Avis n° 77 (2001-2002) de M. Jean-Louis LORRAIN , fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 15 novembre 2001

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N° 77

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2001-2002

Annexe au procès-verbal de la séance du 15 novembre 2001

AVIS

FAIT

au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, relatif à l'accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l' État ,

Par M. Jean-Louis LORRAIN,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Nicolas About, président ; MM. Alain Gournac, Louis Souvet, Gilbert Chabroux, Jean-Louis Lorrain, Roland Muzeau, Georges Mouly, vice-présidents ; M. Paul Blanc, Mmes Annick Bocandé, Claire-Lise Campion, M. Jean-Marc Juilhard, secrétaires ; MM. Henri d'Attilio, Gilbert Barbier, Joël Billard, Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Jean Chérioux, Mme Michelle Demessine, M. Gérard Dériot, Mme Sylvie Desmarescaux, MM. Claude Domeizel, Michel Esneu, Jean-Claude Étienne, Guy Fischer, Jean-Pierre Fourcade, Serge Franchis, Francis Giraud, Jean-Pierre Godefroy, Mme Françoise Henneron, MM. Philippe Labeyrie, Roger Lagorsse, André Lardeux, Dominique Larifla, Jean-René Lecerf, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Mme Valérie Létard, MM. Jean Louis Masson, Serge Mathieu, Mmes Nelly Olin, Anne-Marie Payet, M. André Pourny, Mme Gisèle Printz, MM. Henri de Raincourt, Gérard Roujas, Mmes Janine Rozier, Michèle San Vicente, MM. Bernard Seillier, André Vantomme, Alain Vasselle, Paul Vergès, André Vézinhet.

Voir les numéros :

Sénat : 352 (2000-2001), 65 et 72 (2001-2002)

Famille.

Nous naissons pour ainsi dire provisoirement quelque part et c'est peu à peu que nous composons en nous le lieu de notre origine pour y naître après coup et chaque jour de plus en plus définitivement.

Rainer Maria Rilke

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

L'objet de la loi relative à l'accès aux origines personnelles est en apparence d'une grande simplicité : faciliter l'accès des enfants nés dans l'anonymat à la connaissance de leurs origines.

Chaque jour les médias narrent la chronique de retrouvailles émouvantes.

Chaque jour, des enfants nés sans origines ou, plus justement, élevés dans l'ignorance de leurs origines, viennent plus nombreux réclamer de pouvoir vivre dans la vérité.

Chaque jour, en écho, des mères ou des associations défendent leurs droits et rappellent les raisons du choix, fait un jour par ces femmes, de donner la vie dans le secret et de vivre par la suite préservées. Et ce droit, nul ne peut le nier, est antinomique du précédent.

Il n'est de pire conflit que celui de deux droits légitimes qui s'opposent frontalement. Sous cette pression, le Parlement doit trancher. Ce projet de loi est donc avant tout une affaire d'équilibre. Sans se dérober, le législateur est appelé à fixer celui-ci pour qu'il soit synonyme d'équité, qu'il parvienne d'une certaine façon à concilier l'inconciliable.

Afin que, sans remettre en cause une faculté maintenant bicentenaire, celle ouverte aux femmes de donner la vie dans l'anonymat, le projet de loi propose de créer une instance de médiation ayant vocation à faciliter la réconciliation de deux histoires, celle de la mère de naissance et celle de l' « enfant né sous X » .

Deux réserves doivent néanmoins être formulées à cet égard.

La recherche de ses origines ne doit pas tomber dans la recherche de « la vérité à tout prix ». L'accès à la connaissance n'est pas une fin en soi, la transparence dont certains se font les encenseurs doit se garder d'aboutir à la destruction d'existences parfois déjà tourmentées.

Un quotidien du soir 1 ( * ) écrivait en outre qu' « au ministère de la famille, on ne se cache pas de vouloir faire de l'accouchement anonyme une exception avant, peut-être dans un second temps, d'en prévoir l'extinction » . Une telle démarche serait nécessairement contraire à ce qui est l'esprit de ce projet de loi, à savoir trouver un équilibre entre deux droits reconnus également légitimes. Annoncer la consécration à terme de l'un aux dépens de l'autre n'aurait pour seul effet que de raviver des tensions qu'il est justement proposé de pacifier.

Pour sa part, votre rapporteur a estimé que votre commission des Affaires sociales ne saurait rester à l'écart de ce débat sur l'accès aux origines personnelles, tout en regrettant toutefois la multiplication des projets et propositions de loi qui conduisent inévitablement à une réforme émiettée du droit de la famille par touches techniques successives.

En effet, un projet cohérent et complet aurait donné lieu probablement à une saisine pour avis de votre commission qui lui aurait alors permis de faire valoir sa lecture globale d'une telle réforme et les conditions dans lesquelles celle-ci s'inscrit dans la politique familiale, alors qu'une présentation fractionnée et échelonnée ne saurait justifier une telle intervention.

I. LA TENSION DE DEUX DROITS APPAREMMENT INCOMPATIBLES

A. LA NAISSANCE DANS L'ANONYMAT : UN FAIT SOCIAL

1. Un problème ancien

Quelle que soit l'époque, conscients de ces difficultés, les pouvoirs publics ont cherché à doter la France de moyens adaptés susceptibles de répondre à des situations dramatiques.

Dès la seconde moitié du XVI e siècle, un décret d'Henri II obligeait toute femme à déclarer sa grossesse afin de prévenir d'éventuels infanticides.

Au début du XVIII e siècle, la création du « tour » a organisé l'abandon d'enfants dans des conditions de confidentialité permettant de préserver le secret des origines et la santé physique de l'enfant.

