Déclaration du Gouvernement

M. le président.  - L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution.

M. Manuel Valls, Premier ministre .  - (Applaudissements sur les bancs socialistes, écologistes et du RDSE) J'ai plaisir à poursuivre devant le Sénat le débat commencé hier à l'Assemblée nationale et ici même. Lors de ma déclaration de politique générale, j'ai dit l'exigence de vérité et d'efficacité de l'action publique, pour redonner confiance aux Français, leurs préoccupations se sont exprimées lors des élections municipales : chômage, vie chère, feuille d'impôt. Le chef de l'État m'a demandé d'y répondre.

Cela passera d'abord par le renforcement de notre économie. Sans croissance, sans compétitivité, rien n'est possible. En mobilisant toutes les énergies et en rassemblant les partenaires sociaux, il nous faut lutter contre le chômage qui ronge notre société : c'est l'objet du pacte de responsabilité et de solidarité annoncé par le président de la République.

Je veux aussi vous parler de nos territoires, essentiels au redressement de notre pays. Je veux m'atteler à cette question, avec sens du dialogue, mais aussi avec le souci de l'efficacité.

Je veux enfin vous dire, alors que s'ouvre une nouvelle étape du quinquennat, ma vision du travail parlementaire. Nous connaissons tous les souffrances et les doutes qui s'expriment sur nos territoires ; j'ai vu la violence, aussi, qui frappe nos villes et désormais nos villes moyennes et petites, nos villages. Là, on s'inquiète que le temps soit fini où l'on pouvait laisser sa porte ouverte.

Nos campagnes, c'est une part de notre tradition, mais aussi de notre avenir. Nos agriculteurs ont une importance capitale pour notre économie et notre environnement : je veux dire l'engagement du Gouvernement à leurs côtés, alors que vous vous apprêtez à discuter du projet de loi relatif à l'agriculture.

Il y a encore ces territoires touchés par la désindustrialisation, les ouvriers et les cadres qui perdent leur emploi, ces parents qui voient partir leurs enfants vers les villes, voire l'étranger. Je pense aussi aux outre-mer, frappés par le chômage, la crise du logement, la violence.

Depuis dix ans, la France a perdu en compétitivité et en attractivité. La France est une grande puissance diplomatique et militaire, nos soldats sont engagés en Centrafrique et au Mali. Mais pour peser dans le monde d'aujourd'hui, un pays doit aussi être une grande puissance économique. Il faut stimuler nos jeunes pousses, encourager la volonté d'entreprendre.

Le président de la République m'a confié la charge de donner corps au pacte de responsabilité. Beaucoup a déjà été fait, grâce au gouvernement de M. Jean-Marc Ayrault à qui je rends hommage, et les premiers résultats sont là, notamment en ce qui concerne l'insertion professionnelle des jeunes.

Mais il faut aller plus loin. J'ai annoncé hier la baisse de 10 milliards d'euros supplémentaires du coût du travail, après les 20 milliards d'euros du CICE. Elle s'appliquera d'abord aux salaires les plus faibles : l'employeur d'un salarié au smic ne paiera plus au 1er janvier 2015 de charges à l'Urssaf. La contribution sociale de solidarité des sociétés sera supprimée en trois ans et les deux tiers des entreprises concernées ne la paieront plus dès 2015. La surtaxe temporaire d'impôt sur les sociétés, créée par la majorité précédente, sera supprimée dès 2016 et le taux d'impôt sur les sociétés sera ramené à 28 % d'ici 2020. Nous supprimerons de petites taxes à faible rendement dès la prochaine loi de finances. Enfin, dès 2015, les salariés modestes verront baisser leurs cotisations et gagneront ainsi 500 euros par an, soit la moitié d'un 13e mois.

M. Alain Bertrand.  - Très bien !

M. Manuel Valls, Premier ministre.  - Renforcer le pouvoir d'achat, c'est aussi agir sur la feuille d'impôt, notamment pour les ménages devenus imposables sans que leurs revenus aient progressé.

Stimuler la croissance implique aussi de retrouver un équilibre avec notre environnement naturel. Engager la transition énergétique, c'est repenser nos modes de production et de consommation. Les effets seront très concrets pour les Français : leurs factures énergétiques seront réduites.

M. Éric Doligé.  - Des mots !

M. Manuel Valls, Premier ministre.  - Notre consommation d'énergies fossiles sera réduite de 30 %, et l'émission de gaz à effet de serre de 40 % d'ici 2020. Des emplois seront ainsi créés. Grâce à une production économe en énergie, nos entreprises resteront compétitives. Notre balance commerciale s'améliorera.

La part du nucléaire dans la production d'électricité sera ramenée à 50 %. (Applaudissements sur les bancs écologistes)

M. Ladislas Poniatowski.  - Quelle erreur !

M. Alain Fouché.  - Promesse impossible !

M. Manuel Valls, Premier ministre.  - La loi de transition énergétique sera présentée en Conseil des ministres avant l'été.

Redresser la France suppose de s'appuyer sur les territoires. J'ai été maire, je connais les exigences de cette fonction et aussi sa beauté. Je pense à ceux qui ont perdu leur mandat malgré un bilan de qualité. (Applaudissements sur certains bancs socialistes et du RDSE). Les Français attendent beaucoup de leurs élus. Les collectivités territoriales ont un rôle déterminant pour l'avenir des services publics...

M. Francis Delattre.  - Elles n'ont plus de moyens.

M. Manuel Valls, Premier ministre.  - ... mais aussi pour la croissance économique. Leur efficacité peut encore être renforcée, d'où les importantes réformes annoncées hier. Mon but n'est pas de choquer ni de surprendre.

M. Éric Doligé.  - C'est réussi !

M. Manuel Valls, Premier ministre.  - Nous aurons besoin de larges débats. Notre pays vit depuis trop longtemps au-dessus de ses moyens. Partout en Europe, on change. Ici, on en parle et on ne fait rien. Eh bien, ce temps-là est révolu ! (Vifs applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE).

L'empilement des échelons administratifs, l'enchevêtrement des compétences, les financements croisés nuisent à l'efficacité de l'action publique dans les territoires, et tout cela manque de lisibilité pour les Français.

J'ai été frappé par le niveau de l'abstention lors des municipales. C'est un cri d'alarme. L'absence de clarté des missions de chaque collectivité territoriale, le poids de la fiscalité locale ont peut-être aussi joué leur rôle. Je propose donc une réforme territoriale d'ampleur, et rends hommage au travail du Sénat : états généraux de la démocratie territoriale (Mme Cécile Cukierman s'esclaffe), rapport Raffarin-Krattinger. Je propose donc quatre réformes.

