L'INDEMNISATION DU LICENCIEMENT

La recherche menée par la Division de Législation comparée sur l'Allemagne, la Belgique, l'Espagne, l'Italie et la Suisse a dégagé une tendance partagée à encadrer les pouvoirs du juge de la relation de travail lorsqu'il accorde des indemnités au salarié victime d'un licenciement abusif.

Un plafonnement, voire une barémisation stricte, sont prévus. Les montants sont définis en fonction du salaire et peuvent différer, au sein d'un même pays, en fonction de l'âge, de l'ancienneté dans l'entreprise, du type de contrat de travail, de la taille de l'entreprise et de la gravité de la faute de l'employeur.

Pour sanctionner des abus graves de l'employeur, liés à des licenciements manifestement illicites, discriminatoires ou violant des droits fondamentaux, la réparation exigée est plus lourde, à la hauteur du préjudice. Les préjudices connexes subis par le salarié peuvent , le cas échéant, donner lieu à une action civile en dommages et intérêts.

La réintégration du salarié n'est pas non plus systématiquement exclue ; elle demeure même souvent le principe mais elle peut être, à l'initiative d'une des parties remplacée, par une indemnité, en partant du constat que la relation de travail ne peut plus se poursuivre sereinement.

I. LA CARACTÉRISATION DU LICENCIEMENT ABUSIF

On peut constater que la notion de licenciement abusif ou illégitime n'est pas parfaitement homogène entre les pays européens, au-delà de certaines constantes comme l'interdiction des discriminations, la protection spéciale des représentants syndicaux et du personnel et les mesures en faveur de la maternité.

En Suisse , en l'absence de code du travail, les dispositions relatives au licenciement sont prévues aux articles 335 et suivants du code des obligations. Plus encore qu'en Allemagne, où il n'existe pas davantage de code du travail mais où existent des lois spécifiques pour régler la fin de la relation de travail, le droit suisse est de matrice purement civiliste. La rupture d'une relation de travail y est d'abord la rupture d'un contrat, certes particulier mais reposant sur le libre consentement des parties.

Le droit suisse permet la résiliation avec effet immédiat du contrat de travail en tout temps et pour de justes motifs, autant par l'employeur que par le travailleur. La décision doit être motivée si l'autre partie le demande. Le code des obligations précise que comptent comme justes motifs « toutes les circonstances qui, selon les règles de la bonne foi, ne permettent pas d'exiger de celui qui a donné le congé la continuation des rapports de travail » (art. 337). Le juge apprécie leur existence librement.

Le licenciement n'a pas besoin pour être justifié de disposer d'un motif grave ou d'une cause sérieuse, c'est l'abus de droit par l'employeur ou la violation majeure d'un droit du salarié qui peut être sanctionné.

Dans un arrêt récent du 28 avril 2017, le Tribunal fédéral suisse (1 re Cour de droit civil) a rappelé les principes de sa jurisprudence en matière de licenciement abusif. La liberté de résiliation prévaut de sorte que, pour être valable, un congé n'a en principe pas besoin de reposer sur un motif particulier. En cas de résiliation ordinaire, l'employeur est libre de notifier le congé, à moins que le salarié n'en démontre le caractère abusif. En revanche, en cas de congé immédiat, l'employeur doit démontrer l'existence d'un juste motif pour pouvoir le mettre en oeuvre.

