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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Avis sur une nomination (Article 13)

Commission d'enquête (Candidatures)

Lutte contre le terrorisme (Procédure accélérée)

Discussion générale

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur

M. Alain Richard, co-rapporteur de la commission des lois

M. Jean-Jacques Hyest, co-rapporteur de la commission des lois

Hommage à une délégation portugaise

Commission d'enquête (Nominations)

Lutte contre le terrorisme (Procédure accélérée - Suite)

Discussion générale (Suite)

Mme Éliane Assassi

M. Jacques Mézard

M. Michel Mercier

Mme Esther Benbassa

M. Jean-Patrick Courtois

M. Jean-Pierre Sueur

Mme Joëlle Garriaud-Maylam

M. Jean-Yves Leconte

M. François Bonhomme

M. Jacques Bigot

M. Pierre Charon

M. Gaëtan Gorce

M. Bernard Cazeneuve, ministre

Discussion des articles

ARTICLE ADDITIONNEL AVANT L'ARTICLE PREMIER

ARTICLE PREMIER

Mme Nathalie Goulet

M. Roland Courteau

Mme Esther Benbassa

M. Bernard Cazeneuve, ministre

Dépôt de documents

Organisme extraparlementaire (Candidatures)

Conférence des présidents

Lutte contre le terrorisme (Procédure accélérée - Suite)

Discussion des articles (Suite)

ARTICLE PREMIER (Suite)

ARTICLES ADDITIONNELS

ARTICLE 2

ARTICLE 4

M. Philippe Bonnecarrere

Ordre du jour du jeudi 16 octobre 2014




SÉANCE

du mercredi 15 octobre 2014

5e séance de la session ordinaire 2014-2015

présidence de M. Hervé Marseille, vice-président

Secrétaires : M. Claude Haut.

La séance est ouverte à 14 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Avis sur une nomination (Article 13)

M. le président.  - La commission du développement durable, lors de sa réunion du 14 octobre 2014, a émis un vote favorable (24 voix pour, une voix contre) à la nomination de M. Pierre-Marie Abadie aux fonctions de directeur général de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs.

Commission d'enquête (Candidatures)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la désignation des 21 membres de la commission d'enquête sur l'organisation et les moyens de lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe, créée à l'initiative du groupe UDI-UC, en application de son droit de tirage.

En application de l'article 8, alinéas 3 à 11, et de l'article 11 de notre Règlement, les listes des candidats présentés par les groupes ont été publiées. Ces candidatures seront ratifiées si la présidence ne reçoit pas d'opposition dans le délai d'une heure.

Lutte contre le terrorisme (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme.

Discussion générale

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur .  - Je veux d'abord féliciter les sénateurs et sénatrices élus ou réélus. Je me réjouis de reprendre nos travaux sur un texte qui a fait consensus à l'Assemblée nationale.

Le terrorisme essaime, se développe à travers le monde, surtout dans la bande sahélo-saharienne, en Irak et en Syrie. Le groupe Daesch poursuit son avancée, persécute les civils et les minorités, à commencer par les chrétiens d'orient. La France est engagée, vous le savez, avec la communauté internationale pour mettre un terme à ses exactions.

En Afrique du Nord, les terroristes circulent, font fi des frontières. En Libye, de nombreux groupes prospèrent sur les ruines de l'État. Daesch, Boko Haram, AQMI, ces groupes sont tous à l'origine d'actes d'une absolue barbarie, d'une cruauté rarement observée, et qui nous appellent à la responsabilité.

L'exécution de notre compatriote Hervé Gourdel nous a unis dans le dégoût et l'indignation. Ayons conscience du risque qui pèse sur la sécurité de nos compatriotes.

Le terrorisme prend des formes nouvelles. La France a connu le terrorisme, celui de groupuscules d'extrême droite ou d'extrême gauche comme celui de groupes radicaux -je songe au GIA algérien. Mais les groupes d'antan étaient fermés, leur action d'ampleur limitée ; ils sévissaient sur notre territoire puis repartaient à l'étranger.

Le terrorisme est aujourd'hui en libre accès -voyez les sites, blogs, vidéos appelant de nouvelles recrues. Je me souviens du témoignage de Mériam Rhaiem, cette jeune mère de famille qui est allée récupérer sa fille en Turquie. Son mari s'était auto-radicalisé, seul, non dans une mosquée mais sur internet. Prenons conscience de ces nouveaux phénomènes de radicalisation, d'embrigadement, d'endoctrinement permis par la société numérique.

Ce phénomène de masse a conduit un grand nombre de nos compatriotes à s'engager en Irak ou en Syrie. On estime à 8 000 à 10 000 le nombre de ressortissants de l'Union européenne engagés dans ces pays, chiffre en constante augmentation.

Depuis le début 2014, le nombre de Français en Syrie sur le théâtre des opérations terroristes a augmenté de 72 % à 80 %. Il faut juguler ce phénomène. Nous devons protéger nos concitoyens, y compris contre eux-mêmes.

Quarante Français seraient morts en Syrie. Un millier de nos compatriotes sont aujourd'hui soit sur place, soit sur le chemin de la Syrie, soit enfin encore en France mais ayant manifesté le désir de se rendre en Irak ou en Syrie ; 80 % des départements français sont concernés. C'est à l'aune de ce phénomène qu'il faut apprécier les mesures à prendre, que nous soumettons à votre assemblée.

Premier objectif : faire en sorte que ceux qui souhaitent prendre un aller simple vers la mort, physique ou psychologique, et ne peuvent revenir, ayant assisté ou participé à des actes barbares, qu'habités par un instinct de violence ne puissent quitter le territoire. Nous avons déjà mis en place une plate-forme de signalement ; les procureurs et les préfets sont mobilisés pour actionner tous les niveaux de l'administration -école, protection judiciaire de la jeunesse, services sociaux- pour repérer les jeunes décrocheurs ou en période de fragilité. Rien n'excuse les jeunes qui s'engagent dans le terrorisme mais il n'en faut pas moins aider leurs familles.

L'article premier crée par conséquent une interdiction administrative de sortie de territoire. Cette mesure n'est en rien une mesure d'exception, liberticide. C'est une mesure de police, utilisable dès lors que suffisamment d'éléments sont en possession de l'administration pour assurer l'ordre public. Elle est contestable dans les vingt-quatre heures par le juge des référés, comme toute mesure de cette nature.

Le juge administratif n'est pas le bras armé de l'État, comme j'ai pu l'entendre, mais le protecteur des citoyens et des libertés publiques et individuelles. De l'arrêt Benjamin à l'arrêt Canal, le Conseil d'État l'a bien démontré -tous ceux qui aiment le droit administratif le savent !

M. Alain Richard, co-rapporteur de la commission des lois.  - Et ils sont nombreux ici !

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Le principe du contradictoire sera pleinement respecté devant le juge, l'administration étant tenue de produire devant lui les éléments fondant sa décision.

Deuxième mesure de ce texte : l'impossibilité pour les personnes ayant commis des actes de terrorisme à l'étranger de revenir en France si elles n'ont pas la nationalité française. Cette disposition a été ajoutée au texte initial par les députés ; je la reprends à mon compte.

Ce texte ne néglige pas la régulation sur internet. La semaine dernière, au Luxembourg, les ministres de l'intérieur européens ont rencontré les représentants des grands groupes du numérique qui jouent malgré eux un rôle important dans le basculement dans le terrorisme. Ce matin encore, un appel à commettre des crimes sur notre territoire a été lancé sur Youtube par un combattant étranger en Syrie. A-t-on le droit de proférer de tels propos ? Cela relève-t-il de la liberté d'expression ? Partout ailleurs que sur internet, ces propos seraient condamnables, tout le monde le reconnaît. Pourquoi traiter internet différemment ?

Les grands acteurs du numérique procèdent eux-mêmes à une certaine régulation. Le texte propose d'appeler, sous contrôle de la Cnil, ces entreprises à retirer les contenus illégaux dans les vingt-quatre heures. À défaut, il sera procédé au blocage du site. Je l'ai dit à l'Assemblée nationale : le Gouvernement fera le choix des dispositifs les moins intrusifs. Le juge pourra également se prononcer en référer sur la décision de blocage.

Certains membres de votre commission des lois ont proposé d'allonger de vingt-quatre à quarante-huit heures le délai pour retirer les contenus. Je comprends cette proposition mais elle soulève des difficultés techniques et laisserait le temps aux terroristes de créer des sites miroir.

Troisième disposition : la création d'une infraction d'entreprise individuelle terroriste. Le droit existant ne couvre pas tous les cas de figure. Beaucoup de terroristes s'auto-radicalisent, ce qui les soustrait à la qualification d'association de malfaiteurs. Il ne suffit pas de consulter des sites radicaux pour rentrer dans le périmètre de cette nouvelle infraction : il faut également détenir des armes ou fabriquer des explosifs. Ces critères sont cumulatifs. N'en déplaisent à certains, ce texte n'est pas liberticide !

Des techniques nouvelles seront mises à la disposition des services d'enquête : par exemple, l'allongement de dix à trente jours de la durée de conservation des interceptions de sécurité, pour avoir le temps de traduire les messages utilisant souvent des langues rares. La Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) devra se prononcer car, à nouveau, aucune avancée de ce texte ne se fait au détriment des libertés publiques -ce serait une forme de victoire du terrorisme.

Un mot sur l'organisation de nos services. La Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), ex-DCRI, a perdu 150 effectifs sur la période 2007-2012 ; ses budgets étaient étales. Le président de la République et le Premier ministre ont voulu la doter des moyens nécessaires avec la création de 436 emplois, dont 127 ont été pourvus. Ses crédits augmenteront de 12 millions d'euros par an jusqu'en 2017. Ces moyens aideront la DGSI à faire le bond technologique nécessaire.

Le fonctionnement vertical de nos différents services a montré ses limites. La réunion hebdomadaire horizontale de tous les acteurs, leur coordination, le pilotage plus fin de leur action assureront une meilleure circulation de l'information.

Zéro précaution, c'est 100 % de risques ; mais un maximum de précaution ne garantit pas le risque zéro. Il ne faut pas cacher la vérité aux Français mais, en même temps, tout ne dépend pas de nous. Nous ne pouvons pas garantir le risque minimal sans coopération européenne.

Certains apprentis terroristes cherchent à gagner la Syrie à partir d'aéroports européens, pour tenter d'échapper à notre vigilance. Grâce au système d'information Schengen et au fichier des personnes recherchées qu'il contient, la France n'est pas aveugle. Il faut l'améliorer en le reliant au système d'embarquement des passagers utilisé par les compagnies aériennes et renforcer les contrôles de sécurité. Cela suppose aussi de travailler sur la directive « Protection des données ». Ces propositions ont été entendues par nos homologues, notamment allemands.

Je forme le voeu que la représentation nationale témoigne de son unité sur ce sujet. L'unité, c'est la force des démocraties, attaquées au coeur de leurs valeurs par une barbarie immonde. Matérialisons par l'écoute mutuelle, la responsabilité et la volonté -qui sont des attributs du Sénat- cette indispensable unité. (Applaudissements)

M. Alain Richard, co-rapporteur de la commission des lois .  - On n'aborde jamais un tel sujet dans un climat indifférent. Je crois pouvoir me réjouir de ce que le Sénat débattra dans la sérénité, comme l'a fait notre commission.

Notre dispositif de lutte contre le terrorisme s'est construit par étapes successives et grâce à la coopération internationale. Ses résultats sont appréciables : des entreprises terroristes ont été démantelées. Il faut rendre hommage au courage et à la persévérance des hommes et des femmes qui nous en ont préservés.

L'entrée dans le terrorisme prend des formes nouvelles. Le sujet principal de ce texte, c'est l'enrôlement, l'endoctrinement sur internet de personnes vulnérables, en général isolées, qui en viennent à rejeter nos valeurs et sont fascinées par une violence rédemptrice qui donne un sens à leur besoin d'engagement.

On ne peut parler de texte de circonstance : il est impossible d'aboutir à un dispositif parfait du premier coup. C'est le fonctionnement de la démocratie. Après le drame de Toulouse, un premier texte avait été déposé. La création d'une nouvelle infraction, de deux procédures préventives et le perfectionnement des procédures pénales sont de nouvelles avancées.

L'interdiction de sortie du territoire est temporaire, motivée et contrôlée par le juge. Le délai d'intervention du juge a en outre été réduit grâce au recours à la procédure de référé.

L'outil n'est certes pas parfait mais il est indiscutablement utile pour lutter contre le phénomène des « nouveaux enrôlés ». Cette mesure d'interdiction de sortie du territoire pourra être complétée par l'interdiction touchant les transporteurs ou celle prohibant le contact avec des personnes assignées à résidence déjà impliquées dans des actes terroristes.

La suppression des messages terroristes sur internet est une mesure de prévention qui fait avant tout appel à l'esprit de responsabilité des hébergeurs professionnels du net -ils l'ont manifesté, le ministre l'a rappelé. Il en va d'ailleurs de leur intérêt économique. Porter à quarante-huit heures le délai avant le blocage nous paraissait opportun en cas de désaccord entre hébergeur et éditeur : cela permettrait d'arriver plus souvent à un retrait effectif.

L'Assemblée nationale a prévu l'intervention d'une personnalité qualifiée de la Cnil -instance la plus légitime- dans le dispositif. Certains estiment que le mécanisme ne sera pas efficace à 100 %. Certes, il n'est pas parfait et les plus déterminés réussiront toujours à le contourner mais ce n'est pas une raison pour ne rien faire et le retrait d'une bonne partie des contenus illégaux permettra sans doute d'éviter l'endoctrinement de nombreux jeunes.

Tout a été fait pour que ces mesures soient assorties de garanties du respect des libertés individuelles. Ce nouveau pas dans la lutte contre le terrorisme a donc pu se faire dans un climat d'apaisement : c'est un signe de maturité et de solidité de notre société dont nous pouvons nous féliciter. (Applaudissements sur les bancs socialistes, RDSE, UDI-UC et UMP)

M. Jean-Jacques Hyest, co-rapporteur de la commission des lois .  - Ce projet de loi fait suite à d'autres textes sur le terrorisme, qui ont toujours été votés dans un large consensus. Il faut bien adapter notre droit aux nouvelles pratiques mais en étant précautionneux pour préserver les droits de la défense. Tous les pays n'ont pas su le faire.

Ce texte reprend la distinction prévention-répression, vieux souvenir de nos cours de droit. À la justice administrative la première, à la justice judiciaire la seconde. La justice administrative a autant le souci des libertés. Ne mélangeons pas tout, sauf à détruire notre édifice institutionnel. Je ne suis pas sûr que M. Mézard soit convaincu... (Sourires)

Nous disposons d'outils juridiques mais les magistrats n'ont pas les moyens adéquats pour lutter contre les nouvelles formes de terrorisme.

L'article 3 élargit la définition du terrorisme. L'article 4 transfère les délits de provocation à la commission d'actes de terrorisme et d'apologie du terrorisme de la loi sur la liberté de la presse dans le code pénal.

Dès lors, les procédures liées à la criminalité organisée pourront être mises en oeuvre. Ce texte va toutefois créer un précédent. Tous les faits d'apologie ou de provocation seront concernés -ce qui paraît disproportionné et encombrerait les juridictions. En outre, l'Assemblée nationale complexifie le dispositif avec une procédure à géométrie variable selon qu'il s'agit d'apologie ou de provocation. Ce n'est pas de bonne méthode. La commission des lois a donc préféré s'en tenir aux faits commis sur internet, les autres faits d'apologie continuant de relever de la loi de 1881. Il s'agit de viser les groupes organisés professionnels.

Internet présente des spécificités comme l'interactivité, qui justifient un traitement particulier. Comme le note le rapport Marc Robert, la loi sur la presse n'est plus adaptée à internet, nous devrons faire évoluer les choses.

Ce projet de loi crée une infraction relative à l'entreprise individuelle de préparation d'un acte terroriste. Dans les cas d'auto-radicalisation, il n'y a pas d'association de malfaiteurs. Les députés ont prévu trois conditions constituant ce nouveau délit ; nous avons précisé et, pour éviter une confusion, supprimé de son champ les notions de crime de guerre et de crime contre l'humanité. Tous les juges que nous avons entendus nous ont alertés sur cette bizarrerie.

