Réforme territoriale

M. le président.  - L'ordre du appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution, sur la réforme territoriale.

M. Manuel Valls, Premier ministre .  - (Applaudissements sur les bancs socialistes et sur quelques bancs RDSE) Notre pays, face à la mondialisation, doit se réformer, pour relever les défis de la compétitivité et de la solidarité, pour renforcer son économie et moderniser sa puissance publique.

Réformer notre pays : c'est la mission que m'a confiée le président de la République. Mais on ne réforme jamais seul. Réformer implique de dialoguer, d'expliquer, pour que les objectifs soient partagés par tous.

Il était important pour moi, alors que reprennent vos travaux sur la réforme territoriale, de m'exprimer dans cet hémicycle. Je vous remercie donc, monsieur le président Larcher, de cette invitation. Elle me permet de vous exposer le sens de cette réforme, sa cohérence.

Il y a plus de trente ans, le président François Mitterrand disait : « La France a eu besoin d'un pouvoir fort et centralisé pour se faire ; elle a aujourd'hui besoin d'un pouvoir décentralisé pour ne pas se défaire ». Ces mots conservent tout leur sens. La décentralisation n'est pas qu'une démarche administrative, institutionnelle ; elle est un souffle, elle est un élan. Pour être forte, la République a besoin de renforcer ces territoires.

Dès mon entrée en fonctions, j'ai fait de la réforme territoriale ma priorité. Le 3 juin dernier, le président de la République en a fixé les contours dans une tribune dans la presse quotidienne régionale. Trois quart de la population se concentre dans les villes : le fait urbain n'est pas un fantasme de géographe ; la frontière entre ville et campagne s'efface ; 95 % des Français vivent dans des territoires sous influence urbaine. Mais ces aires urbaines se diversifient, se complexifient.

Comme vous, je parcours notre pays. J'en connais la beauté et la diversité, j'en perçois aussi les angoisses, les détresses. J'ai parlé à ces habitants des zones aux marges des grandes villes qui s'inquiètent devant la disparition des services publics : la poste et les écoles qui ferment, la brigade de gendarmerie qui est menacée. J'ai échangé aussi avec ces jeunes qui doivent quitter leur village, la petite ville où ils sont nés, où ils ont leurs attaches, parce qu'ils se disent -parce qu'on leur dit- que leur avenir n'est plus ici. J'ai rencontré ces ouvriers, ces employés qui voient leur usine fermer parce que l'outil de production est restructuré, délocalisé. J'ai dialogué avec ces agriculteurs qui, malgré leurs efforts quotidiens, doutent de la pérennité de leur exploitation.

Tous ces témoignages soulignent le risque croissant d'une dualité du territoire national. Dualité avec, d'un côté, les grandes villes, les métropoles insérées dans la mondialisation, qui connaissent un vrai dynamisme économique. Il ne faut pas le nier, et même plutôt s'en féliciter, pour en saisir toutes les opportunités qui doivent profiter à tous. Le législateur en a tiré les conséquences en 2013 en consacrant le rôle des métropoles, en affirmant aussi la solidarité qui doit exister entre elles et leurs périphéries.

La dualité c'est, à l'opposé des métropoles, ces territoires qui se sentent à l'écart et subissent de plein fouet les effets de la mondialisation. Ils sont fragilisés. Ils pensent être oubliés, abandonnés par la puissance publique. Ils ont le sentiment que le lien qui les unit à la République s'effrite jour après jour.

Ce qui est remis en cause, c'est la promesse républicaine : offrir les mêmes opportunités que l'on vive au coeur d'une métropole, en banlieue, dans une commune périurbaine, en montagne, outre-mer.

Ces fractures territoriales, ce sont aussi des fractures scolaires qui se sont accrues ces quinze dernières années. Les difficultés scolaires se concentrent dans certains établissements, dans les quartiers défavorisés et dans les territoires ruraux. Nous avons donc décidé, depuis cette rentrée, de relancer l'éducation prioritaire. Je salue l'expérimentation en cours dans le Cantal et dans les Hautes-Pyrénées. Les élus locaux et les services de l'éducation nationale innovent pour réorganiser le maillage scolaire. Avec les moyens dégagés, ils développent des dispositifs pédagogiques comme l'accueil des moins de 3 ans ou le « plus de maîtres que de classes ». C'est là un bel exemple d'intelligence collective et de pragmatisme.

Toutes ces fractures, vous les connaissez aussi bien que moi. Mais apporter des réponses adaptées nécessite une analyse fine, approfondie. C'est le premier objectif des assises des ruralités engagées avec la ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité, Sylvia Pinel. Il n'y aurait en effet rien de pire que des réponses identiques à des situations si diverses.

La réforme de l'État territorial, qui est tout aussi fondamentale et complémentaire, engagée par le ministre de l'intérieur, Bernard Cazeneuve, poursuit aussi cet objectif : un État plus réactif, qui s'adapte aux besoins des territoires et aux attentes des élus locaux. Nous devons réaffirmer la présence et le rôle de l'État, notamment dans les départements, là où les citoyens en ont le plus besoin.

Dans un monde qui bouge si vite, l'immobilisme, l'absence de courage seraient lourds de conséquences : des territoires sans moyens pour construire leur avenir; des élus locaux démunis face aux attentes de nos concitoyens. Pierre Mauroy avait vu juste : « aucune organisation politique ne peut s'abstraire des conditions de son époque ». Le cadre dans lequel la France évolue a été profondément bouleversé : accélération de la mondialisation, élargissement de l'Union européenne, mobilité croissante des Français. De nouveaux équilibres se dégagent. Soyons lucides : notre organisation territoriale actuelle peine à faire face à tout cela. Elle doit donc évoluer.

Le premier objectif de cette réforme, c'est de renforcer tous les territoires, de doter les plus dynamiques des compétences nécessaires pour poursuivre leur développement économique, tout en veillant à ce que les territoires fragilisés ne soient ni abandonnés à leur sort ni privés de chances de développement.

Le second objectif, c'est de redonner du sens à une action publique devenue souvent illisible. Les doublons concernent aussi l'action de l'État et des collectivités locales. Oui, la clarification est l'objectif, monsieur le président Retailleau ! Clarté, efficacité, baisse de la dépense publique, proximité : voilà ce que nos concitoyens attendent de leurs institutions.

Réformer, c'est consolider les acquis de la décentralisation. Sortons des caricatures ! Cette réforme n'a pas pour but d'affaiblir les pouvoirs locaux ni de remettre en cause l'action des élus. Au contraire, elle est une preuve de confiance renouvelée dans leur capacité d'agir pour l'intérêt général et le renforcement de l'efficacité de nos services publics. Cette confiance fait l'objet d'un consensus national porté par Gaston Defferre, Pierre Joxe, puis Jean-Pierre Chevènement. Grâce au président Chirac et au Premier ministre Raffarin, cette confiance a été inscrite dans notre Constitution. La République est désormais « décentralisée » au même titre qu'elle est laïque, indivisible, démocratique et sociale. On peut regretter que, depuis 2007, aucune avancée n'ait eu lieu en matière de décentralisation. En effet, le projet du conseiller territorial n'en était pas une. Il n'apportait aucune réponse utile aux enjeux de nos territoires. (Vives exclamations à droite)

M. Gérard Longuet.  - C'est votre point de vue !

M. Manuel Valls, Premier ministre.  - La décentralisation, c'est donc un fondement de la France, et le renforcement de sa démocratie. Depuis trente ans, les politiques menées par les communes, les départements, les régions ont façonné nos paysages, modernisé les modes de transport et les équipements. Elles ont renforcé la solidarité, facilité l'accès du plus grand nombre à la culture, au sport, à l'éducation, plus récemment au numérique.