M. François Grosdidier.  - Après l'élection présidentielle !

M. Manuel Valls, Premier ministre.  - Si nous le faisons avant les élections de 2015, vous dénoncerez l'habileté. Si nous le faisons après 2015, vous dénoncerez l'illégitimité. Si c'est avant 2017, vous direz qu'il faut attendre. Faites de temps en temps un effort de cohérence ! (Vifs applaudissements sur les bancs socialistes et quelques RDSE)

M. Manuel Valls, Premier ministre.  - Je souhaite d'abord des régions fortes, aux compétences stratégiques, pour soutenir la croissance et l'innovation, et accompagner la transition énergétique. Nous avons besoin de régions d'une taille critique suffisante. Je n'ignore rien des difficultés techniques ou identitaires que cela peut poser. Je fais toutefois confiance à l'intelligence des élus, qui pourront se prononcer par délibérations concordantes de plusieurs conseils régionaux. À défaut, le Gouvernement prendra ses responsabilités, pour aboutir à une nouvelle carte des régions après mars 2015. Nous ferons en sorte qu'elle soit en place au 1er janvier 2017.

Depuis la loi Chevènement, l'intercommunalité a trouvé sa place. Ce sont des résultats concrets : ici un tramway, ailleurs une pépinière d'entreprises. C'est aussi un outil de solidarité entre les communes. En mars, pour la première fois, les citoyens ont désigné directement leurs délégués communautaires. Je souhaite poursuivre le mouvement : une nouvelle carte intercommunale sera élaborée à l'horizon 2018. (Applaudissements sur plusieurs bancs socialistes et du RDSE)

M. Alain Fouché.  - À quelles conditions ?

M. Gérard Larcher.  - Encore une nouvelle carte !

M. Manuel Valls, Premier ministre.  - Des compétences exclusives seront désormais attribuées aux régions et départements, la clause de compétence générale supprimée.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - Il ne fallait pas la rétablir !

M. Manuel Valls, Premier ministre.  - Vous nous reprochez aussi de poursuivre la politique du gouvernement précédent ! Oui, il y a de la continuité, mais aussi des changements. Hier déjà, j'aurais souhaité que l'on commence par l'essentiel avant de se préoccuper de questions électorales. (Applaudissements à droite) Mais vous, aviez-vous changé les structures du pays avec le conseiller territorial ? Non. (Applaudissements sur les bancs socialistes) Nous nous devons de répondre aux préoccupations exprimées par les Français !

J'en viens à l'avenir des conseils départementaux. (Mouvements divers) Je connais la longue histoire des conseils généraux, mais aussi leurs difficultés à remplir leurs missions. Le rapport Raffarin-Krattinger parle de « différenciation ». (M. Francis Delattre s'exclame) Depuis le temps que nous nous connaissons, j'ai appris à apprécier votre modération. Je suis désormais « le Premier ministre de la France » (Exclamations à droite, applaudissements à gauche) Permettez-moi un peu d'humour !

Dans la situation où nous sommes, ne peut-on de temps en temps faire un pas les uns vers les autres ?

M. Bruno Retailleau.  - Ce que la gauche a toujours fait !

M. Manuel Valls, Premier ministre.  - Oui, je tiens à souligner l'apport de M. Raffarin à la réflexion sur les collectivités locales.

L'opposition actuelle a gagné les élections municipales mais ce n'est pas une alternance.

M. François Grosdidier.  - C'en est l'annonce !

M. Manuel Valls, Premier ministre.  - Attendez la présidentielle.

C'est l'honneur du président de la République d'entendre les messages des Français. Vous aviez perdu les élections municipales de 2008 ; vous n'avez pas voulu entendre le message des Français, vous avez vu le résultat en 2012. Changeons d'attitude, apprenons à nous écouter. (Applaudissements sur les bancs socialistes) Il est normal que le Premier ministre en fonction salue le travail d'un ancien Premier ministre, M. Raffarin : cela fait partie des moeurs politiques civilisées. Les Français n'acceptent plus les batailles de chiffonniers ! (Vifs applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE)

À terme, je pense que les conseils départementaux devront être supprimés. D'ici 2021, plusieurs élections permettront de poursuivre le débat. Ce débat doit avoir lieu ! (M. Didier Guillaume approuve) La même idée est partagée par des élus de tous bords.

Avec une dizaine de régions et des intercommunalités renforcées, la question se posera naturellement. Le rôle d'un département n'est pas le même quand il y a une métropole et dans un territoire rural.

M. Philippe Dallier.  - C'est sûr !

M. Manuel Valls, Premier ministre.  - Assez d'immobilisme ! (Applaudissements sur les bancs socialistes et sur certains bancs du RDSE)

L'État est la colonne vertébrale de la Nation, ce n'est pas une abstraction. C'est lui qui a fait appliquer les principes républicains sur tout le territoire de métropole et d'outre-mer. Je rends hommage aux fonctionnaires et agents publics, qui sont le visage de l'État pour tous les Français. Le maillage territorial des préfectures et sous-préfectures est essentiel, notamment dans les territoires les plus fragiles. Réformer l'État, ce n'est pas déserter les territoires : des solutions innovantes existent, comme les maisons de l'État et de services au public.

Ces réformes ne se feront pas sans vous. J'ai appris à connaître votre Haute Assemblée en siégeant ici en tant que ministre de l'intérieur. Je connais votre souci de représenter au mieux les collectivités territoriales. Je suis attaché à la Ve République, et à son bicamérisme équilibré. (Applaudissements sur plusieurs bancs socialistes et du RDSE)

Nos institutions sont fortes parce qu'elles ont su évoluer. Le socle, c'est le respect mutuel et celui des prérogatives de chacun. Les priorités politiques doivent trouver une traduction dans l'ordre du jour du Parlement. Il faut une loi plus claire, plus rare, moins bavarde.

MM. Charles Revet et Éric Doligé.  - Il y a du travail !

M. Manuel Valls, Premier ministre.  - La loi est l'expression de la volonté populaire. Nous resterons à l'écoute des Français. L'intérêt général seul garantit la longévité des lois.

Nos divergences sont légitimes mais nos priorités sont communes : renforcer la place de la France en Europe et dans le monde. (Les sénateurs socialistes et du RDSE se lèvent et applaudissent)

M. Philippe Adnot .  - Après la forme, le temps est venu d'analyser le fond de la déclaration de politique générale d'hier. Sans confiance, pas de croissance, c'est vrai. Mais pourquoi en sommes-nous là ? La France vit au-dessus de ses moyens, privilégiant l'assistanat et la réglementation.

Entreprises, salariés, travailleurs indépendants, tous apprécieront les baisses de charges et d'impôts. Pas belle la vie ? À ceci près qu'au lieu de 50 milliards, il en manque désormais 70, sans compter le coût de la transition énergétique.

L'État économisera 19 milliards, les collectivités territoriales 10 milliards... Comment feront-elles ? Les autoriserez-vous, comme votre prédécesseur, à augmenter les impôts locaux ? L'ancienne majorité avait augmenté la TVA en contrepartie d'une baisse de charges : cela, c'était courageux ! La vérité, c'est qu'aucune baisse de dépenses n'est envisagée. La Catalogne a interdit ce matin la corrida, vous avez conservé l'art de la muleta. (Sourires) Inciter les régions à se regrouper, pourquoi pas, mais cela ne résoudra en rien l'impasse financière. Supprimer les départements ne dégagera aucune économie, car il faudra toujours payer les routes, les collèges, les Sdis, le RSA...

