Pas de politique ambitieuse sans moyens. Le Stif dispose d'un budget de 5 millions, dont 60 % proviennent du versement transport acquitté par les entreprises. Faut-il réduire le coût pour l'usager ou mobiliser des ressources pour développer et moderniser l'offre de transports ? En ces temps de difficultés économiques, nous ne pourrons pas mener les deux chantiers de front. Les Franciliens veulent plus de gares, plus de trains, plus de ponctualité, plus de transports. Répondons à leurs attentes.

Un accord a été conclu avec l'État en 2011, le projet du Grand Paris Express a été acté par le Premier ministre. Voilà la priorité du Gouvernement et la nôtre. L'enjeu est économique. Je vois bien à Clamart et dans toute l'intercommunalité que je préside que l'arrivée du tramway favorisera l'implantation d'entreprises.

Si nous partageons l'objectif du pass navigo unique que poursuit le groupe communiste, il nous semble moins urgent que l'amélioration du réseau.

Au reste, nous allons progressivement vers le dézonage : suppression des zones 7 et 8 en 2007, de la zone 6 en 2011, tarif unique dans toutes les zones le week-end et les jours fériés, et dès cet été entre mi-juillet et mi-août.

M. Roger Karoutchi.  - M. Kaltenbach est-il candidat à quelque chose ? (Sourires)

M. Philippe Kaltenbach.  - La politique de la majorité est cohérente.

M. Roger Karoutchi .  - Voilà que je dois monter à la tribune pour évoquer un sujet où la plus grande pagaille règne, moi qui, dès 2002, proposais une carte orange unique. Quel est le problème au juste ? Durant quinze ans, que la majorité soit de droite ou de gauche, on a roulé les élus Franciliens dans la farine, en laissant faire la SNCF et la RATP, dont l'une réservait ses moyens au TGV tandis que l'autre louchait du côté du Caire et de Buenos Aires plutôt que de s'intéresser à la Seine-Saint-Denis. Résultat, l'investissement a cruellement fait défaut : 4 % de hausse seulement quand la population augmentait de 20 %.

Si je reste favorable à un abonnement unique, ne matraquons pas les entreprises après deux hausses successives du versement transport. Les salariés seront-ils satisfaits de voir le coût de leur abonnement baisser si c'est au prix d'une délocalisation de leur entreprise ?

Alors, un peu de courage : créons une entreprise unique, filiale commune à la RATP et à la SNCF, pour gérer les transports en Île-de-France. Dans la situation actuelle, l'harmonisation du versement transport rapporterait seulement 340 millions et pas les 600 attendus. Et puis, les Parisiens se trouvent à moins de 80 mètres d'une station de bus, de métro ou de RER quand les habitants du Val-d'Oise ou de Seine-et-Marne voient un train tous les 36 du mois.

Plutôt que de matraquer les entreprises, on ferait bien de chercher des économies sur le fonctionnement, en jouant sur la rationalisation structurelle de la SNCF et de la RATP. C'est ainsi que l'on pourra aller vers une tarification unique, pas en faisant trinquer les entreprises et donc l'emploi. (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Catherine Deroche.  - Très bien !

Mme Éliane Assassi .  - Je me réjouis de ce débat sur une question aussi essentielle. Alors que le Sénat a basculé à gauche, les Franciliens ne comprendront pas qu'il repousse une promesse de la majorité régionale en 2011.

Le débat sur la contribution renforcée des entreprises est récurrent : nous considérons qu'il faut accroître les ressources pour un service public performant ; vous, qu'il faut contracter les charges. Les entreprises bénéficieraient du développement du réseau : salariés et clients se déplaceraient plus facilement. Et la participation des entreprises à l'abonnement de leurs salariés serait moins coûteuse. Au regard des 20 milliards de cadeaux faits aux entreprises avec le crédit d'impôt de la dernière loi, la hausse du versement transport est une goutte d'eau (on ironise à droite) ; n'est-ce pas, monsieur Karoutchi ?

Petit rappel : la congestion de notre réseau s'explique par le désengagement financier de l'État. Le versement transport, s'il est un outil majeur, ne suffira pas. Les Franciliens financent déjà le Grand Paris Express avec la taxe spéciale d'équipement...

M. Philippe Dallier.  - Ce ne sera pas assez !

Mme Éliane Assassi.  - ... qui est particulièrement injuste puisqu'elle n'est pas dégressive. La tarification unique contribuera à former l'identité métropolitaine, évitera la formation d'une région à plusieurs vitesses. Pour tenir compte de la situation des entreprises en zone 3, M. Billout a prévu un amendement. Grâce à cette proposition de loi, nous faisons un pas vers la métropole, une métropole dont tous les habitants d'Île-de-France feront partie intégrante ! (Applaudissements sur les bancs CRC et écologistes)

M. Jean-Vincent Placé .  - Je sens que le ministre s'impatientait de mon retard ; je n'étais pas en RER, j'écoutais le président de la République.

Mme Éliane Assassi.  - Et alors ?

M. Roger Karoutchi.  - C'était intéressant ? Non, bien sûr... (Sourires)

M. Jean-Vincent Placé.  - Les écologistes sont de fervents défenseurs du pass navigo unique qu'ils avaient mis à leur programme aux élections régionales de 2010. Pour le deuxième tour, nous avions obtenu de M. Huchon qu'il s'y engage.

M. Philippe Dallier.  - C'est réussi !

M. Jean-Vincent Placé.  - Cette innovation rencontre des résistances fortes, dont M. Karoutchi a fait état avec son humour habituel. Pour les habitants de la grande couronne, c'est la double peine : un abonnement au tarif exorbitant de 113 euros, des conditions de transport épouvantables. Pour trois heures de transport quotidien. Cela laisse le temps de lire mais à quel prix en termes de fatigue !

Le pass navigo unique recouvre un enjeu environnemental, je regrette que ce mot ne figure pas dans l'exposé des motifs. Comment inciter nos concitoyens à ne plus prendre la voiture, sinon en réduisant le prix des transports et en améliorant le réseau ?

Dernier argument, auquel le Sénat sera sensible, le pass navigo unique incarne la solidarité territoriale.

La question du financement est délicate. M. Billout propose un compromis sur le versement transport tenant compte de la situation particulière de la grande couronne. Celle-ci bénéficie très peu du développement des transports : le Grand Paris Express ne concernera guère l'Essonne. Il est donc injustifié d'augmenter le versement transport pour la zone 3.

Quand j'étais en charge du dossier à la région, j'avais obtenu la suppression de la zone 6. Le Stif vient d'entériner le pass navigo unique les dimanches et les jours fériés. Il manque 400 millions pour aboutir complètement. Adoptons la politique des petits pas : déplafonnons le versement transport, créons plus de zones pour le versement transport...