Plus encore, la décentralisation a permis d'approfondir notre démocratie locale, de renforcer le lien de proximité, de confiance qui doit exister entre les citoyens et leurs représentants. Ce mouvement doit bien sûr se poursuivre. C'est le sens des textes sur le non-cumul et des avancées en matière de parité, que j'ai portés devant vous. Soyons conscients des évolutions que nous avons su mener ensemble et soyons certains qu'aucun retour en arrière ne sera possible. (Applaudissements sur les bancs socialistes et écologistes)

La France est une et indivisible mais la vision d'une France uniforme, avec des territoires identiques, est dépassée. La carte administrative de la France doit donc tenir compte des spécificités locales. C'est pourquoi je me suis engagé auprès des élus de montagne, des élus des territoires ruraux à adapter la réforme territoriale aux spécificités de leur territoire. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Dans une France qui change, notre organisation territoriale doit évoluer. Les états généraux de la démocratie territoriale furent une belle initiative pour lancer un mouvement.

M. Alain Fouché.  - Mascarade !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Mais face aux attentes multiples, parfois contradictoires, nous avons trop longtemps hésité quant à la direction que nous devions prendre. Finalement, nous avons commencé par les métropoles, Au 1er janvier, dix métropoles s'ajouteront à celle de Nice : Lyon, Bordeaux, Toulouse, Nantes, Brest, Lille, Rouen, Grenoble, Strasbourg et Montpellier. Elles auront des compétences accrues en matière d'aménagement, d'innovation et de développement économique. Elles devront aussi renforcer les solidarités et en créer de nouvelles. Leur rôle sera pleinement atteint si elles réussissent à concilier rayonnement, proximité et cohésion sociale.

Le Grand Paris, qui verra le jour dès 2016, est un élément essentiel de notre attractivité nationale. C'est une grande ambition pour la France. Le Gouvernement y travaille avec les élus, qui y travaillent de leur côté dans le consensus -et c'est tant mieux. Je suis favorable à une modification de l'article 12 de la loi Mapam, je l'ai dit, tant que les objectifs de simplification et de solidarité sont préservés.

La métropole d'Aix-Marseille-Provence doit, elle aussi, voir le jour en 2016. La construction de cette porte ouverte sur la Méditerranée est un enjeu essentiel. Nous écoutons tous les élus, à commencer par Jean-Claude Gaudin, pour bâtir le cadre institutionnel adapté et un projet urbain de qualité. Je sais que les habitants attendent ; je sais que notre responsabilité collective est de soutenir la deuxième ville de France.

Enfin, je salue le travail exemplaire mené dans le Rhône sous l'impulsion de vos collègues Gérard Collomb et Michel Mercier, autour de la métropole de Lyon qui verra le jour au 1er janvier prochain. La prochaine étape sera de dégager les compétences du couple région-métropole.

Le projet de loi que vous examinez ce soir a été voté à une large majorité en première lecture par l'Assemblée nationale. La nouvelle carte, qui semblait pour beaucoup impossible à tracer, sera dans quelques semaines une réalité. Comme convenu avec le président Larcher, le projet de loi sur les compétences sera débattu à partir du mois de décembre.

La nouvelle organisation territoriale, ce sont des territoires plus forts, capables de préparer l'avenir : c'est la mission des régions, qui devront bénéficier de leviers puissants, stratégiques, en matière d'éducation, de transport et de mobilité, d'aménagement du territoire, en matière de développement économique et d'accompagnement des entreprises. Je suis favorable au transfert de nouvelles compétences de l'État vers les régions en matière de développement économique. (Exclamations sur les bancs UMP)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - Avec quels moyens ?

M. Bruno Sido.  - Et les départements ?

M. Manuel Valls, Premier ministre.  - La revue des missions de l'État doit y aider. Pour bâtir ensemble cette nouvelle relation entre l'État et les régions, j'ai proposé que le Gouvernement et les présidents de région se rencontrent régulièrement.

Des régions regroupées, c'est un territoire national plus équilibré. La commission spéciale du Sénat a dessiné une nouvelle carte, je me réjouis que la Haute assemblée se saisisse pleinement du texte. Le Gouvernement sera très attentif à l'évolution des débats. Ils sont parfois vifs, par exemple sur l'avenir de l'Alsace. J'ai reçu les parlementaires alsaciens, le président de la région et des deux conseils généraux. Mais nous avons besoin de clarté ; la carte votée à l'Assemblée nationale a ce mérite.

À ceux qui critiquent, je demande de considérer quel changement nous avons apporté en un temps si bref. (Applaudissements sur les bancs socialistes ; exclamations ironiques à droite)

Assurer le développement de notre pays, c'est renforcer l'efficacité de l'action publique, c'est renforcer le couple commune-intercommunalité. Les politiques publiques doivent être élaborées au plus près des citoyens. Les Français sont attachés à la commune, cette institution du quotidien, et à ses élus. Le maire est souvent le seul responsable public dans lequel nos concitoyens se retrouvent.

M. Ladislas Poniatowski.  - Vous voulez lui faire la peau !

M. Manuel Valls, Premier ministre.  - Les conseillers municipaux, les conseillers communautaires, ce sont des milliers d'hommes et de femmes engagés et généreux ; ils sont le socle de notre vie politique. Je l'ai rappelé lors des obsèques de Christian Bourquin, à Millas. (Applaudissements socialistes) Les propositions de loi portées par M. Jacques Pélissard, président de l'Association des maires de France, et Mme Christine Pires-Beaune sur les communes nouvelles seront examinées à l'Assemblée nationale cette semaine et j'espère rapidement par le Sénat. L'intercommunalité, ce lieu où on sait travailler ensemble, où les élus savent dépasser les clivages locaux ou partisans, où l'intérêt général prime. Les mêmes qui s'invectivent au Sénat ou à l'Assemblée nationale votent ensemble des projets dans leur intercommunalité, pour l'intérêt général ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Pensons les politiques à l'échelle des bassins de vie sur tout le territoire. Le seuil de 20 000 habitants apparaît de fait, en de nombreux endroits, comme un minimum. (Vives protestations à droite) Dans d'autres, il faudra l'adapter, tenir compte du nombre de communes, de la densité de population, de la topographie. (Applaudissements sur les bancs socialistes) Je l'ai indiqué à la convention de l'intercommunalité à Lille et aux élus de montagne à Chambéry : nous pourrons prévoir des modulations du seuil. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Le périmètre des intercommunalités doit se rapprocher des espaces vécus. En cette période de vigilance pour la dépense publique, le développement des EPCI mettra fin au vrai millefeuille territorial : celui des 13 400 syndicats intercommunaux, qui coûtent 17 milliards dont 9 milliards pour leur fonctionnement ! (Applaudissements sur plusieurs bancs socialistes ; marques d'interrogation à droite) Dans un souci d'économie, leur nombre devra être fortement réduit, comme le préconisent Alain Lambert et Martin Malvy, et leurs compétences transférées aux intercommunalités. Je sais le président Guillaume attentif à cette dynamique.

Avec l'élection par fléchage, l'intercommunalité a enfin trouvé la légitimité démocratique qui lui manquait. S'il faut encore approfondir la démocratie intercommunale (Mme Nicole Bricq approuve), il y faudra du temps. L'intercommunalité doit reposer sur l'accord des communes : c'est le sens de la proposition de loi Richard-Sueur que vous avez adoptée la semaine dernière et qui sera inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale avant la fin de l'année.

