B. UN ENVIRONNEMENT EN BOULEVERSEMENT RAPIDE

1. La projection mondiale des concurrents européens dans le colis et la logistique

Sans s'étendre trop longuement sur un sujet déjà bien exploré par les précédents travaux de votre commission, notamment grâce aux rapports d'information de notre collègue Gérard Larcher 9 ( * ) , président du groupe d'études sur l'avenir de La Poste, votre rapporteur rappellera brièvement le parcours spectaculaire effectué par certains opérateurs postaux européens.

Ainsi la réforme de la poste allemande, entreprise à compter de 1994, a reposé sur trois axes : transformation en société anonyme, réorganisation du réseau, évolution du statut du personnel. La loi postale du 1 er janvier 1995 prévoit l'entrée en bourse de la Deutsche Post , prévue pour intervenir dans les tout prochains jours. La poste allemande mettra ainsi environ le quart de son capital en bourse le 20 novembre, et devrait intégrer l'indice boursier DAX des valeurs vedettes de la bourse de Francfort. Cet opérateur est aujourd'hui un géant mondial, capable de racheter l'intégrateur DHL.

La poste allemande mène depuis 1998 une stratégie offensive de croissance externe, puisqu'elle aurait déboursé jusqu'à présent environ 50 milliards de francs pour sa politique d'internationalisation. Elle a multiplié les opérations d'acquisitions et de rachats partout en Europe, mais aussi aux Etats-Unis, l'une des dernières opérations de grande ampleur ayant été le rachat de la société américaine de transport de fret aérien Air Express International

Récemment, les deux compagnies allemandes Lufthansa et Deutsche Post ont annoncé officiellement le regroupement de leurs participations respectives dans DHL International, le spécialiste de la messagerie rapide. Cette alliance permet aux deux opérateurs de détenir ensemble 50 % du groupe. Lufthansa et la Poste allemande ont également annoncé leur intention de créer une filiale commune de logistique, nommée E-LOGIC, pour se développer dans le commerce électronique d'entreprise à entreprise, segment le plus porteur du commerce électronique.

DPAG a par ailleurs commencé à regrouper les entreprises rachetées au sein d'un réseau intégré de distribution paneuropéen qui soit commun à toutes ces entreprises, et qui soit structuré sous la marque unique " EURO EXPRESS ". L'enseigne Euro Express lancée le 1 er octobre 1999 par la poste allemande est destinée à englober lune offre complète de transport de colis (messagerie, express) dans les 19 pays d'Europe où la poste allemande est présente.

La politique de croissance externe de Deutsche Post s'accompagne d'une politique marketing forte. En effet, le groupe a adopté une nouvelle identité visuelle et changé d'appellation, puisqu'il a été rebaptisé " Deutsche Post World Net-Mail, Express, Logistics, Finance ", nom qui symbolise l'étendue de ses ambitions et de ses moyens.

La poste allemande bénéficie des marges financières que lui a procurées la hausse -contestée- du prix du timbre et du potentiel que lui réserve son introduction en Bourse. Peu transparente, offensive, elle fait aujourd'hui figure de géant européen, à dimension mondiale. Elle aurait dépensé 40 milliards de francs depuis 1998 pour sa croissance externe.

La poste hollandaise , TNT Post Group, a, elle aussi, conduit, ces quinze dernières années, un changement drastique mais consensuel , incluant privatisation, changement de statut des personnels, positionnement sur les marchés en croissance et accroissement de la rentabilité. En juin 1988, elle est devenue la première entreprise postale au monde à être cotée en bourse.

Présent dans plus de 200 pays avec près de 100.000 salariés, le groupe ne cesse de publier des résultats positifs. Entre 1993 et 19997, son chiffre d'affaires a été multiplié par trois. Né du rachat de l'intégrateur TNT par la poste néerlandaise fin 1996, le groupe a poursuivi son positionnement sur les marchés en croissance (messagerie et logistique), par le rachat, fin 1998, de la société française Jet Services. Ces dernières années, ses opérations de croissance externe ont concerné plus de 25 entreprises de messagerie pour un montant supérieur à 15 milliards de francs.

Le Post Office britannique a, quant à lui, acquis en 1999 deux sociétés allemandes, le réseau de messagerie German Parcel et le messager express Der Kurier, et vient de racheter au début de cette année l'américain Citipost Group. En France, le Post Office a racheté la société CRIE, spécialisée dans les envois express de courrier en France et à l'international, et plus récemment la société de messagerie Extand, filiale de Géodis.

