II. AUDITION DE M. HENRI ROUILLEAULT,
DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'AGENCE NATIONALE POUR L'AMÉLIORATION DES CONDITIONS DE TRAVAIL (ANACT) LE 26 AVRIL 2000

Réunie le mercredi 26 avril 2000, sous la présidence de M. Jean Delaneau, président, la commission a procédé à l'audition de M. Henri Rouilleault, directeur général de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (ANACT).

M. Jean Delaneau , président , a rappelé le souhait du président et du directeur général de l'ANACT d'être auditionnés par la commission et l'appui apporté à cette demande par M. Guy Fischer qui représente le Sénat au conseil d'administration de l'agence. Il s'est donc réjoui de cette audition et a souhaité que M. Rouilleault puisse aborder, dans son propos, la question du " stress " au travail et l'évolution du nombre des accidents du travail. Sur ce premier point, il a observé, en effet, que les tensions apparaissant sur le décompte du temps de travail dans le cadre de l'application des trente-cinq heures conduisaient, bien souvent, à une " chasse au temps mort " et à la recherche d'une productivité accrue. Il a souligné, à cet égard, que M. Rouilleault pouvait apporter un point de vue éclairé sur cette question dès lors qu'il présidait la commission chargée, au sein du commissariat général au plan, de tirer les enseignements de la réduction du temps de travail (RTT).

Après avoir prié la commission d'excuser M. Philippe Varrin, président de l'ANACT, retenu par des obligations professionnelles, M. Henri Rouilleault a présenté le " réseau ANACT ", qui regroupe un établissement public national et 23 organismes régionaux décentralisés.

Il a rappelé que l'établissement public avait été créé par la loi n° 73-1195 du 27 décembre 1973 relative à l'amélioration des conditions de travail, présentée par M. Christian Poncelet, alors qu'il était secrétaire d'Etat auprès du ministre du travail, de l'emploi et de la population. Il a précisé que la création de cet organisme s'inscrivait dans le droit fil d'une idée émise par M. Jacques Chaban-Delmas, alors Premier ministre, et M. Jacques Delors, visant à instaurer un dialogue entre les employeurs et les salariés, sous l'arbitrage de l'Etat, en matière de conditions de travail et de formation professionnelle.

Il a précisé que l'ANACT était donc un établissement public, placé sous la tutelle du ministère chargé du travail, composé d'un conseil d'administration tripartite et assisté d'un comité scientifique.

Il a indiqué que l'ANACT était implantée à Lyon depuis une décision de délocalisation prise par le comité interministériel d'aménagement du territoire d'avril 1997.

Il a rappelé qu'aux termes de la loi, l'ANACT avait pour mission de rassembler et de diffuser les informations concernant, en France et à l'étranger, toute action tendant à améliorer les conditions de travail ainsi que de contribuer au développement et à l'encouragement de recherches, d'expériences ou réalisations en matière d'amélioration des conditions de travail.

Il a souligné qu'aux termes du contrat de progrès 1999-2003, l'activité de l'ANACT portait sur les conditions de travail dans toutes leurs dimensions, qu'il s'agisse de la prévention des risques professionnels, de la sécurité, de la santé et du bien-être des salariés ou du contenu, de la durée et de l'organisation du travail. L'ANACT est également compétente pour ce qui concerne le maintien et le développement des compétences des salariés, ainsi que leurs conditions d'emploi et leurs perspectives professionnelles.

S'agissant du réseau, il a précisé que celui-ci était composé de 23 associations régionales pour l'amélioration des conditions de travail (ARACT) et antennes locales qui constituaient une forme originale de décentralisation et de partenariat social : gérées et animées par les partenaires sociaux dans un cadre bipartite, les ARACT sont cofinancées par l'ANACT, les services de l'Etat, les conseils régionaux et d'autres institutions.

Il a souligné que l'objectif de cette " décentralisation " était d'offrir un service de proximité aux petites et moyennes entreprises, de démultiplier les missions de service public de l'ANACT dans les régions, ainsi que de développer des projets en partenariat et des actions collectives.