M. Roger Karoutchi.  - Je déteste cette pagaille.

M. Jean-Vincent Placé.  - Je sais que vous avez des habitudes à l'ancienne. (Sourires).

Faisons confiance aux autorités organisatrices de transports. Nous n'approuvons pas la totalité de cette proposition de loi mais elle a le mérite d'acter une volonté. Nous la voterons. (Applaudissements sur les bancs CRC et du RDSE)

M. Philippe Dallier .  - Je serai bref, M. Placé ayant débordé de son temps de parole. (Sourires)

M. Jean-Vincent Placé.  - Quel geste de solidarité !

M. Philippe Dallier.  - Je le serai d'autant plus que le ministre m'a rassuré. Ce texte n'a qu'un but : sauver le soldat Huchon à un an des élections régionales. Comme toujours, votre solution, c'est : « un problème, une taxe » ! Je ne vois pas en quoi cette affaire entretient un lien avec la lutte contre l'étalement urbain. Pour cela, il y a d'autres outils, à commencer par les plans d'urbanisme.

Les besoins d'investissements dans le réseau francilien sont criants : il faut prolonger Éole, un paquet de lignes, financer le Grand Paris Express... C'est à quoi doit aller la priorité. Comment procéder ? Par la péréquation tarifaire. Ceux qui bénéficient du réseau le plus développé doivent payer davantage...

M. Pierre Charon.  - Allons donc !

M. Philippe Dallier.  - ... n'en déplaise aux Parisiens. Je m'étonne que les communistes n'y aient pas pensé.

Mme Éliane Assassi.  - C'est le plan B ! (Sourires)

M. Pierre Charon .  - Des transports gratuits pour tous, cela n'existe pas ; le coût est, en réalité, transféré vers des acteurs moins visibles. En l'espèce, les entreprises. Si l'on ajoute le versement transport au remboursement de l'abonnement des salariés, elles contribuent déjà à hauteur de 4 milliards en 2012, soit la moitié de l'investissement dans les transports en Île-de-France. Faut-il vraiment augmenter leurs charges en période de crise ? L'harmonisation du versement transport représenterait un surcoût net de 586 millions, soit 25 % de plus en une année. Notre devoir est de protéger le tissu des entreprises, l'emploi. Car sans emploi, la question du pass navigo unique deviendra accessoire. J'ajoute que les Parisiens n'ont pas, eux qui subissent des loyers très élevés, à financer les longs trajets de ceux qui ont choisi de s'éloigner de la capitale.

Mme Éliane Assassi.  - « Choisi » ! Il fallait oser.

M. Pierre Charon.  - Pour toutes ces raisons, le groupe de l'UMP ne votera pas ce texte.

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué .  - La question des transports est trop rarement abordée au Parlement. L'initiative parlementaire doit aussi être l'occasion d'évoquer le quotidien. Ne voyez pas dans ce texte, sur les bancs de la droite, un moyen de régler des différends au sein de la majorité régionale. Pas moins de 25 milliards pour le Grand Paris, pour les grands investissements ; c'est l'engagement de Mme Duflot et le mien. Mais dans le même temps, nous devons tout faire pour améliorer le quotidien des Franciliens. Nous avons engagé 7 milliards d'investissements pour améliorer le quotidien. M. Karoutchi a reconnu qu'aucun investissement n'avait été fait depuis dix ans.

M. Roger Karoutchi.  - Vingt, au moins !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué.  - Nous travaillons à la désaturation de la ligne 13, au prolongement de la ligne 7, à la tangentielle nord jusqu'au Bourget, monsieur Capo-Canellas. Les difficultés s'expliquent aussi par des accidents de personne comme celui qui a eu lieu aujourd'hui, à l'instant même où vous parliez.

Mme Éliane Assassi.  - C'est vrai partout.

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué.  - Certes, il faut donc des procédures adaptées. Une enveloppe de 400 millions est prévue pour améliorer le confort et la sécurité. Nous avons demandé à la SNCF et à la RATP de mettre en place des plateformes communes. J'ai noté la position de M. Karoutchi ; j'espère qu'il sera cohérent et soutiendra la réunification de la famille ferroviaire. Le commandement unifié de la ligne B sera en place dès octobre, un groupe de travail est en cours pour la ligne A. Nous avons tiré les conséquences de l'incident du 7 novembre dernier : l'opposition a parlé d'incompétence du Gouvernement ; c'était un fait très divers : un parapluie qui s'est envolé et a créé un arc électrique, ce qui a paralysé une grande part du réseau. J'ai demandé que 15 000 cheminots soient formés cet été pour éviter ce genre de conséquences. En outre, RFF investira 9 millions pour lutter contre le vol de câbles en Île-de-France. Nul laisser-faire, donc, nous avons pris en compte les réalités du quotidien. La volonté politique est là !

La discussion générale est close.

Discussion des articles

Mme la présidente.  - La commission n'ayant pas adopté de texte, nous travaillons sur la proposition de loi initiale.

ARTICLE PREMIER

M. Serge Dassault .  - En augmentant le versement transport dans l'Essonne, vous pénaliserez un peu plus nos territoires et nos entreprises. Revenons à la réalité : la crise et la récession sont là, n'entamons pas la compétitivité et le développement de nos PME. Avec le président de la Chambre de commerce et d'industrie de l'Essonne, je vous demande la suppression de cet article premier. Puisque vous dites vouloir combattre le chômage, commencez par ne pas l'aggraver !

Mme la présidente.  - Amendement n°1, présenté par M. Billout et les membres du groupe CRC.

A - Alinéas 2 et 3

Remplacer ces alinéas par trois alinéas ainsi rédigés :

1° Au troisième alinéa, le pourcentage : « 1,8 % » est remplacé par le pourcentage : « 2,7 % » ;

2° Au quatrième alinéa, le pourcentage : « 1,5 % » est remplacé par le pourcentage : « 1,8 % ».

II.  -  L'évolution des taux décrite au I est progressivement mise en oeuvre par tiers sur trois ans.

B - En conséquence, alinéa 1

Faire précéder cet alinéa de la mention :

I. - 

M. Michel Billout, rapporteur.  - Ce n'est pas en tant que rapporteur que je vous présente cet amendement mais au nom de mon groupe, sachant que la commission ne l'a pas adopté.

La rédaction actuelle ferait porter un effort trop important sur les entreprises de la grande couronne. Un certain nombre d'entre elles se sont établies loin de Paris parce qu'elles présentent des risques ou sont polluantes, ne serait-ce que pour le bruit. Ces entreprises de grande technicité peinent à recruter sur des emplois très qualifiés, parce qu'elles sont mal desservies en transports en commun, alors que les compétences, qui existent en Île-de-France, manquent sur place. L'amendement le prend en compte, tout en permettant d'abaisser les coûts pour les salariés.

