TABLE RONDE 2 - L'ÉGALITÉ AU TRAVAIL, FACTEUR DE RENTABILITÉ POUR LES ENTREPRISES

Table ronde animée par Mme Myriam LEVAIN, journaliste

Ont participé à cette table ronde :

Mme Mercedes ERRA, chef d'entreprise, fondatrice de BETC
Mme Catherine BOISSEAU MARSAULT, Directrice des Études et de la Prospective de l'Observatoire de la parentalité en entreprise
M. François FATOUX, Délégué général de l'Observatoire de la responsabilité sociale des entreprises
Mme Hanne BJURSTRØM, avocate, ancienne Ministre du travail
Mme Tove SELNES, Vice-présidente exécutive d'Opera Software
Pr Kjell SALVANES, Professeur d'économie à l'École norvégienne

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Mme Myriam LEVAIN - Plus de femmes dans une entreprise, est-ce rentable ?

Mme Mercedes ERRA - Ça dépend ! Dans mon domaine, la communication, 70 % des personnes sont des femmes. L'enjeu est donc celui de la vraie mixité, car les métiers qui deviennent trop féminins perdent de la valeur. Regardez les avocates, elles ont le même souci que nous. Elles sont très nombreuses. Le sont-elles partout ? En réalité, ce monde de la communication qui semble ouvert aux femmes l'est jusqu'à une certaine position. Je me souviens lors de ma nomination à l'Association des agences conseils de communication d'avoir ouvert une porte sur quarante hommes. La seule femme présente était une secrétaire et j'étais contente qu'elle soit là. Nous étions au moins deux différentes dans la salle ! Ce métier pourtant féminin avantage les hommes dans l'accès à une fonction dirigeante.

J'ai donc intérêt à favoriser une vraie mixité au sein de mon agence. Il est important de travailler avec des hommes et des femmes à tous les étages. J'ai donc institué des quotas en faveur des hommes, car s'ils ne sont pas avantagés, ils n'arrivent pas à entrer dans l'agence. En haut de la hiérarchie, il me faut « pousser » pour que les filles grimpent, sinon c'est difficile. Il faut combattre non seulement l'ambition des hommes mais aussi la propre réticence des femmes. Il faut être très volontariste en ce qui concerne cette mixité. J'en ai fait un combat.

Je crois que ce droit à l'égalité accroît la performance dans une entreprise, comme le montrent d'ailleurs des études à ce sujet. J'y crois d'autant plus que les femmes et les hommes sont différents. Le fait d'avoir été dominées au cours des siècles fait naître d'autres types d'intelligence. Je me sens la fille de ma mère et de ma grand-mère, et j'ai appris des choses que les garçons n'ont pas apprises. Les femmes ont des forces que les hommes n'ont pas, car ils ont été élevés autrement. Cela s'effacera sans doute un jour.

Cet équilibre femmes-hommes est très intéressant. Mon entreprise est magnifique en ces termes-là, car elle a réussi cet équilibre. Je pense que les résultats que nous avons sont à la hauteur de cette mixité. Lorsque je compare mon entreprise avec d'autres du secteur, toutes dirigées par des hommes, je m'aperçois que la mienne est moins politique, moins compliquée et j'explique les forces de mon entreprise par un bon équilibre entre le masculin et le féminin. Il existe un respect de l'humain. Les congés maternité et paternité sont valorisés. Dans mon agence, les hommes prennent des congés paternité. J'estime également que, si nous souhaitons que les femmes parviennent à des postes à haut niveau de responsabilité, il ne faut pas allonger le congé maternité, mais le partager entre hommes et femmes. L'égalité professionnelle est un combat, qui est loin d'être terminé.

Mme Myriam LEVAIN - En Norvège, beaucoup de femmes semblent rencontrer des difficultés pour monter dans la hiérarchie.

Mme Hanne BJURSTRØM - En Norvège, les hommes sont très peu nombreux en études de médecine. Dans certains secteurs, les femmes dominent, surtout lorsqu'il faut une grande compétence pour y accèder. Les femmes prennent également deux fois plus de congés maladie que les hommes, ce qui est peut-être lié à la pression qui pèse sur l'importance de l'apparence physique chez les femmes. C'est un pas en arrière en ce qui concerne l'égalité.

