SERVICE DES ETUDES JURIDIQUES (juin 2004)

NOTE DE SYNTHÈSE

Le projet de loi de sauvegarde des entreprises , présenté en conseil des ministres le 12 mai 2004 et déposé à l'Assemblée nationale, tend à modifier le régime français des procédures collectives. Il prévoit notamment l'introduction d'une nouvelle procédure, la « sauvegarde ».

Tout débiteur « qui justifie de difficultés susceptibles de conduire à la cessation des paiements » pourrait y recourir. L'ouverture de cette nouvelle procédure aurait donc lieu avant la cessation des paiements , alors que l'ouverture de la procédure actuelle du redressement judiciaire requiert la cessation des paiements.

Comme le redressement judiciaire, la sauvegarde serait mise en oeuvre lorsque la poursuite de l'activité économique paraît envisageable. Toutefois, à la différence du redressement judiciaire, la nouvelle procédure exclut la cession globale des activités.

De manière classique, l'ouverture de la nouvelle procédure entraînerait la suspension des poursuites, mais le chef d'entreprise continuerait à exercer ses fonctions. Il serait assisté d'un administrateur judiciaire qui l'aiderait à élaborer un plan de sauvegarde, lequel pourrait inclure diverses mesures : remise de dettes, moratoire, réorganisation de l'entreprise, recapitalisation...

Dans les entreprises les plus importantes - un décret en Conseil d'État devant déterminer les seuils -, les établissements financiers et les principaux fournisseurs seraient réunis en deux comités des créanciers , qui participeraient à l'élaboration du plan, tandis que les autres créanciers seraient consultés. Dans les autres entreprises, l'institution des comités de créanciers serait facultative.

Les deux comités se prononceraient sur le plan, dont l'approbation serait subordonnée à l'obtention d'une double majorité dans chacun d'entre eux : la moitié du nombre des créanciers et les deux tiers du montant. Ensuite, le plan serait soumis à l'homologation du tribunal , qui veillerait notamment au respect des droits de tous les créanciers.

En cas d'échec des négociations avec les créanciers ou de rejet du plan par le tribunal, la procédure de redressement judiciaire serait engagée.

La procédure de la sauvegarde est présentée comme étant inspirée de la procédure américaine de réorganisation, dite du chapitre 11. Il a donc paru opportun d'analyser cette dernière, avant d'étudier les autres dispositifs étrangers similaires.

Cinq pays anglo-saxons ont été choisis : non seulement les États-Unis, mais aussi l'Australie, le Canada, la Grande-Bretagne et la Nouvelle-Zélande. En effet, le droit britannique de la faillite, traditionnellement très favorable aux créanciers et donc aux antipodes du droit américain, a été réformé à plusieurs reprises depuis 1986, afin de faciliter le redressement des entreprises viables. Par ailleurs, l'absence de « modèle » anglo-saxon justifie l'examen des dispositions australiennes, canadiennes et néo-zélandaises.

Trois pays d'Europe continentale ont également été retenus : l'Allemagne, dont la récente réforme des procédures collectives s'inspire ouvertement de la législation américaine, ainsi que l'Espagne et les Pays-Bas , l'échec des procédures traditionnelles de redressement ayant conduit ces deux pays à entreprendre une réforme de leur droit des procédures collectives. La réforme espagnole entrera en vigueur le 1 er septembre 2004, tandis que le Parlement néerlandais examine depuis plusieurs mois un projet de loi de modification de la loi sur la faillite.

Pour chacun des huit pays étudiés, deux points ont été successivement examinés :

- les critères d'ouverture des différentes procédures collectives ;

- les principales caractéristiques du dispositif comparable à la réorganisation américaine , par rapport aux traits les plus significatifs de celle-ci, c'est-à-dire la suspension immédiate des poursuites , l'administration par le débiteur et les prérogatives données au débiteur et au tribunal dans l'établissement du plan de redressement , puisque le premier dispose d'un droit exclusif de proposition en début de procédure et que le second a la possibilité d' imposer le plan aux créanciers dissidents .

Ce parti pris justifie que les procédures retenues ne soient pas exposées dans le détail et que le traitement réservé aux différentes catégories de créanciers - variables d'un pays à l'autre - ne soit pas systématiquement présenté.

