B. DISCUSSION

Après avoir présenté quatre remarques, votre commission évoquera quelques pistes et principes de solutions qui demandent une expertise technique approfondie.

Première remarque

La commission des finances de l'Assemblée nationale a très logiquement conclu sa critique systématique de la redevance par une proposition de suppression en bonne et due forme à partir de 2002. En 2001 seuls les contribuables imposés à l'impôt sur le revenu seraient demeurés redevables de cette taxe dont le produit aurait été maintenu à son niveau prévu par l'affectation d'une part des recettes de la Française des jeux.

Cette proposition a soulevé un tollé, ainsi bien de la part des diverses autorités responsables : ministre de la culture et de la communication, président du CSA, que dans les secteurs professionnels intéressés par la bonne santé financière de la télévision publique : le secteur de la production en particulier.

Ainsi les décisions prises par l'Assemblée nationale au cours de la première lecture du projet de budget ont-elles été sensiblement plus modestes que les propositions initiales de son rapporteur général : seule la modeste extension, signalée ci-dessus, du système d'exonération a été retenue.

Le cadeau ainsi fait aux personnes âgées de 70 ans non imposables sur le revenu ne sera peut-être pas, au demeurant, la seule conséquence du débat lancé au début de l'été par M. Didier Migaud.

Il se peut que la mise en cause officielle, largement diffusée par les médias, d'un prélèvement fort contesté par le public ne soit favorisé par la réalisation des prévisions de recouvrement établis pour 2001 par le service de la redevance sur la base d'une augmentation du nombre de comptes payants estimée à 385 000, ce qui représente un accroissement de recettes de 380,7 millions de francs, soit + 2,8 % par rapport à l'objectif fixé pour 2000. Tous les redevables récalcitrants n'auront peut-être pas l'idée d'accueillir des contrôleurs du service de la redevance le rapport Migaud à la main, l'impression diffuse de fin de parcours laissée par le débat de l'été n'en aura pas moins des conséquences concrètes.

Deuxième remarque

Les analyses de M. Didier Migaud sont globalement exactes. On a vu ci-dessus que votre rapporteur avait déjà évoqué la perte progressive de légitimité et d'assise de la redevance. Mme Catherine Tasca n'a pas pris une position très différente, au cours de son audition du 17 octobre par votre commission, en présentant la réponse suivante à une question de votre rapporteur : " La suppression de la redevance est périodiquement évoquée. Le gouvernement a choisi de la maintenir. Sa pérennité n'en pose pas moins problème à terme, spécialement dans la mesure où son rendement ne peut être à la hauteur des défis du marché. Il n'est en effet pas possible d'augmenter les taux à la hauteur des besoins de l'audiovisuel public. Il convient donc de réfléchir à la mise en place d'une ressource de substitution pérenne et dynamique, alignée sur l'évolution des ressources de l'ensemble du secteur. Il serait utile de tracer des pistes dans le cadre de la préparation du budget de 2002. "

Votre rapporteur adhère à cette analyse, sous-jacente aux réflexions de son rapport de 1998. S'il est en effet nécessaire de tracer des pistes, il ne peut être question de supprimer la redevance hic et nunc en la remplaçant par une ressource dont les inconvénients n'ont pas été étudiés, comme on le verra ci-dessous. Du reste, le rapport de M. Migaud donne lui-même à entendre qu'en la matière les évolutions sont lentes, puisqu'il rappelle que la redevance pour droit d'usage des postes récepteurs de radiodiffusion n'a été supprimée qu'en 1980, " prenant ainsi en compte, avec une vingtaine d'années de retard, l'irruption des transistors dans le paysage radiophonique français qui avait rendu obsolète l'assiette de la redevance radiophonique ". Sans aller jusqu'à suggérer que, l'assiette de la redevance télévisuelle n'étant pas encore totalement obsolète, nous disposerions d'un temps de réflexion de plus d'une vingtaine d'années, votre commission se déclare ennemie de toute solution non réfléchie susceptible de peser sur le financement de la télévision publique, spécialement en une période où les besoins de financement vont croître sensiblement avec la mise en place de la diffusion hertzienne terrestre numérique.

