2. Quid des mécanismes de régulation ?

Votre rapporteur pour avis, tout comme son prédécesseur les années précédentes, ne peut cette année encore qu'établir un constat d'échec quant à l'efficacité, voire l'effectivité, des mécanismes de régulation des dépenses de santé et notamment des dépenses de soins de ville.

a) L'analyse de la Cour des comptes quant à l'échec des mécanismes de régulation dans son rapport sur le financement de la sécurité sociale de septembre 2000 est toujours d'actualité

Dans son rapport sur la sécurité sociale de septembre 2000, la Cour des comptes avait dressé un bilan très critique des mécanismes de régulation collective de l'offre de soins et plus généralement de la mise en oeuvre des politiques conventionnelles. Comme l'a rappelé la Cour dans ce rapport, « l'efficacité des mécanismes conventionnels suppose qu'un maximum de professionnels accepte de rentrer dans la logique d'une tarification unique servant de base au remboursement, de manière que chaque assuré puisse s'adresser à un professionnel conventionné ».

Toutefois l'esprit même du conventionnement et des mécanismes de régulation s'est vu détourné lorsqu'il a été question, pour obtenir un taux d'adhésion le plus large possible, notamment chez les médecins de ville et les dentistes, d'instaurer une différenciation des prix et des taux de remboursement contraire à la logique des conventions et qui a entraîné une réduction de la qualité de la prise en charge.

L'insuffisance de la voie conventionnelle à mettre en place des mécanismes de régulation efficaces fondés sur la définition d'objectifs quantitatifs, a conduit l'ordonnance du 24 avril 1996 et son décret d'application à élaborer un nouveau système, fondé sur une responsabilisation accrue des médecins dont la convention devait fixer un objectif opposable englobant les honoraires et les prescriptions ainsi que déterminer les modalités de l'individualisation de la charge du reversement entre les médecins. Mais les mécanismes de reversement se sont révélés impossibles à mettre en oeuvre pour des raisons juridiques et pratiques.

Cette impossibilité de mettre en place une régulation quantitative efficace a entraîné une nouvelle réforme inscrite dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000. Il s'agissait de rendre, pour chaque profession, l'objectif quantitatif en principe opposable. La régulation n'est plus recherchée par des reversements mais par des réajustements du tarif ou de la cotation des actes. Si les partenaires ne parviennent pas à s'entendre, les caisses d'assurance maladie sont autorisées à prendre unilatéralement les mesures nécessaires.

Toutefois, le constat de l'échec des mécanismes de régulation des volumes que fait la Cour des comptes est sans appel : « force est de constater que, pour aucune des professions, les mécanismes de régulation successivement tentés dans le cadre des conventions n'ont été véritablement efficaces, ce qui conduit à se demander si le conventionnement, tel qu'il a été pratiqué, peut contribuer efficacement à la régulation des volumes ».

Des dispositifs de sanctions sont prévus par les conventions. Ils ont été conçus comme un élément de leur équilibre général et l'un des éléments de la maîtrise des dépenses. Mais l'ensemble des textes aboutit à un enchevêtrement des dispositifs d'origine légale ou réglementaire et d'origine conventionnelle, ce qui rend le système actuel des sanctions particulièrement opaque et complexe. Dès lors, et c'est ce que soulignait la Cour des comptes dans son rapport sur la sécurité sociale de septembre 2000 : « les dispositifs prévus sont cumulatifs, ce qui affecte leur lisibilité. La complexité de l'architecture générale des obligations et des sanctions est génératrice de contestations et de difficultés pratiques d'application par les caisses ».

De manière générale, les mécanismes de régulation sont donc aujourd'hui en perte de vitesse. Leur échec ne constitue d'ailleurs qu'un des éléments de la disparition progressive de toute forme de système conventionnel.

Depuis la loi du 3 juillet 1971, un dispositif conventionnel national organise la participation des caisses d'assurance maladie au remboursement des soins et prescriptions délivrés par les professionnels de santé. Il vise ainsi à concilier l'exercice libéral de la médecine et des professions paramédicales, assorti du libre accès à leurs soins et prescriptions d'une part, et une assurance maladie obligatoire d'autre part.

Dans son rapport sur la sécurité sociale de septembre 2000, la Cour des comptes soulignait les limites évidentes de ce dispositif conventionnel : « les conventions n'ont réussi ni à assurer la régulation des dépenses ni à modifier les pratiques individuelles. La formule du généraliste référent, mise en place par les partenaires conventionnels pour tenter de trouver une voie nouvelle, n'a guère conduit pour l'instant à des résultats tangibles. Plus fondamentalement le cadre conventionnel lui-même, tel qu'il s'est développé, débouche sur des difficultés juridiques de fond. Une réflexion et une réforme d'ensemble apparaissent aujourd'hui nécessaires ».

La Cour des comptes a souligné avec justesse à quel point l'ensemble des problèmes juridiques de fond posés par ces conventions avait été mésestimé et fragilisait le système conventionnel.