Mme Jacqueline Gourault.  - Très bien !

M. Manuel Valls, Premier ministre.  - Entre les régions et le bloc communal, il faut un échelon intermédiaire de solidarité sociale et territoriale.

M. Bruno Sido.  - Les départements !

M. Manuel Valls, Premier ministre.  - J'ai conscience -je l'ai dit aux président de conseils généraux- du rôle des départements en matière de protection des populations les plus fragiles et de soutien aux communes. J'ai écouté les élus et les formations politiques, dont celle de M. Jean-Michel Baylet. (Exclamations amusées à droite) Les assemblées départementales qui seront désignées les 22 et 29 mars prochain exerceront pleinement leurs compétences en matière de solidarité territoriale et humaine. Pendant la phase de transition, elles pourront même être confortées en matière d'ingénierie territoriale ou d'accès aux services publics.

M. Bruno Sido.  - Très bien !

M. Manuel Valls, Premier ministre.  - Après 2020, le paysage territorial aura évolué. Alors peut-être le cadre départemental pourra évoluer à son tour. Là où il y a métropoles, c'est évident ; il y a consensus sur ce point... (Protestations à droite) D'autres initiatives vont voir le jour. À chacun de trouver la forme d'organisation qui convient le mieux. Nous avons cinq ans pour préparer sereinement les évolutions. Faisons confiance aux initiatives locales. Je compte sur le Parlement et sur le Sénat pour faire avancer les choses.

La grandeur de la France, c'est la grandeur de ses territoires. J'entends vos interrogations sur les moyens. L'effort de redressement des comptes publics incombe à tous, les collectivités territoriales doivent y prendre leur part. Mais l'investissement reste une priorité. Les députés ont fait des propositions en loi de finances, notamment sur le FCTVA. Les contrats de plan mobiliseront 12 milliards d'euros. Les régions devront être dotées d'une fiscalité dynamique et adaptée à leurs missions. Nous poursuivrons la péréquation, via la réforme de la DGF. Une mission sera confiée sur ce point à deux parlementaires, un de l'opposition et un de la majorité.

Dans leur immense majorité, les maires se sont mobilisés pour la réforme des rythmes scolaires. (Vives exclamations à droite)

M. Roger Karoutchi.  - Ils étaient contents !

M. Didier Guillaume.  - Pensez aux jeunes !

M. Manuel Valls, Premier ministre.  - Qu'ils en soient remerciés : grâce à eux, de nouvelles activités sont offertes aux enfants. L'amendement des groupes SRC et RRDP de l'Assemblée nationale, qui maintient le fonds d'amorçage pour les rythmes scolaires à son niveau actuel, sera soutenu par le Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs socialistes) Les projets éducatifs territoriaux devront s'assurer de la qualité des activités proposées et les services de l'État accompagneront les communes. Je reste à la disposition de l'Association des maires de France, comme je l'ai dit à François Baroin.

Cette réforme territoriale marquera une étape. Les Français, qui la soutiennent largement, le savent.

Permettez-mois de conclure sur le rôle du Sénat ; selon la Constitution, celui-ci examine en premier les projets relatifs aux collectivités locales mais l'Assemblée nationale a le dernier mot.

M. Bruno Sido.  - Pas normal !

M. Éric Doligé.  - Il faut dissoudre...

M. Manuel Valls, Premier ministre.  - Si chacun joue son rôle, Sénat, Assemblée nationale, Gouvernement, nous pourrons faire de cet équilibre une chance pour la réforme. Je tiens compte de ce que disent les élus. Je tiendrai compte de ce que le Sénat dira. (Exclamations à droite) J'espère que cet état d'esprit sera partagé. En première lecture, une majorité de circonstance, au Sénat, a choisi de ne pas se saisir du texte du Gouvernement. J'espère que le Sénat jouera aujourd'hui pleinement son rôle de législateur pour faire bouger les lignes, dans l'intérêt des territoires, des collectivités locales, de la France.

Le Gouvernement veut croire au dialogue. Ce que nous sommes capables de faire dans les intercommunalités, je suis certain que nous pouvons le faire ici ensemble pour aboutir à une réforme juste, efficace, intelligente. Les débats traversent toutes nos formations politiques depuis 1982 ; certains ici, qui s'opposaient naguère avec virulence aux grandes lois Defferre, en sont aujourd'hui les plus fervents défenseurs. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Je ne doute pas que vous serez animés par un esprit de responsabilité et par un amour partagé de notre pays. Alors, avançons, proposons, réformons. Je veux faire avec vous le pari de la confiance, persuadé que nous pouvons le gagner. (Applaudissements nourris sur les bancs socialistes ; MM. Joseph Castelli et François Fortassin applaudissent aussi)

M. Jacques Mézard .  - Merci, monsieur le Premier ministre, d'avoir participé à l'éloge du Sénat à notre regretté collègue et ami Christian Bourquin. Souvenons-nous du combat qu'il menait ici même encore en juillet contre la fusion de sa chère région avec Midi-Pyrénées. Montpellier et Toulouse sont deux capitales régionales qui se sont construites au fil des siècles, l'une ne saurait effacer l'autre. Le Sénat a entendu le message de Christian Bourquin ; il vous appartient d'entendre le message du Sénat et de restaurer le Languedoc-Roussillon dans sa plénitude.

Je vous ai entendu plaider pour le dialogue, monsieur le Premier ministre, mais le Gouvernement vient de déposer un amendement pour revenir à la carte des régions adoptée par l'Assemblée nationale. (Exclamations et rires à droite) Cela limite fortement le débat... « Réformer », verbe cher aux dirigeants qui en usent et abusent parfois, signifie, selon le dictionnaire, « rétablir dans sa forme primitive une règle qui s'est corrompue ». (Sourires) Je suis convaincu que les mutations de nos sociétés imposent des évolutions législatives plus rapides. Mais de là à modifier notre architecture territoriale tous les cinq ans, il y a un fossé... Une réforme n'a de sens que si elle améliore la situation existante. Est-ce le cas de la réforme territoriale que vous nous proposez ? Nous ne le croyons pas.

Manifestement, les gouvernements successifs ne font pas confiance à l'intelligence territoriale... Le rapport Belot ne prévoyait pas le conseiller territorial, pas plus que celui de MM. Raffarin et Krattinger ne préfigurait les textes que vous nous soumettez. Depuis deux ans et davantage, que de salmigondis législatifs, à commencer par la suppression puis le rétablissement de la clause de compétence générale... (Applaudissements sur les bancs UMP et UDI-UC) Un jour blanc, un jour noir pour une réforme tout en gris et en chaos vers des lendemains instables...

Aucune étude d'impact, aucune concertation, aucune consultation des collectivités territoriales concernées... Comment comprendre la finalité réelle de ces projets de loi quand on les compare aux discours du président de la République, avant et après son élection, à vos déclarations ici-même, monsieur le Premier ministre, quand vous étiez ministre de l'intérieur. Je vous cite : « Le département est l'échelon de proximité, un échelon républicain par excellence ». Ou encore : « On n'améliore pas l'efficacité en éloignant les citoyens de la décision ». (Applaudissements à droite et au centre)

Faut-il aussi rappeler les déclarations du maire de Tulle sur la façon dont il avait obtenu du président de la République le rattachement du Limousin et de l'Aquitaine ? Le président de l'agglomération d'Aurillac, n'a pas eu le même succès... (Mlle Sophie Joissains s'esclaffe) Et je vous fais grâce des déclarations sur le terrain de nombre de collègues lors des sénatoriales, adeptes du cumul et détracteurs de votre réforme. Vérité sur le terrain, vérité à Paris...