Lors d'un entretien donné à un quotidien national 2 ( * ) , Mme Ségolène Royal a pu déclarer qu'il « ne faut pas oublier l'origine idéologique de l'accouchement sous X : c'est un décret-loi du régime de Vichy qui représentait le pendant de la peine de mort pour les femmes qui avortaient ». Cette affirmation, qui tend à discréditer cette procédure, n'est pas exacte, car l'organisation de l'accouchement et de l'abandon dans l'anonymat est d'origine républicaine. C'est en effet, par un décret-loi du 28 juin 1793 que la Convention nationale a institutionnalisé la procédure. Chaque district aurait désormais obligation de se doter d'une maison où « la fille enceinte pourra se retirer secrètement pour faire ses couches » tout en prévoyant qu' « il sera pourvu par la Nation aux frais de gésine et à tous les besoins pendant le temps de son séjour et que le secret sera gardé sur tout ce qui la concerne » . C'est l'acte juridique fondateur de l'accouchement sous X.

La période suivante voit se succéder peu d'évolutions. En 1860, est créé un bureau d'admission où les mères sont encouragées à garder leur enfant par le biais d'allocations. Au début du siècle, il devint possible de remettre son enfant à toute heure du jour ou de la nuit par la création d'un « bureau ouvert ».

L'évolution juridique de cette procédure est intervenue en plusieurs étapes : un décret-loi du 2 septembre 1941, des décrets du 29 novembre1953, du 7 janvier 1959 et du 14 janvier 1974, puis, enfin, les lois du 8 janvier 1993 et du 5 juillet 1996.

Alors qu'il s'élevait à plus de 10.000 au début des années 1970, notamment avant la loi de 1975 sur l'interruption volontaire de grossesse, le nombre d'accouchements sous secret décroît fortement, puisqu'on ne compte plus qu'environ 780 cas au début des années 1990, pour 560 en 1999. Les flux sont aujourd'hui de faible ampleur, mais la question « d'un stock » demeure entière, les personnes nées dans l'ignorance de leurs origines se sont aujourd'hui organisées pour réclamer la suppression de cette procédure.

2. Un problème partagé

Si peu d'Etats en Europe partagent la procédure de « l'accouchement sous X », tous sont confrontés à ce même problème : quels moyens donner à une femme, confrontée à de graves difficultés, de porter à terme sa grossesse tout en préservant la santé de l'enfant.

En Europe, seuls l'Italie et le Luxembourg organisaient, à l'instar de la France, une procédure équivalente à l'accouchement sous X. L'Autriche a réformé sa législation en ce sens en juillet dernier.

Mais, devant la recrudescence des infanticides, les pays qui étaient revenus sur l'organisation de l'abandon anonyme des enfants ont dû faire marche arrière.

En Allemagne, dont la Constitution garantit pourtant l'accès à ses origines, les pouvoirs publics ont organisé « des boîtes à bébés ». La Suisse vient d'ouvrir une procédure de la « fenêtre des bébés » et, devant le passage des femmes vers la France, pour accoucher sous X, le sénateur Belge, M. Monfils, fait adopter une proposition de loi ayant le même objet.

Si les difficultés posées par les grossesses non désirées, et non susceptibles de trouver une issue dans l'IVG, sont aujourd'hui un épiphénomène -500 en France sur plus de 800.000, soit heureusement moins d'une naissance sur 1.500-, les souffrances qui en résultent tant pour les mères qui y ont eu recours que pour les enfants qui les ont subies semblent trouver une résonance commune.

B. LA NAISSANCE DANS L'ANONYMAT : UNE SOUFFRANCE PARALLÈLE

1. Les mères accouchant sous X : des trajectoires individuelles

a) Des statistiques

Afin de collecter davantage de renseignements sur ce phénomène social, des enquêtes ont été menées sur les mères ayant recours à cette procédure. Ainsi, le service du droit des femmes a conduit une étude en 1999 auprès des services des maternités en Ile de France.

L'échantillon statistique, retracé dans le document d'information transmis par le ministère lors de la présentation du projet de loi, porte sur les 903 naissances sous X ayant eu lieu entre 1994 et 1998.

« Les deux tiers ont moins de 25 ans, une sur deux a moins de 23 ans et une sur dix est mineure (les deux tiers des autres femmes qui accouchent ont entre 24 et 32 ans).

« Plus d'un quart sont en cours de scolarité ou d'études.

« La moitié sont à la recherche d'un premier emploi ou sans profession, sans autonomie et sans ressources propres.

« Une minorité non négligeable appartient à un milieu aisé ou aux classes moyennes.

« Les quatre cinquièmes sont célibataires.

« Une sur quatre vit chez ses parents : le recours à l'accouchement secret semble alors commandé par la crainte de la réaction parentale lorsque la grossesse n'est pas découverte, par la pression parentale lorsqu'elle l'est (milieux très religieux et conservateurs).

« Les jeunes célibataires qui ne vivent plus chez leurs parents : problématique personnelle, jeunes mères célibataires qui ne peuvent assumer seules un enfant supplémentaire, jeunes femmes « en galère ».

« De 10 à 12 % vivent en couple (jeunes couples en cours d'études ou dans une situation financière très difficile ; contexte de violences conjugales).

« Environ 10 % sont séparées ou divorcées, âgées de plus de 35 ans et ayant plusieurs enfants à charge, en grandes difficultés socio-économiques.

« Les situations où la grossesse est issue d'un viol ou de rapports contraints sont assez peu nombreuses : entre 4 et 10 % des cas.

« Ces cas peuvent être surestimés (les femmes peuvent invoquer un viol comme une justification recevable de leur décision d'abandon) ou sous-estimés (il peut être trop difficile de faire état d'une expérience traumatisante).

« Les cas d'inceste sont rares dans les données : moins de 3 cas signalés sur 903 situations ».

Ce document mentionne en outre que le père n'est informé et présent que dans 5 % des cas.

b) Des cas particuliers

Malgré leur exhaustivité, les statistiques présentées ne retracent qu'imparfaitement la situation de ces femmes qui ont recours à l'accouchement sous X.

Les chiffres présentés ci-dessus laissent entrevoir l'importance d'une cause matérielle (absence d'autonomie financière) et sociale (jeunesse des femmes enceintes), mais ne rendent pas compte des troubles d'ordre psychologique commandant le choix des mères accouchant sous X.