Dans ma société d'avocats, il n'y a que trois femmes. En Norvège, le besoin de main-d'oeuvre est très important, c'est pourquoi il est nécessaire de maintenir l'emploi des femmes, car ce sont elles qui dominent dans les formations longues. Les entreprises qui n'arrivent pas à recruter des femmes vont perdre la compétition, car elles se privent des meilleures compétences.

Dans le secteur privé, en Norvège, il y a peu de temps partiel. Le secteur public offre un marché du travail dominé par les femmes, contrairement au secteur privé. Il est, en effet, plus difficile pour les femmes de travailler dans le secteur privé. De nombreuses femmes choisissent un emploi dans lequel elles sont dépendantes de l'homme pour subvenir aux besoins de la famille, cela aura des conséquences importantes sur le montant de leur retraite, qui sera bien inférieur. Dans le secteur de la santé, la proportion des femmes qui travaillent à temps partiel est bien supérieure, alors que la moyenne est de 42 %. Certaines femmes choisissent elles-mêmes de travailler à temps partiel. Je n'en connais pas l'explication. Comme nous sommes un pays riche, nous pouvons disposer de temps libre et importer la main d'oeuvre de l'étranger.

De nombreuses femmes sont cadres intermédiaires, mais nous ne parvenons pas à les faire évoluer vers des postes à hautes responsabilités. Des règles de quotas ont été introduites pour les grandes sociétés et, si elles ne répondent pas à ces exigences, ces entreprises sont dissoutes. Les chercheurs sont divisés sur le sujet de l'efficacité. Cependant, nous avons peu de recul dans ce domaine. Il faut constater que les femmes siégeant au sein des conseils d'administration sont souvent très compétentes.

Je pense que pour aider les femmes, le quota de pères prenant leurs congés parentaux est déterminant.

Mme Myriam LEVAIN - Comment impliquer davantage les hommes dans l'entreprise sur les questions d'égalité ?

M. François FATOUX - J'avais eu la chance de faire partie de cette délégation parlementaire qui s'est rendue en Norvège en 2009 pour étudier la faisabilité d'une loi sur les quotas en entreprise. Nous faisions le constat des difficultés à progresser sur ces questions. Il nous semblait intéressant d'analyser cette loi car dans tous les pays du monde, même les plus avancés, existe ce plafond de verre pour les femmes. Il fallait donc un cadre légal pour pouvoir progresser. Les contacts ont été passionnants et nous avons constaté qu'il existait un consensus sur cette question. Nous avions été reçus par le patronat norvégien qui avait bien compris la nécessité d'avancer, et qui avait mis en place un programme de viviers pour accompagner la loi. De notre côté, nous avions convaincu les représentants du patronat français de l'intérêt à disposer d'une loi, je pense notamment à l'engagement de Mme Laurence Parisot qui était à l'époque présidente du MEDEF.

Toutes les conférences relatives à l'implication des hommes sont suivies par une grande majorité de femmes, ce qui est paradoxal. La question de l'égalité entre les femmes et les hommes n'est pas uniquement un sujet de femmes. Il faut aussi que les décideurs masculins s'y intéressent, d'autant que les hommes ont également à gagner à la mise en place de politiques d'égalité, encore faut-il le démontrer. Nous avons arrêté au sein de notre observatoire de communiquer sur les enjeux de la performance. Les chercheurs n'arrivent pas à trouver des démonstrations, il faut plutôt présenter des réalisations concrètes. Les politiques publiques doivent faire le constat qu'il ne peut pas y avoir d'égalité dans l'entreprise s'il n'y a pas d'égalité au sein du couple dans la répartition des tâches ménagères et parentales.

En France, 80 % des tâches domestiques sont assumées par les femmes. Certes on ne peut pas mettre en place des sanctions ; c'est un sujet de réflexion. L'ORSE avait fait un travail sur la représentation des pères dans la publicité. Nous avions porté un focus sur la manière dont les publicités mettaient en scène les pères dans les situations familiales. Ce travail montrait qu'ils étaient systématiquement placés en situation d'incompétence, ce qui signifiait qu'il faut laisser ces tâches aux femmes.

