EXAMEN DES ARTICLES

PREMIÈRE PARTIE
RÉGULATION FINANCIÈRE

TITRE IV
AMÉLIORATION DE LA LUTTE
CONTRE LE BLANCHIMENT D'ARGENT PROVENANT D'ACTIVITÉS CRIMINELLES ORGANISÉES

Article 19
(art. 1 er et 11 de la loi n° 90-614 du 12 juillet 1990
relative à la participation des organismes financiers
à la lutte contre le blanchiment des capitaux provenant
du trafic de stupéfiants)
Champ d'application de l'obligation de déclaration de soupçon

Cet article tend, pour l'essentiel, à compléter la liste des personnes tenues, en vertu de la loi n° 90-614 du 12 juillet 1990, de déclarer les sommes ou opérations sur des sommes lorsque celles-ci paraissent provenir du trafic de stupéfiants ou de l'activité d'organisations criminelles.

1) Le champ d'application de la loi du 12 juillet 1990 :

La loi du 12 juillet 1990 relative à la participation des organes financiers à la lutte contre le blanchiment des capitaux provenant du trafic des stupéfiants prévoit pour l'essentiel une obligation pour certains organismes et personnes de déclarer auprès de TRACFIN (traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins), service placé sous l'autorité du ministre chargé de l'économie et des finances les sommes ou les opérations qui portent sur des sommes lorsqu'elles paraissent provenir du trafic de stupéfiants ou de l'activité d'organisations criminelles.

Lors de son adoption, la loi du 12 juillet 1990 visait exclusivement les établissements de crédit et les professions financières . Cela concerne l'ensemble du secteur bancaire et financier, y compris le Trésor public, la Banque de France, la Caisse des dépôts et consignations, les services financiers de la Poste, les entreprises d'assurance...

La loi n° 96-392 du 13 mai 1996 relative à la lutte contre le blanchiment et le trafic des stupéfiants et à la coopération internationale en matière de saisie et de confiscation des produits du crime a étendu l'obligation de déclaration aux courtiers d'assurance et de réassurance .

La loi n° 98-546 du 2 juillet 1998 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier a pour sa part intégré dans le champ d'application de la loi du 12 juillet 1990 les entreprises d'investissement et les changeurs manuels, ainsi que les personnes qui réalisent, contrôlent ou conseillent des opérations portant sur l'acquisition, la vente, la cession ou la location de biens immobiliers . Cela concerne en particulier les notaires.

2) La proposition de directive en discussion dans le cadre de l'Union européenne :

En 1999, la Commission européenne a proposé de modifier la directive du 10 juin 1991 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux. Actuellement, la directive prévoit que les États membres veillent à ce que les établissements de crédit et les institutions financières informent les autorités responsables de la lutte contre le blanchiment de tout fait qui pourrait être l'indice d'un blanchiment. La modification de cette directive a notamment pour objectif d'impliquer de nouvelles activités et professions dans la lutte contre le blanchiment des capitaux.

Dans l'exposé des motifs de la proposition de directive, la Commission européenne " estime qu'il n'est pas déraisonnable d'associer pleinement le secteur de l'immobilier, les comptables et experts comptables et les casinos dans la lutte contre la criminalité organisée. Ces activités et professions doivent être tenues de procéder de manière appropriée à l'identification de leurs clients et de communiquer leurs éventuels soupçons de blanchiment aux autorités anti-blanchiment désignées par les États membres. Dans les cas où elles auraient communiqué des agissements suspects, ces professions bénéficieraient bien entendu d'une protection contre d'éventuelles mises en cause de leur responsabilité civile ou pénale. (...)

" Dans le cas des notaires et des autres professions juridiques indépendantes, les obligations de la directive ne s'appliqueraient qu'à certaines activités précises, relevant de la sphère financière ou du droit des sociétés, pour lesquelles le risque de blanchiment est le plus important.

" Étant donné le statut particulier des professions juridiques, souligné entre autres par le Parlement européen, les avocats pourraient être exonérés de toute obligation en matière d'identification ou d'information dans tous les cas liés à la représentation ou à la défense d'un client dans une procédure judiciaire. De plus, pour tenir pleinement compte de leur devoir professionnel de discrétion, comme l'a demandé le Parlement européen, les États membres auront la possibilité d'autoriser les avocats à communiquer leurs soupçons en matière de blanchiment par la criminalité organisée à leur barreau ou à un organe professionnel équivalent plutôt qu'aux autorités anti-blanchiment habituelles.

" Les États membres détermineront les formes appropriées de coopération entre les barreaux ou les organes professionnels et les autorités anti-blanchiment habituelles. La Commission contrôlera de près l'efficacité de ces procédures. "

La proposition de directive a fait l'objet d'un accord politique au sein du Conseil de l'Union européenne le 29 septembre dernier. Son adoption définitive supposera cependant un accord entre le Conseil et le Parlement européen.

3) Les dispositions du projet de loi :

Le paragraphe I de l'article 19 tend à élargir , au sein de l'article 1 er de la loi du 12 juillet 1990, la liste des personnes tenues de déclarer les sommes ou opérations portant sur des sommes lorsqu'elles paraissent provenir du trafic de stupéfiants ou de l'activité d'organisations criminelles.

Cette obligation de déclaration s'appliquerait désormais, non seulement aux personnes déjà concernées, mais également :

- aux représentants légaux et aux directeurs responsables de casinos ;

- aux personnes se livrant habituellement au commerce ou organisant la vente de pierres précieuses, de matériaux précieux, d'antiquités et d'oeuvres d'art.

Le projet de loi initial visait également les experts-comptables, mais l'Assemblée nationale a estimé préférable d'attendre pour procéder à l'intégration de cette profession dans la liste des personnes soumises à déclaration, l'adoption de la nouvelle directive communautaire.

De fait, il paraît préférable qu'une réflexion globale soit conduite sur la question du rôle des professions du chiffre et du droit dans la lutte contre le blanchiment, même si les notaires sont pour leur part déjà tenus de déclarer leurs soupçons en ce qui concerne les transactions immobilières qu'ils sont conduits à réaliser.

En élargissant quelque peu la liste des personnes soumises à déclaration, le projet de loi devance l'adoption de la nouvelle directive communautaire, comme la loi de 1990 avait devancé l'adoption de la directive sur le blanchiment de 1991. Il est toutefois possible, si les travaux communautaires sont couronnés de succès, que le législateur soit appelé à intervenir de nouveau sur cette question à brève échéance .

Le paragraphe II tend à modifier l'article 11 de la loi du 12 juillet 1990. Celui-ci prévoit notamment, dans un paragraphe inséré dans la loi en 1998, que les obligations prévues aux articles 4 (transmission d'information à TRACFIN), 6 (accusé de réception de la déclaration par TRACFIN, assorti ou non d'une opposition à la transaction), 8 (exonération de responsabilité civile et pénale pour les personnes ayant satisfait à l'obligation de déclaration) et 9 (exonération de responsabilité pénale lorsqu'une transaction a été effectuée en l'absence d'opposition de TRACFIN) s'appliquent aux personnes mentionnées au 7° de l'article premier, c'est-à-dire aux personnes qui réalisent, contrôlent ou conseillent des opérations portant sur l'acquisition, la vente, la cession ou la location de biens immobiliers.