D'après certaines études, des femmes demandant le secret de leur accouchement souffrent de psychopathologies plus ou moins importantes et aboutissant à ce que certains psychiatres nomment « déni de grossesse », c'est-à-dire le refus psychosomatique de la femme d'être enceinte.

Ces cas contrastent fortement d'avec la situation des enfants en recherche.

A l'abandon, source parfois d'un immense soulagement, répond la souffrance parallèle des enfants nés sous X laissés dans l'ignorance de leurs origines.

2. Des enfants en mal d'origine

Les enfants issus d'un accouchement sous X sont, à l'instar des autres enfants abandonnés, destinés à être adoptés. Rien ne les différencie sauf qu'ils ne disposent pas d'informations concernant leurs origines.

La mère de naissance est le maillon essentiel de ces origines. Il est bien souvent impossible d'avoir connaissance d'autres membres familiaux, père de naissance, grands-parents, demi-frères, soeurs, etc., sans passer par la mère.

Les enfants accouchés sous X ont connu, à bien des égards, des fortunes diverses. Leur jeune âge au moment de l'adoptabilité rend a priori leur adoption facile. Certains le seront, certains ne le seront pas, ces derniers resteront jusqu'à leur majorité des pupilles de l'Etat.

Mais beaucoup d'enfants accouchés sous X témoignent d'une souffrance de ne pas connaître leurs origines. Sont constatés notamment le sentiment d'un « roman familial » impossible à résoudre, l'appréhension sur la vérité d'une naissance qu'ils imaginent parfois issue du pire, notamment viols, incestes, ou misère.

C. LA NAISSANCE DANS L'ANONYMAT : UNE QUESTION POSÉE DANS DES TERMES NOUVEAUX

1. Une situation qui engendre des injustices

a) Un secret déjà réversible

La procédure ouverte par l'état du droit n'interdit pas la réversibilité du secret. En effet, l'article L. 224-5 du code de l'action sociale et des familles dispose que « lorsqu'il y a demande de secret (...) celle-ci doit être formulée expressément et mentionnée au procès-verbal. Le procès-verbal doit également mentionner que le demandeur a été informé de la possibilité de faire connaître ultérieurement son identité (...) » .

Cette possibilité a été ouverte par la loi de 1996 sur l'adoption, mais elle n'a guère eu d'effets pratiques. Ainsi que le souligne Mme Ségolène Royal 3 ( * ) , « l'absence de toute instance arbitrale ou médiatrice et la non-parution des décrets d'application, qu'il faut admettre sans détour, l'ont privée d'effets pratiques alors qu'elle témoigne d'une vraie prise de conscience ».

b) Un accueil décentralisé inégal malgré les interventions de la CADA

Dans ses recherches en matière d'accès aux origines, la personne née dans l'anonymat procède par étape. La première de ces étapes est souvent de demander un accès aux documents administratifs relatant les circonstances de sa naissance et notamment le bulletin médical. L'accès à ce document lui est ouvert à partir du moment où le secret n'a pas été demandé par la mère.

Dans ce dernier cas, et si la personne ne peut accéder au nom de ses parents, elle devrait avoir accès à des renseignements considérés comme non identifiants. Il n'y a cependant pas de pratiques administratives uniformes, certaines autorités considérant que des informations sont trop déstabilisantes pour être communiquées -par exemple, naissance issue d'un viol-, d'autres au contraire estimant que leur devoir de secret se limite au seul nom de la mère.

En cas d'échec, l'usager se tourne vers le conseil général qui exerce la tutelle sur les services sociaux.

De plus en plus, les demandes prennent la direction d'une autorité administrative, la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) qui a élaboré au fil du temps une jurisprudence très libérale.

En effet, en 1999, la CADA a traité 109 demandes, et jusqu'à 162 en 2000, dont la moitié proviennent des conseils généraux eux-mêmes, qui saisissent cette Commission pour obtenir son avis.

Dans le cas où la Commission détient une preuve que la volonté de secret a été formulée, par mention manuscrite ou par le biais d'une audition avec une réponse expresse, le secret n'est pas levé. Dans tous les cas contraires, même dans le cas où la mère a, de fait, accouché sous X mais sans demander expressément la conservation du secret, l'accès aux documents est autorisé.

La conséquence de cette jurisprudence est que les deux tiers des dossiers sont déclarés communicables. Mais, d'une part, les documents mis à disposition ne contiennent pas tous des informations utiles et, d'autre part, un grand nombre n'ont pas accès à leur dossier, soit parce que celui-ci leur a été refusé par l'administration, soit parce que simplement, dans l'ignorance de sa compétence, ils ne l'ont pas saisie.

Alors, souvent débute une période de recherches individuelles.

c) Les recherches individuelles

Certaines personnes en quête de leurs origines, ne trouvant pas de réponses à leurs questions auprès des administrations, se mettent elles-mêmes en recherche, hors de tout cadre institutionnel.

La loi n'interdit pas ces recherches. Elle pourrait éventuellement réprimer le harcèlement sur autrui.

Il ne semble pas que ces recherches conduisent à des formes de traques pénalement répréhensibles. Des études sociologiques semblent même, au contraire, indiquer qu'une majorité d'enfants procède à ses recherches avec beaucoup de précautions, n'approchant leur mère de naissance qu'avec beaucoup de discrétion.

Ces recherches individuelles ne s'arrêteront pas avec le présent projet de loi, notamment venant de ceux qui ne trouveront pas de réponses ou se verront opposer un refus.

2. Une situation qui génère des revendications

a) Des protagonistes organisés

Devant l'absence de réponse de l'administration, les différentes parties se sont organisées.

Rassemblés au sein d'une coordination, la Coordination des actions pour le droit à la connaissance des origines (CADCO), les protagonistes sont nombreux.