Compte tenu de l'important mouvement de réforme constaté dans les pays étudiés, on a, dans la présente note, choisi de mettre l'accent sur les changements qui ont eu lieu au cours des dernières années ou qui sont attendus.

Il apparaît que :

- afin de faciliter la sauvegarde des entreprises en difficulté, tous les pays étudiés ont réformé leurs procédures collectives au cours des dernières années ou s'apprêtent à le faire ;

- toutes les réformes visent à intégrer des éléments caractéristiques du chapitre 11 américain dans les différentes législations nationales.

1) Afin de faciliter la sauvegarde des entreprises en difficulté, tous les pays étudiés ont réformé leurs procédures collectives au cours des dernières années ou vont le faire

Les réformes ont déjà eu lieu en Allemagne, au Canada, en Espagne et en Grande-Bretagne. En Australie et en Nouvelle-Zélande, les dispositions de la loi sur les sociétés relatives aux procédures collectives ont été modifiées au début des années 90, mais elles devraient l'être à nouveau prochainement. En revanche, la réforme attendue depuis plusieurs années n'a pas encore eu lieu aux Pays-Bas, où le Parlement examine actuellement un projet de modification de la loi sur la faillite.

Si tous les changements sont menés pour faciliter la sauvegarde des entreprises en difficulté, cet objectif n'est pas nécessairement exclusif, et l'ampleur des réformes est très variable.

a) L'Allemagne et l'Espagne ont remplacé leurs anciennes dispositions par de nouveaux textes

L'Allemagne et l'Espagne ont substitué un nouveau texte aux anciennes dispositions régissant les procédures collectives, qui remontaient pour la plupart au XIX e siècle. Dans les deux cas, la réforme, rendue nécessaire par l'archaïsme et la dispersion des normes auparavant en vigueur, a également été motivée par le besoin de disposer d'une procédure de redressement efficace.

Bien que les nouvelles lois allemande et espagnole s'efforcent de créer un cadre favorable à la sauvegarde des entreprises, la satisfaction des créanciers constitue leur but premier.

Dans chacun des deux pays, la nouvelle loi remplace les deux procédures antérieures de redressement et de liquidation par une procédure unique pouvant aboutir soit à la poursuite de l'activité de l'entreprise soit à la liquidation. En Espagne, la nouvelle procédure se conclut en principe par un concordat entre le débiteur et les créanciers, car la liquidation judiciaire constitue seulement une solution subsidiaire. En revanche, en Allemagne, le « plan de résorption de l'insolvabilité », procédure présentée comme directement inspirée du chapitre 11 américain, reste une solution dérogatoire par rapport à la liquidation.

La loi allemande, adoptée en octobre 1994, est entrée en vigueur le 1 er janvier 1999, tandis que la loi espagnole, adoptée en juillet 2003, entrera en vigueur le 1 er septembre 2004.

b) La Grande-Bretagne et l'Australie ont instauré de nouvelles procédures, qui facilitent la sauvegarde de l'entreprise, tandis que la Nouvelle-Zélande envisage de s'inspirer de l'exemple australien

Jusqu'à l'adoption de la loi de 1986 sur l'insolvabilité, le droit anglais des procédures collectives organisait principalement la liquidation. Avec la loi de 1986, deux nouvelles procédures, l'« arrangement volontaire » et l'« administration », ont vu le jour . Grâce à la première, les entreprises qui ont des difficultés financières peuvent négocier avec leurs créanciers un compromis adapté aux circonstances. L'administration, quant à elle, permet de confier temporairement la gestion de l'entreprise à un administrateur extérieur, qui étudie les solutions possibles, parmi lesquelles l'arrangement volontaire. Depuis leur introduction, les deux procédures de l'arrangement volontaire et de l'administration ont été modifiées, de façon à faciliter le redressement des entreprises viables. Ainsi, la dernière réforme de l'administration, adoptée en 2002, hiérarchise les objectifs de la procédure : la loi énonce explicitement que la survie de l'entreprise en constitue le but premier.