Je reprends à présent ma casquette de rapporteur pour dire que la commission est défavorable.

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué.  - Cet amendement ne gomme pas les imperfections du texte, même si son intention est louable. Le problème de l'augmentation du versement transport demeure. La question centrale est celle du quotidien des Franciliens : faut-il donner priorité au coût pour l'usager ou aux investissements indispensables pour améliorer les transports au quotidien ? Le Gouvernement penche pour ce second chantier, et ne peut donc être favorable.

M. Vincent Capo-Canellas.  - Cet amendement rend moins douloureux la ponction sur les entreprises. Mais 500 millions au lieu de 800, c'est encore trop.

Mme Laurence Cohen.  - L'argument qui veut que l'on ne puisse taxer davantage les entreprises n'a pas grand sens quand on vient de leur faire un cadeau de 20 milliards. Ne soyons pas hypocrites. Qui finance les transports ? Les usagers, qui estiment que les tarifs sont trop élevés compte tenu de la qualité des transports, les collectivités qui mettent largement la main à la poche, et les entreprises, qui bénéficient de toutes les largesses... Ce n'est pas en repoussant cet amendement que l'on dégagera de l'argent pour financer les investissements, monsieur le ministre. On peut avancer conjointement sur les deux chantiers de la tarification et de l'investissement. Le tarif unique, c'est le moyen de résorber les inégalités sociales. Nous avons travaillé, depuis 2004, à construire une majorité régionale sur cette proposition. Je m'étonne de ne pas la retrouver dans cet hémicycle.

M. Christian Favier.  - Je m'étonne aussi de l'argumentation du ministre. L'Île-de-France est une des régions les plus riches d'Europe mais aussi celle où les inégalités sont les plus fortes - M. Dassault peut en être un bon symbole. La région, les collectivités locales, sont les principaux financeurs du Grand Paris Express ; le Gouvernement ne promet qu'un milliard - le précédent en promettait quatre, qui ne sont jamais venus.

Améliorer la tarification est urgent, car la situation d'aujourd'hui est aberrante : plus on habite loin - ce qui n'est pas toujours un choix - plus on paie cher et moins le service de transport est efficace. Je suis élu d'une commune à cheval sur les zones 3 et 4, ce sont les habitants des grandes cités qui payent le plus...

Entre la zone centrale et les zones périphériques, il y a plusieurs centaines d'euros de différence sur l'année. J'ajoute que l'augmentation du versement transport ne concernera que 10 % des entreprises. Et que sont 500 millions au regard des 50 milliards d'évasion fiscale qui plombent nos finances publiques ? Alors, arrêtons de pleurnicher en permanence sur le sort des entreprises.

M. Serge Dassault.  - Je ne peux admettre que vous attaquiez une entreprise qui investit beaucoup dans l'Essonne. N'oubliez pas que ce sont les entreprises qui embauchent, pas les élus. Si on veut leur faire payer n'importe quoi, elles n'embaucheront pas ! Si la région ne peut pas financer le réseau, c'est qu'elle ne fait pas son travail ! Cessez d'attaquer les entreprises et essayez de comprendre comment fonctionne l'économie ! (M. Yves Pozzo di Borgo applaudit)

À la demande du groupe socialiste, l'amendement n°1 est mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente. - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 346
Nombre de suffrages exprimés 334
Pour l'adoption 37
Contre 297

Le Sénat n'a pas adopté.

Mme Laurence Cohen, auteure de la proposition de loi.  - L'article premier est la substantifique moelle de ce texte. La mesure concerne deux millions de Franciliens chaque mois, dont plus de la moitié habitent au-delà de la zone 2. En l'absence d'harmonisation du versement transport, la région en est réduite à prendre des mesures de dézonage le week-end et les jours fériés... Les transports en Île-de-France sont moins coûteux que dans d'autres capitales européennes ? Ce n'est pas un argument. Si les gens habitent loin de Paris, ce n'est pas par choix contrairement à ce que j'ai entendu lors de la discussion générale. Ce texte réduira les inégalités.

À la demande du groupe CRC, l'article premier est mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente. - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 345
Nombre de suffrages exprimés 333
Pour l'adoption 37
Contre 296

Le Sénat n'a pas adopté.

ARTICLE 2

À la demande du groupe socialiste, l'article 2 est mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 345
Nombre de suffrages exprimés 345
Pour l'adoption 49
Contre 296

Le Sénat n'a pas adopté.

ARTICLE 3

Mme la présidente.  - Je rappelle que si l'article 3 qui, par cohérence, ne devrait pas être adopté, est repoussé, il n'y aura pas lieu de voter sur l'ensemble de la proposition de loi.

À la demande du groupe socialiste, l'article 3 est mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 346
Nombre de suffrages exprimés 346
Pour l'adoption 49
Contre 297

Le Sénat n'a pas adopté.

Mme la présidente.  - Les articles de la proposition de loi ayant été successivement supprimés, la proposition de loi n'est pas adoptée. (M. Serge Dassault applaudit)

Politique familiale (Question orale avec débat)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle une question orale avec débat sur le devenir de la politique familiale.

Mme Isabelle Pasquet, auteur de la question .  - Je me réjouis que la Conférence des présidents ait retenu ce débat sur la politique familiale, même si notre impatience à aborder ce sujet n'est pas en phase avec le calendrier constitutionnel.

Ce débat, plus large que celui sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale, est l'occasion d'aborder globalement la question du financement de la politique familiale qui est, pour nous, centrale. La politique familiale ne repose pas sur un seul acteur, mais sur une pluralité d'intervenants. Certaines prestations ont un caractère social et sont soumises à condition de ressources, telles les aides au logement ; d'autres sont purement familiales et n'ont aucun objectif redistributif : elles ont, telles les allocations familiales, une portée universelle. Les collectivités territoriales jouent un rôle déterminant, notamment pour le financement des crèches, des services de PMI et des aides aux familles en difficulté.

Cette architecture particulière, nous la devons au programme révolutionnaire du Conseil national de la Résistance (CNR) et à l'ordonnance du 19 octobre 1945 qui a créé un système de protection sociale financé par des cotisations sur la valeur ajoutée et géré par les partenaires sociaux. Dans un pays exsangue où tout était à reconstruire, il s'agissait d'offrir aux Français un travail et une protection leur permettant de vivre dignement.