Dans différentes instances, sont rassemblés pêle-mêle les pupilles et anciens pupilles, des adoptés, ainsi que des mères ayant accouché sous X et désireuses de retrouver l'enfant abandonné, des parents adoptants ainsi que des personnes nées par assistance médicale à la procréation.

Ces associations, outre un travail de communication auprès des institutions, mettent à la disposition de leurs membres un service de conseils dans les recherches, d'assistance psychologique, de groupe de paroles, etc.

b) La multiplication des rapports d'experts

Sensibilisés à ces questions par des dossiers de plus en plus médiatisés, les pouvoirs publics se sont penchés sur le phénomène. Ainsi, depuis 1990, les rapports proposant une évolution de la législation en vigueur se sont multipliés.

Dès cette date, le Conseil d'Etat, dans un rapport relatif « au statut et à la protection de l'enfant » , avait plaidé pour la création d'un conseil national pour la recherche des origines familiales.

En 1996, un groupe de travail, sous la présidence de M. Pierre Pascal, a travaillé sur l'accès des pupilles et anciens pupilles de l'Etat à leurs origines, et se prononçait également dans le sens de la création d'une instance de médiation.

En mai 1998, un rapport parlementaire, adopté sous la présidence de M. Laurent Fabius, recommandait lui aussi l'instauration d'une structure publique ayant pour objet de conserver l'information et d'accueillir les demandes des enfants. Il préconisait aussi, pour sa part, la levée de plein droit du secret à la majorité de l'enfant.

Enfin, un an plus tard, le rapport de Mme Dekeuwer-Defossez proposait, lui aussi, la création d'une instance de médiation.

Le souci d'une évolution était présent, réclamée par les demandes toujours plus pressantes des personnes en quête de leurs origines, demandes largement relayées par les rapports d'expertises. De surcroît, les exigences posées par le droit international ont agi dans le même sens.

3. Les exigences du droit international

a) Les conventions sur les droits de l'enfant font-elles de l'accès aux origines un droit de l'homme ?

Le 20 novembre 1989, fut signée la convention internationale des droits de l'Enfant, qui est entrée en vigueur le 2 septembre 1990.

L'article 7 de cette convention stipule que « chaque enfant a, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents » .

Sur le fondement de cette disposition, et rappelant qu'au titre de l'article 55 de la Constitution, « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois » , les associations de personnes à la recherche de leurs origines ont exigé l'abrogation des dispositions assurant le secret de la filiation aux mères qui le désirent, ou prôné tout du moins, leur non-application.

Pourtant, le texte de cette convention est lui-même assez sibyllin puisque rien ne définit précisément la valeur du droit rendu très relatif par la présence d'une expression modératrice : « la mesure du possible » .

L'interprétation de votre rapporteur, qui semble être l'interprétation la plus communément admise, est qu'il s'agit là d'une sorte de « droit faculté ».

Dès lors qu'une telle réforme est conciliable avec d'autres droits, et notamment le droit des mères au secret, le législateur peut, et même dans une certaine mesure doit, faciliter les démarches des personnes à la recherche de leurs origines.

Le principe posé par le droit international est ici prudent : il ne semble pas s'agir d'un droit absolu, mais d'un droit relatif et contingent, qui est, par ailleurs, la voie choisie par le présent projet de loi (cf. II) .

b) L'affaire Pascale Odièvre : le droit français à l'épreuve de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH)

Non pas née d'une mère ayant accouché sous X, mais abandonnée avec secret sur ses origines au cours de sa première année, Mme Pascale Odièvre a saisi la Cour européenne des droits de l'homme pour violation par la France de l'article 8 de la convention dont ses juges ont la garde, article qui pose le droit au respect de la vie privée et familiale :

« Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

« Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ».

Votre rapporteur, qui ne saurait en aucun cas présumer de la position des juges internationaux, formule néanmoins deux observations :

En premier lieu, l'affaire soulevée par Mme Odièvre n'est pas exactement assimilable à la question de l'accouchement sous X. En effet, la loi autorise des parents à abandonner leur enfant en demandant le secret de son état civil jusqu'à la fin de la première année de l'enfant. Cette procédure, contestée, est en principe abrogée par le présent projet de loi. Or c'est de cette situation que ressort Mme Odièvre.

En second lieu, votre rapporteur s'interroge sur le sens à donner au respect de la vie privée. Un tel principe n'a-t-il pas pour objet de protéger tant la vie de l'enfant que la vie privée de la mère ayant choisi le secret ?

En une telle matière, l'exemple international montre les limites auxquelles se heurte le droit. C'est pourquoi la position médiane adoptée par le texte est la plus satisfaisante : faciliter la rencontre des volontés mais ne rien imposer.

II. LE PROJET DE LOI : CRÉER LA MÉDIATION

A. LA CRÉATION D'UNE INSTANCE DE MÉDIATION

1. Une procédure nouvelle...

Le projet de loi ne remet pas en cause la possibilité ouverte à une femme de donner la vie en maintenant le secret de cette filiation. Le Gouvernement a confirmé cet objectif, le dossier législatif précisant que le projet de loi « permet la coexistence des droits à la liberté et à la vérité, la garantie du droit de l'enfant au respect de son histoire tout en assurant la sécurité de la mère et de l'enfant lors de la naissance ».

Néanmoins, ce projet organise une nouvelle procédure.

La femme qui souhaite préserver le secret de son accouchement est invitée à consigner son identité dans une enveloppe cachetée. Cette enveloppe est conservée au niveau du conseil général.

Dans le même temps, un Conseil national d'accès aux origines personnelles (CNAOP) est créé. La personne en recherche d'origine formule sa demande auprès de ce Conseil, qui obtient du conseil général communication de l'enveloppe contenant les références de la mère.

Sur la base de cette identité, le Conseil procède à des recherches afin de localiser la mère et lui demande, solennellement, si celle-ci accepte que le secret des origines soit levé.

En cas de refus, il n'est pas donné suite à la demande du requérant. En cas d'acceptation, l'identité lui est communiquée.