L'Australie , où les entreprises en difficulté ont traditionnellement la possibilité de conclure avec les créanciers un accord, qui doit être homologué par le tribunal pour devenir exécutoire, a introduit en 1993 une procédure d'administration, dite « administration volontaire » . Depuis lors, la plupart des redressements s'effectuent grâce à cette nouvelle procédure.

La Nouvelle-Zélande , après avoir institué en 1993 une procédure permettant aux débiteurs de conclure un accord avec leurs créanciers en dehors de toute intervention judiciaire , envisage d'adopter un dispositif analogue à l'administration volontaire australienne . Un avant-projet de loi a du reste été présenté en avril 2004.

c) Les modifications adoptées au Canada ont permis d'améliorer le fonctionnement des procédures de redressement et les changements envisagés en Australie ainsi qu'aux Pays-Bas poursuivent le même but

Au Canada, la loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, qui détermine le cadre dans lequel les entreprises les plus importantes négocient un plan de restructuration avec les créanciers et qui est souvent considérée comme l' équivalent du chapitre 11 , a été réformée en 1997 , tandis que la loi sur la faillite et l'insolvabilité, qui s'applique indépendamment de la taille des entreprises et qui permet d'organiser la sauvegarde ou la liquidation des entreprises, l'a été en 1992 et 1997. Dans les deux cas, les modifications ont consisté en une amélioration des dispositions régissant la réorganisation.

Le législateur australien devrait s'engager prochainement dans une voie similaire : la réforme des dispositions relatives aux entreprises en difficulté fait actuellement l'objet de consultations, qui portent particulièrement sur les moyens à mettre en oeuvre pour renforcer l'efficacité de la procédure de l'administration volontaire .

De même, aux Pays-Bas , le projet de modification de la loi de 1893 sur la faillite a été déposé à la chambre basse en août 2000. Il vise à transformer en procédure de réorganisation à part entière le sursis des paiements , grâce auquel un débiteur peut obtenir du tribunal un délai pour régler ses créanciers.

2) Toutes les réformes visent à intégrer des éléments caractéristiques du chapitre 11 américain

La procédure américaine du chapitre 11 se caractérise principalement par la possibilité qu'elle offre aux débiteurs de s'en prévaloir rapidement, avant même la survenance de la cessation des paiements, par l'immédiateté et l'étendue de la suspension des poursuites qu'elle entraîne, par le fait qu'elle permet au débiteur de continuer à gérer l'entreprise, par l'exclusivité qu'elle accorde au débiteur pour proposer un plan de redressement en début de procédure et par la faculté qu'elle octroie au tribunal d'imposer un plan de redressement aux créanciers dissidents.

Dans les différents pays étudiés, les réformes comportent l'un ou l'autre de ces éléments, même lorsque le législateur n'a pas expressément cherché à greffer les dispositions du chapitre 11 sur le droit national. Du reste, l'analyse des règles américaines semble constituer un préalable à toute modification du droit des entreprises en difficulté, notamment dans les pays anglo-saxons.

a) L'ouverture de la procédure sans attendre la cessation des paiements

Les nouvelles lois allemande et espagnole tendent notamment à favoriser les ouvertures précoces.

La loi allemande de 1994 a en effet introduit un nouveau critère d'ouverture de la procédure d'insolvabilité : « l'incapacité de payer imminente », dont seul le débiteur peut se prévaloir. De même, la loi espagnole de 2003 permettra au débiteur en état d'insolvabilité « imminente » de présenter au tribunal une demande d'ouverture de la procédure.

De façon similaire, la réforme de l'administration adoptée en Grande-Bretagne en 2002 devrait faciliter le recours rapide à cette procédure, puisque la mise sous administration, possible pour les entreprises insolvables ou susceptibles de le devenir, peut désormais s'effectuer sans qu'une décision du tribunal soit nécessaire.

b) Le caractère immédiat de la suspension des poursuites

En Allemagne, le tribunal peut prendre des mesures conservatoires, parmi lesquelles la suspension des poursuites, et ce avant même de se prononcer sur la recevabilité et sur la validité de la demande d'ouverture de la procédure d'insolvabilité.