L'origine de cette disposition, pour le moins contestable au regard de l'exigence de qualité de la loi, réside dans le fait que la loi de 1990 ne visait au départ que des organismes financiers . Dans ces conditions, les différents articles relatifs aux obligations de ces organismes et aux conséquences de la déclaration qu'ils sont tenus de faire font tous référence à la notion d'organisme ou d'organisme financier.

Lorsque la liste des personnes soumises à l'obligation de déclaration a été étendue aux professionnels de l'immobilier, seul l'article 3 de la loi a été modifié en conséquence. Il vise désormais " les organismes financiers et les personnes visés à l'article premier ". Cette expression n'a pas été reprise dans les autres articles de la loi, le législateur ayant choisi de prévoir dans un article unique que certains articles étaient applicables aux professionnels de l'immobilier.

Le présent paragraphe tend à compléter cet article 11, afin de prévoir l'application aux personnes que le projet de loi tend à soumettre à l'obligation de déclaration des autres obligations prévues par la loi.

Votre commission estime qu'il est de meilleur technique législative de viser dans chaque article évoquant le rôle des personnes tenues d'effectuer une déclaration de soupçon, l'ensemble des personnes visées par l'article premier de la loi du 12 juillet 1990. Elle vous soumet en conséquence un amendement tendant à compléter les articles 4, 6, 6 bis, 7, 8, 9 et 10 de la loi du 12 juillet 1990, afin qu'ils fassent explicitement référence aux personnes visées à l'article premier et non seulement aux organismes financiers.

Votre commission a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 19 ainsi modifié .

Article 20
(art. 3 de la loi n° 90-614 du 12 juillet 1990)
Extension de l'obligation de déclaration à TRACFIN
de certaines sommes et opérations

Dans sa rédaction actuelle, l'article 3 de la loi du 12 juillet 1990 précise que les organismes financiers et les personnes visées à l'article premier de cette loi sont tenus de déclarer à TRACFIN :

" 1° Les sommes inscrites dans leurs livres lorsqu'elles paraissent provenir du trafic de stupéfiants ou de l'activité d'organisations criminelles.

" 2° Les opérations qui portent sur des sommes lorsque celles-ci paraissent provenir du trafic de stupéfiants ou de l'activité d'organisations criminelles " .

Le présent article tend à modifier et à compléter l'article 3 de la loi du 12 juillet 1990, afin d'étendre l'obligation de déclaration à TRACFIN pour faciliter la lutte contre le blanchiment.

Le paragraphe I tend tout d'abord à élargir l'obligation de déclaration en remplaçant la référence aux sommes ou opérations qui " paraissent provenir " du trafic de stupéfiants ou de l'activité d'organisations criminelles par une référence aux sommes ou opérations qui " pourraient provenir " de ces activités.

Il semble en fait que la rédaction actuelle rende difficile le contrôle que sont appelés à exercer certains organismes, en particulier la commission bancaire, sur le respect de leurs obligations par les personnes tenues d'effectuer des déclarations de soupçon. Le nombre de procédures disciplinaires engagées est très faible, alors même que la collaboration des organismes financiers avec TRACFIN est très inégale.

Le Gouvernement a donc proposé dans le projet de loi de faire disparaître les termes " paraissent provenir ", jugés trop subjectifs pour les remplacer par les termes " pourraient provenir ". Assurément, une telle évolution allégerait considérablement la charge de la preuve pesant sur les organes de contrôle chargés d'engager des procédures disciplinaires contre les organismes ou personnes qui ne mettraient pas en oeuvre l'obligation de déclaration.

Il est cependant possible de se demander si la formulation proposée n'est pas trop vague et si elle ne risque pas de susciter la perplexité des personnes appelées à déclarer des soupçons auprès de TRACFIN. La directive communautaire n° 91-308 du 10 juin 1991 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux prévoit pour sa part que les établissements de crédit et les institutions financières doivent informer les autorités " de tout fait qui pourrait être l'indice d'un blanchiment de capitaux ".

Dans ces conditions, votre commission vous propose, par un amendement , de retenir une formule très proche de celle employée dans la directive communautaire en imposant la déclaration des sommes ou opérations sur des sommes " lorsqu'il existe des indices que ces sommes pourraient provenir " d'activités criminelles.

Le projet de loi vise par ailleurs à remplacer la référence à " l'activité d'organisations criminelles " par une référence aux " activités criminelles organisées ". L'exposé des motifs du projet de loi précise que les mots " activités criminelles organisées " sont préférables à ceux " d'organisations criminelles ", car ils visent explicitement la commission d'infractions et évitent de poser, à toute étape de la procédure, la question de l'appartenance à une organisation.

En tout état de cause, il convient de rappeler que les termes d'organisations criminelles ou d'activités criminelles organisées ne doivent pas s'entendre au sens du droit pénal français. Les organismes appelés à effectuer une déclaration de soupçon n'ont en aucun cas à s'interroger sur le fait de savoir si une opération est issue d'un crime au sens du code pénal. Ils doivent déclarer les opérations susceptibles de provenir d'activités illicites graves.

Un rapport publié en 1999 par TRACFIN précise ainsi : " au terme de l'examen, si la structure financière soupçonne le rattachement de la transaction en cause à une infraction préalable, elle effectue une déclaration de suspicion à TRACFIN ".

Le paragraphe II tend à compléter l'article 3 de la loi du 12 juillet 1990 pour prévoir des cas de déclaration automatiques à TRACFIN pour certaines opérations. Les organismes financiers devraient ainsi déclarer toute opération lorsque l'identité du donneur d'ordre ou du bénéficiaire reste douteuse malgré les diligences effectuées conformément à l'article 12.

L'article 12 de la loi prévoit en effet que les organismes financiers doivent s'assurer de l'identité de leur cocontractant par la présentation de tout document écrit probant et qu'ils se renseignent sur l'identité véritable des personnes au bénéfice desquelles un compte est ouvert ou une opération réalisée lorsqu'il leur apparaît que les personnes demandant l'ouverture du compte ou la réalisation de l'opération pourraient ne pas agir pour leur propre compte.

L'objectif de la disposition proposée est de permettre un signalement automatique à TRACFIN des opérations dont l'origine ou la destination sont incertaines. Cela pourrait concerner en particulier les opérations vers des comptes anonymes appelés " comptes à numéros ".

A l'initiative de M. Arnaud Montebourg, l'Assemblée nationale a décidé de prévoir une déclaration systématique à TRACFIN des opérations effectuées par les organismes financiers pour compte propre ou pour compte de tiers avec des personnes physiques ou morales, y compris leurs filiales ou établissements, agissant sous forme ou pour le compte de fonds fiduciaires ou de tout autre instrument de gestion d'un patrimoine d'affectation dont l'identité des constituants ou des bénéficiaires n'est pas connue.