L'article 7 étend la compétence de la juridiction de Paris ; l'article 7 bis, celle de la cour d'appel de Paris pour l'examen des demandes d'exécution d'un mandat d'arrêt européen.

Je ne reviens pas sur l'article 15, sinon pour remarquer la belle continuité entre ministres.

M. Henri de Raincourt.  - C'est rassurant !

M. Jean-Jacques Hyest, co-rapporteur.  - La continuité de l'État, c'est celle des ministères, certes, mais aussi celle du Parlement.

M. Henri de Raincourt.  - C'est pour cela qu'on y reste ! (Sourires)

M. Jean-Jacques Hyest, co-rapporteur.  - Ce travail ne sera sans doute pas achevé avant de nombreuses années. N'oublions pas que le terrorisme vise à détruire notre démocratie ! (Applaudissements sur les bancs socialistes, RDSE, UDI-UC et UMP)

Hommage à une délégation portugaise

M. le président.  - Je suis très heureux de saluer en votre nom la présence, dans notre tribune d'honneur, d'une délégation de l'Assemblée de la République portugaise, conduite par M. Carlos Alberto Gonçalves, député et président du groupe parlementaire d'amitié Portugal-France.

La délégation, accompagnée par notre collègue Alain Néri, du groupe sénatorial d'amitié France-Portugal, s'intéresse particulièrement aux relations économiques et culturelles entre nos deux pays. Elle se rendra demain et après-demain à Clermont-Ferrand et dans le Puy-de-Dôme, où elle rencontrera la nombreuse et vivante communauté portugaise. La France et le Portugal entretiennent en effet, depuis des siècles, des relations politiques, économiques, humaines, culturelles très étroites et très denses.

L'appartenance commune à l'Union européenne et une vision partagée des défis du monde d'aujourd'hui ont encore renforcé cette proximité. Formons le voeu que votre visite contribue à rendre nos liens encore plus intenses et résolument tournés vers l'avenir.

Nous vous souhaitons la plus cordiale bienvenue au Sénat ! (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent)

Commission d'enquête (Nominations)

M. le président.  - Je rappelle que les groupes ont présenté leurs candidats pour la commission d'enquête sur l'organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe.

La présidence n'a reçu aucune opposition. En conséquence, ces candidatures sont ratifiées.

Lutte contre le terrorisme (Procédure accélérée - Suite)

Discussion générale (Suite)

Mme Éliane Assassi .  - À cette heure, j'ai une pensée particulière pour la famille d'Hervé Gourdel. Le groupe CRC condamne toute attaque envers notre République. Face à cette barbarie, nous devons faire bloc. Mais, une fois de plus, je regrette le recours, devenu systématique en matière de terrorisme, à la procédure accélérée, au mépris du débat démocratique.

M. Jacques Mézard.  - Très bien.

Mme Éliane Assassi.  - Le dernier texte en la matière n'a que dix-huit mois... Un tel sujet mérite le temps de la réflexion car il s'agit de mesures attentatoires aux libertés individuelles et souvent dérogatoires au droit commun. Faut-il y revenir au motif que la menace a changé ?

M. Michel Mercier.  - Bien sûr !

Mme Éliane Assassi.  - Le terrorisme interpelle les capacités de résistance politique et sociétale d'une démocratie ; le respect des libertés fondamentales n'est pas un luxe réservé aux temps de paix et de prospérité. La Cour européenne des droits de l'homme, dès 1978, précisait que les États ne sauraient prendre n'importe quelle mesure au nom de la lutte contre l'espionnage. La démocratie n'est pas un acquis ; c'est un ensemble de libertés et de droits qui fondent la sécurité humaine.

Loin de tout angélisme, je me refuse à céder au tout sécuritaire. Le développement de procédures d'exception appelle à une vigilance toute particulière. La législation anti-terroriste n'a cessé de grossir, a-t-elle aidé à limiter le phénomène ? Nombre d'experts considèrent qu'elle est aujourd'hui suffisante ; c'est ce qui ressort des travaux de la commission sénatoriale sur l'application des lois.

Les actes de terrorisme doivent être combattus avec force. Quels moyens déployer pour l'éradiquer ? Le projet de loi n'est pas sans lacunes... Les réseaux terroristes sont au fait des nouvelles technologies de l'information et de la communication ; ils savent tirer parti de la mondialisation. Je regrette que l'on ne s'en prenne pas aux réseaux de financement du terrorisme, que l'on ne fasse rien contre les États qui les soutiennent.

La prévention doit s'opérer sur le plan sécuritaire, certes, mais aussi sur le plan social, économique, humain. La lutte contre la menace terroriste fonctionne comme un argument d'autorité, forçant l'adhésion. Le syndicat de la magistrature l'a dénoncé. Et le Gouvernement porte aujourd'hui des mesures diamétralement opposées à ce que disait la gauche hier, oubliant sa saisine du Conseil constitutionnel et persistant dans la logique de surenchère sécuritaire.

L'article premier restreint la liberté d'aller et de venir dans une formulation bien vague. Présumera-t-on la culpabilité d'une personne avant même son départ pour l'étranger ? Aucune intervention du magistrat du siège avant l'interdiction administrative, s'inquiète la présidente de la Commission consultative des droits de l'homme, Christine Lazerges. Le syndicat de la magistrature craint des dérives discriminatoires ; l'Union syndicale de la magistrature s'inquiète elle aussi. D'où notre amendement de suppression.

Même si la commission des lois a amélioré la rédaction du texte concernant le blocage administratif des sites, le dispositif reste éminemment critiquable. Le Conseil du numérique, dans un avis du 25 juin 2014, l'a jugé inefficace et inadapté. L'intervention d'une personnalité nommée par la Cnil ne suffit pas à rendre légitime une procédure qui rend l'autorité administrative toute puissante pour déterminer ce qui relève de l'apologie du terrorisme et ce qui relève de la contestation de l'ordre social.

Le régime de la loi de 1881 sur la presse est remis en cause. Ne va-t-on pas considérer tous les écrits radicaux de contestation sociale -vous voyez où je veux en venir- comme apologie du terrorisme ? Le délit d'opinion se profile...

Le délit d'entreprise terroriste individuelle s'accompagne d'éléments matériels détaillés ; j'y reviendrai lors de la discussion des amendements. Mon groupe est opposé à la création de ce délit, comme aux mesures qui ont plus à voir avec la délinquance en général ou la gestion des migrations, voire des mouvements sociaux contestataires, qu'avec le terrorisme.

Nous ne minimisons en rien la réalité du terrorisme. Commençons par nous pencher sur les facteurs psychologiques et sociaux qui le nourrissent. Nous nous prononcerons en fonction du sort réservé à nos amendements. (Applaudissements sur les bancs CRC)

M. Jacques Mézard .  - Le terrorisme n'est pas une nouveauté. Ce qui change, ce sont les modalités de préparation, d'exécution, l'utilisation médiatique. Interrogeons-nous sur la politique des occidentaux en Irak, en Syrie, en Lybie. Fallait-il exécuter le seul parti laïc ? C'est un autre débat.

Nous regrettons, comme Mme Assassi, que ce projet de loi fasse l'objet d'une procédure accélérée. Cela ne permet pas de bien travailler.

Mme Éliane Assassi.  - C'est vrai !

M. Jacques Mézard.  - Notre droit souffre aussi de l'avènement de l'ère numérique. La loi de 1881 n'est plus adaptée ; il faut un véritable débat prospectif. Face à la cybercriminalité, le rapport Robert souligne l'hésitation constante entre la réponse administrative et la réponse judiciaire. Quel est le bon moment pour intervenir ? En amont ? Un loup solitaire, potentiellement dangereux, qui n'a encore commis aucune infraction, n'encourt que des peines faibles. A contrario, intervenir en aval est bien risqué. Là réside le noeud gardien d'une lutte efficace contre le terrorisme. Le développement d'internet a rendu nos schémas d'appréhension de la criminalité désuets. J'ai eu à intervenir, dans ma communauté d'agglomération, pour des consultations depuis la médiathèque de sites terroristes par des Tchétchènes : tous les départements sont touchés. D'après la presse, une adolescente de 15 ans a pu sans difficulté, dans une famille athée, soudée, être embrigadée en visionnant des vidéos sur internet.

Ce volet de la lutte contre le terrorisme est nécessaire mais doit aller de pair avec le renforcement des moyens d'investigation des services de police. D'où nos amendements. La prévention est trop absente de ce texte. Le terrorisme est malheureusement endogène ; il faut mieux comprendre le phénomène pour empêcher l'émergence d'une nouvelle génération de terroristes. L'école de la République doit être sensibilisée. La création d'un numéro vert et d'une plate-forme d'assistance va dans le bon sens.

L'interdiction de sortie du territoire est une mesure forte, qui peut être dangereuse pour les libertés publiques. Elle doit être motivée et n'être utilisée que par défaut. L'arbre ne doit pas cacher la forêt. Le retrait de la carte nationale d'identité n'arrêtera pas la mobilité au sein de l'espace Schengen. L'Europe des libertés est devenue exportatrice de terroristes.

La domiciliation des hébergeurs à l'étranger obère toute action. Le texte propose une solution simple, peut-être simpliste. Faire l'économie du juge résonne comme un signe d'impuissance de l'État de droit. La commission des lois du Sénat a estimé que le régime spécial de la loi de 1881 devait continuer à s'appliquer. Les liens entre le terrorisme et les technologies numériques sont de plus en plus étroits. La loi de 1881 ne répond pas à cette problématique et M. Mercier a émis des propositions qui méritent d'être étudiées.

Nous sommes sans doute trop réactifs, au lieu d'être prospectifs. La stratégie, c'est d'avoir toujours un coup d'avance. Prenons un peu plus de temps pour être prospectifs, nous en serons plus efficaces pour la protection des libertés. C'est sous cette réserve prospective que mon groupe apportera son soutien unanime à ce texte. (Applaudissements sur les bancs RDSE et sur quelques socialistes, UDI-UC et UMP).

M. Michel Mercier .  - Le principal apport de votre texte, monsieur le ministre, est qu'il existe. Réagir au terrorisme est nécessaire mais votre texte marque une évolution profonde des esprits. Souvenez-vous de la position de la commission d'application des lois il y a deux ans. Les esprits ont bien évolué ! Je m'en réjouis car il faut agir ensemble contre le terrorisme. Que le ministre propose de nouvelles incriminations pénales est intéressant. Cela montre que si les terroristes sont parfois les plus forts, ils ne doivent pas l'emporter.

Vous réagissez, c'est bien, car le terrorisme est intelligent, il évolue. Au législateur d'adopter les articles juridiques nécessaire pour protéger nos concitoyens.

Le nombre de départs pour le djihad ne cesse d'augmenter, de 200 à 350 depuis 2014. On sait les menaces bien réelles que fait peser leur retour potentiel en France. Face à cette menace, le texte respecte-t-il l'équilibre fondamental entre libertés et protection des citoyens ? Pour ma part, je réponds oui, sans hésitation.

L'interdiction de sortie du territoire est une mesure importante qui vient combler une lacune dans notre arsenal de lutte contre le terrorisme. Ce type de disposition existe déjà en Allemagne et au Royaume-Uni.

Le blocage administratif des sites a suscité de longs débats à l'Assemblée nationale. Il est ciblé, s'effectue sous le contrôle d'une personnalité qualifiée de la Cnil et sera soumis au contrôle du juge administratif, toujours protecteur des libertés individuelles.

M. Alain Richard, co-rapporteur.  - Très bien !

M. Michel Mercier.  - La puissance publique doit avoir les moyens de faire cesser au plus vite les comportements dangereux.

La création du délit d'entreprise terroriste individuelle répond au phénomène croissant des « loups solitaires ». L'apologie d'actes terroristes et la provocation au terrorisme deviennent un délit pénal ; c'est bien. Je suis attaché à la grande loi de 1881, qui fait partie des grands textes qui fondent notre droit public, nos libertés publiques. Mais ce qui compte, dans une telle loi, c'est la liberté ! Quand le terrorisme a triomphé, que reste-t-il de la liberté de la presse ? Depuis Saint-Just, on peut se poser la question... Mais la loi de 1881 ne peut pas nous aider dans la lutte contre le terrorisme : il faut sortir la punition des actions liées au terrorisme de cette loi, si l'on veut préserver la liberté de la presse. La commission des lois du Sénat devra s'y pencher.

J'en viens à l'Agence de gestion de recouvrement des avoirs confisqués (AGRASC). Les moyens délégués par l'Agence devraient aussi bénéficier au ministère de la justice... Laissez-lui quelques sous pour équiper ses services, monsieur le ministre de l'intérieur ! (Sourires)

Pour conclure, je tiens à féliciter pour leur action les policiers et les magistrats, notamment ceux du parquet antiterroriste de Paris, et à les remercier pour la lutte sans relâche qu'ils mènent contre ce fléau. La lutte contre le terrorisme est un grand défi. Il ne doit leur manquer aucun outil législatif. L'excellent travail de nos co-rapporteurs a encore amélioré le texte, que le groupe UDI-UC votera unanimement. (Applaudissements)

Mme Esther Benbassa .  - Le projet de loi de 2012 avait été présenté au Parlement à la suite de l'effroyable affaire Merah et de l'attaque à la grenade contre une épicerie juive de Sarcelles. Le contexte actuel est plus lourd encore, avec l'implantation de « l'État islamique », État « islamiste », plutôt. Nos compatriotes ont peur, à raison. Nous avons tous été touchés par le meurtre d'Hervé Gourdel et la décapitation d'autres occidentaux. Tout cela nous impose d'agir vite, efficacement, mais pas sous l'emprise de la peur : rien ne justifie que l'on brade nos libertés.

Notre objectif doit être de prévenir autant que de réprimer. Il ne suffit pas de légiférer, encore faut-il appliquer les textes votés, dégager les moyens suffisants. Pourquoi ces jeunes, y compris de nouveaux convertis, se découvrent-ils une vocation de djihadiste ? À voir leurs parents et grands-parents humiliés pendant des générations, ils ne se sentent plus d'avenir dans notre pays. L'école de la République a échoué dans sa mission d'inclusion pour ne s'intéresser qu'aux élèves qui réussissent.

M. Alain Richard, co-rapporteur.  - Inacceptable ! Stupide et inacceptable.

Mme Esther Benbassa.  - Je vous demande la courtoisie.

M. Alain Richard, co-rapporteur.  - Je vous demande la mesure !

Mme Esther Benbassa.  - Cet échec est celui de la France, celui de l'Europe, incapables de donner une vie décente à leurs immigrés et à leurs descendants. Hier, on partait en Espagne soutenir les Républicains, en Amérique latine faire la révolution. Aujourd'hui, quelle perspective, pour une jeunesse à l'énergie bridée et sans repère ? Le djihad, hélas !

Je rappelle notre rejet de toute forme de violence, de toute forme de terrorisme aveugle, notre attachement inconditionnel aux valeurs humanistes. Inventons des solutions pour qu'à l'école, en prison, dans la vie de tous les jours, la laïcité prenne tout son sens. Il faut remédier sans délai à la panne de l'ascenseur social, à l'abandon des quartiers populaires. Sans une prise de conscience de ces questions, notre combat contre le terrorisme pourrait bien être perdu d'avance.

Comme l'affirme avec force la Commission nationale consultative des droits de l'homme dans son avis du 14 septembre dernier : « les États ne sauraient prendre, au nom de la lutte contre le terrorisme, n'importe quelle mesure jugée par eux appropriée dès lors que cela aboutirait à saper, voire détruire la démocratie au motif de la défendre. » Le texte proposé atteint-il le juste équilibre entre efficacité de la lutte contre le terrorisme et protection des libertés individuelles ? Pour lutter contre le départ de personnes isolées pour le djihad, l'article premier crée une interdiction de sortie du territoire pour une durée de six mois renouvelable ; elle implique le retrait immédiat des pièces d'identité contre récépissé. Cette mesure constitue une atteinte à la liberté d'aller et venir...

M. Jean-Jacques Hyest, co-rapporteur.  - C'est dur !

Mme Esther Benbassa.  - ...sans contrôle du juge judiciaire ni respect du débat contradictoire.

L'article 5 crée une infraction d'entreprise individuelle terroriste, passible de dix ans d'emprisonnement. Loups solitaires, dites-vous ? Peut-on partir au djihad sans s'y être préparé, avoir noué des liens, intégré un réseau ? Le dispositif pénalise l'intention, en contradiction avec nos principes puisque notre droit pénal exige un commencement d'exécution pour caractériser une infraction.

