SERVICE DES ETUDES JURIDIQUES (Janvier 2006)

NOTE DE SYNTHÈSE

Pour faire face à des situations exceptionnelles, il existe en droit français plusieurs dispositifs juridiques qui permettent de renforcer les pouvoirs des autorités administratives et de restreindre les libertés publiques.

L'article 16 de la Constitution donne au président de la République , « lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la Nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution de ses engagements internationaux sont menacés d'une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics est interrompu », la faculté de prendre « les mesures exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier ministre, des présidents des assemblées, ainsi que du Conseil constitutionnel ».

L'état de siège , prévu par l'article 36 de la Constitution et applicable « en cas de péril imminent résultant d'une guerre étrangère ou d'une insurrection armée », se caractérise essentiellement par l'attribution de pouvoirs de police exceptionnels aux autorités militaires . Il est décrété en conseil des ministres, mais sa prorogation au-delà de douze jours doit être autorisée par le Parlement.

L'état d'urgence , qui résulte de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955, est applicable « soit en cas de péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public, soit en cas d'événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ». Déclaré par décret pris en conseil des ministres, il confère aux autorités civiles , dans l'aire géographique à laquelle il s'applique, des pouvoirs de police exceptionnels portant sur la réglementation de la circulation et du séjour des personnes, sur la fermeture des lieux ouverts au public et sur la réquisition des armes. Le décret instituant l'état d'urgence peut prévoir un renforcement des pouvoirs de police en matière de perquisition et de contrôle des moyens d'information. Au-delà de douze jours, la prorogation de l'état d'urgence ne peut être autorisée que par la loi.

L'état d'urgence a été déclaré à partir du 9 novembre 2005 en application des décrets n° s 2005-1386 et 2005-1387 du 8 novembre 2005. Il a été prorogé par la loi n° 2005-1425 du 18 novembre 2005, puis levé à partir du 4 janvier 2006 par le décret n° 2006-2 du 3 janvier 2006.

Il a donc paru opportun d'examiner les mesures dont disposent les principaux pays européens pour faire face à des situations exceptionnelles comparables aux violences urbaines qui ont eu lieu dans notre pays en octobre et en novembre 2005.

Pour chacun des pays retenus, on a choisi de présenter les principaux régimes d'exception, puis d'examiner le dispositif le plus comparable à l'état d'urgence. Les points suivants ont alors été examinés : les conditions d'application, la procédure de mise en oeuvre et les effets.

L'analyse porte sur six pays : l'Allemagne, la Belgique, l'Espagne, l'Italie, le Portugal et le Royaume-Uni. Elle montre que :

- en cas de crise, l'Allemagne, l'Espagne et le Portugal peuvent mettre en oeuvre des dispositifs spécifiques qui précisent les mesures susceptibles d'être prises ainsi que les pouvoirs respectifs des différentes institutions...

- ... tandis que, dans les autres pays, le gouvernement prend les mesures adaptées aux circonstances et selon des procédures qui laissent une place plus ou moins grande au Parlement.

1) Les dispositifs spécifiques qui existent en Allemagne, en Espagne et au Portugal limitent les mesures susceptibles d'être prises et précisent les pouvoirs respectifs des différentes institutions

En Allemagne, les dispositions de la Loi fondamentale relatives à « l'état de crise intérieure » n'ont fait l'objet d'aucune loi, de sorte que l'appareil normatif est succinct. En revanche, les prescriptions constitutionnelles espagnoles et portugaises sur les dispositifs de crise ont été développées par des lois spécifiques, qui précisent les circonstances justifiant le recours à ces mesures, ainsi que la procédure de mise en oeuvre et les effets de celles-ci. Les dispositifs les plus comparables à l'état d'urgence français sont l'état d'exception en Espagne, et l'état d'urgence au Portugal.

a) En Allemagne, la constatation de l'état de crise intérieure échappe au Parlement fédéral, mais ne peut entraîner la suspension générale des droits fondamentaux

En Allemagne, l'état de crise intérieure est constaté par le Land concerné ou par le gouvernement fédéral. Le Parlement n'intervient pas, mais il conserve la possibilité de renverser le gouvernement. Les effets produits par la constatation de l'état de crise intérieure sont automatiques . Le Land menacé peut obtenir l'intervention de la police des autres Länder et celle de la police fédérale des frontières. En cas de besoin , le gouvernement fédéral peut assumer la responsabilité du rétablissement de l'ordre en prenant non seulement la direction de la police du Land en question, mais aussi celle des forces de police des autres Länder et en faisant intervenir la police fédérale des frontières, voire en recourant à l'armée.

