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Avis n° 97 (2000-2001) de M. Patrice GÉLARD , fait au nom de la commission des lois, déposé le 23 novembre 2000

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N° 97

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001

Annexe au procès-verbal de la séance du 23 novembre 2000

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi de finances pour 2001 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,

TOME VI

JUSTICE :

PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE

Par M. Patrice GÉLARD,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jacques Larché, président ;


René-Georges Laurin, Mme Dinah Derycke, MM. Pierre Fauchon, Charles Jolibois, Georges Othily, Robert Bret, vice-présidents ; Patrice Gélard, Jean-Pierre Schosteck, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, secrétaires ; Nicolas About, Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, José Balarello, Jean-Pierre Bel, Christian Bonnet, Mme Nicole Borvo, MM. Guy-Pierre Cabanel, Charles Ceccaldi-Raynaud, Marcel Charmant, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Gérard Deriot, Gaston Flosse, Yves Fréville, René Garrec, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Jean-François Humbert, Pierre Jarlier, Lucien Lanier, Edmond Lauret, François Marc, Bernard Murat, Jacques Peyrat, Jean-Claude Peyronnet, Henri de Richemont, Simon Sutour, Alex Türk, Maurice Ulrich.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 11 ème législ.) : 2585 , 2624 à 2629 et T.A. 570

Sénat : 91 et 92 (annexe n° 32 ) (2000-2001)

Lois de finances .

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Après avoir entendu Mme Marylise Lebranchu, ministre de la Justice, garde des Sceaux, la commission des Lois, réunie le mardi 5 décembre 2000 sous la présidence de M. Pierre Fauchon, vice-président, a procédé, sur le rapport pour avis de M. Patrice Gélard, à l'examen des crédits relatifs à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) inscrits dans le projet de loi de finances pour 2001.

Malgré la hausse de ces crédits de 7,3 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2000, la commission a jugé ces crédits insuffisants par rapport aux besoins constatés. Le rapporteur a fait part des observations suivantes :

1. Le bénéfice des 910 emplois créés sur 1999-2001 ne se fait pas encore sentir. En particulier, le taux d'encadrement se maintient entre 31 et 33 jeunes pour un éducateur entre 1995 et 1999.

2. Alors que la gestion 1998 avait été épargnée par les gels de crédits , ceux-ci ont de nouveau entravé les exécutions budgétaires en 1999 et 2000.

3. En matière d'investissement, les crédits de paiement sont à nouveau en baisse : 53 % de moins qu'en loi de finances initiale pour 2000. En conséquence, le bilan de la politique d'équipement de la protection judiciaire de la jeunesse montre un décalage entre les réalisations effectives et l'ambition affichée (60 places effectivement créées de 1998 à 2000 et 270 places restant à réaliser pour les opérations lancées entre 1997 et 2000).

4. La police nationale est confrontée à une augmentation de 5,7 % de la délinquance des mineurs de 1998 à 1999. Or, la justice des mineurs a déjà du mal à assurer l'effectivité immédiate des mesures qu'elle prononce (7.500 mesures en attente de prise en charge au 1 er janvier 2000) et les réformes récentes vont accentuer sa charge de travail, en particulier l'enregistrement audiovisuel des interrogatoires des mineurs placés en garde à vue, à compter du 16 juin 2001.

5. Le développement des centres de placement immédiat et des centres éducatifs renforcés, destinés à la prise en charge intensive les mineurs délinquants, ainsi que les nombreuses réformes en cours , visant à répondre aux difficultés psychiques des jeunes sous mandat judiciaire, améliorer le dispositif de protection (administrative et judiciaire) de l'enfance, renforcer les garanties de la procédure d'assistance éducative... vont nécessiter des moyens supplémentaires.

Ainsi, bien qu'en augmentation, les moyens budgétaires de la protection judiciaire de la jeunesse ne permettent pas sur le terrain de lutter contre la délinquance des mineurs, de répondre à la détresse des enfants placés sous protection judiciaire et de favoriser la réinsertion de ces jeunes en difficulté.

La commission des Lois a donc donné un avis défavorable à l'adoption des crédits de la protection judiciaire de la jeunesse pour 2001.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est comme chaque année appelé à examiner les crédits des services de la protection judiciaire de la jeunesse, qu'il avait adoptés à l'unanimité l'année dernière.

A structure constante, le projet de loi de finances pour 2001 fixe à 28,1 milliards de francs le budget du ministère de la Justice, ce qui représente une hausse de 3,1 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2000. Cette hausse est très supérieure à celle de 1,6 % des budgets civils de l'État.