Une carte régionale déconnectée des bassins de vie, c'est le retour des irrédentismes régionaux, au mépris de la nation et de l'égalité.

M. Bruno Sido.  - Absolument !

M. Jacques Mézard.  - Le rapport Raffarin-Krattinger, que nous étions nombreux à approuver, n'a que peu de rapport avec le présent projet de loi. Notre ancien collègue Krattinger le rappelait avec force en juillet dernier.

Les économies ? Elles viendront dans un avenir indéterminé... De fait, on préfère tailler dans les dotations des collectivités territoriales ! (Applaudissements au centre, à droite et sur les bancs CRC)

Pourtant, nombreux sont les élus à plaider pour une vraie modernisation territoriale : simplification et clarification des compétences, suppression de la clause de compétence générale, diminution du nombre de structures interstitielles -pays, syndicats mixtes, agences diverses-, surtout diminution des normes, insupportables. Les maires n'en peuvent plus de recevoir sans cesse des courriers qui leur imposent de nouvelles contraintes, alors qu'ils ont surtout besoin d'assistance ! (Applaudissements à droite, au centre et sur les bancs RDSE et CRC)

Quant aux territoires les plus ruraux, ils sont divers. Ce texte accentue les déséquilibres territoriaux. Comment voulez-vous que ces territoires se fassent entendre dans une grande région lorsqu'ils ont deux conseillers sur 150 ? Vous vous retranchez à tort derrière la jurisprudence du Conseil constitutionnel et vous leur infligez un traitement injuste. Les états généraux de la ruralité ne servent à rien. (Applaudissements sur les bancs UMP) Certains territoires vont non à une fusion mais à une annexion (Mlle Sophie Joissains applaudit) d'autant plus insupportable que la voix de leurs représentants sera étouffée. Je serai le représentant du département le plus enclavé de France... Triste privilège. Ce texte est mortifère pour mon territoire et pour ma sensibilité politique.

Monsieur le Premier ministre, j'ai respect et estime pour vous, vous le savez. Mais pour toutes ces raisons, je continuerai à combattre votre projet de loi. (Applaudissements à droite, au centre et sur les bancs RDSE et CRC)

M. Philippe Adnot .  - Je n'ai que cinq minutes, j'irai donc à l'essentiel. Le Sénat, en son temps, a voté à l'unanimité le principe des grandes régions. Je regrette que l'Alsace n'ait pas compris qu'elle pouvait réussir en étant dans une grande région.

M. Bruno Sido.  - Absolument.

M. Philippe Adnot.  - De grandes régions auront la capacité de gérer les grands dossiers. Je ne savais pas que les transports scolaires, la gestion des routes, des collèges en relevaient... Et d'économies, il n'y aura pas. De gabegie, si ; de favoritisme pour les grands groupes, si : nos PME y perdent à coup sûr.

« Réforme, réforme », répétez-vous. Votre médecine consiste à pressurer les collectivités territoriales, responsables de tous les maux. S'agissant du département, le transfert des routes, des transports scolaires et des collèges est une fausse piste : ce sont des services de proximité, cela ne générerait aucune économie. Ceux qui le proposent n'ont jamais géré un conseil général ! (Applaudissements sur les bancs UMP et UDI-UC) Il y aura toujours autant de TOS dans les collèges, toujours autant de kilomètres à entretenir et d'agents pour le faire...

Votre seuil de 20 000 habitants minimum pour les intercommunalités est une folie ; c'est ne pas tenir compte de la diversité de la France, de sa démographie, de sa géographie. D'ici trois ans, plus rien ne s'entreprendra car les communes ne sauront plus quelles sont leurs compétences ; elles n'investiront plus : on va détruire des milliers d'emplois dans le BTP. Vous le pressentez d'ailleurs, en annonçant un fonds ad hoc -mais en supprimant, par un amendement du ministre du budget, le mécanisme qui protégeait les communes défavorisées du département ! Ce reniement de la parole de l'État est un mauvais coup. La France a besoin d'un autre genre de mesures ! (Applaudissements à droite et au centre)

M. le président.  - La parole est au président Zocchetto, que j'assure de ma sympathie.

M. François Zocchetto .  - Je salue votre venue devant notre assemblée, monsieur le Premier ministre, mais il aurait peut-être fallu venir un peu plut tôt... Les Français ne s'y retrouvent plus et les grands électeurs ont peu apprécié la confusion des derniers mois, leur message a été clair.

À l'issue de votre intervention, je ne suis pas sûr d'être sorti du brouillard. Où sont les deux objectifs, lisibilité et réduction des déficits ?

M. Gérard Longuet.  - Nulle part !

M. François Zocchetto.  - Selon quels critères allez-vous distinguer entre vos trois catégories de départements, alors qu'il y a à peine six mois vous vouliez leur disparition ? Aucune étude d'impact ne vient étayer d'éventuelles économies... On fait croire aux Français qu'en divisant par deux le nombre de régions, on fera des économies spectaculaires. Stupéfiante méthode qui consiste à découper la réforme en deux textes, le contenant avant le contenu. Sans doute était-il plus facile de vendre une jolie carte en couleurs, facile à reproduire dans les journaux. (Applaudissements au centre et à droite) Redécouper les régions avant de décider ce qu'elles devront faire est un non-sens. (Applaudissements à droite et au centre) C'est comme construire un bâtiment sans savoir ce qu'on veut en faire !

Ce faisant, vous nous placez dans une position pénible. Soit nous nous rebellons contre la méthode, et vous en profiterez pour décrire le Sénat comme un repaire de conservateurs, soit nous votons un texte amendé et devenons par là même vos complices. C'est bien joué, mais c'est dommage pour le pays.

J'ai quelques suggestions à vous faire. Pour économiser 200 millions d'euros dès l'année prochaine, rétablissez donc la journée de carence dans la fonction publique ! (Applaudissements à droite) Revenez aux 39 heures dans le secteur non marchand ! (Mêmes mouvements) Assouplissez le statut de la fonction publique territoriale ! (Mêmes mouvements) A-t-on besoin des mêmes protections pour un magistrat ou un inspecteur des impôts et pour un ingénieur territorial ou un gardien de musée ? Donnez de l'air aux collectivités locales, laissez-les respirer ! (Applaudissements au centre et à droite)

La loi de décembre 2010 a permis de nombreuses avancées mais elle n'a pas clos le débat. Nous prônons une carte de huit à dix régions, s'appuyant sur un département profondément rénové. C'est le modèle défendu par Yves Krattinger et Jean-Pierre Raffarin. Vous dites vous appuyer sur ce rapport... (M. Alain Gournac s'exclame) mais en oubliant que de grandes régions ne seront efficaces qu'appuyées sur l'échelon le départemental -excepté les zones urbaines très denses.

M. Didier Guillaume.  - Le Premier ministre l'a dit.

M. François Zocchetto.  - Nous militons en faveur de lois cadres autorisant l'exercice d'un pouvoir réglementaire décentralisé. Pourquoi le RSA versé en Lozère ou en Mayenne serait-il du même montant qu'à Paris ? Universalité n'est pas uniformité... Laissez les conseils départementaux volontaires faire les adaptations nécessaires.