L'article 4 détache les délits de provocation directe et d'apologie d'actes terroristes de la loi de 1881 pour les intégrer au code pénal. Un site qui loue les exploits du parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) en Irak aura-t-il encore le droit de le faire, quand ce droit resterait reconnu à des journaux papier ? Tout cela nécessite de grandes précautions.

A l'article 9, le blocage des sites internet faisant l'apologie du terrorisme a fait l'unanimité contre lui. Elle doit être envisagée avec prudence... Cette disposition, en l'absence d'intervention du juge judiciaire...

M. Jean-Jacques Hyest, co-rapporteur.  - Ah !

Mme Esther Benbassa.  - ...ne répondant pas à l'objectif d'efficacité -le contournement est aisé- et n'offrant aucune garantie de proportionnalité, ne peut être conservée en l'état.

Je ne suis pas plus convaincue qu'il y a deux ans que cela nous protégera contre les Mohamed Merah et Mehdi Nemmouche de demain. Monsieur le ministre, vous avez voté contre la loi Loppsi 2 de MM. Sarkozy et Hortefeux avec l'ensemble des parlementaires socialistes et qualifié la mesure de blocage des sites internet de liberticide. Nous ne pouvons, en cohérence avec ce que nous défendons depuis longtemps, voter ce texte. (Applaudissements sur les bancs CRC et écologistes)

M. Jean-Patrick Courtois .  - Oui, la lutte contre le terrorisme est un impératif permanent des pouvoirs publics. Le contexte international nous presse de répondre aux nouvelles menaces, de durcir notre arsenal pénal mais surtout d'adapter notre législation aux nouveaux risques. Ayant été plusieurs fois rapporteurs de textes relatifs à la lutte contre le terrorisme, je sais que le phénomène a évolué. L'affaire Merah a tragiquement inauguré l'ère nouvelle des loups solitaires ; ces individus, difficilement prévisibles, doivent être empêchés de sévir sur notre territoire, notamment après leur retour de camps d'entraînement à l'étranger.

Nous approuvons l'esprit général du texte. Le renforcement de notre arsenal pénal comme des moyens de police judiciaire était nécessaire. La justice pourra agir plus efficacement. L'extension aux mandats d'arrêt européens et aux demandes d'extradition des compétences du pôle anti-terrorisme et de la Cour d'appel de Paris vont dans le bon sens. Nous approuvons l'excellent travail des rapporteurs. La commission des lois a judicieusement modifié le texte sur leur proposition. L'usage de moyens d'enquête plus performants est indispensable pour adapter la répression à la menace sur internet, limitant la loi de 1881 aux supports traditionnels et améliorant les conditions de conversation des données de sécurité. Que de temps perdu, cependant, puisque la nouvelle majorité a travaillé a minima sur la loi que Nicolas Sarkozy avait présentée en 2012. Nous voulons aujourd'hui un travail législatif constructif, la sécurité des Français est en jeu.

Les services français pourront-ils encore longtemps compter sur leur chance ? Il y a quelques semaines, la DGSI s'est trouvée dans une situation inconfortable lorsque trois djihadistes présumés ont échappé à sa vigilance suite à un changement de vol que les services turcs avaient oublié de signaler, passant les contrôles à Marseille sans encombre en raison des carences, dénoncées depuis des années par les syndicats de police, de dispositifs informatiques fondamentaux pour la sécurité de notre pays.

Jusqu'ici, notre dispositif antiterroriste a plutôt été efficace ; aucun attentat islamiste n'est à déplorer entre 1996 et 2012, il faut s'en féliciter, mais force est de constater que la menace se rapproche lorsqu'on considère le nombre de jeunes attirés par la guerre en Syrie et en Irak.

Je m'interroge sur le contrôle aux frontières de l'espace Schengen. Dans cet espace, le contrôle systématique des ressortissants de l'Union européenne est interdit. Il a dans les faits une vocation migratoire et non policière.

Le système de contrôle des passagers du transport aérien est intéressant mais pose des problèmes à la Cnil et à son homologue européen. La lutte contre le terrorisme doit prendre place dans le respect des libertés publiques mais il n'est pas inintelligent de réfléchir collectivement au niveau européen pour faire disparaître les cloisonnements et la culture du secret.

Quid du budget du Centre national des écoutes ? Il faut vous féliciter, monsieur le ministre, de l'ouverture du numéro vert destiné à l'assistance aux familles et à la prévention de la radicalisation violente.

Après l'affaire Merah, l'UMP avait souhaité un débat de fond sur la lutte contre le terrorisme. Ce ne fut hélas pas possible. Nous n'avons plus de temps à perdre. Nos débats doivent conduire à adapter notre dispositif aux réalités nouvelles pour le rendre efficace. Sous ces réserves, le groupe UMP votera ce texte. (Applaudissements sur les bancs socialistes, RDSE, UDI-UC et UMP)

M. Jean-Pierre Sueur .  - Tout a été dit sur la barbarie, l'horreur, la négation de l'humanité, en quoi consiste le terrorisme. Mille ressortissants français sont aujourd'hui impliqués dans des filières djihadistes en Syrie et en Irak. Des jeunes sont manipulés, la religion est instrumentalisée. Il importe que les autorités de l'islam en France aient dit avec force que le terrorisme est contraire à leur religion.

La plus grande victoire du terrorisme serait qu'en voulant lutter contre lui, nous renoncions à nos libertés. Mais laisser faire, c'est porter atteinte à la liberté de vivre, d'échapper aux crucifixions et décapitations. Nous devons dès lors écrire un texte équilibré, efficace dans la lutte contre le terrorisme et conforme à notre attachement aux libertés. J'ai été membre de la délégation parlementaire au renseignement. Depuis trois ans, j'ai eu l'occasion de rencontrer des membres des services. Je tiens à dire mon admiration et mon respect pour ces hommes et ces femmes qui mènent une mission extrêmement difficile avec beaucoup d'abnégation.

À l'Assemblée nationale et ici, en commission, des propositions ont été faites pour améliorer le texte et prendre en compte la nécessaire précaution quant à la défense des libertés publiques.

Les députés ont mieux défini l'entreprise terroriste individuelle ; au moins deux éléments, qui doivent donner lieu à des preuves, seront nécessaires pour caractériser l'infraction.

Sur l'interdiction de sortie du territoire, le groupe socialiste a présenté plusieurs amendements ; l'un d'entre eux fait référence à des faits précis et circonstanciés. Un autre porte sur les modalités du récépissé, qui ne doit pas avoir d'autre conséquence que ce pourquoi il existe. Dès lors que le juge administratif est saisi, nos rapporteurs ont préconisé que les délais dans lesquels il devra statuer soient précisés par la loi. Un amendement socialiste précise qu'en cas de prolongation de la mesure, il faudra donner place au principe du contradictoire. Le rapporteur m'a répondu ce matin que cet amendement est inutile au regard des textes. Nous allons le vérifier. Nous pourrons alors le retirer.

Un mot de la commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, que le président Hyest connait bien. Nos rapporteurs proposent sagement d'en rester à dix jours de conservation des données et non plus trente. La prolongation ne doit être en aucun cas systématique. C'est une mesure positive, qui témoigne encore une fois de notre attachement aux libertés et au bon exercice du droit.

La loi de 1881 est l'une des grandes lois de la République, souvent évoquée au Sénat. Ne transférer dans le code pénal que ce qui relève de l'apologie ou de la provocation du terrorisme sur internet me paraît judicieux.

Les députés ont eu l'idée de donner un pouvoir à une personne compétente désignée par la Cnil. Nous ajoutons que celle-ci doit en être membre. J'espère d'ailleurs que la proposition de loi Gélard sur les autorités administratives indépendantes viendra bientôt devant nous.

Je pense utile qu'une commission d'enquête parlementaire, telle que celle dont la création a été demandée par le groupe UDI-UC, continue à travailler sur ces sujets.

Sur l'interdiction administrative des sites internet, je précise que toute décision de cette nature peut être contestée devant le juge administratif et la priorité reste le retrait, non le blocage ; il faudra que le décret paraisse vite -celui sur l'interdiction des sites pédopornographiques n'est pas encore publié...

J'ai bien entendu certains arguments. On dit que le dispositif sera sans effet, qu'on ne peut pas bloquer, que les sites renaîtront... Je n'accepte pas cette résignation. C'est désespérer de l'intelligence que de considérer qu'il y aurait une sphère où le droit ne s'appliquerait pas, ni le droit d'auteur, ni la propriété intellectuelle, ni la lutte contre le racisme, l'antisémitisme, l'apologie du terrorisme. Il faut inlassablement se battre au niveau européen, mondial aussi bien sûr, pour qu'internet soit un espace de droit. Ne renonçons pas ! (Applaudissements sur les bancs socialistes, RDSE, UDI-UC et sur plusieurs bancs UMP)

Mme Joëlle Garriaud-Maylam .  - Si l'actualité des dernières semaines renforce l'urgence en la matière, le défi est antérieur à l'aggravation de la situation au Moyen-Orient. L'Assemblée parlementaire de l'Otan m'a confié un rapport sur la nécessaire adaptation aux nouveaux visages du terrorisme. Nous combattons aujourd'hui des mouvements protéiformes. Il y a plus d'un an, la commission d'enquête de l'Assemblée nationale concluait à l'insuffisance des moyens de lutte humains, matériels et juridiques. Je tiens d'emblée à appeler au déblocage de moyens importants pour accompagner ce texte. Nous serons vigilants.

La pénalisation nouvelle ouvre de nouvelles possibilités d'investigation. Et avec l'article 4, les enquêteurs disposent de moyens d'enquête renforcés. Je suis, à l'inverse, un peu sceptique sur l'efficacité du blocage administratif des sites internet. Ne vaut-il pas mieux surveiller les visiteurs de ces sites ? Cette mesure est une atteinte disproportionnée à la liberté d'information et d'expression ; elle crée un précédent fâcheux, comme le souligne la Quadrature du net. Un contrôle démocratique est indispensable. Renier nos valeurs fondamentales, c'est déjà donner la victoire aux terroristes.

Internet est davantage une chambre de résonance pour individus déjà radicalisés plutôt qu'une porte d'entrée vers le terrorisme.

L'exemple chinois illustre les difficultés, même par un État, de maîtriser la diffusion sur les réseaux sociaux.

La création d'un délit d'entreprise individuelle terroriste est bienvenue mais potentiellement dangereuse en cas d'arrestation en amont. La présomption d'innocence est un fondement de notre état de droit. Renforcer la surveillance est plus efficace qu'une répression préventive. Voyez ce qui se passe au Royaume-Unis avec les imams modérés...

MM. Alain Richard et Jean-Jacques Hyest, co-rapporteurs.  - Curieuse expression !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam.  - Je m'interroge sur la nécessité de retirer physiquement les pièces d'identité. J'appelle de la retenue dans l'application de l'interdiction de sortie du territoire. Attention à ne pas freiner les échanges avec des zones où les Français ne sont pas assez présents et à ne pas fragiliser les économies de pays largement dépendant du tourisme.

En droit international, il est impossible d'empêcher un Français de rentrer en France et la déchéance de nationalité envisagée par certains n'est pas à l'ordre du jour chez nous.

J'approuve la recommandation de la Commission nationale consultative des droits de l'homme d'accompagner, au titre de l'enfance en danger ou de l'enfance délinquante...

M. Jean-Jacques Hyest, co-rapporteur.  - Ce n'est pas là même chose !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam.  - ...les mineurs qui rentrent en France.

Mineurs ou majeurs, le travail de déradicalisation, de contre-propagande est essentiel. En a matière, nous avons encore beaucoup à apprendre de nos partenaires britanniques ou américains.

Le Conseil européen de juin dernier a montré l'importance de la coordination intra-européenne et du partenariat avec les pays tiers. Aucun pays ne peut lutter seul : une stratégie concertée est indispensable. Chacun de nos États a ses traditions mais le cloisonnement actuel n'est plus de mise. Certains organismes internationaux sont redondants. J'appelle de mes voeux le développement de procédures inter-gouvernementales et la création d'un observatoire pérenne ou d'une mission internationale d'assistance technique judiciaire et administrative aux États qui en ont besoin. (Applaudissements sur les bancs UMP)

La séance suspendue à 17 heures 15 reprend à 17 heures 30.

M. Jean-Yves Leconte .  - Ce texte n'est pas la première loi de ce type. Toutes touchent aux libertés individuelles, ce qui rend leur examen délicat. Il ne faudrait pas sacrifier ces libertés essentielles pour un sentiment temporaire de sécurité. Je salue le travail des députés et de nos rapporteurs pour trouver un équilibre.

Nous devons nous poser des questions sur notre société. Beaucoup de jeunes européens quittent leur pays pour commettre des actes violents en Syrie et en Irak. Les dispositions de ce projet de loi sont curatives, parent au plus pressé, mais il faut se poser plus fondamentalement la question de savoir ce qui entretient ce phénomène. Quelle est cette société qui provoque l'exclusion, la violence, dont les valeurs sont en décalage avec la parole publique ? Quelles sont les motivations de ces départs ? Où en est notre contrat social ? Attention également à ne pas légitimer la thèse du choc des civilisations : le Maroc, la Tunisie, l'Égypte, l'Algérie font face aux mêmes difficultés que nous. Avec internet, chacun vit dans sa bulle, la capacité des États à être un cadre de vie sociale s'amenuise. Cela nous oblige à favoriser le développement d'une citoyenneté numérique et force à la coopération internationale. Outre les acteurs du net, nous devons mobiliser toutes les composantes de nos civilisations : familles, partis, syndicats, religions, associations, etc.

Le Conseil constitutionnel ne sera peut-être pas saisi de ce projet de loi ; nous ne sommes pas à l'abri de questions prioritaires de constitutionnalité ultérieures. En effet, l'article premier heurte les conventions internationales auxquelles la France est partie car elle limite la liberté d'aller et venir. Cela posé, l'interdiction de sortie du territoire vise à protéger des familles et s'inscrit dans le droit fil de la résolution des Nations Unies du 24 septembre dernier. La notion de Français résidant en France pose question -nous y reviendrons.

L'Europe est la solution, c'est vrai, monsieur le ministre. Il faudra revoir les outils existants, notamment le système d'information Schengen (SIS) et le système VIS.

S'il est indispensable de créer une nouvelle infraction, il n'est pas nécessaire de sortir l'ensemble des dispositions relatives à l'apologie du terrorisme du régime de la loi de 1881. Il aurait mieux valu tout y maintenir et définir plus précisément le délit de menace -j'ai déposé un amendement dans ce sens. Avec la création du délit d'entreprise individuelle, on peut se satisfaire néanmoins de l'introduction dans le code pénal d'un tel principe de précaution.

Monsieur Sueur, on ne peut légiférer contre la réalité. Renforcer le pouvoir des États face à internet ne contraindra pas ce dernier à filer droit. C'est pourquoi je suis hostile au blocage. J'y reviendrai lors de la défense des amendements.

Porter le délai de vingt-quatre à quarante-huit heures est utile et permettra d'expliquer les raisons d'une censure. Reste qu'il est impossible de bloquer des sites.

Je rends hommage à mon tour à tous les consulats et ambassades en Irak, en Syrie, au Liban qui assistent nos compatriotes et reçoivent les demandes de visas.

Sécurité et liberté, opposition classique de la philosophie politique, concilier les deux est plus que jamais d'actualité. Il ne peut y avoir de contrat social sans responsabilité citoyenne.

Le terrorisme, c'est le gouvernement de la peur, qui peut conduire à l'absolutisme.

M. Roland Courteau.  - Très bien !

M. Jean-Yves Leconte.  - Ce projet de loi fait évoluer le droit -il le fallait- mais il ne règle pas tout. Il faudra plus de coopération et s'appuyer sur les citoyens partout dans le monde. Sans mobilisation citoyenne, pas de lutte efficace contre le terrorisme. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. François Bonhomme .  - Élu du Tarn-et-Garonne, de Montauban, où Mohamed Merah a commis son sinistre forfait, je mesure l'importance de la création du nouveau délit d'entreprise terroriste individuelle.

