B. AUDITION DE MME NICOLE PÉRY, SECRÉTAIRE D'ETAT AUX DROITS DES FEMMES ET À LA FORMATION PROFESSIONNELLE

Réunie le mardi 9 mai 2000, sous la présidence de M. Jean Delaneau, président , la commission a procédé à l'audition de Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle , sur les projets du Gouvernement dans le domaine de la formation professionnelle.

Mme Nicole Péry a tenu à rappeler que ses projets de réforme s'inscrivaient dans une démarche définie en accord avec le Premier ministre : la formation professionnelle étant un élément essentiel du dialogue social depuis 1971, toute réforme exige une concertation approfondie avec les partenaires sociaux. Aussi, les nombreuses rencontres bilatérales qui ont eu lieu depuis avril 1998 expliquent le temps mis par le secrétariat d'Etat à formaliser des propositions concrètes mais également l'évolution de la réflexion du Gouvernement dans ce domaine.

Elle a reconnu que la réforme envisagée comporterait plusieurs volets distincts, qui ne feront pas l'objet d'une loi unique. A cet égard, elle a annoncé que deux volets -la réforme de l'apprentissage et la reconnaissance de l'expérience professionnelle- seraient inclus dans le projet de loi de modernisation sociale qui serait présenté en conseil des ministres le 24 mai, ces deux volets ayant pu être achevés plus rapidement dans la mesure où ils relèvent plus directement de la compétence de l'Etat.

Elle a précisé que les autres volets de la réforme continuaient à faire l'objet de discussions entre le secrétariat d'Etat et les organisations syndicales d'une part, mais aussi entre les partenaires sociaux dans le cadre de la " refondation sociale ", les syndicats ayant en effet retenu la formation professionnelle comme thème de négociation. A cet égard, elle a pris acte de cette volonté de mettre en oeuvre une démarche multilatérale qu'elle a affirmé rechercher depuis plusieurs mois.

Elle a précisé que le Premier ministre avait prévu de comparer, à la fin de l'année 2000, les propositions formulées par le secrétariat d'Etat et celles issues du dialogue social avant de déposer un projet de loi sur le sujet.

Présentant le volet du projet de loi de modernisation sociale concernant la réforme de l'apprentissage, elle a déclaré que son objectif était de conforter l'apprentissage par une plus grande transparence et par une plus grande efficacité et de faire en sorte que les centres de formation des apprentis (CFA) puissent tous voir leurs ressources augmenter.

Constatant que, pour des CFA de formations et de niveaux comparables, la disparité des moyens alloués allait de 1 à 10, elle a jugé nécessaire de corriger ces inégalités. Après avoir rappelé que les négociations avec les différentes parties prenantes avaient duré 18 mois, elle a estimé pouvoir aujourd'hui formuler des propositions retenant une majorité d'avis favorables.

Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat, a alors insisté sur ses deux propositions principales. La première vise à définir un minimum de ressources pour chaque CFA, ce minimum étant à négocier avec les conseils régionaux et devant éviter la faillite de certains CFA tout en leur permettant de connaître leur budget suffisamment tôt pour mieux planifier leurs activités. La seconde tend à définir un niveau maximal de ressources pour chaque CFA, au-dessus duquel les ressources excédentaires seraient reversées aux fonds régionaux de l'apprentissage et de la formation professionnelle continue. A ce propos, elle a souligné qu'une telle mesure était déjà prévue par la législation en vigueur, mais que le décret d'application n'avait pas été publié.

Elle a reconnu que ces mesures avaient fait l'objet de réticences de la part des régions, mais elle a estimé que la compétence régionale en matière d'apprentissage impliquait également une certaine responsabilité financière.

Elle a également souligné que ces mesures relatives à l'apprentissage seraient, à la demande des parties prenantes, inscrites dans la loi -même si elles exigeront quelques décrets d'application- alors qu'il aurait pourtant été possible de choisir la voie réglementaire.

