Le cumul des mandats électoraux et des fonctions électives

Cette note a été réalisée à la demande de M. Jean-Claude Gaudin, sénateur

AVERTISSEMENT

L'article 34 de la constitution dispose que la loi fixe les règles concernant « les conditions d'exercice des mandats électoraux et des fonctions électives ». Aussi a-t-on retenu l'expression « mandats électoraux et des fonctions électives » pour titre de cette note.

Par souci de simplification on fera référence dans le corps du texte, au :

- « cumul des mandats » entendu comme un synonyme du « cumul des mandats électoraux et fonctions électives » ;

- « mandat », employé sans autres précisions pour viser à la fois les « mandats électoraux et les fonctions électives ».

Le terme de « fonction » désigne quant à lui les fonctions de chef ou de membre d'un exécutif national ou territorial.

NOTE DE SYNTHESE

Cette note a pour objet de comparer la législation applicable au cumul des mandats électoraux et des fonctions électives dans sept États d'Europe - Allemagne, Belgique, Espagne, Italie, Pays-Bas, Royaume-Uni (Angleterre) et Portugal.

Elle présente, en premier lieu, les caractéristiques de la législation destinée à limiter ce phénomène en France, avant de formuler, en second lieu, quelques observations sur les législations des États objet des monographies ci-après.

Pour chacun des sept pays considérés, elle examine la législation relative à chaque type de mandat : national d'une part, dans les collectivités dotées d'une compétence législative (région, Land , autonomía ...) d'autre part, et enfin dans les autres collectivités territoriales (équivalent du département ou de la commune).

Cette note qui s'intéresse pour l'essentiel à la législation en vigueur donne aussi des indications sur la pratique suivie dans les États où le non cumul ne relève pas d'un texte mais d'une coutume respectée par les partis politiques. On ne peut, par conséquent, rien inférer a priori de l'absence de législation, laquelle peut aussi bien résulter du fait que celle-ci est inutile, ou que le législateur n'a pas jugé souhaitable de limiter ce phénomène.

Elle ne concerne pas :

- les fonctions résultant d'une élection au suffrage indirect ou d'une désignation (intercommunalités...) ;

- les inéligibilités ni les incompatibilités qui s'appliquent au mandat de membre du Parlement européen ;

- le cumul des mandats électifs avec des activités privées qui constitue un sujet en soi.

1. Le régime en vigueur en France

Trois incompatibilités existent, en droit français, qui tendent à limiter le cumul des mandats. Elles concernent, d'une part, l'interdiction de cumuler aussi bien deux mandats nationaux entre eux que l'un de ces mandats avec un siège au Parlement européen, d'autre part un mandat national et certains mandats locaux ou territoriaux et enfin plusieurs mandats territoriaux entre eux.

• Interdiction de cumuler les mandats de député, de sénateur et de membre du Parlement européen

Les articles L.O. 137, L.O. 137-1 et L.O. 297 du code électoral interdisent le cumul des mandats de député et de sénateur, d'une part, et de député ou de sénateur et de membre du Parlement européen, de l'autre.

• Interdiction du cumul d'un mandat de député, de sénateur ou de membre du Parlement européen et d'un mandat territorial

En vertu des articles L.O. 141 et L.O. 297 du code électoral et 6-3 de la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 relative à l'élection des représentants au Parlement européen modifiée 1 ( * ) , le mandat de député, celui de sénateur ou celui de député européen est incompatible avec l'exercice de plus d'un mandat de :

- conseiller régional ;

- conseiller à l'Assemblée de Corse ;

- conseiller général ;

- conseiller de Paris ;

- ou conseiller municipal d'une commune d'au moins 3 500 habitants.

Le parlementaire doit, s'il est dans l'un des cas d'incompatibilité, faire cesser celle-ci en démissionnant du mandat de son choix, au plus tard le trentième jour qui suit la date de la proclamation des résultats de l'élection d'où résulte cette incompatibilité ou, en cas de contestation devant le juge de l'élection, à la date à laquelle le jugement confirmant l'élection est devenu définitif. A défaut d'option dans le délai imparti, le mandat territorial acquis à la date la plus ancienne prend fin de plein droit 2 ( * ) .