La politique familiale avait deux objectifs qui sont toujours d'actualité : apporter aux familles une aide compensant partiellement les dépenses de subsistance et d'éducation des enfants ; construire une politique qui ne soit ni nataliste ni familialiste vise à favoriser la natalité, c'est-à-dire qui n'a pas pour but de renvoyer les femmes chez elles - n'oublions pas que la guerre les avait amenées à remplacer les hommes dans les champs et les usines. Un choix différent de celui de l'Allemagne, qui pousse les mères à rester au foyer. La France a toujours facilité le retour des femmes sur le marché du travail. Toujours ou presque : avec la crise pétrolière de 1975, on a fait des choix favorables aux familles nombreuses pour inciter les femmes à rester au foyer - et faire baisser artificiellement les statistiques du chômage... D'une certaine façon, la prestation d'accueil du jeune enfant (Paje) et le complément de libre choix d'activité répondent à la même logique.

Après ce nécessaire rappel, affirmons que si les allocations familiales sont distribuées sans condition de ressources, c'est qu'elles constituent un salaire différé. Pour Georges Buisson, secrétaire général adjoint de la CGT réunifiée en 1936, il s'agit d'une « vaste organisation nationale d'entraide obligatoire » ; ce salaire mis en commun obéit au principe « de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins ». L'universalité est aujourd'hui remise en cause, à l'initiative du Medef, qui veut moins faire 4 milliards d'économies que porter atteinte à l'unité de la sécurité sociale - sans parler de la branche dépendance. En modulant les prestations, il entend isoler la branche famille pour la sortir du système de protection sociale et la faire financer par l'État, donc par les familles elles-mêmes - ce que nous refusons énergiquement.

Nous souhaitons au contraire renforcer le caractère universel des allocations familiales et les servir dès le premier enfant - une proposition de loi a été déposée en ce sens. Depuis leur création, le nombre moyen d'enfant par famille a diminué, mais l'indice de fécondité reste dynamique, à deux enfants par femme.

Le déficit de la branche famille, qui a été organisé, a conduit le Gouvernement à confier un rapport à M. Fragonard pour préparer le retour à l'équilibre. Il propose de réduire, voire de supprimer les allocations familiales à une partie de la population, certes la plus aisée - scénario rejeté par le Haut Conseil à la famille. Pour nous, préserver l'universalité tout en menant à bien une réforme fiscale d'ampleur, telle doit être la voie à suivre. Le Haut Conseil de la famille devait mener une étude sur la modulation du quotient familial, afin que ne soit pas remise en cause notre politique familiale universelle.

Premier constat, le déficit de la branche famille ne s'explique pas par l'ampleur des prestations. Notre taux de natalité est stable et les allocations n'ont pas augmenté en pouvoir d'achat depuis 1984. La branche famille devrait donc être excédentaire, mais elle est victime d'une ponction de 9 milliards destinée à financer les majorations de retraite pour ceux qui ont élevé trois enfants et plus. Et, comme les autres branches, elle est victime des suppressions d'emplois qui altèrent ses ressources.

La priorité doit être de renforcer le financement de la branche en revoyant les politiques d'exonération de charges, qui sont une trappe à bas salaire. Le coût du travail n'est pas le responsable du chômage, n'en déplaise aux promoteurs de l'accord national interprofessionnel du 11 janvier. Il faut aussi simplifier la tuyauterie complexe et fuyarde qui alimente aujourd'hui la branche famille et revenir à un principe simple : les ressources de la branche doivent être exclusivement dédiées à son financement. D'autres mesures sont à prendre pour financer des prestations qui relèvent de la responsabilité de l'État.

Le financement de la branche est précaire et injuste, la CSG est supportée par les familles, et davantage par les plus modestes d'entre elles puisqu'il n'y a pas de progressivité.

Il importe enfin de compenser à la branche les nouvelles missions qui lui ont été confiées, missions qui mobilisent non seulement les ressources, mais les agents. Et la clause de revoyure n'est pas mise en oeuvre. Quid de la négociation sur la convention d'objectifs et de gestion ? Aucune mesure ne doit venir réduire le nombre d'agents de caisses déjà largement malmenées par la RGPP de sinistre mémoire. La situation est devenue intenable.

Quel avenir enfin pour le Fonds national d'action sociale, qui finançait le développement de l'offre d'accueil de la petite enfance et les dépenses d'investissement des différents plans « crèches » ? Son budget, en 2012, a progressé de 7 % ; s'il venait à progresser dans de moindres proportions à l'avenir, la Cnaf pourrait être contrainte de renoncer à certaines mesures, alors que les besoins sont criants - il manque toujours 300 000 places en crèches publiques ou familiales. Le décret Morano, qui autorise le surbooking et libère artificiellement des places, devrait être abrogé ; il faudrait aussi revenir sur les moindres exigences de formation pour les assistantes maternelles intervenant dans les maisons d'assistantes maternelles. Autant d'interrogations en préalable à ce débat qui intéressent les partenaires sociaux et les familles.

Mme Catherine Deroche .  - Dans un avis du 4 mai 2011, le Comité économique et social européen liste les éléments clés de la réussite des politiques familiales : pérennité des politiques mises en oeuvre, universalité, reconnaissance de la famille, prise en compte de la situation des familles nombreuses, dispositifs permettant de concilier vie professionnelle et vie familiale. Je partage cette analyse. Le Haut Conseil de la famille, dont je suis membre, juge notre politique familiale performante : alors que les femmes françaises ont un taux d'activité relativement important, le taux de fécondité reste un des plus élevés d'Europe. C'est une réussite.

Le Premier ministre a demandé au Haut Conseil d'étudier les scénarios de retour à l'équilibre de la branche en 2016 et les moyens d'améliorer l'efficacité des dispositifs existants. S'agissant du financement, je regrette l'abandon de la TVA sociale...

Il existe un fort consensus pour développer le financement des établissements d'accueil pour jeunes enfants, qui facilitent la conciliation entre vie privée et vie professionnelle. Cet objectif mobilise 51 % des ressources du Fonds national d'action sociale ; les collectivités territoriales y contribuent à 27 %. Poursuivre cette politique est un impératif. Notons que le reste à charge est différent selon que l'on choisit la crèche ou l'assistante maternelle. Notre système est donc complexe, un mal bien français. Nous proposons de fusionner trois prestations, ce qui préserverait l'universalité de notre politique, qui ne saurait être remise en cause.

J'en viens aux allocations familiales : je suis contre leur distribution sous condition de ressources, qui frapperait les classes moyennes et porterait atteinte à l'universalité de notre politique. Pour les mêmes raisons, je repousse l'autre piste que constitue la fiscalisation des allocations familiales. Notre pays est déjà celui où les prélèvements obligatoires sont les plus lourds. Dernière solution, la modulation des allocations en fonction des ressources, complexe, constituerait, elle aussi, une rupture de l'universalité. Elle serait, de surcroît, malvenue au moment où le président de la République parle de choc de simplification.