En France, le congé paternité rémunéré n'est que de 15 jours, vous parliez de 14 semaines en Norvège. Vous pouvez avoir une réglementation, mais il faut aussi avoir des actions de communication. Des campagnes de communication avaient été menées en Norvège et en Suède pour que les hommes prennent leur congé paternité. Avons-nous intérêt à rendre obligatoire ce congé paternité ? La présidente du patronat y était favorable. C'était alors un sujet de discussion, car j'entendais dire que 90 % des hommes le prenaient. Cela veut dire aussi que 10 % des hommes ne le prennent pas. Au sein de notre observatoire, nous avions opté pour un mode incitatif afin que les hommes prennent davantage ce congé paternité. Lors de notre déplacement en Norvège, lorsque nous interrogions les dirigeants de ce pays, il était impensable qu'un homme politique ne prenne pas son congé paternité. En France, je ne connais aucun exemple de ministre ou de parlementaire qui s'est autorisé à prendre un congé paternité. Vous voyiez encore le chemin à parcourir.

Nous souhaitions aller plus loin que la parentalité : tous les hommes ne sont pas des pères, nous avons travaillé sur la façon dont les grandes organisations publiques travaillent sur leur implication. En 2009, la Norvège a mobilisé un panel d'hommes pour qu'eux-mêmes fassent des propositions sur l'égalité. De tels travaux permettent d'aborder d'autres thématiques, comme la santé des individus.

Il faut également avoir un focus sur la santé masculine, les hommes adoptant des comportements à risque. La plupart des suicides, de l'ordre de 75 %, sont masculins, 92 % des personnes en France condamnées pour homicide involontaire en situation d'ébriété sont des hommes. Nous constatons le poids des normes masculines qui impactent notre système de santé. Il y a aussi de la violence dans les milieux masculins, comme dans toutes les formes de pouvoir, ce qui pose la question de la violence institutionnelle. Lors du débat sur l'ouverture des conseils d'administration, les quelques femmes qui se sont impliquées ont été confrontées à une violence difficilement imaginable. C'est vrai aussi dans la politique. Cette violence se retrouve à tous les niveaux, notamment aux plus élevés, et dans toutes les formes d'organisation. Il faut donc sortir de ces schémas.

Au sujet du temps partiel, est-il possible d'avoir des responsabilités à temps partiel ? Pourquoi les hommes s'interdisent-ils de se diriger vers des métiers dits féminins ? Il faut lier ces questions à celle de l'injonction à la virilité.

Mme Myriam LEVAIN - Plus une entreprise est mixte, plus elle est rentable. Y a-t-il des chiffres pour prouver ce point ?

Pr Kjell SALVANES - La loi sur les quotas de femmes dans les conseils d'administration aura sans doute à terme un effet sur les choix de carrières des femmes. Il n'est pas possible de le constater à court terme, même si mon institut a mené des études sur ce sujet. On estime que cela peut déterminer le choix d'études. Le congé paternité, mis en place à partir de 1993, était très peu pris au départ par les pères, puis l'a été massivement depuis dix ans seulement. Certains hommes ne le prenaient pas en raison de forte compétition entre postes. Tout d'un coup, il a été très habituel pour eux de prendre ce congé. Les quotas de femmes dans les conseils d'administration peuvent avoir des effets sur la concurrence entre les femmes. Cela peut avoir un impact sur la formation et le plan de carrière des femmes.

En outre, un congé maternité long peut-il avoir un effet négatif sur la carrière des femmes ? Il faudrait poser cette question aux entreprises. En Norvège, les femmes prennent d'habitude un an de congé et très peu d'entre elles ne reviennent pas au travail suite à ce congé. Elles conservent le même salaire. Une période de trois ans serait trop importante.

Les femmes en Norvège ont tendance à être employées par le secteur public. Une hypothèse est une transformation de la situation dans les prochaines années.