Dans ces conditions, la télévision publique a besoin de sécurité et de prévisibilité. En présentant des propositions hâtives de démantèlement sans avancer de solution vraiment crédible de remplacement, la commission des finances de l'Assemblée nationale a inopportunément ignoré ce contexte.

Troisième remarque

On vient de le noter, la solution proposée par le rapport de M. Didier Migaud pour remplacer la redevance est largement critiquable, pour des raisons de principe plus que de technique fiscale.

Rappelons, sans entrer par conséquent dans les détails techniques de cette proposition, qu'il s'agirait d'affecter au compte d'affectation spéciale n° 902-15, qui accueille le produit de la redevance, le prélèvement sur les jeux actuellement effectué au profit du budget général. Celui-ci représente 14,6 milliards de francs en 2000 (le produit attendu des encaissements de redevance est estimé à près de 13 milliards de francs pour le même exercice).

Pourquoi cette solution : il peut sembler étrange de mettre le financement de la télévision publique sous la dépendance du goût des Français pour les jeux de

hasard : jeux exploités par la Française des jeux, produits des jeux dans les casinos, prélèvements sur le Pari mutuel. Il y a là des connotations qui peuvent ne pas sembler opportunes compte tenu de la place que les jeux tendent à occuper dans la programmation des chaînes publiques au détriment d'émissions liées de façon plus évidente à l'accomplissement des missions de service public.

Ce n'est sans doute qu'un problème d'image un peu secondaire. Mais l'image du service public a une importance.

Au demeurant l'image n'a pas été absente du débat, puisque le choix du produit des jeux pour remplacer la redevance semble lié à des préoccupations d'affichage comptable. Si on lit bien le rapport de M. Didier Migaud, il s'agit en effet d'une réponse aux objections du rapport déjà évoqué de l'inspection générale des finances à l'hypothèse d'une suppression de la redevance.

Soucieuse d'orthodoxie financière, l'inspection générale des finances faisait à cet égard les remarques suivantes :

" - la suppression de la redevance n'aurait aucun effet sur le niveau des prélèvements obligatoires puisque la redevance n'est aujourd'hui pas incluse dans leur champ ;

- la levée de nouvelles recettes fiscales ou l'affectation d'économies pour 13 milliards de francs au profit de l'audiovisuel public seraient indispensables. Si cette budgétisation s'accompagne d'une majoration d'impôts, le taux des prélèvements obligatoires augmenterait de 0,15 point. "

C'est pour répondre à ces soucis que M. Didier Migaud a proposé de financer l'audiovisuel public non par des crédits budgétaires mais par l'affectation des recettes non fiscales que représente le produit des jeux. C'est, une nouvelle fois, manquer un peu de perspective.

Outre l'inopportune connotation relevée plus haut, on objectera en effet à cette proposition, si l'on croit à la mission de l'audiovisuel public, qu'un tel financement aurait vraisemblablement pour conséquence de soustraire les chaînes à l'indispensable débat public et politique, et de favoriser leur fonctionnement en circuit fermé. Or ce n'est pas la vocation du service public de l'audiovisuel que de fonctionner à l'abri des débats civiques sur ses missions, sa qualité, son financement. On ne reprendra pas ici le rôle de l'audiovisuel public comme forme moderne de l'espace public, comme lieu de réflexion sur le lien social et de consolidation de celui-ci, et finalement comme objet nécessaire du débat civique : tout ceci a été approfondi et exposé dans des rapports antérieurs de votre commission des affaires culturelles. On notera simplement que les diffuseurs publics n'existent que pour l'exercice d'une mission d'intérêt général, que l'exercice de cette mission appelle le maintien d'un lien fort avec le public, que le maintien d'un financement direct par les contribuables est indispensable, que le remplacement de la redevance par une ressource " indolore " plus ou moins parapublique apparaîtrait comme une façon de nier le rôle de l'audiovisuel public.