Fiché à la suite de son séjour en Afghanistan, Mohamed Merah a été surveillé et même convoqué par la DCRI en janvier 2011. Pourtant, il a pu agir. Cela pose la question des moyens alloués aux services et de la coopération police-justice.

L'interdiction de sortie du territoire est à saluer mais pose la question de la coopération internationale.

Contrôler internet, certes, mais il faut veiller à l'applicabilité de telles mesures. La plupart des arrestations pour actes de terrorisme en France ont lieu grâce aux preuves collectées sur internet : que fera-t-on si les preuves sont effacées ? De plus, les sites peuvent être dupliqués, sans parler du recours au dark web qui échappe aux moteurs traditionnels.

Je me réjouis que chacun appelle à lutter contre le terrorisme alors que les dispositions en ce sens de la loi sur la sécurité intérieure n'avaient pas fait l'unanimité dans cet hémicycle. Tout le monde a le droit de s'amender... Ce projet de loi est équilibré. Les outils de lutte sont améliorés, les libertés protégées.

Pourtant, les ligues de vertu n'ont pas manqué de ressasser la litanie habituelle de l'obsession sécuritaire de l'État, dont nous serions les complices consentants... Je crois plutôt que ce sont eux des obsédés de l'obsession sécuritaire... D'aucuns ont convoqué Michel Foucault à l'appui de leurs préjugés : laissons les philosophes à leur place... À chaque avancée de la lutte anti-terroriste, on entend les mêmes réactions. Pour certains, le risque n'est jamais suffisamment avéré, suffisamment important...

Mme Éliane Assassi.  - Vraiment n'importe quoi !

M. François Bonhomme.  - Pourtant, tous les experts s'accordent pour affirmer que notre pays sera frappé. Seul le moment est inconnu...

Mme Éliane Assassi.  - Ça, c'est une information !

M. François Bonhomme.  - Le risque est avéré. Les candidats au djihad n'ont jamais été aussi nombreux.

Ce texte respecte l'exigence de proportionnalité des peines. Sans irénisme ni rodomontades, regardons froidement le terrorisme dans ses formes nouvelles pour y faire face. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Jacques Bigot .  - J'ai souhaité, le quinzième jour de ma présence dans cette assemblée, m'exprimer sur ce texte car j'ai eu à connaître, en tant que président de la communauté urbaine de Strasbourg, du drame qu'a constitué la radicalisation de six jeunes et dû faire face aux risques d'amalgames visant la communauté musulmane de la ville.

Ce projet de loi équilibre parfaitement les moyens de la lutte contre le terrorisme et la protection des libertés. L'interdiction de sortie du territoire répondra à la détresse des familles. Les garanties sont là : contrôle du juge, débat contradictoire. Je vois dans cette mesure le moyen de protéger nos concitoyens comme les familles de jeunes radicalisés.

Il faut enrayer l'embrigadement de notre jeunesse. La mondialisation, l'ouverture des frontières, internet rendent la chose plus facile. Le dispositif de blocage des sites n'est pas parfaitement satisfaisant, c'est vrai, mais ce n'est pas une raison pour y renoncer. Il nous faut plus largement réfléchir à la liberté de la presse.

Le juge judiciaire a un rôle répressif, le juge administratif celui de contrôler l'administration.

Le juge des libertés est, à la lettre, celui qui met ou non en détention ; ce n'en est pas moins le juge administratif qui est le garant de l'exercice des libertés. L'équilibre trouvé entre les deux est bon. Nous sommes passés de Gutenberg à la télévision, puis à internet ; il faut en tirer les conséquences. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Pierre Charon .  - Ce texte incite à dépasser les clivages pour nous intéresser à la sécurité des Français, seul sujet qui vaille.

Le problème n'est pas franco-français, on l'a dit : notre ennemi est un groupe international dont les ressources financières ridiculisent les budgets nationaux : riche du pétrole, le trésor de guerre de l'État islamiste de l'Irak et du Levant (EIL), estimé à un milliard de dollars, lui permet de recruter des mercenaires et de continuer à bafouer la dignité humaine. Que faire pour lutter contre la menace que font peser les jeunes partis faire le djihad qui, passés par les camps d'entraînement du Yémen, d'Afghanistan ou du Pakistan, deviennent de véritables bombes à retardement ? Nous avons une guerre de retard. Il faut l'aborder doublement.

D'abord, prendre acte que la guerre est d'un nouveau type, qui n'oppose plus sunnites et chiites et qui prospère sur l'affaiblissement des États et la porosité des frontières.

Les groupuscules terroristes profitent des faibles et des jeunes ; la radicalisation de masse ne se fait pas dans les mosquées salafistes mais sur internet. Les réseaux ont remplacé les imaginaires nationaux et se servent d'internet pour propager la haine.

Ensuite, vous êtes ministre de l'intérieur. La France est malade de l'intérieur, et le problème dépasse nos frontières. Je vous souhaite d'obtenir le soutien de vos collègues ministres de la justice et de l'éducation nationale et des moyens à la hauteur du défi. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Gaëtan Gorce .  - Je me bornerai à commenter l'article 9 du projet de loi. Le blocage des sites internet sera inefficace. Contourner un tel blocage est un jeu d'enfant, nous l'avons vu pour les jeux en ligne.

Pour autant, ce blocage partiel pourra être exercé et il est légitime que les délinquants ne soient pas impunis. Reste la question des modalités du contrôle d'internet, qui ne peut rester une zone de non-droit, bien qu'il soit un espace d'expression. À propos de la loi sur la confiance dans l'économie numérique, le statut des hébergeurs et des éditeurs étant assez libéral, leur responsabilité a été atténuée : on ne peut imposer aux hébergeurs une obligation de surveillance générale des sites. La Cour européenne des droits de l'homme a mis en garde contre le risque du surblocage. Le recours contre de telles décisions de blocage restera possible devant le juge administratif. Pourquoi ne pas en appeler au juge judiciaire, comme l'a fait le législateur avec les lois de 2004 et 2007, avec l'exception de la pédopornographie ? C'est ce que prônait la mission de l'Assemblée nationale en 2011.

Pourquoi cette incohérence? Le Conseil constitutionnel a estimé qu'il revenait au législateur de prendre ses responsabilités. Dans le cas de la pédopornographie, le délai est constitué par la simple mise en circulation des images, mais pour le terrorisme ? Comment apprécier le soutien au Hamas ou la participation de ressortissants français aux combats en Ukraine aux côtés de milices pro-russes? La loi a vocation à s'appliquer à tous...

L'intervention de la Cnil pose problème s'il faut faciliter la rapidité des prises de décision. En outre, le texte modifie le rôle de la Cnil, en l'étendant à tout ce qui concerne internet et en la chargeant de se prononcer sur les contenus. C'est pour le moins maladroit d'improviser ainsi.

L'article 9 ne me semble donc guère convaincant. Je soutiens toutefois l'ensemble du texte. (Applaudissements sur les bancs socialistes ; Mme Nathalie Goulet applaudit aussi)

M. Bernard Cazeneuve, ministre .  - Je salue le travail remarquable et le souci d'équilibre de Jean-Jacques Hyest et Alain Richard. Je remercie les orateurs de tous les groupes.

Nous sommes tous soucieux de lutter contre le terrorisme, dans le respect des libertés individuelles. Il n'y a pas d'un côté les liberticides, de l'autre les défenseurs des libertés : le texte issu de l'Assemblée nationale ne menace nullement nos libertés.

Mesdames Assassi et Benbassa, votre détermination à lutter contre le terrorisme ne fait pas de doute mais la précision même du texte ne vous satisfait pas. Pour vous, l'interdiction de sortie du territoire, pour empêcher des jeunes d'aller se faire tuer, attente à la liberté d'aller et venir, le blocage des sites à la liberté d'expression comme la pénalisation de l'apologie du terrorisme sur internet et l'infraction nouvelle d'entreprise individuelle terroriste est inutile. Que reste-t-il du texte, dès lors ? Rien. Et que proposez-vous donc pour lutter contre le terrorisme ?

Le problème est de fond, philosophique. Mme Benbassa considère que les jeunes partent faire le djihad du fait de leur relégation sur notre territoire et de l'impuissance de l'école à les maintenir dans le sein de la République. Curieuse manière de remercier les enseignants qui cherchent à leur transmettre des connaissances et des valeurs et qui méritent considération et respect ! Vous expliquez par la relégation leur engagement dans le terrorisme ; comme forme de stigmatisation, il n'y a pas mieux !

Les musulmans de notre pays, comme je l'ai encore constaté à la fête de l'Aîd à Carpentras, refusent qu'on les assimile aux auteurs de ces actes de barbarie. Ils pratiquent un islam d'apaisement et s'opposent absolument à cette barbarie. Toutes les explications du monde ne peuvent justifier l'injustifiable. (Applaudissements sur les bancs socialistes, UDI-UC et UMP) Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas mettre en place une politique préventive, et nous le faisons par toutes les mesures administratives qui ne figurent pas dans la loi. Ce n'est pas convenable de ne pas le mentionner à la tribune. Dans ce débat, il faut faire preuve de rigueur et de sincérité. (Mme Esther Benbassa s'exclame)

L'arbitrage constant entre libertés publiques et sécurité est un vrai sujet. Sur l'interdiction de sortie du territoire, c'est toutefois un faux débat : il n'y a pas un bon juge -le juge judiciaire- et le juge administratif qui serait le bras armé de l'état policier. Le juge administratif s'est toujours dressé contre les gouvernements pour protéger les libertés. Sa jurisprudence en témoigne. Voyez l'arrêt Canal en 1962 ou l'arrêt Benjamin en 1933. Au reste, certaines décisions du juge judiciaire ont été contestées. Pourquoi opposez-vous ainsi les deux ordres de juridictions ?

Monsieur Gorce, vous dites que ce nous voulons faire sur internet n'est pas convenable.

M. Gaëtan Gorce.  - Non : pas cohérent !

Mme Esther Benbassa.  - Monsieur le ministre, un peu de bonne foi !

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Le blocage pourra être contourné, je ne le nie pas. Toutefois, dire que ce sera un jeu d'enfant de le contourner n'est pas exact : les experts considèrent que 20 % à 30 % du trafic sur ces sites pourraient être empêchés, ce qui est considérable.

M. Gaëtan Gorce.  - Dont acte.

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Restent les modalités techniques du blocage. Un mécanisme plus efficace est souvent plus intrusif. J'ai pris l'engagement de ne pas recourir à des procédés intrusifs pour ne pas porter atteinte aux libertés.

Les opérateurs ont déjà pris l'initiative de retirer des vidéos : celle que j'évoquais en début d'après-midi a été retirée à cette heure. Quand les opérateurs agissent ainsi, ils ne sont pas des censeurs mais j'en serai un quand j'interviens pour faire cesser un trouble à l'ordre public ? Le projet de loi se borne à les appeler à la responsabilité, les décisions administratives étant à nouveau prises sous le contrôle du juge administratif.

Je ne peux pas donner d'instruction à un procureur de la République -il y va de la séparation des pouvoirs. Si le juge ne le fait pas lui-même, je ne peux pas le faire, hormis dans le cas où mon administration serait elle-même concernée en tant que telle. Pour laisser le juge judiciaire agir, je n'ai pas de solution. (Mme Esther Benbassa s'exclame) D'où ma proposition : appeler moi-même l'attention des hébergeurs sous le contrôle du juge administratif ; grâce à quoi, le juge judiciaire pourra s'autosaisir plus facilement. Ce n'est pas une lubie ou une tocade mais une impossibilité technique qui la motive ! Si vous avez d'autres propositions, je suis tout ouïe.

Mme Éliane Assassi.  - C'est incroyable !

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Il n'y a pas d'un côté des parlementaires soucieux des libertés publiques et de l'autre un Gouvernement liberticide.

Mme Éliane Assassi.  - Mais un Gouvernement qui dit le contraire de ce qu'il disait il y a deux ans !

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Sauf à renoncer à la judiciarisation des individus isolés, je ne vois pas d'autre solution que l'incrimination d'entreprise terroriste individuelle. Là aussi, s'il y en a d'autre, je suis preneur !

M. Courtois a évoqué l'affaire du retour des djihadistes. Elle pose une question franco-turque qui a fait l'objet d'un déplacement à Ankara, mais aussi des questions franco-françaises. Les trois djihadistes sont arrivés à Marseille alors qu'ils étaient attendus à Paris parce qu'ils ont été changés d'avion, après que le pilote de la compagnie turque Pegasus eût refusé de les embarquer à destination de Paris, sans que les autorités françaises aient été prévenues. Au moment de leur arrivée en France, à Marseille, aucun mandat d'arrêt international ne pèse sur eux. En l'absence de commission rogatoire, la police de l'air et des frontières ne pouvait les interpeller ni les retenir. Seuls les agents de la DGSI auraient pu le faire mais ils n'avaient pas été prévenus.

Il y a aussi un problème avec Kheops ; c'est un système informatique obsolète, qui date des années 1990 et n'a fait l'objet d'aucun investissement depuis dix ans... Je souhaite y remédier. Il est un peu fort que ceux-là mêmes qui n'ont rien fait contre son obsolescence m'en fassent aujourd'hui grief.

On a donc injustement mis en cause les services du ministère de l'intérieur dans cette affaire, alors qu'ils ont fait leur travail, je tenais à le dire. Ils font un travail remarquable, en prenant des risques, en s'exposant, en s'adaptant en continu à une situation inédite. Je veux leur rendre hommage, remercier pour leur travail nos policiers, nos gendarmes, nos magistrats et tous les services de l'État qui participent à la lutte contre le terrorisme. (Applaudissements sur les bancs socialistes, Mme Nathalie Goulet applaudit aussi)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLE ADDITIONNEL AVANT L'ARTICLE PREMIER

M. le président.  - Amendement n°55, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe CRC.

Avant l'article premier

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai de six mois après la promulgation de la présente loi, un rapport d'évaluation complet du droit en vigueur en matière de terrorisme.

Mme Éliane Assassi.  - Monsieur le ministre, souffrez que nous ne soyons pas d'accord avec vous, que nous ayons des interrogations, que nous fassions des propositions. Je n'ai pas apprécié le ton sur lequel vous nous avez répondu. Vous êtes plus élégant quand il s'agit de répondre à l'UMP ! (On s'amuse à droite)

M. Pierre Charon.  - Merci, monsieur le ministre !

Mme Éliane Assassi.  - La prolifération de textes législatifs en matière de terrorisme rend le droit imprécis, indéchiffrable et contradictoire. Comme le rappelle la Commission nationale consultative des droits de l'homme, l'empilement des réformes dans les domaines sécuritaire et pénal ne permet pas une véritable réflexion d'ensemble. L'étude d'impact accompagnant le projet de loi est particulièrement lacunaire.

Il est impératif qu'un bilan de la pertinence et de l'efficacité des mesures existantes soit présenté dans les plus brefs délais à la représentation nationale. L'intelligibilité de la loi et la sécurité juridique n'en seront que mieux garanties.

M. Alain Richard, co-rapporteur.  - Avis défavorable. De multiples rapports sur des sujets voisins sont en circulation. Le Parlement est au moins aussi bien armé que le Gouvernement pour mesurer la cohérence d'une législation.

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Même avis.

L'amendement n°55 n'est pas adopté.

ARTICLE PREMIER

Mme Nathalie Goulet .  - Il n'y a pas de manichéisme, comme vous l'avez dit monsieur le ministre, entre d'un côté les tenants des libertés et de l'autre les apôtres de la lutte contre le terrorisme. Nous allons avoir un débat important. Internet est un vecteur essentiel des messages terroristes, c'est évident.

Il est tout aussi évident que nous n'avons pas la solution miracle. Je regrette l'absence dans ce texte de mesures financières ; les petits ruisseaux font les grandes rivières ! Nous avons en navette une convention d'assistance en matière de sécurité avec la Turquie ; il serait bien utile de la mettre enfin à l'ordre du jour ! J'en suis le rapporteur et, comme soeur Anne, je ne vois rien venir.

J'ai demandé depuis le mois de mai une commission d'enquête sur les réseaux djihadistes ; elle se met enfin en place. Elle apportera un éclairage utile et émettra des propositions.

Ce texte répond à une urgence ; il ne règlera pas tout mais c'est une première étape. Personne ici ne veut nuire à votre action, monsieur le ministre, au contraire !