Mme Mercedes ERRA - L'écart entre les femmes et les hommes est lié au fait que les femmes sont les seules à prendre ce congé. Elles ont encore en tête qu'elles sont seules responsables de leurs enfants. À propos des métiers les plus durs, je voudrais dire que le métier le plus dur est de faire le ménage à la maison. Une femme travaille chaque jour trois heures de plus qu'un homme, en raison des tâches ménagères ! Ce ne sont pas seulement les lois qui changent les données, même si j'y suis favorable. Il est vrai qu'avant les quotas, les femmes n'étaient pas présentes dans les conseils d'administration, maintenant elles y sont, mais seulement dans les conseils d'administration et pas dans les comités de direction, là où est le vrai pouvoir ! Nous devons considérer que les enfants n'appartiennent pas aux femmes, mais qu'ils sont de la responsabilité des femmes et des hommes. La mixité sert à rendre les hommes meilleurs, car les femmes « calment » les hommes. En France, nous avons une vision du monde très rétrograde et nous avons encore beaucoup de progrès à réaliser. La Norvège est en avance par rapport à nous, mais elle a encore beaucoup de chemin à faire.

Mme Myriam LEVAIN - Ne faut-il pas également mener un travail en France au sujet des crèches ?

Mme Catherine BOISSEAU MARSAULT - En 2013, selon un sondage que nous avons réalisé, pour 93 % des parents salariés, l'équilibre entre vie professionnelle et vie familiale est important et la plupart estiment que leur entreprise ne les aide pas assez dans ce domaine. De plus, quatre femmes sur dix se disent stressées d'annoncer leur grossesse à leur employeur ou à leur responsable hiérarchique.

Depuis cinq ans, des entreprises s'investissent sur ce sujet dans le cadre d'une réflexion sur l'égalité professionnelle et les risques psycho-sociaux, notamment par la création d'une charte de la parentalité en entreprise en avril 2008. Cette charte vise à inciter les employeurs à proposer aux salariés parents un environnement professionnel mieux adapté aux responsabilités familiales. Le réseau des signataires de cette charte mobilise 500 employeurs, de tous secteurs d'activité et entreprises de toute taille. 10 % de la population active est ainsi couverte par cette charte aujourd'hui. Le chemin est donc encore long. Ces entreprises ont également créé un observatoire, afin de porter cette charte, de la déployer sur le territoire national et de favoriser la mise en place d'actions concrètes dans les entreprises. Pour ce faire, l'observatoire s'appuie sur une vingtaine d'entreprises qui partagent leurs bonnes pratiques, rédige des guides à destination du grand public, des employeurs de plus petite taille et des associations.

Tout salarié est, sera ou a été confronté à un moment de sa carrière à des difficultés de conciliation de sa vie personnelle avec sa vie professionnelle. On pense bien sûr aux jeunes parents, mais il y a également les parents d'adolescents. Des salariés plus âgés souhaitent, par exemple, s'occuper de leurs petits-enfants ou de leurs parents et demandent des temps partiels. Ces entreprises considèrent qu'elles ont tout à gagner à s'intéresser à ces questions et à soutenir leurs salariés, pour mieux gérer les carrières, pour améliorer la performance de leurs salariés, pour ne pas induire d'inégalités, de stress au travail, etc.

Nous avons contribué à la rédaction d'un Livre blanc qui s'intitule : « Soutien à la parentalité et performances des entreprises : quel retour sur investissement ? » . Il est difficile d'apprécier le retour sur investissement sur le plan quantitatif, les entreprises contributrices de ce Livre blanc font plutôt ressortir un bénéfice social.

Mme Myriam LEVAIN - Nous n'avons pas abordé la question de l'autocensure des femmes, qui peut être un frein dans la carrière. Quelles sont les pistes de réflexion dans ce domaine ?

Mme Tove SELNES - Je suis vice-présidente d'une société internationale de logiciels, dans laquelle il est important d'être innovateur. Dès les années 1990, nous avons voulu disposer d'une main-d'oeuvre multiculturelle et diversifiée. Ce qui est essentiel pour nous afin de maintenir les femmes au travail c'est à la fois notre flexibilité et le fait que nous posions des défis à tous les collaborateurs. Pour autant, il ne faut pas envisager que la vie personnelle est plus importante que la vie professionnelle. Dans notre entreprise, nous comptons des collaborateurs de 54 nationalités différentes et chaque nouvel employé constitue pour nous une richesse. Les premiers salariés que nous avons recrutés étaient férus d'informatique, alors qu'à présent, nous avons embauché des collaborateurs d'autres cultures pour développer nos produits. La recherche montre que, dans des entreprises hétérogènes d'un point de vue culturel, le rythme d'innovation est plus grand. La Norvège est un petit pays et la plupart de ses dirigeants d'entreprise ont la même formation et se connaissent. Dès lors, les personnes étrangères constituent une ressource importante, qui sert à promouvoir l'innovation. Cette diversification est précieuse pour nous.