De fait, comme l'a indiqué le Groupe d'action financière sur le blanchiment des capitaux (GAFI) 4 ( * ) dans un rapport sur les typologies du blanchiment des capitaux, rendu public le 3 février dernier : " Les entités ayant la personnalité morale, ou les autres types de montages juridiques (comme les fiducies) (...) constituent une constante dans les montages de blanchiment de capitaux décrits par les membres du GAFI. Par le passé (...) le GAFI a examiné le rôle des sociétés de façade et autres formes de sociétés extra-territoriales dans les montages de blanchiment de capitaux. Toutefois, le recours éventuel à cette dernière catégorie de montages juridiques -en particulier les " fiducies extra-territoriales "- à des fins de blanchiment de capitaux n'a pas encore fait l'objet d'un examen approfondi. Néanmoins ces structures semblent représenter un autre moyen par lequel un individu pourrait dissimuler le véritable propriétaire d'un actif, érigeant ainsi ces structures en instruments pouvant s'avérer utile à des fins de blanchiment de capitaux ".

Il est possible de se demander si l'amendement adopté par l'Assemblée nationale n'est pas redondant avec la disposition invitant les organismes financiers à déclarer toute transaction lorsque l'identité du donneur d'ordre ou du bénéficiaire reste douteuse. Il existe cependant des cas où les organismes financiers connaîtront le donneur d'ordre, qui s'avérera être un fonds fiduciaire, sans cependant connaître les constituants. Dans un tel cas, une déclaration à TRACFIN pourrait s'avérer utile.

Le texte adopté par l'Assemblée nationale paraît cependant trop vague. L'identité des constituants d'un trust n'est jamais connue a priori. Votre commission vous soumet un amendement tendant à prévoir que les organismes financiers devront opérer des vérifications dans des conditions fixées par décret en ce qui concerne l'identité des constituants des trusts et qu'ils seront tenus de déclarer les transactions si les vérifications effectuées ne permettent pas de connaître l'identité des constituants.

• Enfin, le paragraphe III de cet article tend à compléter l'article 3 de la loi du 12 juillet 1990 pour prévoir qu'" un décret pourra étendre l'obligation de déclaration mentionnée au premier alinéa aux opérations pour compte propre ou pour compte de tiers effectuées par les organismes financiers avec des personnes physiques ou morales, y compris leurs filiales ou établissements, domiciliées, enregistrées ou établies dans l'ensemble des États ou territoires dont la législation ou la réglementation est reconnue insuffisante ou dont les pratiques sont considérées comme faisant obstacle à la lutte contre le blanchiment des capitaux par l'instance internationale de concertation et de coordination en matière de lutte contre le blanchiment d'argent. Ce décret fixera le montant minimum des opérations soumises à déclaration ".

Il s'agit en fait d'habiliter le Gouvernement à obliger les organismes financiers à déclarer toutes les opérations avec des personnes domiciliées ou établies dans des " centres financiers off shore ", une liste de pays ayant été établie par le Groupe d'action financière sur le blanchiment des capitaux (GAFI). Dans un rapport de juin 2000, le GAFI a estimé que quinze pays étaient non coopératifs en matière de lutte contre le blanchiment : Bahamas ; Îles Caïmans ; Îles Cook ; Dominique ; Israël ; Liban ; Liechtenstein ; Îles Marshall ; Nauru ; Niue ; Panama ; Philippines ; Russie ; Saint-Christophe-et-Niévès ; Saint-Vincent-et-les-Grenadines.

Un précédent rapport du GAFI suggérait que " Les membres du GAFI pourraient donc mettre au point de nouvelles formes de contre-mesures pour mieux protéger les systèmes financiers et leurs économies des capitaux d'origine illégale (...). Il pourrait ainsi s'agir d'exiger des institutions financières qu'elles rendent compte systématiquement des transactions à l'unité de renseignements financiers ou à tout organisme compétent lorsque ces transactions dépassent un certain montant, lorsqu'elles sont réalisées par leurs clients avec des personnes physiques ou morales établies ou ayant leur compte bancaire dans une institution financière sise dans les pays ou territoires identifiés(...) comme non coopératifs ".

Le présent article tend donc à habiliter le Gouvernement à imposer aux organismes financiers de déclarer toutes les transactions avec des personnes installées dans les pays jugés non coopératifs par le GAFI. Concrètement, le Gouvernement " pourra " prendre ce décret au moment où il le jugera le plus opportun, ce qui doit permettre d'éviter que la France se lance seule dans ce combat ou, à l'inverse, qu'elle soit la dernière à imposer la déclaration de ces transactions. La référence aux personnes domiciliées " dans l'ensemble " des États ou territoires dont la législation est reconnue insuffisante " par l'instance internationale de concertation et de coordination en matière de lutte contre le blanchiment d'argent " vise à faire en sorte que le Gouvernement ne puisse s'affranchir de la liste qui sera établie par le GAFI.

Si les objectifs de la mesure proposée sont parfaitement compréhensibles, la rédaction retenue ne laisse pas d'étonner. Le GAFI n'a aucune existence juridique en droit français ; il n'a pas la personnalité morale. Il s'agit d'une instance de coopération intergouvernementale créée en 1989 lors de la réunion du sommet économique du G7 à l'Arche de la Défense. Il paraît donc pour le moins singulier d'encadrer l'habilitation donnée au Gouvernement d'agir par décret par une référence aux travaux du GAFI.

Il est de la responsabilité du législateur d'habiliter le Gouvernement à contraindre les organismes financiers à déclarer les transactions avec des personnes domiciliées dans certains pays. Il sera de la responsabilité du Gouvernement d'utiliser l'habilitation du législateur pour établir la liste des pays qui se verront appliquer l'obligation de déclaration.

Assurément, la liste établie par le GAFI sera un élément déterminant, sinon le seul, de la décision gouvernementale, compte tenu de l'autorité acquise par cette instance au fil des années. Si le Gouvernement s'avisait d'opérer des choix dans la liste du GAFI, il serait en difficulté face à ses partenaires au sein de cette instance. Pour autant, il n'a pas paru possible à votre commission de lier, dans la loi, la parution et le contenu du décret, aux travaux d'une instance qui n'a pas la personnalité morale. Elle vous soumet donc un amendement proposant une nouvelle rédaction de ce paragraphe, afin d'exclure toute référence à " l'instance internationale de concertation et de coordination en matière de lutte contre le blanchiment d'argent ".

Votre commission a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 20 ainsi modifié .

Article 20 bis (nouveau)
(art. 11 bis nouveau de la loi n° 90-614 du 12 juillet 1990)
Comité de liaison

Cet article, inséré dans le projet de loi par l'Assemblée nationale, à l'initiative de M. Arnaud Montebourg, tend à insérer un article 11 bis dans la loi du 12 juillet 1990 pour prévoir que TRACFIN anime un comité de liaison de la lutte contre le blanchiment des produits des crimes et délits qui réunit, dans des conditions fixées par décret, les professions soumises à l'obligation de déclaration, les autorités de contrôle et les services de l'Etat concernés.