Evoquant les objectifs du réseau, il a indiqué qu'il s'agissait de " mettre le travail au coeur du changement ", c'est-à-dire de développer des démarches innovantes permettant l'amélioration des situations de travail des salariés et la performance des organisations. La méthode consiste à apporter un appui technique au dialogue social, à concevoir des outils et à transférer des savoir-faire, sans se substituer aux partenaires sociaux, ni aux responsables des entreprises.

M. Henri Rouilleault a pris l'exemple d'une mission de l'ANACT visant à la réorganisation d'une chaîne de travail ayant provoqué de nombreux cas de troubles musculo-squelettiques (TMS). Le travail de réflexion de l'ANACT avait permis de mettre en place des équipes semi-autonomes, aptes à gérer des " stock-tampons ", ce qui permettait aux salariés d'effectuer des gestes moins répétitifs dans un processus moins contraignant.

M. Henri Rouilleault a souligné que les compétences de l'ANACT étaient diversifiées à partir d'équipes pluridisciplinaires faisant notamment appel à des spécialistes de la psychologie du travail, de l'ergonomie et des " sciences de l'ingénieur ".

Evoquant les prestations de l'ANACT, M. Henri Rouilleault a mentionné tout d'abord les interventions en entreprise pouvant prendre la forme d'interventions courtes gratuites de pré-conseil limitées à cinq jours, d'interventions de plus longue durée ou encore d'instruction technique de dossiers de financement par des aides publiques. L'autre volet de l'action de l'ANACT est axé sur l'animation sur des thèmes sectoriels ou à partir d'un réseau de consultants. Il a souligné que près de 1.000 consultants pouvaient être sollicités par l'ANACT dans un esprit pluridisciplinaire permettant de conjuguer les compétences en matière de médecine du travail, de fixation de normes techniques ou d'organisation de l'entreprise.

Il a souligné que, d'une manière générale, le thème de l'organisation du travail lié à la santé des salariés était au coeur de l'activité du " réseau ANACT " dont les objectifs étaient l'amélioration de la performance globale des entreprises, l'amélioration des conditions de travail et de vie des salariés ainsi que le développement de l'emploi en quantité et en qualité.

En matière de communication, il a rappelé que l'ANACT disposait d'un site internet, publiait une revue mensuelle, éditait des ouvrages et gérait un centre d'information et de documentation ouvert au public.

Sur le plan budgétaire, il a indiqué que les salaires versés aux 80 salariés de l'ANACT et aux 150 salariés des ARACT représentaient le principal poste de dépenses du réseau.

Il a rappelé que l'ANACT, en 1999, était financée principalement par une subvention, d'un montant de 70 millions de francs, versée par le ministère de l'emploi et de la solidarité et qu'elle disposait par ailleurs de 7 millions de francs de ressources propres provenant des entreprises, du fonds social européen (FSE) ou de la vente de publications. Les ARACT, quant à elles, perçoivent près du quart de leur budget de fonctionnement par un transfert de l'agence nationale, les autres ressources étant constituées par des subventions des services de l'Etat, du FSE, des conseils régionaux ainsi que de l'Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des handicapés (AGEFIPH).

Concernant les accidents du travail, il a souligné le recul progressif de leur nombre par rapport aux années 1960 et 1970, tout en faisant remarquer que chaque période de reprise économique avait entraîné une augmentation significative des accidents du travail. Evoquant l'existence d'un lien entre la précarité des salariés et le nombre des accidents du travail, il a précisé que l'ANACT avait entrepris, avec l'un des grands groupes d'intérim, une étude sur la " surraccidentabilité " des travailleurs intérimaires.

S'agissant des maladies professionnelles, M. Henri Rouilleault a fait état d'une montée constante de celles-ci, qu'il a attribuée à l'augmentation du nombre de produits à risques ainsi qu'au développement des TMS. Il a fait état de 9.000 cas de TMS déclarés par an recouvrant des situations de handicaps très concrètes et douloureuses pour les salariés et susceptibles, du point de vue des employeurs, d'entraîner des pertes de production.