L'article 336 du code des obligations propose une liste des motifs pour lesquels un congé sera considéré comme « abusif » :

- une raison inhérente à la personnalité du travailleur ou l'exercice par celui-ci d'un droit constitutionnel, à moins qu'il n'y ait violation du contrat de travail par le salarié ou que ne soit porté un préjudice grave au travail dans l'entreprise de ce fait ;

- la volonté d'empêcher le salarié de faire valoir de bonne foi ses prétentions issues du contrat de travail ou de l'empêcher de bénéficier de nouvelles prétentions qui naîtraient de la poursuite de la relation de travail ;

- l'accomplissement par le salarié d'une obligation légale qu'il n'a pas demandé d'assumer (service militaire notamment) ;

- l'appartenance ou la non-appartenance d'un travailleur à une organisation syndicale, ainsi que le statut de représentant élu du personnel, sans autre motif justifié de résiliation. 46 ( * )

Le Tribunal fédéral dans son arrêt de 2017 précité a rappelé que cette liste n'était pas exhaustive. Ce congé est abusif dès que l'abus de droit au sens de l'article 2 al. 2 du Code civil suisse est caractérisé. L'abus de droit doit manifester une intention de nuire et utiliser un procédé « immoral ».

Le licenciement est nul et privé d'effet s'il intervient pendant certaines périodes précisément fixées : avant et après l'accomplissement d'un service obligatoire civil ou militaire, pendant la grossesse et après l'accouchement, pendant une incapacité de travail non due à une faute du salarié, pendant la participation à un service fédéral d'aide à l'étranger (art. 336c).

Partageant la même philosophie civiliste que le régime suisse, le modèle allemand a évolué sous l'effet des lois sociales de l'ère Brandt et de la jurisprudence des tribunaux qui, sous l'impulsion de la Cour constitutionnelle, mobilisent des clauses générales du code civil comme instruments de défense des droits individuels.

Ainsi, en Allemagne , les principales dispositions relatives au licenciement relèvent de la loi fédérale relative à la protection contre les licenciements du 25 août 1969 (Kündigungsschutzgesetz - KschG) . Celle-ci déclare inopérants ( unwirksam ) les licenciements socialement injustifiés (sozial ungerechtfertigt), c'est-à-dire ceux qui ne sont fondés ni sur un motif lié à la personne 47 ( * ) ou au comportement 48 ( * ) du salarié, ni sur des nécessités urgentes qui s'opposent au maintien du travailleur dans l'entreprise (§1). Cependant, la portée de cette règle est limitée depuis le 1 er janvier 2004 aux entreprises de plus de 10 salariés. 49 ( * ) D'autres textes de loi spécifiques protègent contre le licenciement les femmes pendant la grossesse, après l'accouchement et pendant le congé parental, les personnes lourdement handicapées et les élus du personnel dans l'entreprise.

Par ailleurs, dans la mesure où en droit allemand, le contrat de travail est une espèce particulière de contrat de prestation de service, certaines règles générales du code civil en matière de rupture de contrat s'appliquent. Comme actes juridiques, les licenciements sont nuls et privés d'effet dès lors qu'ils méconnaissent un droit fondamental constitutionnellement garanti, comme la liberté d'expression politique et la liberté syndicale. Ils ne sauraient contrevenir ni aux prohibitions légales explicites (§ 134 Bürgerliches Gesetzbuch - BGB), ni aux bonnes moeurs (§138 BGB) , ni au principe de bonne foi qui régit les relations contractuelles (§242 BGB).

Par le biais de ces clauses générales, le juge allemand peut aller au-delà des protections offertes par le Kündigungsschutzgesetz de 1969. Il dispose ainsi d'un pouvoir d'appréciation sur les licenciements dans les entreprises de moins de 10 salariés. Il peut mobiliser les dispositions de la loi générale d'égalité de traitement du 14 août 2006 pour empêcher les licenciements discriminatoires. Le principe de bonne foi peut aussi servir à protéger les salariés qui, employés depuis de longues années, ont mérité la confiance de l'employeur.