Vous avez dit que la confiance était nécessaire pour réussir... et vous reniez les engagements du président de la République, qui promettait de maintenir les départements ! Vous ne faites que déplacer la dépense, au lieu de la réduire.

Il est possible de faire baisser les charges des entreprises, de faire participer les collectivités territoriales à l'effort, à condition de ne pas charger la barque chaque semaine, en modifiant par exemple les règles de la commande publique comme l'a fait M. Sapin ! Celle-ci, qui s'élève à 70 milliards d'euros par an, présente un surcoût de 20 % par rapport à la commande privée, soit une source d'économies de 14 milliards. Vous agitez des chiffons rouges pour masquer vos approximations ; la dure réalité vous rattrapera. (Applaudissements à droite)

M. Jean-Vincent Placé .  - Ensemble, nous avons tourné la page Sarkozy. Ensemble, nous avons voté de belles lois : mariage pour tous, Alur, non-cumul des mandats. Nous avons eu de nombreux différends et n'avons pas encore écrit la page du grand changement écologique, démocratique, social.

Asphyxiées par la rigueur budgétaire, nos entreprises sont à la peine. ANI, CICE, TSCG : autant d'acronymes cruels qui paveraient l'enfer où vivent beaucoup de Français. Hélas, nous n'avons pas été entendus par le gouvernement Ayrault ! Notre groupe a même été unanime à refuser de voter le budget, ce qui était une première pour un groupe membre de la majorité.

Les écologistes ont donc préféré, comme en amour, aux mots, les actes. Nous avons nos propres priorités, écologiques d'abord. Le productivisme transforme en poison tout ce que nous mangeons, buvons et respirons. L'égoïsme cupide fait disparaître des organismes vivants depuis des millions d'années. L'homme est devenu un locataire dangereux pour la Terre et pour sa propre espèce.

M. Yvon Collin.  - Et le loup ?

M. Jean-Vincent Placé.  - Les réfugiés climatiques se multiplient. On construit des machines pour remplacer les abeilles pour la pollinisation. Il faut agir et vite. Je suis rassuré de voir Mme Royal rejoindre le ministère de l'écologie.

Osez construire un État stratège ! Oui, il y faudra des moyens. Laissez-nous vous proposer des pistes : cessons de dilapider des milliards dans des projets inutiles, lignes à grande vitesse, aéroports... (Vives exclamations à droite) Pour faire des économies sur la sécurité sociale, agissez donc sur le prix des médicaments ! La République nous est chère. Vivre ensemble, réussir ensemble, voilà ce qui doit guider votre action.

La fin de vie dans la dignité est un sujet qui nous préoccupe également.

Enfin, notre époque appelle de nouvelles Lumières. Osons donner un pouvoir législatif aux collectivités territoriales, osons la proportionnelle, osons l'Europe qui protège les peuples et l'environnement, pas l'Europe du traité transatlantique. Le cap, vous le connaissez, monsieur le Premier ministre ; engager la transition énergétique, avancer sur la décentralisation, mettre en oeuvre la proportionnelle et l'élection au suffrage universel des conseillers communautaires. Votre réforme des collectivités territoriales bénéficiera de notre soutien vigilant, surtout la suppression des conseils généraux. (Exclamations sur divers bancs) En cela, vous nous donnez raison : merci, monsieur le Premier ministre !

M. Joël Guerriau.  - Que n'êtes-vous restés au Gouvernement ?

M. Jean-Vincent Placé.  - Mise en place de groupes de travail avec les parlementaires, davantage d'écoute, ces garanties viennent au bon moment.

La distance que nous avons prise sera-t-elle provisoire ? (« Ah ? » sur les bancs UMP) Tout dépend de ce que vous ferez... Serez-vous le gouvernement d'une véritable transition énergétique ? Ou celui qui continuera à dilapider 3 milliards pour le nucléaire militaire ? Le Gouvernement de l'inertie (marques d'ironie à droite) ou celui qui écrira une nouvelle page - en vert ? Serez-vous le témoin du déclin de la France ou l'acteur qui réveillera la confiance d'un peuple tant malmené ces dix dernières années ? À vous d'en décider !

En 1988, M. Rocard appelait à unir discours et action : vous étiez alors auprès de lui... Monsieur le Premier ministre, nous ne vous délivrerons pas de blanc-seing ni ne vous ferons de procès d'intention. Ni carton rouge ni carte blanche. Faites taire les esprits chagrins, osez les grandes réformes dont le pays a besoin. Retrouvez la confiance entamée des écologistes et surtout celle du peuple qui, comme nous, sera vigilant et exigent. La nôtre ne demande qu'à être totale et enthousiaste. (Applaudissements sur les bancs écologistes)

M. Jean-Claude Gaudin .  - (Applaudissements sur les bancs UMP et plusieurs bancs au centre) Moins de deux ans après son élection, le président de la République a pris acte de la forte sanction que les Français lui ont infligée lors des élections municipales - élections dont il s'était personnellement occupé comme à Marseille avec le succès que l'on sait... (Rires et applaudissements à droite)

Nous voilà donc avec un nouveau Premier ministre et un nouveau gouvernement. L'équilibre socialiste, le départ des Verts, le duo de Bercy au sein de votre Gouvernement dit de combat, tout cela n'a aucune importance. Seules comptent nos règles institutionnelles ; le président de la République est le chef de l'exécutif, le Premier ministre dirige le gouvernement. Dans ce régime parlementaire à dominante présidentielle qu'est la Ve République, on peut dire que la condition du succès d'un remaniement, c'est que le président de la République se soit remanié lui-même... (Applaudissements à droite)

À cause de la déception de nombreux électeurs de gauche et de la colère, de l'exaspération de tous les Français, beaucoup de maires qui avaient géré leur ville dans le socialisme municipal ont payé de leur défaite l'échec du président de la République. C'est à cela que nous devons le changement de Premier ministre, après le jeu de Raminagrobis entre les impétrants auquel s'est livré François Hollande... Peu de gens regretteront le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, malgré quelques lois que nous avons soutenues, davantage d'ailleurs que la majorité, comme celles relatives aux métropoles ou à la sécurité.

On peut même dire que, le 31 mars 2014, le président de la République a pris la première décision courageuse de son quinquennat. Reste à savoir quelle est l'ampleur réelle du remaniement présidentiel.

