SERVICE DES ETUDES JURIDIQUES (Janvier 2004)

CANADA


La loi constitutionnelle de 1867 énonce que les juges fédéraux ne peuvent être révoqués que sur décision du Parlement, prise à la suite d'une recommandation du ministre de la Justice.

D'après la loi sur les juges, une telle recommandation ne peut résulter que d'une décision du Conseil canadien de la magistrature.


Institué par une modification apportée en 1971 à la loi sur les juges, le Conseil canadien de la magistrature est chargé d'améliorer le fonctionnement des juridictions et la qualité des services judiciaires. Pour assurer cette mission, il peut notamment procéder à des enquêtes , qui lui permettent de conclure à l'opportunité de recommander au ministre la révocation d'un magistrat.

Le texte ci-dessous n'analyse que le régime applicable aux quelque 1 000 juges fédéraux . Les juges provinciaux relèvent d'un régime distinct, qui diffère d'une province à l'autre.

1) Les devoirs et les obligations des magistrats


a) Les sources

La loi constitutionnelle de 1867

Elle dispose que les juges fédéraux « resteront en fonction durant bonne conduite ».

La notion d'inconduite demeure largement indéfinie, dans la mesure où aucun juge fédéral n'a encore été destitué en application de la procédure prévue par la loi constitutionnelle de 1867. Il est généralement admis qu'elle correspond aux situations où un magistrat porterait atteinte à l'intégrité des institutions judiciaires au point de faire perdre aux justiciables toute confiance dans le fonctionnement de la justice. Le non-respect de l'impartialité relèverait vraisemblablement de l'inconduite.

La loi sur les juges

Elle ne définit pas explicitement les droits et les obligations des magistrats, mais dispose que la révocation peut être recommandée en cas de manquement à « l'honneur et à la dignité », ou aux « devoirs de la charge », sans que ces notions soient précisées.

De plus, la loi sur les juges interdit aux magistrats toute autre activité professionnelle annexe. Elle dispose en effet que : « Les juges se consacrent à leurs fonctions judiciaires à l'exclusion de toute autre activité, qu'elle soit exercée directement ou indirectement, pour leur compte ou pour celui d'autrui », et précise que la situation d'incompatibilité, même si elle n'est pas imputable au magistrat, constitue un motif de révocation.

Les principes de déontologie du Conseil canadien de la magistrature

Le 1 er décembre 1998, le Conseil canadien de la magistrature a rendu public ses « principes de déontologie judiciaire », destinés à fournir une ligne de conduite aux juges fédéraux. Ces principes regroupent l'ensemble des règles imposant aux magistrats une conduite compatible avec la fonction judiciaire et visent à assurer la confiance des citoyens dans l'institution. Développés dans une brochure de 50 pages, ils sont répartis en cinq catégories :

- l'indépendance c'est-à-dire le refus de toute influence extérieure ;

- l'intégrité , les magistrats étant invités à s'assurer du caractère irréprochable de leur conduite et à être eux-mêmes des justiciables exemplaires ;

- la diligence , qui doit caractériser toutes leurs activités professionnelles et qui traduit l'adhésion des juges au fonctionnement et aux valeurs de l'institution ;

- l'égalité de traitement et l'absence de discrimination ;

- l'impartialité , droit constitutionnellement garanti aux justiciables, qui exclut notamment toute activité partisane de la part des magistrats et oblige ces derniers à se récuser en cas de conflit d'intérêts.

En même temps que ces principes ont été publiés, un comité consultatif, chargé de conseiller les magistrats sur leur application pratique, a été créé. Ce comité réunit dix juges issus des différentes régions du Canada. Sans lien direct avec le Conseil canadien de la magistrature, il dispense ses conseils sur demande.

b) Les fautes disciplinaires

Les textes qui définissent les devoirs et les obligations des magistrats ne précisent pas les comportements ou les actes susceptibles de constituer des fautes disciplinaires, mais le Conseil canadien de la magistrature, dans son rapport annuel, classe les plaintes reçues contre les magistrats en plusieurs catégories, parmi lesquelles la « partialité », les « conflits d'intérêt » et le « retard à rendre jugement » sont toujours isolés.

2) La procédure disciplinaire


a) Le déclenchement de la procédure

Tout citoyen , y compris le ministre fédéral de la Justice, peut écrire au Conseil canadien de la magistrature, afin de déposer une plainte au sujet d'un juge fédéral. La plainte doit porter sur la conduite du magistrat, et non sur une décision. Les plaintes anonymes sont recevables. La présentation de la plainte n'est enfermée dans aucun délai. La plainte n'entraîne l'ouverture d'une enquête formelle que si elle apparaît justifiée.