Cette procédure nouvelle, entourée par ailleurs de garanties, notamment de suivi psychologique, est claire en ce qui concerne les naissances nouvelles, pour lesquelles une enveloppe sera remplie.

Elle semble à votre rapporteur beaucoup plus incertaine en ce qui concerne les « stocks ». Les personnes nées avant l'entrée en vigueur de la loi ne sont pas, a priori , exclues du bénéfice des services du CNAOP, mais sur quelles bases celui-ci travaillera-t-il ?

Le projet de loi dispose que le Conseil est habilité à se faire communiquer tous documents relatifs à la naissance du requérant. C'est donc sur la base de bulletins d'admissions ou de procès-verbaux d'accouchements et d'abandons que celui-ci est appelé à travailler, c'est-à-dire retrouver la mère et procéder à la demande.

2. ...ayant pour objet de faciliter la rencontre des volontés

a) Une procédure a priori plus lisible et plus efficace

L'avantage d'une telle procédure est avant tout la lisibilité. Comme dans l'ensemble de ses rapports avec l'administration, le citoyen ne sait pas a priori à quels services s'adresser.

Ce jugement est particulièrement justifié dans le cas des recherches en origines. Les demandeurs s'adressaient bien souvent aux services hospitaliers et aux services sociaux départementaux avant, éventuellement, de formuler des recours pré-contentieux ou contentieux.

Le sentiment d'être « promené » entre plusieurs administrations engendre toujours une frustration et un sentiment d'incompréhension.

La nouvelle procédure a l'avantage d'être plus lisible. L'organisme est national, tout en disposant de relais locaux. L'usager sait à qui il doit s'adresser. Sa demande est formulée par écrit puis il laisse le Conseil agir. Votre rapporteur espère à ce titre que les délais nécessaires au Conseil pour mener à bien sa mission seront raisonnables.

Sous le bénéfice de cette réserve, la nouvelle procédure devrait logiquement se révéler plus efficace. Disposant d'une assise nationale, et du concours des administrations, le Conseil devrait retrouver les personnes plus rapidement. Lorsqu'une personne en recherche d'origine obtenait communication de l'identité de sa mère de naissance, il lui fallait procéder encore à la recherche géographique de celle-ci et, éventuellement, à l'approcher.

Le Conseil devrait, dans le cas d'une réponse positive, épargner cet ultime effort aux enfants -et parents- qui souhaiteraient in fine se rencontrer.

b) La fin de  « l'alibi administratif »

Un autre avantage mis en avant serait que le projet de loi mettra fin à l'arbitraire administratif.

La ministre déléguée à la famille a pu parler, lors du débat à l'Assemblée nationale, de « vraie réticence administrative à la levée du secret » .

En dehors de la non-parution des décrets d'application de la loi précédente, cette réticence administrative réside dans la perception qu'ont les usagers d'un refus qui leur est opposé.

Pour plusieurs raisons, certains services vont communiquer une information, identifiante ou non. D'autres pas. Cette disparité de pratique fonctionnelle est également territoriale. Certains départements communiquent plus facilement que d'autres.

La mise en place du CNAOP devrait changer beaucoup en ce domaine, et unifier les pratiques. Mais l'important n'est pas là.

En effet, dans la nouvelle procédure, ce n'est plus l'administration qui opposerait un refus mais la mère. Et ce refus sera certainement perçu, après l'abandon, comme un second rejet.

Votre rapporteur ne peut juger en lieu et place des personnes en quête de leur identité si la dissipation de l'écran posé par l'administration est préférable au risque d'encourir un refus explicite de la mère elle-même, qui sera toujours durement vécu.

A partir du moment où ces personnes sont en recherche d'identité, il semble à votre rapporteur que leur démarche a pour but la recherche d'une vérité, le refus d'un statu quo et de l'incertitude, et qu'en conséquence la fin programmée de cet écran constitue plutôt un progrès.

B. UN DROIT RELATIF ET CONTINGENT

1. Un droit relatif : la préservation du choix de la mère

La philosophie du texte proposé par le Gouvernement est de ne pas remettre en cause l'accouchement anonyme. En conséquence, si le droit à la connaissance des origines est consacré, il ne l'est que de manière relative et subordonné à la préservation de la volonté de la mère.

La mère n'est qu'« invitée » à laisser son identité.

Certes, le texte du projet de loi est un peu sibyllin sur ce point puisqu'il dispose que la mère « est donc invitée à laisser des renseignements sur les circonstances de la naissance de l'enfant et , si elle l'accepte , sous pli fermé, son identité » . Cette construction pourrait suggérer que l'invitation faite à la mère est dans un cas impératif et dans un second facultatif.

Votre rapporteur considère pour sa part que le projet prévoit qu'une double proposition est faite à la mère : celle de laisser des renseignements sur les circonstances de sa naissance et celle de laisser sous pli fermé son identité.

La contrepartie de cette liberté est que la teneur des déclarations n'est pas contrôlée. En effet, le projet de loi dispose qu' « aucune pièce d'identité n'est exigée et qu'il n'est procédé à aucune enquête » . Cette position est cohérente avec la précédente. En effet, si l'invitation précédemment mentionnée était une obligation, alors le contrôle des déclarations deviendrait nécessaire, pour contrer un contournement éventuel de cette prescription au moyen de fausses informations.

La plus importante des limites posées au droit à la connaissance des origines est qu'il reste subordonné au consentement de la mère. Le dévoilement de l'identité reste soumis à une procédure d'enquête qui aboutit, invariablement, au choix maternel.

L'équilibre du droit existant n'est pas remis en cause.

2. Un droit à sens unique : de l'enfant à la mère

La recherche des origines de certains enfants nés sous X est symétrique à celle de certaines femmes ayant donné la vie dans ces conditions.

La procédure actuelle ne revient pas sur l'ancienne procédure. La mère dispose toujours de la faculté de lever le secret de son identité. Mais l'action publique se borne à enregistrer ce changement : le code de l'action sociale et des familles prévoit ce cas « si la ou les personnes qui ont demandé le secret de leur identité lèvent celui-ci, ladite identité est conservée sous la responsabilité du président du conseil général » .

