II. LIMITES ET COMPLÉMENTARITÉ DES MESURES DE LA CROISSANCE

Après avoir montré comment, à court terme, l'orientation du PIB peut s'écarter de celle de l'activité, la croissance française depuis 1998 sera passée au crible des différents instruments de mesure précédemment abordés, y compris dans le cadre d'un exercice prospectif pour 2009.

A. LE PARADOXE APPARENT DU DÉCOUPLAGE ENTRE L'ACTIVITÉ ET LA CROISSANCE DU PIB

Le graphe suivant retrace quatre années d'une activité économique fictive quoique réaliste 31 ( * ) , permettant  d'apprécier la relativité des principaux instruments rencontrés.

L'activité économique ralentit fortement alors que le taux de croissance du PIB augmente...

...puis l'activité économique repart alors que le taux de croissance du PIB diminue.

Source : Sénat

La courbe jaune retrace l'évolution de la production, les seuils rouges le PIB annuel résultant de cette production, les dénivelés successifs (flèches noire) matérialisant la croissance du PIB.

1. La croissance peut accélérer alors que l'activité ralentit...

Le graphe dessine un exercice N marqué par une progression de l'activité relativement soutenue (forte pente de la courbe jaune : + 3 % de croissance en glissement du 4 ème trimestre N-1 au 4 ème trimestre N), à laquelle succède un net ralentissement (tassement de la courbe jaune). Cependant, le taux de croissance pour N, obéré par un acquis de croissance limité à 0,2 % au 1 er janvier N (la courbe jaune ne s'éloigne guère de celle du PIB au 4 ème trimestre N-1), ne ressort qu'à 1,5 %.

En revanche, malgré la faiblesse de la croissance en glissement observée en N+1 (+ 1 % du 4 ème trimestre N au 4 ème trimestre N+1), un acquis de croissance atteignant 2 % au 1 er janvier N+1 (la courbe jaune se détache largement de celle du PIB au 4 ème trimestre N) permet d'obtenir un taux de croissance du PIB de 2,5 %.

Ce taux ne rend pas compte de performances économiques médiocres (cf. courbe jaune) tandis que l'évolution du taux de croissance entre N (1,5 %) et N+1 (2,5 %) suggère que l'économie accélère alors qu'elle est en phase de ralentissement 32 ( * ) .

Outre le taux de croissance en glissement, le taux de croissance trimestriel annualisé permet ici d'affiner la perception ; ainsi, au 4 ème trimestre N+1, avec un taux de croissance du PIB de 0,02 %, le taux de croissance annualisé ressort à moins de 0,1 %.

2. ... et inversement

Sur le même graphe, l'année N+2 dessine une reprise (redressement de la courbe jaune), assez vigoureuse à partir du second trimestre, si bien que la croissance en glissement (du 4 ème trimestre N+1 au 4 ème trimestre N+2) atteint 2 %. En revanche, le taux de croissance en moyenne annuelle, handicapé par un très faible acquis de croissance au 1 er janvier N+2 (< à 0,1 %) et une quasi-stagnation au premier semestre, est limité à 1 %.

Non seulement ce dernier taux ne rend pas vraiment compte des performances économiques de l'année N+2, mais surtout l'évolution du taux de croissance entre N+1 (2,5 %) et N+2 (1 %) donne ici l'impression d'un ralentissement économique alors que l'inverse se produit .

En revanche, le taux de croissance annualisé dépasse 4 % au 4 ème trimestre N+2, sur la base d'un glissement trimestriel supérieur à 1 %.

*

Au final, on mesure l'« inertie » qu'exerce l'activité de l'année passée sur la croissance annuelle du PIB : un exercice succédant à une année dynamique (c'est-à-dire avec une forte croissance en glissement) bénéficie d'un véritable « bonus » que mesure l'acquis de croissance au 1 er janvier, situé à un niveau élevé ; en revanche, un exercice succédant à une année statique (c'est-à-dire avec une faible croissance en glissement) souffre d'un handicap dont la faiblesse de l'acquis de croissance donne alors la mesure.

B. LA FRANCE DEPUIS 1998

1. Examen de la croissance de 1998 à 2008

L'exemple précédent a été construit pour montrer que le seul suivi du PIB annuel conduit facilement à des conclusions erronées sur l'évolution effective de l'activité. En réalité, le découplage entre l'évolution de l'activité et les taux de croissance peut tout aussi bien s'avérer négligeable, selon la fréquence et le positionnement calendaire des inflexions de la croissance.

D'ailleurs, dans l'hypothèse d'un taux de croissance trimestriel constant, les trois mesures annuelles que sont la croissance en moyenne, la croissance en glissement et la croissance trimestrielle annualisée prennent la même valeur 33 ( * ) .

L'examen du graphe ci-après, qui retrace la croissance du PIB en France depuis 1998, permet d'analyser différents cas de figure :

Source : Sénat, données INSEE (Comptes Nationaux) et prévisions intermédiaires de la Commission européenne de septembre 2008 pour le 2 ème semestre 2008.