Oui, la commune doit rester l'échelon de base. Incitez les élus à la rationalisation, faites leur confiance ! (Applaudissements au centre) Le législateur doit être un facilitateur. Une réforme territoriale qui marche, ce ne sera jamais une réforme imposée depuis Paris. (Applaudissements au centre et à droite) La loi sur la métropole Aix-Marseille-Provence a été imposée sans concertation. Les communes des Bouches-du-Rhône demandent à être entendues, comme celles du Grand Paris. (Mlle Sophie Joissains applaudit)

Treize communes nouvelles ont été créées depuis la loi de 2010, c'est trop peu. La proposition de loi Pélissard est une opportunité à saisir. Nous devons aussi faciliter les rapprochements entre départements par un cadre législatif simple.

L'article 14 du projet de loi NOTRe prévoit de resserrer la carte intercommunale autour des bassins de vie. Mais il prévoit, dans le même temps, un relèvement du seuil minimal à 20 000 habitants ; vos propos sur le sujet ont été nuancés, nous serons vigilants. Nous sommes fermement opposés au seuil uniforme de 20 000 habitants. (Applaudissements à droite et au centre) Non à des rassemblements artificiels !

Quelle confusion aussi autour du calendrier électoral ! Ce n'est pas sérieux, vous le savez, vous qui avez été élu local. Les élections départementales auront finalement lieu en mars 2015. Soit, mais il faut que le mandat aille à échéance, c'est-à-dire jusqu'en 2021 ! (Applaudissements à droite et au centre)

En venant vous exprimer devant lui, vous rendez hommage au travail du Sénat, représentant constitutionnel des collectivités locales. Nous voulons, avec la nouvelle majorité, redonner toute sa force à la voix du Sénat. Ce Sénat-là, des élus enracinés dans leur territoire, vous n'en voulez plus, nous l'avons compris depuis la loi sur le non-cumul. Ne vous en déplaise, nous continuerons à porter la voix des territoires et celle de leurs élus. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Bruno Retailleau .  - Je salue l'initiative du président Larcher, qui a invité le Premier ministre à venir mettre cette réforme territoriale en perspective. Je remercie le Premier ministre d'avoir répondu favorablement ; j'espère qu'il ne le regrette pas... (Rires à droite)

M. Roger Karoutchi.  - Pas encore !

M. Bruno Retailleau.  - Pareille remise en perspective était nécessaire pour remettre le Sénat au coeur de cette réforme, et plus encore pour sortir de la confusion.

Née dans la panique après les municipales, votre réforme est marquée du double sceau de l'improvisation et de la contradiction. La carte des régions a été dessinée sur un coin de table et les économies attendues sont illusoires. De la déclaration d'amour du président de la République au département à leur suppression, puis au département à trois vitesses, où est la logique ? Elle a d'ailleurs été sanctionnée dans les urnes le 28 septembre.

Le nouveau Sénat doit-il être bloqué dans une posture pavlovienne d'opposition ? Non, nous voulons que le Sénat imprime sa marque. Mais pas à n'importe quelles conditions. Nous ne nous contenterons pas de paroles. Votre amendement sur la carte a provoqué chez moi la même réaction que chez le président Mézard. Vous dites vouloir le dialogue, mais si vous ne retenez aucun de nos amendements, vous aurez un Sénat de combat ! (Applaudissements à droite et au centre)

Notre feuille de route, c'est le rapport Raffarin-Krattinger, dans toute sa logique -pas à la découpe !

Redonnez donc du sens à la réforme. Recentralisation ou décentralisation ? La France -capétienne, impériale, républicaine- a l'obsession de l'unité. Cependant, au fil de l'histoire, on s'est aperçu de la nécessité d'une respiration territoriale, celle des provinces ou des régions. Dès le XIXe siècle, de grandes lois de libertés communales et départementales furent votées. Puis vinrent le général de Gaulle et François Mitterrand. Votre texte, c'est un recul, une rupture. Vous recentralisez, déjà dans la méthode : la carte a été dessinée non avec les provinciaux mais avec les féodaux. Grave erreur de redécouper les régions avant de réfléchir aux compétences ! (Applaudissements à droite) Vous avez ainsi renforcé le communautarisme territorial.

Vous recentralisez sur le fond. Après le jacobinisme parisien, voici le jacobinisme régional, qui impose sa volonté aux départements et aux communes. La France n'est pas un pays fédéral et nous nous opposerons au démembrement de la République ! Je suis consterné de lire dans un quotidien qu'un grand président de région éprouve de la honte lorsqu'il intervient après le préfet. Les compétences doivent être partagées, sans quoi nous créerons des mammouths.

Vous voulez renforcer le rôle des préfets : recentralisation encore.

Monsieur le Premier ministre, vous avez enfin ouvert une porte sur l'économie et l'emploi. Cependant, vous ne supprimez aucun doublon entre les compétences des régions et des départements -aides à la pierre, logement, eau- sans parler du doublonneur en chef qu'est l'État ! Il est temps d'y mettre de l'ordre ! (Applaudissements au centre et à droite) Incapable de penser ensemble réforme territoriale et réforme de l'État, vous êtes condamné à l'inefficacité. C'est en transférant de nouvelles compétences de l'État que nous poursuivons la décentralisation ! Lamennais disait que la centralisation, c'est l'apoplexie au centre et la paralysie à la périphérie.

Souciez-vous aussi de proximité. Des administrations régionales hypertrophiées ne sont pas une réponse aux trois grandes crises françaises.

Première crise : celle de la démocratie. Les Français n'ont plus confiance qu'en leurs élus locaux. On se méfie toujours des institutions lointaines, et ce n'est pas en affaiblissant les collectivités que vous renforcerez la démocratie nationale ! (Applaudissements à droite) Méditez la leçon de la cité grecque.

La deuxième crise est sociale : lisez Christophe Guilluy qui parle très bien de la France des oubliés et des invisibles. Seul le département est garant de la solidarité. Un délai de cinq ans pour trancher du sort du département serait une source d'instabilité, qui s'ajouterait à la ponction financière non de 11 mais de 28 milliards d'euros en réalité.

Troisième crise : celle de l'économie. La puissance n'est pas liée à la taille. Pourquoi donc confier aux régions la gestion des transports scolaires? C'est de stratégie qu'elles doivent s'occuper et, au lieu des mammouths, être des tigres. (M. Manuel Valls, Premier ministre, sourit)

Faites confiance aux territoires, au lieu de leur imposer un découpage. Quel pire exemple d'une réforme imposée depuis Paris que celle des rythmes scolaires ? (Vives approbations à droite)

À l'uniformité napoléonienne, je préfère la diversité. La loi du nombre est celle de l'idiotie. Un nombre ne raisonne pas. 20 000 habitants, dans bien des territoires, c'est beaucoup trop ! (Vifs applaudissements au centre et à droite) Laissez les territoires décider ! La réforme territoriale n'est pas un exercice de géométrie euclidienne.

Les territoires sont la force de la France, le visage de la France.

Mme Catherine Tasca.  - Des mots !

M. Bruno Retailleau.  - Vous ne pouvez pas, monsieur le Premier ministre, réussir une réforme de l'État sans véritable réforme territoriale ; vous ne pouvez pas réussir la réforme territoriale sans le Sénat et contre les élus locaux. (Mlle Sophie Joissains applaudit) Le Sénat vous offre son expertise, sa passion des territoires, sa capacité à dépasser les clivages, dans l'intérêt supérieur de la France. Faites preuve d'ouverture, monsieur le Premier ministre ! Il en va de nos territoires, de la République et de la France ! (Mmes et MM. les sénateurs UMP se lèvent et applaudissent longuement ; quelques sénateurs centristes font de même)

M. Didier Guillaume .  - Merci d'être au Sénat, monsieur le Premier ministre, pour ce débat sur la réforme territoriale, souhaité par le président Larcher. Votre discours s'apparente à un discours de politique générale sur les collectivités. Ce que vous proposez, c'est justement de s'appuyer sur l'intelligence des territoires, comme le demande le président Retailleau. Il y a trente-deux ans qu'ont été votées les lois de décentralisation...