M. Roland Courteau .  - Prendre le terrorisme à la légère relèverait de l'inconscience. Il faut réagir de la manière la plus ferme. C'est l'objet de ce texte. L'embrigadement de jeunes n'est pas un fantasme mais une réalité. L'interdiction de sortie de territoire me semble être une mesure adaptée à l'urgence de la situation. Liberticide, disent certains. Voire. Comment accepter que des jeunes gens partent pour apprendre à tuer auprès de groupes qui ont pour but de détruire nos valeurs ? La durée maximale de l'interdiction de sortie de territoire est limitée à six mois et renouvelable jusqu'à deux ans maximum.

Les organisations terroristes créent des assassins et promeuvent la barbarie. Près d'un millier de nos concitoyens seraient impliqués. Après réflexion, j'estime que l'interdiction de sortie de territoire se justifie : nous avons le devoir de protéger nos concitoyens mais aussi de protéger ces personnes d'elles-mêmes. L'interdiction de sortie de territoire pourra âtre contestée en référé. Cette mesure existe déjà en Grande-Bretagne et en Belgique sans que ces gouvernements soient qualifiés de liberticides.

Enfin, quid des ressortissants français possédant aussi un autre passeport ? (Applaudissements sur plusieurs bancs socialistes)

Mme Esther Benbassa .  - Je m'étonne du discours manichéen et réducteur du ministre qui est allé jusqu'à m'accuser de stigmatisation... On peut défendre les libertés et lutter contre le terrorisme à la fois. Pourquoi ces jeunes deviennent-ils djihadistes ? Ce n'est pas le cas de mes étudiants. Le djihadisme n'est pas sui generis ! Que faites-vous du désespoir de ces jeunes, des causes sociétales, économiques ? Il ne se lèvent pas un matin pour décider de devenir djihadistes. Vous nous mettez d'emblée dans le camp des « méchants » ; de l'autre, il y a les « bons », qui luttent contre le terrorisme. Naguère, pourtant, vous luttiez vous aussi contre la loi Loppsi II ! Vous considérez que tout va bien et fermez les yeux sur ce qui ne va pas, c'est pour cela que les choses vont mal.

M. Bernard Cazeneuve, ministre .  - Je n'ai pas dit que tout allait bien. Ne me faites pas dire des choses que je n'ai pas dites. J'ai parlé de politique préventive, j'ai aussi dit que rien de ce qui relève du contexte social ne peut excuser le terrorisme. Je n'ai pas dit qu'il y avait ici les bons qui s'en prenaient aux terroristes et les méchants défenseurs des libertés, d'autant moins que ce texte est équilibré et défend les libertés autant qu'il s?en prend au terrorisme. (Mme Éliane Assassi s'exclame vivement) Je suis prêt au débat, qui est loin d'être une souffrance pour moi, j'y prends même du plaisir et je me réjouis de poursuivre cette discussion utile. (Applaudissements sur les bancs socialistes ; sourires sur les bancs CRC)

Dépôt de documents

M. le président.  - M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le sixième rapport d'évaluation de l'application de la loi du 27 juillet 1999 portant création d'une couverture maladie universelle, conformément à l'article 34 de cette même loi. Acte est donné du dépôt de ce rapport, qui a été transmis à la commission des affaires sociales.

Il a également reçu de M. le Premier ministre l'avenant n°4 à la convention du 23 septembre 2010 entre l'État et l'Agence nationale de la recherche relative au programme d'investissements d'avenir, action « Initiatives d'excellence ». Ce document a été transmis à la commission des finances et à la commission des affaires économiques.

Organisme extraparlementaire (Candidatures)

M. le président.  - M. le Premier ministre a demandé à M. le président du Sénat de lui faire connaître le nom de deux sénateurs désignés pour siéger au sein du conseil d'administration du Centre national d'art et culture « Georges Pompidou ».

Conformément à l'article 9 du Règlement du Sénat, la commission des finances et la commission de la culture ont été saisies de ces désignations. Les nominations au sein de cet organisme extraparlementaire auront lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l'article 9 du Règlement.

La séance est suspendue à 19 heures.

présidence de Mme Jacqueline Gourault, vice-présidente

La séance reprend à 21 h 30.

Conférence des présidents

Mme la présidente.  - Je vais vous donner lecture des conclusions de la Conférence des présidents.

Semaine réservée par priorité au Gouvernement

JEUDI 16 OCTOBRE

À 9 heures 30 :

- Suite du projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme

À 15 heures :

- Questions d'actualité au Gouvernement

À 16 heures 15 et le soir :

- Suite éventuelle de l'ordre du jour du matin

- Projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation de la législation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière

Semaine sénatoriale de contrôle

MARDI 21 OCTOBRE

À 9 heures 30 :

- Questions orales

À 14 heures 30 :

- Allocution du président du Sénat

- Débat sur le bilan du crédit d'impôt compétitivité emploi

- Débat sur les conclusions du rapport de la commission des affaires sociales sur le suivi de la mission d'information de 2005 sur l'amiante

À 21 heures 30 :

Ordre du jour réservé au groupe UMP :

- Projet de loi organique portant application de l'article 68 de la Constitution

MERCREDI 22 OCTOBRE

De 14 heures 30 à 18 heures 30 :

Ordre du jour réservé au groupe socialiste :

- Proposition de loi autorisant l'accord local de représentation des communes membres d'une communauté de communes ou d'agglomération

JEUDI 23 OCTOBRE

De 9 heures à 13 heures :

Ordre du jour réservé au groupe UDI-UC :

- Débat sur les conclusions du rapport de la mission commune d'information sur le nouveau rôle et la nouvelle stratégie pour l'Union européenne dans la gouvernance mondiale de l'internet

- Proposition de loi tendant à interdire la prescription acquisitive des immeubles du domaine privé des collectivités territoriales et à autoriser l'échange en matière de voies rurales

À 15 heures :

- Questions cribles thématiques sur les accords de libre-échange

Semaines réservées par priorité au Gouvernement

MARDI 28 OCTOBRE

À 14 heures 30 :

- Éloge funèbre de Christian Bourquin

À 16 heures 15 :

- Déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution, sur la réforme territoriale

Le soir :

- Deuxième lecture du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral

MERCREDI 29 OCTOBRE

À 14 heures 30 et le soir

- Scrutin pour l'élection de six juges titulaires et de six juges suppléants à la Cour de justice de la République et scrutins pour l'élection de six membres titulaires et de six membres suppléants représentant la France à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe

- Suite de la deuxième lecture du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral

En outre, à 14 heures 30, désignation des sénateurs membres de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, de la délégation sénatoriale à la prospective et de la délégation sénatoriale à l'outre-mer

JEUDI 30 OCTOBRE

À 9 heures 30 :

- Six conventions internationales en forme simplifiée

- Suite de la deuxième lecture du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral

À 15 heures :

- Questions d'actualité au Gouvernement

À 16 heures 15, le soir et, éventuellement, la nuit :

- Suite de l'ordre du jour du matin

MARDI 4 NOVEMBRE

À 9 heures 30 :

- Questions orales

À 14 heures 30 et le soir :

- Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme ou nouvelle lecture

- Projet de loi relatif à la simplification de la vie des entreprises

MERCREDI 5 NOVEMBRE

À 14 heures 30 et le soir

- Projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne

JEUDI 6 NOVEMBRE 2014

À 9 heures 30 :

- Sept conventions internationales en forme simplifiée

- Projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019

De 15 heures à 15 heures 45 :

- Questions cribles thématiques

À 16 heures :

- Suite de l'ordre du jour du matin

L'ordre du jour est ainsi réglé.

Lutte contre le terrorisme (Procédure accélérée - Suite)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme. Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus à l'examen de l'amendement n°56 à l'article premier.

Discussion des articles (Suite)

ARTICLE PREMIER (Suite)

Mme la présidente.  - Amendement n°56, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe CRC.

Supprimer cet article.

Mme Éliane Assassi.  - J'insiste : il ne s'agit pas pour nous de faire preuve d'angélisme. La Commission nationale consultative des droits de l'homme elle-même juge cet article vague et de nature à porter gravement atteinte à la liberté d'aller et venir. Le syndicat de la magistrature juge, lui, son assise fragile : une intention, une infraction pénale à venir dans un pays étranger, un trouble potentiel au retour sur le sol français... Traditionnellement, l'autorité judiciaire a le monopole des décisions d'interdiction de sortie du territoire sur la base d'une mise en examen et selon une procédure contradictoire conforme aux exigences européennes et constitutionnelles. J'ajoute que l'étude d'impact ne comporte aucun élément chiffré sur la charge supplémentaire ni sur le nombre de recours possibles. Or on sait les dégâts de la RGPP et de la MAP.

En l'état, cet article premier porte une atteinte disproportionnée aux libertés individuelles.

M. Alain Richard, co-rapporteur.  - Une large majorité de la commission a approuvé cet article et a renforcé les garanties : avis défavorable.

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Avis défavorable pour les raisons précédemment exposées.

L'amendement n°56 n'est pas adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°35 rectifié, présenté par MM. Leconte et Yung et Mmes Lepage et Conway-Mouret.

I.  -  Alinéa 5

Remplacer les mots :

Tout ressortissant

par les mots :

Toute personne résidant légalement sur le territoire

II.  -  Alinéas 11, 12, première phrase, et 14

Après les mots :

d'identité

insérer les mots :

ou de son titre de séjour

M. Jean-Yves Leconte.  - Si le dispositif est utile pour les ressortissants français, pourquoi ne le serait-il pas pour les étrangers résidant légalement sur notre territoire ? L'interdiction de sortie du territoire est une mesure préventive. Notre suggestion est conforme à deux résolutions du Conseil de sécurité qui demandent aux États de mettre en oeuvre des dispositions de nature à éviter l'arrivée de djihadistes sur les lieux de combat.

Quid des familles dont tous les membres n'ont pas la nationalité française ? Le cas peut se présenter. Certains seraient expulsés, d'autres frappés d'une interdiction de sortie du territoire ? Toutes les personnes résidant sur le territoire de la République sont sous le contrôle de la République.

Mme la présidente.  - Amendement n°27 rectifié, présenté par MM. Mézard, Arnell, Bertrand, Castelli, Collin, Esnol, Fortassin et Hue, Mmes Laborde et Malherbe et M. Requier.

Alinéa 5

Remplacer les mots :

ressortissant français

par le mot :

Français

M. Jacques Mézard.  - Rédactionnel : le mot « ressortissant » n'est pas adapté car il implique la présence d'un État ou d'une juridiction étranger.

Mme la présidente.  - Amendement n°72, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 11

Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :

« L'interdiction de sortie du territoire emporte dès son prononcé et à titre conservatoire l'invalidation du passeport et de la carte nationale d'identité de la personne concernée ou, le cas échéant, fait obstacle à la délivrance d'un tel document. L'autorité administrative informe la personne concernée par tout moyen.

« Dès notification de l'interdiction de sortie du territoire, et au plus tard dans les vingt-quatre heures à compter de celle-ci, la personne concernée est tenue de restituer son passeport et sa carte nationale d'identité.

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Cet amendement donne un effet immédiat à l'interdiction de sortie du territoire dès avant sa notification pour éviter que le délai de notification, potentiellement de quatorze jours, permette à la personne concernée de s'y soustraire en quittant le territoire.

Mme la présidente.  - Amendement n°40, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.

Alinéa 11

1°   -  Supprimer les mots :

et de la carte nationale d'identité

2°  -  Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Elle peut également emporter le retrait de la carte nationale d'identité de la personne concernée ou, le cas échéant, faire obstacle à la délivrance d'un tel document.

Mme Esther Benbassa.  - Le retrait de la carte d'identité ne doit être qu'une faculté, envisagée au cas par cas.

Mme la présidente.  - Amendement n°60, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe CRC.

Alinéa 11

Supprimer les mots :

et de la carte nationale d'identité

Mme Éliane Assassi.  - Au vu des amendements déposés à l'Assemblée nationale, il nous semble que cette disposition est un signal dangereux adressé à ceux qui prônent la déchéance de nationalité et la stigmatisation toujours plus importante de certaines catégories de la population.

M. Alain Richard, co-rapporteur.  - Priver de liberté de mouvement les ressortissants étrangers qui veulent revenir dans leur pays d'origine est impossible, monsieur Leconte. La prévention relève de la coopération judiciaire, qui est en route.

Avis favorable à l'amendement n°27 rectifié. Même avis à l'amendement n°72 du Gouvernement, qui est dans la logique du dispositif. Il est à craindre que la personne cible de l'interdiction de sortie du territoire ne retire pas le recommandé notifiant celle-ci. La commission a écarté les amendements nos40 et 60 ; la carte d'identité est un document de sortie.

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Le cas des étrangers résidant en France et soupçonnés de vouloir participer à une entreprise terroriste est déjà traité ; les mesures d'éloignement du territoire sont quasi systématiques. Défavorable à l'amendement n°35 rectifié.

Avis favorable à l'amendement n°27 rectifié, défavorable aux amendements de Mmes Assassi et Benbassa, qui rendraient notre dispositif inopérant.

L'amendement n°35 rectifié n'est pas adopté.

L'amendement n°27 rectifié est adopté.

L'amendement n°72 est adopté.

Les amendements nos40 et 60 deviennent sans objet.

Mme la présidente.  - Amendement n°67, présenté par Mme Aïchi et les membres du groupe écologiste.

Alinéa 5

Remplacer les mots :

lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser

par les mots :

lorsqu'ont été rassemblées des preuves matérielles concordantes démontrant

Mme Leila Aïchi.  - Le risque terroriste est réel ; la France doit protéger ses citoyens. Je ne cède ni à l'angélisme ni à l'idéologie : je suis légaliste. Confier des pouvoirs démesurés à l'administration n'est pas la solution. L'interdiction de sortie du territoire est une procédure sans procès équitable. Il faut remonter à 1793 et à la Terreur pour trouver une sanction d'une telle sévérité. Les bases du dispositif sont hasardeuses : une intention, une infraction à venir à l'étranger, un trouble potentiel... Que sont des « raisons sérieuses de penser» ? Pourquoi avoir écarté le juge judiciaire, garant des libertés publiques, dont vous défendiez pourtant le rôle, monsieur le ministre, lors de l'examen de la Lopsi ? (M. Jean-Jacques Hyest, co-rapporteur, s'exclame) Ce dispositif est attentatoire à la liberté d'aller et venir, contraire à l'exigence du procès équitable, disproportionné, incompatible avec les principes de notre droit.

Sur le moyen et long terme, cette politique n'a aucun sens : elle n'empêchera pas les plus déterminés de partir et de revenir, ne serait-ce que par voie terrestre.

Pour un homme de gauche, s'inspirer de George W. Bush et de son Patriot Act, avoir Éric Zemmour comme curseur et Marine Le Pen comme référence ne vous apportera rien. Au contraire, vous y perdez la France en faisant reculer ses idéaux de justice et de liberté et ses principes républicains.

Mme la présidente.  - Amendement n°68, présenté par Mme Aïchi et les membres du groupe écologiste.

Alinéa 5

Remplacer les mots :

lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser 

par les mots :

lorsque sont réunis des indices concordants de nature à établir

Mme Leila Aïchi.  - Amendement de repli. Votre budget prévoit 12 millions d'euros supplémentaires pour la lutte contre le terrorisme ; c'est l'équivalent du budget de la région Pays de Loire pour le tourisme, ou encore celui de l'entretien du jardin du Luxembourg... Si l'on veut lutter contre le terrorisme, commençons par y consacrer des moyens.

Mme la présidente.  - Amendement n°57, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe CRC.

Alinéa 5

Remplacer les mots :

raisons sérieuses de penser qu'il

par les mots :

faits ou renseignements avérés et propres à persuader « un observateur objectif » que l'individu en cause

Mme Éliane Assassi.  - Comme la Commission nationale consultative des droits de l'homme, nous proposons de gommer autant que possible le caractère subjectif de cet article. Le retrait de la carte d'identité devrait reposer sur des critères objectifs afin de permettre un contrôle juridictionnel.

M. Alain Richard, co-rapporteur.  - L'Assemblée nationale et la commission n'ont pas supprimé cet article ; nous travaillons dans ce cadre. Que Mme Aïchi se rassure : nous sommes dans un État de droit. Le juge administratif fait son travail depuis des années et rend des décisions de même nature, par exemple sur les mesures d'éloignement pour motif d'ordre public. Les paraphrases des amendements nos68, 67 et 57 ne sont pas utiles.