Liberté de choix, universalité, voilà les principes qui nous guident. Quels sont les vôtres, madame la ministre ?

Mme Michelle Meunier .  - Notre pays se caractérise par une forte solidarité. Notre système de protection sociale s'est complexifié depuis la Seconde Guerre mondiale et le rapport de la Cour des comptes de 2012 nous invitait à revoir son architecture pour l'adapter au monde actuel.

Notre système combine trois types de dispositifs, sans compter les mesures fiscales. Force est de constater qu'il favorise les ménages les plus aisés. Comme le veut le Haut Conseil de la famille, nous devons développer l'offre qualitative et quantitative d'accueil des jeunes enfants, en particulier celle des enfants handicapés. Ces structures doivent jouer un rôle d'inclusion en intégrant les familles les plus vulnérables qui ne travaillent pas. Parce que les familles monoparentales sont de plus en plus nombreuses, je suis favorable au versement des allocations dès le premier enfant. Les politiques de soutien à la parentalité, les 180 espaces rencontre qui ont accueilli, en 2011, 140 000 enfants pris dans des séparations conflictuelles doivent être renforcés.

Je veux attirer votre attention sur le fait que certaines femmes ne bénéficient pas du congé maternité, assimilé à un congé maladie, parce que subissant temps partiel, stages et petits boulots, elles ne cotisent pas assez. On ajoute ainsi à la précarité. Une réflexion globale est nécessaire, qui devrait également porter sur le cas des femmes cadres.

Autre exemple, l'allocation aux adultes handicapés (AAH) n'est pas en phase avec le besoin des ménages : l'adulte vivant seul perd son allocation s'il se marie alors qu'il conserve son handicap.

Votre démarche « autour des familles », madame la ministre, est bonne pour rendre notre système plus redistributif, y compris sur les allocations familiales. Miser sur l'enfant et la famille, c'est toujours investir dans l'avenir ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Laurence Cohen .  - Notre groupe défend une politique familiale non familialiste. Le débat sur le mariage pour toutes et pour tous nous l'a rappelé, il n'existe pas une famille, qui serait le socle de la société, mais des familles. Les aides sont versées, non à la famille, mais à l'enfant. D'où la proposition légitime de l'Union des familles laïques de modifier le nom des allocations familiales pour en faire un revenu social de l'enfant, de la naissance à l'entrée dans la vie active, car les étudiants veulent aussi une allocation d'autonomie jeunesse.

Trop souvent, les femmes restent chargées des tâches ménagères. S'il faut ménager la liberté de choix des parents, la crèche reste le lieu de socialisation de l'enfant, là où il se confronte à l'altérité ; elle reste le meilleur moyen de concilier vie familiale et vie professionnelle pour les femmes. Or il manque 300 000 places ; comme le collectif « Pas de bébés à la consigne », nous restons inquiets malgré vos annonces de février dernier, madame la ministre.

La proposition sur les six mois supplémentaires au deuxième parent pour le complément de libre choix d'activité (CLCA) est injuste : il faudrait partager le congé parental entre homme et femme dès le premier enfant, le préalable étant d'assurer l'égalité pleine et entière entre les sexes - y compris en matière salariale. À cet égard nous condamnons l'article 8 du projet de loi sur la sécurisation de l'emploi, qui soumettra encore plus les femmes au temps partiel. Il ne peut y avoir de politique utile aux familles sans un combat acharné pour l'égalité pleine et entière entre les hommes et les femmes. (Applaudissements sur les bancs CRC ; M. Jean Desessard applaudit aussi)

M. Vincent Capo-Canellas .  - Depuis le rapport Fragonard, la politique familiale est clairement dans le viseur du Gouvernement.

À l'heure où semble sonner le glas du principe d'universalité auquel nous sommes viscéralement attachés, Mme Pasquet a eu raison de demander ce débat.

Notre politique familiale explique en grande partie le fort taux de fécondité en France. Faut-il pour autant renoncer à la modifier ? Je n'en suis pas sûr. Alors que les prestations sont universelles, leur financement est assuré sur une base assurantielle, qui pèse sur nos entreprises. La branche famille est déficitaire, l'offre de garde reste insuffisante - il manque 300 000 places en crèche - et, enfin, elle favorise à la fois les ménages les plus modestes et les plus riches.

La TVA sociale était la seule solution pour financer une politique ambitieuse sans peser sur la compétitivité de nos entreprises.

Pour un retour à l'équilibre de la branche dès 2016, le rapport Fragonard préconise de fiscaliser les allocations familiales ou de les mettre sous condition de ressources. C'est ainsi que l'on confond comptabilité et équité. Le Gouvernement a fait le choix du placement sous condition de ressources, pour éviter d'augmenter les impôts. Mesure injuste qui pèsera sur les CAF surchargées qui devront effectuer les contrôles et qui frappera les cadres de 35 à 40 ans qui contribuent le plus à la dynamique économique de notre pays. Nous attendons, enfin, un grand plan crèches, urgent pour remédier à la pénurie de places.

M. Jean-Pierre Plancade .  - La France affiche un taux de fécondité de 1,6 enfant par femme, et le doit à sa politique familiale lancée après la Seconde Guerre mondiale.

Comment combler le déficit purement artificiel de 2 milliards de la branche famille ? Le faut-il quand d'après le Haut Conseil, le retour à l'équilibre interviendra mécaniquement en 2019 ? Il semble que l'on s'achemine vers un système de modulation des allocations familiales, aucune des pistes évoquées - fiscalisation, mise sous condition de ressources - ne faisant consensus au sein du Haut Conseil de la famille. Ce serait une solution puisque les ménages aisés bénéficient déjà des effets du quotient familial, dont un tiers est capté par 10 % des familles les plus aisées.

Une réforme ambitieuse de la politique familiale doit cibler ceux qui en ont le plus besoin : les familles monoparentales et les familles nombreuses modestes. Mettons à leur disposition des places en crèche et des assistantes maternelles, afin de permettre à ces parents défavorisés de travailler et leur éviter de sombrer dans la précarité.

M. Jean Desessard .  - Écologiste, je ne souscris pas à l'objectif nataliste de la politique familiale : à quoi sert plus d'enfants si la terre ne peut subvenir à leurs besoins ? Pour nous, le but de la politique familiale doit être le bien-être de l'enfant : ils sont 2,7 millions sur 9 millions en France, soit un enfant sur cinq, à vivre sous le seuil de pauvreté, contre 0,9 % d'enfants pauvres seulement en Islande, pourtant durement touchée par la crise, et qui a un PIB comparable au nôtre.