L'histoire est souvent cruelle, cruel aussi un regard dans le rétroviseur... Le 4 juillet 2012, votre prédécesseur, monsieur le Premier ministre, était à votre place, dans son rôle, muni de son certificat de baptême qu'est la déclaration de politique générale. Au nom de l'UMP, j'avais alors dit à Jean-Marc Ayrault : votre victoire vous oblige, la crise vous contraint, mais votre programme vous condamne et votre seule chance est de ne pas l'appliquer... On sait ce qu'il en fut. Les résultats ont été à l'envers des promesses parce que la politique menée était à l'envers de la réalité. La différence aujourd'hui, c'est que le parapluie du bilan de l'équipe précédente n'est plus utilisable ; l'héritage, c'est vous !

Débarrassez-vous de tous les oripeaux idéologiques d'une gauche antédiluvienne, des gadgets et des marqueurs censés plaire à une frange de votre électorat, comme la taxe à 75 %. Débarrassez-vous des contradictions, des contresens, des couacs et des excuses qui consistent à mettre les problèmes de la France sur le dos des autres, l'Europe ou la mondialisation. Et attaquez-vous aux vraies réformes, marché du travail, retraite, assurance chômage.

Nous avons envie de croire que vous le ferez. Nous ne le croyons pas, pas encore, en tout cas pas à partir des déclarations de votre majorité parlementaire, qui ne s'est guère remaniée. Et si c'est vous qui vous êtes remanié en François Hollande, alors c'est l'échec garanti !

Nous sommes inquiets lorsque vous dites que le redressement du pays est en cours. Les Français eux-mêmes n'y croient pas. Il n'y a pas de redressement, mais une aggravation de la situation. Je ne citerai pas les chiffres du commerce extérieur, de la croissance, du matraquage fiscal...

Les manoeuvres dilatoires auprès de Bruxelles nous inquiètent. Voulez-vous gagner du temps ou en perdre ? Cette éternelle défausse sur le bouc-émissaire européen creuse le fossé entre les Français et l'Europe.

Nous sommes inquiets parce que nous croyons que rien ne change vraiment. Après l'annonce du pacte de responsabilité, et maintenant de solidarité, rien n'est clair, le flou demeure, le mystère s'épaissit. Nos concitoyens exigent clarté et précision, ils en ont assez des promesses jamais tenues et des formules toutes faites. Les Français veulent la vérité, ils veulent des actes et des résultats. Or nous ne voyons nul changement de cap, nulle décision courageuse qui enrayerait le décrochage de la France. Même au pied du mur, vous avouez vous-même rester dans la continuité - d'une politique qui a échoué.

Nous, nous proposons un autre chemin, une autre politique. Tirez les conséquences du constat que vous osez enfin faire : ce sont les entreprises qui créent des emplois ; et s'il faut réduire la dépense publique, c'est pour rétablir notre souveraineté. Ceux qui travaillent vivent de moins en moins bien, ils ont le sentiment de payer toujours plus pour les autres. Nous devons donner du sens à la réduction des déficits, car nous le faisons librement. Recentrons l'État sur ses fonctions régaliennes, nous avons besoin d'un État fort et respecté. J'ai cru comprendre que vous souhaitiez déverrouiller les 35 heures : passez à l'action ! (Applaudissements au centre et à droite) Nous craignons que le changement auquel nous assistons ne change rien. Car la question essentielle est celle-ci : qu'est-ce que François Hollande veut faire de la France ? Quelle est sa capacité et celle de son Premier ministre à faire adhérer les Français à des réformes qui ne sont pas défendues par la majorité de la majorité parlementaire ? Seul un changement profond peut redonner espoir aux jeunes.

Face à l'opposition des élus de tout bord, vous souhaitez assouplir la réforme des régimes scolaires, mais vous refusez d'y revenir. C'est une bonne réforme, avez-vous dit. (On renchérit sur les bancs socialistes) Mais non ! Elle a désorganisé la communauté scolaire et elle n'est pas financée. Les communes ne peuvent faire face au coût qu'elle représente - près d'un milliard d'euros. Nous demandons sa suspension et la compensation intégrale de ses coûts.

Autre réforme à abandonner d'urgence : la réforme laxiste de Mme Taubira, désarmement pénal sans précédent que vous aviez combattu au ministère de l'intérieur. Vous êtes aujourd'hui Premier ministre : retirez-la ! (Applaudissements sur les bancs UMP)

J'en viens aux 50 milliards de baisse de la dépense publique - qui ne suffiront pas à atteindre les 3 %... Elle sera en partie financée par la baisse des dotations aux collectivités territoriales, qui s'ajoute à celle prévue dans la dernière loi de finances -  8 millions de DGF en moins pour Marseille. Or les dotations de l'État ne sont jamais que des contreparties des compétences et charges transférées. Ce sera une catastrophe pour l'investissement public, dont les trois quarts sont le fait des collectivités territoriales, et pour l'entretien des équipements.

Chacun sait qu'il faut continuer à réformer notre organisation territoriale. Une telle réforme passe par la répartition des compétences et le développement de l'intercommunalité. Mais la décentralisation ne doit pas conduire à opposer État et pouvoirs locaux. Le travail de Jean-Pierre Raffarin et Yves Krattinger repose sur trois principes et d'abord la pérennité du département. Le groupe UMP est opposé à sa suppression (Applaudissements sur les bancs UMP et exclamations sur les bancs socialistes). Pour le supprimer, il faudra une révision constitutionnelle, et vous n'avez pas la majorité des trois cinquièmes ! En plus, j'ai souvenir que le président de la République, dans un discours à Tulle, s'y était opposé... Deuxième principe, la création de grandes régions de taille européenne ; enfin, respect de la subsidiarité entre communes et intercommunalités.

Monsieur le Premier ministre, votre tâche est difficile. Dans votre intervention, il y a le fond et la forme. Assurément, vous maîtrisez la communication, nous nous souvenons de la machine à couacs qu'était le précédent gouvernement... (Rires à droite) Mais la forme est l'arbre qui cache une forêt épaisse et broussailleuse. Les points d'interrogation sont encore nombreux. Vos annonces sont-elles celles de vraies réformes ou de nouveaux atermoiements ? Des économies ou de nouvelles dépenses ? Est-ce la vérité ou un nouveau déni de réalité ?

Nous saurons soutenir le moment venu toute réforme courageuse, tant la gravité de la situation nationale l'exige.

Un jour, hors campagne électorale, vous m'avez questionné sur le secret de ma longévité. Je vous ferai une suggestion. Quand vous vous adressez au Sénat, monsieur le Premier ministre, maîtrisez votre orgueil, dissipez vos alarmes, puisque vous annoncez un destin plein de charme... (Sourires) Si vous nous aviez demandé de voter, nous ne vous aurions pas accordé notre confiance (Mmes et MM. les sénateurs de l'UMP se lèvent et applaudissent longuement).

M. François Zocchetto .  - Merci, monsieur le Premier ministre, pour les voeux de rétablissement que vous avez formulés à l'égard de Jean-Louis Borloo. À mon tour, je vous souhaite courage et abnégation.