Le ministre fédéral de la Justice et les procureurs généraux des provinces peuvent demander au Conseil canadien de la magistrature de procéder à une enquête sur un magistrat. Dans ce cas, l'enquête est obligatoire.

b) L'instance disciplinaire

La décision de révocation d'un magistrat est formellement prise par les deux assemblées parlementaires réunies, mais elle résulte d'une recommandation du ministre fédéral de la Justice. Une telle recommandation fait nécessairement suite à une décision de l'assemblée plénière du Conseil canadien de la magistrature, elle-même consécutive à une enquête.

Le Conseil canadien de la magistrature se compose des 39 magistrats fédéraux les plus élevés dans la hiérarchie.

c) Le déroulement de la procédure

La procédure se déroule conformément aux règles adoptées par le Conseil canadien de la magistrature et formalisées dans ses « procédures relatives aux plaintes » et son règlement sur les enquêtes.

Les plaintes sont examinées par le président du comité pour la conduite des juges (10 ( * )) , qui rejette les demandes manifestement infondées. Les autres ont soumises à un sous-comité, dont les membres (cinq au plus) sont choisi par le président du comité, de préférence parmi les membres du Conseil canadien de la magistrature. Les magistrats qui appartiennent au même tribunal que le juge mis en cause ne peuvent pas faire partie de ce sous-comité. Le sous-comité, qui peut faire effectuer une enquête et demander des explications au juge mis en cause, peut classer l'affaire, le cas échéant en exprimant sa réprobation. Il peut également recommander l'ouverture d'une enquête formelle au Conseil canadien de la magistrature. La décision d'ouvrir une enquête est prise par l'assemblée plénière du Conseil canadien de la magistrature.

Dans ce cas, un comité d'enquête , formé de deux membres du Conseil canadien de la magistrature et d'un avocat indépendant désigné par le ministre fédéral de la Justice pour défendre l'intérêt général, est nommé. Ce comité est doté des mêmes pouvoirs qu'une cour fédérale : il peut convoquer des témoins et recueillir leur témoignage, exiger la production de documents etc. Le juge incriminé peut se faire assister par un avocat. Il est entendu s'il le souhaite. Les audiences du comité d'enquête sont publiques.

Le comité présente son rapport au Conseil canadien de la magistrature. Le rapport peut conclure à l'opportunité de révoquer le magistrat pour inaptitude à remplir utilement ses fonctions.

C'est le Conseil canadien de la magistrature en séance plénière qui décide de recommander ou non au ministre de la Justice la révocation du magistrat incriminé. Les membres du comité d'enquête ne participent pas aux délibérations du Conseil canadien de la magistrature se rapportant à l'affaire sur laquelle ils ont enquêté.

Lorsque le Conseil canadien de la magistrature est saisi d'une « demande » d'enquête du ministre fédéral de la Justice ou d'un procureur général de province, le comité d'enquête est nommé directement.

3) Les sanctions et les voies de recours


a) Les sanctions

La lettre de désapprobation et la révocation sont les seules sanctions prévues.

b) Les voies de recours ouvertes au magistrat sanctionné

Aucun recours n'est possible, mais le magistrat incriminé a la possibilité, à tous les stades de la procédure à partir du moment où la plainte est confiée au président du comité pour la conduite des juges, d'être entendu, de présenter tous les éléments utiles à sa défense et de contre-interroger les témoins.

* *

*

Depuis 1990, le Conseil canadien de la magistrature est saisi chaque année d'un nombre de plaintes compris entre 100 et 200 (180 en 2001-2002, 150 en 2000-2001, 169 l'année précédente). Presque toutes sont classées avant d'être transmises à un sous-comité.

Ainsi, au cours de l'exercice 2001-2002, deux affaires ont été renvoyées à des sous-comités. Dans l'un des deux cas, le sous-comité a conclu que le juge avait émis une remarque déplacée et a exprimé sa désapprobation à l'intéressé par courrier. Dans le second, le sous-comité a recommandé l'ouverture d'une enquête. Le Conseil a suivi le sous-comité, mais le dossier a été classé à la suite de la démission du juge.

Ces chiffres illustrent l'activité disciplinaire du Conseil canadien de la magistrature au cours de ses trente années de vie. En effet, entre sa création en décembre 1971 et le 31 mars 2002, le Conseil a décidé à six reprises de la création d'un comité d'enquête à la suite de plaintes. Pendant la même période, il lui a été demandé par le ministre ou par un procureur général de province cinq fois d'ouvrir une enquête. Une seule fois, en 1996, le Conseil a recommandé la révocation au ministre.

* (9) Formellement, il existe une cinquième sanction, la destitution. De contenu identique à la révocation, elle est prononcée dans les cas où le magistrat mis en cause a fait l'objet d'une procédure pénale.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page