En effet, la crédibilité et l'efficacité d'un système de régulation supposent sa stabilité dans le temps. Or, les relations entre l'assurance maladie et les professions de santé sont souvent conflictuelles et les conventions sont systématiquement attaquées devant les juridictions. Dans la pratique, presque toutes les conventions ont été annulées totalement ou partiellement. La jurisprudence du Conseil d'Etat admet en effet, depuis 1999, que les clauses d'une convention sont divisibles et que l'annulation d'une clause n'entraîne pas nécessairement celle de la convention dans son ensemble. Ce constat montre qu'il est indispensable d'étudier précisément les raisons pour lesquelles des mécanismes conventionnels, censés reposer sur une adhésion des professionnels concernés, ont ainsi systématiquement été mis en cause et bloqués par les professionnels eux-mêmes. Votre rapporteur pour avis estime qu'il existe là des questions de fond que le gouvernement n'a pas voulu aborder.

b) L'analyse de la Cour des comptes quant à l'échec des mécanismes de régulation des soins de ville dans son rapport sur le financement de la sécurité sociale de septembre 2001 est sans appel

Dans son rapport sur le financement de la sécurité sociale de septembre 2001, la Cour des comptes dresse un bilan sans appel des mécanismes de régulation des dépenses de soins de ville mis en place par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 : « les mécanismes nouveaux de régulation et de contrôle introduits par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 n'ont pas encore fait leurs preuves ou, dans le cas du nouveau système d'ODSV (objectif délégué de soins de ville) et de rapports d'équilibre, pas donné de résultats ».

L'article 24 de la loi de financement pour 2000 avait consenti aux caisses d'assurance maladie une délégation pour gérer l'ensemble des dépenses d'honoraires des professionnels de santé libéraux et les dépenses de transport sanitaire, soit 47 % du total des dépenses de soins de ville, l'Etat conservant la responsabilité pour les médicaments, les produits du TIPS et les indemnités journalières.

En outre, à l'intérieur de l'objectif global des soins de ville, un nouvel objectif annuel, l'objectif des dépenses déléguées de soins de ville (ODSV) a été fixé. Les caisses d'assurance maladie sont responsables de son respect. Elles fixent en début d'année, conventionnellement avec les professionnels ou, le cas échéant, unilatéralement après les avoir consultés, un objectif de dépenses pour chaque profession ainsi que toute mesure propre à assurer le respect de l'objectif. Le document est accompagné d'un rapport d'équilibre, transmis à l'Etat pour approbation. Les parties conventionnelles se réunissent deux autres fois dans l'année pour faire le point et examiner toute mesure permettant de respecter l'objectif en fin d'année. A chaque fois un rapport d'équilibre est transmis à l'Etat pour approbation. En cas de carence, ou lorsque les mesures proposées ne sont pas de nature à permettre le respect de l'objectif de dépenses, un arrêté ministériel fixe les tarifs et mesures nécessaires.

La Cour des comptes, dans son rapport sur le financement de la sécurité sociale de septembre 2001, dresse un bilan accablant du nouveau dispositif mise en place : « au total, les mesures entrées en vigueur à la suite des deuxième et troisième rapports d'équilibre réduisent en année pleine la croissance des dépenses de 300,4 millions de francs (45,8 millions d'euros), mais, compte tenu de l'effet du premier rapport et de la création du Vmad [nouvel acte consistant dans la visite de maintien à domicile] l'ensemble des mesures entrées en vigueur à la suite des trois rapports et de cette création, représentent une charge supplémentaire en année pleine de 527 millions de francs (80,3 millions de francs). (...) L'effet global des rapports a donc été plus de modifier les équilibres entre certains spécialistes et généralistes, de revaloriser les honoraires des généralistes et d'assurer la prise en charge de certains actes dentaires que de permettre le respect de l'objectif délégué des soins de ville. En définitive, l'ODSV a été dépassé de 5,1 milliard de francs (0,8 milliards d'euros) ».

En outre, la Cour des comptes précise également que « en 2001, l'objectif de dépenses déléguées n'a été transmis par l'Etat à la CNAMTS qu'à la mi-avril, et il ne pouvait donc pas être établi de rapport d'équilibre en début d'année, ce qui semble traduire une diminution de l'intérêt porté par l'Etat à cette tentative d'instituer un nouveau mode de régulation ».

Comme la rappelle très justement la Cour des comptes en guise de conclusion : « une régulation ne peut être crédible et donc efficace que si elle s'appuie sur des objectifs fixés de manière réaliste ».

Votre rapporteur pour avis estime lui aussi que l'échec patent des mécanismes de régulation provient avant tout de ce que les objectifs fixés en loi de financement de la sécurité sociale ne sont en rien réalistes et génèrent ainsi le découragement des professionnels de santé.

c) Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2002 : les mécanismes de régulation et de conventionnement aux oubliettes.

Votre rapporteur pour avis a déjà eu l'occasion d'analyser les quelques mesures visant à la régulation des dépenses de santé contenues dans le projet de loi de financement pour 2002.

Comme il l'a déjà souligné, sur la forme, la méthode employée par le gouvernement, à savoir l'introduction sous forme d'amendements à l'Assemblée nationale de mesures totalement improvisées et n'ayant pas fait l'objet de concertations approfondies, est profondément condamnable.

Sur le fond, il s'agit pour la plupart de mesures sans envergure :

- réforme du dispositif de l'entente préalable (article 15 ter ) ;

- organisation de la permanence des soins (article 18 ter ) ;

- création au sein de l'ONDAM d'une dotation nationale de développement des réseaux de santé (article 18 quater ).

Seul l'article 10 A vise, d'après le gouvernement, à la « rénovation du cadre conventionnel et du dispositif de régulation ». Comme votre rapporteur pour avis a déjà pu le faire remarquer dans son analyse de cet article, il apparaît que ce qui se voulait une réforme d'envergure du cadre conventionnel et des mécanismes de régulation n'est en fait qu'une mesure improvisée et qui risque d'être unanimement refusée par les professionnels de santé. En outre, il est particulièrement surprenant de vouloir rénover le cadre de la négociation conventionnelle sans prendre soin auparavant de consulter les parties concernées, à savoir les professionnels de santé, les partenaires sociaux ainsi que les caisses d'assurance maladie.

Le constat d'un échec des mécanismes de régulation des dépenses de santé et de la lente « mort » du système conventionnel français reste donc plus que jamais d'actualité.

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