Au début de l'année 2000, le Post Office a créé une joint-venture avec la poste néerlandaise et Singapore Post, qui aura un champ d'action mondial en se concentrant sur le traitement du courrier international des entreprises. La création d'un partenariat commercial associant deux postes européennes à un partenaire asiatique -d'ailleurs complémentaires sur le plan de leur développement- illustre les enjeux liés à la mondialisation des marchés postaux ainsi que ceux inhérents à un développement plus général du marché global des services de la logistique.

Ce partenariat commercial, s'il devait aboutir à un rapprochement plus significatif de ces deux postes, se traduirait à terme par une nouvelle configuration du paysage postal européen, à l'image de la structuration des alliances aériennes, sur une base tricontinentale.

2. La révision de la directive postale : une échéance qui aurait dû être anticipée

a) Un sursis qui n'a pas été mis à profit

La directive 97/67/CE du 15 décembre 1997 concernant des règles communes pour le développement du marché intérieur des services postaux de la Communauté n'a que très partiellement ouvert le secteur à la concurrence.

En effet, une initiative conjointe du Président Chirac et du Chancelier Kohl au sommet de Dublin, en décembre 1996, avait permis d'endiguer la volonté d'ouverture immédiate de certains autres Etats membres.

Votre commission s'en était félicitée, considérant que La Poste devait être préparée au choc concurrentiel.

Mais la question de l'ouverture accrue à la concurrence n'était que repoussée, la directive prévoyant sa propre révision, selon un calendrier dont elle fixait les échéances :

- à la suite d'une évaluation - qui n'a pas été menée- la Commission européenne devait présenter, pour le 31 décembre 1998, une proposition concernant la poursuite de l'ouverture du marché postal, en vue notamment de libéraliser le courrier transfrontière et le publipostage et de revoir à nouveau les limites de prix et de poids des services " réservés " ;

- le Conseil et le Parlement devaient se prononcer sur cette proposition avant le 1 er janvier 2000 ;

- les mesures décidées devaient entrer en vigueur le 1 er janvier 2003.

L'élaboration de la proposition par la Commission a été retardée par la démission de la Commission précédente le 15 mars 1999, ainsi que par la nécessité, pour le nouveau Collège, de réexaminer la question. Aussi est-ce le 30 mai 2000 que la Commission a formulé ses propositions, matérialisées par une proposition de directive publiée en juillet, modifiant celle de 1997 .

Ce sursis, obtenu de justesse en 1996, par une implication personnelle du chef de l'Etat, n'a malheureusement pas été mis à profit pour préparer La Poste au choc concurrentiel à venir. Ce manque d'anticipation des évolutions prévisibles du secteur postal risque de coûter cher à l'opérateur public.

Dans d'autres pays, les évolutions en matière d'ouverture des marchés ont été plus rapides.

Sept Etats membres sont à plusieurs égards allés plus loin que ne le prévoyait la directive postale de 1997. Ainsi, il n'existe pas de monopole postal en Suède ni en Finlande. En Allemagne, aux Pays-Bas, en Espagne, en Italie et au Danemark, le domaine " réservé " à l'opérateur historique est déjà plus réduit que le maximum prévu par la directive (350 grammes). En Allemagne, la limite en vigueur actuellement est de 200 grammes pour le courrier ordinaire et de 50 grammes pour le publipostage. Aux Pays-Bas, le publipostage ne fait pas partie du domaine réservé et la limite de poids et de prix de ce dernier est de 100 grammes. En Espagne, le courrier interurbain et le publipostage sont intégralement libéralisés. En Italie, le publipostage est également ouvert à la concurrence.

Alors que le marché français est le deuxième d'Europe, alors que La Poste est appelée à jouer un rôle significatif en Europe, les évolutions françaises ont été beaucoup plus lentes.

Or, la Commission propose de franchir une nouvelle étape dans la libéralisation du marché.

b) Une proposition d'ouverture accrue, programmée en deux étapes

Sans préjudice de la liberté des Etats-membres à libéraliser plus rapidement leur marché, la proposition de directive de la Commission prévoit la poursuite de l'ouverture à la concurrence en deux nouvelles étapes. La première, qui devrait entrer en vigueur le 1 er janvier 2003 , consisterait en un abaissement général des limites de poids et de prix actuelles pour les services qui peuvent continuer à être réservés (c'est-à-dire exercés sous monopole) parallèlement, toutes les limites de poids et de prix seraient supprimées en ce qui concerne le courrier transfrontalier sortant et le courrier express.