Il convient de souligner que le budget de la Justice change de structure cette année 1 ( * ) . Les comparaisons avec les budgets des années précédentes ne peuvent donc s'exercer qu'à structure constante. Votre rapporteur privilégiera les données chiffrées hors transferts.

La nouvelle présentation du budget de la Justice fait quant à elle apparaître un volume de 29 milliards de francs après transferts, soit une progression nominale de 6,4 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2000.

La priorité donnée par le Gouvernement à la protection judiciaire de la jeunesse se traduit par un budget de 3,4 milliards de francs , soit 12,1 % du budget de la Justice (à périmètre constant, hors transfert des charges communes).

Ces crédits sont en hausse de 7,3 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2000. Il s'agit donc d'un effort budgétaire important , à comparer aux hausses de crédits de 14,7 % en 2000 et 6,4 % en 1999.

Après transfert des charges communes, le budget de la protection judiciaire de la jeunesse pour 2001 s'élève à 3,5 milliards de francs et affiche une hausse nominale de 10,3 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2000.

L'année dernière, le Gouvernement annonçait un changement d'échelle dans les moyens mis en oeuvre pour répondre à la délinquance des mineurs. Cette année, ce changement d'échelle est confirmé tant par la progression des crédits que par la poursuite des créations d'emplois.

Pourtant, force est de constater que la protection judiciaire de la jeunesse est confrontée à des difficultés majeures dont la réponse ne peut être trouvée sous le seul aspect budgétaire.

Votre rapporteur mettra en évidence que l'effort financier proposé pour la protection judiciaire de la jeunesse ne lui permet pas de remplir ses missions de façon pleinement satisfaisante, ni d'aborder dans des conditions sereines les chantiers urgents que sont la lutte contre la délinquance des mineurs et l'amélioration de la protection judiciaire des enfants et adolescents.

I. UN RÉEL EFFORT FINANCIER EN FAVEUR DE LA PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE

A. LA HAUSSE DES CRÉDITS EST CONFIRMÉE

Le budget des services de la protection judiciaire de la jeunesse était de 2,6 milliards de francs en loi de finances initiale pour 1998, de 2,77 milliards de francs en 1999, de 3,18 milliards en 2000 et de 3,41 milliards en 2001, soit une augmentation de 31 % sur quatre exercices budgétaires (à structure constante).

46 % des crédits de la protection judiciaire de la jeunesse rémunèrent les prestations du secteur associatif habilité et 54 % sont destinés au secteur public.

La progression du budget (hors transfert) résulte d'une augmentation de 105 millions de francs des mesures acquises et de 193 millions de francs des mesures nouvelles par rapport à la loi de finances initiale pour 2000.

Les mesures nouvelles concernant le secteur public de la protection judiciaire de la jeunesse sont allouées aux crédits pour le personnel (93 millions de francs), pour le fonctionnement des services (31 MF), pour les subventions (5 MF) et pour l'investissement : 100 MF en autorisations de programme et 36 MF en crédits de paiement.

1. Une priorité doit être donnée au personnel de la protection judiciaire de la jeunesse

Les crédits pour le personnel seront prioritairement utilisés pour la création de 380 emplois en 2001 (soit le même chiffre qu'en 2000) dont 210 emplois d'éducateurs (258 en 2000). Ces crédits serviront aussi pour la coordination de l'action éducative et le contrôle du secteur habilité. Comme l'année dernière, votre rapporteur se félicite de ces créations d'emplois, qui devraient améliorer le taux d'encadrement des jeunes suivis par la protection judiciaire de la jeunesse, lequel s'établit de 1995 à 1999 entre 31 et 33 jeunes pour un éducateur.

Les mesures en faveur du personnel permettront la revalorisation du régime indemnitaire, les repyramidages et les transformations d'emplois.

500 agents de justice devraient être recrutés pour la protection judiciaire de la jeunesse sur la période 1999-2001, dans le cadre du dispositif " emplois-jeunes ", sur les 2.000 agents que le ministère de la Justice compte recruter. Ils occupent quatre types de postes : assistant animateur sportif et culturel, assistant animateur scolaire, assistant d'insertion sociale et professionnelle, assistant d'éducation à la citoyenneté. Au 1 er septembre 2000, 215 contrats avaient été signés.

2. Le retour des gels de crédits doit être dénoncé

En octobre 1999, 10 millions de francs de crédits de paiement , sur les 97 millions de francs de crédits ouverts en loi de finances initiale, ont fait l'objet d'un gel de crédits.