Mme Annick Bocandé, rapporteur pour avis des crédits de la formation professionnelle s'est inquiétée du " risque maximal de dérives " menaçant le secteur de la formation professionnelle souligné par un récent rapport du service central de prévention de la corruption.

Elle s'est également interrogée sur la réforme du financement de l'apprentissage, se demandant si l'institution d'une garantie de ressources pour les CFA, loin d'être une " prime à la qualité ", n'allait pas se traduire par un certain encouragement aux CFA les moins dynamiques.

Elle a enfin demandé sa position au secrétaire d'Etat sur la proposition de substituer une obligation de formation à l'obligation actuelle de financement de la formation que suggère un récent rapport du Conseil d'analyse économique.

Revenant sur le risque de dérives, Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat , a estimé qu'il ne fallait pas incriminer l'ensemble du secteur de la formation, même si certaines dérives existaient. A ce propos, elle a regretté l'image négative de ce secteur, considérant que cette image était liée en grande partie aux accusations de dérives. Elle a donc jugé nécessaire de " redonner du sens " à la formation professionnelle en réaffirmant son rôle dans la cohésion économique et sociale. Elle a cependant jugé qu'il était possible d'améliorer l'efficacité du système de formation professionnelle pour le même coût en limitant certains abus. Elle a rappelé qu'elle avait demandé une vigilance toute particulière aux inspecteurs du travail en matière de formation professionnelle, précisant que 2.403 contrôles sur pièces et sur place avaient été réalisés en 1999 dans ce secteur (visant 1.533 entreprises, 822 organismes de formation, 33 organismes collecteurs paritaires et 15 structures d'accueil, d'information et d'orientation) et s'étaient traduits par des notifications de redressement à hauteur de 120 millions de francs.

S'agissant de la réforme de l'apprentissage, elle a déclaré qu'une majorité des conseils régionaux et des chambres consulaires soutenait son projet de réforme. Elle a insisté sur le travail remarquable fourni par les CFA les moins dotés financièrement relevant le plus souvent de l'artisanat.

S'agissant d'un éventuel arbitrage entre obligation de formation et obligation de financement, elle a rappelé que ce sujet était inclus dans le champ des négociations entre partenaires sociaux. Elle a souligné la variété des situations existantes, observant que l'obligation de formation était déjà une réalité pour la plupart des grandes entreprises, mais que les petites et moyennes entreprises (PME) n'étaient majoritairement pas préparées à l'introduction de cette nouvelle logique. Elle a en outre considéré que le futur " droit individuel à la formation tout au long de la vie " permettrait de mettre en oeuvre une telle obligation de formation, même si ses modalités définitives n'étaient pas encore arrêtées.

Mme Annick Bocandé s'est alors interrogée sur les dispositions relatives à la validation des acquis d'expérience incluses dans le projet de loi de modernisation sociale.

Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat , a expliqué que ce projet de loi contenait en effet l'affirmation d'un nouveau droit à la reconnaissance de l'expérience professionnelle, grâce à la validation des acquis professionnels sous la forme de diplôme.

Rappelant l'ampleur des oppositions qui avaient pu exister entre les tenants de la suprématie du diplôme issu de la formation initiale et les partisans de la seule reconnaissance des compétences professionnelles par l'entreprise, elle a souligné le rapprochement progressif des différents points de vue. Elle a également rappelé que la loi du 20 juillet 1992 avait permis une première reconnaissance des acquis professionnels.

Elle a toutefois reconnu que cette loi restait imparfaite, seules 5.000 validations ayant été réalisées en 1999. Elle a alors souligné les principales lacunes de cette loi : la validation ne concerne que les diplômes de l'éducation nationale (et non les diplômes des autres ministères, les titres délivrés par les chambres consulaires ou les certifications professionnelles), elle n'est possible qu'après 5 ans d'expérience, elle ne vise que l'expérience strictement professionnelle (et ne reconnaît donc pas les expériences syndicales aux bénévoles).