Si la cause d'incompatibilité survient après l'élection à l'Assemblée nationale, au Sénat ou au Parlement européen, le droit d'option est aussi ouvert à l'élu à compter de la date de la proclamation des résultats de l'élection d'où résulte l'incompatibilité ou, en cas de recours contentieux formé contre cette élection, de la date à laquelle le jugement confirmant cette élection est devenu définitif.

• Interdiction du cumul de mandats territoriaux

En vertu de l'article L.46-1 du code électoral, nul ne peut cumuler plus de deux des mandats de :

- conseiller régional ;

- conseiller à l'Assemblée de Corse ;

- conseiller général ;

- conseiller de Paris ;

- conseiller à l'Assemblée de Guyane ;

- conseiller à l'Assemblée de Martinique ;

- et conseiller municipal.

Dans sa décision 2000-426 DC du 30 mars 2000 le Conseil constitutionnel a jugé que le législateur peut prévoir des incompatibilités entre mandats électoraux ou fonctions électives mais que « la restriction apportée à l'exercice de fonctions publiques doit être justifiée [...] par la nécessité de protéger la liberté de choix de l'électeur, l'indépendance de l'élu ou l'indépendance des juridictions contre les risques de confusion ou de conflit d'intérêts ».

2. Observations sur les différentes législations étudiées

Cette note étudie successivement pour chacun des 7 pays les cas de cumul concernant :

- un mandat parlementaire national ;

- un mandat dans une collectivité dotée d'une compétence législative ( Land , autonomía , regione ...) ;

- et enfin un mandat dans une autre collectivité territoriale.

Elle rappelle également, lorsqu'ils ont été explicités par le législateur ou par la jurisprudence, les objectifs poursuivis par la législation qui limite le cumul des mandats, quelles que soient les modalités revêtues (impossibilité de se présenter à une élection, inéligibilités, incompatibilités, publication de la liste de mandats détenus par un même élu...).

Elle signale enfin les dispositions destinées à assurer la publicité de la liste des mandats dont est investi chaque titulaire de mandats.

Il résulte de cette comparaison que :

- les législations sur le cumul des mandats poursuivent des objectifs communs ;

- les comparaisons internationales sur l'effet de la législation sur le cumul ou le non cumul sont malaisées ;

- les obligations de déclaration et de publication des cas de cumul permettent seules de connaître l'étendue de ce phénomène ;

- en ce qui concerne les mandats électif nationaux les dispositions sur le cumul sont disparates car elles procèdent de l'organisation des pouvoirs publics qui est différente dans chaque Etat ;

- pour les mandats territoriaux les dispositions concernent surtout les fonctions exécutives ;

- enfin, au plan technique, la symétrie et la cohérence des inéligibilités et des incompatibilités revêtent une grande importance.

• Des principes communs

Les principes qui inspirent les législations limitant le cumul des mandats ont trait au respect de l'égalité des citoyens et à la préservation de la bonne administration des collectivités publiques. Les législations examinées témoignent du souci de :

- respecter l'égalité des citoyens dans l'accès aux charges publiques ;

- prévenir les pressions sur les électeurs et garantir la sincérité des élections ;

- et assurer tant la bonne administration des collectivités publiques que l'impartialité des titulaires de mandats.

• Des comparaisons internationales malaisées

En matière de cumul, les comparaisons statistiques sont malaisées, donnant à penser que l'existence de ce phénomène, qui n'est totalement absent, parmi les sept pays étudiés, qu'en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas, procède d'autres facteurs que de la seule absence de législation ou de réglementation : Il n'existe pas de relation stable et univoque entre le degré de cumul des mandats et la rigueur de la législation en la matière : on observe aussi bien la combinaison de l'absence de loi et de l'inexistence de cumul (Grande-Bretagne et dans une moindre mesure, Pays-Bas) que l'existence simultanée de lois et de cumul à des degrés divers (Belgique, Italie, Allemagne).