En pratique, TRACFIN entretient déjà d'étroites relations avec les membres des professions concernées par l'obligation de déclaration. Un rapport publié en 1999 précise ainsi que " les organismes financiers ont, pour la plupart, pris des mesures concrètes pour la formation de leurs personnels et, dans ce schéma, font souvent appel à TRACFIN. En moyenne, ses représentants participent à une conférence par mois devant un public composé de responsables de services de sécurité ou d'audit, de directeurs régionaux et de cadres des professions bancaires et financières. En outre, les analystes de TRACFIN effectuent régulièrement de nombreux déplacements auprès des correspondants, à Paris ou en province. Enfin, des actions de sensibilisation de l'ensemble du secteur bancaire et financier d'une région sont périodiquement conduites ".

Malgré ces actions de sensibilisation, il peut être utile que tous les acteurs concernés par la lutte contre le blanchiment échangent régulièrement des expériences et informations. Le principal intérêt du comité de liaison proposé est qu'il réunira non seulement TRACFIN et les professions concernées par l'obligation de déclaration, mais également les services de l'État concernés.

Votre commission a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 20 bis.

Article 21
(art. 12 bis nouveau de la loi n° 90-614 du 12 juillet 1990)
Restriction ou interdiction des opérations à destination
ou en provenance de pays ou territoires non coopératifs

Cet article tend à insérer dans la loi du 12 juillet 1990 un article 12 bis pour prévoir que, pour assurer l'application des recommandations émises par l'instance internationale de concertation et de coordination en matière de lutte contre le blanchiment de l'argent, le Gouvernement peut, pour des raisons d'ordre public et par décret en Conseil d'État, soumettre à des conditions spécifiques, restreindre ou interdire tout ou partie des opérations réalisées pour leur compte propre ou pour le compte de tiers par les organismes financiers établis en France avec des personnes physiques ou morales domiciliées, enregistrées ou ayant un compte auprès d'un établissement situé dans un État ou territoire dont la législation ou la réglementation est insuffisante ou dont les pratiques font obstacle à la lutte contre le blanchiment des capitaux.

Comme on l'a vu à propos de l'article 20, le groupe d'action financière internationale (GAFI) a publié une liste des pays non coopératifs en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux.

Le GAFI a par ailleurs souhaité que ses membres réfléchissent à la possibilité d'assortir de conditions, de restreindre, de cibler, voire d'interdire les transactions financières avec ces pays, le cas échéant en adoptant les mesures législatives nécessaires à la réalisation de cet objectif.

Dans ces conditions, le présent article tend à habiliter le Gouvernement à restreindre, à interdire ou à soumettre à des conditions particulières les transactions avec des personnes domiciliées dans les États non coopératifs.

Le Gouvernement ne pourrait prendre ces mesures que " pour des raisons d'ordre public ". Cette précision est destinée à éviter que cette disposition soit contestable au regard du principe de liberté de circulation des capitaux qui prévaut dans le cadre de l'Union européenne.

L'adoption dès à présent d'une mesure législative d'habilitation permettra au Gouvernement de pouvoir agir rapidement lorsqu'il souhaitera prendre des mesures de restriction ou d'interdiction de certaines transactions au vu des travaux du GAFI.

Comme à propos de l'article 20, votre commission n'estime pas souhaitable de faire référence dans la loi à " l'instance internationale de concertation et de coordination en matière de lutte contre le blanchiment ", même si, à l'évidence, les travaux de cette instance seront déterminants dans les choix que sera conduit à faire le Gouvernement dans ce domaine.

Votre commission vous soumet un amendement réécrivant cet article, afin de supprimer la référence à l'instance internationale tout en précisant que les mesures d'interdiction ou de restriction de transactions devront avoir pour objet la mise en oeuvre des articles 324-1 et 324-2 du code pénal, qui répriment le blanchiment. Il convient en effet d'éviter que cet article puisse être considéré comme permettant des restrictions contestables à la mise en oeuvre du principe de libre circulation des capitaux.

Votre commission a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 21 ainsi modifié .

Article 21 bis (nouveau)
Rapport au Parlement

Cet article, inséré dans le projet de loi par l'Assemblée nationale, à l'initiative du rapporteur de sa commission des Lois, M. André Vallini, prévoit que les mesures prévues aux articles 20 et 21 du projet de loi, relatives aux opérations réalisées avec des personnes domiciliées dans un État ou territoire dont la législation ou la réglementation est reconnue insuffisante ou dont les pratiques font obstacle à la lutte contre le blanchiment des capitaux, font l'objet d'un rapport annuel du Gouvernement au Parlement.

Ce rapport devrait notamment faire état des mesures analogues adoptées par les autres États membres du GAFI.

Votre commission, tout en acceptant le principe d'un rapport au Parlement sur ce sujet, vous soumet un amendement de réécriture de cet article afin de supprimer toute référence au GAFI, conformément aux décisions prises aux articles 20 et 21.

Votre commission a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 21 bis ainsi modifié .

Article 21 ter (nouveau)
(art. 15 de la loi n° 90-614 du 12 juillet 1990)
Communication de pièces à TRACFIN

Dans sa rédaction actuelle, l'article 15 de la loi du 12 juillet 1990, prévoit notamment que le service TRACFIN et les autorités chargées de contrôler que les personnes concernées effectuent bien les déclarations de soupçon, peuvent se faire communiquer les documents relatifs aux clients habituels ou occasionnels des organismes financiers ainsi que les documents relatifs aux opérations faites par ceux-ci.

TRACFIN et l'autorité de contrôle peuvent demander la communication de ces pièces dans le but de reconstituer l'ensemble des transactions faites par une personne physique ou morale et liées à une opération ayant fait l'objet soit d'une déclaration de soupçon, soit de l'examen particulier prévu à l'article 14. L'article 14 prévoit en effet que les opérations portant sur un montant supérieur à un seuil fixé par décret et qui, sans entrer dans le champ d'application de l'article 3 (déclaration de soupçon), présentent des conditions inhabituelles de complexité et ne paraissent pas avoir de justification économique ou d'objet licite, doivent faire l'objet d'un examen particulier de la part de l'organisme financier. Dans de tels cas, les caractéristiques de l'opération sont consignées par écrit et le document conservé pendant cinq ans.

Le présent article, inséré dans le projet de loi par l'Assemblée nationale, tend à compléter, au sein de l'article 15, les références aux articles 3 et 14 par une référence aux informations mentionnées à l'article 16.

Cette précision a pour objet de prendre en compte la possibilité pour TRACFIN, prévue à l'article 16, de recevoir des informations de la part des officiers de police judiciaire et des autorités de contrôle. L'article 2 du projet tend d'ailleurs à compléter la liste des autorités susceptibles de transmettre des informations à TRACFIN.