Sur ce point, la procédure ouverte par l'article L. 224-7 de ce code n'est modifiée par le projet de loi que pour ajouter que l'identité « est transmise au Conseil national d'accès aux origines personnelles » .

La levée de l'identité n'est pas symétrique à la demande d'un enfant né sous X. Le Conseil ne demande pas à l'enfant s'il souhaite révéler son identité.

Votre rapporteur juge cette réserve souhaitable au moins durant la minorité de l'enfant. Ces abandons aboutissent, fort heureusement, le plus souvent à des adoptions. Autour de celles-ci se recréent des équilibres psychologiques et familiaux dans un premier temps fragiles. Un souhait, par ailleurs tout aussi légitime, de la mère de connaître son enfant « biologique » ne doit néanmoins pas pouvoir troubler inopinément et même peut-être gravement l'éducation de ce dernier.

Votre rapporteur estime que l'enfant en quête d'origine trouvera, tôt ou tard, le chemin du Conseil national, si cette recherche lui importe...

3. Un droit contingent : un droit effectif que lorsqu'il trouve à s'appliquer

Le dossier accompagnant la présentation de ce projet de loi est sur ce point très explicite :

« Il ne s'agit pas de créer des espoirs impossibles :

« - certains dossiers du passé sont vides et le resteront ;

« - il y aura des refus de certaines mères : protection de blessures trop vives, mais dans certains cas un refus, expliqué ou non, pourra suffire à répondre aux questions de l'enfant ;

« - le droit d'accès aux origines n'entame pas un autre droit, celui de ne pas connaître ses origines : il faut savoir respecter la volonté de certains enfants adoptés qui n'éprouveront pas le besoin de connaître leurs origines ».

La procédure ne garantit pas une réponse. Rien n'oblige la mère à laisser son identité ou des informations. A ce titre, les personnes nées dans ces conditions avant l'entrée en vigueur de la loi seront -et resteront vu les faibles flux annuels- les plus nombreuses à recourir aux services du Conseil. Et pour beaucoup d'entre elles, elles devront affronter un dossier vide.

Malgré les moyens d'investigation dont dispose le Conseil, certaines actions resteront sans écho. A l'inverse, certains ne souhaitent pas savoir. A ceux-là, il n'est pas imposé de dévoilement de leurs origines.

Relatif, le droit d'accès aux origines est aussi contingent : c'est une faculté qui ne trouvera à s'appliquer, sous réserve des informations disponibles, qu'en cas de besoin, et surtout, de désir.

C. DES QUESTIONS EN SUSPENS

L'objet de ce projet de loi est modeste mais il n'est pas négligeable. Des questions restent néanmoins en suspens.

1. Des questions juridiques : la coexistence de deux procédures ?

L'objet du projet de loi est d'organiser une nouvelle procédure. Votre rapporteur, au regard des informations dont il dispose, s'interroge sur la coexistence de cette nouvelle procédure avec l'ancienne.

Il n'est en effet pas certain que les anciennes voies de recherche disparaissent. Et le maintien d'une voie alternative ne serait pas sans problème.

Au regard de l'ancienne procédure, il n'est pas sûr que le projet de loi soit plus favorable aux demandeurs. En effet, la jurisprudence, extrêmement libérale de la CADA, aboutissait deux fois sur trois à communiquer l'identité, notamment à chaque fois que la demande de secret n'était pas expresse. Une sorte de bénéfice du doute existait en quelque sorte, profitable aux personnes en quête de leurs origines.

La nouvelle procédure est plus tranchée : la communication n'a lieu qu'en cas de consentement de la mère. Il n'y a plus de bénéfice du doute.

Nul ne peut savoir si la dissipation du doute sera en moyenne aussi favorable aux demandeurs. C'est un premier point.

Le second point est que la compétence de la CADA, qui est générale, semble continuer à s'appliquer. En conséquence, rien n'interdit à un demandeur, qui aurait essuyé un refus, de demander communication du dossier à la CADA, qui, en raison de la décentralisation des dossiers, pourrait, dans l'ignorance, accueillir favorablement la demande.

Le problème n'est pas insurmontable : il suffit que la CADA renvoie systématiquement les demandes sur le Conseil.

2. Des questions procédurales : un projet à préciser

Un certain nombre de dispositions demeurent floues ou imparfaitement rédigées.

Votre rapporteur attire l'attention notamment sur deux points :

La composition du Conseil reste à parfaire. Si l'absence de représentant de la chancellerie reste une énigme pour votre rapporteur, la rédaction telle qu'issue de l'Assemblée nationale lui semble trop restrictive.

En effet, un amendement est venu préciser que les personnalités qualifiées appelées à siéger au Conseil seront de compétences professionnelles « médicales ou paramédicales » . L'esprit d'un tel amendement était justifié. Une présence médicale est nécessaire au sein de la commission mais elle ne doit pas avoir pour conséquence d'exclure les travailleurs sociaux. L'accompagnement social est souvent réalisé, dans les structures hospitalières d'accueil, par des assistantes sociales. Il serait regrettable d'exclure l'expérience de ces dernières a priori .

Le projet de loi prévoit en outre que les relations entre les départements et le Conseil seront assurées par deux agents au moins, qui auront entre autres tâches à « organiser la mise en oeuvre de l'accompagnement psychologique et social dont peut bénéficier la femme » et à « s'assurer de la mise en place d'un accompagnement psychologique de l'enfant » . Le texte prévoit en leur faveur une formation initiale et continue, assurée par le Conseil national, et définie par décret.

Votre rapporteur s'interroge sur la professionnalisation de ces personnes et sur leur rôle précis. L'imprécision du texte reflète en réalité les carences du projet en matière d'accompagnement psychologique, dans des situations ou bien souvent la mère repart parfois rapidement et où l'enfant, nourrisson, est confié à l'adoption ; ce n'est que bien plus tard qu'elle ressentira les besoins d'une assistance d'ordre psychologique.