Pendant vingt-trois mois, le gouvernement est resté stupéfait par l'ampleur de la tâche, le président de la République s'est déconsidéré par son immobilisme. On a rarement vu pareil fossé entre les paroles et les actes. La défiance mine la société et le pacte républicain. Oui, la France a besoin de changement. Ce que les gouvernements précédents n'ont pu faire, à votre tour de le réaliser.

Selon M. Rocard, ce qui compte c'est ce qui est dit, non celui qui le dit. Les sénateurs centristes seront dans une opposition constructive et ouverts au dialogue. Malheureusement, vos déclarations nous inquiètent. Votre constat est souvent pertinent, mais que d'interrogations sur le fond et la forme !

Vous utilisez à satiété la métaphore du combat. Mais d'abord, qui sont les combattants ? Cette équipe ne diffère guère de la précédente, et les Français se lassent de voir le pouvoir confisqué par un parti. Pas un seul représentant de la société civile dans votre Gouvernement, mais on vient d'y nommer le Premier secrétaire du parti socialiste afin de le remplacer...

M. Henri de Raincourt.  - On s'en est débarrassé !

M. François Zocchetto.  - Comment appliquerez-vous votre programme s'il vous faut à tout propos donner des gages à l'aile gauche de votre parti ? Les communistes refusent la solidarité gouvernementale pour des raisons respectables. Au tour des écologistes de se démarquer de vous. Vous leur aviez pourtant tant donné, tout donné...

Quels sont vos adversaires ? L'ennemi du président de la République, c'était la finance. Et maintenant ? L'assistanat, les méchants européens, les collectivités locales ? Votre principal ennemi, en vérité, c'est vous-même. Les socialistes auraient perdu par manque de pédagogie, pensez-vous. Et si c'était le fond qui était en cause ? Et si vous manquiez de cap ? Hier encore, vous critiquiez la BCE. Foin de boucs-émissaires ! Ne vous trompez pas d'ennemi : le principal obstacle à la réforme, c'est votre majorité - et même quelques membres de votre gouvernement...

M. Didier Guillaume.  - On verra à l'usage !

M. François Zocchetto.  - Quels sont vos objectifs de guerre ? Je salue la révolution intellectuelle à gauche : la diminution du chômage ne se décrète pas à coup d'emplois aidés et de postes dans la fonction publique. Vous donnez enfin des gages aux entreprises et revenez sur le tourbillon fiscal de ces deux dernières années. Notre pays a besoin d'innovation, de sécurité juridique, de stabilité fiscale, de simplification normative. Faites confiance au génie français dont vous avez à juste titre fait l'éloge.

Quel est votre plan de bataille ? Où est la réforme des retraites à points, celle de la fonction publique, celle du marché du travail, la fin des 35 heures ? Le pacte de responsabilité ne nous convainc pas. En la forme, l'idée est simple et séduisante, nous la partageons. Mais votre discours tient plus du tour de magie que de la décision politique. Son financement est prévu à hauteur de 50 milliards d'économies, 19 milliards d'économies au titre des dépenses de l'État, de 10 milliards pour les collectivités territoriales et 10 milliards pour l'assurance maladie. Où sont les 11 milliards manquants ? Donnez à la représentation nationale le détail de ces ressources miraculeuses ! Vous le devez aux Français.

Avec un mécanisme d'emplois aidés à grande échelle, vous fiscalisez sans le dire une branche de la sécurité sociale. Nous n'y sommes pas opposés, mais ce sont 50 milliards supplémentaires... Soyez transparents ; 50 milliards plus 50 milliards : quelle sera notre crédibilité devant nos partenaires européens ?

Votre pacte méconnaît la réalité du fonctionnement des entreprises. L'embauche ne repose pas seulement sur la baisse des charges des entreprises. Je regrette qu'aucun de vos ministres n'ait jamais travaillé en entreprise. Connaissez-vous l'angoisse des entrepreneurs face aux factures et aux charges qu'il faut payer quand l'activité s'essouffle ? À l'inverse de ce pacte, la TVA sociale présente bien des avantages, dont la liberté laissée aux entreprises dans la gestion de leur marge...

J'en viens aux collectivités territoriales. Le président de la République avait demandé un acte III de la décentralisation, nous voyons venir une tragédie en cinq actes... Que de temps à perdre à venir ! Votre calendrier a de quoi surprendre. Vous voulez renverser la table, soit ; mais pourquoi attendre sept ans ? Votre homologue italien s'est, lui, donné six mois ! Le changement, ce doit être maintenant. À l'évidence, rien ne se fera. Et nous n'avons aucune assurance au-delà de 2017...

Réintroduire en janvier la clause de compétence générale pour la supprimer en avril, ce n'est pas sérieux... Vous voulez supprimer les départements après avoir créé les binômes. C'est inviter les Français à élire ceux qui seront chargés d'éteindre la lumière en sortant... ce n'est guère motivant, ni pour eux ni pour les élus... (Applaudissements sur les bancs UDI-UC et UMP) Vous invitez les régions à se regrouper, mais les 21 présidents de région de gauche n'ont pas avancé d'un pouce en dix ans.

M. Manuel Valls, Premier ministre.  - Et alors ?

M. François Zocchetto.  - Vous avez beau jeu de reprendre le rapport Raffarin-Krattinger. Comment peut-on croire que vous ferez confiance aux élus locaux quand vous leur interdisez de participer à la rédaction de la loi en siégeant au Sénat ?

Nous connaissons votre pugnacité, mais les Français ne seront pas longtemps bien disposés à votre égard.

Pas un mot n'a été dit du monde rural. (M. Manuel Valls, Premier ministre, se récrie) Nous demandons l'organisation d'une conférence sur la ruralité contemporaine pour dépasser les clichés et définir des axes de réussite.

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation, de la réforme de l'État et de la fonction publique.  - Elle aura lieu le 3 juin.

M. François Zocchetto.  - Le reste de votre plan de bataille est marqué par le flou et le non-dit. La réforme pénale est-elle enterrée ou reportée ? Où en est la réforme du Parquet et du CSM ? Comment parler d'ambition énergétique quand rien n'a été fait en deux ans ? Alors que quatre ministres de l'écologie se sont succédé depuis 2012 ?

Les Français ont dit stop, il faut changer de politique. Si nous avions pu le faire, nous n'aurions pas voté la confiance. (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Éliane Assassi .  - Monsieur le Premier ministre, votre présence ici procède de la lourde sanction subie par le gouvernement à l'occasion des municipales. Élections locales certes, mais on ne peut éluder la responsabilité politique ultime du président de la République. Les Français ont appelé à un changement de cap. Je vous ai écouté, à aucun moment vous n'avez évoqué les raisons de la victoire de 2012 ; vous avez même eu l'audace ou l'arrogance d'évoquer le discours d'investiture de François Fillon en 2007... Faut-il rappeler les « Moi président, je ne ferai rien comme avant » ? Monsieur le Premier ministre, une légitimité n'est pas qu'institutionnelle, elle est aussi politique. Pour être légitime, il faut tenir ses promesses. Et ne dites pas que vous ignoriez la situation. Toute personne ayant ouvert un journal économique ces dernières années connaît la domination des marchés financiers et du grand capital. Pour mener une politique de gauche, tout le monde savait qu'il faudrait renverser la table. Après les années Sarkozy, celles de l'indécence et du culte de l'argent, le peuple de gauche attendait une rupture. Elle n'est pas au rendez-vous. Dois-je rappeler, au premier tour de 2012, les 4 millions d'électeurs du Front de gauche sans lesquels le président de la République et vous-même seriez encore dans l'opposition ?