Nous sommes contre la modulation des allocations familiales, je défends leur universalité par principe. En revanche, nous sommes ouverts au débat sur leur fiscalisation. Nous soutenons la proposition d'ATD Quart Monde de substituer au quotient familial, qui profite surtout aux ménages les plus riches, un crédit d'impôt universel de 715 euros par an et par enfant. Il y a urgence à sortir les enfants de la pauvreté !

M. Ronan Kerdraon .  - Ce débat est fondamental : les Français ont particulièrement confiance dans notre politique familiale, nous devons les conforter dans ce sentiment. La France est citée en exemple dans les rapports de l'OCDE et du Conseil économique et social européen. À raison, car notre politique familiale représente 4 à 6 %, contre 2 % ailleurs.

L'enjeu est de renforcer cette politique. À mon sens, la réforme ne peut pas avoir pour seul but de faire des économies. Dans son allocution du 28 mars, le président de la République a écarté avec raison la piste de la fiscalisation. Mieux vaut emprunter la voie de la modulation des allocations selon les ressources et de leur ciblage sur ceux qui en ont le plus besoin, ainsi que le préconise le rapport Fragonard.

Prenons garde au vocabulaire : les ménages dits aisés ou riches peuvent être des ménages biactifs dont le revenu cumulé dépasse les 3 000 euros, ne les pénalisons pas. Seuls 7 % des enfants de moins de 3 ans sont accueillis en crèche, je me réjouis donc de l'annonce du Gouvernement de créer 80 000 à 100 000 places d'ici à 2017. Rapprocher le taux d'activité des femmes de celui des hommes accroîtrait le PIB de 12 % en vingt ans selon l'OCDE !

Madame la ministre, le groupe socialiste sera à vos côtés pour réformer la politique familiale.

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille .  - Merci de ce débat et de votre participation. La politique familiale, qui bénéficie à 9,2 millions de famille, contribue à notre fort taux de fécondité et à l'emploi des femmes - on voit la différence avec l'Allemagne. Les familles, on l'a dit aussi, sont diverses : 3 millions de moins de 25 ans vivent dans des familles monoparentales, 2 millions dans des familles recomposées et 40 à 300 000 dans des familles homoparentales.

Néanmoins, il existe une exigence renforcée d'égalité. Le dernier rapport de l'Insee montre que seuls les 5 % les plus riches n'ont pas vu leur pouvoir d'achat diminuer ; M. Desessard a bien fait de rappeler le nombre d'enfants pauvres en France. Ces chiffres éclairent notre débat.

Vous avez beaucoup parlé de l'universalité ; mais les Français attendent aussi une universalité de services ; ils veulent que tous les enfants aient accès à un mode de garde, comme l'école doit être ouverte à tous, y compris aux moins de 3 ans. Nous devons corriger les inégalités sociales mais aussi territoriales en matière d'accueil de la petite enfance, quand l'écart est de 20 à 80 % entre les départements. Les Français, de plus en plus mobiles, veulent trouver les mêmes services partout.

La préparation de la convention d'objectifs et de gestion (COG) s'est faite pour la première fois avec les parents, les élus locaux et, évidemment, les partenaires sociaux. J'entends vos aspirations. Je ne puis, aujourd'hui, vous dévoiler les chiffres, mais cette COG sera à la hauteur de vos espérances, tant en matière de places d'accueil en crèche que d'accueil des moins de 3 ans à l'école, ou de professionnalisation des agents. Le décret Morano sera abrogé. L'accueil de la petite enfance et le soutien à la parentalité corrigeront les inégalités territoriales mais supposent un pilotage repensé, pour une meilleure coordination des acteurs, afin de dépenser mieux. La COG comportera un volet sur les conditions de travail des salariés des CAF dont j'ai reçu les délégués : maîtrise de la charge de travail, amélioration de la qualité de l'accueil des allocataires, formation. Les emplois d'avenir pourront venir en complément, nous mettons ainsi le pied à l'étrier à nombre de jeunes. Les conditions de sécurité doivent aussi s'améliorer dans les locaux des CAF.

J'en viens à la refonte de l'architecture des prestations. Ce sera au Premier ministre d'indiquer vers quelle voie le Gouvernement s'orientera. Je veux saluer la qualité et le courage du rapport Fragonard, qui plaide pour une politique plus juste et redistributive, et non seulement pour le retour à l'équilibre. Là est la politique de gauche. L'amélioration du complément familial et de l'allocation de soutien familial viendra appuyer les familles modestes.

J'ai entendu votre souhait de simplification, qui serait bien vécu et par les allocataires et par les personnels des CAF ; je suis donc ouverte à la discussion.

Oui, c'est aujourd'hui l'enfant qui fait la famille. La piste évoquée d'un revenu social de l'enfance est donc intéressante, comme celle évoquée par M. Desessard, qui a rappelé les préconisations d'ADT Quart Monde et de Dominique Versini. Nous voulons une COG pour cinq ans plutôt que quatre, avec une évaluation destinée à la corriger et à la faire évoluer quand nécessaire. La convention doit devenir, au-delà d'un outil de gestion, un outil de politique publique. (Applaudissements à gauche et sur les bancs écologistes)

La séance est suspendue à 20 h 10.

présidence de Mme Bariza Khiari,vice-présidente

La séance reprend à 22 h 10.

Décisions du Conseil constitutionnel

Mme la présidente.  - M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du 16 mai 2013, le texte de deux décisions du Conseil constitutionnel qui concernent la conformité à la Constitution, d'une part, de la loi relative à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral et, d'autre part, de la loi organique relative à l'élection des conseillers municipaux, des conseillers communautaires et des conseillers départementaux.

Biologie médicale (Conclusions de la CMP)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle les conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi portant réforme de la biologie médicale.

Discussion générale

M. Jacky Le Menn, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire .  - La CMP, réunie le 12 avril dernier, a travaillé dans un esprit constructif. Elle a abouti à un accord sur les neuf articles restant en discussion, dont huit dans la rédaction issue des travaux de l'Assemblée nationale, proche de celle retenue par notre commission des affaires sociales.

À l'article 4, où nous avons prévu une dérogation générale pour les antennes géographiques de l'Établissement français du sang, le champ de cette dérogation a été circonscrit, pour limiter les risques de distorsion de concurrence. De même, la CMP a limité les examens hors laboratoire à la seule phase de prélèvement, au lieu de l'ensemble de la phase pré-analytique.

La rédaction de l'article 6, qui constitue un compromis, ouvre une dérogation aux personnels de CHU non titulaires du DES pour exercer des activités de biologie médicale.