Le siège de notre société est en Norvège, mais nous sommes représentés dans 16 pays dans le monde. Nous considérons qu'il est important d'exporter les mesures qui ont réussi en Norvège. Il y a quelques années, nous avons introduit un congé de paternité pour tous nos employés dans le monde. Cette initiative a retenu beaucoup d'attention. Il est en effet positif pour leur équilibre professionnel que les pères s'occupent de leurs enfants dès la naissance.

Pour ma part, je suis favorable aux quotas. Le changement doit se faire par la contrainte dans un premier temps. Pour les femmes, ce congé de paternité obligatoire est devenu un outil d'égalité très précieux. Nous ne rencontrons pas de problème pour réintégrer les personnes qui ont pris un congé et les mentalités ont évolué en matière d'égalité.

Mme Hanne BJURSTRØM - Je suis satisfaite de constater que les entreprises sont favorables aux politiques mises en place par le gouvernement. En écoutant ce débat, je constate que les différences sont nombreuses entre la France et la Norvège. En France, les hommes estiment qu'il est dégradant de faire les tâches ménagères, ce qui est impensable en Norvège. Les défis sont différents, et les outils aussi.

J'ai lancé ce débat sur le temps partiel et j'ai rencontré de nombreuses oppositions, les femmes souhaitant décider elles-mêmes si elles veulent rester à la maison.

En Norvège, l'âge des femmes à la naissance de leur premier enfant ne cesse de progresser. Les femmes font des études supérieures et ensuite ont des enfants. Beaucoup de femmes souhaitent alors passer du temps avec leur enfant. Pour les cadres supérieurs, nous constatons qu'être cadre supérieur ne pose pas de problème pour les hommes alors que les femmes ne souhaitent pas assumer ces responsabilités-là. Faut-il sacrifier sa vie de famille pour réussir sa vie professionnelle ?

M. François FATOUX - Les modèles d'engagement sont finalement des modèles sexués et c'est l'engagement sacrificiel qui est privilégié. Nous avons encore une culture du sacrifice dans notre société, que l'on retrouve au sein de l'entreprise et c'est pourquoi il n'existe pas d'exercice des responsabilités à temps partiel. Or ce type de modèle d'engagement est en bout de course. Il faut mettre en place des formations en direction des hommes à l'empathie, à la bienveillance, à la faculté d'exprimer des émotions, etc. Dans une entreprise tournée vers la compétition et la performance, les individus peuvent-ils être des êtres fragiles, par rapport aux enfants, à des parents dépendants, à des situations personnelles ?

Une intervenante - Nous avons parlé des responsabilités de l'Etat et de l'entreprise, mais il importe de revenir sur les responsabilités individuelles des femmes, notamment lorsqu'elles sont managers. Ainsi, par exemple, il ne faut pas imposer des réunions après 18 heures et rassurer les collaboratrices sur la possibilité de prendre un congé maternité. Il faut également cesser de critiquer les hommes lorsqu'ils effectuent les tâches domestiques et prennent part à l'éducation des enfants.

Le rôle de l'État consiste à donner le choix en matière de travail et d'éducation des enfants. Les crèches constituent ainsi un élément important pour que les femmes puissent choisir et réussir. Où en sommes-nous dans ce programme d'ouverture de nouvelles places de crèches. ?

Mme Catherine BOISSEAU MARSAULT - Depuis la conférence de la famille de 2003, les entreprises bénéficient d'aides financières incitatives pour réserver des places de crèche, avec un crédit d'impôt famille qui est aujourd'hui de 50 %. Les leviers fiscaux existent. L'offre, notamment dans le secteur privé, s'est développée. Nous constatons cependant un recul dans le domaine de l'engagement des entreprises dans les crèches en raison de la crise. En effet, les entreprises qui réservaient des places en crèche recevaient en 2004 des aides en amont, c'est-à-dire sans avances de trésorerie, alors qu'en 2009-2010, le dispositif a changé. De plus, les crèches d'entreprises représentent un coût de 10 000 à 20 000 euros par an et par enfant. Des expérimentations sont toutefois menées en région, avec des partenariats public-privé et associatifs. Ces places coûtent 5 000 euros par an et les entreprises s'engagent plus volontiers dans des processus de ce type.