De ce point de vue, il convient de rejeter fermement la conception biaisée de l'autonomie présentée par le rapport précité de l'inspection générale des finances :

" - le fait que l'histoire du service public français de la télévision est allé vers l'octroi d'une plus grande autonomie financière et décisionnelle des chaînes, alors qu'une fiscalisation des ressources irait plutôt à l'encontre des objectifs poursuivis depuis 20 ans. "

L'audiovisuel public a besoin d'un financement dynamique, stable et prévisible que la redevance offre certes mieux qu'un système de subventions budgétaires. Mais ce n'est pas au nom de l'autonomie, fausse fenêtre de préoccupations comptables qui n'ont rien à voir avec elle, qu'il convient d'écarter d'emblée toute fiscalisation. Il y a là deux débats, qu'il faut distinguer afin d'y voir clair.

Quatrième remarque

L'hypothèque européenne est volontiers utilisée comme argument à l'appui de telle ou telle proposition.

Le rapport précité de l'inspection générale des finances estime que l'adossement de la redevance à la taxe d'habitation -telle est la proposition de ce rapport- améliorerait la position de la France en minimisant l'argument d'atteinte à la concurrence. M. Didier Migaud exprime à l'égard de cette affirmation lapidaire un doute partagé par votre commission, et se contente de noter que le financement de l'audiovisuel public par le produit des jeux ne poserait à l'égard du droit communautaire de la concurrence pas plus de problèmes que la redevance dans sa conformation actuelle.

Votre commission ne croit pas que la problématique européenne constitue un argument pertinent dans le débat français sur la réforme et sur le remplacement de la redevance pour un autre financement public.

Dans le débat européen sur le financement mixte de l'audiovisuel public, la nature juridique de tel ou tel financement public importera en effet moins que la façon dont la commission européenne souhaitera appliquer le principe général qu'elle invoque face à l'appui manifesté par les états membres à la pérennité de la mixité : financement des missions de service public par des fonds publics, financement des autres activités par des ressources propres des organismes.

A cet égard, votre commission regrette une fois de plus que n'ait pas été entendu l'avertissement lancé par le Sénat à l'occasion de la discussion de l'article 3 de la loi du 1 er août 2000, relatif à la définition des missions des organismes publics de l'audiovisuel.

C'est à cette occasion qu'auraient dû être prises les dispositions tendant à renforcer la position de l'audiovisuel public à l'égard du droit européen, et non au détour de débats, tout à fait vains à cet égard, sur les mérites relatifs d'un mode de financement public ou d'un autre.

C'est pourquoi votre commission croit utile de rappeler les critiques qu'elle avait observées lors de la deuxième lecture du projet de loi à la liste des missions élaborée par l'Assemblée nationale :

Extrait du rapport de la commission des affaires culturelles
sur le projet de loi modifiant la loi du 30 septembre 1986 (p. 29)

On sait que la direction générale de la commission européenne chargée de la concurrence a entrepris d'examiner la conformité au droit européen du financement mixte du secteur public, à partir de l'idée qu'il convient de réserver les fonds publics au financement des programmes de service public, les autres programmes devant être financés par des recettes propres. Ceci implique l'élaboration d'une liste des programmes de service public, et l'identification de leur mode de financement sur la base d'une comptabilité analytique des chaînes publiques.

La liste énumérative des missions de l'audiovisuel public retenue par l'Assemblée nationale s'inscrit implicitement dans cette logique, dans la mesure où cette liste peut aisément constituer le point de départ d'une discussion aboutissant à l'établissement d'une liste de programmes de service public reconnus par la commission, pour lesquels le financement public serait admis, la même liste étant susceptible d'être rediscutée au fur et à mesure que le secteur privé prendrait en charge tel ou tel de ses éléments.

Ce processus serait destructeur pour l'audiovisuel public de la France, fondé sur l'idée que la télévision publique est essentiellement une télévision généraliste destinée à favoriser le contact de tous les publics avec tous les programmes, et doit à cet effet offrir une programmation complète attirant le plus large public. Dans cette optique, la distinction des modalités de financement à partir d'une comptabilité analytique n'a guère de sens.