La rupture n'est pas venue. François Hollande a claqué la porte au nez de l'espérance en signant le traité Merkel-Sarkozy, qui nous soumet à la règle d'or bruxelloise, au dogme libéral et monétariste qui fondent l'austérité et livre l'euro aux marchés. Nous avons noté votre silence sur l'accord transatlantique qui soumet l'Europe aux États-Unis. Nous le disons fermement, l'urgence, c'est de changer l'Europe pour plus de solidarité, d'égalité et de démocratie, c'est se défaire de la logique libérale qui donne toujours davantage aux actionnaires sans donner davantage de droits aux individus, qui rogne le pouvoir d'achat et réorganise les territoires aux normes de la concurrence.

Les raisons de la déroute électorale, ce sont le chômage, la précarité, l'insécurité sociale, la jeunesse en désespérance. Avec le pacte de responsabilité, le président de la République a acté le prolongement de cette logique, la casse des services publics avec les 50 milliards annoncés de baisse des dépenses publiques. Aucun vernis social ne pourra le masquer. La baisse des cotisations aura pour conséquence le sabordage de la sécurité sociale. C'est un pacte d'irresponsabilité.

Vous avez gravé dans le marbre le donnant-donnant avec le patronat, sous couvert de restaurer la confiance et donc la croissance. Nous y voyons une tartufferie : vous donnez sans compter au patronat, quant aux salariés, « on verra plus tard, branche par branche » ! (M. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social, le conteste) Le pacte François Hollande-Pierre Gattaz est une concession majeure aux marchés et signe la capitulation du pouvoir politique.

Le président de la République a sans doute rompu avec l'excitation sarkozyste, mais il est vite revenu à une conception autoritaire, dirigiste, de la décision publique. Non-respect du Parlement, procédure accélérée, manque de concertation... L'article 49 donne d'ailleurs les mains libres au pouvoir exécutif.

Un autre cap doit être fixé. Changer l'Europe en s'appuyant sur les mouvements sociaux, arrêter les licenciements boursiers et les plans sociaux, sauver la puissance publique de l'emprise des marchés, refonder notre tissu industriel, relancer la croissance, partager autrement les fruits du travail, faire le pari industriel de la transition écologique, mettre à plat la fiscalité et traquer l'évasion fiscale qui nous coûte 50 milliards par an, tous ces chantiers doivent être les priorités d'un gouvernement de gauche. Vous n'avez rien dit des quartiers populaires ni des zones rurales. Le logement doit être déclaré grande cause nationale. La sécurité et la justice doivent disposer de moyens dignes de ce nom.

La Ve République est à bout de souffle. Notre démocratie est malade. Il faut repenser les rôles respectifs du gouvernement et du Parlement, revoir le mode d'élection du président de la République. Et enfin donner le droit de vote aux résidents étrangers aux élections locales. (Applaudissements sur les bancs CRC et écologistes ; Mme Bariza Khiari applaudit aussi)

Vos annonces sans concertation sur les collectivités territoriales ont provoqué une vive réaction des élus locaux. Le Gouvernement a joué la partition des métropoles pour combattre l'ancrage démocratique des communes et départements. Pourquoi ? Parce que ce sont des lieux de résistance aux diktats des marchés et du libéralisme ? Nous nous opposerons à la soumission des territoires au dogme de la mise en concurrence, à la suppression de la clause de compétence générale, pourtant réaffirmée par notre majorité il y a quelques mois.

Élue de la Seine-Saint-Denis, j'en terminerai par la question du communautarisme : le libéralisme, l'idéologie de la concurrence, le désastre social en sont les sources naturelles, qui nourrissent le repli identitaire et la quête d'une solidarité perdue. La bataille pour la laïcité doit être menée au quotidien, sur le terrain. Mais l'école est dans un tel état...

La France est une grande Nation, elle peut porter encore les valeurs de solidarité, de justice et de paix. Nous continuerons à agir pour rassembler tous ceux qui restent attachés à une alternative au diktat des marchés et croient encore à la gauche et à ses valeurs. Nous combattrons toute dérive libérale. (Applaudissements sur les bancs CRC ; Mme Marie-Christine Blandin et M. Edmond Hervé applaudissent aussi).

M. Jean-Pierre Caffet .  - Monsieur le Premier ministre, c'est un honneur de vous accueillir dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les bancs socialistes) Votre présence est un geste de respect à l'égard de la Haute Assemblée.

Nous partageons le constat que vous avez dressé. À l'occasion des élections municipales, les Français ont fait passer un message de désarroi et parfois de colère. Ils ont soif de justice, alors que les inégalités se creusent et doutent de la capacité des responsables politiques à trouver des solutions pour sortir de la crise au mieux et au pire éprouvent un sentiment d'abandon.

Un espoir nouveau doit se lever, fondé sur la confiance dans l'avenir, individuel et collectif.

Le redressement est lent, certes, car en dix ans, la dette a augmenté de 500 milliards d'euros, l'excédent commercial s'est mué en déficit abyssal, et notre appareil productif s'est profondément dégradé. Après dix ans de gouvernements de droite, comment faire des miracles, dans un contexte de marasme européen et d'euro fort ? Nous vous soutiendrons pour remettre l'Europe sur le chemin de la croissance.

M. Charles Revet.  - Avec quel argent ?

M. Jean-Pierre Caffet.  - Pour être long et lent le redressement n'en est pas moins perceptible : nos déficits se résorbent, nos comptes extérieurs s'améliorent, le chômage des jeunes est en recul. Depuis vingt-deux mois de nombreuses réformes ont été engagées : retour des enseignants dans les classes, réforme des retraites qui garantit leur financement tout en prenant en compte la pénibilité, réforme de la formation professionnelle, Accord national interprofessionnel (ANI) sur la sécurisation de l'emploi. Ce socle du changement sera déterminant pour l'avenir, et je veux saluer l'action du gouvernement de Jean-Marc Ayrault. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Vous avez engagé une nouvelle étape du quinquennat, placée sous le triple signe de la vérité, de l'efficacité et de la confiance. Le redressement doit se poursuivre. Cela nécessite un infléchissement de la politique de redressement, en faveur notamment des plus modestes.

La réduction des déficits n'est pas une lubie : c'est la condition de notre indépendance et de la pérennité de notre modèle social. Comment ouvrir de nouveaux droits si l'on ne peut financer ceux qui existent déjà ? 50 milliards d'économies sur trois ans, c'est raisonnable. Aller plus vite serait contre-productif. Nous faisons confiance au Gouvernement pour obtenir de nos partenaires européens un accord sur un redressement durable et soutenable.