En juillet 2000, les gels de crédits ont porté sur 8,5 % des crédits ouverts au chapitre des subventions aux associations habilitées.

Les reports de crédits de 1999 sur 2000 ont porté sur 12,7 MF  de crédits de fonctionnement (chapitres entretien et rééducation des mineurs, moyens de fonctionnement des services du secteur public).

3. La baisse des crédits de paiement en investissement est particulièrement inopportune

Les crédits d'investissement pour 2001 représentent un montant d'autorisations de programme de 100 millions de francs (contre 100 MF en 2000 et 84 MF en 1999).

Si la stabilisation des autorisations de programme doit être soulignée, en revanche les crédits de paiement de 36 MF, qui se répartissent en 11 MF pour les services votés et 25 MF pour les mesures nouvelles, sont en diminution de 53 %, alors même que votre rapporteur s'était déjà inquiété l'année dernière de la diminution de 20 MF des crédits de paiement par rapport à la loi de finances initiale pour 1999.

Une telle réduction des crédits de paiement semble de nature à entraver la création et la rénovation nécessaires des équipements de la protection judiciaire de la jeunesse.

B. LA POLITIQUE D'ÉQUIPEMENT

Le bilan de la politique d'équipement de la protection judiciaire de la jeunesse, qui s'est inscrite dans la loi de programme n° 95-9 du 6 janvier 1995 relative de la justice, est à ce jour relativement modeste : de 1995 à 1997, l'augmentation des capacités d'hébergement s'est traduite par la livraison de 31 places d'hébergement collectif ; ce chiffre est de 60 livraisons pour la période 1998-2000.

Toutefois, il convient d'ajouter les opérations lancées entre 1997 et 2000 et dont la livraison s'étalera entre 2001 et 2003 : 48 places pour les opérations lancées en 1997, 40 places pour celles lancées en 1998, 34 places pour 1999 et 188 pour 2000.

Sur les opérations programmées en 2000, trois sont en attente de lancement en raison de difficultés dans la recherche de sites appropriées : Saint-Denis-La Réunion, Isle-d'Abeau, Le Havre.

Au 1 er janvier 2000, la protection judiciaire de la jeunesse compte 234 centres d'action éducative (métropole + DOM-TOM) dont 6 assurent la fonction de centre de placement immédiat et 5 celle de centre éducatif renforcé.

Le programme d'équipement de la protection judiciaire de la jeunesse pour 2001 prévoit l'achèvement des nouveaux hébergements programmés de 1997 à 2000, l'acquisition de trois centres de placement immédiat et la création de cinq autres dont la localisation n'est pas encore arrêtée, l'acquisition d'un centre éducatif renforcé, la création et l'adaptation de deux centres d'activité de jour, la poursuite de la restructuration d'hébergements existants et de la rénovation du patrimoine.

II. LES MOYENS CONSACRÉS À LA PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE NE LUI PERMETTENT DE RÉPONDRE QU'IMPARFAITEMENT AUX DÉFIS QUI S'IMPOSENT À ELLE

A. LE DÉFI DU TRAITEMENT DE LA DÉLINQUANCE JUVÉNILE

1. L'augmentation de la délinquance des mineurs

Depuis plusieurs années, la délinquance des mineurs ne cesse de croître fortement. Cette année, comme le souligne notre collègue M. Jean-Patrick Courtois 2 ( * ) , elle se stabilise à un niveau alarmant (en cumulant zones de police et zones de gendarmerie) et se caractérise par un recours quasi systématique à la violence.

La police nationale a mis en cause 126.000 mineurs 3 ( * ) en 1999 soit une augmentation de 5,7 % par rapport à 1998. La part des mineurs dans le total des mis en cause s'élève à 22,5 % , cette proportion étant très variable selon les infractions. A titre d'exemple, les mineurs commettent 52 % des vols avec violences, 52 % des incendies volontaires et 50 % des dégradations de biens publics. En revanche, la gendarmerie nationale a mis en cause 43.900 mineurs en 1999, soit 16 % de moins qu'en 1998. La part des mineurs dans le total des personnes mises en cause par la gendarmerie nationale est de 18,6 %. Ces chiffres laissent à penser que la délinquance des mineurs augmente fortement là où elle est la plus grave, c'est-à-dire dans les zones urbaines, pour lesquelles la police nationale est compétente.

Face à cette hausse de la délinquance des mineurs, la justice des mineurs est fortement sollicitée.