Mme Brigitte GRÉSY - Le Gouvernement prévoit d'augmenter les possibilités d'accueil de 175 000 places et l'éducation nationale doit créer des classes passerelles pour les deux-trois ans.

Mme Mercedes ERRA - Sans système qui permette d'accompagner les enfants, comment travailler ? En effet, le travail domestique est épuisant et n'est pas épanouissant. Les femmes ont toujours beaucoup travaillé, davantage que les hommes, d'ailleurs, mais elles ne sont pas payées pour cela.

Je crois que nous sommes encore dans une période où il ne faut pas trop parler d'équilibre. Lorsque j'inaugure à l'agence une semaine de réunions sur la conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle, je constate que mon auditoire n'est constitué que de femmes. Il n'y a pas de garçons dans la salle ! Désormais, je n'accepte de parler que si les garçons sont présents ! Je voudrais féliciter Mme Tove Selnes qui a trouvé un excellent système pour changer les mentalités.

Il faut travailler dans nos pays à un monde plus égalitaire, d'autant qu'une société mixte est plus performante. Car dans le monde, les femmes vont mal. Je pense que cela change aussi des formes de violence dans l'entreprise.

M. François FATOUX - L'Organisation internationale du travail vient d'adopter une convention sur le travail domestique pour reconnaître des droits à des employés, qui représentent entre 7 et 22 % des salariés dans un certain nombre de pays. Vous savez que ce travail est effectué essentiellement par des femmes qui ont statut très précaire. Nous avons à nous interroger sur les politiques publiques incitatives dans le domaine des emplois à la personne. En effet, les emplois à la personne en France concernent à 90 % des femmes et quasiment 100 % dans le secteur de la petite enfance. Lorsque nous externalisons les tâches, nous créons à nouveau des précarités. Un sujet à traiter pour la France et la Norvège est celui des femmes immigrées, pour lequel la question de la parentalité reste un tabou. Les politiques publiques ont peut-être intérêt à mener des actions ciblées sur des catégories qui ne se retrouvent pas forcément dans les discours sur la parentalité masculine.

Une intervenante - Je suis chercheuse sur les questions de mixité et d'égalité dans la région de la Gironde. Il ne faut pas sous-estimer en France la question de la puissance publique, et l'apport féministe sur ces débats. Aujourd'hui, en France, on n'est pas en mesure de présenter une alternative. Les identités se construisent sur des normes sexuées. Aucun regard n'est porté sur la question femme-homme dans le travail. Comment avez-vous en Norvège mené un projet politique égalitaire, porté à la fois par des hommes et des femmes ?

En France, nous ne parviendrons pas à régler cette question de l'égalité femmes-hommes si nous ne formons pas les personnes qui sont auprès de la puissance publique : les acteurs éducatifs, les animateurs et animatrices, les responsables de service, les directeurs des ressources humaines...

Mme Myriam LEVAIN - Vous aurez donc le mot de la fin. Beaucoup de personnes partagent votre avis dans la salle.

CLÔTURE

M. Jean-Claude MERCERON, Président délégué pour la Norvège du Groupe interparlementaire d'amitié France-Europe du Nord

Monsieur l'Ambassadeur de Norvège en France, Cher Tarald Brautaset,

Monsieur le Président Alain Richard,

Madame la Présidente Brigitte Gonthier-Maurin,

Mesdames, Messieurs,

Comme Président délégué pour la Norvège du groupe d'amitié « France-Europe du Nord », je me réjouis particulièrement de la tenue de ce colloque. J'ai pu apprécier, comme vous tous, la qualité des échanges et la richesse de cette perspective comparative entre nos deux pays.