L'étape ultérieure, pour laquelle la décision devrait intervenir au 31 décembre 2005 au plus tard, prendrait effet au 1 er janvier 2007 ; il s'agirait d'une nouvelle restriction des droits exclusifs encore accordés aux prestataires du service universel conformément à l'article 7 de la directive, conservés dans la seule mesure où cela est strictement nécessaire au maintien du service universel. L'ampleur de cette nouvelle avancée devra être déterminée par le Parlement européen et le Conseil le 31 décembre 2005 au plus tard, sur proposition de la Commission présentée avant le 31 décembre 2004, au terme d'un réexamen du secteur portant sur le maintien du service universel postal dans un contexte concurrentiel.

Si les propositions de la Commission étaient acceptées, ce seraient plusieurs milliards de francs supplémentaires de chiffre d'affaire de La Poste qui seraient mis en concurrence.

c) Des premières réactions qui laissent présager une négociation serrée

Un premier échange de vues sur les propositions de la Commission a eu lieu lors du Conseil Télécommunications du 3 octobre. Ce premier tour de table a surtout permis aux Etats-membres de se " positionner " en vue de la négociation à venir.

Mais la négociation risque d'être difficile, certains Etats souhaitent l'ouverture et d'autres la modérer.

Certains Etats n'ont pas fait mystère de leur désir d'accélérer la libéralisation, souhaitant aller au delà des propositions de la Commission

Il s'agit de l'Allemagne , des Pays bas , de la Suède et de la Finlande .

Il faut dire que ces Etats sont tous déjà préparés à une concurrence déjà largement effective chez eux.

Comment ne pas regretter, sur un plan politique, que l'axe franco-allemand, moteur de la construction européenne, sur lequel avait reposé le compromis de Dublin en 1996, se trouve désormais rompu en matière postale?

Certains autres Etats membres jugent quelque peu excessive l'ouverture proposée par la Commission

Si la Grèce et la France , par exemple, ont jugé inacceptables les propositions de la Commission, ces pays n'ont pas pour l'instant officiellement formulé de contre-proposition précise, bien que la présidence française travaille à l'élaboration d'un compromis. L'Espagne et le Portugal paraissent être sur la même ligne.

L'Italie a considéré que la limite de poids des services réservés devrait être fixée à 150 grammes au lieu de 50 dans la proposition de la Commission.

Les autres Etats membres n'ont pas encore fait part officiellement de leur position définitive

Ainsi en a-t-il été, lors du Conseil d'Octobre, du Royaume-Uni , qui incline toutefois vers une proposition médiane, proche de celle formulée par l'Italie (150 grammes).

Les négociations en vue du Conseil des ministres du 22 décembre 2000 s'avéreront donc sans nul doute difficiles, même si le Parlement européen pourrait être, dans cette négociation, un élément plus favorable que la Commission aux thèses du Gouvernement français.

Votre commission considère quant à elle préférable d'obtenir un accord au sein du Conseil sous présidence française, c'est-à-dire d'ici à la fin de l'année, plutôt que sous présidence suédoise.

Une indication pourrait être donnée par la position officielle des opérateurs postaux -qui n'est pas celle des différents Gouvernements, même si elle s'en rapproche forcément-. Ainsi, dans un communiqué de presse de l'association PostEurop du 22 mai dernier, dix postes ont demandé à la Commission " d'user de prudence et de circonspection " dans la libéralisation ultérieure du marché. Ce " groupe des dix " comprend les postes française, grecque, italienne, portugaise, luxembourgeoise, mais aussi belge, anglaise, autrichienne, danoise et irlandaise. Si ces entreprises étaient suivies par leurs gouvernements respectifs, un accord politique serait envisageable autour d'une position médiane entre le seuil actuel et la proposition de la Commission.

Votre commission souhaite qu'un compromis satisfaisant puisse être trouvé d'ici au Conseil du 22 décembre, tant sur le périmètre des services réservés que sur la définition des " services spéciaux " ou le calendrier ultérieur de libéralisation. Elle estime que l'élaboration d'un éventuel accord ne dispense pas pour autant le Gouvernement d'entamer une réflexion sur l'évolution du cadre législatif postal français.

* 9 Rapport d'information n° 42 " Sauver la Poste : devoir politique, impératif économique " de 1997 et rapport d'information n° 463, Sénat 1998-1999, " Sauver La Poste : est-il encore temps pour décider ? "

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