Auditionnée par votre commission le 25 janvier dernier, Mme Viviane Reding, membre de la commission européenne, chargée de l'éducation et de la culture, admettait implicitement le danger de la méthode énumérative en répondant à une question de votre rapporteur qu'une définition globale du rôle de la télévision publique était préférable à une énumération de missions.

Principes de solutions

Les quatre remarques qui précèdent permettent d'identifier quelques principes de solutions à la question de l'avenir de la redevance, et de relancer la discussion sur des fondements plus solides.

En premier lieu, il convient de noter qu'il s'agit de financer un service public et non un service rendu. La principale faiblesse de la redevance tient au fait qu'elle semble, par construction, rémunérer une prestation de moins en moins demandée par les contribuables. On aura beau objecter que ce n'est pas le cas juridiquement, que la redevance est une taxe parafiscale assise sur un équipement indépendamment de l'usage fait de cet équipement, on ne convaincra pas les redevables qu'il est légitime de payer une somme relativement importante pour un équipement qui lui sert à recevoir gratuitement des programmes autres que ceux au paiement desquels la somme en question est destinée. Du reste, certains aspects du régime juridique de la redevance peuvent être interprétés comme la reconnaissance implicite de l'existence d'un lien entre le paiement de la taxe et la réception d'un programme : les récepteurs hors d'état de capter les signaux de télévision et les appareils détériorés sont exonérés.

Si, nonobstant ces apparences et ces contradictions, on admet que la redevance finance bien un service public, comme il se doit, et non un service rendu, l'on ne peut alors admettre l'injustice, relevée par le rapport de M. Migaud, d'un prélèvement dégressif, et l'on ne peut que s'étonner que les ménages non équipés de récepteurs ne soient pas appelés à contribuer au financement d'un service essentiel à l'entretien du lien social, au débat public et à la formation des Français. On ne s'explique pas en revanche, toujours dans l'optique du financement d'un service public, que les ménages possèdant un poste dans une résidence secondaire contribuent doublement (sauf à mettre en avant une conception un peu rudimentaire de la progressivité de l'impôt).

Il convient donc de se diriger vers un découplage du financement et de la réception de programmes télévisés, ce qui implique l'abandon à terme de la " redevance pour droit d'usage des appareils récepteurs de télévision ".

Le financement de l'audiovisuel public par des crédits budgétaires ne peut être considéré comme une solution de remplacement de la redevance 2 ( * ) .

L'adossement sur la taxe d'habitation d'une redevance réformée, selon la proposition de l'inspection générale des finances ne convainc pas non plus dans la mesure où cela accentuerait les reproches faits à un impôt lui-même très critiqué, comme l'observe le rapport de M. Didier Migaud, dans la mesure aussi où subsisterait la double taxation, illogique, des ménages possédant plusieurs résidences et le caractère dépressif, et donc injuste, de la taxe.

Il peut sembler opportun, dans ces conditions, d'explorer la possibilité de coupler la redevance et l'impôt sur le revenu selon une formule qui éviterait son assimilation à une recette fiscale et l'augmentation optique des prélèvements obligatoires. Votre commission des affaires culturelles souhaite que la faisabilité technique de cette possibilité soit étudiée par les instances compétentes à l'occasion du débat qui ne manquera pas de se poursuivre sur l'avenir de la redevance.

*

* *

Au-delà des remarques, suggestions, orientations de bon sens que votre commission croit pouvoir présenter sur l'avenir de la redevance, un regret émerge : alors que l'audiovisuel public reste et restera notoirement sous-financé, comme on le redira dans la suite de ce rapport, alors qu'il tire vers le bas l'industrie française des programmes, du fait de la faiblesse de ses budgets, la gouvernement et sa majorité débattent de la suppression ou non de la redevance plutôt que des moyens de donner à nos industries de l'image le surcroît de dynamisme qu'appelle le rôle de la communication audiovisuelle dans la nouvelle économie.

* 2 Cf. sur ce point les analyses présentées p. 7 du présent rapport.

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