L'importance de ce colloque tient, me semble-t-il, au fait que nous avons encore beaucoup à faire pour atteindre l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. Madame la Présidente Gonthier-Maurin, les travaux de notre délégation du Sénat soulignent avec constance cette réalité, et je veux rendre hommage au travail que vous menez avec nos collègues de la délégation sur ce point.

Nous le savons, la France est aujourd'hui dans un contexte économique et budgétaire peu favorable. Cette situation est d'autant plus difficile que la concurrence internationale est toujours plus rude avec l'accélération de la mondialisation. Ce n'est pas une idée nouvelle que de dire que, dans la compétition mondiale, chaque pays a intérêt à miser sur ses points forts. Or il se trouve, et je crois que nos échanges ce matin et l'exemple norvégien, en général, tel que l'a présenté en introduction le Professeur Salvanès, l'ont montré, que nous disposons avec la main d'oeuvre féminine française d'un potentiel insuffisamment mis en valeur.

Les raisons en ont été rappelées, elles tiennent essentiellement à la persistance des représentations traditionnelles et à une « répartition des rôles » plus ou moins implicite entre les hommes et les femmes.

Or nous voyons bien que la réalité économique et sociale ne rentre plus dans ce cadre ancien. Nos concitoyennes subissent les conséquences de ce décalage, qui impacte aussi négativement notre compétitivité.

L'exemple norvégien peut constituer un modèle en ce qu'il établit assez clairement le lien entre vie professionnelle et vie familiale. Autrement dit, pour réduire les inégalités entre les sexes sur ces deux plans, il faut pouvoir les aborder dans un même regard. De ce point de vue, la question du congé de paternité me paraît véritablement centrale.

Il se trouve qu'en France nous avons depuis longtemps une politique nataliste assumée et qui fait l'objet d'un assez large consensus politique. Il s'ensuit que la France a un des meilleurs taux d'accroissement naturel d'Europe, ce qui est un atout précieux lorsque nous devons traiter la question de l'équilibre démographique de nos régimes de retraites. Par conséquent, nous avons déjà une tradition de dispositifs ambitieux de soutien aux familles. Il est certain que développer de façon significative le congé de paternité serait coûteux ; mais après tout ce serait d'une certaine façon le prolongement de notre politique de la famille, en ce qu'il s'agit de permettre aux familles d'avoir des enfants et de les accompagner au plus près dans les premières semaines de leur vie. La nouveauté décisive consiste à fixer l'objectif que les naissances ne fragilisent plus la vie professionnelle des mères, en permettant aux pères d'être plus présents dans les premières semaines de la vie, si importantes. Le législateur a commencé à mettre en place ce congé paternité, et nous voyons aujourd'hui les développements qui lui ont été donné en Norvège.

Il nous faut parvenir à faire évoluer les mentalités pour que la parentalité ne soit plus perçue comme un frein à l'ambition professionnelle. Aujourd'hui, un nombre toujours croissant de pères sont demandeurs de dispositifs leur permettant de s'impliquer de façon plus importante dans cette période cruciale, sans en subir le contrecoup professionnel. C'est ici que le législateur doit intervenir, pour garantir aux salariés, hommes et femmes, que leur situation professionnelle ne soit pas fragilisée par la parentalité.

Le modèle norvégien a le très grand mérite d'offrir une approche globale, particulièrement efficace semble-t-il : une politique publique qui englobe dans une analyse cohérente la vie professionnelle et la vie familiale, d'une part, et les femmes et les hommes, d'autre part.

Pour nous Français, un tel modèle, par son ambition et par ses résultats, ne peut que nous faire réfléchir et nous donner envie d'avancer. Ces questions sont du reste au coeur de nos débats de société. Le Sénat a examiné il y a quelques jours un projet de loi traitant notamment de ces questions. Ce vaste sujet est loin d'être tranché, mais nous sentons bien que des évolutions profondes sont en cours, et la Norvège nous donne sans doute un exemple de ce vers quoi nous nous dirigeons : un modèle économique et social tendant vers l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, ce qui permettrait à la fois une plus grande efficacité économique au niveau national, et le maintien d'une démographie plus favorable que celle de beaucoup de pays européens.

En conclusion, je souhaite adresser à tous les participants au colloque, au nom de l'ensemble de nos collègues Sénateurs du groupe d'amitié, tous nos remerciements et toute notre amitié.

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