Enfin, le législateur ayant confié aux conventions collectives ( Tarifvertrag ) la possibilité de prévoir des clauses limitant les licenciements de certaines catégories du personnel - en fonction de leur âge ou de leur ancienneté par exemple -, une entreprise signataire de la convention ne peut procéder à un licenciement contraire. 50 ( * )

En Belgique , les dispositions relatives au licenciement sont régies par la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail. Chaque partie peut résilier le contrat pour un motif grave laissé à l'appréciation du juge . Le motif grave couvre « toute faute grave qui rend immédiatement et définitivement impossible toute collaboration professionnelle entre l'employeur et le travailleur » (art. 35). Ouvrent droit à indemnisation des ruptures du contrat de travail sans motif grave , sans respect du délai de préavis ou moyennant un préavis insuffisant.

En outre, la notion de licenciement abusif est reconnue en droit belge. La loi distinguait initialement entre les ouvriers et les employés. N'était considéré comme abusif que le licenciement « effectué pour des motifs qui n'ont aucun lien avec l'aptitude ou la conduite de l'ouvrier ou qui ne sont pas fondés sur les nécessités du fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service » (art. 63). Aucune disposition spécifique équivalente à celle des ouvriers n'était prévue pour les employés. Un employé licencié abusivement devait donc faire valoir un abus de droit au sens du droit civil belge, défini dans un arrêt de principe comme le fait d'exercer un droit « d'une manière qui dépasse manifestement les limites de l'exercice normal de celui-ci par une personne prudente et diligente » 51 ( * ) . L'indemnisation était laissée à l'appréciation du juge, alors que l'ouvrier dans la même situation avait droit à une indemnité correspondant à six mois de salaire .

Cette différence de statuts a fait l'objet d'une refonte. La Cour constitutionnelle a jugé, dans un arrêt du 7 juillet 2011, que les différences entre ouvriers et salariés 52 ( * ) n'étaient pas conformes à l'exigence constitutionnelle d'égalité de traitement et a demandé au gouvernement d'adopter de nouvelles dispositions.

La loi du 26 décembre 2013 relative à l'introduction d'un statut unique a répondu à cette demande en précisant que les dispositions relatives au licenciement abusif des ouvriers cesserait de s'appliquer dès lors qu'une convention collective du travail (CCT) 53 ( * ) , conclue au sein d'une convention nationale entrerait en vigueur. La CCT n°109 du 12 février 2014 concernant la motivation du licenciement établit que, si un employeur licencie « un travailleur engagé pour une durée indéterminée après six mois d'occupation pour des motifs qui n'ont aucun lien avec l'aptitude ou la conduite du travailleur ou qui ne sont pas fondés sur les nécessités du fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service, et que ce licenciement n'aurait jamais été décidé par un employeur normal et raisonnable , il s'agit d'un licenciement manifestement déraisonnable . Une sanction séparée y est liée » .

En Italie , l' illégitimité du licenciement peut procéder de l'absence de fondement matériel, qui inclut l'absence de juste cause ( giusta causa ) et de l'absence de motif justifié ( giustificato motivo ).

D'après l'article 2119 du code civil italien, la juste cause est un fait objectif grave qui ne permet pas la poursuite de la relation contractuelle. L'exemple donné par la doctrine est celui de l'employé de banque licencié parce qu'il est affilié à la criminalité organisée. Le licenciement pour juste cause est à effet immédiat sans obligation de préavis. Le motif justifié est défini par la loi n° 604/1966 comme l'inaccomplissement notable par le salarié de ses obligations (critère subjectif), ce qui vise en particulier des comportements fautifs, ou comme résultant de faits inhérents à l'activité productive et à l'organisation du travail dans l'entreprise (critère objectif). Les licenciements illégitimes pour manque de fondement substantiel sont annulables.

Sont considérés également comme illégitimes d'un point de vue formel les licenciements par oral, ceux qui ne sont pas accompagnés des motifs de la décision de l'employeur, ceux qui violent la procédure de licenciement disciplinaire. Ces licenciements sont sans effet.