Lecture : La courbe jaune retrace l'évolution de la production trimestrielle et les seuils rouges, le PIB annuel résultant de cette production. Pour chaque année civile, sont mentionnés sur le graphe la croissance en glissement du 4 ème trimestre N sur le 4 ème trimestre N-1 (chiffres blancs) et la croissance en moyenne annuelle (chiffres noirs). L'acquis de croissance au 1 er janvier figure en abscisse, au regard de chaque année civile.


• Certaines années, la croissance moyenne du PIB affichée est sensiblement découplée de l'évolution infra-annuelle de l'activité, soit dans un sens moins favorable, comme en 1999 et en 2003, soit plus favorable, comme en 2001 et, vraisemblablement, en 2008 34 ( * ) . Cet exercice appelle ici un développement particulier.

En admettant que les prévisions de la Commission européenne pour le second semestre 2008 se réalisent, la croissance moyenne , de l'ordre de 1 % , recouvrirait une stagnation en glissement du 4 ème trimestre 2007 au 4 ème trimestre 2008.

De fait, ce taux de 1 % n'excèderait guère l'acquis de croissance , établi à 0,75 % en début d'année. En comparaison, la croissance moyenne annuelle des années 2002 et 2003, certes limitée à 1,1 %, a été handicapée par un acquis de croissance très faible (2003) sinon négatif (2002) et recouvrait une croissance en glissement de l'ordre de 1,5 %.

Au total, il se pourrait que l'orientation de l'activité au cours de 2008 soit particulièrement décevante 35 ( * ) .


• En revanche, la croissance moyenne du PIB et l'évolution infra-annuelle de l'activité sont globalement couplées de 2004 à 2007, années au cours desquelles le rythme relativement régulier de l'augmentation de la production a pour effet de contenir l'écart entre la croissance en glissement et la croissance moyenne, tandis que l'acquis de croissance tourne autour de sa valeur de long terme 36 ( * ) .

2. Une interprétation prospective : les prévisions de croissance pour 2009

a) Implications d'une croissance de 1 % en 2008 et 2009

Les hypothèses macroéconomiques associées au projet de loi de finances pour 2009 37 ( * ) établissent la prévision de croissance en moyenne annuelle pour 2008 à 1 %. Avec une croissance déjà connue au premier semestre (glissement trimestriel de + 0,4 % au 1 er trimestre 2008 et de - 0,3 % au 2 ème trimestre 2008), les hypothèses de croissance du Gouvernement pour le second semestre 2008 sont proches des prévisions de la Commission européenne qui, sur l'année 2008, prévoit également une croissance moyenne de 1 %, obtenue avec une stagnation au 3 ème trimestre 2008 et une augmentation de 0,1 % du PIB au 4 ème trimestre 2008 38 ( * ) .

C'est donc une quasi-stagnation qui est attendue au second semestre 2008, aussi bien par la Commission européenne que par le Gouvernement, dont le communiqué de presse précise en conséquence que « l'activité devrait redémarrer graduellement en 2009 ».

Pour 2009, « le Gouvernement estime prudent de construire le projet de loi de finances (...) sur une hypothèse de croissance de 1 % . Néanmoins son objectif est que, portée par l'ensemble des réformes structurelles engagées en 2008, comme la loi de modernisation de l'économie et les mesures favorables à l'emploi, ainsi que par le reflux de l'inflation amorcé dès le mois d'août, la croissance dépasse significativement cette hypothèse volontairement prudente ». Le Gouvernement fait alors état d'une croissance pour 2009 située dans une fourchette comprise entre 1 % et 1,5 % .

Compte tenu des prévisions gouvernementales de croissance pour 2008, l' acquis de croissance pour 2009 devrait être nul 39 ( * ) , ce qui constitue une hypothèse plus optimiste que celle de l'INSEE 40 ( * ) .

Dès lors, avec un exercice 2008 statique, il faut que l'année 2009 connaisse un net redémarrage pour parvenir à une croissance annuelle de l'ordre de 1 % ou de 1,5 %.

Ainsi, pour obtenir une croissance en moyenne de 1 % en 2009 , la croissance en glissement requise du 4 ème trimestre 2008 au 4 ème trimestre 2009 serait de l'ordre de 2 % et, pour obtenir une croissance en moyenne de 1,5 % en 2009, la croissance en glissement requise du 4T 2008 au 4T 2009 graviterait autour de 3 % . Ces résultats sont établis sur la base d'une reconstruction du profil de croissance en 2009.

b) Construction ex ante d'un profil de croissance pour 2009

Selon le profil de l'activité courant 2009, la croissance en glissement du 4 ème trimestre 2008 au 4 ème trimestre 2009 peut, en théorie, prendre différentes valeurs pour une même croissance en moyenne annuelle. Afin de définir les bornes d'un profil plausible de l'activité, on a construit deux « profils-types » d'activité en 2009 :

- le premier est caractérisé par un redémarrage linéaire, avec un taux de croissance trimestriel constant ;

- le second est celui d'un « redémarrage graduel », avec une croissance nulle au 1 er trimestre, puis un taux de croissance augmentant linéairement les trois trimestres suivants.