• La déclaration et la publication des cas de cumul permettent seules de connaître l'étendue du phénomène

La connaissance de l'ampleur du cumul est facilitée dans les Etats qui ont institué des obligations de déclaration et de publication de l'ensemble des mandats publics rémunérés ou non, par élection ou par désignation (mandats dans l'équivalent de structures intercommunales) par les titulaires de fonctions électives.

• Mandats électifs nationaux : des dispositions disparates liées à l'organisation propre des pouvoirs publics de chaque Etat

En ce qui concerne les mandats nationaux, le cumul est :

- tantôt possible mais pas ou très peu pratiqué (Grande-Bretagne, Pays-Bas) ;

- tantôt possible du fait de la nature fédérale ou quasi fédérale de la représentation (cf. les membres du Bundesrat où siègent ès qualité les ministres des Länder allemands, certains des 58 sénateurs espagnols désignés par les communautés autonomes qui ont conservé un mandat territorial, les 21 sénateurs communautaires belges qui sont désignés en leur sein par les assemblées parlementaires des Communautés flamande, française et germanophone) ;

- tantôt impossible tant avec des mandats dans des assemblées de niveau régional (ainsi dans le cas des deux chambres du Parlement en Italie et en Belgique à l'exception des sénateurs communautaires, du Congreso de los diputados espagnol et de l' Assembleia da República portugaise avec les assemblées des deux régions autonomes insulaires) qu'avec des fonctions de maire quelle que soit la taille de la commune (Portugal) ou dans les communes de plus de 20 000 habitants aujourd'hui en Italie (5 000 habitants à compter de la prochaine législature) ainsi qu'avec des fonctions de membre d'un exécutif municipal (Portugal), la Wallonie interdisant le cumul avec tout mandat provincial et plus d'un mandat exécutif communal rémunéré.

Aucun Etat considéré n'a adopté de législation générale et systématique fixant des règles de (non) cumul entre tous les mandats. La législation sur le cumul est partout parcellaire.

On notera le cas spécifique de la Wallonie où un dispositif permettra, à compter de 2014, au quart des membres du Parlement wallon les mieux élus à des fonctions territoriales de cumuler un mandat parlementaire et un mandat exécutif communal rémunéré afin de « conserver un lien direct avec les réalités locales ».

• Mandats territoriaux : des dispositions qui concernent principalement les fonctions exécutives

Les interdictions de cumul concernent principalement les fonctions exécutives territoriales. Tel est le cas :

- en Allemagne où les incompatibilités concernent la plupart des titulaires de fonctions exécutives locales dans la mesure où ils sont considérés comme des fonctionnaires élus ;

- aux Pays-Bas où il est impossible d'appartenir simultanément aux organes de la commune et à ceux de la province ;

- en Italie où on ne peut être à la fois membre de l'assemblée délibérante d'une région et président ou membre de l'exécutif d'une province ou maire d'une commune ;

- et en Wallonie où il est interdit de cumuler une fonction dans un exécutif provincial avec tout mandat municipal ainsi que les mandats de membre du Parlement wallon et du Parlement de la Communauté française avec tout mandat provincial.

• Importance d'une symétrie et d'une cohérence des inéligibilités et des incompatibilités

Les dispositions qui limitent le cumul consistent en des inéligibilités et des incompatibilités qui doivent être symétriques pour être efficaces.

Si les premières sont utilisées lorsque le législateur présume que la détention d'un mandat avant un scrutin est de nature à altérer la liberté de choix des électeurs, les secondes permettent à un élu de postuler à un mandat sous réserve d'exercer un droit d'option entre les deux mandats. Lorsque n'existe pas de symétrie stricte entre inéligibilités et incompatibilités, surviennent des situations contraires au principe d'égalité des citoyens. Tel est le cas notamment si un titulaire de mandat A est inéligible à un mandat B alors que le titulaire du mandat B est éligible au mandat A ou qu'il peut y accéder quelques temps après l'élection, par exemple en qualité de suppléant d'un candidat qui renonce à ce mandat.

LE CUMUL DES MANDATS ÉLECTORAUX ET DES FONCTIONS ÉLECTIVES


* 1 Modifiée par l'article 16 de la loi n° 2003-327 du 11 avril 2003.

* 2 Article L.O. 151 du code électoral.

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