Rappelant que 40 % de la population active avait un niveau de formation inférieur ou égal au CAP (contre 20 % en moyenne dans l'Union européenne), elle a alors considéré qu'une meilleure validation des savoirs et des savoir-faire serait à la fois favorable aux salariés et aux entreprises.

Elle a cependant estimé que ce projet, qui modifie sensiblement les traditions de la formation professionnelle, ne réussirait que si les acteurs du secteur modifiaient leurs habitudes pour travailler en plus grande concertation. Elle a insisté sur la nécessité de conclure des partenariats, précisant que des expérimentations en ce sens étaient en cours.

M. Jean Delaneau, président , s'est alors interrogé sur l'identité des responsables et sur les modalités de cette future validation.

Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat , a précisé que les expériences professionnelles seraient validées par un jury constitué d'enseignants et de professionnels.

Elle a en outre rappelé qu'il existait actuellement quelque 3.000 diplômes, titres homologués ou certifications professionnelles sans qu'il existe pourtant de répertoire national des certifications professionnelles. Elle a indiqué que le projet de loi de modernisation sociale allait créer un tel répertoire et qu'il serait géré par une commission nationale placée directement auprès du Premier ministre. Précisant que la composition de cette commission serait fixée par décret, elle s'est engagée à porter ces décrets à la connaissance des parlementaires avant la seconde lecture du projet de loi.

M. Roland Muzeau s'est préoccupé de l'harmonisation entre le futur dispositif de validation des acquis professionnels et les conventions collectives prévoyant déjà une reconnaissance de l'expérience professionnelle.

Exprimant la crainte que le projet de réforme de financement des CFA ne favorise les centres les moins dynamiques en leur garantissant un minimum de ressources, M. André Jourdain a également observé que de très nombreuses PME menaient une politique très active de formation dépassant de très loin les simples obligations légales et a souligné les risques, notamment dans les régions frontalières, que les salariés ainsi formés n'aillent travailler à l'étranger. Soulignant que le diplôme ne pourrait en aucun cas être le seul critère de la compétence professionnelle, il a exprimé ses préoccupations sur la procédure législative de validation imaginée par le Gouvernement.

M. Guy Fischer a regretté le manque de lisibilité du projet de réforme de la formation professionnelle, s'interrogeant sur les motivations ayant conduit le Gouvernement à choisir des supports multiples au lieu d'un projet de loi unique.

Mme Marie-Madeleine Dieulangard s'est interrogée sur les possibilités d'améliorer l'accès à la formation des salariés sous contrat précaire. Elle a également observé que les rapports de situation comparée instituée par la loi de 1983 sur l'égalité professionnelle étaient le plus souvent inexploitables et s'est interrogée sur le moyen d'améliorer leur contenu.

M. Jean Delaneau, président , s'est interrogé sur le statut des anciens inspecteurs académiques de l'apprentissage.

Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat , a indiqué que les conventions collectives pourraient prendre en compte le nouveau droit à la validation des acquis professionnels. Observant qu'il subsistait toujours un écart de formation entre les grandes et les petites entreprises, elle a considéré que les chefs d'entreprise restaient très attentifs aux diplômes, ce qui justifiait alors la validation des acquis.

Reconnaissant qu'il existait bien une alternative entre une réforme séparée en plusieurs volets et une réforme législative unique qui aurait pu être présentée au Parlement au début 2001, elle a justifié le choix du Gouvernement au nom d'une exigence de rapidité.

S'agissant de la formation des salariés précaires, elle a précisé que ce point serait abordé à l'occasion de la préparation du projet de formation tout au long de la vie.

S'agissant des inspecteurs académiques de l'apprentissage, elle a déclaré qu'ils avaient été fondus dans le corps des inspecteurs d'académie. Elle a toutefois souligné qu'une réforme était à l'étude, visant à mieux associer les inspecteurs d'académie de l'éducation nationale et les inspecteurs du travail dans le domaine de l'apprentissage et qu'une expérimentation était actuellement en cours dans certains régimes.

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