Un profil vraisemblable d'activité en 2009 pourrait se situer « entre » ces deux profils.

Quel que soit le profil choisi, la croissance en glissement requise pour réaliser une croissance moyenne annuelle donnée (ici 1 % ou 1,5 %) excède logiquement cette dernière , avec des écarts figurant dans le tableau suivant :

HYPOTHÈSES DE CROISSANCE EN GLISSEMENT SOUS-JACENTES
À UNE CROISSANCE EN MOYENNE DE 1 % OU DE 1,5 % EN 2009

Croissance en glissement (4T2009 / 4T2008)

Redémarrage linéaire

Redémarrage graduel

Croissance en moyenne annuelle

1 %

1,6 %

2,4 %

1,5 %

2,4 %

3,6 %

Source : Sénat

On remarque que la moyenne des deux profils s'établit à 2 % de croissance en glissement pour une croissance en moyenne de 1 %, et à 3 % pour une croissance en moyenne de 1,5 %, ces résultats fondant l'évaluation présentée ci-dessus.

*

Les quatre graphes suivants illustrent les résultats portés sur le tableau précédent :

Source des quatre graphes ci-dessus : Sénat

* *

*

Au final, l'examen successif des profils d'activité des années 2008 et 2009 41 ( * ) illustre la possibilité théorique d'un découplage avec le taux de croissance du PIB : avec 1 % de croissance moyenne en 2008 et un acquis de croissance de 0,8 % au 1 er janvier 2008, l'activité stagnerait en glissement du 4 ème trimestre 2007 au 4 ème trimestre 2008 ; en revanche, pour réaliser encore 1 % de croissance moyenne en 2009 , compte tenu d'un acquis de croissance qui pourrait être inexistant, l'activité devrait connaître un ressaut conséquent , avec une croissance en glissement de l'ordre de 2 % du 4 ème trimestre 2008 au 4 ème trimestre 2009.

Bien entendu, la portée de ces observations comporte une dimension théorique, du fait que les chiffres de la croissance communiqués au titre de l'année 2007 et du 1 er semestre 2008 ne sont pas encore définitifs (cf. encadré en introduction).

* 31 Hormis la brièveté du cycle.

* 32 Notons que le découplage entre les performances économiques et le taux de croissance serait encore plus frappant si l'année N+1 avait connu un recul de l'activité, tel que la croissance puisse encore s'établir, par exemple, à environ 2 %.

* 33 Sous réserve de l'approximation relevée supra pour la construction du taux de croissance trimestriel annualisé.

* 34 La croissance en 2008 est estimée sur la base des prévisions intermédiaires de la Commission européenne de septembre 2008, qui prévoient une stagnation au troisième trimestre et une augmentation de 0,1 % du PIB au quatrième trimestre 2008.

* 35 Il faudra peut-être remonter à 1993 pour trouver une croissance plus médiocre, toutes mesures confondues. Cette année là, le taux de croissance moyen était de - 0,8 %, la croissance en glissement du 4T 2002 au 4T 2003 était de - 0,2 %, avec un acquis de croissance, certes négatif en début d'exercice, mais cantonné à - 0,3 %.

* 36 Avec un taux de croissance trimestriel constant correspondant à une croissance annuelle de 2 %, soit le taux de croissance potentielle (supra) de l'économie française, l'acquis de croissance ressort à 0,74 % au 1 er janvier de chaque année. Plus généralement, avec une croissance trimestrielle constante, l'acquis de croissance au 1 er janvier d'une année N tend vers 3/8 de la croissance moyenne réalisée cette année.

* 37 Perspectives économiques 2008-2009, lien : http://www.budget.gouv.fr/presse/dossiers_de_presse/plf2009/grandes_orientations/2-perspectives_economiques.pdf

* 38 Après le recul du PIB de - 0,3 % au 2 ème trimestre 2008, l' INSEE prévoit pour sa part (Point de conjoncture d'octobre 2008) une entrée en récession (soit deux reculs successifs du PIB) avec - 0,1 % de PIB au 3 ème trimestre 2008, puis encore - 0,1 % de PIB au 4 ème trimestre 2008, débouchant sur une croissance en moyenne annuelle de 0,86 % (arrondi à 0,9 %) en 2008 .

* 39 Le graphe précédent le fait apparaître : le PIB du quatrième trimestre 2008 (éch. gauche) se confond avec le niveau du PIB en 2008 (éch. droite) si bien que l'acquis de PIB au 1 er janvier 2009 est nul ou quasi-nul.

* 40 Sur la base des prévisions de croissance données par l' INSEE figurant dans le Point de conjoncture d'octobre 2008 (supra), l' acquis de croissance pour 2009 s'établirait à - 0,2 % au 1 er janvier.

* 41 Tels qu'ils résultent des chiffres de l'INSEE pour le 1 er semestre 2008 et des hypothèses sous-jacentes à la réalisation d'une croissance de 1 % en 2008 et en 2009.

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