Certains droits fondamentaux peuvent être restreints , la Loi fondamentale précisant que les restrictions ne peuvent porter que sur le droit au secret de la correspondance, de la poste et des télécommunications , ainsi que sur la liberté de circulation et d'établissement . En revanche, la liberté de réunion et la liberté de manifestation ne peuvent pas faire l'objet de limitations particulières.

b) Les lois espagnole et portugaise laissent une grande place au Parlement et précisent dans quelle mesure les différents droits fondamentaux peuvent être suspendus


• La place du Parlement

En Espagne, la déclaration de l'état d'exception résulte d'un décret pris en conseil des ministres après autorisation du Congrès des députés. La demande d'autorisation présentée par le gouvernement précise les droits dont la suspension est envisagée, les mesures permises par cette suspension, ainsi que le territoire concerné et la durée de l'état d'exception. Le Congrès des députés peut amender le texte du gouvernement. Ainsi, l'autorisation parlementaire porte non seulement sur le principe, mais également sur le contenu du dispositif. En outre, si le Parlement ne siège pas, il est immédiatement convoqué. Le cas échéant, c'est la députation permanente qui assume ses compétences.

De même, au Portugal, la déclaration de l'état d'urgence relève de la compétence du président de la République , mais ce dernier doit consulter le gouvernement et obtenir l'autorisation de l'Assemblée de la République . Lorsque celle-ci n'est pas en mesure de se réunir rapidement, l'autorisation est donnée par sa commission permanente , mais l'assemblée doit confirmer l'autorisation aussi rapidement que possible. Comme en Espagne, l'autorisation parlementaire porte non seulement sur le principe, mais également sur la nature des mesures qui peuvent être prises.


• Les limitations apportées à la suspension des droits fondamentaux

Les lois espagnole et portugaise sont particulièrement explicites à cet égard. Elles posent le principe de proportionnalité et exigent que les mesures prises soient limitées au strict minimum : non seulement quant à leur durée et à leur aire d'application, mais aussi à leur ampleur. Elles disposent que, quelles que soient les circonstances, certains droits fondamentaux ne peuvent pas être suspendus : par exemple, la liberté de réunion des partis politiques et des syndicats en Espagne, et les droits de la défense au Portugal. Elles précisent également, pour chacun des droits fondamentaux dont la Constitution autorise la suspension temporaire, l'ampleur des restrictions envisageables.

2) En l'absence de dispositif particulier, en Belgique, en Italie et au Royaume-Uni, le gouvernement prend les mesures adaptées aux circonstances et selon des procédures qui donnent un rôle plus ou moins important au Parlement

Ces mesures sont prises en vertu d'une délégation législative en Belgique, elles résultent de la déclaration d'état d'urgence en Italie, et de la loi sur les événements civils imprévus au Royaume-Uni.

a) La délégation législative en Belgique

En Belgique , le législateur peut déléguer au Roi de larges pouvoirs en adoptant des lois de « pouvoirs spéciaux » ou de « pouvoirs extraordinaires ». Ces lois donnent à l'exécutif une très grande liberté d'action, car leurs objectifs sont rédigés en termes très généraux. De plus, les arrêtés pris en vertu d'une loi de pouvoirs extraordinaires ont force de loi. En revanche, ceux qui sont pris sur la base d'une loi de pouvoirs spéciaux restent des actes réglementaires, à moins d'être ratifiés par le législateur. Toutefois, lorsqu'une telle ratification n'a pas été prévue, les arrêtés de pouvoirs spéciaux restent en vigueur et sont dotés d'une valeur juridique supérieure à celle des autres arrêtés, puisqu'ils peuvent abroger, compléter, modifier ou remplacer des dispositions législatives dans les domaines dans lesquels les pouvoirs spéciaux ont été octroyés.

b) L'état d'urgence en Italie

En Italie, la loi de 1992 portant institution du service national de protection civile permet au conseil des ministres de déclarer l'état d'urgence , non seulement pour faire face aux catastrophes naturelles, mais aussi lorsque d'« autres événements » requièrent des « moyens et pouvoirs extraordinaires ».

Le décret précise la durée et l'aire d'application de l'état d'urgence, qui doivent être strictement adaptées à la nature des événements, mais aucune durée maximale n'est prévue.

Les effets de l'état d'urgence sont déterminés en fonction des besoins par les arrêtés du président du conseil des ministres, ou du ministre de l'intérieur, pris pour appliquer le décret de déclaration de l'état d'urgence. Ces arrêtés peuvent déroger aux normes législatives en vigueur.

c) La loi sur les événements civils imprévus au Royaume-Uni.

La loi anglaise de 2004 sur les événements civils imprévus permet à l'exécutif de prendre toute mesure adaptée aux circonstances en situation de crise. Ces mesures , qui sont valables pendant au plus trente jours , deviennent caduques si elles ne sont pas approuvées par le Parlement dans les sept jours.

Dans le cadre de la loi de 2004, toute mesure susceptible de prévenir, de contrôler ou de limiter la crise peut être prise, à condition qu'elle respecte le principe de proportionnalité. En outre, les mesures prises sont subordonnées à plusieurs restrictions. Ainsi, elles ne peuvent ni modifier la procédure pénale, ni créer de nouvelles infractions pénales, à l'exception de celles qui, précisément, se rapportent à leur propre non-respect.

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Ce sont les lois anglaise, espagnole et portugaise qui accordent au Parlement la plus grande place en situation de crise.

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