Surtout, à l'article 7, la CMP a rétabli les seuils d'accréditation selon un calendrier précis pour atteindre progressivement l'objectif de 100 % - un point important - à l'exception des seuls actes innovants. Certains ont craint que l'accréditation ne fasse obstacle à l'innovation, la rédaction de l'article 7 les rassurera. Les actes urgents seront déterminés par un arrêté prévu à l'article 7 bis, comme le voulait l'Assemblée nationale.

Nous reviendrons sur l'article 8 et le statut d'actionnaire majoritaire avec un amendement du Gouvernement. La commission a apporté des améliorations rédactionnelles aux articles 9 et 10. Enfin, elle a adopté un dernier article pour prévoir les adaptations nécessaires outre-mer.

Ce texte, équilibré, limitera la financiarisation de la biologie médicale et lui assurera une base juridique solide en conformité avec la législation européenne, sous réserve de l'adoption de l'amendement du Gouvernement auquel nous avons donné un avis favorable. Fruit d'un travail de plusieurs années, cette rédaction n'est pas totalement consensuelle mais elle est la moins imparfaite possible. Merci à tous ceux qui ont collaboré à sa rédaction. (Applaudissements sur les bancs socialistes et écologistes)

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé .  - Cette proposition de loi a l'ambition de porter la biologie médicale française de demain, confrontée au double défi de la qualité et de l'efficience. Elle est le fruit d'un long aboutissement après un travail parlementaire constructif pour rapprocher des points de vue différents sans être foncièrement divergents. Je salue l'implication de M. Le Menn ainsi que celle du rapporteur de l'Assemblée nationale.

Cette proposition de loi a pour premier objectif d'assurer la qualité des examens, dont nous connaissons l'importance pour des soins fiables. L'accréditation sera une garantie, l'objectif de 100 % d'accréditation en 2020 constitue un gage de l'efficacité des examens.

L'article 6 permettra à des professionnels de santé non titulaires d'un DES d'exercer, exclusivement dans leur champ de compétence. Le Gouvernement tenait à ce qu'il soit rétabli dans sa version initiale.

L'efficience de la biologie médicale suppose aussi la maîtrise de leur outil de travail par les biologistes médicaux. La transparence sur les conventions limitera la financiarisation du secteur. Mais si introduire un seuil minimal de détention du capital partait d'une bonne intention, ce n'en est pas moins contraire au droit européen, qui promeut la liberté d'établissement, et cela pourrait, de surcroît, faire obstacle à l'installation de jeunes biologistes ne disposant pas du capital requis. D'où notre amendement de suppression à l'article 8.

Nous arrivons au terme d'un beau travail qui apportera plus de sécurité à nos concitoyens. Merci à la commission et aux services du Sénat d'avoir parfaitement organisé ces débats.

Mme Catherine Deroche .  - L'ordonnance de 2010 visait à médicaliser la biologie médicale. Deux options étaient possibles pour parvenir à cet objectif : aller vers une industrialisation de la biologie médicale, tenue pour un simple portail technique, ou la considérer comme une activité médicale. Nous avions refusé alors l'industrialisation en affirmant la spécificité de la biologie médicale française. Après un parcours décousu, nous en venons enfin à la transposition de la directive européenne sans laquelle nous courrions un risque juridique, tant pour les patients que pour les pouvoirs publics.

Il fallait préserver les prélèvements de proximité, réalisés à domicile. La rédaction de l'Assemblée nationale nous convient mieux : elle restreint les examens hors laboratoire aux prélèvements d'échantillons. La phase pré-analytique restera donc sous le contrôle des biologistes médicaux. En revanche, nous regrettons que le cas des établissements publics ne disposant pas de laboratoire n'ait pas été pris en compte.

Pourquoi accepter une dérogation supplémentaire à l'article 6 ? Elle dévalorise le DES de biologie médicale et il n'y a pas plus de raisons de l'accepter aujourd'hui qu'en 2012, quand le Sénat l'a toujours refusée.

L'objectif de 100 % d'accréditation, s'il est louable, posera problème ; il faut trouver un compromis pour que les petits laboratoires en zone rurale ne soient pas étranglés entre le surcoût engendré par l'accréditation et la tarification des actes.

À l'article 8, nous nous réjouissons de la publicité sur les conventions ; elle limitera la financiarisation de la biologie médicale. Nous nous félicitons de la suppression du statut d'ultra-minoritaire à l'article 8 ; nous regrettons l'amendement du Gouvernement.

Si certaines mesures de cette proposition de loi ne nous satisfont pas, nous ne voulons pas en empêcher l'adoption. Le groupe UMP s'abstiendra donc.

Mme Laurence Cohen .  - La réforme de la biologie médicale n'aura pas été un long fleuve tranquille, le rebondissement de ce soir en témoigne. Pour assurer la qualité, mieux aurait valu une agence publique que ce Cofrac. La rédaction de l'article 8 ne freinera pas la financiarisation du secteur : il organise une confusion entre biologistes exerçant et biologistes en exercice, qui peuvent être des actionnaires.

N'y voyez pas un fantasme du groupe CRC. C'est d'ores et déjà une réalité : une holding financière détient la totalité des parts sociales de 130 laboratoires. Du fait que la loi Murcef n'organise pas de distinction entre personnes physiques et morales, des fonds de pension pourront, demain, continuer de détenir 100 % des parts d'un laboratoire de biologie médicale. Or nous ne parlons pas d'une activité marchande comme les autres, il aurait fallu faire plus pour mettre fin à la vampirisation de ce secteur. Donner priorité à des personnes physiques sur des groupes financiers à l'article 8 n'avait rien de scandaleux. Pourquoi ne pas avoir aidé les jeunes biologistes médicaux à acquérir des parts comme nous l'avons fait pour les assistantes maternelles ? C'était possible à partir du moment où l'on considérait que la santé n'est pas une marchandise.

Je ne partage pas votre analyse sur l'article 8 : ou bien les alinéas 7 à 9 n'étaient pas contraires au droit européen, ou bien c'est l'intégralité de l'article 8 qui l'est. Si l'Union nous impose de telles mesures, il y a urgence à changer d'Europe.

Nous voterons contre ce texte.

M. Jean-Pierre Plancade .  - Depuis le rapport de 2008, la réforme de la biologie médicale est en cours. Le recours aux ordonnances par le précédent gouvernement dans le cadre de la loi « Hôpital, patients, santé et territoires » et la censure de la proposition de loi Fourcade ont créé beaucoup d'instabilité juridique.

Ce texte suffira-t-il pour médicaliser cette spécialité ? Certains de ses points sont positifs : je pense à la dérogation générale pour l'Établissement français du sang, à la limitation à la phase de prélèvement des examens pratiqués hors laboratoire ou encore aux mesures visant à renforcer l'indépendance professionnelle.