2. L'activité des parquets

L'activité pénale des parquets est en nette augmentation puisque ceux-ci ont traité 141.200 procès-verbaux et plaintes en 1999 soit 9 % de plus qu'en 1998.

La circulaire du 15 juillet 1998 invite les parquets à développer les mesures alternatives aux poursuites pénales : simple avertissement délivré par un service de police ou de gendarmerie et notifié au mineur, rappel à la loi effectué par le substitut spécialement chargé des affaires de mineurs ou par le délégué du procureur de la République, classement sous condition ou mesure de réparation. Ainsi, les réparations sont passées de 3.740 en 1994 à 10.750 en 1999 soit une augmentation de 43 % par rapport à 1998.

Parmi les 141.200 procès verbaux et plaintes, les parquets ont classé sans suite 69.100 dossiers soit 49 % 4 ( * ) ; ils ont adressé 52.800 requêtes aux juges des enfants soit 37 % des affaires traitées ; enfin 13.500 médiations et réparations ont été menées et 5.700 informations ont été ouvertes. L'activité des parquets montre le développement du traitement en temps réel et des procédures alternatives aux poursuites pénales. Mais le principe de spécialisation des parquets mineurs n'est pas encore unanimement respecté.

Cette augmentation de l'activité des parquets trouvera en partie sa source dans le développement des délégués du procureur de la République , chargés de mettre en oeuvre, à la demande et sous le contrôle des parquets, des mesures décidées par ces derniers, principalement des rappels à la loi et des classements sous condition lorsque les faits sont peu graves et que le mineur est primo-délinquant. Ils étaient 117 fin 1998 et 435 fin 1999, dont un tiers s'occupe exclusivement des mineurs . Une formation systématique des délégués du procureur doit se mettre en place fin 2000.

3. Le travail des juges a porté notamment sur 39 000 mineurs délinquants condamnés et 121 000 mineurs en danger

Les juges d'instruction ont quant à eux connu une baisse de leur activité en direction des mineurs. Ils ont transmis 4.500 dossiers aux juges ou aux tribunaux pour enfants, ont placé 2.300 mineurs sous contrôle judiciaire, 1.500 mineurs en détention provisoire et ont transmis 120 dossiers à la chambre d'accusation.

L'activité pénale des juges des enfants et des tribunaux pour enfants se traduit par 22.800 mesures pré-sentencielles, 55.400 jugements et 78.800 mesures et sanctions définitives en 1999. Sur les 38.600 mineurs ayant fait l'objet de condamnations pénales , 36.800 l'ont été pour des délits, 1.200 pour des contraventions de cinquième classe et 600 pour crime.

L'activité civile des juges des enfants a porté en 1999 sur 121.200 mineurs en danger soit 3,6 % de moins qu'en 1998. Les juges des enfants ont prononcé 58.900 mesures d'investigation, 116.900 mesures d'action éducative en milieu ouvert (AEMO) et 98.000 mesures de placement (total des mesures nouvelles ou renouvelées).

Les mesures d'investigation confiées à la protection judiciaire de la jeunesse ont été plus nombreuses en 1998 qu'en 1997 (+ 6,6 %) et se répartissent en 42.400 recueils de renseignements socio-éducatifs demandés par le parquet ou réalisés à la demande du juge des enfants (obligatoires si ce dernier envisage l'incarcération du mineur) ; 17.000 enquêtes sociales, réalisées par des assistant(es) sociaux(ales) ; 24.600 mesures d'investigation pluridisciplinaire, prononcées par ordonnance du juge des enfants avant jugement.

Les crédits du ministère de la justice pour 2001 devront tenir compte de l'entrée en vigueur au 16 juin 2001 de l'enregistrement audiovisuel des interrogatoires des mineurs placés en garde à vue 5 ( * ) .

B. DES RÉPONSES IMPARFAITES À LA DÉLINQUANCE DES JEUNES PLACÉS SOUS PROTECTION JUDICIAIRE

Tous secteurs confondus, 150.000 jeunes sont pris en charge en permanence dans le cadre de la protection judiciaire de la jeunesse. Le secteur habilité assure près des trois quarts des prises en charge et près de 95 % des mesures de placement. Compte tenu des mouvements intervenus en cours d'année (entrées en sorties), près de 255.000 jeunes ont été suivis en 1998 par ces services.

La plupart sont en milieu ouvert (78 % des prises en charge dans le secteur habilité et plus de 92 % dans le secteur public). Le secteur public intervient en priorité pour les mineurs délinquants et pour les " grands adolescents " (mineurs âgés de 13 à 18 ans). Le secteur habilité réalise l'essentiel de son activité en assistance éducative. En effet, le secteur public est le seul habilité à exercer les mesures pénales et les peines ordonnées à l'égard des mineurs, à l'exception du placement et des mesures de réparation.