Quand une décision administrative est contestée devant le juge administratif, l'administration doit communiquer l'intégralité des éléments qui la fondent. Le juge peut l'annuler s'il la juge insuffisamment étayée. Votre approche, madame Aïchi, est un peu éloignée des réalités.

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Merci, madame Aïchi, pour votre esprit de nuance et votre propos si peu manichéen. Vos arguments sont tout simplement erronés.

L'expression « des raisons sérieuses de penser » est fréquemment utilisée en droit international, par exemple à l'article premier de la convention de Genève de 1951 sur le droit des réfugiés, texte qu'on ne peut considérer comme liberticide, ou encore à l'article L. 712-2 du Ceseda. La notion est communément admise par le juge administratif. Retrait ?

Je comprends l'inspiration de l'amendement n°57. M. Sueur en propose un autre qui rejoint vos propositions, que je pense plus opportun. Je suggère le retrait.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Je veux saluer le calme d'Alain Richard et de Bernard Cazeneuve et dire avec solennité que les propos de Mme Aïchi sont outranciers, profondément contraires à l'esprit du Sénat et attentatoires à la personnalité du ministre, dont nous connaissons les qualités humaines et politiques, la courtoisie et le sens de la mesure. De telles déclarations n'ont pas leur place ici.

On peut ne pas être d'accord. Mais que nous propose le gouvernement de la République ? D'éviter que des centaines de jeunes soient entraînés dans des systèmes de mort, ce que sont les entreprises djihadistes.

L'amendement n°67 n'est pas adopté, non plus que les amendements nos68 et 57.

Mme la présidente.  - Amendement n°16 rectifié, présenté par MM. Mézard, Arnell, Bertrand, Castelli, Collin, Esnol, Fortassin et Hue, Mmes Laborde et Malherbe et M. Requier.

Alinéa 8

Rédiger ainsi cet alinéa :

« L'interdiction de sortie du territoire est prononcée par le ministre de l'intérieur, après que la personne concernée, qui peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix, a été en mesure de lui présenter ses observations. Cette interdiction est prononcée pour une durée maximale de six mois à compter de sa notification. La décision est écrite et motivée.

M. Jacques Mézard.  - Nous sommes tous sensibles à la nécessité d'un équilibre entre le respect des libertés et l'exigence de sécurité. Au grand jamais je ne pourrais rapprocher le ministre de l'intérieur de George W. Bush ou de Marine Le Pen ; je considère ces propos comme particulièrement choquants, ils n'honorent pas notre assemblée. Mais que chacun assume ses propos, n'est-ce pas cher président Sueur ? (M. Jean-Pierre Sueur s'exclame) Moi, j'assume.

L'interdiction de sortie du territoire est une mesure grave, qui requiert une prudence extrême. Elle crée un précédent qui peut poser problème. C'est une mesure coercitive envers un individu potentiellement dangereux -qui n'a pas commis d'infraction et n'est pas encore condamné... Nous entendons renforcer les garanties procédurales et les droits de la défense : le prononcé ne pourra intervenir qu'après que l'intéressé a pu présenter ses observations.

Mme la présidente.  - Amendement n°59, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe CRC.

Alinéa 8

Rédiger ainsi cet alinéa :

« La décision d'interdiction de sortie du territoire est prononcée par le ministre de l'intérieur, après l'organisation d'un débat contradictoire, la présence d'un avocat étant de droit avec toutes les garanties effectives afférentes aux droits de la défense. Cette interdiction est prononcée pour une durée maximale de six mois à compter de sa notification. La décision est écrite et motivée. Elle est fondée sur des faits précis et circonstanciés.

Mme Éliane Assassi.  - Les textes internationaux et européens imposent le respect de garanties procédurales auxquelles il ne peut être dérogé. On ne pourra se dispenser du respect du principe du contradictoire. Cette atteinte à la liberté d'aller et venir est, en l'état, injustifiable.

Mme la présidente.  - Amendement n°38, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.

Alinéa 8, première phrase

Remplacer les mots :

six mois

par les mots :

quatre mois

Mme Esther Benbassa.  - L'interdiction de sortie est une atteinte grave à la liberté d'aller et venir, au principe de proportionnalité ainsi qu'au droit au respect de la vie privée et familiale. La situation doit être réexaminée tous les quatre mois au moins.

Mme la présidente.  - Amendement n°31, présenté par M. Sueur et les membres du groupe socialiste et apparentés.

Alinéa 8, après la deuxième phrase

Insérer une phrase ainsi rédigée :

Elle est fondée sur des faits précis et circonstanciés.

M. Jean-Pierre Sueur.  - La commission des lois de l'Assemblée nationale a adopté un amendement autorisant la personne concernée à être assistée lors de la procédure ; en séance, les députés ont souhaité que la décision soit écrite et motivée. Notre commission a réduit le délai dans lequel les observations doivent être présentées, soit huit jours au lieu de quinze. Précisons plus avant : les limitations à la liberté de mouvement devant être justifiées par l'existence de faits ou renseignements propres à persuader un observateur objectif que l'individu en cause se prépare à commettre l'une des infractions visées, la décision d'interdiction de sortie du territoire doit reposer sur des faits précis et circonstanciés.

Mme la présidente.  - Amendement n°73, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 8, troisième phrase

Rédiger ainsi cette phrase :

Le ministre de l'intérieur ou son représentant met la personne concernée en mesure de lui présenter ses observations écrites ou orales, lesquelles doivent intervenir dans un délai maximal de 10 jours à compter de la notification de la décision.

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Cet amendement de précision revient sur le texte de la commission des lois, en retrait par rapport à la rédaction de l'Assemblée nationale.

M. Alain Richard, co-rapporteur.  - Aux termes de l'article 24 de la loi d'avril 2000, une décision individuelle ne peut être prise qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter ses observations. C'est le principe général. La même loi précise cependant que ces dispositions ne sont pas applicables si elles compromettent l'ordre public. Dois-je rappeler à M. Mézard et à Mme Assassi que leurs formations politiques ont voté cette loi ? Dans les cas qui nous occupent, l'ordre public est évidemment en jeu.

Ramener de six à quatre mois la durée de validité, comme le propose Mme Benbassa, n'est pas judicieux. L'intéressé peut d'ailleurs demander la levée de la mesure.

L'amendement de M. Sueur ne me convainc pas davantage : l'expression « raisons sérieuses de penser » revient plus ou moins au même. Nous écouterons le Gouvernement.

Quant à l'amendement n°73 du Gouvernement, qui fixe un délai maximal de dix jours pour que l'intéressé rende ses observations, il conjugue les contraintes, celle imposée à l'administration et celle imposée à l'intéressé. Il me paraît moins équilibré et, pour tout dire, moins orthodoxe que la formule retenue par la commission.

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Avis défavorable aux amendements nos16 rectifié et 59 qui priveraient la mesure de son efficacité. Il y a quelques mois, une mère a tenté de partir avec ses enfants en Syrie depuis Barcelone. Aucune mesure de contrôle judiciaire, aucune mesure de protection des enfants n'était en vigueur. Elle a emmené ses enfants sur un théâtre d'opérations terroristes. Organiser le contradictoire avant la notification ne l'en aurait pas empêché. Le délai qui est prévu, vingt-quatre heures, est de toute façon très court.

Avis défavorable à l'amendement n°38 également : un délai réduit à quatre mois empêcherait de traiter l'ensemble des dossiers au fond.

Avis favorable à l'amendement n°31 ; l'expression « raisons sérieuses de penser » ne me pose pas de problème, je l'ai dit. La précision rédactionnelle proposée par M. Sueur ne lui enlève ni force ni efficacité.

Permettez-moi de répondre avec la précision qui s'impose à M. Richard : l'amendement n°73 prévoit une procédure plus conforme à la loi d'avril 2000. Le délai de dix jours à compter de la notification de la décision accordé à la personne pour préparer sa défense est communément admis par le juge administratif. Il permet également à l'administration de revenir sur sa décision le cas échéant. L'équilibre est meilleur.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois.  - Notre assemblée a repoussé les amendements nos67, 68 et 57, relatifs aux conditions de légalité de l'interdiction de sortie du territoire. Selon leurs auteurs, la formule « raisons sérieuses de penser » était trop imprécise et laissait un trop large pouvoir d'appréciation à l'administration. Le rapporteur nous a convaincus que le juge administratif apprécierait la pertinence de ces « raisons sérieuses » ; c'est en effet la pratique de la juridiction administrative, au cas par cas.

Comment, dès lors, pourrions-nous ne pas être convaincus par ces mêmes arguments quand il s'agit, comme le propose M. Sueur, de fonder la décision sur des « faits précis et circonstanciés » ? Monsieur le ministre, votre position n'est guère cohérente, sauf à dire que l'amendement n°31 ne mange pas de pain. Mais alors, c'est la négation de votre travail de législateur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - J'ai été trop longtemps parlementaire pour penser cela. L'amendement n°31 ne substitue pas sa rédaction à celle prévue, il la précise et ainsi clarifie l'intention du Gouvernement, qui n'est pas de remettre en cause les droits de la défense -je ne le répéterai jamais assez.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Exactement !

M. Jacques Mézard.  - En cas de circonstances exceptionnelles, le principe général du droit n'est pas appliqué.

M. Richard a rappelé qu'en 2000, nous avions voté pour. Je ne lui ferai pas l'affront de rappeler les positions de son groupe sur tous les textes sécuritaires présentés depuis 2002...

Lorsqu'il y aura des cas litigieux, et il y en aura, je ne doute pas que les journalistes s'en saisiront. Sur le plan concret, je ne m'inquiète donc pas. Mais sur le plan des principes, je crains que de telles méthodes soient étendues à d'autres cas de figure...

La qualité de la justice administrative n'est pas en cause. Mais comprenez qu'en tant qu'ancien avocat, je n'ai pas la même vision que celle de nos éminents collègues... Le véritable juge des libertés restera toujours le juge judiciaire.

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Comme vous, je suis avocat, métier que j'ai longtemps exercé -et que j'exercerai sans doute encore ! (Sourires) Je ne partage pas votre vision. Le juge administratif a su démontrer sa capacité à préserver, de façon intraitable, les libertés publiques. Je pourrais citer des exemples où le juge judiciaire n'en a pas fait autant...

M. Jean-Jacques Hyest, co-rapporteur.  - À certaines époques...

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Le républicain que je suis fait toute confiance à la juridiction administrative.

L'amendement n°16 rectifié n'est pas adopté, non plus que les amendements nos59, 38 et 31.

Mme Nathalie Goulet.  - Sur l'amendement n°73 du Gouvernement, je suivrai la commission, dont le texte est plus clair.

L'amendement n°73 n'est pas adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°36, présenté par Mme N. Goulet.

Après l'alinéa 8

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Les personnes visées au premier alinéa font l'objet d'un signalement aux services de l'air et des frontières et aux services en charge de la sécurité des pays de l'Union Européenne et de la Turquie. La liste de ces services est fixée par décret.

Mme Nathalie Goulet.  - J'ai cru comprendre, dans la discussion générale, que ce type de signalement existait déjà. M. le ministre peut-il le confirmer ? Dans ce cas, je retirai l'amendement.

M. Alain Richard, co-rapporteur.  - Avis défavorable : cela ne relève pas de la loi. Les services aux frontières des autres pays seront informés avant même l'interdiction de sortie du territoire.

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Même avis.

L'amendement n°36 est retiré.

Mme la présidente.  - Amendement n°58, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe CRC.

Alinéa 9, première et deuxième phrases

Rédiger ainsi ces phrases :

Lorsque les conditions sont réunies, l'interdiction de sortie du territoire peut être renouvelée par décision expresse et motivée d'un juge des libertés et de la détention, saisi à cette fin par le ministre de l'intérieur ou par son représentant. Le juge statue dans un délai de quarante-huit heures par ordonnance au siège du tribunal de grande instance dans le ressort duquel la personne réside, après audition du représentant de l'administration, si celui-ci, dûment convoqué, est présent, et de l'intéressé ou de son conseil, s'il en a un.

Mme Éliane Assassi.  - Lorsqu'il n'y a pas urgence, nous proposons que le renouvellement de l'interdiction soit décidé par le juge des libertés et de la détention.

Mme la présidente.  - Amendement n°39, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.

I.  -  Alinéa 9, première phrase

Remplacer cette phrase par deux phrases ainsi rédigées :

L'interdiction de sortie du territoire peut être renouvelée par décision expresse et motivée d'un juge désigné par le président du tribunal de grande instance de Paris, saisi à cette fin, et au plus tard 10 jours avant l'expiration de la mesure, par le ministre de l'intérieur ou par son représentant. Le juge statue dans les vingt-quatre heures suivant sa saisine par ordonnance au siège du tribunal de grande instance dans le ressort duquel la personne réside, après audition du représentant de l'administration, si celui-ci, dûment convoqué, est présent, et de l'intéressé ou de son conseil, s'il en a un.

II.  -  Alinéa 10, première phrase

Supprimer les mots :

et suivant la notification de chaque renouvellement

Mme Esther Benbassa.  - Même chose.

Mme la présidente.  - Amendement n°30, présenté par M. Sueur et les membres du groupe socialiste et apparentés.

Alinéa 9, première phrase

Remplacer les mots :

peut être renouvelée par décision expresse et motivée

par les mots :

ne peut être renouvelée par décision expresse et motivée qu'après que la personne intéressée, assistée le cas échéant par un conseil ou représentée par un mandataire de son choix, a été mise à même de présenter des observations écrites ou orales

M. Jean-Pierre Sueur.  - S'il est compréhensible que la mesure d'interdiction de sortie du territoire soit dispensée de procédure contradictoire préalable, compte tenu de l'urgence et de la nécessité d'effectivité, il est en revanche impératif de prévoir le respect du contradictoire avant toute prolongation de cette mesure.

Mme la présidente.  - Amendement n°17 rectifié, présenté par MM. Mézard, Arnell, Bertrand, Castelli, Collin, Esnol, Fortassin et Hue, Mmes Laborde et Malherbe et M. Requier.

Alinéa 9, après la première phrase

Insérer une phrase ainsi rédigée :

La personne concernée par l'interdiction de sortie du territoire peut demander un réexamen de sa situation tous les trois mois.

M. Jacques Mézard.  - Nous revenons sur la légalité et la proportionnalité de la peine. Nous proposons un réexamen régulier de la situation de la personne concernée par l'interdiction de sortie du territoire, ainsi que le préconise la Commission nationale consultative des droits de l'homme. Cela permettra un meilleur suivi et une meilleure connaissance de la personne.

M. Alain Richard, co-rapporteur.  - Selon l'article 24 de la loi de 2000, le contradictoire ne trouve pas à s'appliquer en cas d'urgence, de circonstances exceptionnelles ou lorsque l'ordre public est menacé. Dans le cas de la première mesure, l'impératif d'urgence justifie que les observations en défense soient recueillies après la décision de l'interdiction de sortie du territoire ; dans le cas d'un renouvellement, le droit commun s'applique en revanche. Les amendements nos30 et 17 rectifié ne sont pas utiles : retrait ?

Le juge des libertés et de la détention, je l'ai dit, a pour rôle de suivre les procédures pénales. Ici, il s'agit de police administrative : avis défavorable aux amendements nos58 et 39.

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Même avis que la commission sur l'amendement n°17 rectifié. Je rejoins le rapporteur sur les amendements nos58 et 39, qui ne sont sans doute pas constitutionnels : avis défavorable.

M. Jacques Mézard.  - En cas de renouvellement, le principe du contradictoire s'applique, a dit M. Richard. Le ministre considère-t-il également que l'on en revient au droit commun dans ce cas ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - La réponse est oui.

L'amendement n°58 n'est pas adopté.

L'amendement n°39 n'est pas adopté.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Comme je l'ai dit ce matin en commission, dès lors que le droit commun s'applique bien en cas de prolongation, que cela est acquis, je retire mon amendement n°30.

L'amendement n°30 est retiré.

L'amendement n°17 rectifié n'est pas adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°66 rectifié, présenté par Mme Aïchi et les membres du groupe écologiste.

Après l'alinéa 10

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« L'article L. 521-2 du code de justice administrative est également applicable.