En dépit de ces avancées, nous restons très réservés car l'ordonnance de 2010 a accéléré les regroupements aux dépens des laboratoires de proximité, qui pourraient bien se transformer, en zone rurale, en simples boîtes aux lettres. Les ajustements à la marge prévus dans ce texte ne corrigent pas le tir. L'accréditation à marche forcée, même si nous sommes attachés à la qualité des examens, renforcera la financiarisation du secteur en raison de son coût. La biologie médicale deviendra un marché juteux et sans risque puisque celui-ci sera assumé par la sécurité sociale. Les petits laboratoires fermeront, surtout en zone rurale.

Nous regrettons la suppression de l'article 10 bis sur l'encadrement des tarifs pratiqués par le Comité français d'accréditation (Cofrac).

Enfin, nous déplorons la réintroduction de l'article 6 supprimé par le Sénat. Comment prévoir un diplôme de biologie tout en considérant qu'il n'est pas obligatoire ?

Nos débats riches et constructifs n'ont cependant pas permis d'aboutir à un texte satisfaisant. Il n'empêchera pas la concentration du secteur dont les acteurs restent amers. Le groupe RDSE ne peut donc y souscrire ; c'est en totalité qu'il votera contre ce texte.

Mme Aline Archimbaud .  - Au terme d'un long et sinueux parcours, puisque ce texte est le cinquième en quatre ans sur le sujet, le débat reste animé. Grâce aux efforts de notre rapporteur, cependant, et au travail constructif de la commission des affaires sociales, nous sommes parvenus à un texte équilibré, qui assure qualité, accessibilité et indépendance de la biologie médicale, avec l'accréditation et la lutte contre la financiarisation. L'accréditation assure la transparence que nous réclamons dans d'autres contextes. Si elle a, dans un premier temps, soulevé l'inquiétude des biologistes, le processus est aujourd'hui enclenché dans un grand nombre d'établissements. Le problème est plutôt celui du rythme et des modalités. Même si des craintes demeurent sur le Cofrac, marqué par un manque d'indépendance et des tarifs élevés - la commission des affaires sociales a d'ailleurs demandé un rapport à la Cour des comptes - il faut saluer l'avancée.

Autre sujet, la lutte contre la financiarisation. Les écologistes avaient proposé un amendement pour assurer la transparence, notamment sur les clauses dites d'entraînement dans les conventions non statutaires, ou les clauses cachées de type buy or sell. Son adoption au Sénat, à une large majorité, était une avancée salutaire, mais l'Assemblée nationale l'a hélas supprimée. Heureusement, la CMP y a remis bon ordre. Si la communication qu'elle a prévue n'assure pas la même transparence, le progrès est bien là.

Nous soutiendrons ce texte qui apportera une solution durable, à défaut d'être pérenne, à la biologie médicale, qui est devenue un élément central pour la santé des patients.

Mme Catherine Génisson .  - Alors que la biologie médicale manquait de réformes structurantes depuis 40 ans, nous allons aujourd'hui, en soutenant les travaux de la CMP, donner un cadre juridique clair à cette spécialité qui participe à la qualité de notre système de santé. Je salue le travail de M. Le Menn et de notre commission sur cette spécialité faite d'un grand nombre de structures de proximité qu'il faut préserver. L'accréditation doit assurer fiabilité et qualité des examens. Créer une procédure à double voie, comme le voulaient certains biologistes, serait périlleux. D'autres s'inquiètent de l'indépendance et du coût des prestations du Cofrac. Vous vous êtes engagée, madame la ministre, à mener l'évaluation.

Sur l'article 6, j'ai beaucoup hésité, mais il me semble souhaitable, pour la recherche, d'autoriser des praticiens non titulaires du diplôme d'exercer, même s'il faudra être vigilants.

Pour contrecarrer les abus de la financiarisation, les dispositions de l'article 8, si elles ne sont pas parfaites, apportent des garanties.

Fixer un seuil de détention minimal des parts de capital serait, dites-vous, madame la ministre, contraire au droit européen. C'est avec regret que nous vous suivrons sur ce point. Notre groupe ne s'en prononcera pas moins en faveur de ce texte.

La discussion générale est close.

Discussion du texte élaboré par la CMP

Mme la présidente.  - À ce stade de la procédure, seuls les amendements présentés ou acceptés par le Gouvernement sont recevables.

ARTICLE 8

Mme la présidente.  - Amendement n°1, présenté par le Gouvernement.

Alinéas 7 à 9

Supprimer ces alinéas.

Mme Marisol Touraine, ministre.  - Les dispositions des alinéas 7 à 9 sont contraires au droit européen, ce qui pourrait fragiliser l'ensemble du dispositif. J'ajoute qu'elles pourraient avoir un effet inverse à celui que l'on recherche, excluant de la profession certains jeunes biologistes sans capital. D'où cet amendement de suppression.

M. Jacky Le Menn, rapporteur.  - La commission, qui s'est réunie cet après-midi, a émis un avis favorable à cet amendement.

Mme la présidente.  - Le Sénat, statuant après l'Assemblée nationale, se prononcera par un seul vote sur le texte tel que modifié par l'amendement du Gouvernement.

À la demande de la commission des affaires sociales, l'ensemble de la proposition de loi, modifiée, est mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente. - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 346
Nombre de suffrages exprimés 210
Pour l'adoption 170
Contre 40

Le Sénat a adopté.

Prochaine séance mardi 21 mai 2013, à 9 h 30.

La séance est levée à 23 h 15.

Jean-Luc Dealberto

Directeur des comptes rendus analytiques

ORDRE DU JOUR

du mardi 21 mai 2013

Séance publique

À 9 h 30

1. Questions orales

À 14 h 30 et le soir

2. Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à garantir la qualité de l'offre alimentaire en outre-mer (n° 460, 2012-2013)

Rapport de M. Michel Vergoz, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 571, 2012-2013)

Texte de la commission (n° 572, 2012-2013)

3. Proposition de loi visant à prolonger la durée de vie des agences pour la mise en valeur des espaces urbains de la zone dite des cinquante pas géométriques (n° 447, 2012-2013)

Rapport de M. Serge Larcher, fait au nom de la commission des affaires économiques (n° 566, 2012-2013)

Texte de la commission (n° 567, 2012-2013)

4. Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République (n° 441, 2012-2013)

Rapport de Mme Françoise Cartron, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (n° 568, 2012-2013)

Texte de la commission (n° 569, 2012-2013)

Avis de Mme Claire-Lise Campion, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 570, 2012-2013)

Avis de M. Claude Haut, fait au nom de la commission des finances (n° 537, 2012-2013)