En outre, les auditions auxquelles a procédé votre rapporteur ont attiré son attention sur un autre point.

Les recherches dites « personnelles » -parce qu'elles se déroulent hors des cadres institutionnels- semblent se traduire le plus souvent par un travail patient d'approche qui a pour objet de préserver au maximum, par discrétion, la vie privée de la mère. Cette méthode est d'ailleurs un gage de succès.

Les contacts officiels pris par le Conseil avec la mère de naissance présenteront-ils toutes les garanties de discrétion, de « tact » et de patience ?

Il n'est pas impossible que, dans le cas où elles seraient contactées de manière trop abrupte et administrative, certaines mères opposent une fin de non-recevoir à la demande de leurs enfants, dictée davantage par l'impréparation de leur décision que par la volonté profonde de conserver ce secret.

Contre son esprit, la loi aboutirait à un effet pervers : nuire au rapprochement sincère des volontés.

3. Des questions éthiques : des zones d'ombres à éclaircir

Trois questions éthiques restent imparfaitement traitées par le projet de loi.

La première est la situation légale de l'enfant qui aura eu connaissance de ses origines. Le projet de loi prévoit que cette connaissance est sans effet sur la filiation. A l'heure où le Gouvernement s'est attaché à gommer les dernières différences entre naissance naturelle et naissance légitime, une telle négation est-elle possible ? Couvre-t-elle les pères et mères dans les mêmes conditions ?

La seconde, plus importante encore, est le sort à réserver aux personnes nées sous X dont les parents sont décédés. Le projet est muet sur ce point.

Une première solution est de présumer que la personne a emporté son secret avec elle. Le respect de la volonté supposée du défunt l'emporte.

La solution inverse est de considérer que le secret n'a pour seul office la protection des parents de leur vivant. Leur décès ayant rendu inutile cette protection, il conviendrait de faire place au droit du vivant.

Une solution intermédiaire serait de prolonger la jurisprudence initiale de la CADA, à savoir que le doute bénéficie au demandeur. En cas de refus exprès exprimé du vivant, le secret ne serait pas divulgué après le décès du parent. Si ce refus exprès n'a pas été exprimé, la levée serait possible.

Cette situation est celle qui s'inscrit le mieux dans l'esprit du projet de loi, préservant jusqu'au bout le droit au secret, dès lors qu'il est fermement exprimé. Mais votre rapporteur ne peut que constater que les trois positions sont éminemment respectables.

La loi doit pourtant trancher ce point.

Enfin, le projet de loi compte un absent : le droit des pères. Les statistiques disponibles montrent qu'ils sont très peu nombreux à être présents au moment de l'accouchement. Beaucoup sont simplement laissés dans l'ignorance.

A l'inverse, certains sont conscients de la situation et procèdent, avant la naissance, à une reconnaissance dite « anténatale ». Comment le projet de loi prend-il en compte leurs droits et celui, tout aussi important, d'enfants qui, à défaut d'avoir une mère à connaître, pourraient se découvrir un père ?

*

* *

Sous le bénéfice de ces observations, et sous réserve des amendements qui pourront vous être proposés par votre commission des Lois, votre commission a émis un avis favorable à l'adoption de ce projet de loi.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

Réunie le jeudi 15 novembre 2001, sous la présidence de M. Nicolas About, président, la commission a procédé à l'examen pour avis de M. Jean-Louis Lorrain sur le projet de loi n° 352 (2000-2001), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l'Etat.

La commission a procédé à l' examen du rapport pour avis de M. Jean-Louis Lorrain sur le projet de loi n° 352 (2000-2001), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l'Etat.

M. Jean-Louis Lorrain , rapporteur pour avis, a rappelé, en premier lieu, que la question soulevée par l'accouchement dans l'anonymat était celle de la tension existante entre deux droits apparemment incompatibles.

Il a souligné que naître dans l'anonymat était avant tout un fait social car des mères, pour des raisons diverses, se sont toujours trouvées dans l'impossibilité d'élever leur enfant, encourageant très tôt les pouvoirs publics à prévenir les drames qu'une telle impossibilité ne manquait pas de provoquer.

Il a rappelé que, contrairement à ce qui avait pu être affirmé, l'organisation juridique de la naissance dans l'anonymat n'était pas issue de Vichy, mais d'un décret de la Convention nationale. Il a indiqué que, si jusqu'au milieu des années 1970, le nombre d'accouchements dans l'anonymat avait pu s'élever à plus de 10.000 par an, il n'avoisine plus, actuellement, qu'environ 500 cas annuels. Néanmoins, il a affirmé que le désir d'accoucher dans le secret n'avait pas disparu et que, dans les pays où cette faculté n'existait pas, des mécanismes alternatifs avaient dû être institués.

Il a rappelé que les conclusions qui pouvaient être tirées de statistiques collectées au sujet des femmes accouchant dans l'anonymat révèlent que les deux tiers de ces femmes sont jeunes, voire très jeunes, qu'un quart sont en cours d'études, que les quatre cinquièmes sont célibataires et que bon nombre d'entre elles sont confrontées à des difficultés d'ordre culturel ou familial.

Il a néanmoins souligné que les statistiques n'apportaient pas d'informations sur des aspects essentiels de ce sujet, notamment, l'accueil qui a pu être réservé à ces femmes, les raisons qui ont motivé leur choix ou les facteurs qui auraient pu les faire changer d'avis.

Il a parallèlement rappelé que les enfants nés et élevés dans l'ignorance de leur origine faisaient aujourd'hui part de leurs difficultés face à cette situation et du désir qui est le leur de recueillir des éléments d'information sur leurs parents de naissance.

M. Jean-Louis Lorrain , rapporteur pour avis, a noté que la naissance dans l'anonymat est aujourd'hui posée dans des termes nouveaux. Il a souligné que, pour des raisons essentiellement procédurales, certains enfants nés dans l'anonymat n'avaient pas accès aux documents relatifs à leur naissance, alors que d'autres pouvaient se les procurer plus facilement.