1. Une détresse physique et psychologique

L'année dernière, votre rapporteur s'était inquiété des handicaps sociaux très importants et du mauvais état de santé des mineurs pris en charge par les services de la protection judiciaire de la jeunesse. La violence fait partie de la vie quotidienne des jeunes sous protection judiciaire : autant les conduites violentes (racket, vol, bagarres...) que les violences subies, physiques ou sexuelles. La tentative de suicide, violence sur soi, et la fugue, comportement d'éviction, sont très fréquents.

En particulier, une étude réalisée en 1998 par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) montrait que la tentative de suicide concernait 12% des garçons et 49 % des filles placés sous protection judiciaire, la fugue un quart des garçons et deux cinquièmes des filles, les agressions physiques 41% des garçons et 55 % des filles.

Votre commission des Lois en concluait que la protection physique et psychologique de ces jeunes n'était pas assurée , un quart des garçons et un sixième des filles ayant eu au moins trois accidents au cours de l'année écoulée. Votre rapporteur ne peut que renouveler son inquiétude face aux conditions dans lesquelles sont pris en charge les mineurs placés sous protection judiciaire.

2. Un système de protection de l'enfance perfectible

A cet égard, le rapport 6 ( * ) des Inspections générales des affaires sociales et des services judiciaires, consacré aux accueils provisoires et placements d'enfants et d'adolescents, remis en juin 2000, souligne les insuffisances du système français de protection de l'enfance et de la famille.

Le rapport attire l'attention sur la perméabilité entre les différents dispositifs , protection administrative, protection judiciaire et dispositifs alternatifs : la " triple habilitation " de certains établissements (comme institut de rééducation 7 ( * ) par la direction départementale des affaires sanitaires et sociales, au titre de l'aide sociale à l'enfance par le Conseil général et par la protection judiciaire de la jeunesse) autorise ce que résume ce propos tenu par le directeur d'un tel établissement : " le même jeune peut faire dix ans dans mon établissement avec trois bonnes raisons successives pour y être placé ; comme on manque de places, cela arrange tout le monde ".

S'agissant plus particulièrement de la justice, ce rapport constate l'existence de pratiques très différentes d'un juge des enfants à l'autre , voire, au sein d'un même département, d'un tribunal pour enfants à l'autre. Il note que les rapports au sein des services de la justice, entre la direction départementale de la protection judiciaire de la jeunesse, l'administration pénitentiaire, le parquet, le tribunal pour enfants, les juges aux affaires familiales et les juges des tutelles sont de qualité très inégale et que rares sont les réunions régulières entre eux.

Les juridictions des mineurs utilisent encore peu les outils leur permettant d'évaluer les conséquences de leurs décisions et les parquets sont le plus souvent dans l'impossibilité d'indiquer le nombre d'ordonnances de placement provisoire qu'ils ont prises ou le nombre de dossiers qu'ils ont ouverts sur tel ou tel secteur.

S'agissant des prises en charge, les auteurs du rapport déplorent que le choix de la mesure éducative soit trop souvent guidé par la seule alternative entre action éducative en milieu ouvert (AEMO) et placement ; rares sont en effet les doubles mesures, placement et AEMO, ordonnées par les juges des enfants. Ainsi, l'AEMO est le plus souvent citée comme seule mesure de prévention au placement. Or, sachant qu' un éducateur prend en charge en moyenne 35 mesures 8 ( * ) , et qu'il doit partager son temps entre le travail dans les familles, les déplacements et les travaux administratifs, on ne peut que s'interroger sur la possibilité de faire évoluer une situation familiale en intervenant aussi peu de temps auprès des parents et des enfants.

C. LE SUIVI DES MINEURS INCARCÉRÉS

Selon l'article D. 515 du code de procédure pénale, " les détenus âgés de moins de vingt-et-un ans sont soumis à un régime particulier et individualisé qui fait une large place à l'éducation et à la formation professionnelle ".

Les services de la protection judiciaire de la jeunesse interviennent auprès des mineurs détenus, en particulier au sein des 41 commissions de suivi de l'incarcération des mineurs constituées sur un total de 49 établissements habilités mineurs en métropole.

L'insuffisance des mesures d'aménagement des peines pour les mineurs se traduit par le fait que seuls 65 mineurs ont bénéficié d'une libération conditionnelle en 1998, soit 6 % du total des mineurs sortant de prison.