Les entreprises doivent redevenir compétitives, car sans compétitivité, pas d'emploi. Les causes du décrochage de notre commerce extérieur sont nombreuses, mais c'est sur le coût du travail que nous pouvons agir le plus vite. Nous saluons les compléments au CICE annoncés hier, en faveur des indépendants et des emplois qualifiés.

Pour soutenir le pouvoir d'achat et la consommation, le Gouvernement s'engage à réduire les cotisations salariales à hauteur de 500 euros par an. Autre bonne nouvelle : l'allègement de la fiscalité de ceux qui sont entrés récemment dans le champ de l'impôt sur le revenu, après la correction de certaines injustices par la dernière loi de finances.

Oui, l'efficacité de l'action publique doit être recherchée. Celle du système éducatif d'abord, pour la jeunesse dont le président de la République a fait sa priorité : la refondation de l'école doit tenir ses promesses d'égalité et d'émancipation.

Les besoins de logements sont également immenses. Beaucoup a été fait depuis deux ans, l'effort doit être amplifié.

Notre pays souffre d'un excès de procédures : la simplification sera poursuivie avec des mesures prises d'ici l'été.

Reste la question de l'organisation territoriale, essentielle à la qualité du service public, et qui ne peut donc être abordée sous le seul angle financier.

Indiscutablement, les collectivités territoriales doivent participer à l'effort de redressement des comptes publics. Mais rappelons que les collectivités territoriales sont peu endettées et bien gérées.

M. Charles Revet.  - Pourquoi donc les supprimer ?

M. Jean-Pierre Caffet.  - Elles sont responsables de 70 % de l'investissement public. Le groupe socialiste approuve l'esprit des mesures annoncées hier, et se réjouit que le rapport Raffarin-Krattinger les ait inspirées. Diminuer le nombre de régions, c'est renforcer leur rôle pour soutenir les entreprises face à la compétition mondiale. Il est bon de faire confiance à l'intelligence régionale, selon une autre proposition du Sénat. Cette réforme perdrait une partie de son sens sans clarification des compétences. Faut-il supprimer la clause de compétence générale ?

M. Roger Karoutchi.  - Évidemment !

M. Jean-Pierre Caffet.  - Nous en débattrons. Supprimer les départements ? Ceux-ci portent l'immense tâche d'assurer la solidarité entre les Français, d'autant plus important en temps de crise. Mais peut-être est-il temps d'évoluer ? Les besoins ne sont pas uniformes. Dans les territoires ruraux et enclavés, que restera-t-il si les départements disparaissent ? Une organisation propre à ces territoires peut être imaginée, au lieu de privilégier un « jardin à la française ».

M. Didier Guillaume.  - Très bien !

M. Jean-Pierre Caffet.  - Que vous ayez reconnu cette diversité, monsieur le Premier ministre, nous a réjouis et rassurés. La confiance est la clé de la réussite politique et du dynamisme économique. Le pacte de responsabilité et de solidarité dessine un nouveau compromis social. C'est un cercle vertueux qu'il faut créer, associant emploi, consommation et croissance.

À ceux qui ne voient aucune perspective, il faut rendre confiance, en effet, en donnant du sens aux efforts demandés à tous. La valeur du travail, la lutte contre les inégalités, la justice sociale, la tolérance doivent être replacées au coeur des valeurs de la République. Comptez sur notre soutien (Applaudissements sur les bancs socialistes et de nombreux bancs du RDSE)

M. Jacques Mézard .  - M'exprimant au nom de l'ensemble du RDSE, de sa majorité qui vous aurait voté la confiance comme de ceux qui ne l'auraient pas votée, je vous adresse nos voeux de réussite, car il y va de l'avenir de la Nation et des Français. Notre liberté continuera à s'exprimer. Nous ne serons pas de ceux qui marchandons notre soutien à chaque texte. Vous connaissez la vision d'homme d'État de Jean-Pierre Chevènement, le souci de justice de Robert Hue, le sens de l'État de Gilbert Barbier. Vous savez que Jean-Michel Baylet vous soutient.

Les électeurs en mars ont sanctionné l'exécutif. Vous avez affirmé une volonté forte de gouverner : il la faut. « Aurons-nous ou n'aurons-nous pas ce gouvernement ? » demandait Clemenceau ; « là est la crise, crise de volonté, crise de vérité ». Oui, nous voulons un gouvernement qui gouverne. C'est d'un choc de compétence dont la République a besoin. Nous n'avons pas entendu les Français réclamer le regroupement des régions, la suppression des départements, la fermeture de Fessenheim, mais l'efficacité en matière d'emploi, d'économie, de fiscalité, de logement, de sécurité. Ce message, vous l'avez entendu, monsieur le Premier ministre. Mais comment ne pas s'interroger sur nos institutions, sur notre monarchie républicaine ? L'anomalie démocratique, ce n'est pas le Sénat, mais l'hyperprésidence, et la marginalisation du Parlement, quand ce n'est pas son mépris.

M. Charles Revet.  - Tout à fait exact !

M. Jacques Mézard.  - Les vraies fractures politiques, et même idéologiques, traversent les deux grands partis de gouvernement. Les Allemands ont su créer une grande coalition quand nous continuons à cultiver des conflits artificiels. À défaut de coalition, que les partis s'écoutent pour mieux écouter les Français. Vous êtes au pouvoir : à vous de donner l'exemple. Nous avons apprécié votre adresse à l'opposition. Il n'est jamais trop tôt pour rassembler, il est souvent trop tard.

Rassembler, c'est d'abord respecter le Parlement. Les derniers mois nous laissent de mauvais souvenirs... Espérons que l'indépendance du Sénat ne vous conduira pas à vouloir le transformer en assemblée de deuxième zone...

La grande majorité du RDSE est favorable au pacte de responsabilité, qui reconnaît le rôle de l'entreprise, sans laquelle il n'y a pas d'emploi. Il est temps de sortir des débats d'un autre temps. Il est urgent de simplifier la création et la gestion quotidienne des entreprises, sans laisser-faire et en garantissant les droits des plus faibles.

Porter la réduction des charges patronales à 30 milliards est judicieux, de même que réduire l'impôt sur les sociétés. Vous avez aussi décidé d'alléger la fiscalité sur les ménages modestes. Vous affirmez la nécessité de réduire la dette publique. Reste un problème arithmétique : sur 50 milliards d'économies annoncées, je m'interroge sur la provenance de 11 milliards, et vos explications seraient bienvenues...

Nous avons toujours défendu avec acharnement la construction européenne. Mais comment obtiendrez-vous des Allemands une baisse de l'euro dont le niveau élevé leur est si cher, mais trop cher pour nous ?

L'école de la République va mal : 10 % des enfants en sortent sans maîtriser lecture ni écriture.