Evoquant l'effet du temps de travail sur la santé des salariés, il a souligné que cette question devait être abordée avec beaucoup de prudence car une flexibilité accrue peut entraîner une dégradation des conditions de travail des salariés, en termes de disponibilité ou de compétence.

M. Henri Rouilleault a souligné qu'un bon accord sur la réduction du temps de travail était " un accord à vivre ", c'est-à-dire qui donnait lieu à un suivi et à un dialogue réguliers entre les représentants des salariés et l'employeur.

M. Jean Delaneau , président , a fait état d'une entreprise qui avait mis en place une durée du travail hebdomadaire de 36 heures sur 4 jours et qui avait constaté, en quatre ans, une réduction de 30 % du nombre des arrêts de travail pour maladie.

M. Henri Rouilleault a pris l'exemple d'une grande entreprise de transport routier qui avait constaté, après la conclusion d'un accord de RTT, une réduction des accidents de la route causés par ses chauffeurs qui avait permis une diminution des primes d'assurances. Il a souligné néanmoins qu'il était parfois dangereux de concentrer l'activité hebdomadaire du travail sur 4 jours, notamment lorsque la durée du déplacement entre le domicile et le lieu de travail était importante.

M. Guy Fischer s'est interrogé sur l'analyse prospective de l'ANACT en matière de droit du travail, dans un contexte de reprise économique.

M. Louis Souvet s'est interrogé sur l'intervention de l'ANACT dans le processus de " refondation sociale " engagé par le mouvement des entreprises de France (MEDEF). Il s'est demandé s'il ne serait pas opportun que la médecine de ville prenne parfois le relais de la médecine du travail. Il a souligné que l'augmentation des accidents du travail en période de reprise économique pouvait être due à l'inexpérience des nouveaux personnels embauchés, tout en s'interrogeant sur les remèdes adéquats. Il s'est demandé si la hausse des maladies professionnelles était réelle, ou si elle provenait d'un élargissement des critères de reconnaissance de ces maladies, et si l'ANACT avait observé une dégradation des conditions de travail des salariés du fait du passage aux 35 heures. Il s'est interrogé sur les avantages et les inconvénients de la délocalisation de l'ANACT.

M. Alain Gournac s'est demandé si le passage aux 35 heures ne risquait pas de dégrader le climat social du fait de la perception négative par les salariés des mesures d'annualisation ou des règles imposées en matière de récupération.

M. Marcel Lesbros a souligné que la notion de maladie professionnelle s'était considérablement élargie au cours de ces dernières années du fait de la prise en compte des maladies mentales et des troubles psychiques, ainsi que des situations de " harcèlement professionnel " aussi bien dans le secteur privé que dans la fonction publique.

Mme Marie-Madeleine Dieulangard s'est interrogée sur l'intervention de l'ANACT dans les services publics ainsi que sur la coordination avec les services de l'inspection du travail.

Répondant aux intervenants, M. Henri Rouilleault a souligné, s'agissant des récentes négociations sur la " refondation sociale ", que l'ANACT n'était pas un acteur de la négociation, mais qu'elle suivait attentivement ce dossier, en observant notamment qu'un consensus semblait se dégager pour admettre qu'en matière de prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles, la réponse passait par une coopération accrue des médecins du travail, des prescripteurs de normes, notamment les ingénieurs conseils des caisses régionales d'assurance maladie, et des spécialistes en organisation du travail. M. Henri Rouilleault a observé que l'ANACT ne pouvait que se féliciter d'un processus de concertation entre les partenaires sociaux.

Concernant la médecine du travail, il a rappelé qu'il manquait environ 500 médecins du travail pour que le dispositif actuel fonctionne de manière satisfaisante. Compte tenu de l'insuffisance durable des effectifs de médecins, il a estimé naturel que soit évoquée la possibilité de recourir en appui à la médecine de ville, tout en précisant que l'exercice de cette mission devrait demeurer sous l'autorité du médecin du travail.