La mise en détention provisoire des mineurs a augmenté de 76 % en cinq ans (entre 1993 et 1998), pour atteindre 3.900 en 1999 (en termes de flux, métropole et DOM-TOM). 90 % des mineurs en détention provisoire sont âgés de plus de 16 ans. 72 % des mises en détention provisoire sont prononcées par le juge d'instruction et 20 % par le juge des enfants.

Si les détentions provisoires se multiplient, il faut toutefois noter que leur durée moyenne (nombre moyen de prévenus sur l'année rapporté au nombre d'incarcérations provisoires) a tendance à diminuer : de deux mois et demi en 1993, elle est passée à un mois et trois semaines en 1999. La proportion de détention provisoire (91 % des mineurs incarcérés en 1999 9 ( * ) ) est stable sur les dernières années et sensiblement plus élevée que la proportion observée pour l'ensemble de la population des détenus.

En 1999, les motifs des incarcérations (détention provisoire et condamnation) sont en premier lieu les délits sur les biens et les personnes.

D. UN BUDGET QUI NE PERMETTRA PAS D'ABORDER DE FAÇON SATISFAISANTE LES CHANTIERS URGENTS DE 2001

1. Renforcer la politique partenariale de la protection judiciaire de la jeunesse

La protection judiciaire de la jeunesse développe une politique partenariale :

- avec le ministère de l'Education nationale, au moyen des 180 classes-relais existant en 1999-2000, et du lancement d'une recherche sur les processus de déscolarisation.

Les classes relais accueillent en moyenne six à huit jeunes simultanément, pour une durée moyenne de fréquentation de quatre ou cinq mois. Près de 4.000 jeunes ont été pris en charge en 1999-2000 ; plus de la moitié d'entre eux faisaient l'objet d'une mesure de protection judiciaire ou administrative. L'évolution des élèves sur le plan du comportement et de l'absentéisme est satisfaisante mais les acquis restent fragiles ; un suivi est nécessaire lors du retour au collège. Des internats relais sont à l'étude pour accueillir les élèves présentant des problèmes de comportement : refus d'autorité, incivilités, manifestations violentes ou dépressives, caïdat, conduites addictives (tabac, alcool, haschich) ;

- avec le ministère de l'emploi et de la solidarité, la circulaire du 9 mars 1999 encourageant à mettre en oeuvre un réseau d'écoute, d'appui et d'accompagnement des parents ; une réflexion est engagée sur les difficultés psychiques des mineurs sous mandat judiciaire ; le groupe interministériel sur l'enfance maltraitée tend à améliorer la coordination entre les services de l'Etat et ceux des conseils généraux ;

- avec le ministère de l'intérieur : de mai 1999 à juin 2000 a été mené un travail expérimental dans cinq sites (Saint-Etienne, Pontoise, Creil, Marseille et Mulhouse) tendant à remédier au cloisonnement constaté dans l'action des acteurs de terrain ;

- avec les conseils généraux : le 30 mars 1999, le ministère de la Justice et l'Assemblée des départements de France ont mené dans seize départements un travail commun d' évaluation du dispositif de protection de l'enfance , dont la synthèse devrait être connue début 2001 ;

- avec les régions, dans le cadre des contrats de plan Etat-régions 2000-2006. La protection judiciaire de la jeunesse est en effet présente dans 25 de ces contrats de plan ; il s'agit de développer l'implantation de structures d'accueil de jour de mineurs en difficulté ou délinquants ainsi que les activités de formation et d'insertion professionnelle ;

- au 6 décembre 1999, 307 contrats locaux de sécurité étaient signés ;

- par ailleurs, la protection judiciaire de la jeunesse est présente dans les 36 cellules justice-ville, les 53 maisons de justice et du droit et les 64 antennes de justice.

2. Lutter efficacement contre la délinquance des mineurs

a) Centres de placement immédiat et centres éducatifs renforcés

La prise en charge des mineurs réitérants s'effectue en priorité par le développement des centres de placement immédiat (CPI), d'une capacité de douze places, encadrant 24 heures sur 24 les jeunes de 13 à 18 ans, ainsi que des centres éducatifs renforcés (CER), petites unités destinées à des mineurs délinquants, multirécidivistes, ou des mineurs en grande marginalisation à la personnalité très perturbée ; six mineurs, encadrés par autant de professionnels, y effectuent un séjour de rupture de quelques mois.