La réforme de 1992 de la loi canadienne sur la faillite et l'insolvabilité permet au débiteur insolvable d' anticiper la suspension des poursuites . Auparavant accordée automatiquement au moment du dépôt d'une « proposition concordataire », visant à modifier les modalités de remboursement des dettes, la suspension des poursuites peut désormais commencer plus tôt : dès le dépôt par le débiteur d'un avis d'intention de déposer une telle proposition.

En Grande-Bretagne, depuis la réforme de 2000, il est possible d'obtenir une suspension des poursuites dans le cadre d'un arrangement volontaire. Auparavant, cette procédure n'entraînait une suspension des poursuites que si elle était couplée avec une mise sous administration.

c) L'étendue de la suspension des poursuites

La même réforme a introduit au Canada l' élargissement du champ de la suspension des poursuites à tous les créanciers, y compris aux créanciers disposant d'une garantie .

De même, le projet de loi néerlandais prévoit d'élargir le champ d'application du sursis des paiements, qui pourrait ainsi devenir opposable aux créanciers privilégiés, ce qui n'est pas le cas actuellement.

d) L'administration par le débiteur

Elle est prévue par la loi espagnole lorsque la procédure a été ouverte à la demande du débiteur . Cependant, ce dernier administre alors l'entreprise sous le contrôle du collège syndical , nommé par le tribunal et composé d'un commissaire aux comptes, d'un avocat et d'un représentant des créanciers.

Elle est également prévue par la loi allemande, mais à titre exceptionnel : le tribunal l'accepte seulement si le débiteur l'a demandée au moment de l'ouverture de la procédure et s'il est convaincu de la confiance que les créanciers accordent au débiteur. De plus, même lorsqu'il est autorisé à gérer directement l'entreprise, le débiteur est placé sous la surveillance d'un curateur, désigné par le tribunal.

e) Le droit exclusif du débiteur de proposer un plan de redressement en début de procédure

La loi espagnole de 2003 a introduit la possibilité pour le débiteur de proposer un plan de redressement en même temps qu'il demande l'ouverture de la procédure , et donc sans attendre que le collège syndical publie son rapport sur la situation de l'entreprise, alors que les créanciers doivent attendre ce rapport pour présenter un plan.

De même, la loi allemande permet au débiteur de proposer un plan dès le dépôt de la demande d'ouverture de la procédure. En revanche, l'administrateur judiciaire, même s'il propose un plan de son propre chef sans attendre la réunion de l'assemblée des créanciers, doit avant toute chose prendre connaissance de la situation de l'entreprise.

f) L'homologation forcée du plan de redressement

L'homologation forcée du plan est prévue par le projet de loi néerlandais : si la majorité requise n'est pas obtenue, le juge-commissaire peut imposer le plan, dans la mesure où trois quarts des créanciers chirographaires ont voté pour et où les opposants ne sont pas défavorisés par le plan.

De façon similaire, en Allemagne , où l'adoption du plan requiert l'accord de tous les groupes de créanciers, la loi considère le plan comme adopté malgré l'opposition d'un groupe si les membres de ce dernier ne sont pas défavorisés par le plan.

À défaut d'homologation forcée, plusieurs lois récentes prévoient des règles de majorité assez peu contraignantes . Ainsi, en Australie, l'adoption d'un plan dans le cadre de la procédure de l'administration volontaire ne requiert qu'un vote à la majorité simple des créanciers, en nombre et en valeur, tandis que la nouvelle loi espagnole dispose qu'une majorité relative suffit pour l'adoption du plan lorsque ce dernier prévoit soit le règlement total des créances ordinaires dans un délai de trois ans soit le règlement immédiat des dettes déjà échues avec une remise inférieure à 20 %. De même, au Canada, la réforme de la loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies adoptée en 1997 a assoupli les règles de majorité et a substitué la règle des deux tiers à celle des trois quarts.

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L'intégration de dispositions caractéristiques du chapitre 11 américain dans les différentes législations se traduit par une relative convergence de ces dernières. Toutefois, le modèle américain conserve toute son originalité, en particulier par rapport aux législations des autres pays anglo-saxons , où les créanciers détenteurs de sûretés continuent, malgré un affaiblissement progressif, à bénéficier d'une situation favorable qui leur permet souvent d'échapper aux contraintes imposées par les plans de redressement.

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