Mme Leila Aïchi.  - Il s'agit du référé-liberté.

M. Alain Richard, co-rapporteur.  - Le tribunal administratif dispose, pour statuer au fond, d'un délai de quatre mois ; cela méritait donc d'être inscrit à l'alinéa précédent. Ici, l'amendement est inutile : il ne fait que redire le droit.

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Même avis défavorable.

Mme Leila Aïchi.  - Oui, le dispositif existe dans le code mais faire référence dans le texte au référé-liberté, dispositif fort complexe, faciliterait l'accès au droit.

L'amendement n°66 rectifié n'est pas adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°32, présenté par M. Sueur et les membres du groupe socialiste et apparentés.

Alinéa 12, après la première phrase

Insérer une phrase ainsi rédigée :

Il ne porte aucune mention relative au motif de sa délivrance.

M. Jean-Pierre Sueur.  - L'interdiction de sortie du territoire vise une personne dont la participation à un projet terroriste est supposée, et non établie. L'intéressé se voit retirer passeport et carte nationale d'identité et remettre un récépissé. Celui-ci ne doit pas avoir d'effet stigmatisant. Cela relève sans doute du pouvoir réglementaire. Le ministre peut-il nous apporter des précisions ?

Mme la présidente.  - Amendement n°41, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.

Alinéa 12, seconde phrase

Après le mot :

récépissé

insérer les mots :

, qui ne peut porter aucune mention du motif de sa délivrance,

Mme Esther Benbassa.  - Même chose.

M. Alain Richard, co-rapporteur.  - Le même débat a eu lieu à l'Assemblée nationale : le décret précisera la forme du récépissé. Il existe déjà un dispositif analogue en cas de contrôle judiciaire. Ne nous faisons pas d'illusion : par construction, l'honorabilité de toute personne privée de sa carte nationale d'identité est en cause... L'adoption de ces deux amendements ne s'impose pas, sachant qu'un décret est en effet prévu.

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Nous avons eu, en effet, ce débat à l'Assemblée nationale. Le décret en Conseil d'État donnera toute garantie sur le caractère non stigmatisant de ce récépissé. Les mentions figurant sur le récépissé correspondront a minima à celles qui figurent sur la carte nationale d'identité. Le décret répondra à vos préoccupations.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Eu égard à cette garantie et à l'engagement pris par le ministre, je retire l'amendement.

L'amendement n°32 est retiré.

L'amendement n°41 est retiré.

Mme la présidente.  - Amendement n°83 rectifié, présenté par M. Hyest, au nom de la commission.

I.  -  Alinéa 15

1° Remplacer le mot :

septième

par le mot :

neuvième

2° Supprimer les mots :

ainsi que des modalités relatives à l'interdiction de transport prévue au quatorzième alinéa

II.  -  Après l'alinéa 18

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Les conditions d'application du présent article sont précisées par décret en Conseil d'État. »

L'amendement de coordination n°83 rectifié, accepté par le Gouvernement, est adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°18 rectifié, présenté par MM. Mézard, Arnell, Bertrand, Castelli, Collin, Esnol, Fortassin et Hue, Mmes Laborde et Malherbe et M. Requier.

Alinéa 17

Supprimer le mot :

approprié

M. Jacques Mézard.  - Nous connaissons la sagacité du Gouvernement. Nous présentons cet amendement rédactionnel : le moyen sera forcément « approprié ».

M. Alain Richard, co-rapporteur.  - Utile rappel à la brièveté de la loi : la commission a suivi le président Mézard.

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Le Gouvernement le suit aussi. (Sourires)

L'amendement n°18 rectifié est adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°34 rectifié, présenté par MM. Leconte et Yung et Mmes Lepage et Conway-Mouret.

Alinéa 19

Rétablir le II dans la rédaction suivante :

II. - Ces dispositions sont applicables à titre expérimental et pour une durée de cinq ans à compter de la publication de la présente loi.

M. Jean-Yves Leconte.  - Nous venons de voter l'interdiction de sortie du territoire alors que la France est intégrée dans un espace de libre circulation, l'espace Schengen. Notre dispositif ne sera donc pas totalement efficace, on le sait. Il faut, plutôt que de réfléchir sur les voyages en train, en autocar ou au PNR, engager une politique européenne intégrée sur la question. Nous proposons de nous donner cinq ans pour ce faire : renforcer la protection de l'espace Schengen. L'Europe est la solution : mieux vaut contrôler l'ensemble des entrées et des sorties de l'espace Schengen, au moyen de la biométrie, instaurer des cartes d'identité européennes non falsifiables ; il faut une politique européenne, plus solide et solidaire.

M. Alain Richard, co-rapporteur.  - Certes, mais cela s'apparente à un voeu et appellerait donc plutôt une résolution. Ce n'est pas cela qui produira un accord.

Nous irons sans doute progressivement vers des dispositions convergentes qui permettront une coopération plus étendue. Il s'agit de prérogatives nationales. Le Gouvernement travaille à nouer des accords de coopération. Ne fragilisons pas le texte.

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Les mesures européennes comme le PNR et le SIS n'entraînent pas l'interdiction administrative de sortie du territoire. Les dispositifs convergeront progressivement.

M. Jean-Yves Leconte.  - C'est un amendement d'appel. Reste que pour respecter l'esprit de Schengen, il faudrait prévoir une interdiction de sortie de l'espace Schengen et non du territoire national. Nous aurions tout à gagner à instaurer des contrôles biométriques aux frontières de l'espace Schengen, comme le font le Brésil ou les États-Unis à leurs frontières.

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Ce sujet important fait polémique. Certains responsables politiques ont affirmé que pour lutter contre le terrorisme, il faudrait suspendre Schengen. Or, Schengen est une chance pour la lutte contre le terrorisme.

L'interdiction de sortie du territoire est mécaniquement versée dans le SIS, auquel ont accès tous les autres pays de l'Union européenne. Pour que le dispositif soit efficace, il faut que la personne puisse être identifiée dans l'aéroport duquel elle part. D'où la nécessité du PNR, que bloque le Parlement européen. Nous menons ce combat. La question du contrôle extérieur des frontières de l'Union européenne peut justifier une modification du cadre Schengen. Les préoccupations de M. Leconte sont prises en compte.

M. Gaëtan Gorce.  - Je rejoins le ministre. L'amendement n°34 rectifié limite l'effet de la loi à cinq ans. Il me paraît sain que l'application de la loi soit temporaire -elle est votée dans un contexte particulier, qui peut évoluer.

Mme Hélène Conway-Mouret.  - La menace terroriste est globale, il faut lui donner une réponse globale. À l'Europe de s'engager. Sans doute par excès d'optimisme, nous espérons que ces mesures pourront être temporaires et que nous trouverons d'autres moyens de lutter contre la menace terroriste.

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - L'interdiction de sortie du territoire est très ciblée. Si dans cinq ans, la source du problème était tarie, la loi ne serait plus appliquée. Si le problème perdurait, ce que je crains, nous n'aurions pas à passer à nouveau devant le législateur !

M. Gaëtan Gorce.  - La notion de terrorisme est extrêmement floue ; elle peut être interprétée demain d'une autre manière qu'aujourd'hui. Je préférerai donc que cette loi soit temporaire.

L'amendement n°34 rectifié est retiré.

Mme Nathalie Goulet.  - Je voterai sans hésitation l'article premier qui prend des mesures absolument nécessaires, que la Grande-Bretagne et d'autres États ont déjà prises. Donnons l'exemple de notre volontarisme.

L'article premier, modifié, est adopté.

ARTICLES ADDITIONNELS

Mme la présidente.  - Amendement n°13 rectifié, présenté par MM. Courtois, Frassa et Gournac.

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article 371-5 du code civil, il est inséré un article 371-... ainsi rédigé :

« Art. 371-... - Tout mineur voyageant sans être accompagné d'une personne titulaire de l'autorité parentale doit disposer d'une autorisation parentale de sortie du territoire. Un décret en Conseil d'État détermine les conditions d'application du présent article. »

M. Jean-Patrick Courtois.  - Nous rétablissons l'autorisation parentale de sortie du territoire pour les enfants mineurs voyageant seuls, sans être accompagnés d'une personne titulaire de l'autorité parentale, supprimée depuis le 1er janvier 2013, même si le mineur dispose d'un passeport. En effet, le djihad concerne de plus en plus de mineurs qui partent dans des zones de combat, les parents n'ayant pas les moyens d'empêcher leur départ.

Quelles mesures prendrait le Gouvernement si le nombre de ces mineurs partant pour le djihad avec leur passeport devait augmenter ?

M. Alain Richard, co-rapporteur.  - La législation de 2010 supprimant l'autorisation parentale était consensuelle.

L'interdiction de sortie du territoire suffit pour prévenir les déplacements visés. Rétablir l'autorisation générale serait disproportionnée.

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Les mesures déjà mises en place ont une efficacité réelle. L'interdiction de sortie du territoire est une réponse équilibrée, proportionnée et efficace.

L'amendement n°13 rectifié est retiré.

Mme la présidente.  - Amendement n°80 rectifié, présenté par le Gouvernement.

A.  -  Après l'article premier

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I.  -  Le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est ainsi modifié :

1° Le titre Ier du livre II est complété par un chapitre IV ainsi rédigé :

« Chapitre IV 

«  Interdiction administrative du territoire

« Art. L. 214-1. - Tout ressortissant d'un État membre de l'Union européenne, d'un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse, ou tout membre de la famille d'une telle personne peut, dès lors qu'il ne réside pas habituellement en France et ne se trouve pas sur le territoire national, faire l'objet d'une interdiction administrative du territoire lorsque sa présence en France constituerait, en raison de son comportement personnel, du point de vue de l'ordre ou de la sécurité publics, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société.

« Art. L. 214-2. - Tout ressortissant étranger non mentionné à l'article L. 214-1 peut, dès lors qu'il ne réside pas habituellement en France et ne se trouve pas sur le territoire national, faire l'objet d'une interdiction administrative du territoire, lorsque sa présence en France constituerait une menace grave pour l'ordre public, la sécurité intérieure ou les relations internationales de la France.

« Art. L. 214-3. - L'interdiction administrative du territoire fait l'objet d'une décision du ministre de l'intérieur écrite et non contradictoire. Elle est motivée, à moins que des considérations relevant de la sûreté de l'État ne s'y opposent.

« Si l'étranger est entré en France alors que la décision d'interdiction administrative du territoire prononcée antérieurement ne lui avait pas déjà été notifiée, il est procédé à cette notification sur le territoire national.

« Lorsque la décision a été prise en application de l'article L. 214-1, et que l'intéressé est présent en France à la date de sa notification, il bénéficie à compter de cette date d'un délai pour quitter le territoire qui, sauf urgence, ne peut être inférieur à un mois.

« Art. L. 214-4. - L'étranger qui fait l'objet d'une interdiction administrative du territoire et qui s'apprête à accéder au territoire français peut faire l'objet d'un refus d'entrée, dans les conditions prévues au chapitre III du titre premier du présent livre.

« Lorsque l'étranger qui fait l'objet d'une interdiction administrative du territoire est présent sur le territoire français, il peut être d'office reconduit à la frontière, le cas échéant à l'expiration du délai prévu à l'article L. 214-3. L'article L. 513-2, le premier alinéa de l'article L. 513-3 et les titres V et VI du livre V sont applicables à la reconduite à la frontière des étrangers faisant l'objet d'une interdiction administrative du territoire.

« Art. L. 214-5. - L'autorité administrative peut à tout moment abroger l'interdiction administrative du territoire. L'étranger peut introduire une demande de levée de la mesure après un délai d'un an à compter de son prononcé. Le silence gardé pendant plus de quatre mois sur la demande vaut décision de rejet.

« Art. L. 214-6. - Sans préjudice des dispositions de l'article L. 214-5, les motifs de l'interdiction administrative du territoire donnent lieu à un réexamen tous les cinq ans à compter de la date de la décision.

« Art. L. 214-7. - Le deuxième alinéa de l'article L. 214-4 n'est pas applicable à l'étranger mineur. »

2° L'article L. 213-1 est complété par les mots : « , soit d'une interdiction administrative du territoire » ;

3° Le livre V est ainsi modifié :

a) Le 7° de l'article L. 551-1 est complété par les mots : « ou d'une interdiction administrative du territoire » ;

b) À la seconde phrase de l'article L. 552-4, après les mots : « d'une interdiction de retour sur le territoire français en vigueur, », sont insérés les mots : « d'une interdiction administrative du territoire en vigueur, » ;

c) À l'intitulé du chapitre V du titre V, le mot : « mesure » est remplacé par le mot : « peine » ;

d) À l'article L. 561-1, après le 5°, il est inséré un 6° ainsi rédigé : 

« 6° Si l'étranger doit être reconduit à la frontière en exécution d'une interdiction administrative du territoire. » ;

e) L'article L. 571-1 est ainsi modifié :

- au premier alinéa, après les mots : « d'interdiction de retour sur le territoire français, », sont insérés les mots : « d'interdiction administrative du territoire, » ;

- au même premier alinéa, après les mots : « code de procédure pénale », la fin de l'article est supprimée ;

4° Le livre VI est ainsi modifié :

a) L'article L. 624-1 est ainsi modifié :

- au premier alinéa, après les mots : « d'une obligation de quitter le territoire français », sont insérés les mots : « , d'une interdiction administrative du territoire » ;

- au deuxième alinéa, après les mots : « d'une mesure de refus d'entrée en France, » et les mots : « d'une interdiction judiciaire du territoire, », sont insérés les mots : « d'une interdiction administrative du territoire, » ;

b) Au dernier alinéa de l'article L. 624-4, les mots : « ou L. 541-3 » sont remplacés par les mots : « , L. 541-3 ou du 6° de l'article L. 561-1 ».

II.  -  Au premier alinéa de l'article 729-2 du code de procédure pénale, après les mots : « d'interdiction du territoire français, », sont insérés les mots : « d'interdiction administrative du territoire français, ».

B.  -  En conséquence, faire précéder cet article d'une division additionnelle et son intitulé ainsi rédigés :

Chapitre I bis

Création d'un dispositif d'interdiction administrative du territoire

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Certains ressortissants étrangers qui ne résident pas habituellement en France peuvent représenter une menace grave pour l'ordre et la sécurité publics, en particulier lorsqu'ils peuvent circuler librement au sein de l'espace Schengen. Tel peut-être le cas de ressortissants d'États membres de l'Union liés aux mouvances radicales, voire à des organisations terroristes qui se rendent ponctuellement en France pour des séjours de très courte durée afin de rencontrer des ressortissants français ou étrangers résidant en France également impliqués dans ces mouvances. Or seules les personnes résidant en France peuvent faire l'objet d'une mesure d'expulsion.

Cette nouvelle mesure, qui fera l'objet d'une décision écrite et motivée, notifiée à l'étranger concerné, permettra de lui refuser l'accès au territoire français, de le reconduire d'office à la frontière s'il pénètre sur le sol français en dépit de l'interdiction et, le cas échéant, de prononcer à son encontre une sanction pénale.

L'interdiction administrative du territoire, prise sous le contrôle du juge, devra reposer sur des éléments suffisamment graves et solides, précis et circonstanciés permettant d'établir que la présence en France de l'étranger représenterait une menace grave pour l'ordre et la sécurité publics. Elle devra être proportionnée au but poursuivi. L'étranger concerné pourra en demander la levée et les motifs de la mesure seront réexaminés tous les cinq ans.

Cet amendement s'inscrit dans la continuité de la résolution n°2178 du 24 septembre 2014 du Conseil de sécurité des Nations Unies sur les combattants terroristes étrangers, qui prévoit notamment de lutter contre la mobilité internationale des terroristes en empêchant leur accès ou leur transit sur le territoire des États membres de l'ONU. Par le présent amendement, la France se positionne à l'avant-garde de la lutte contre le terrorisme international.

M. Alain Richard, co-rapporteur.  - Avis favorable. L'argumentaire du Gouvernement nous a convaincus. Le dispositif de protection des droits individuels est cohérent avec ce qui existe déjà.

M. Jean-Yves Leconte.  - Je comprends cet amendement car il participe de la logique globale du texte. Il arrive toutefois bien tard.

M. Jean-Jacques Hyest, co-rapporteur.  - La proposition a été faite à l'Assemblée nationale ; le Gouvernement n'était pas prêt, d'où son arrivée ici. L'amendement est désormais conforme au droit, la commission des lois a donc pu l'approuver.