Le Gouvernement a annoncé en janvier 1999 la création de 50 centres de placement immédiat strictement contrôlés d'ici à 2001. 14 centres ont été ouverts en 1999 et 19 en 2000. Une circulaire a été adressée aux magistrats le 13 janvier 2000 à ce sujet. De plus, 100 centres éducatifs renforcés devraient être créés d'ici 2001. Au 30 juin 2000, 26 centres étaient ouverts et une cinquantaine devaient être achevés avant fin 2000.

La visite effectuée en novembre 2000 par Mme Elisabeth Guigou, alors ministre de la Justice, dans le centre de placement immédiat de Savigny sur Orge (Essone), montre les conditions de travail extrêmes des personnels dans ces centres. Sur les huit jeunes placés par décision de justice, plus de la moitié était absente le jour de la visite de la ministre : trois avaient fugué, un avait rejoint l'hôpital psychiatrique, le cinquième comparaissait en justice. La grande difficulté pour orienter ces adolescents après leur passage en centre de placement immédiat complique la tâche des éducateurs et compromet les chances de réinsertion des jeunes.

Le développement des centres est une priorité qui doit être approuvée. Votre commission des lois estime que le budget de la protection judiciaire de la jeunesse doit augmenter en conséquence, sachant qu' un centre de placement immédiat coûte annuellement 800.000 francs (hors crédits de personnel et frais de première installation) et que l'ouverture d'un centre éducatif renforcé nécessite 150.000 francs pour les frais de première installation et 400.000 francs par an pour le fonctionnement (hors crédits de personnel). Selon les informations recueillies par votre rapporteur, un centre éducatif renforcé nécessite 8,5 à 10 équivalents temps plein pour six mineurs et coûte de 1.800 à 1.900 francs par mineur et par jour , en incluant les frais de personnel, dans le secteur associatif habilité.

Le cahier des charges de ces centres, notamment la présence constante des personnels et la nécessaire récupération entre deux sessions, due aux conditions de travail particulièrement difficiles, laisse à penser que ces sommes ne sont pas réductibles et que le coût en personnel de ces centres doit être pris en compte dans les prévisions budgétaires, ce qui justifie qu'un effort financier plus important soit consenti en faveur de la protection judiciaire de la jeunesse.

b) La priorité donnée à la prise en charge éducative

La réponse systématique à tous les actes de primo-délinquance passe avant tout par la prise en charge immédiate des décisions des magistrats.

Or, le nombre de mesures de milieu ouvert ordonnées par les juges des enfants, mais en attente d'être prises en charge ne fait que s'accroître : elle est évaluée à 7.500 au 1 er janvier 2000 . Votre rapporteur avait déjà attiré l'attention sur ce sujet l'année dernière et l'année précédente.

L'action éducative à l'égard des jeunes pris en charge doit être soutenue, dans un contexte où un nombre croissant de jeunes sous protection judiciaire ne sont pas en mesure de bénéficier des dispositifs de droit commun d'éducation, de formation, de loisirs, d'accès à la culture.

La coordination de l'action éducative et le contrôle du secteur habilité relèvent principalement des directions régionales et départementales de la protection judiciaire de la jeunesse ; la création d'emplois administratifs devrait permettre de renforcer leurs missions de contrôle.

3. Protéger et éduquer les mineurs pris en charge

La politique éducative de la protection judiciaire de la jeunesse fait l'objet de nombreuses réflexions en cours, en particulier sur la santé des jeunes, leur insertion sociale et professionnelle, les missions et l'organisation des services éducatifs auprès des tribunaux (SEAT), le placement judiciaire, ou encore l'organisation infra-départementale des services de la protection judiciaire de la jeunesse.

Concernant les mineurs en danger , trois groupes de travail ont été initiés par la protection judiciaire de la jeunesse : le premier sur la communication des dossiers et le respect du contradictoire dans la procédure d'assistance éducative , le deuxième sur les dispositifs de protection de l'enfance et de l'adolescence au plan départemental (en collaboration avec l'Assemblée des départements de France, voir supra ), le dernier sur le travail éducatif sous mandat judiciaire en direction des familles.

Dans le prolongement des conclusions du rapport conjoint des inspections des services judiciaires et des affaires sociales de juin 2000, la protection judiciaire de la jeunesse s'apprête à travailler sur le secret professionnel, l'amélioration des circuits de signalement et la diversification des modalités de prise en charge des mineurs .

Parmi les 65 propositions de ce rapport IGAS-IGSJ sur les accueils provisoires et placements d'enfants et d'adolescents, celles qui tendent à mieux faire fonctionner la complémentarité entre protection administrative et protection judiciaire des mineurs ont retenu l'attention de votre rapporteur.