Votre commission a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 21 ter.

Article 22
(art. 16 de la loi n° 90-614 du 12 juillet 1990)
Information de TRACFIN

Cet article tend à compléter l'article 16 de la loi du 12 juillet 1990, qui prévoit que les informations transmises à TRACFIN et aux autorités de contrôle ne peuvent être utilisées à d'autres fins que celles prévues par la loi du 12 juillet 1990 et que leur divulgation est interdite, sous réserve de la possibilité pour TRACFIN de communiquer les informations à des officiers de police judiciaire désignés par le ministre de l'Intérieur, au service des douanes et aux autorités de contrôle.

L'article 16 prévoit également que TRACFIN peut recevoir des officiers de police judiciaire et des autorités de contrôle les informations nécessaires à l'accomplissement de sa mission.

Le présent article tend à compléter la liste des autorités de la part desquelles TRACFIN peut recevoir des informations, pour y intégrer les administrations de l'État, les collectivités territoriales et leurs établissements.

Votre commission a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 22.

Article 22 bis (nouveau)
(art. 5 de la loi n° 90-614 du 12 juillet 1990)
Transmission à TRACFIN des décisions définitives
prononcées dans les affaires ayant fait l'objet
d'une déclaration de soupçon

Dans sa rédaction actuelle, l'article 5 de la loi du 12 juillet 1990 relative à la participation des organismes financiers à la lutte contre le blanchiment des capitaux provenant du trafic des stupéfiants prévoit qu'un service (TRACFIN), placé sous l'autorité du ministre chargé de l'économie et des finances, reçoit la déclaration de soupçon prévue à l'article 3 de la même loi.

L'article 5 de la loi dispose en outre que ce service recueille et rassemble tous renseignements propres à établir l'origine des sommes ou la nature des opérations faisant l'objet de la déclaration. Dès que les informations recueillies mettent en évidence des faits susceptibles de relever du trafic de stupéfiants ou de l'activité d'organisations criminelles, TRACFIN doit en référer au procureur de la République.

Le présent article, introduit dans le projet de loi par l'Assemblée nationale à l'initiative de sa commission des Finances, tend à compléter l'article 5 de la loi du 12 juillet 1990 pour prévoir que le procureur de la République transmet à TRACFIN toutes les décisions définitives prononcées dans les affaires ayant fait l'objet d'une déclaration de soupçon transmises par cet organisme.

De fait, il est tout à fait souhaitable que TRACFIN soit informé de l'issue des procédures engagées après que ce service a saisi le procureur de la République. Cette information peut permettre à TRACFIN d'améliorer la qualité des renseignements qu'il transmet aux autorités judiciaires et l'inciter, le cas échéant, à modifier certaines de ses pratiques, de manière à faciliter par la suite le travail de la justice.

Votre commission a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 22 bis.

Article 22 ter (nouveau)
(art. 6 bis de la loi n° 90-614 du 12 juillet 1990)
Information des personnes ayant effectué une déclaration de soupçon
sur les suites données à cette déclaration

Cet article, inséré dans le projet de loi par l'Assemblée nationale à l'initiative de sa commission des Finances, tend à compléter l'article 6 bis de la loi du 12 juillet 1990.

Dans sa rédaction actuelle, cet article précise que la déclaration de soupçon prévue par l'article 3 de la loi peut être verbale ou écrite. Il prévoit également que l'organisme effectuant cette déclaration peut demander que TRACFIN n'accuse pas réception de la déclaration. Il dispose enfin que, dans le cas où TRACFIN saisit le procureur de la République, la déclaration, dont ce dernier est avisé, ne figure pas au dossier de la procédure.

Le présent article tend à compléter cet article pour prévoir que TRACFIN peut, à la demande de l'organisme financier ou de la personne qui a effectué une déclaration, indiquer s'il a saisi le procureur de la République sur le fondement de cette déclaration.

Il paraît tout à fait souhaitable que les organismes ou personnes effectuant une déclaration de soupçon puissent être informées des suites réservées à cette déclaration et il semble que TRACFIN transmette d'ores et déjà, de manière informelle ces informations.

Il peut être utile de donner une base juridique à cette possibilité pour TRACFIN d'informer les personnes ayant effectué des déclarations de soupçon, d'autant plus que, d'après les informations transmises à votre rapporteur, le Groupe d'action financière sur le blanchiment des capitaux (GAFI), instance internationale de concertation en matière de blanchiment, recommande que les agences nationales auxquelles sont déclarées certaines opérations financières puissent informer les personnes ayant procédé aux déclarations des suites données à celles-ci.

Il est toutefois souhaitable que ce mécanisme demeure facultatif, dans la mesure où, pour certaines affaires, il peut paraître nécessaire que la saisine du procureur demeure confidentielle.

Votre commission a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 22 ter.

Article 23
(art. L. 310-12 et L. 322-2 du code des assurances)
Contrôle par la commission de contrôle des assurances
du respect de l'obligation de déclaration

Dans sa rédaction actuelle, l'article 1 er de la loi du 12 juillet 1990 prévoit que les principales dispositions de cette loi, en particulier l'obligation de déclaration de soupçon, s'appliquent " aux entreprises mentionnées à l'article L. 310-1 du code des assurances et aux courtiers d'assurance et de réassurance ". La référence aux courtiers d'assurance et de réassurance résulte de la loi n° 96-392 du 13 mai 1996 relative à la lutte contre le blanchiment et le trafic des stupéfiants et à la coopération internationale en matière de saisie et de confiscation des produits du crime.

Ainsi, la loi du 12 juillet 1990 est applicable à toutes les compagnies d'assurance, puisque l'article L. 310-1 du code des assurances, auquel fait référence l'article 1 er de la loi de 1990 concerne :

" 1° les entreprises qui contractent des engagements dont l'exécution dépend de la durée de la vie humaine, s'engagent à verser un capital en cas de mariage ou de naissance d'enfants, ou font appel à l'épargne en vue de la capitalisation et contractent à cet effet des engagements déterminés ;

" 2° les entreprises qui couvrent les risques de dommages corporels, liés aux accidents et à la maladie ;

" 3° les entreprises qui assurent d'autres risques y compris ceux liés à une activité d'assistance . "

Le présent article tend à modifier les articles L. 310-12 et L. 322-2 du code des assurances, d'une part pour impliquer plus clairement la commission de contrôle des assurances dans le dispositif de lutte contre le blanchiment, d'autre part pour harmoniser les dispositions du code des assurances avec le délit général de blanchiment créé en 1996.

Le paragraphe I tend à faire figurer le respect de la loi du 12 juillet 1990 parmi les missions de la commission de contrôle des assurances définies à l'article L. 310-12 du code des assurances. Dans sa rédaction actuelle, cet article précise notamment que la commission de contrôle des assurances est " chargée de contrôler les entreprises mentionnées à l'article L. 310-1, à l'exception de celles qui ont pour objet exclusif la réassurance .