À côté des licenciements illégitimes, le droit italien admet la catégorie des licenciements illicites et discriminatoires, qui sont frappés de nullité. Le législateur italien interdit le licenciement d'une salariée venant de se marier, enceinte ou mère d'un nourrisson. De même, la jouissance d'un congé parental ne peut servir de motif à un licenciement. Une maladie ou un accident du travail ne peut être cause d'un licenciement, non plus qu'un appel à servir sous les drapeaux. Sont enfin considérés comme discriminatoires les licenciements sur le fondement d'une opinion politique, d'une foi religieuse, de l'appartenance à un syndicat ou pour un motif raciste.

Le droit du licenciement en Espagne a été modifié dans les années 2000, puis à nouveau après l'entrée en vigueur de la loi n° 36/2011 de régulation des juridictions sociales, du décret-loi royal n° 20/2012 et du décret législatif royal n° 2/2015 modifiant le statut des travailleurs. Le juge du travail peut déclarer un licenciement qui lui est soumis nul ( nulo ), sans fondement ( improcedente ) ou fondé ( procedente ).

Le licenciement est nul s'il provient d'une discrimination illégale ou s'il viole les droits fondamentaux du salarié. Il l'est également s'il sanctionne une grossesse, une naissance, une adoption, l'exercice de congés de maternité ou destinés à assurer des soins à des enfants ou des parents.

Le licenciement est sans fondement et irrecevable lorsque :

- ne sont pas établis les manquements du salarié invoqués par l'employeur ;

- les formalités procédurales n'ont pas été correctement accomplies ;

- ou, en cas de licenciement pour cause objective 54 ( * ) , lorsque l'existence de la cause n'est pas établie.


* 46 À ces motifs abusifs s'ajoute, pour les licenciements collectifs, le non-respect de la procédure de consultation.

* 47 Maladie de longue durée ou fréquente, retrait du permis pour les chauffeurs-livreurs, retrait du permis de travail pour les étrangers sont autant de motifs personnels validés par le Tribunal fédéral du travail.

* 48 Absences répétées, usage massif de l'Internet au travail à des fins privées, harcèlement d'un collègue par exemple.

* 49 Elle s'applique aussi aux salariés embauchés avant le 1 er janvier 2004 dès lors que l'entreprise compte plus de 5 salariés.

* 50 À moins d'être, sous conditions, étendus par arrêté du ministre du travail, les Tarifverträge n'ont pas d'efficacité erga omnes mais seulement pour les parties et les personnes qui en dépendent (affiliés au syndicat, salariés de l'entreprise).

* 51 Cour de cassation de Belgique (1 ère ch.), arrêt du 10 septembre 1971

* 52 Sont visés dans cet arrêt les articles 52, § 1er, alinéas 2 à 4, et 59 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, qui ne sont pas conformes aux articles 10 et 11 de la Constitution belge.

* 53 « Une convention collective de travail (CCT) est un accord conclu entre une ou plusieurs organisations syndicales et une ou plusieurs organisations patronales ou un ou plusieurs employeurs, fixant les relations individuelles et collectives de travail entre employeurs et travailleurs d'entreprises ou d'une branche d'activité et réglant les droits et devoirs des parties contractantes. Elle constitue une source de droit extrêmement importante dans le droit du travail et a obtenu un statut juridique plein et entier grâce à la loi du 5 décembre 1968 relative aux conventions collectives de travail et aux commissions paritaires (dite « loi sur les CCT »). Une CCT intersectorielle conclue au sein du Conseil National du Travail (CNT) par les organisations représentatives représentées par au moins 90% des membres représentant les employeurs et au moins 90 % des membres représentant les travailleurs a un champ d'application qui s'étend aux différentes branches d'activité et à tout le pays ». cf. http://www.emploi.belgique.be/cctinfo/

* 54 Inaptitude du salarié, inadaptation aux évolutions techniques nécessaires pour son poste de travail, absences répétées, autres causes économiques et organisationnelles ne donnant toutefois pas lieu à un licenciement collectif économique, insuffisantes garanties budgétaires consignées pour l'exécution de plans et programmes publics.

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