Face aux risques de judiciarisation 10 ( * ) des mesures de milieu ouvert, il paraît nécessaire de permettre un rééquilibrage vers une intervention plus fréquente de la protection administrative, l'enjeu étant de redonner du sens à l'intervention judiciaire .

4. La géographie prioritaire

La géographie prioritaire a été définie lors du Conseil de sécurité intérieure du 8 juin 1998. A partir de 1999, l'allocation des moyens nouveaux s'effectue en direction des missions prioritaires (fonction d'orientation auprès des tribunaux, application des décisions pénales, prise en charge des pré-adolescents et adolescents difficiles) et en direction des 26 départements prioritaires 11 ( * ) , où la délinquance est la plus sensible. En particulier, 56 % des 456 postes d'éducateurs créés sur l'année 2000 ont été affectés dans les départements prioritaires.

5. La position de votre commission des Lois : des efforts louables mais insuffisants

Les orientations retenues pour la prise en charge éducative renforcée mais aussi en matière de réponses pénales sont dans l'ensemble pertinentes. Cependant, votre commission des Lois estime que les moyens budgétaires alloués à la protection judiciaire de la jeunesse, bien qu'en augmentation, ne permettent pas sur le terrain de changer significativement les conditions de lutte contre la délinquance des mineurs et de réussir la réinsertion des jeunes placés sous protection judiciaire .

*

* *

Considérant que la progression des crédits est insuffisante face à l'ampleur des besoins, à la nécessaire lutte contre la délinquance des mineurs et à la détresse des enfants et adolescents placés sous protection judiciaire, votre commission des Lois a émis un avis défavorable à l'adoption des crédits du ministère de la Justice consacrés à la protection judiciaire de la jeunesse.

* 1 Au titre du budget 2001, il est procédé au transfert sur les budgets des ministères des cotisations patronales d'assurance maladie des fonctionnaires civils titulaires de l'État, précédemment inscrites sur le budget des charges communes. Ces transferts représentent 886 millions de francs dans le budget de la Justice.

* 2 Avius n° 97 (Sénat, 2000-2001) de M. Jean-Patrick Courtois au nom de la commission des Lois sur les crédits du ministère de l'Intérieur consacrés à la police et à la sécurité, inscrits dans le projet de loi de finances pour 2001.

* 3 Source : " Crimes et délits constatés en France en 1999 par les services de police et de gendarmerie ", document conjoint des ministères de l'Intérieur et de la Défense, février 2000.

* 4 A titre de comparaison, les classements sans suite concernent 8,3 % des procès verbaux reçus par les parquets mais 32,5 % des affaires poursuivables mettant en cause des adultes. Les motifs des classements sans suite sont les recherches infructueuses, le désistement ou la carence du plaignant, l'état mental déficient, la responsabilité de la victime, la victime désintéressée d'office, la régularisation d'office, le préjudice ou le trouble peu important.

* 5 Article 14 de la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes.

* 6 " Accueils provisoires et placements d'enfants et d'adolescents : des décisions qui mettent à l'épreuve le système français de protection de l'enfance et de la famille ", rapport présenté par M. Pierre Naves, inspecteur général des affaires sociales et M. Bruno Cathala, inspecteur des services judiciaires, en collaboration avec M. Jean-Marie Deparis, inspecteur des services de la protection judiciaire de la jeunesse.

* 7 Les instituts de rééducation sont des établissements médico-sociaux prenant en charge des enfants et adolescents souffrant de troubles du comportement.

* 8 Le taux d'encadrement est de 33 jeunes pour un éducateur dans le secteur public de la protection judiciaire de la jeunesse.

* 9 Cette proportion est de 78 % en termes de stock (contre 35 % pour l'ensemble de la population des détenus).

* 10 Le terme de judiciarisation désigne la part croissante des décisions judiciaires dans l'ensemble des mesures éducatives en milieu ouvert et des placements, au détriment des mesures administratives (dont la diminution s'explique en partie par la baisse du nombre de pupilles de la Nation).

* 11 Alpes Maritimes, Bouches du Rhône, Drôme, Eure et Loir, Haute Garonne, Gironde, Hérault, Isère, Loire, Loire Atlantique, Nord, Oise, Pas de Calais, Bas Rhin, Haut Rhin, Rhône, Seine Maritime, Seine et Marne, Yvelines, Var, Vaucluse, Essonne, Hauts de Seine, Seine Saint Denis, Val de Marne, Val d'Oise.

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