L'amendement n°80 est adopté et devient un article additionnel.

ARTICLE 2

Mme la présidente.  - Amendement n°86, présenté par M. Hyest, au nom de la commission.

Alinéa 1

Remplacer la référence :

IV

par la référence :

VI

M. Alain Richard, co-rapporteur.  - Nous avons commis une erreur de référence.

L'amendement n°86, accepté par le Gouvernement, est adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°20 rectifié, présenté par MM. Mézard, Arnell, Bertrand, Castelli, Collin, Esnol, Fortassin et Hue, Mmes Laborde et Malherbe et M. Requier.

Alinéa 3

1° Première phrase

Après la référence :

L. 541-3

insérer une virgule

2° Deuxième phrase

Après les mots :

décision est

insérer les mots :

écrite et

M. Jacques Mézard.  - Amendement rédactionnel et de coordination avec l'article premier.

M. Alain Richard, co-rapporteur.  - Avis favorable.

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Avis favorable.

L'amendement n°20 rectifié est adopté.

L'article 2, modifié, est adopté.

L'article 3 est adopté.

ARTICLE 4

M. Philippe Bonnecarrere .  - M. le ministre a parlé de « terrorisme en libre accès ». Je reste sceptique sur les chiffres ; mon expérience d'élu local me fait penser que le nombre de Français concernés est plus important qu'on ne le dit. La tendance est en tout cas à la hausse...

Seule question qui vaille : comment lutter contre le phénomène ?

La plupart des dossiers seront sans doute traités dans le cadre d'enquêtes préliminaires plutôt que de flagrant délit. Or le mandat de recherche nécessite que la peine applicable soit de trois ans d'emprisonnement. Pour les écoutes téléphoniques, il n'y a pas de quantum de peine. S'agissant des moyens informatiques, un amendement de coordination était nécessaire ; la commission des lois y a pourvu.

J'avais préparé un amendement modifiant le premier alinéa mais les moyens de preuve supplémentaires donnés aux services répressifs l'ont rendu inutile.

Mme la présidente.  - Amendement n°10, présenté par Mme N. Goulet.

Supprimer cet article.

Mme Nathalie Goulet.  - La rédaction retenue par la commission pose un gros problème pour la presse en ligne. Le Gouvernement ayant proposé un amendement n°74 qui me satisfait, je retire mon amendement de suppression.

L'amendement n°10 est retiré.

Mme la présidente.  - Amendement identique n°43, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.

Mme Esther Benbassa.  - Le sujet est d'actualité. Je suis particulièrement attachée à la liberté de la presse. Appliquons la loi de 1881 à la presse sur internet.

Mme la présidente.  - Amendement identique n°61, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe CRC.

Mme Cécile Cukierman.  - Nous partageons l'avis de la Commission nationale consultative des droits de l'homme qui recommande de ne pas inscrire les dispositions de la loi de 1881 dans le code pénal, même limitées aux faits commis sur internet.

M. Jean-Jacques Hyest, co-rapporteur.  - La commission des lois a souhaité cette incrimination spécifique. Les réseaux méritent des règles de procédure spécifiques. Tout le monde sait que les groupes djihadistes sont très organisés sur la toile. Avis défavorable.

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Le sujet est sensible et important. L'article 4 procède à un basculement, intégrant au code pénal les incriminations d'apologie du terrorisme et de provocation aux actes de terrorisme prévues dans la loi de 1881. Ces actes sont spécifiques : le terrorisme vise non une victoire militaire hors d'atteinte mais une victoire politique obtenue par la communication : l'effroi et le renoncement d'une population terrorisée. Le combat ne se joue pas à armes égales : l'adversaire sait tirer parti des protections que lui donne la loi sur la presse.

Quelles options avions-nous ?

Permettre l'application des techniques spéciales d'enquête dans la loi de 1881. On risquait ainsi d'étendre progressivement un régime spécifique à toute la loi sur la liberté de presse.

Laisser l'apologie dans la loi de 1881 et transférer la provocation dans le code pénal. La distinction entre les deux n'est pas toujours très claire en pratique et l'on aurait risqué des annulations de procédure.

Nous avons donc choisi une autre option, rejoignant les conclusions de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, notamment dans son avis du 20 décembre 2012, et fait entrer les deux dans le code pénal.

Vous proposez de distinguer suivant l'usage ou non d'internet. Dans sa décision du 2 mars 2004, le Conseil constitutionnel a validé le principe des techniques spéciales d'enquête dès lors qu'elles sont applicables à des infractions « en cas d'atteinte à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes », ou « d'une gravité et d'une complexité particulière ». Cette jurisprudence a été confirmée par la décision du 4 décembre 2013 sur la loi relative à la fraude fiscale. Le Conseil a maintenu cette jurisprudence dans sa décision du 9 octobre 2014.

Comment pourrait-on dire que le spectacle de ces décapitations d'Occidentaux ne serait pas une « atteinte à la dignité ou à la vie des personnes » ? Que le prêche d'un imam autoproclamé glorifiant ces actes ne porte pas atteinte à notre sécurité ?

Le fondement de la distinction opérée par les rapporteurs n'est pas justifié en droit car l'atteinte à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes n'est pas moindre sans l'usage d'internet. Ce raisonnement a d'ailleurs été validé par le Conseil d'État lors de l'examen du projet de loi Mercier, une deuxième fois lors de ce texte-ci. Le rapporteur Hyest a souscrit à ce raisonnement en signant un amendement dans ce sens il y a deux ans.

Ne laissons pas subsister dans des cadre distincts des infractions analogues et ne plongeons pas les justiciables dans l'incertitude.

Sans basculement dans le cadre du code pénal, non seulement les méthodes spéciales d'enquête ne seraient plus utilisables mais la centralisation des affaires au pôle anti-terroriste ne serait plus possible.

Le contrôle du juge demeure le même, que l'on s'inscrive dans le cadre de la loi de 1881 ou dans celui du code pénal. Rien n'empêche de distinguer apologie et provocation au stade des poursuites.

La France est le seul pays où ces incriminations ressortissent à la loi sur la presse et non au code pénal. L'article 4 donne les moyens de combattre la parole mortifère tout en préservant les libertés publiques. Je vous demande donc de rejeter les amendements de suppression et d'adopter cette rédaction, celle que le Gouvernement avait proposée initialement.

Mme Cécile Cukierman.  - J'entends votre définition de l'apologie du terrorisme. Je la partage : diffuser sur les réseaux des actes de violence est répréhensible. Mais faire entrer dans le code pénal ces infractions ne règle rien : cette définition reste floue. Nous aimerions avoir le regard complémentaire de la Chancellerie sur ce point.

M. Jean-Yves Leconte.  - Je ne voterai pas ces amendements de suppression car les auditions m'ont convaincu de la nécessité d'une infraction spécifique, qui réprime l'abus de liberté d'expression sans charger la barque : l'apologie n'est pas le terrorisme.

Effarés par leur propre audace, les auteurs du texte ont d'ailleurs prévu des garde-fous.

Les amendements identiques nos43 et 61 ne sont pas adoptés.

Mme la présidente.  - Amendement n°7 rectifié, présenté par MM. Leconte et Yung et Mmes Lepage et Conway-Mouret.

Rédiger ainsi cet article :

Après l'article 421-2-4 du code pénal, il est inséré un article 421-2-5 ainsi rédigé :

« Art. 421-2-5. - Le fait d'organiser, administrer, diriger, héberger, éditer ou financer un média de presse écrite, audiovisuelle, ou de communication au public en ligne ayant pour activité essentielle la provocation à la commission d'actes terroristes ou l'apologie du terrorisme est puni de sept ans d'emprisonnement et de 100 000 € d'amende. »

M. Jean-Yves Leconte.  - Les abus de liberté d'expression doivent certes être sanctionnés. Cet amendement crée une nouvelle infraction, qui ne concerne pas que la presse en ligne. Sont ainsi visées toutes les personnes responsables de produits multimédias. La création de ce délit spécifique permet surtout de ne pas sortir de la loi sur la presse les seules catégories d'abus à la liberté d'expression relatives au terrorisme, ce qui risquerait à terme d'ouvrir la porte à d'autres déplacements de délits de presse vers le code pénal.

Ne surchargeons pas le pôle anti-terrorisme du tribunal de grande instance de Paris avec des dossiers qui ne relèvent en réalité que de délits de presse. Il doit concentrer son activité sur l'instruction des situations relevant réellement du terrorisme.

Mme la présidente.  - Amendement n°42, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.

Avant l'alinéa 1

Insérer un paragraphe ainsi rédigé :

... - L'article 421-2-4 du code pénal est abrogé.

Mme Esther Benbassa.  - La loi de 21 décembre 2012 relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme avait créé, à l'article 421-2-4, un nouveau délit. Le délit prévu à l'article 421-2-4 ne recouvre aucune situation nouvelle. Afin d'éviter toute confusion inutile, je propose de l'abroger. L'Assemblée nationale avait refusé cette création du Sénat, avant que l'article ne soit rétabli en commission mixte paritaire.

Mme la présidente.  - Amendement n°44, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.

I.  -   Alinéa 2

Supprimer les mots :

ou de faire publiquement l'apologie de ces actes

II.  -  Alinéas 5 et 6

Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :

1° À la fin du sixième alinéa de l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, les mots : « provoqué directement aux actes de terrorisme prévus par le titre II du livre IV du code pénal, ou qui en auront fait l'apologie » sont remplacés par les mots : « fait l'apologie des actes de terrorisme prévus par le titre II du livre IV du code pénal » ;

Mme Esther Benbassa.  - Il ne faut pas confondre la provocation et l'apologie. Celle-ci n'est que l'expression d'une opinion qui peut certes être odieuse mais n'incite pas directement à commettre une infraction. L'article 4 prévoit d'ailleurs d'incriminer spécifiquement la provocation non publique.

La loi de 1881, qui protège la liberté d'expression, doit être préservée pour tout ce qui relève des délits d'apologie. Une distinction entre l'apologie du terrorisme et d'autres délits d'apologie ne se justifie pas.

Mme la présidente.  - Amendement n°74, présenté par le Gouvernement.

I.  -  Alinéa 2

Supprimer les mots :

lorsque les faits sont commis par la voie d'un réseau de communication au public en ligne

II.  -  Alinéa 3

Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :

« II.  -  Les peines sont portées à sept ans d'emprisonnement et 100 000 € d'amende lorsque les faits ont été commis en utilisant un service de communication au public en ligne.

« Lorsque les faits sont commis par la voie de la presse écrite ou audiovisuelle ou de la communication au public en ligne, les dispositions particulières des lois qui régissent ces matières sont applicables en ce qui concerne la détermination des personnes responsables. »

III.  -  Alinéa 5

Remplacer les mots :

complété par une phrase ainsi rédigée :

par le mot :

supprimé

IV.  -  Alinéa 6

Supprimer cet alinéa.

V.  -  Compléter cet article par cinq alinéas ainsi rédigés :

...° Au premier alinéa de l'article 48-1, la référence : « (alinéa 8) » est remplacée par la référence : « (alinéa 7) » ;

...° Au premier alinéa des articles 48-4, 48-5 et 48-6, la référence : « neuvième alinéa » est remplacée par la référence : « huitième alinéa » ;

...° À l'article 52, la référence : « et sixième » est supprimée ;

...° Au premier alinéa de l'article 63, les références : « 6, 8 et 9 » sont remplacées par les références : « 7 et 8 » ; 

...° À l'article 65-3, les mots : « sixième, huitième et neuvième » sont remplacés par les mots : « septième et huitième ».

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Je l'ai justifié longuement.

Mme la présidente.  - Amendement n°45, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

... - À l'article 397-6 du code de procédure pénale, après le mot : « politiques », sont insérés les mots : « , de délit d'apologie des actes de terrorisme ».

Mme Esther Benbassa.  - L'article 397-6 du code de procédure pénale exclut du champ des procédures de convocation par procès-verbal et de comparution immédiate les délits de presse et délits politiques.

M. Jean-Jacques Hyest, co-rapporteur.  - Je comprends l'intention de l'amendement n°7 rectifié. Mais comment déterminer le degré d'implication qui ferait entrer dans le périmètre de ce nouveau délit ? Avis défavorable, ainsi qu'aux amendements nos42 et 44. Dans la pratique, nous ont dit les juges, il est difficile de distinguer apologie et provocation ; il faut souvent utiliser les deux notions ensemble.

Pourquoi cette distinction entre code pénal et loi de 1881 ? Pour être efficace dans la lutte contre le terrorisme. L'apologie du racisme, des crimes contre l'humanité relèvent toujours de la loi sur la presse ; ils sont traités comme des abus de liberté d'expression. Le cas du terrorisme est différent. Les réseaux ont des moyens de communication colossaux, professionnels.

Votre interprétation de la jurisprudence constitutionnelle n'est pas la mienne, monsieur le ministre. Soucieux que les moyens mis en oeuvre soient proportionnés au but recherché, le Conseil limite l'utilisation des techniques spécifiques d'enquête aux cas très graves et complexes.

La juridiction de Paris est compétente pour les surveillances, infiltrations, confiscation de biens saisis, etc. Nous cherchons seulement à ce que le dispositif soit imparable : avis défavorable à l'amendement n°74. La force de notre rédaction, c'est son objectivité, qui lui confère une bonne solidité juridique.

Avis défavorable également à l'amendement n°45 : il doit pouvoir y avoir comparution immédiate.

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Mêmes avis que la commission, à l'exception de mon amendement n°74.

M. Jean-Yves Leconte.  - Le texte de la commission poursuit l'efficacité mais reste fragile : le code pénal s'appliquerait pour un média et la loi de 1881 pour un autre ! Si l'on commence à sortir certains éléments de la loi sur la presse, on sera tenté d'en sortir d'autres, au risque de remettre en cause un pilier de notre République.

L'amendement n°7 rectifié n'est pas adopté, non plus que les amendements nos42 et 44

M. Michel Mercier.  - L'amendement n°74 du Gouvernement concerne un point très important pour l'efficacité de la lutte contre le terrorisme. Il ne s'agit pas de définir des incriminations mais de préciser la procédure. La loi de 1881 est venue en réaction à la politique du Second Empire. Nous y sommes tous attachés. Mais le paragraphe 2 de son chapitre V est manifestement inadapté aux cas de terrorisme. Si la procédure était efficace en la matière, cela se saurait depuis longtemps !

Monsieur Hyest, l'apologie des crimes contre l'humanité concerne des actes passés ; l'apologie du terrorisme, elle, des actes qui n'ont pas encore été commis. Cela fait une différence claire et nette.

Le législateur doit être strict dans la définition des infractions. L'article est précis mais vouloir en rester à la procédure prévue par la loi de 1881 serait de l'angélisme, face à des gens qui n'ont rien d'angéliques. Je voterai donc l'amendement du Gouvernement.

L'amendement n°74 n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°45

Mme Nathalie Goulet.  - Le rejet de l'amendement n°74 m'empêche de voter pour cet article.

L'article 4 est adopté.

Mme la présidente.  Nous avons examiné 38 amendements, il en reste 54.

Prochaine séance aujourd'hui, jeudi 15 octobre 2014, à 9 heures 30.

La séance est levée à minuit et demi.

Jean-Luc Dealberto

Directeur des comptes rendus analytiques

Ordre du jour du jeudi 16 octobre 2014

Séance publique

À 9 heures 30

Présidence : Mme Isabelle Debré, vice-présidente

Secrétaire : M. Christian Cambon

1. Suite du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme (n°807, 2013-2014)

Rapport de MM. Jean-Jacques Hyest et Alain Richard, fait au nom de la commission des lois (n°9, 2014-2015)

Texte de la commission (n°10, 2014-2015)

À 15 heures

Présidence : M. Gérard Larcher, président

2. Questions d'actualité au Gouvernement

À 16 heures 15 et le soir

Présidence : Mme Isabelle Debré, vice-présidente

M. Hervé Marseille, vice-président

3. Suite éventuelle de l'ordre du jour du matin

4. Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant diverses dispositions d'adaptation de la législation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière (n° 808 rectifié, 2013-2014)

Rapport de M. Richard Yung, fait au nom de la commission des finances (n°7, 2014-2015)

Texte de la commission (n°8, 2014-2015)