M. Charles Revet.  - Dramatique !

M. Jacques Mézard.  - C'est une faillite dont nous sommes tous responsables. Autre urgence : le logement. Il faut simplifier, réduire les normes.

Une autre priorité transversale devrait être ajoutée à votre agenda : la recherche et l'innovation, sans lesquelles il n'y a pas d'avenir.

Je ne voudrais pas passer pour un adorateur du soleil levant. (Sourires) Aussi aborderai-je deux thèmes sur lesquels nous continuerons à nous exprimer fermement. La transition énergétique d'abord : elle est nécessaire. Mais le meilleur moyen d'y parvenir, c'est de préserver notre industrie nucléaire. (Applaudissements au centre, à droite ; MM. Jean-Pierre Chevènement, Jean-Louis Carrère et Edmond Hervé applaudissent aussi) Le nucléaire et les énergies renouvelables se complètent. Travaillons aux réacteurs de quatrième génération. Ne cédons pas à l'obscurantisme ! Le temps de la condamnation de Galilée est révolu !

Autre sujet : le millefeuille territorial. Vous annoncez une nouvelle carte intercommunale, alors qu'on vient d'achever la précédente, la suppression de la clause de compétence générale et des départements... Et dans le même paragraphe, vous prétendez remédier au sentiment d'abandon des territoires ! Vous l'avez reconnu, un département qui comporte une métropole ne saurait être confondu avec un département rural. Recherchons un compromis intelligent entre gauche et droite.

« Il faut savoir ce que l'on veut. Quand on le sait, il faut avoir le courage de le dire. Quand on le dit, il faut avoir le courage de le faire », disait Clemenceau. C'est ce que nous attendons de vous, monsieur le Premier ministre. (Applaudissements sur les bancs socialistes, du RDSE et sur quelques bancs à droite)

M. Manuel Valls, Premier ministre .  - En m'adressant directement à vous, j'ai voulu marquer mon respect du Sénat. Le respect du Parlement sera la marque de ce Gouvernement.

Monsieur le président Gaudin, vous avez connu l'alternance. Face à la situation présente, faisons preuve de retenue et de modestie. Je vous ai senti grisé par la confiance que vous ont témoignée les Marseillais... Croyez-vous que la dette accumulée et notre niveau de déficit, l'état de notre école puissent être imputés à cette majorité ? Je l'ai dit, en dix ans, notre différentiel de compétitivité avec l'Allemagne s'est accru. Nous pouvons poursuivre ces mauvais procès, mais cela ne marche plus, les Français n'y croient plus. Un sursaut est nécessaire.

Les solutions proposées peuvent être différentes mais partons de ce constat. Tous les gouvernements ont recherché des solutions. Entre 2006 et 2012, les impôts ont augmenté de 30 milliards. De même depuis 2012. Pouvez-vous nous faire la leçon ? En quoi votre intervention a-t-elle fait avancer le débat ? Monsieur Gaudin, vous êtes bon pour lancer des piques, mais prenez garde à ne pas abîmer la démocratie.

Une immense majorité d'entre nous est attachée à l'Europe. Eh bien, attention à ne pas voir se reproduire ici les résultats de Hongrie ! Si nous n'arrivons pas ensemble à redresser le pays, nous aurons collectivement échoué. (Applaudissements sur les bancs socialistes et sur plusieurs du RDSE).

Il faut redresser notre industrie - et M. Mézard a raison de souligner l'importance de la filière nucléaire : il ne s'agit pas de la faire disparaître mais de réduire sa part dans la production d'électricité en développant les énergies renouvelables et en préservant l'environnement. Je n'oublie pas la recherche et l'innovation ni la formation professionnelle. Il est insupportable de voir un jeune sur cinq au chômage. Nous n'avons pas d'autre choix que de soutenir les entreprises et nous avons mis 30 milliards sur la table. Sans nos entreprises, grandes et petites, nous ne créerons ni richesses, ni emplois, ni ne rétablirons la confiance. Oui, il y a un problème de coût du travail. Mais le pacte de responsabilité et de solidarité répond aussi aux attentes des salariés. Il nous faut mobiliser les partenaires sociaux - que nous rencontrerons dès vendredi - et les territoires. Les deux dernières années et bien que cela corresponde à une conviction profonde de Jean-Marc Ayrault, nous n'avons pas assez associé les régions à notre politique, elles dont le rôle est si important en matière d'économie, d'innovation et d'environnement. Compte tenu de la situation de notre commerce extérieur, nous avons décidé d'en confier le pilotage au Quai d'Orsay pour affirmer notre diplomatie économique.

La France, cinquième puissance économique mondiale est une grande puissance diplomatique et militaire. Mais dans le monde d'aujourd'hui, la compétition se joue sur la capacité à conquérir des marchés, sur la formation et la recherche...

Monsieur Gaudin, la violence existe dans notre société depuis trente ans, le nombre des cambriolages a explosé depuis cinq ans. Dans nos mairies, nous retenons souvent les mêmes solutions. Je veux m'efforcer d'apaiser la société sur ces questions. Le mariage pour tous fut un grand progrès, mais il a suscité un débat.

M. Jean Bizet.  - Et la loi pénale ?

M. Manuel Valls, Premier ministre.  - Il y a une fracture dans notre pays, notamment communautaire, Mme Assassi a raison.

M. Charles Revet.  - Il ne faut pas l'approfondir !

M. Manuel Valls, Premier ministre.  - L'avons-nous fait depuis deux ans ? Sur la fin de vie, sur l'immigration, il faut construire un consensus, oublier les querelles. Sur la réforme territoriale, merci au président Caffet de son soutien vigilant. M. Zocchetto a invoqué l'exemple de M. Renzi... qui a proposé de supprimer le Sénat ! (Sourires) Sur l'organisation territoriale, nous posons les termes d'un débat. Je connais le rôle de la commune, du conseil général. Mais n'avons-nous pas l'occasion de moderniser ce pays ? Je suis très attentif à la proximité, monsieur Mézard. Mais les institutions actuelles, sur le terrain - préfectures, sous-préfectures et conseils généraux - n'empêchent pas le sentiment d'abandon... Nous avons connu, en matière de décentralisation, de grandes réformes : celle de Pierre Mauroy et de Gaston Defferre, celle des intercommunalités de Jean-Pierre Chevènement, la révision constitutionnelle de Jean-Pierre Raffarin... Mais nous ne pouvons plus nous contenter du rabot permanent, de bricolage. Nous sommes arrivés au bout d'une certaine logique. Nous aurons des désaccords, c'est normal, mais nous avancerons.

Je serai attentif aux propositions du Sénat. Nous sommes à un moment où tout peut basculer, et il nous faut être à la hauteur des exigences du moment. (Applaudissements sur les bancs socialistes, du RDSE et écologistes)

La séance est suspendue à 19 h 30.

présidence de M. Jean-Léonce Dupont,vice-président

La séance reprend à 21 h 30.