M. Jean-François Husson.  - Nostalgie !

M. Didier Guillaume.  - Non mais depuis, tout a bougé et il faudrait que les collectivités territoriales ne bougent pas ?

Au contraire, c'est une nécessité démocratique, économique et financière. Oui, les réformes sont difficiles. Le résultat des élections sénatoriales, a-t-on dit, s'explique par l'incompréhension devant cette réforme. Il en est allé de même en 2011 face au conseiller territorial !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - C'était une bonne réforme !

M. Didier Guillaume.  - Essayons de nous mettre d'accord sur l'essentiel. La suppression des départements ? M. Fillon l'a proposée il y a peu encore...Une recentralisation serait mortifère. Il faut une réforme pour rendre plus utiles les collectivités territoriales. Est-ce qu'elles fonctionnent si bien ? J'entends les présidents de conseils généraux dire que l'État ne paie pas ses dettes sur l'APA et le RSA. J'entends les présidents de conseils régionaux dire qu'ils ont perdu toute autonomie financière. J'entends, enfin, les maires dire qu'ils n'ont plus les moyens d'investir parce que l'État leur serre trop la ceinture. Cela ne date pas de ces deux dernières années. Redonnons aux régions de l'oxygène, aux départements de vraies responsabilités et aux communes de quoi investir.

Depuis quand les élus se plaignent-ils ? Cela ne date certainement pas de 2012. Surtout, gardons-nous de mettre en cause les élus. Ce sont les hussards de la République, ceux qui sont tous les jours à l'oeuvre dans notre territoire. Les attaquer, c'est s'en prendre à la République. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mais ne cédons pas au conservatisme. D'ailleurs, il n'y a pas de conservateurs dans cet hémicycle. (M. Georges Labazée rit et désigne le côté droit de l'hémicycle) N'opposons pas ville et campagnes, réaffirmons que la ruralité est un joyau, une chance pour notre pays, autant que les métropoles !

Il importe de clarifier les compétences, les structures et les financements. La position du groupe socialiste se fonde sur quelques principes : solidarité, proximité -indispensable pour redonner confiance aux Français-, clarté, efficacité.

Le débat est légitime mais nous pouvons nous retrouver sur un socle commun. De grandes régions, d'abord, recentrées sur l'économie. Le rapport Raffarin-Krattinger démontrait leur nécessité. Personne n'a eu le courage de s'attaquer à cette réforme avant ce gouvernement ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Des intercommunalités puissantes, ensuite. Rappelons-nous la réforme Sarkozy-Fillon qui voulait forcer les communes à se regrouper ! Le chiffre de 20 000 habitants, avancé au départ, est inacceptable et nous saluons votre propos, monsieur le Premier ministre : il en faudra plus ou moins selon les lieux.

Il faut aussi inciter les communes à se regrouper. Les conseils départementaux, eux, doivent jouer un rôle de proximité, de solidarité territoriale et humaine. Merci au Premier ministre de l'avoir reconnu. En revanche, une clarification de leurs compétences est indispensable.

M. Alain Joyandet.  - C'est le conseiller territorial.

M. Didier Guillaume.  - Non, nous ne sommes pas de ceux qui plaident pour la réduction du nombre d'élus ! Les transferts de compétences doivent être poursuivis : à l'État aussi de consentir des efforts.

Les fonctionnaires territoriaux s'inquiètent.

M. Éric Doligé.  - Enfin, vous en parlez !

M. Didier Guillaume.  - Dans le socle commun que nous proposons, il s'agit aussi de sécuriser leur statut. Peut-être certains atermoiements auraient-ils pu être évités. Mais ce n'est pas le premier gouvernement à tomber dans ce travers !

Retrouvons-nous sur l'essentiel, par-delà nos désaccords. Le Sénat, pour être respecté, doit avancer dans le sens de la modernité ! Défendons la République décentralisée, dans l'intérêt de notre pays. (Mmes et MM. les sénateurs socialistes se lèvent et applaudissent)

M. Ronan Dantec .  - Les écologistes défendent depuis toujours le renforcement des compétences des collectivités territoriales, et en particulier des régions et des intercommunalités -avec des conseillers communautaires élus au suffrage universel direct. Nous avons donc applaudi à vos annonces du mois d'avril, monsieur le Premier ministre. La suppression des départements bousculait les conservatismes, nous étions prêts à vous aider.

Aujourd'hui, nous sommes un peu désorientés. Je ne dirai pas que la boussole n'affiche pas le nord, de peur d'être mal compris...

Parler de redécoupage avant de discuter des compétences ne contribue pas à la clarté du débat. Si l'on avait procédé en sens inverse, l'incohérence des tenants du statu quo en Bretagne et en Pays de la Loire qui, par calcul politique de court terme et patriotisme d'organisation prônent l'immobilisme, aurait sauté aux yeux : un même schéma directeur ne couvrira pas l'axe principal de circulation qui lie Nantes à Rennes.

Le manque de précision sur les mécanismes de solidarité interrégionaux n'aide pas non plus.

Pourquoi n'avoir pas ouvert un large débat sur le redécoupage des régions ? Le sujet passionne les Français. La consultation, ce n'est ni la chienlit ni la boîte de Pandore, contrairement à ce que j'ai entendu dire. Pourquoi refuser d'écouter les citoyens ? C'est le seul moyen de les arracher à l'abstention ou aux extrêmes.

Nous soutenons le projet de collectivité unique d'Alsace. Un peu de souplesse !

La disparition des départements n'est plus à l'ordre du jour. Certains y voient l'effet d'un accord politicien. Mais nous reconnaissons, nous aussi, que le département a un sens dans certains territoires. Le débat a fait évoluer les positions, y compris la nôtre. Je propose un slogan simple : moins de régions, moins de départements. Faites confiance, comme le demande le président Mézard, à l'intelligence territoriale !

La question du bicamérisme doit être posée. Une deuxième chambre régionale, issue des territoires, n'apaiserait-elle pas les inquiétudes ? Il faudra aussi renforcer le statut de l'élu local, et rassurer les fonctionnaires territoriaux, acteurs clés de la cohésion territoriale.

La réforme est au milieu du gué. Dans le brouillard des compétences, nous ne discernons pas grand-chose. Il est temps de faire un bond pour atteindre l'autre rive ! (Applaudissements sur les bancs écologistes)

Mme Éliane Assassi .  - Merci au président Larcher et au Premier ministre d'avoir permis ce débat. Avant tout, je veux dire l'émotion de mon groupe face à la mort de Rémi Fraisse survenu dans des conditions qu'il faudra éclaircir. Nous espérons que la lumière sera faite sur ce drame. Rien ne justifie la mort d'un jeune homme de 21 ans qui manifestait contre le projet de barrage de Sivens, dans le Tarn.

