Proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur la politique nationale de lutte contre les drogues illicites

N° 348

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SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2001-2002

Annexe au procès-verbal de la séance du 10 juillet 2002

PROPOSITION DE

RÉSOLUTION

tendant à la création d'une commission d'enquête sur la politique nationale de lutte contre les drogues illicites ,

Par MM. Bernard PLASAIT et Henri de RAINCOURT
et les membres du groupe des Républicains et Indépendants,

Sénateurs

(Renvoyée à la commission des Affaires sociales et pour avis à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, en application de l'article 11, alinéa 1 du Règlement).

Drogue.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

D'après le rapport de la commission d'enquête du Sénat sur la délinquance des mineurs, intitulé « La République en quête de respect » , près d'un Français sur dix serait un consommateur - irrégulier ou régulier - de stupéfiants. Dire que notre pays est confronté au problème de la drogue constitue une évidence à laquelle tous les élus locaux sont confrontés, et que connaissent également tous les pays européens.

La France et la drogue, ce sont bien évidemment les jeunes dealers de la banlieue parisienne, mais c'est aussi une réalité dans nombre de collèges et de lycées de la plupart de nos communes. La France et la drogue, c'est telle personnalité de l'intelligentsia, mais c'est aussi le décès du fils d'un de nos anciens collègues. La France et la drogue, c'est la banalisation de sa consommation par certains médias, mais c'est aussi la crainte et l'angoisse de milliers de parents.

Il y a le consommateur, coupable ou victime, pratiquant la « fumette » pour faire comme ses copains. Il y a « l'accro » qui doit trouver chaque jour 300 euros pour satisfaire sa dépendance. Il y a le dealer qui, dans sa voiture décapotable, vend par portable interposé des rêves et de la déchéance à nos enfants.

Bien sûr, la drogue a ses « lettres de noblesse », Thomas de Quincey ou Sherlock Holmes, les mandarins de la Chine impériale, Henri Michaux, Lucy in the Sky with Diamonds : toutes ces aventures individuelles d'intellectuels qui servent de caution à la banalisation du phénomène. Tout est bon, y compris des interventions de médecins, pour justifier l'injustifiable. La drogue est un fléau social. C'est le fléau d'une société qui a perdu ses repères moraux. Elle est facteur criminogène ; elle est facteur de désocialisation ; elle est facteur de pathologies graves. Elle mine la société comme elle détruit l'individu.

Depuis 1970, l'État s'est doté d'instruments législatifs et réglementaires pour lutter contre ce fléau. D'aucuns diront que les politiques suivies constituent un échec. D'autres, que la situation eût été pire en leur absence. D'autre part, la vision de notre société a considérablement évolué en trente ans par rapport à cette question.

Selon les résultats d'une enquête téléphonique en population générale réalisée en avril 1999 auprès de 2 000 personnes âgées de 15 à 75 ans (EROPP - OFDT), le produit le plus souvent cité spontanément en tant que drogue est le cannabis (78 %), suivi par la cocaïne (54 %), l'héroïne (45 %), l'ecstasy (39 %), le LSD (27 %), le tabac (21 %), l'alcool (20 %) et le crack (12 %). Une minorité de plus en plus importante cite spontanément l'alcool comme faisant partie des drogues (20 % en 1999 contre 14 % en 1997).

Concernant les risques pour la santé, l'héroïne et la cocaïne sont associées à un danger immédiat par une très forte majorité (environ 85 %). L'expérimentation de l'ecstasy est un peu moins souvent perçue comme dangereuse (76 %). Pour plus de la moitié des 15-75 ans, le cannabis est nocif dès qu'on l'essaie, mais un tiers estime la consommation régulière sans danger. Le risque de dépendance est jugé beaucoup plus fort pour l'héroïne et la cocaïne (respectivement 56 % et 58 % le situent dès l'expérimentation) que pour le cannabis (38 %).

S'agissant de hiérarchiser selon leur dangerosité sept produits, une forte majorité relative cite l'héroïne (41 %) devant la cocaïne (20 %) et l'ecstasy (17 %), puis l'alcool (6 %), le cannabis (3 %) et le tabac (2 %).

Il ressort de ces indications que nos concitoyens perçoivent certaines drogues licites comme autant, sinon plus dangereuses, que certaines drogues illicites. Aussi, l'Observatoire français des Drogues et des Toxicomanies rappelle-t-il que les consommations de drogues licites sont celles qui ont les conséquences les plus graves en matière de santé, le nombre de décès annuels attribuables à l'alcool en France étant évalué à 45 000 et à 60 000 pour le tabac. Même si le nombre de décès annuels dus aux drogues illicites ne peut être facilement estimé, les principales données disponibles sont les décès par surdose constatés par les services de police. Ainsi, ont été dénombrés deux cent soixante-sept décès d'après les statistiques existant en 2000, comprenant les décès par surdose (119) et les décès par Sida d'usagers de drogues (148). Faut-il encore noter que le nombre des décès par surdoses est très certainement sous-estimé.