" La commission veille au respect, par les entreprises d'assurance, des dispositions législatives ou réglementaires relatives à l'assurance. Elle s'assure que ces entreprises tiennent les engagements qu'elles ont contractés à l'égard des assurés . "

De son côté, l'article 7 de la loi du 12 juillet 1990 prévoit que " lorsque par suite soit d'un grave défaut de vigilance, soit d'une carence dans l'organisation de ses procédures internes de contrôle, un organisme financier a omis de faire la déclaration prévue à l'article 3, l'autorité ayant pouvoir disciplinaire engage une procédure sur le fondement des règlements professionnels ou administratifs et en avise le procureur de la République . "

Compte tenu des dispositions de cet article, il est très clair que la commission de contrôle des assurances est d'ores et déjà habilitée à engager des procédures disciplinaires en cas de manquement, par une entreprise d'assurance, à l'obligation de déclaration de soupçon.

Le Gouvernement a cependant souhaité précisé plus clairement encore le rôle de la commission de contrôle des assurances et a donc proposé d'insérer, au sein de l'article L. 310-12 du code des assurances, un nouvel alinéa précisant que " la commission s'assura également que les dispositions de la loi n° 90-614 du 12 juillet 1990 relative à la participation des organismes financiers à la lutte contre le blanchiment des capitaux, sont appliquées par les entreprises mentionnées à l'article L. 310-1 ainsi que par les personnes physiques ou morales mentionnées au cinquième alinéa et soumises à son contrôle ".

La référence aux personnes mentionnées au cinquième alinéa vise les personnes physiques ou morales ayant reçu d'une entreprise mentionnée à l'article L. 310-1 un mandat de souscription ou de gestion, ou exerçant, à quelque titre que ce soit, le courtage d'assurance.

Il semble en fait que cet article ait pour objet de faciliter le renforcement de la coopération entre TRACFIN et les entreprises d'assurance.

Dans un rapport paru en 1999, les responsables de TRACFIN ont évoqué en ces termes la collaboration entre les entreprises d'assurance et TRACFIN : " TRACFIN (...) a porté une attention soutenue sur cette profession qui attire de plus en plus les blanchisseurs, eu égard à l'intérêt que génèrent, dans leur stratégie, de nombreux produits d'assurance . (...)

" Si, sur la période de référence -février 1991/décembre 1998-, le secteur considéré n'a procédé qu'à 290 signalements, soit près de 5 % du montant total enregistré, les chiffres de 1997 et de 1998 présentent un aperçu nettement supérieur, avec un taux dépassant 10 %.

" D'un point de vue qualitatif, les résultats sont encourageants, puisque plusieurs dossiers d'enquêtes, constitués à partir d'informations émanant des assureurs, ont fait l'objet d'une transmission aux autorités judiciaires.

" Mais ce satisfecit ne doit pas masquer la réalité : la participation des sociétés d'assurance à la lutte contre le blanchiment se heurte fréquemment à des structures internes peu adaptées.

" (...) Ce dysfonctionnement est amplifié par une politique commerciale très agressive dans un environnement extrêmement concurrentiel, ainsi que par une relative passivité des correspondants anti-blanchiment ".

Le présent article, en rendant plus explicite le rôle de la commission de contrôle des assurances en matière de contrôle disciplinaire, tend donc à renforcer la coopération entre TRACFIN et les entreprises d'assurance.

Le paragraphe II tend à modifier l'article L. 322-2 du code des assurances, qui énumère les cas dans lesquels une personne ne peut, à un titre quelconque, fonder, diriger, administrer une entreprise soumise au contrôle de l'État en vertu de l'article L. 310-1 du code des assurances, ni une entreprise de réassurance.

Cet article s'applique notamment aux personnes condamnées " par application de l'article L. 627 du code de la santé publique ou de l'article 415 du code des douanes ". Il fait donc référence au délit de blanchiment tel qu'il existait avant la création, par la loi n° 96-392 du 13 mai 1996, d'un délit général de blanchiment inscrit à l'article 324-1 du code pénal. L'article 324-2 du même code prévoit des circonstances aggravantes de ce délit. Les articles L. 627 du code de la santé et 415 du code des douanes ne concernent que le blanchiment du produit d'un trafic de stupéfiants.

Le Gouvernement a donc proposé, dans le projet de loi initial, de remplacer les références aux articles L. 627 du code de la santé publique et 415 du code des douanes par une référence aux articles 324-1 et 324-2 du code pénal.

Sur proposition de sa commission des Lois, l'Assemblée nationale a complété le texte proposé par le Gouvernement, afin que l'article L. 322-2 du code des assurances fasse non seulement référence aux articles 324-1 et 324-2 du code pénal, mais également à l'article 222-38 du même code, qui réprime spécifiquement le blanchiment du produit de trafic de stupéfiants.

Par ailleurs, l'Assemblée nationale a souhaité maintenir la référence à l'article 415 du code des douanes au sein de l'article L. 322-2 du code des assurances. De fait, il n'existe aucune raison pour qu'une personne condamnée pour blanchiment sur le fondement de l'article 415 du code des douanes, toujours en vigueur, puisse diriger une entreprise d'assurance, alors qu'une personne condamnée sur le fondement de l'article 324-1 ne le pourrait pas.

Votre commission a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 23.

Article 23 bis (nouveau)
(art. 7 de la loi n° 90-614 du 12 juillet 1990)
Non-respect des obligations prévues par la loi

Dans sa rédaction actuelle, l'article 7 de la loi du 12 juillet 1990 prévoit que lorsque, par suite soit d'un grave défaut de vigilance, soit d'une carence dans l'organisation de ses procédures internes de contrôle, un organisme financier a omis de faire la déclaration prévue à l'article 3, l'autorité ayant pouvoir disciplinaire engage une procédure sur le fondement des règlements professionnels ou administratifs et en avise le procureur de la République.

L'Assemblée nationale, sur proposition de sa commission des Finances, a souhaité étendre les possibilités pour les organes de contrôle de prendre des sanctions disciplinaires. Elle a donc remplacé la référence à l'omission de faire la déclaration de soupçon par une référence à l'omission de respecter les obligations découlant de la loi.

En pratique, cette modification apparaît dépourvue de toute portée. En effet, la déclaration de soupçon est la seule obligation imposée aux organismes concernés par la loi de 1990 au sein du premier chapitre de cette loi.

Certes, le chapitre II de la loi impose d'autres obligations aux organismes financiers, en particulier celle de s'assurer de l'identité de leur cocontractant avant d'ouvrir un compte. Il est normal que le non-respect de ces obligations puisse également être sanctionné par l'engagement d'une procédure disciplinaire. Cependant, l'article 17 de la loi de 1990 prévoit déjà qu'en cas de non-respect des obligations imposées par le chapitre II de la loi, l'autorité ayant pouvoir disciplinaire peut agir d'office dans les conditions prévues par les règlements professionnels ou administratifs .