L'économie est en berne, l'austérité sévit. Les collectivités territoriales sont souvent le dernier rempart contre la dislocation sociale. Une nouvelle fois, vous avez présenté, monsieur le Premier ministre, un projet qui tourne le dos aux valeurs de la gauche. Pour financer la politique de l'offre demandée par le Medef, vous demandez des efforts aux Français et aux collectivités. Vos 50 milliards, les 120 milliards voulus par la droite : moins pire ou pire, c'est toujours pire...

Après les espoirs de 1982, la révision constitutionnelle de 2003 a ouvert la voie au morcellement du pays et à la privatisation de vastes pans du service public. La réforme de 2010, combattue par toute la gauche, est allée dans le même sens. Seul le conseiller territorial a été supprimé, par le vote d'une proposition de loi de notre groupe.

Austérité, concurrence entre les territoires, nouveaux espaces pour les marchés : voilà les objectifs de cette réforme. Vous vous pliez aux exigences de la Commission européenne et de l'obscur Comité des régions, qui n'ont de cesse de dissoudre le cadre national pour faciliter la libre circulation des capitaux et des travailleurs sans droits.

Vous sacrifiez les structures démocratiques pour mieux vous éloigner de l'intérêt général. L'État est recentré sur ses fonctions régaliennes, conformément au dogme libéral. Les régions les plus riches, comme de vastes trous noirs, aspireront toujours plus de richesses ; les plus démunies seront laissées au bord de la route.

Cette réforme porte en son sein l'éclatement de l'égalité républicaine. La loi sur les métropoles offre au capital les vastes espaces dont il a besoin pour satisfaire ses appétits.

Vous répétez comme un disque rayé que les regroupements et mutualisations conduiront à une réduction de la dépense publique. Or les agences de notation elles-mêmes prévoient que le mouvement entrainera des dépenses supplémentaires pendant cinq à dix ans ! Il n'y aura baisse de la dépense qu'au prix de coupes brutales dans les services publics, objectif inavoué de cette réforme. Comment pouvez-vous ignorer la colère des élus, des fonctionnaires et des citoyens ?

On nous accuse d'archaïsme. Mais c'est votre politique qui se fonde sur les vieux principes de Smith et Ricardo, à peine dépoussiérés. Non, nous ne défendons pas les solutions d'hier, monsieur le Premier ministre ! Le progrès suppose de placer l'humain et non la finance au coeur des décisions.

La réforme territoriale doit s'accompagner d'une réforme fiscale qui renforce les capacités des collectivités territoriales et se fonde sur les principes suivants : démocratie, proximité, coopération, services publics. L'État lui aussi doit jouer son rôle.

Nous plaidons pour une VIe République. Nous n'avons pas peur des réformes institutionnelles, à condition qu'elles renforcent la démocratie.

Votre réforme doit être soumise au peuple. Les citoyens sont attachés à leurs collectivités territoriales : 32 000 signatures dans le Val-de-Marne. L'heure est au choix entre la vraie modernité et le passéisme dont vous vous faites le porte-parole. (Applaudissements sur les bancs CRC ; plusieurs membres du groupe UMP applaudissent aussi, ce dont le Premier ministre s'amuse)

M. Philippe Bas.  - (Applaudissements sur les bancs UMP) Vous revendiquez la clarté, la simplicité, la lisibilité. Je crois savoir le modèle qui est le vôtre... Si votre réforme manque de ces qualités, votre discours lui, était clair : suppression des départements, renforcement des intercommunalités, oubli des communes. Mais vous ne l'assumez pas.

M. David Assouline.  - On n'y comprend rien !

M. Philippe Bas.  - Votre modèle, c'est celui de l'État qui aggrave les charges des collectivités, comme en témoigne l'exemple que vous avez malencontreusement brandi de la réforme des rythmes scolaires.

Les activités périscolaires coûtent, dans ma modeste communauté de communes, 8,5 % des ressources fiscales !

M. David Assouline.  - C'est un investissement pour l'avenir !

M. Philippe Bas.  - Quant aux régions, vous les lestez de lourdes compétences de proximité : collèges, routes...

Les départements, vous ne les supprimez ni aujourd'hui ni demain, car vous ne serez pas là en 2020 ! Vous postulez pour compte d'autrui. Vous avez peur de soumettre cette réforme au peuple français, c'est pourquoi vous avez reculé. Mais vos concessions ne vous engagent à rien. En 2017, nous aurons un nouveau gouvernement, sur lequel il serait immodeste de spéculer. Quoi qu'il en soit, vous handicapez l'avenir des départements.

Les intercommunalités, vous les déstabilisez, les bouleversez, les disloquez. Vous êtes revenu sur ce seuil absurde de 20 000 habitants, tant mieux. Cependant, remettre le couvert sans donner à ces collectivités le temps de reprendre souffle n'est pas de bonne politique. Enfin, les communes seront diluées dans de grands ensembles.

Nous pouvons avancer, monsieur le Premier ministre, à condition de ne pas emprunter de détours. Une ligne droite, des concessions qui ne soient pas seulement spéculatives et effectives dans cinq ans. Alors mettez un peu de clarté dans votre réforme : non aux régions obèses, oui aux départements car, comme l'a dit le président Mézard, nous croyons à leur avenir.

Au lieu de cela, vous avez choisi la pire solution : celle de l'entre-deux. Personne ne s'y retrouve dans votre discours qui va de la suppression des départements à leur maintien dans certaines zones. Qu'en ressort-il ? Le remplacement d'un système démocratique par un système technocratique ! (Applaudissements à droite)

Une carte dessinée sur un coin de table et le législateur sommé de l'examiner à la hussarde. Nous sommes, à droite, animés d'un esprit coopératif (on ironise sur les bancs socialistes) à condition, toutefois, que vous nous entendiez, que le droit d'option prenne corps. Sans cette soupape, la réforme serait trop brutale, irrespectueuse de la démocratie.

Monsieur le Premier ministre, nous aimerions vous aider... (Mêmes mouvements)

Mme Catherine Tasca.  - Chiche !

M. Philippe Bas.  - Ne restez pas dans l'Histoire comme le créateur d'un nouveau centralisme : le centralisme des super-régions. Il en cache un autre : le centralisme d'État.

M. Manuel Valls, Premier ministre.  - Qui a fait la réforme de l'administration territoriale de l'État, la RéATE ?

M. Philippe Bas.  - Et puis, aucune réflexion sur les compétences. À côté de la formation professionnelle, les régions pourraient recevoir des compétences en matière d'emploi : j'ai apprécié votre ouverture sur ce sujet. Pour simplifier le millefeuille administratif, vous proposez de supprimer un échelon ; notre modèle est plutôt de spécialiser les échelons. Cela s'appelle le principe de subsidiarité inscrit dans la Constitution par le président Chirac.

Nous voulons une réforme simplificatrice et démocratique, nous ne désespérons pas d'être entendus ! (Applaudissements à droite et au centre)

M. René Vandierendonck .  - Merci, monsieur le Premier ministre, merci d'être venu au Sénat vous prêter à ce débat. Vous rencontrez souvent les élus locaux. Il y a des marges pour le dialogue. Je le sais pour avoir rapporté la loi Mapam. Nous avons alors posé des jalons, créé des outils de contractualisation entre l'État et les collectivités territoriales, reconnu la diversité des territoires. Merci, monsieur le Premier ministre, d'avoir vous-même admis le principe de différenciation. Oui, ce fut chaotique. Nous avons parlé de la clause de compétence générale. Dans nos débats très juridiques et sophistiqués, nous sommes tout de même convenus que la liberté des collectivités était très interstitielle. Nous avons également évoqué les chefs de file, et bien d'autres sujets. Heureusement, nous n'en sommes plus à la question de savoir s'il fallait confier au bloc communal la compétence qualité de l'air. (Sourires)

Il faut être au Sénat pour voir cela : le rapport Raffarin-Krattinger a été recueilli l'unanimité. Le Gouvernement le respecte : un petit nombre de régions stratèges. La stratégie n'est pas un gros mot, c'est d'elle que les Français puiseront leurs forces. En revanche, et c'est là où M. Retailleau a raison, nous n'avancerons pas si nous ne supprimons pas les doublons, y compris ceux dont l'État est responsable.