Concernant la localisation de l'ANACT à Lyon, qui est la deuxième ville de France, il a indiqué que les loyers étaient moins chers mais qu'en revanche les frais de transport, notamment aérien, étaient parfois plus élevés et que le bassin d'emploi pouvait apparaître moins important. Constatant que la question de la " délocalisation " ne se posait pas dans les autres pays européens, il a considéré que le bilan global de l'opération ne pourrait être dressé avant quatre ou cinq ans.

S'agissant de l'effet de la RTT sur la productivité, il a rappelé tout d'abord qu'un salarié qui travaillait moins travaillait plus facilement et plus efficacement. Il a constaté en outre que plus de 50 % des entreprises ayant signé un accord de RTT avaient pratiqué des mesures d'annualisation génératrices de gains de productivité.

Il a observé que dans l'ensemble, malgré la mise en place des trente-cinq heures, la durée d'utilisation des équipements avait récemment continué d'augmenter, ce qui démontrait que les entreprises et les salariés avaient été conduits à réviser l'organisation du travail, en contrepartie de la RTT.

Rappelant que trois éléments permettaient de financer la RTT -la modération salariale, les aides publiques et les gains de productivité- il a constaté que les négociations seraient sans doute plus ardues pour les entreprises qui les engageraient le plus tardivement dans la mesure où il serait plus difficile de conclure des accords de modération salariale dans une période où réapparaissaient certaines tensions sur le marché du travail.

S'agissant de l'effet du passage aux 35 heures sur le dialogue social, il a admis que beaucoup de conflits étaient apparus à ce sujet dans le secteur public, tout en rappelant que les grandes entreprises nationales, menacées par l'émergence de la concurrence, apparaissaient comme un " maillon faible " sur le plan de la qualité des relations sociales. Il a noté que, dans le secteur privé, le passage aux 35 heures ne s'était pas traduit par une reprise massive des conflits du travail, du moins si l'on se référait aux derniers chiffres disponibles (septembre 1999).

Concernant les maladies professionnelles, il a considéré que leur hausse était due à une amélioration de leur reconnaissance, mais il a fait observer qu'à reconnaissance égale, le nombre de maladies professionnelles déclarées et reconnues comme telles étaient en augmentation.

S'agissant des relations avec l'inspection du travail, il a souligné que la mission de cette dernière différait de celle du réseau de l'ANACT : alors que les inspecteurs du travail sont habilités par la loi à intervenir et à contrôler les entreprises, les missions de l'ANACT sont toujours effectuées dans le cadre d'une activité de conseils, à la double condition que le chef d'entreprise ait donné son accord et que les représentants du personnel soient associés à la démarche au moment du diagnostic et de la communication des résultats.

Concernant le champ d'intervention de l'ANACT, M. Henri Rouilleault a rappelé que celui-ci concernait tous les salariés du secteur privé ou du secteur public. S'agissant du secteur public, l'ANACT a concentré son action dans les secteurs difficiles, notamment dans le secteur hospitalier, auprès des salariés du ministère de l'équipement, ainsi qu'à l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE), où les relations avec le public peuvent générer des situations de stress.

De manière prospective, M. Henri Rouilleault a considéré que l'amélioration de la situation de l'emploi devrait faire réapparaître des problèmes de gestion de carrière et de promotion des salariés qui avaient été occultés en période de chômage. Il a estimé que le droit du travail serait toujours nécessaire pour assurer un minimum de régulation sociale, tout en estimant que celui-ci devrait évoluer dans le sens de la souplesse et de la négociation.

Il a considéré que la valeur sociale attachée au travail ne devrait pas disparaître, dans la mesure où ce que l'individu avait acquis comme expérience, ou réalisé sur le plan professionnel, conditionnait largement son activité et son rôle pendant les périodes de temps libre.

Enfin, d'une manière générale, il a souligné que les techniques modernes liées aux instruments mobiles de communication ou de travail rendraient de plus en plus difficile la mesure du temps de travail effectif du salarié.

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