Dans ces conditions, votre commission vous propose, par un amendement , la suppression de l'article 23 bis.

Article 24
(art. 4 de la loi n° 78-9 du 4 janvier 1978
modifiant le titre IV du Livre III du code civil)
Immatriculation des sociétés civiles

Dans sa rédaction actuelle, issue de la loi n° 78-9 du 4 janvier 1978, l'article 1842 du code civil prévoit que " les sociétés autres que les sociétés en participation visées au chapitre III jouissent de la personnalité morale à compter de leur immatriculation " . Depuis 1978, toutes les sociétés doivent donc être immatriculées.

Toutefois, la loi de 1978 a prévu une exception pour les sociétés créées avant l'adoption de la loi. Le quatrième alinéa de l'article 4 de cette loi prévoit en effet que " par dérogation à l'article 1842 du code civil, les sociétés non immatriculées à la date prévue à l'alinéa précédent conserveront leur personnalité morale. Les dispositions relatives à la publicité ne leur seront pas applicables. Toutefois, leur immatriculation et l'application des dispositions relatives à la publicité pourront être requises par le ministère public ou par tout intéressé dans les conditions prévues à l'article 1839 du code civil " .

Le présent article prévoit l'abrogation de cette disposition, son entrée en vigueur étant différée dix-huit mois après l'adoption de la loi. Il dispose en outre que les sociétés civiles doivent, avant cette date, procéder à leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés. A défaut d'une telle immatriculation, ces sociétés perdront la personnalité morale.

La mesure proposée est importante et il peut paraître étonnant qu'elle n'ait pas été adoptée plus tôt. Comme l'indique l'exposé des motifs du projet de loi " il existe actuellement plusieurs milliers de ces sociétés, dont beaucoup pourraient se maintenir en sommeil, qu'elles aient ou non eu dans le passé une activité réelle. Certaines sociétés nouvelles peuvent également antidater leur création pour profiter du dispositif. Ces coquilles vides dotées de la personnalité morale, peuvent à tout moment participer à des montages suspects, notamment dans le domaine du blanchiment. La non-immatriculation de ces sociétés rend particulièrement opaque la transmission des parts sociales, qui peuvent circuler de main en main sans publicité et sans qu'il puisse y avoir de certitude sur la date réelle de cession. Or, ces personnes morales ont, en droit positif, pleine capacité juridique pour transmettre un patrimoine important, notamment immobilier. Il apparaît donc opportun de recenser l'ensemble des sociétés civiles existant en France et d'assurer une publicité de leurs porteurs de parts par l'intermédiaire du registre du commerce et des sociétés " .

La mesure proposée dans cet article peut à l'évidence contribuer à lutter plus efficacement contre le blanchiment. Dans un récent rapport sur les typologies du blanchiment des capitaux, le Groupe d'action financière sur le blanchiment des capitaux (GAFI) a notamment insisté sur le rôle de certains " agents de création de sociétés ", qui conseillent leurs clients sur les endroits les plus intéressants pour établir une entité ayant la personnalité morale dans un pays répondant aux besoins spécifiques de ces clients. L'agent peut choisir un pays parce qu'il " présente les avantages d'une création rapide, de faibles coûts de création ou de procédures administratives limitées " ou " parce qu'on n'y requiert pas de renseignements sur le propriétaire d'une société susceptible d'être ensuite inscrits dans des registres publics " .

Il est donc tout à fait nécessaire de mettre fin à la possibilité d'utiliser certaines sociétés pour des opérations de blanchiment, en profitant du fait qu'elles peuvent conserver la personnalité morale sans être immatriculées.

Sous réserve d' un amendement rédactionnel, votre commission a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 24.

Article additionnel avant l'article 25
(art. 324-1 du code pénal)
Caractère intentionnel du délit de blanchiment

Votre commission vous propose, par un amendement tendant à insérer un article additionnel avant l'article 25, de faire figurer explicitement dans l'article 324-1 du code pénal le caractère intentionnel de l'infraction de blanchiment.

Jusqu'en 1996, le blanchiment n'était incriminé que lorsqu'il concernait le produit du trafic de stupéfiants. L'article L. 627 précisait que le délit de blanchiment n'était constitué que lorsqu'il était commis sciemment. La loi n° 96-392 du 13 mai 1996 a créé un délit de blanchiment du produit de tout crime ou délit, dans la définition duquel l'élément intentionnel n'apparaît pas explicitement. A cette occasion, le législateur a fait disparaître de l'article L. 627 du code de la santé publique le terme " sciemment " qui y figurait jusqu'alors.

Certes, juridiquement, il n'est pas nécessaire de mentionner dans la définition des infractions le caractère intentionnel de celles-ci. En effet, l'article 121-3 du code pénal prévoit très clairement qu'il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre. Les rédacteurs du code pénal ont donc estimé que l'élément intentionnel n'avait pas à être évoqué dans la définition de chaque crime ou délit.

Pourtant, cette règle n'a pas été appliquée de manière pleinement rigoureuse. Ainsi, la définition du délit de recel, délit le plus voisin de celui de blanchiment, précise que le recel n'est constitué que lorsqu'il est commis " en connaissance de cause ".

Dans un souci d'harmonisation et de sécurité juridique, votre commission propose de préciser explicitement dans l'article 324-1 du code pénal que le délit de blanchiment, comme celui de recel, n'est constitué que s'il est commis " en connaissant l'origine illicite " du produit blanchi. Rien ne paraît justifier que l'élément intentionnel de l'infraction figure dans la définition du recel, mais non dans celle du blanchiment.

Article 25
(art. 450-1 du code pénal)
Extension de la définition de l'association de malfaiteurs

Dans sa rédaction actuelle, l'article 450-1 du code pénal définit l'association de malfaiteurs comme un " groupement formé ou entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'un ou plusieurs crimes ou d'un ou plusieurs délits punis de dix ans d'emprisonnement ".

La participation à une association de malfaiteurs est punie de dix ans d'emprisonnement et de 1.000.000 F d'amende.

Le présent article tend à compléter l'article 450-1 du code pénal pour prévoir qu'" est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 500.000 F d'amende le fait, pour une personne, de participer à tout groupement formé ou toute entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'un ou plusieurs délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement ".

Cette extension de l'infraction d'association de malfaiteurs est notamment justifiée par l'adoption, dans le cadre de l'Union européenne, d'une action commune relative à l'incrimination de la participation à une organisation criminelle dans les États membres de l'Union européenne.

Cette action commune demande que les États incriminent " l'association structurée, de plus de deux personnes, établie dans le temps, et agissant de façon concertée en vue de commettre des infractions punissables d'une peine privative de liberté ou d'une mesure de sûreté privative de liberté d'un maximum d'au moins quatre ans ou d'une peine plus grave, que ces infractions constituent une fin en soi ou un moyen pour obtenir des avantages patrimoniaux et, le cas échéant, influencer indûment le fonctionnement des autorités publiques ".