De telles données conduiraient à distinguer des drogues dites « dures » aux effets nocifs avérés de celles plus « douces » bien que tout autant illicites. La consommation de ces dernières se répand chez les 15-24 ans au point que nous assistons à une véritable banalisation du phénomène dont les conséquences en matière de santé sont niées ou gravement déformées. Ce discours ambiant atteint aujourd'hui les prétoires, les exemples de consommateurs célèbres (sportifs, chanteurs, écrivains, etc.) étant systématiquement opposés aux réquisitions des représentants du Parquet pour mieux les décrédibiliser.

Tout est fait, dans certains milieux, pour innocenter la drogue : le consommateur ne serait qu'une victime de la société ou un hédoniste en mal d'individualisation. Quant à la drogue, le terme s'applique à tout et n'importe quoi, à la religion pour Karl Marx, aux médias pour Bourdieu, au téléphone portable selon certains.

Dans ces conditions, la répression de l'usage et du trafic des drogues illicites est de plus en plus difficile. L'augmentation des quantités saisies (multiplication par 2,5 des quantités de cannabis saisies entre 1994 et 2000), des interpellations pour usage ou usage-revente (94 300 au cours de l'année 2000) ainsi que pour trafic (6 500 en 2000) accrédite l'idée selon laquelle trafic et consommation s'accroissent dans des proportions telles que la lutte serait de plus en plus inefficace et que, partant, il vaudrait mieux légaliser l'usage de certaines drogues.

En l'absence d'une politique européenne clairement identifiée, les réponses varient selon les États. Alors que certains de nos voisins européens révisent leurs choix en matière de libéralisation, à l'exemple de l'Espagne, notre pays voit les partisans de la légalisation hausser le ton et prôner le « bon usage » des stupéfiants. En clair, il ne servirait à rien d'interdire et mieux vaudrait conseiller les consommateurs dans les modes d'administration de leur produit stupéfiant préféré. A cet égard, on ne peut que déplorer l'attitude de certains hommes politiques, qui se sont prêtés à l'organisation de soirées « hallucinantes », tout comme celles de quelques associations à vocation sanitaire qui franchissent parfois la ligne jaune entre prévention et promotion. A défaut de pouvoir endiguer le flot de l'usage des drogues illicites, faudrait-il se résigner à l'accompagner en disant à notre jeunesse : « Tuez-vous. Mais, proprement ! » ?

En conséquence, cette proposition de résolution a pour objet la création d'une commission d'enquête sur la politique nationale de lutte contre les drogues illicites.

Le Sénat a montré sur l'ensemble de la précédente législature la pertinence et la qualité des travaux de ses commissions d'enquête. Le travail effectué sur les établissements pénitentiaires est de ce point de vue en tout point remarquable : dépôt d'une proposition de résolution, création d'une commission d'enquête, organisation d'un débat parlementaire sur la base de ses conclusions, dépôt d'une proposition de loi et examen de celle-ci dans le cadre de l'ordre du jour réservé du Sénat. C'est dans la continuité de ces travaux que s'inscrit la présente proposition de résolution.

Le champ d'investigation de la commission d'enquête porterait notamment :

- sur l'évaluation des politiques publiques de lutte contre la toxicomanie, la détention, la consommation, la vente et le trafic de stupéfiants ;

- sur la définition des drogues, de leurs effets sur la santé des consommateurs, la santé et la sécurité publiques, au regard des connaissances scientifiques actuelles en la matière ;

- sur la définition d'une politique nationale forte, claire et cohérente de lutte contre les drogues illicites.

Ces trois axes impliqueraient d'abord d'établir un diagnostic de la dangerosité des différentes drogues et d'examiner plus particulièrement :

- l'action des administrations, des organismes publics ou associatifs qui ont vocation à mettre en oeuvre les politiques de répression, de prévention et d'information en matière de toxicomanie ;

- l'adéquation des moyens humains et matériels consacrés à la prévention de l'usage des drogues illicites ;

- l'efficacité de l'arsenal pénal réprimant l'usage et le trafic des stupéfiants et son éventuelle adaptation ainsi que celle des moyens douaniers, policiers et judiciaires affectés à sa mise en oeuvre ;

- l'adaptation et les besoins des Centres Spécialisés de Soins aux Toxicomanes (CSST) et des établissements sanitaires ainsi que la possibilité d'étendre la gamme de ces établissements.

Ainsi, sur la base des travaux de cette commission d'enquête, un débat parlementaire pourrait être organisé en vue du dépôt éventuel d'un projet ou d'une proposition de loi.

Tel est, Mesdames, Messieurs, l'objet de la présente proposition de résolution que nous vous demandons de bien vouloir adopter.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

En application de l'article 11 du Règlement du Sénat et de l'article 6 de l'ordonnance n°58-1100 du 17 Novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, il est créé une commission d'enquête de vingt-et-un membres sur la politique nationale de lutte contre les drogues illicites.

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