Un inspecteur des finances, le président Queyranne et un entrepreneur se sont penchés sur les aides aux entreprises : elles représentent plus de 46 milliards. Regardons-y de près : elles sont éclatées, dispersées, fragmentées. Les unifier et les joindre à la compétence formation professionnelle au profit des régions constituerait un grand pas en avant.

Idem pour la clarification de la responsabilité de l'aménagement. Pour l'heure, l'exercice de cette compétence est purement contemplatif...

Je plaide depuis longtemps pour l'avenir des départements. En tant que rapporteur, j'ai commencé mes auditions et je n'ai pas entendu beaucoup d'intercommunalités me dire « vivement qu'on nous confie les compétences sociales du département ! » (Rires et applaudissements)

Le département n'a-t-il d'avenir qu'en milieu rural ? Un géographe est venu nous expliquer combien les politiques de solidarité sont essentielles, aussi, dans la périphérie des villes, le « périurbain subi » -voyez, moi aussi je lis Guilluy ! (Sourires)-, les territoires touchés par les plans sociaux. Oui, les départements ont un avenir.

M. Bruno Retailleau.  - Venez avec nous !

M. René Vandierendonck.  - D'accord avec la Cour des comptes : il faut rationnaliser. 1 433 syndicats mixtes comptant 73 000 agents, c'est trop. L'intercommunalité doit reprendre certaines de leurs compétences, mais on aura aussi besoin des départements. Le Gouvernement a donné des signes très clairs, et je l'en remercie, sur l'intercommunalité, les contrats de gouvernance et l'avenir de la proposition de loi Sueur-Richard.

Je souhaite que nous retrouvions le climat de travail qui était le nôtre sur la loi Mapam. Faute de quoi, d'autres décideront pour nous ! (Applaudissements prolongés sur tous les bancs)

M. Manuel Valls, Premier ministre .  - Pourquoi en sommes-nous là ? J'ai entendu les mots de crise de confiance, de crise identitaire. Objectivement, elles sont là depuis au moins dix ans. C'est un mouvement long. L'empilement des compétences, l'accumulation des échelons ont créé de l'illisibilité. Il faut moins décentraliser que simplifier et clarifier, d'autant que la crise des finances publiques l'impose aussi.

Faire 150 milliards d'euros d'économies ? Où donc ? L'État ? Les collectivités territoriales ? La sécurité sociale ? On ne peut agir qu'avec doigté. Parce qu'il y a crise des finances publiques, chacun doit s'interroger sur la manière dont les collectivités locales peuvent donner leur réponse à cette question.

Quand François Hollande a remporté l'élection présidentielle en 2012, la situation était celle que vous connaissez. La gauche n'a pas su présenter un nouveau projet de décentralisation ; nous avons tâtonné, puis nous avons commencé par les métropoles. Reste à voir comment faire vivre les solidarités avec les autres territoires. Les contradictions sont partout. Je le constate dans les associations d'élus et entre elles, comme d'ailleurs à l'intérieur de la nouvelle majorité sénatoriale. Ces contradictions, il nous faut parvenir à les dépasser.

Il y a des débats et de faux débats. Recentralisation ? Mais non ! Ce ne serait pas possible, ne serait-ce que pour des raisons budgétaires et parce que telle est la matière : la gauche a porté la décentralisation. La question est de renforcer les régions et les préfets départementaux dans la coordination de l'interministérialité. Qui a poussé les préfets de région, monsieur Bas, si ce n'est la droite sous le précédent quinquennat avec la RéATE ?

Cette réforme territoriale est une formidable occasion non seulement de poursuivre la décentralisation mais de supprimer les doublons, M. Vandierendonck l'a fort bien senti. Les vrais débats doivent porter sur la solidarité, la proximité.

La France n'est pas un État fédéral. La République est une et indivisible dans la diversité. M. Mézard a fait un sort injuste aux assises de la ruralité, égratignant au passage Mme Pinel... (Rires à droite) La fracture entre les territoires ouverts à la mondialisation et ceux qui se sentent abandonnés existe, elle est une réalité. C'est elle que nous devons résorber. Donc, pas d'État fédéral mais une République décentralisée.

Je suis pour le consensus, avec le Sénat comme à l'Assemblée nationale. Il y en a un sur l'intercommunalité. Le Gouvernement peut évoluer sur le seuil des 20 000 habitants, je l'ai dit explicitement devant les élus de montagne. Prenons garde cependant d'éviter le morcellement. Il y a un consensus sur des régions fortes dotées de la compétence emploi.

La carte dessinée sur un coin de table à l'Élysée ? Allons !

Plusieurs voix à droite.  - Mais c'est vrai !

M. Manuel Valls, Premier ministre.  - Et alors ! Vous auriez voulu que j'accomplisse le chemin inverse et consulte les régions, une par une ? Il fallait bien mettre une proposition sur la table ! Oui, le Gouvernement a déposé un amendement pour revenir à la carte votée par les députés : on ne peut pas nous le reprocher. Personne n'aurait pensé que nous aboutirions à une carte en quelques semaines.

La réduction de la dépense publique, elle, nous rassemble, du moins ceux des orateurs qui ont répondu à ce que j'ai dit plutôt que lu un texte déjà préparé. De même que l'importance des communes.

M. Jean-François Husson.  - Et les départements ?

M. Manuel Valls, Premier ministre.  - J'y viens. Aux conseils généraux plutôt. L'idée de les supprimer n'est pas nouvelle.

M. Bruno Retailleau.  - L'erreur est partagée...

M. Manuel Valls, Premier ministre.  - Pour les supprimer, il faudrait réviser la Constitution. Le débat sur l'échelon le plus adéquat pour la solidarité est légitime. On peut poser la question de la fusion de deux départements : l'Ardèche et la Drôme, les deux Savoie. Je n'ai jamais dit : « Dans cinq ans, le département sera supprimé » ! Avançons, menons des expérimentations pour conserver un échelon garant de la solidarité et de la cohésion territoriale. Le Gouvernement n'entend donc nullement le supprimer ; cherchons ensemble la bonne formule. J'avais pensé à trois cas de figure : supprimer le département autour d'une grande métropole, conserver les départements à prédominance rurale ou de montagne, faire ailleurs des fédérations d'intercommunalités. Je ne suis pas sûr que ce soit la bonne formule ; si vous avez mieux, je suis ouvert au débat.

Enfin, ce qui nous rassemble est l'attachement aux élus, la vertu de la décentralisation et le rôle du Sénat dans la réforme. Premier ministre, je suis respectueux des institutions et ouvert au dialogue. Nous pouvons avancer ensemble ! (Applaudissements sur les bancs socialistes et sur divers autres bancs)

M. le président.  - Merci pour ce débat utile avant d'entrer dans le vif de la discussion avec l'examen du projet de loi.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale.  - Notre commission spéciale se réunit dans dix minutes.

La séance est suspendue à 20 h 5.

présidence de Mme Jacqueline Gourault, vice-présidente

La séance reprend à 22 h 15.