Le texte proposé par le présent article fait référence à des crimes ou délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement, ce qui est logique, dans la mesure où il n'existe pas, dans le code pénal, d'infraction punie de quatre ans d'emprisonnement.

Le texte initial du projet de loi ne visait que les délits prévus aux livres III et IV du code pénal, respectivement consacrés aux crimes et délits contre les biens et aux crimes et délits contre la Nation, l'État et la paix publique. L'Assemblée nationale, sur proposition de sa commission des Lois, saisie pour avis, a préféré que cet article fasse référence à l'ensemble des délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement.

Dans son avis présenté au nom de la commission des Lois, M. André Vallini a notamment fait valoir que cette restriction était " en contradiction avec l'action commune, qui, par le renvoi à la convention Europol, vise également les filières d'immigration clandestine, pour lesquelles l'article 21 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France prévoit une peine de cinq ans d'emprisonnement et de 200.000 F d'amende ".

Votre commission approuve l'extension de la définition de l'association de malfaiteurs. Elle vous propose toutefois, par un amendement , une nouvelle rédaction de l'article 450-1 du code pénal, afin que la rédaction de celui-ci demeure pleinement cohérente.

Votre commission a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 25 ainsi modifié .

Article 25 bis (nouveau)
(art. 450-2-1 nouveau du code pénal)
Impossibilité de justifier de ressources correspondant
à son train de vie, tout en étant en relations habituelles
avec une personne participant à une association de malfaiteurs

Cet article, inséré dans le projet de loi par l'Assemblée nationale, à l'initiative de M. Arnaud Montebourg, tend à insérer dans le code pénal un article 450-2-1 pour punir de cinq ans d'emprisonnement et de 500.000 F d'amende le fait de ne pas pouvoir justifier de ressources correspondant à son train de vie, tout en étant en relations habituelles avec une ou plusieurs personnes participant à une association de malfaiteurs.

Il est très aisé de percevoir l'intérêt de la création d'une telle infraction. Une telle incrimination aura pour effet d'alléger la charge de la preuve et pourrait donc permettre de condamner plus aisément les personnes se rendant coupables de blanchiment d'argent.

D'ores et déjà, l'article 222-39-1 punit de cinq ans d'emprisonnement et de 500.000 F d'amende le fait de ne pas pouvoir justifier de ressources correspondant à son train de vie, tout en étant en relations habituelles avec une ou plusieurs personnes se livrant au trafic ou à l'usage de stupéfiants.

De même, l'article 321-6 du code pénal réprime le fait, pour une personne ayant autorité sur un mineur qui vit avec elle et qui se livre habituellement à des crimes ou à des délits contre les biens d'autrui, de ne pouvoir justifier de ressources correspondant à son train de vie.

Enfin, l'article 225-6 du code pénal sanctionne le fait " de ne pouvoir justifier de ressources correspondant à son train de vie tout en vivant avec une personne qui se livre habituellement à la prostitution ou tout en étant en relations habituelles avec une ou plusieurs personnes se livrant à la prostitution " .

Votre commission comprend le souci de faciliter la répression du blanchiment de l'argent poursuivi par l'Assemblée nationale. Néanmoins, les éléments matériels de la nouvelle incrimination proposée paraissent trop ténus pour être retenus en l'état.

Le fait de ne pouvoir justifier de ressources correspondant à son train de vie ne saurait à lui seul constituer une infraction pénale et doit donc être complété par un autre élément comme c'est le cas pour les trois délits existants précédemment énumérés. Votre commission considère que le fait d'être en relation avec des personnes participant à une association de malfaiteurs est insuffisant pour caractériser une infraction pénale, dans la mesure où l'association de malfaiteurs est une infraction dite infraction-obstacle , c'est-à-dire qu'elle réprime le fait de préparer d'autres infractions qui peuvent ne pas être commises.

Dans ces conditions, votre commission vous propose, par un amendement , de punir le fait de ne pouvoir justifier de ressources correspondant à son train de vie tout en étant en relations habituelles avec des personnes ayant commis, dans le cadre d'une association de malfaiteurs, des crimes ou des délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement. Cette infraction constituerait une nouvelle forme d'association de malfaiteurs.

Votre commission vous propose en outre d'insérer cette infraction après l'article 450-1du code pénal. Elle vous propose enfin, par coordination, de prendre en compte la création de cette nouvelle infraction dans les articles 450-3 et 450-4 du code pénal, respectivement relatifs aux peines complémentaires encourues par les personnes physiques et aux peines encourues par les personnes morales en cas d'association de malfaiteurs.

Votre commission a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 25 bis ainsi modifié .

Article 26
(art. 324-7 du code pénal et 706-30 du code de procédure pénale)
Saisie et confiscation des biens des personnes
condamnées pour blanchiment

Le paragraphe I de cet article tend à compléter l'article 324-7 du code pénal, relatif aux peines complémentaires encourues par les personnes physiques condamnées pour blanchiment. L'article 324-7 prévoit notamment la confiscation d'un ou plusieurs véhicules appartenant au condamné, la confiscation d'une ou plusieurs armes dont le condamné est le propriétaire ou dont il a la libre disposition, la confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l'infraction ou de la chose qui en est le produit, à l'exception des objets susceptibles de restitution. Le présent paragraphe tend à compléter la liste des peines complémentaires pour y faire figurer la confiscation de tout ou partie des biens du condamné, quelle qu'en soit la nature, meubles ou immeubles, divis ou indivis.

Une telle peine est déjà prévue par l'article 222-49 du code pénal en matière de trafic de stupéfiants.

Le paragraphe II tend à compléter l'article 706-30 du code de procédure pénale. Dans sa rédaction actuelle, cet article permet au président du tribunal de grande instance d'ordonner des mesures conservatoires sur les biens des personnes mises en examen pour les infractions mentionnées aux articles 222-34 à 222-38 du code pénal (trafic de stupéfiants), afin de garantir le paiement des amendes encourues ainsi que l'exécution de la confiscation des biens prévue par l'article 222-49 du code pénal.

Les références aux articles du code pénal seraient complétées pour prévoir la possibilité d'appliquer cette mesure non seulement en cas de mise en examen pour trafic de stupéfiants (articles 222-34 à 222-38 du code pénal), mais également en cas de mise en examen pour blanchiment (articles 324-1 et 324-2 du code pénal). De même, les mesures conservatoires pourraient être ordonnées pour garantir l'exécution de la confiscation prévue par l'article 222-49 du code pénal, mais également pour garantir l'exécution de la confiscation que le présent projet de loi tend à prévoir en matière de blanchiment.

Votre commission a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 26 .

* 4 Le GAFI a été créé lors de la réunion du sommet économique du G 7 à l'arche de la Défense en juillet 1989 ; il est chargé d'évaluer les résultats de la coopération déjà mise en oeuvre pour empêcher l'utilisation du système bancaire et des institutions financières aux fins de blanchir l'argent sale et d'étudier des mesures préventives supplémentaires en la matière.

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