Il a rendu hommage à la jurisprudence éminemment libérale de la commission d'accès aux documents administratifs qui a assoupli la rigueur originale du dispositif.

Il a constaté que la réflexion sur l'accès aux origines avait évolué au travers de nombreux rapports d'experts avec, dès le début des années quatre-vingt dix, un rapport du Conseil d'Etat complété à plusieurs reprises par des analyses souvent convergentes.

Il a enfin souligné que les exigences posées par le droit international et notamment par la signature de la convention des droits de l'enfant, devenaient de plus en plus fortes et justifiaient en partie la nécessité d'avancer sur le terrain législatif.

Concernant le projet de loi, M. Jean-Louis Lorrain , rapporteur pour avis, a constaté que celui-ci ne faisait que substituer une nouvelle procédure à l'ancienne, créant un conseil national pour l'accès aux origines. Il a observé que lors de l'accouchement, la mère sera invitée à laisser son identité dans une enveloppe cachetée dont l'enfant pourrait obtenir communication s'il s'adressait au conseil national d'accès aux origines.

Il a rappelé en conséquence, que le seul objet du projet de loi était de faciliter la rencontre des volontés en créant une procédure a priori plus efficace et plus lisible.

Il a souligné que le droit à la connaissance des origines est et demeure relatif en ce qu'il est subordonné à l'acceptation de la mère de lever le secret, la faculté pour cette dernière d'accoucher dans l'anonymat répondant à une demande aujourd'hui résiduelle, mais toujours existante.

Il a, en second lieu, affirmé que ce droit était contingent. Il a précisé à ce titre que des dossiers étaient vides et le resteraient, que les mères étaient invitées à laisser leur identité, mais qu'elles n'avaient aucune obligation en la matière.

Il a enfin rappelé que le présent projet de loi laissait un certain nombre de questions en suspens.

Il a constaté, en premier lieu, que ces questions étaient d'ordre juridique, puisque l'harmonisation entre la jurisprudence libérale de la commission d'accès aux documents administratifs qui avait créé dans les faits un véritable bénéfice du doute, pourrait être remise en cause par l'installation du conseil national d'accès aux origines, dont la mission était précisément de dissiper le doute.

Il a, en second lieu, affirmé que des questions d'ordre procédural appelaient des réponses, notamment sur la composition du conseil national d'accès aux origines dont le texte exclut la participation de travailleurs sociaux au titre de personnalités qualifiées.

Il a rappelé également son souhait de voir les parents de naissance approchés par le conseil avec toutes les précautions et la discrétion nécessaires à de telles démarches.

Enfin, M. Jean-Louis Lorrain , rapporteur pour avis, a noté que le texte ne tranchait pas certaines questions d'ordre éthique, notamment la question essentielle de l'accès à la connaissance des origines après la mort des parents de naissance et le droit des pères.

En conclusion, il a formulé deux observations, la première étant que cette recherche des origines ne devait pas tomber dans la recherche d'une vérité à tout prix, la seconde étant que la démarche engagée par les pouvoirs publics ne devait pas aboutir à une disparition lente de la procédure de l'accouchement dans l'anonymat qui doit demeurer une faculté offerte aux femmes en grande détresse.

M. Alain Gournac a félicité le rapporteur pour avis pour la clarté et la pondération de son exposé et a rappelé que la question traitée était particulièrement difficile pour les parents ayant adopté un enfant et souligné la nécessité de protéger les familles adoptives. Il s'est étonné du peu de cas qui était fait du droit des pères. Il a précisé qu'il interviendrait dans la discussion générale en tant que parent adoptant.

M. Jean Chérioux a également félicité le rapporteur pour avis et s'est interrogé sur la finalité de ce texte. Il a réaffirmé la nécessité que ce dernier ne soit pas une première étape vers la disparition de l'accouchement dans l'anonymat qui constituait, selon lui, une alternative à l'interruption volontaire de grossesse. Il a souhaité que la recherche systématique de la connaissance ne soit pas la conséquence d'un effet de mode. Il s'est inquiété, enfin, de la question du tiers donneur dans la procréation médicale assistée.

M. Roland Muzeau a remercié le rapporteur pour avis pour la présentation objective que celui-ci avait fait dans son rapport. Il a jugé le texte prudent et utile.

M. André Lardeux a partagé les avis exprimés par MM. Alain Gournac et Jean Chérioux et a rappelé qu'en tant que président de conseil général il était saisi de plus en plus par de jeunes adultes en quête de leurs origines et considérait utile qu'une réponse uniforme puisse être apportée aux questions de ces jeunes gens.

Mme Janine Rozier a déclaré qu'en tant que rapporteur de la délégation aux droits des femmes sur la proposition de loi relative à l'autorité parentale, elle avait déploré que la réforme du droit de la famille ait été morcelée. Elle a constaté que l'accouchement dans l'anonymat révélait une grande détresse et s'est interrogée sur les moyens susceptibles de faciliter la reconnaissance du père.

M. Nicolas About, président , a déclaré qu'il s'agissait d'un sujet difficile, émotionnel, affectant les droits des enfants et des parents et touchant les questions de parenté et de parentalité. Il a rappelé avoir travaillé au Conseil de l'Europe sur cette question et a constaté que la plus grande difficulté reconnue par ces enfants était l'ignorance, la connaissance de ses origines constituant un apaisement en soi.

La commission, sur proposition de son rapporteur, a émis un avis favorable à l'adoption du projet de loi sous réserve des amendements qui pourraient être proposés par la commission saisie au fond.

* 1 Le Monde, vendredi 15 décembre 2000, p.13

* 2 Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille, à l'enfance et aux handicapées, Libération, 17 janvier 2001.

* 3 Mme Ségolène Royal, débat à l'Assemblée nationale, 31 mai 2001, Journal Officiel, page 3733.

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